QUATRE-VINGT-SEIZIÈME JOURNÉE.
Lundi 1er avril 1946.
Audience de l’après-midi.
Témoin, vous étiez présent à l’entrevue entre le Président Hacha et Hitler, le 15 mars 1939 ?
Oui, j’étais présent.
Vous souvenez-vous que Hitler a dit au cours de cette entrevue qu’il avait donné les ordres aux troupes allemandes d’entrer en Tchécoslovaquie et qu’à 6 heures du matin l’Armée allemande envahirait la Tchécoslovaquie de tous les côtés ?
Je ne me souviens pas exactement des paroles qui furent prononcées, mais je sais que Hitler dit à Hacha qu’il occuperait la Bohême et la Moravie.
Vous souvenez-vous qu’il ait dit ce que je viens de vous demander : qu’il avait donné l’ordre aux troupes allemandes d’entrer en Tchécoslovaquie ?
Oui, c’est précisément ce que je viens de dire.
Vous souvenez-vous que l’accusé Göring — comme il l’a déclaré au Tribunal — ait dit au Président Hacha qu’il donnerait l’ordre à l’Aviation allemande de bombarder Prague ?
Je ne peux pas vous répondre là-dessus en détail, étant donné que je n’étais...
Je ne vous demande pas une déclaration détaillée ; je vous demande si vous vous souvenez — je considère que c’était là une déclaration importante — que Göring ait dit au Président Hacha qu’il donnerait l’ordre à l’Aviation allemande de bombarder Prague si la résistance tchécoslovaque ne cessait pas. Vous en souvenez-vous ?
Non, je ne le sais pas, je n’étais pas présent.
Mais vous étiez là pendant toute l’entrevue ?
Non, je n’y étais pas, et si le Ministère Public britannique m’en donne la possibilité, j’expliquerai d’une façon claire comment les choses se sont passées.
Je voudrais que vous répondiez d’abord à ma question. Vous dites que vous ne vous en souvenez pas ; si l’accusé Göring admet l’avoir dit, reconnaîtriez-vous que cela s’est bien passé ainsi ?
Si Göring le dit, c’est certainement vrai. J’ai simplement dit que je n’ai pas assisté à cette conversation entre le Président Hacha et le maréchal Göring.
Vous souvenez-vous que Hitler ait dit qu’en l’espace de deux jours l’Armée tchécoslovaque n’existerait plus ?
Je ne me le rappelle pas dans le détail. Ce fut une très longue conversation.
Vous souvenez-vous que Hitler ait dit qu’à 6 heures, les troupes entreraient en Tchécoslovaquie et qu’il avait presque honte de dire qu’il y avait une division allemande pour un bataillon tchécoslovaque ?
Il est possible qu’on ait dit quelque chose de pareil, mais je ne me rappelle plus les détails.
Si de telles choses ont été dites, êtes-vous d’accord avec moi sur le fait que le Président Hacha a été soumis à une pression intolérable ?
Sans aucun doute, Hitler a parlé très clairement. Mais je dois dire ici que le Président Hacha, de son côté, était venu à Berlin pour trouver une solution avec Hitler. Il fut étonné d’apprendre l’entrée prochaine des troupes en Tchécoslovaquie. Cela, je le sais et je m’en souviens très bien ; mais il s’est déclaré d’accord sur ce fait et il s’est alors mis en rapport avec son propre Gouvernement et son chef d’État-Major général, de façon à ce qu’aucun acte d’hostilité ne se produise à l’égard des troupes allemandes. Puis il a conclu avec Hitler, en présence du ministre des Affaires étrangères tchèque et de moi-même, l’accord que j’avais préparé.
Êtes-vous d’accord avec moi sur le fait que cet accord a été obtenu sous la menace d’une agression de la part de l’Armée et de l’Aviation allemandes ?
Il est certain que, le Führer ayant dit au Président Hacha que l’Armée allemande entrerait en Tchécoslovaquie, c’est naturellement sous cette impression que le traité fut signé.
Ne croyez-vous pas que vous pourriez répondre nettement à une seule au moins des questions que je vous pose ? Je vais vous la poser encore une fois : êtes-vous d’accord sur le fait que ce document a été obtenu à la suite d’une pression intolérable et par des menaces d’agression ? C’est une question directe. Etes-vous d’accord avec moi ?
De cette façon, non.
Quelle autre pression pouviez-vous exercer contre le chef d’un pays, sinon le menacer de l’entrée en force de vos troupes dans son pays et du bombardement de sa capitale par l’Aviation ?
La guerre, par exemple.
Qu’est-ce que cela, sinon la guerre ? Vous ne considérez pas comme fait de guerre l’entrée de votre Armée dans le pays dans la proportion d’une division pour un bataillon ainsi que le bombardement de Prague ?
Le Président Hacha avait déclaré au Führer qu’il remettait entre ses mains le destin de son pays. Le Führer...
Je voudrais que vous répondiez à ma question. Ma question est une question très simple, et je voudrais obtenir une réponse. Vous nous avez dit que cet accord a été obtenu après que ces menaces eussent été proférées.
Non, ne n’ai pas dit cela.
C’est ce que vous avez dit il y a un instant.
Non.
Je disais que cet accord a été réalisé sous la menace d’une guerre. Est-ce exact ?
Je crois que ces menaces étaient infiniment plus légères que les menaces en face desquelles l’Allemagne s’est trouvée pendant des années, à la suite du Traité de Versailles et de ses sanctions.
Voudriez-vous, sans faire de comparaisons, répondre maintenant à ma question ? Êtes-vous d’accord sur le fait que cet accord a été obtenu sous la menace d’une guerre ?
Il a été conclu sous une pression, à savoir la menace de l’entrée des troupes à Prague. Il n’y a aucun doute là-dessus. Mais ce qui fut décisif dans cette affaire, ce fut que le Führer exposa au Président Hacha pourquoi il devait s’y plier, et le Président Hacha, à la fin, se déclara absolument d’accord, après s’être mis en relations avec son propre Gouvernement et son État-Major et avoir entendu leur avis. Néanmoins, il est absolument exact que le Führer était décidé à résoudre ce problème par tous les moyens. Le Führer pensait en effet que, dans ce qui restait de la Tchécoslovaquie, il se tramait une conspiration contre le Reich. Le général Göring a déjà déclaré qu’on avait parlé de commissions russes qui étaient arrivées sur des aérodromes tchèques. Le Führer a donc agi ainsi parce qu’il estimait que c’était l’intérêt du Reich et que c’était nécessaire à sa sécurité.
Je peux ici faire une comparaison. Par exemple, le Président Roosevelt a dit qu’il s’intéressait à l’hémisphère occidental et l’Angleterre a déclaré que le monde entier l’intéressait. Je pense que l’intérêt que manifestait le Führer pour le reste de la Tchécoslovaquie était raisonnable pour une grande Puissance ; quant aux moyens, on peut en penser ce qu’on veut. Une chose est certaine : c’est que ces pays furent occupés sans la moindre effusion de sang.
Ils furent occupés sans aucune effusion de sang, parce que vous les aviez menacés d’entrer en force et de bombarder Prague s’ils n’étaient pas d’accord. N’est-ce pas exact ?
Non, pas parce que nous avions menacé d’entrer en force, mais parce qu’il avait été convenu que l’Armée allemande rentrerait sans empêchement en Tchécoslovaquie.
Cet accord, je vous le demande une fois de plus, a été obtenu sous la menace de la marche en territoire tchèque et du bombardement de Prague, n’est-ce pas ?
Je vous ai déjà répondu que ce n’est pas ainsi que les choses se sont passées. Le Führer a parié avec le Président Hacha et lui a dit qu’il avait l’intention d’entrer en Tchécoslovaquie. La discussion entre le Président Hacha et le maréchal Göring m’est inconnue. Le Président Hacha a signé l’accord après avoir consulté par téléphone son Gouvernement et l’Etat-Major à Prague. Il n’est pas douteux que la personnalité du Führer, ses arguments et, finalement, l’annonce de l’entrée des troupes allemandes en Tchécoslovaquie, décidèrent le Président Hacha à signer cet accord.
Vous souvenez-vous... Veuillez vous lever une seconde, mon général ? (Un officier de l’Armée tchécoslovaque se lève.)
Vous souvenez-vous que le général Ecer, ce général tchèque, vous a posé certaines questions ?
Oui, je m’en souviens.
Lui avez-vous dit que vous pensiez que cette opération du 15 mars était contraire à la déclaration que Hitler avait faite à Chamberlain mais, qu’en fait, Hitler voyait dans cette occupation une nécessité vitale pour l’Allemagne ?
Oui, c’est exact. Je me suis trompé sur le premier point, je le reconnais. Je m’en suis souvenu plus tard. L’accord de Munich entre M. Chamberlain et Hitler ne contenait rien de ce genre. Cela n’était pourtant pas dirigé contre cet accord. En deuxième lieu, je crois que je l’ai déclaré, Hitler pensait qu’il devait agir ainsi dans l’intérêt de son pays.
Je voudrais que vous nous fassiez une ou deux déclarations d’ordre général, à propos de vos opinions sur la Grande-Bretagne. Est-il vrai que, lorsque vous êtes parti pour Londres comme ambassadeur du Reich, vous pensiez qu’il y avait très peu d’espoir d’obtenir un accord, qu’en réalité il y avait à peu près une chance sur cent pour qu’un accord intervînt avec la Grande-Bretagne ?
Lorsque je demandai au Führer de m’envoyer personnellement à Londres...
Je vous pose une question très simple : est-il exact que, lorsque vous êtes parti pour Londres comme ambassadeur, vous pensiez qu’il y avait très peu d’espoir d’arriver à un accord avec l’Angleterre, et qu’en fait vous pensiez que les chances étaient à cent contre un ?
Certes, les possibilités n’étaient pas grandes.
Comme vous le savez, ce sont vos propres paroles...
Je voudrais ajouter quelque chose...
Répondez d’abord à ma question. Ce sont là vos propres paroles, n’est-ce pas, qu’il restait une chance sur cent ? Vous en souvenez-vous ?
Une chance sur cent, je ne m’en souviens plus, mais je voudrais ajouter quelque chose. Je déclarai à Hitler que les possibilités étaient réduites ; mais je lui dis aussi que je tenterais l’impossible pour amener malgré tout une entente anglo-allemande.
Lorsque vous avez quitté l’Angleterre lors de la cessation de vos fonctions d’ambassadeur, est-ce que vous croyiez que la guerre était inévitable ?
Non, je n’étais pas de cet avis, mais j’étais convaincu qu’étant donné l’évolution des événements en Angleterre, il y avait une possibilité de guerre.
Je voudrais que vous fassiez bien attention à ceci : vous dites que vous pensiez que la guerre n’était pas inévitable lorsque vous avez quitté l’Angleterre ?
Je ne puis dire ni qu’elle était inévitable, ni qu’elle pouvait être évitée. Mais, étant donné l’évolution de la politique de l’Angleterre vis-à-vis de l’Allemagne, il me paraissait évident qu’un conflit armé entrait dans le cadre des possibilités.
Regardez à la page 211-E du livre de documents, page 170 du livre anglais.
Vous dites 211 ?
L’avez-vous trouvée ?
Oui.
Si vous regardez le second paragraphe, vous lirez : « Il (c’est-à-dire le ministre des Affaires étrangères du Reich) était plus que sceptique, dès son arrivée à Londres, et estimait les chances d’accord à cent contre un... La clique des bellicistes avait eu le dessus en Angleterre, disait-il, et lorsqu’il quitta l’Angleterre, la guerre était devenue inévitable ». (Document PS-1834.) Est-ce là ce que vous avez déclaré à l’ambassadeur Oshima ?
Je ne sais pas si j’ai dit exactement cela. En tout cas, c’est là du langage diplomatique, Monsieur le Procureur, et il est possible qu’étant donné la situation, nous ayons pu considérer comme opportun de nous exprimer ainsi devant l’ambassadeur du Japon. Ce qui est intéressant, c’est que, si je m’en souviens bien, la certitude d’une guerre inévitable n’existait pas au moment où je quittai l’Angleterre.
Si, plus tard, au cours des années qui suivirent, j’ai fait telle ou telle déclaration, cela ne change en rien ce que j’ai dit en quittant Londres. Je ne pense pas qu’il y ait la moindre preuve de cela. Il est possible qu’en désirant l’attirer dans la guerre contre l’Angleterre, je me sois exprimé d’une façon énergique.
Vous ne lui avez probablement pas dit la vérité ?
Je n’en sais rien. Je ne sais même pas si ces détails sont bien rapportés. C’est un long rapport, je n’en connais pas l’origine.
C’est un document allemand saisi, votre propre rapport de cet entretien.
C’est très possible, mais dans la diplomatie on dit beaucoup de choses, sans toujours peser chaque mot. En tout cas, la vérité est que, lorsque j’ai quitté Londres, la guerre ne semblait pas inévitable, mais il n’est pas douteux que j’ai quitté Londres très sceptique, en me demandant comment tourneraient les choses, étant donné surtout l’importance qu’avait en Angleterre le parti de la guerre.
Accusé, voulez-vous parler un peu plus lentement ?
Oui, Monsieur le Président.
Lorsque vous avez quitté l’Angleterre, n’étiez-vous pas d’avis de mener une politique amicale vis-à-vis de l’Angleterre, tout en formant en réalité une coalition contre ce pays ?
Cela n’est pas tout à fait exact, exprimé de cette manière. Il était évident pour moi, lorsque je devins ministre des Affaires étrangères, que la réalisation des désirs du peuple allemand en Europe était difficile à accomplir et que c’était l’Angleterre, avant tout, qui s’y opposait. Pendant des années, sur l’ordre du Führer, j’ai essayé d’atteindre ce résultat au moyen d’une entente amicale.
Je voudrais que vous répondiez à ma question : oui ou non, avez-vous dit au Führer que la bonne politique consisterait à simuler l’amitié envers l’Angleterre tout en formant une coalition contre elle ?
Non, ce n’est pas exact, présenté de cette manière.
Vous avez dit non ? Regardez je vous prie, le document TC-75 (GB-28), et les conclusions qu’on peut en tirer. Vous les trouverez sous le numéro 5, au bas de la troisième page.
« V
Donc, les conclusions que l’on peut en tirer sont :
« 1. Extérieurement, poursuivre une entente avec l’Angleterre, tout en protégeant les intérêts de nos amis.
« 2. Former, très secrètement mais avec une ténacité farouche, une coalition contre l’Angleterre ; c’est-à-dire, en pratique, raffermir notre amitié avec l’Italie et le Japon, en gagnant à notre cause tous les autres pays qui auraient des intérêts analogues aux nôtres, directement ou indirectement ; coopération étroite et confidentielle entre les diplomates des trois grandes Puissances intéressées dans ce but. »
Et la dernière phrase :
« Chaque jour où nos décisions politiques ne seraient pas inspirées — quels que soient les efforts de rapprochement faits dans notre direction — par cette idée fondamentale que l’Angleterre est notre plus dangereux adversaire, serait un jour gagné par l’ennemi. »
Pourquoi avez-vous déclaré au Tribunal, il y a une minute, que vous n’aviez pas donné au Führer le conseil de simuler l’amitié envers l’Angleterre et de préparer, en réalité, une coalition contre elle ?
Je ne sais pas du tout ce qu’est ce document. Puis-je le voir ?
Il est signé de vous-même, le 2 janvier 1938. C’est un compte rendu adressé par vous au Führer.
Oui, c’est exact en soi. C’est la constatation décisive : ce n’est qu’ainsi que nous pouvions agir pour arriver, un jour, soit à une entente, soit à un conflit avec l’Angleterre. La situation était très claire à ce moment-là : l’Angleterre s’opposait aux désirs d’une révision que le Führer considérait comme vitale. Le seul moyen qui parût viable pour influencer l’Angleterre par la diplomatie plutôt que par la guerre, était la formation d’une forte coalition, afin qu’elle cédât aux aspirations de l’Allemagne. Telle était la véritable situation.
Ce que je voudrais savoir, témoin, c’est pourquoi vous avez dit au Tribunal, il y a cinq minutes, que vous n’aviez pas donné à Hitler de conseil dans ce sens.
De quel conseil parlez-vous ?
Qu’il fallait, apparemment, s’entendre avec l’Angleterre et, en réalité, former secrètement une coalition contre elle. Je vous l’ai demandé à deux reprises, et vous l’avez nié. Pourquoi ?
J’ai déclaré très clairement que l’Angleterre s’opposait aux désirs allemands et que, par conséquent, si l’Allemagne voulait réaliser ses aspirations, elle ne pouvait plus faire autre chose que chercher des amis et ensuite, avec leur aide, entamer des négociations avec l’Angleterre pour arriver à ce qu’elle donnât son accord aux aspirations de l’Allemagne, et cela par voie diplomatique. Tel était alors mon devoir.
Je voudrais attirer votre attention sur les relations avec la Pologne. Je vais vous donner l’occasion de répondre à ma question sur le plan général et j’espère que, de cette façon, nous pourrons économiser du temps. Êtes-vous d’accord sur le fait que, jusqu’à l’accord de Munich, les discours de tous’ les hommes d’État allemands étaient pleins d’amitié et de respect pour la Pologne ? Êtes-vous d’accord là-dessus ?
Oui.
Quel était alors le but des déclarations rapportées dans le mémorandum du ministère des Affaires étrangères du 26 août 1938 ?
Vous trouverez ce passage page 107 du livre de documents. Je voudrais que vous regardiez ; je crois que c’est le quatrième paragraphe qui commence par : « La méthode à employer envers la Tchécoslovaquie... » et, je vous le rappelle, votre méthode consistait à mettre en avant l’idée que vous et Hitler désiriez le retour de tous les Allemands dans le Reich. Voilà clairement et objectivement ce que contient ce passage. Je voudrais que vous regardiez ce paragraphe.
De quel paragraphe voulez-vous parler ?
Le quatrième. « La méthode à employer envers la Tchécoslovaquie... » C’est le quatrième paragraphe sur mon exemplaire.
Je n’ai pas encore trouvé. Paragraphe 5... Oui, je l’ai.
« La méthode à employer envers la Tchécoslovaquie doit être recommandée, à cause de nos relations avec la Pologne. Il est certain que dès que l’Allemagne aura cessé de s’intéresser au problème de ses frontières, frontières de l’Est, du Sud-Est, pour se tourner vers celles de l’Est et du Nord-Est, les Polonais dresseront l’oreille. Après la liquidation de la question tchécoslovaque, il sera généralement admis que la Pologne sera la prochaine sur la liste, mais plus on pourra retarder l’entrée de ce facteur dans la politique internationale, mieux cela vaudra. » (Document TC-76.)
Cela exprime-t-il bien les buts de la politique étrangère allemande à ce moment-là ?
Certainement non. D’abord, je ne sais pas du tout ce qu’est ce document. C’est apparemment un texte rédigé par un chef de service du ministère des Affaires étrangères, où l’on préparait parfois de pareils travaux théoriques, et qui m’est parvenu par le secrétaire d’État. Cependant, je ne me souviens pas de l’avoir lu. S’il m’est parvenu ou non, je ne puis vous le dire actuellement ; mais il est possible que de telles idées aient été exprimées par certains de nos fonctionnaires. C’est très possible.
Je vois. Si vous n’êtes pas d’accord avec moi, voulez-vous regarder à la page 110 ; vous y verrez des extraits du discours prononcé par Hitler au Reichstag, le 26 septembre 1938. Excusez-moi, j’ai dit Reichstag, je voulais dire Sportpalast.
Sportpalast, oui.
A la fin de cet extrait, on cite le Führer qui parlait de la Pologne, après avoir rendu hommage au maréchal Pilsudzki :
« Nous sommes tous convaincus que cet accord amènera une paix durable. Nous constatons que nous sommes ici deux peuples qui doivent vivre ensemble et qui ne peuvent se passer l’un de l’autre. Un peuple de 33.000.000 d’habitants tentera toujours de trouver un débouché sur la mer. Une entente devait donc se faire. Celle-ci s’est réalisée et nous la parachèverons. Évidemment, le problème était difficile. Des querelles de nationalités et de petites minorités se sont élevées fréquemment. Mais le principal est que les deux Gouvernements et tous les hommes raisonnables et intelligents de ces deux peuples, de ces deux pays, aient la ferme volonté d’améliorer leurs relations. C’est un vrai travail de paix, qui a plus de valeur que toutes les palabres du Palais de la Société des Nations à Genève. » (Document TC-73, n° 42.)
Croyez-vous que cela était dit en toute sincérité ?
Oui, je crois que c’était bien là le point de vue du Führer à cette époque.
Donc, à ce moment-là, toutes les questions de traitement des minorités en Pologne étaient absolument secondaires, n’est-ce pas ?
Non, elles n’étaient pas secondaires. Elles représentaient même un problème constant et épineux entre la Pologne et nous, et le but de ces déclarations du Führer était justement de vaincre la difficulté. Je suis très au courant du problème des minorités en Pologne car je l’ai étudié, pour des raisons personnelles, pendant de longues années. A partir du moment où je pris en mains le ministère des Affaires étrangères, j’eus toujours à faire face aux plus grandes difficultés sur ce point, mais nous nous sommes toujours efforcés de les résoudre généreusement.
En tout cas, vous êtes d’accord avec moi sur le fait que les discours de cette époque étaient, en toute sincérité, comme vous le dites, pleins de sentiment d’amitié et d’affection pour les Polonais, n’est-ce pas ?
En effet, nous avions l’espoir de trouver ainsi une solution satisfaisante et raisonnable, surtout au problème des minorités allemandes. Ce fut notre politique dès 1934.
Immédiatement après Munich, vous avez soulevé pour la première fois la question de Dantzig avec M. Lipski ; je crois que c’était aux environs du 21 octobre ?
Oui, c’était le 28 octobre.
Le 28 octobre, et les Polonais avaient répondu le 31. La réponse est peut-être parvenue un jour plus tard, par l’intermédiaire de M. Lipski. Elle suggérait un accord bilatéral entre la Pologne et l’Allemagne mais déclarait que le retour de Dantzig au Reich conduirait à une guerre. J’indique cela de façon générale, je veux simplement vous rappeler la teneur de la réponse. Vous en souvenez-vous ?
Autant que je me souvienne, cela ne s’est pas passé exactement comme vous le dites. Le Führer m’avait chargé, le 28 octobre très exactement, de prier l’ambassadeur Lipski de se rendre à Berchtesgaden. Cet ordre m’avait été donné parce que, précisément, le Führer — peut-être à la suite de son discours du Sportpalast, mais je ne me souviens pas au juste — désirait spécialement mettre au point ses relations avec ses voisins et, en particulier, en ce qui concernait la Pologne. Il me chargea donc de discuter avec l’ambassadeur Lipski la question de Dantzig et celle des communications entre la Prusse Orientale et le Reich. Je fis venir l’ambassadeur Lipski et lui exprimai ces désirs d’une façon très amicale. L’ambassadeur Lipski demeura très réservé et me répondit que Dantzig n’était pas un problème facile à résoudre, mais qu’il discuterait de cette question avec son Gouvernement. Je le priai donc de le faire au plus tôt et de me tenir au courant. Ce tut le commencement des négociations avec la Pologne.
Maintenant, voulez-vous — je ne veux pas vous interrompre, mais je voudrais en parler rapidement — si vous voulez passer à la page 114, vous y verrez le procès-verbal de la conversation entre M. Beck et Hitler, le 5 janvier. Je voudrais attirer votre attention sur le dernier paragraphe où, après que M. Beck eût dit que la question de Dantzig était une question très difficile, le Chancelier déclara en réponse que « ... pour résoudre ce problème, il serait nécessaire de trouver quelque chose de nouveau, une nouvelle formule, pour laquelle il utilisa le mot de « körperschaft », qui, d’un côté, sauvegarderait les intérêts de la population allemande, et de l’autre côté, les intérêts polonais. De plus, le Chancelier déclara que le ministre pouvait être tout à fait tranquille, qu’il n’y aurait pas de « fait accompli » à Dantzig et qu’aucune mesure ne serait prise pour créer des difficultés au Gouvernement polonais. » (Document TC-73, n° 48.)
Avez-vous lu ce passage avant que je ne vous pose des questions ?
Oui, je l’ai lu.
Maintenant, voulez-vous jeter un coup d’œil sur le résumé de votre entretien avec M. Beck, le lendemain. C’est à la page 115, au début du deuxième paragraphe. Après que M. Beck eut abordé la question de Dantzig, vous lui avez dit :
« Dans sa réponse, M. von Ribbentrop souligna encore une fois que l’Allemagne ne cherchait pas une solution par la force. » (Document TC-73, n° 49.)
C’était presque, mot pour, mot, ce que Hitler avait déclaré le jour précédent, n’est-ce pas ?
Oui.
Maintenant, revenez à la page 113, document C-137 (GB-33). Ce sont les ordres de l’accusé Keitel ou, plus exactement, la transmission par l’accusé Keitel de l’ordre du Führer concernant Dantzig. L’ordre est daté du 24 novembre, c’est-à-dire environ six semaines plus tôt, et complète un ordre donné le 21 octobre. On y lit ce qui suit :
« A part les trois éventualités mentionnées dans l’ordre du 21 octobre, il faut également envisager de préparatifs pour l’occupation par surprise de l’État libre de Dantzig par les troupes allemandes (4. Occupation de Dantzig).
« Les préparatifs doivent être prévus sur les données suivantes : Occupation en « coup de main » de Dantzig, en exploitant une situation politique favorable ; pas de guerre contre la Pologne. » (Document C-137.)
Connaissiez-vous ces directives ?
Non, je les ignorais. C’est la première fois que je vois cet ordre. Puis-je ajouter quelque chose ?
Non, pas pour l’instant. Hitler devait connaître cet ordre n’est-ce pas ? L’ordre émanait bien de lui ?
Oui, certainement, et c’est pourquoi je suppose — c’est ce que je voulais ajouter — que le Ministère Public britannique se rend compte que, dans cette affaire, le domaine politique et le domaine militaire sont totalement séparés l’un de l’autre. Il n’y a aucun doute que le Führer, en vue des difficultés continuelles posées par le problème de Dantzig et du Corridor, avait donné certains ordres militaires, et je suppose que c’est là un de ces ordres. Je le vois aujourd’hui pour la première fois.
En supposant que vous ayez eu connaissance de ces ordres, témoin, auriez-vous déclaré quand même, le 5 janvier, que l’Allemagne ne recherchait pas une solution violente ni le recours à un fait accompli ? Si vous aviez connu cet ordre, l’eussiez-vous quand même affirmé ?
Si j’avais connu cet ordre et que je l’aie considéré comme je devais le faire, c’est-à-dire comme un ordre donné par l’État-Major général en vue d’une éventualité, je n’en aurais pas moins soutenu la même opinion. J’estime qu’il est du devoir de l’État-Major général d’envisager toutes les contingences possibles et de faire, en principe, toutes les prévisions nécessaires. Cela n’a, en dernière analyse, rien à voir avec la politique.
Cela n’a rien à voir avec la politique que d’avoir un plan tout prêt pour l’occupation par surprise de l’État libre de Dantzig par des troupes allemandes, lorsque vous êtes en train de déclarer aux Polonais que vous n’aurez jamais recours à un fait accompli ? C’est ainsi que vous considérez qu’il faut procéder ? Si c’est le cas, passons...
Non, mais je dois ajouter, cela je le sais, que le Führer s’inquiéta pendant longtemps, surtout en 1939, d’une attaque possible des Polonais sur Dantzig ; par conséquent, quoique n’étant pas un militaire, il me semble naturel d’envisager tous les problèmes et de se préparer à toutes les éventualités. Mais je ne peux évidemment pas me prononcer quant aux détails de ces ordres.
Quand avez-vous su que Hitler était décidé à attaquer la Pologne ?
Que Hitler envisageait une intervention militaire contre la Pologne ? Je l’ai entendu dire pour la première fois en août 1939, je crois. Il paraît évident, en lisant cet ordre concernant Dantzig, qu’il avait naturellement pris certaines dispositions militaires en vue d’une telle éventualité. Mais je n’ai certainement rien su de cet ordre, et je ne me souviens pas d’avoir reçu à l’époque aucune information militaire. Je ne savais pour ainsi dire rien à ce sujet.
Prétendez-vous, devant le Tribunal, que vous ne saviez pas au mois de mai que, pour Hitler, le véritable objectif était non pas Dantzig, mais la conquête d’un espace vital à l’Est ?
Non, je ne le savais pas dans ce sens-là. Le Führer parlait souvent d’espace vital, c’est exact, mais je ne savais pas qu’il avait l’intention d’attaquer la Pologne.
Regardez à la page 117, peut-être à la page 118 de votre livre de documents ; vous y verrez le procès-verbal d’une conférence du 23 mai 1939 à la nouvelle chancellerie du Reich.
Vous dites page 117 ?
Oui, 117, peut-être le paragraphe en question se trouve-t-il à la page 118. Cela commence par :
« Ce n’est pas de Dantzig qu’il s’agit. Il s’agit pour nous d’arrondir notre espace vital à l’Est et d’assurer notre subsistance, de liquider le problème de la Baltique et des États baltes. L’approvisionnement en vivres n’est possible que dans ces régions peu habitées et dont la fertilité naturelle, augmentée par une exploitation rationnelle de notre part, augmentera considérablement la production. Il n’y a pas d’autre possibilité en Europe ».
Prétendez-vous encore dire au Tribunal que Hitler ne vous a jamais exposé ce point de vue ?
Cela peut paraître bizarre, mais je dois vous signaler d’abord que je ne crois pas avoir été présent à cette conférence. C’était une conférence militaire et le Führer avait l’habitude de tenir séparément ses conférences militaires et ses conférences politiques. Le Führer avait bien, de temps en temps, fait allusion au fait que nous avions besoin d’espace vital, mais je ne savais rien et il ne me dit rien à l’époque — c’est-à-dire en mai 1939 — de son intention d’attaquer la Pologne. Je crois, d’ailleurs, comme j’ai pu le constater dans plusieurs autres cas, que c’est intentionnellement qu’il ne me tint pas au courant, car il voulait que ce soit avec conviction que ses diplomates se consacrent à la recherche d’une solution pacifique.
Vous voulez dire que c’est délibérément que Hitler ne vous disait rien de ses intentions véritables, qu’il vous cachait que ce n’était pas Dantzig qui faisait l’objet des discussions et qu’il voulait conquérir un espace vital. Est-ce cela que vous prétendez ?
Oui, à mon avis il le faisait intentionnellement, car...
Bien, voulez-vous lire alors un paragraphe très court un peu plus loin : « La question ne se pose donc plus d’épargner la Pologne et seule demeure la détermination d’attaquer la Pologne à la première occasion favorable. Nous ne pouvons nous attendre à une répétition de l’affaire tchécoslovaque. Il y aura la guerre. Notre but est d’isoler la Pologne ».
Prétendez-vous affirmer devant le Tribunal que Hitler n’a jamais dit cela à son ministre des Affaires étrangères ?
Je n’ai pas très bien compris la question.
C’est une question très simple. Prétendez-vous devant le Tribunal que Hitler ne fit jamais état du passage de son discours que je viens de vous lire, aux termes duquel il n’était pas question d’épargner la Pologne mais de l’attaquer à la première occasion et de l’isoler ? Prétendez-vous devant le Tribunal que Hitler n’en parla jamais à son ministre des Affaires étrangères, qui avait pratiquement la charge de diriger la politique étrangère ?
Non, il ne m’en parla pas à ce moment, mais seulement beaucoup plus tard, au cours de l’été 1939. C’est alors qu’il en a parlé et il déclara littéralement qu’il était décidé à résoudre le problème d’une façon ou d’une autre.
Et vous prétendez que vous ne saviez pas au mois de mai que Hitler désirait la guerre ?
Non, je n’en étais pas convaincu du tout.
On voit très nettement dans ce document qu’il désirait la guerre n’est-ce pas ?
Ce document fait état, sans aucun doute, de l’intention d’attaquer la Pologne, mais je sais que très fréquemment Hitler s’exprimait vis-à-vis des militaires en termes très forts, comme s’il avait eu la ferme intention d’attaquer tel ou tel pays, mais de là à passer réellement à l’exécution sur le plan politique, c’est une tout autre question. A plusieurs reprises, il m’a dit qu’il fallait toujours parler aux militaires comme si la guerre devait éclater le lendemain.
Je voudrais vous poser une question sur un autre sujet. Vous avez dit vendredi que vous n’aviez jamais déclaré que l’Angleterre resterait en dehors de la guerre et ne respecterait pas ses garanties envers la Pologne. Vous souvenez-vous d’avoir dit cela ?
Oui.
Est-ce exact ?
Oui.
Bien. J’aimerais que vous regardiez un ou deux autres documents. Vous souvenez-vous que, le 29 avril 1939, vous avez reçu le premier ministre de Hongrie et le ministre des Affaires étrangères à 15 h. 30 ?
Non, je ne m’en souviens pas.
Bien. Cependant nous avons le procès-verbal de votre entretien, signé par von Erdmannsdorff je crois. Avez-vous dit ceci au premier ministre et au ministre des Affaires étrangères hongrois ?
« Le ministre des Affaires étrangères du Reich ajouta qu’il était fermement convaincu que, quoi qu’il arrivât en Europe, aucun soldat français ou anglais n’attaquerait l’Allemagne. Nos relations avec la Pologne étaient tendues en ce moment. »
Avez-vous dit cela ?
Je ne crois pas avoir jamais dit cela. Je considère cela comme impossible.
Si vous avez un exemplaire...
Puis-je voir le document ?
Bien entendu. C’est le document D-737 (GB-289).
Je ne peux, bien entendu, pas vous dire en détail ce que j’ai dit à ce moment-là, mais il est possible qu’alors, la situation polonaise les inquiétant beaucoup, nous ayons voulu tranquilliser les Hongrois. C’est parfaitement possible, mais j’ai peine à croire que j’aie dit cela. Il y a une chose certaine, c’est que le Führer savait, et je le lui avais dit, que l’Angleterre était prête à défendre la Pologne.
Si vous avez des doutes, voulez-vous regarder le document D-738 que je dépose sous le numéro GB-290. Il semble que vous ayez revu ces deux personnages deux jours plus tard. Regardez la dernière phrase du document :
« Le ministre des Affaires étrangères du Reich fit remarquer à nouveau que la Pologne ne constituait pas un problème sur le plan militaire. Dans le cas d’une intervention militaire, les Anglais laisseraient froidement tomber les Polonais. » On ne saurait parler plus franchement n’est-ce pas ? « Les Anglais laisseraient froidement tomber les Polonais. »
Je ne sais pas du tout à quelle page se trouve ce passage.
C’est au paragraphe 7 du rapport du 1er mai ; c’est la dernière phrase de ma citation. Le rapport est signé par un certain von Erdmannsdorff. La phrase en question est au-dessus de sa signature et les paroles au sujet desquelles je vous questionne sont : « Dans le cas d’une intervention militaire, les Anglais laisseraient froidement tomber les Polonais ».
Est-ce à la page 8 ? Puis-je vous demander à quelle page ?
Cela commence au paragraphe 7 « Le ministre des Affaires étrangères du Reich revint alors sur notre attitude à l’égard de la question polonaise et fit remarquer que l’attitude polonaise nous avait remplis d’amertume ».
Il est parfaitement plausible que j’aie dit quelque chose de ce genre et, s’il en est ainsi, ces paroles étaient destinées à tranquilliser les Hongrois et à les maintenir à nos côtés ; il est clair que c’est là du langage diplomatique.
Ne pensez-vous pas qu’il faille dire la vérité dans une conversation politique ?
Il ne s’agit pas de cela, il s’agit de provoquer une situation qui permette de résoudre ce problème ainsi que la question polonaise par la voie diplomatique. Si, aujourd’hui, je disais aux Hongrois — et cela s’applique également aux Italiens — que l’Angleterre va venir en aide à la Pologne et qu’une guerre générale va s’ensuivre, cela créerait une situation diplomatique qui rendrait tout à fait impossible la solution du problème. Sans aucun doute, il me fallait alors m’exprimer en termes très forts, comme me l’avait demandé le Führer, car si son propre ministre des Affaires étrangères avait laissé entrevoir d’autres possibilités, cela eût certainement causé de grandes difficultés et j’ose dire que c’eût conduit, en toutes circonstances, à la guerre. Nous voulions créer à l’Allemagne une position très forte afin de pouvoir résoudre ce problème pacifiquement. J’ajouterai que les Hongrois étaient quelque peu inquiets quant à la politique étrangère allemande et que le Führer m’avait demandé, dès le début, d’user avec eux d’un langage particulièrement clair et énergique. Je me servais souvent, pour les mêmes raisons, du même langage envers les diplomates de mon ministère.
Vous voudriez nous faire croire que vous disiez des mensonges aux Hongrois mais que vous dites la vérité au Tribunal. C’est bien cela, en bref, n’est-ce pas ?
Je ne sais si l’on peut parler de mensonges en l’occurrence, Monsieur le Procureur. Il s’agit ici de diplomatie et si nous voulions créer une situation favorable, il ne fallait pas tergiverser. Quelle eût été l’impression si le ministre des Affaires étrangères allemand avait tenu un langage tel que le monde entier eût dû attaquer l’Allemagne à propos de la plus légère démarche allemande ! Le Führer, très souvent, usait d’un tel langage et il voulait que je fisse de même. Je veux insister à nouveau sur le fait que je me servais d’un tel langage à l’intérieur même de mon propre ministère afin que la ligne de la politique allemande fût claire. Quand le Führer avait décidé qu’un problème serait résolu, quelles que fussent les circonstances et même si on encourait un risque de guerre, notre seule chance de succès était d’adopter une attitude ferme, car y eussions-nous manqué, la guerre aurait néanmoins été inévitable.
Bien ; maintenant, je voudrais que vous vous rappeliez ce que vous avez répondu aux explications du comte Ciano le 11 ou 12 août, juste avant votre rencontre à Salzbourg, je crois, avec Hitler. Vous souvenez-vous — c’est ce que rapporte le journal du comte Ciano — qu’il vous demanda : « Que voulez-vous ? Le Corridor ou Dantzig ? » Vous l’avez regardé et vous avez répondu : « Plus maintenant ; nous voulons la guerre ». Vous souvenez-vous de cela ?
Oui, cette déclaration est absolument fausse. J’ai dit au comte Ciano à cette époque, et cela est peut-être un peu similaire : « Le Führer est décidé à résoudre le problème polonais d’une façon ou d’une autre ». Telles étaient les instructions que j’avais reçues du Führer ; mais que j’aie dit que nous voulions la guerre est particulièrement absurde, pour la simple raison qu’aucun diplomate ne tiendra de tels propos, même au meilleur et au plus fidèle des alliés, et certainement pas au comte Ciano.
Je vous demanderai de regarder un rapport sur une conversation que vous avez eue par la suite avec Mussolini et le comte Ciano, pas très longtemps après d’ailleurs, le 10 mars 1940, ce qui fait à peu près neuf mois plus tard. Voulez-vous consulter le document PS-2835 (GB-291), à la page 18 ou 19...
Vous dites page 18 ?
Je vous rappelle que c’est une conversation entre vous-même, Mussolini et Ciano, qui eut lieu le 10 mars 1940. Elle commence par ces mots :
« Le ministre des Affaires étrangères du Reich rappela que, s’il avait déclaré à Salzbourg au comte Ciano qu’il ne croyait pas que l’Angleterre et la France soutiendraient la Pologne si la situation ne s’aggravait pas, il avait, néanmoins, toujours compté avec la possibilité d’une intervention des Puissances occidentales. Il était maintenant satisfait du cours des événements parce que, dès l’abord, il avait toujours été clair que ce différend se ferait jour tôt ou tard et qu’il était inévitable. »
Et vous avez ajouté qu’il serait bon de régler le conflit du vivant du Führer.
Oui, mais n’était-ce pas après que la guerre eût éclaté ?
Oui, ce que je tiens à faire ressortir, ce sont ces mots : « Il était maintenant satisfait du cours des événements parce que, dès l’abord, il avait toujours été clair que ce différend se ferait jour tôt ou tard et qu’il était inévitable ». Et sa vous voulez bien lire le paragraphe 2...
Puis-je répondre à cela ?
Oui, mais ce que je veux dire par là, c’est que cela montre tout à fait clairement que le comte Ciano avait raison et que vous étiez très satisfait que la guerre eût éclaté parce que vous pensiez que les circonstances étaient favorables à ce moment-là.
Je ne puis trouver ce passage. Tout au contraire, on dit ici qu’« il avait néanmoins toujours compté avec la possibilité d’une intervention des Puissances occidentales ». C’est textuellement rapporté ici.
C’est de la seconde partie de la citation que je parle ; je passe sur le point relatif à l’intervention anglaise ; je lis : « Il était maintenant satisfait du cours des événements... » et si vous relisez le paragraphe qui commence par « Deuxièmement,... », afin de l’avoir présent à l’esprit, vous pouvez lire à la troisième ligne : « Deuxièmement, au moment où l’Angleterre adopta le service militaire obligatoire, il devint manifeste que les rapports de forces ne s’établiraient pas, à la longue, en faveur de l’Allemagne et de l’Italie ».
Puis-je vous demander où cela se trouve ?
Quelques lignes plus bas ; le mot « Deuxièmement » est souligné, n’est-ce pas ?
Non, pas ici... oui, voilà.
« Deuxièmement, au moment où l’Angleterre adopta le service militaire obligatoire... » ; c’est environ dix lignes plus bas.
Oui. Je ne comprends pas très bien ce que le Procureur britannique essaye de prouver par là.
Je vous demanderai de regarder la phrase suivante avant de répondre à ma question :
« Ceci contribua à faire prendre au Führer la décision de résoudre le problème polonais, même au prix d’une intervention des Puissances occidentales. Cependant, le facteur décisif consistait dans le fait qu’une grande puissance ne pouvait tolérer certaines choses. » Je prétends...
Oui, cela me paraît exact.
Telle était donc votre opinion à l’époque et vous l’avez revendiquée après coup, c’est-à-dire que vous étiez décidé à régler la question polonaise, même si cela signifiait la guerre ? Le comte Ciano avait parfaitement raison quand il disait que vous vouliez la guerre, et c’est cela que je veux vous dire.
Non, ce n’est pas exact : au contraire, j’ai dit au comte Ciano à cette époque, à Berchtesgaden, que le Führer était décidé à résoudre le problème polonais d’une manière ou d’une autre ; cette façon de parler était nécessaire parce que le Führer était convaincu que tout ce qui serait connu à Rome le serait aussitôt à Londres et à Paris ; aussi voulut-il user d’un langage très clair afin que l’Italie fût, diplomatiquement de notre côté.
Si le Führer avait dit ou si moi-même j’avais dit que le Führer n’était pas aussi décidé à résoudre ce problème, cela aurait sans aucun doute été répété. Mais puisque le Führer était décidé à résoudre ce problème, au besoin par une guerre si ce n’était pas possible par un autre moyen, voilà qui signifiait la guerre. Voilà ce qui explique l’attitude claire et ferme que je dus prendre alors à Salzbourg. Mais je ne vois pas en quoi c’est contradictoire avec ce qui est dit ici.
Je vous demanderai de passer à la dernière semaine d’août. Nous en parlerons brièvement parce qu’il nous reste beaucoup de choses à voir.
Vous avez reconnu, au cours de votre témoignage, que le 25 août le Führer avait ajourné l’attaque qui avait été décidée pour le matin du 26. Vous vous en souvenez ? Je voudrais que vous ayez ces dates bien présentes à l’esprit.
Je connais très bien cette date.
Vous étiez dans la salle d’audience le jour où Dahlerus a témoigné et vous l’avez entendu, n’est-ce pas ?
Oui, j’étais ici.
Puis-je maintenant vous rappeler la date ? Le soir du 24, l’accusé Göring demanda à M. Dahlerus de partir pour Londres le lendemain matin pour y porter un message préliminaire aux déclarations que le Führer devait faire à Sir Nevile Henderson, le 25. Vous souvenez-vous de cette déclaration ? Et le 25, à 1h30...
Je ne peux pas me souvenir des dates exactement, mais je crois qu’elles sont exactes.
Je connais assez bien ces dates et le Tribunal me reprendra si je me trompe, mais je les donne telles que je les connais. C’était au soir du 24 ; Dahlerus partit le matin du 25 et à 1h30, le 25 — vous avez dit midi, mais je ne veux pas discuter sur une question de minutes — donc le 25, à midi, le Führer vit Sir Nevile Henderson.
Oui, c’est exact.
Et lui remit ce qu’on appelle la « note verbale », c’est-à-dire une requête en termes généraux.
Non, cette note ne lui fut remise que dans la soirée. A midi, il ne fit que s’entretenir avec lui, et le soir j’envoyai l’ambassadeur Schmidt lui porter la « note verbale » — je crois que c’est ainsi que cela s’est passé — avec un message spécial où je lui demandais à nouveau d’informer son Gouvernement de l’importance que le Führer attachait à ce message, à cette offre. Je crois que ces faits figurent dans le Livre Bleu britannique.
Quel que soit le moment où vous lui avez remis la note, Hitler lui en donna un aperçu général au cours de la conversation qu’il eut avec Sir Nevile au milieu de la journée ?
Oui, c’est exact.
Et l’attaque projetée pour le matin du 26 fut ajournée, comme vous l’avez dit, mais pas avant que vous n’ayez reçu le message de Mussolini, vers 3 heures, et la nouvelle que l’accord officiel anglo-polonais allait être signé dans l’après-midi, vers 4 heures. C’est ce que vous avez dit.
Voici maintenant ce que je veux vous dire : au moment où M. Dahlerus fut envoyé à Londres et au moment de la remise de cette note, quand le Führer en parla à Sir Nevile Henderson, l’Allemagne avait l’intention d’attaquer le matin du 26 ; c’est pourquoi je prétends que la démarche de M. Dahlerus et la conversation tenue à Sir Nevile Henderson n’avaient d’autre but que de dérouter le Gouvernement anglais dans l’espoir qu’il retirerait son aide à la Pologne ; n’ai-je pas raison ?
Vous désirez que je réponde ?
Certainement, je vous le demande.
Il se trouve que je ne suis pas très au courant de la démarche de Dahlerus. Je ne peux donc pas en parler. Quant à la rencontre de Hitler et de Sir Nevile Henderson, je peux dire que, dans la matinée, je lus la correspondance échangée entre M. Chamberlain et Hitler, datée du 22 je crois ; correspondance qui finissait dans une sorte d’impasse. Ensuite, je parlai avec le Führer et lui demandai s’il n’était pas possible de tenter un nouvel effort envers l’Angleterre afin d’arriver à une solution quelconque. Puis, vers le milieu de la journée — je pense qu’il était peut-être 1 heure ou 2 heures — le Führer rencontra Sir Nevile en ma présence et lui dit qu’il devrait prendre l’avion et aller à Londres afin de parler au Gouvernement britannique aussi rapidement que possible. Il avait l’intention, une fois le problème polonais résolu, de soumettre à la Grande-Bretagne des propositions étendues. Il avait, je crois, déjà indiqué les grandes lignes de cette offre dans la « note verbale », mais je ne m’en souviens pas exactement. C’est alors que Sir Nevile Henderson partit pour Londres en avion. Au moment de cette conversation, des mesures militaires avaient déjà été prises, je le sus dans le courant de la journée, parce que le refus de Mussolini était arrivé, non pas à 3 heures, mais plus tôt, dans la matinée ou à midi. Puis, vers 4 ou 5 heures de l’après-midi, j’appris la ratification du pacte anglo-polonais. J’allai immédiatement voir le Führer et lui suggérai de rapporter les mesures militaires, ce qu’il fit après une brève réflexion. Il n’est pas douteux qu’entre temps, certaines mesures militaires avaient été prises ; jusqu’à quel point elles furent poussées, je ne peux malheureusement pas le dire ; mais quand le Führer envoya son offre à l’Angleterre, j’étais convaincu, j’étais sous l’impression que si l’Angleterre réagissait d’une façon quelconque, la guerre n’éclaterait pas et que, dans ce cas, les mesures militaires qui se déroulaient, je crois, automatiquement, pourraient être arrêtées. Mais je ne peux donner aucun détail là-dessus ; je me souviens simplement d’une chose : c’est que lorsque je reçus la note verbale du Führer — c’était, je crois, vers le soir, peut-être dans l’après-midi — , ces mesures avaient déjà été rapportées ou, du moins, étaient sur le point de l’être. Je ne puis pas indiquer maintenant l’ordre chronologique car il me faudrait pour cela les documents nécessaires qui, malheureusement, ne sont pas à ma disposition ici. Mais une chose est certaine : l’offre du Führer à l’Angleterre fut faite, afin d’essayer encore une fois d’arriver à la solution du problème polonais. Quand je vis la « note verbale », je lui demandai : « Oui, mais où en est la solution de l’affaire polonaise ? » Et je me souviens très bien qu’il me répondit : « Envoyons toujours cette note aux Anglais et, s’ils réagissent, nous verrons bien, nous aurons toujours le temps ». En tout cas, je crois que les mesures militaires avaient déjà été rapportées quand la note fut remise, ou furent, du moins rapportées peu après.
Vous n’assistiez pas à l’entrevue du Führer avec ses généraux le 22 août, mais vous avez dû en entendre parler bien des fois depuis le début du Procès. Vous devez donc vous souvenir que le Führer a déclaré, aux termes du procès verbal :
« Je trouverai des prétextes de propagande pour commencer la guerre, peu importe qu’ils soient plausibles ; on ne demandera pas plus tard au vainqueur s’il a dit la vérité ou non. Quand on commence et qu’on fait une guerre, ce n’est pas le droit qui importe mais la victoire. » (Document PS-1014.)
Ces paroles ont été prononcées à l’Obersalzberg. Hitler vous a-t-il jamais tenu de tels propos ?
Le 27, disiez-vous ?
Le 22. Je vous demandais si Hitler vous avait jamais tenu de tels propos.
Non, je n’étais pas présent à la réunion du 22 ; je crois que j’étais en route pour Moscou.
Je sais que vous n’étiez pas présent à cette réunion, c’est pourquoi je vous pose la question sous cette forme : Hitler vous a-t-il jamais tenu des propos analogues ? Vous me répondez : non. Je voudrais maintenant passer au 29.
Puis-je encore dire quelque chose à ce sujet ?
Non. Puisque vous dites qu’il n’a pas tenu de tels propos devant vous, je n’insisterai pas parce que nous ne pouvons pas perdre notre temps sur chacun de ces détails. Nous arrivons maintenant au 29 août, date de votre rencontre avec Sir Nevile Henderson : tout en acceptant, avec certaines réserves, l’idée de négociations directes avec la Pologne, vous avez posé comme condition des négociations l’envoi par les Polonais d’un plénipotentiaire, le lendemain, c’est-à-dire le 30. Vous vous en souvenez ?
Oui, cela s’est passé...
Je regrette de vous interrompre, mais je voudrais aller vite.
Dans ce cas, je réponds non. Puis-je m’expliquer ?
Je regrette, mais ce ne sont là que des questions préliminaires. Je croyais qu’il était de notoriété publique que vous aviez vu Sir Nevile le 29 et que vous lui aviez indiqué un certain nombre d’exigences : l’une d’elles était que le plénipotentiaire polonais fût là le 30 ; si vous ne reconnaissez pas ce fait, dites-moi si j’ai tort, parce que c’est ainsi que j’ai compris ces documents.
Oui, c’est exact.
Donc, vous nous avez dit que le 30 vous n’aviez pas remis à Sir Nevile un exemplaire de ces exigences, d’abord parce que Hitler vous l’avait interdit. Je crois que la raison que vous avez donnée à cette époque était que le plénipotentiaire polonais n’était pas arrivé et que, par conséquent. il eût été inutile d’en remettre un exemplaire. C’est bien exact ?
Oui, c’est exact.
Ces exigences que vous avez données, que vous avez lues, n’étaient pas prêtes le 29 car, dans votre communication demandant l’envoi d’un plénipotentiaire, vous aviez dit que s’il venait le 30, cette note serait prête pour cette date. Dois-je comprendre que cette note a été préparée par Hitler avec l’aide du ministère des Affaires étrangères, entre le 29 et le 30 ?
Il la dicta personnellement ; elle contenait seize points, si je me souviens bien.
Pensiez-vous réellement, après le traitement qu’avaient subi Schuschnigg, Tiso et Hacha, que les Polonais enverraient de gaîté de cœur une mouche dans cette toile d’araignée ?
Oui, nous y comptions absolument et nous l’espérions. Et je pense qu’un geste du Gouvernement britannique aurait suffi pour amener ce plénipotentiaire à Berlin.
Ce que vous espériez, c’était mettre les Polonais en face de ce dilemme : ou bien ces exigences serviraient, pour employer l’expression de Hitler, de « prétextes de propagande » pour la guerre, ou bien vous seriez en mesure, en faisant pression sur le plénipotentiaire polonais, de faire exactement ce que vous aviez fait auparavant avec Schuschnigg, Tiso et Hacha, c’est-à-dire d’obtenir que les Polonais capitulent. N’était-ce pas ce que vous aviez dans l’esprit ?
Non. La situation était différente. Je dois dire que, le 29, le Führer déclara à l’ambassadeur d’Angleterre qu’il mettrait sur pied ces conditions ou cet accord et que, dans l’attente de l’arrivée du plénipotentiaire polonais, il les tiendrait à la disposition du Gouvernement britannique — il espérait du moins que cela serait possible — ; je crois que ce sont là ses propres paroles. Sir Nevile Henderson en prit note, et je dois répéter que le Führer, après que la réponse anglaise fût parvenue le 28, accepta une fois de plus, en dépit d’une situation extrêmement tendue entre la Pologne et l’Allemagne, de négocier. Le fait décisif, dans ces jours critiques du 30 et du 31, est le suivant : le Führer avait établi ces conditions et l’Angleterre savait qu’il existait une possibilité d’arriver à une solution. Durant toute la journée du 30 août, nous ne reçûmes rien d’Angleterre, tout au moins rien de précis, et je crois que c’est à minuit seulement que l’ambassadeur de Grande-Bretagne se fit annoncer pour une entrevue. Entre temps, vers 7 heures du soir, était parvenue la nouvelle d’une mobilisation générale en Pologne, nouvelle qui avait rendu le Führer furieux. Cela rendait la situation extraordinairement tendue. Je me rappelle très exactement ce qui se passait à la chancellerie : les nouvelles arrivaient heure par heure, rapportant des incidents, dépeignant le flot des réfugiés, etc. ; l’atmosphère était chargée d’électricité et tendue à l’extrême. Le Führer attendit pendant toute la journée du 30 ; aucune réponse précise n’était arrivée. Le 30 à minuit cet entretien eut enfin lieu. J’ai dit ici, ainsi que l’interprète Schmidt, comment cette conversation se déroula. J’ai fait à ce moment-là plus que je n’avais la permission de faire, j’ai lu à Sir Nevile la note tout entière, car j’espérais que, peut-être, l’Angleterre ferait un geste. Le Führer avait dit à Sir Nevile Henderson qu’un plénipotentiaire polonais serait traité sur un pied d’égalité total. Il existait donc la possibilité de se rencontrer sur un territoire neutre, ou bien d’envoyer quelqu’un à Berlin, ou bien encore de donner les pouvoirs nécessaires à l’ambassadeur de Pologne, M. Lipski. Telles étaient les possibilités. J’irai même plus loin ; il suffisait que, durant la journée du 30 et même du 31, tard dans la nuit ou au matin, jusqu’au moment de l’avance des troupes, l’ambassadeur polonais Lipski reçût au moins l’autorisation de prendre connaissance des propositions allemandes. Les négociations diplomatiques auraient ainsi été en train et la crise aurait pu, au moins pour un temps, être évitée. Je crois aussi — et je l’ai déjà dit — qu’il n’y aurait pas eu d’objections. Je crois que le Führer aurait accepté avec joie si l’ambassadeur d’Angleterre était intervenu dans ce sens. Les bases des négociations, comme je l’ai déjà dit également, avaient été jugées raisonnables par Sir Nevile Henderson lui-même. Un seul geste du Gouvernement anglais dans la journée du 30 ou du 31 et les négociations auraient pu être entreprises sur la base des propositions du Führer, que l’Angleterre elle-même avait reconnues comme raisonnables. La situation qui en serait résultée n’aurait pas été particulièrement dure pour les Polonais ; je crois au contraire que, sur la base de ces propositions raisonnables qui étaient absolument conformes aux décisions de la Société des Nations et prévoyaient un plébiscite pour le Corridor, une solution parfaitement acceptable pour la Pologne aurait été possible.
L’audience est suspendue pendant dix minutes.
Accusé, le Tribunal me demande de vous dire qu’il pense que vos réponses et vos explications sont trop longues, que vous usez de trop d’arguments qui sont souvent cumulatifs et qui portent sur des matières qui ont été discutées à plusieurs reprises devant le Tribunal ; aussi, le Tribunal vous demande-t-il d’essayer de donner des réponses aussi courtes que possible.
Oui.
Témoin, vous ai-je bien compris lorsque, vendredi, vous avez dit que vous n’étiez pas au courant des rapports qui ont pu exister entre Quisling et l’accusé Rosenberg, au cours du printemps et de l’été 1939 ? C’était bien avant la guerre, au printemps et en été, avant juin 1939 ?
Oui, c’est exact. Je savais que Rosenberg avait des amis en Norvège et j’avais entendu parler de Quisling. Mais son nom ne signifiait rien de précis pour moi à cette époque ; selon le désir du Führer, j’ai fait mettre de l’argent à la disposition de Rosenberg pour ses amis de Norvège, pour la propagande et les journaux, etc.
Vous ne saviez pas, si j’ai bien compris votre témoignage, que quelques-uns des hommes de Quisling étaient venus dans une école d’application en Allemagne, en août 1939, donc avant la guerre ?
Non, je ne m’en souviens pas Je l’ai appris par un document présenté ici, mais je ne me souviens pas d’en avoir su quelque chose. Si j’ai su quelque chose, je n’étais pas au courant des détails.
Saviez-vous que les Allemands vivant en Norvège furent, peu après le début de la guerre, adjoints au personnel des divers services officiels allemands, de la légation et des consulats ?
Non, je ne m’en souviens pas du du tout. Si cela est, je n’en ai rien su à l’époque.
Je cite ici l’annuaire de la NSDAP ; je voudrais simplement savoir si, oui ou non, vous étiez au courant. Puisque vous dites que vous ne...
Non, je n’étais pas au courant. Je ne peux rien dire, je regrette.
Saviez-vous, en décembre 1939, que Quisling eut deux entrevues avec Hitler, le 16 et le 18 décembre ?
Je n’en ai rien su non plus. A quelles dates dites-vous ?
16 et 18 décembre 1939, par l’intermédiaire de l’accusé Raeder.
Non, je ne suis pas au courant de ces entrevues.
Ainsi, pratiquement, vous avez entendu parler pour la première fois des affaires de Norvège par la lettre de Raeder du 3 avril ?
Non, je crois que c’était une lettre de Keitel. Je crois qu’il y a un malentendu.
Je vous demande pardon, c’est une erreur de ma part ; excusez-moi. Vous souvenez-vous d’une lettre de Keitel dans laquelle il disait : « L’occupation militaire du Danemark et de la Norvège a été ordonnée par Hitler et préparée de longue date par le Haut Commandement de la Wehrmacht ; le Haut Commandement de la Wehrmacht a donc eu tout le temps de s’occuper de toutes les modalités d’exécution de cette opération ».
Ainsi donc, témoin, je pourrai peut-être abréger, car vous ne semblez pas être la personne qui convient pour parler des premiers préparatifs de l’affaire de Norvège, puisque vous n’avez pas assisté aux premières discussions qui eurent lieu entre Quisling, Raeder et Hitler ; est-ce exact ? S’il en est ainsi, j’abandonnerai ce sujet.
Non, je n’ai pas participé à ces discussions, mais je voudrais simplement éclaircir un point : je ne reçus cette lettre — pourquoi, je n’en sais rien — que quelques jours plus tard ; la première fois que j’entendis parler du projet d’occupation de la Norvège — projet qui avait pour cause l’imminence du débarquement anglais — , ce fut par le Führer environ trente-six heures auparavant. Cette lettre doit donc être restée plus longtemps en route qu’elle n’aurait dû le faire ; je ne la vis qu’après.
Je ne m’étendrai donc pas plus longuement sur ce sujet, car nous avons encore beaucoup de questions à voir et nous allons passer tout de suite à la question des Pays-Bas ; vous m’avez, à plusieurs remises, entendu lire, par moi ainsi que par d’autres personnes, la déclaration faite par Hitler le 22 août 1939 : « Il serait encore possible de violer la neutralité de la Hollande, de la Belgique et de la Suisse ; je ne doute pas que ces États, ainsi que la Scandinavie, défendront leur neutralité par tous les moyens. L’Angleterre et la France ne violeront pas la neutralité de ces pays ». (Document PS-798.) Voilà ce qu’a dit Hitler le 22 août ; vous n’étiez pas présent à ce moment ; aussi je vous demande à nouveau s’il a exprimé la même opinion devant vous ?
Non, il ne l’a pas fait.
Saviez-vous que, très tôt, dès le 7 octobre 1939, l’ordre fut donné au groupe d’armées B de faire tous les préparatifs prévus par un ordre spécial, en vue de l’invasion immédiate du territoire de la Hollande et de la Belgique, si la situation politique l’exigeait ? Connaissiez-vous cet ordre du 7 octobre ?
Non, je crois que j’en ai entendu parler ici, mais je ne le connaissais pas auparavant.
Et saviez-vous que le 9 octobre, Hitler promulgua cette directive : « Une longue période d’attente aurait pour résultat non seulement l’abandon par la Belgique et la Hollande de leur neutralité au profit des Puissances occidentales, mais aussi renforcerait la puissance militaire de nos ennemis d’une façon progressive en diminuant la confiance des neutres dans la victoire finale allemande...
« Des préparatifs doivent être faits à l’aile nord du front ouest pour une opération offensive à travers le Luxembourg, la Belgique et la Hollande ; cette attaque doit être réalisée aussi vite et aussi puissamment que possible. » (Document C-62.)
Étiez-vous au courant de cette directive donnée par Hitler le 9 octobre ?
Non, je ne la connaissais pas.
Ainsi donc, en ce qui vous concerne, vous dites au Tribunal que Hitler donna cette assurance, toutes ces assurances, en août et en octobre, sans avoir informé son ministre des Affaires étrangères que le 7 et 9 octobre, il avait rédigé une directive pour l’attaque des Pays-Bas, qu’il ne vous parla pas de cet ordre, ni de cette directive ; êtes-vous bien certain de ce que vous avancez ?
J’en suis sûr, car autrement je m’en souviendrais ; je sais seulement qu’après la campagne de Pologne, on discuta occasionnellement de projets d’offensive à l’Ouest, mais je n’ai jamais entendu parler d’aucun ordre.
Bien. Si vous me dites que c’est tout ce que vous savez, vous passerons à un autre sujet que vous connaissez peut-être un peu mieux : vous souvenez-vous de la rencontre entre Hitler, Ciano et vous-même, à l’Obersalzberg, le 12 août 1939 ?
Oui, j’ai vu ici les documents s’y rapportant.
Bien, je vous demande simplement de regarder ce document à la page 181 ; je vous prie de suivre sur le texte pendant que je lis un passage de la page 182 ; il est à la seconde page pour moi, et le paragraphe commence ainsi : « Puisque la Pologne donnait à entendre, par son attitude, qu’en cas de conflit... »
Je ne l’ai pas trouvé.
« Puisque la Pologne donnait à entendre, par son attitude, qu’en cas de conflit... »
A la page 2 ?
A la page 2 sur mon exemplaire. C’est peut-être un peu plus loin sur le vôtre.
Est-ce le début d’un paragraphe ?
Oui. « Puisque la Pologne donnait à entendre... » Deux paragraphes après la ligne isolée qui dit : « Le comte Ciano montra des signes... »
Bien, j’ai trouvé.
Voulez-vous regarder la phrase suivante :
« En parlant d’une façon générale, il serait bon de liquider les pseudo-neutres l’un après l’autre. Ce sera relativement facile si l’un des partenaires de l’Axe protège les arrières de l’autre pendant que celui-ci achève l’un de ces neutres incertains, et vice versa. L’Italie peut considérer la Yougoslavie comme l’un de ces neutres incertains. Lors de la visite du prince régent Paul, il (le Führer) lui suggéra, particulièrement en considération de l’Italie, d’éclaircir par un geste son attitude politique envers l’Axe. Il avait pensé à des relations plus étroites avec l’Axe et au départ de la Yougoslavie de la Société des Nations. Le prince Paul donna son accord à cette dernière proposition. Récemment, le prince régent se serait rendu à Londres et aurait cherché des assurances auprès des Puissances occidentales. La même scène s’était déroulée dans le cas de Gafenco, qui avait été particulièrement raisonnable durant sa visite en Allemagne et avait nié avoir aucun intérêt aux objectifs des démocraties occidentales. » (Document PS-1871.)
Telle était la façon dont Hitler formulait sa politique. Dois-je comprendre que c’était là la politique que vous aidiez à réaliser, c’est-à-dire la politique de liquidation des pseudo-neutres les uns après les autres, et parmi ces pseudo-neutres, la Yougoslavie ?
Non, cela ne doit pas être pris dans ce sens. Je dois dire à ce sujet ce qui suit : la situation était celle-ci : Hitler voulait à tout prix soutenir l’Italie. L’Italie a toujours été un allié sur lequel on ne peut pas compter. Aussi, le Führer parla-t-il à cette époque de façon à faire comprendre à l’Italie que si elle avait des difficultés avec la Yougoslavie, l’Allemagne lui viendrait en aide. Ceci ne peut être compris qu’en rapport avec la situation suivante : l’Allemagne, avec l’aide de l’Italie, avait déjà accompli pacifiquement quelques révisions en Europe, excepté pour Dantzig et le Corridor, et Mussolini avait soutenu Hitler. Je me souviens de la situation.
Voici une bien longue explication, mais qui n’apporte aucun éclaircissement aux paroles que je vous ai citées et qui sont la chose importante : « Il serait bon de liquider les pseudo-neutres l’un après l’autre ». Niez-vous que ce fût là l’objet de votre politique : liquider les « pseudo-neutres » ?
Non, ce n’était pas cela. Il ne faut pas prendre ces paroles à la lettre, car dans les discussions diplomatiques — et je ne crois pas que ce soit différent dans les autres pays — on dit parfois bien des choses...
Je voudrais...
Il était question de la Yougoslavie.
Mussolini n’avait-il pas toujours été d’avis que les Balkans devaient être attaqués à la première occasion ?
Je n’en sais rien.
Voudriez-vous regarder le document PS-2818. Je le dépose sous le numéro GB-292, Votre Honneur. Vous vous souvenez que c’est le protocole additionnel secret au Pacte d’alliance et d’amitié entre l’Allemagne et l’Italie du 22 mai 1939 ; y faisaient suite quelques commentaires de Mussolini, datés du 30 mai 1939 ; avez-vous trouvé ?
Quelle page, je vous prie ?
Je voudrais seulement que vous voyiez deux passages. Voyez-vous où commencent les commentaires de Mussolini ? Après le Pacte lui-même. Voyez-vous les commentaires de Mussolini ?
Oui, je vois.
On lit au numéro 1 :
« La guerre entre les nations ploutocratiques et, par conséquent, égoïstement conservatrices, et les nations fortement peuplées et pauvres est inévitable. Il faut se préparer à la lumière de cette situation. »
Si vous passez au paragraphe 7, vous verrez que Mussolini espérait que la guerre serait retardée et il dit ce qui se passerait en cas de guerre :
« La guerre que les grandes démocraties préparent est une guerre d’épuisement. On doit donc partir de cette supposition qui est la pire mais qui contient 100 % de probabilités. L’Axe ne recevra plus rien du reste du monde ; cette hypothèse est dure, mais les positions stratégiques acquises par l’Axe diminueront considérablement les vicissitudes et les dangers d’une guerre d’usure. Dans ce but, il faut s’emparer de toute la région du Danube et des Balkans dès les premières heures de la guerre. On ne pourra pas se contenter de déclarations de neutralité, mais il faut occuper les territoires et les utiliser pour se procurer le ravitaillement alimentaire et industriel nécessaire à la guerre. »
Avez-vous trouvé cela ?
Oui, j’y suis.
Ne pensez-vous pas que Mussolini était d’avis que les Balkans devaient être attaqués le plus tôt possible ?
Ce sont là des déclarations de Mussolini que je vois ici pour la première fois. Je ne les connaissais pas.
Maintenant, je voudrais que nous passions aux remarques de Hitler que vous avez certainement vues plus d’une fois. Vous vous souvenez qu’après le coup d’État de Simovitch, le 26 mars, il y eut une réunion, une conférence avec Hitler, où il exposa sa politique :
« Le Führer est décidé, sans attendre de possibles déclarations de loyauté du nouveau Gouvernement, à faire tous les préparatifs nécessaires pour détruire la Yougoslavie militairement et en tant qu’unité nationale. Sur le plan de la politique extérieure, nous ne présenterons ni requêtes ni ultimatums. Il sera pris connaissance des assurances du Gouvernement yougoslave, auxquelles d’ailleurs on ne pourrait pas se fier à l’avenir. L’attaque commencera aussitôt que les troupes et le matériel nécessaires seront prêts. » Vous souvenez-vous que Hitler ait dit cela le 27 mars ?
Je ne m’en souviens pas. Puis-je voir le document ?
Vous ne vous souvenez pas ? Cette déclaration de Hitler a été lue plus d’une fois devant le Tribunal.
Oui, je m’en souviens ; non pas des termes précis, mais en général.
Vous vous souvenez du sens ? J’en ai lu les termes. C’était la politique...
Que voulez-vous dire par : « le sens » ?
Ce que je veux dire, c’est que votre politique consistait à attaquer la Yougoslavie sans lui demander des assurances, sans action diplomatique d’aucune sorte. Vous aviez décidé d’attaquer la Yougoslavie et de bombarder Belgrade, n’est-ce pas ?
Non, la situation était complètement différente et j’aimerais pouvoir exposer l’état de choses réel.
Je vous demande des explications sur les points que je vous ai spécifiés : « Aucune enquête diplomatique ne sera faite ». Pourquoi aviez-vous décidé, ou pourquoi Hitler avait-il décidé, avec votre aide, d’attaquer la Yougoslavie sans présenter de requête diplomatique et sans donner au nouveau Gouvernement une chance de vous fournir des assurances ? Pourquoi l’avez-vous fait ?
Parce que le nouveau Gouvernement avait été formé surtout par l’Angleterre, comme l’un des officiers britanniques qui m’ont interrogé au cours de l’instruction préliminaire me l’a concédé. Il était donc parfaitement clair pour le Führer, après le putsch Simovitch, que les ennemis de l’Allemagne se tenaient derrière le Gouvernement Simovitch et que ce dernier mobilisait son Armée dans le but d’attaquer les arrières de l’Armée italienne ; ce n’était pas là ma politique à moi, car je n’ai été appelé qu’à la fin de l’entrevue dont vous parlez, et Hitler ne donna son opinion que par la suite, sans que personne ait protesté. Je vous demande d’interroger les militaires là-dessus. J’étais présent et j’ai eu une sérieuse discussion avec le Führer.
Pensez-vous qu’il était juste d’attaquer ce pays sans entreprendre aucune démarche diplomatique, de procéder à des destructions militaires avec, pour reprendre les termes de Hitler, « une impitoyable dureté », et de détruire Belgrade, la capitale, au moyen de vagues de bombardiers ? Pensez-vous que cela était juste ? Je vous pose une question très simple : pensez-vous que cela était juste ?
Je ne peux, comme vous l’aimeriez, répondre à cette question ni par oui ni par non, sans donner une explication.
Alors, il est inutile que vous répondiez. Si vous ne pouvez pas répondre à cette question par oui ou par non, ne répondez pas du tout.
Voulez-vous passer au point suivant, qui est la question de la Russie ? Si j’ai bien compris vos déclarations, vous avez dit que Hitler avait décidé d’attaquer l’Union Soviétique après la visite de M. Molotov à Berlin, le 12 novembre 1940, je crois.
Je n’ai pas pu dire cela, car je l’ignorais.
D’après ce que j’ai compris, l’une des raisons que vous donniez comme justification de l’attaque contre l’Union Soviétique, était la déclaration faite par M. Molotov durant sa visite de novembre 1940. N’est-ce pas ce que vous avez dit ?
C’était une des raisons qui inquiétaient le Führer mais, à cette époque, j’ignorais tout d’une attaque.
Vous savez que l’accusé Jodl a dit que, déjà, au cours de la campagne de l’Ouest — en mai et juin 1940 — , Hitler lui avait dit qu’il avait pris une décision fondamentale afin de se prémunir contre ce danger, c’est-à-dire l’Union Soviétique, « dès que notre situation militaire le permettrait ». Le saviez-vous ?
Je ne l’ai appris qu’ici, à Nuremberg.
C’est le document L-172 (USA-34), le journal de Jodl. Et saviez-vous que le 14 août 1940, le général Thoma fut informé, au cours d’une conférence avec Göring, que le Führer désirait que les livraisons aux Russes ne soient faites dans les délais voulus que jusqu’au début de 1941, et que « il n’y avait par la suite aucun intérêt à satisfaire entièrement les demandes russes ». Le saviez-vous ?
Non, je l’ignorais.
Et saviez-vous qu’en novembre 1940, le général Thoma et les secrétaires d’État Körner, Neumann, Becker et le général von Hannecken furent informés par Göring de l’opération préparée à l’Est ? Le saviez-vous ?
Non, je l’ignorais également.
Vous savez maintenant, n’est-ce pas, que longtemps avant qu’une des questions soulevées par la visite de M. Molotov ne fût mise en discussion, Hitler était décidé à attaquer l’Union Soviétique ?
Non, je ne le savais absolument pas. Je savais que Hitler avait des craintes, mais je ne savais rien d’une attaque. J’ignorais également tout des préparatifs militaires, car ces questions étaient toujours traitées séparément.
Et quand, le 18 décembre, Hitler publia la directive numéro 21 sur le « Cas Barbarossa », il ne vous en dit rien ?
Oui, parce que, précisément, au mois de décembre — il se trouve que je m’en souviens exactement — j’ai eu une longue conversation avec le Führer afin d’obtenir son consentement pour faire adhérer l’URSS au Pacte Tripartite et faire de ce Pacte un pacte à quatre. Hitler n’était pas très enthousiaste, je le remarquai, mais il me dit : « Nous avons déjà accompli bien des choses ensemble, peut-être réussirons-nous là aussi ». Voilà ce qu’il me dit. C’était en décembre. Je crois qu’il existe également sur ce sujet un affidavit d’un témoin, que la Défense va présenter.
Comprenez-vous ce que vous dites ? Ceci eut lieu après la communication faite par l’accusé Göring au général Thoma et aux secrétaires d’État que je viens de nommer, et après la promulgation effective de l’ordre « Barbarossa ». Et vous prétendez que Hitler vous laissa suggérer que vous deviez essayer de faire adhérer l’Union Soviétique au Pacte Tripartite, sans vous dire que ses ordres étaient donnés pour l’attaque de l’Union Soviétique ? Pensez-vous réellement que quelqu’un puisse vous croire ?
Je n’ai pas très bien compris votre question.
Voici la question : vous attendez-vous réellement à ce que l’on croie, après l’annonce faite à plusieurs reprises que le Reich allait attaquer l’Union Soviétique, après l’ordre d’attaque effectif, que Hitler vous ait laissé lui dire que vous pensiez faire adhérer l’URSS au Pacte Tripartite ? Est-ce là ce que vous voulez dire ?
Oui, c’est exactement cela. J’ai refait cette proposition à Hitler au mois de décembre et j’ai obtenu son consentement pour poursuivre les négociations. J’ignorais tout en décembre d’une guerre d’agression contre la Russie.
Et, bien entendu, votre ministère recevait les rapports les plus favorables sur l’Union Soviétique et sur l’improbabilité d’une immixtion de l’Union Soviétique dans les affaires politiques de l’Allemagne ? Est-ce exact en ce qui concerne les rapports de votre ambassadeur et de votre propre personnel en URSS ?
Des rapports dans ce sens nous parvinrent de notre ambassade à Moscou. A différentes reprises, je peux même dire toujours, je les présentai au Führer, mais il me déclara que les diplomates et les attachés militaires à Moscou étaient les gens les plus mal informés du monde. Telle fut sa réponse.
C’était donc votre opinion sincère basée sur vos propres renseignements, qu’il n’y avait pas de danger de la part de la Russie et que la Russie s’en tiendrait honnêtement à l’accord qu’elle avait conclu avec vous. C’était réellement votre opinion ?
Non, je n’ai pas dit cela. J’ai dit que c’étaient les rapports diplomatiques que nous recevions de Moscou.
Vous n’y croyiez donc pas vous-même ? Vous ne croyiez donc pas votre propre personnel ?
J’étais moi-même très sceptique et je ne savais pas si ces rapports étaient dignes de confiance, car le Führer, qui centralisait toutes les informations, avait reçu des rapports d’une tout autre nature. L’attitude politique était également orientée dans une direction différente.
En tout cas, au printemps 1941, votre administration prit part aux préparatifs de l’attaque contre l’Union Soviétique ?
Je ne sais pas exactement à quel moment, mais au printemps la situation se tendit, au point qu’il dut y avoir, entre certains services, des conférences traitant de la possibilité d’un conflit avec l’URSS. Je ne me souviens plus actuellement des détails.
Bien. Une fois de plus, je ne veux pas rester trop longtemps sur cette question, mais n’est-il pas exact qu’en avril 1941 vous coopériez avec les services de Rosenberg en vue de préparer la mainmise sur les territoires de l’Est et que, le 18 mai, vous avez rédigé un mémorandum sur la préparation de la conduite de la guerre sur mer ?
En ce qui concerne les préparatifs avec Rosenberg, c’est une erreur. Autant que je m’en souvienne, je n’ai parlé de ce sujet avec Rosenberg qu’après le déclenchement des hostilités. En ce qui concerne le mémorandum de la Marine, j’ai vu ce document ici ; je l’ignorais auparavant. Je crois que c’est l’opinion d’un expert sur les questions de Droit international à propos de points qui pouvaient être soulevés en cas de guerre dans la Baltique. Un avis de ce genre avait certainement été déjà formulé.
Ce mémorandum dit : « Le ministère des Affaires étrangères a préparé, en vue du « Cas Barbarossa », le projet de déclaration des zones d’opérations ci-joint ». Vous ne vous souvenez de rien à ce sujet ?
Non, ce document lui non plus, ne m’était, je crois, pas parvenu à l’époque. La question a dû être traitée par un autre service. Naturellement, je me déclare pleinement responsable de tout ce qui s’est passé dans mon ministère.
L’ambassadeur Ritter n’était-il pas chargé de la liaison entre votre administration et la Wehrmacht.
C’est exact.
Maintenant, je voudrais encore que vous m’aidiez pour une ou deux questions. Vous nous avez dit que vous aviez négocié le Pacte anti-Komintern dès 1936 ; bien entendu, à ce moment-là, ce Pacte, je crois que vous l’avez dit vous-même, était dirigé contre l’Union Soviétique. C’est bien exact ?
Oui, c’était surtout un pacte idéologique qui contenait naturellement certaines incidences politiques. C’est exact.
Et il fut élargi par le Pacte Tripartite du 27 septembre 1940 ? C’était une extension du premier pacte ?
Cela n’avait, en fait, rien à voir avec le premier pacte car il s’agissait là d’un accord purement militaire, politique et économique.
Il n’en demeure pas moins — et je crois que je peux traiter très brièvement cette question — que vous poussiez le Japon à entrer dans la guerre dès mars 1941 ?
C’est possible ; il s’agissait alors d’attaquer l’Angleterre.
Oui. Je passe rapidement car vous avez déjà donné vos explications. Vous dites que vous étiez en guerre contre l’Angleterre et que, en conséquence, vous aviez le droit de considérer le Japon comme un allié. C’est bien cela que vous voulez dire ?
Je crois que je n’ai rien fait d’autre que ce que font tous les diplomates, ce qu’a fait par exemple la Grande-Bretagne en Amérique et, plus tard, en Russie.
Je n’ai pas l’intention de vous poser d’autres questions à ce sujet, mais ne vous est-il pas apparu rapidement que si le Japon entrait dans la guerre, il était possible que les États-Unis y fussent entraînés peu de temps après ? Et vous vous rendiez compte, en avril 1941, que si l’entrée en guerre du Japon l’opposait aux États-Unis, vous seriez, vous aussi, prêts à combattre les États-Unis. Est-ce bien cela ?
Non, ce n’est pas exact. Je crois avoir tout fait, jusqu’au jour de Pearl-Harbour, pour éviter que l’Amérique entre en guerre. Je crois également que cela peut être prouvé par beaucoup de documents que j’ai vus en partie pour la première fois ici.
Puisque vous déclarez cela, j’aimerais que vous regardiez le document 352 de votre livre, à la page 204 du livre de documents anglais.
Oui, je connais ce document, je l’ai déjà lu ici.
Ceci se passait une semaine avant Pearl-Harbour, le 29 novembre et, selon l’ambassadeur du Japon, vous lui disiez (regardez le paragraphe 1) :
« Ribbentrop
Il est essentiel que le Japon organise l’ordre nouveau en Asie orientale sans risquer de perdre cette occasion. Il n’y a jamais eu et il n’y aura probablement jamais à l’avenir de moment où la coopération la plus étroite dans le cadre du Pacte Tripartite sera plus importante. Si le Japon hésite en cet instant et que l’Allemagne aille de l’avant, dans l’instauration du nouvel ordre européen, toute la puissance militaire de la Grande-Bretagne et des États-Unis sera concentrée contre le Japon.
« Comme le Führer Hitler l’a dit aujourd’hui, il y a des différences fondamentales dans le droit à l’existence de l’Allemagne et du Japon et celui des États-Unis. Nous savons qu’il n’y a pratiquement aucun espoir pour que les négociations entre le Japon et les États-Unis aboutissent car les États-Unis adoptent une attitude intransigeante.
« S’il en est vraiment ainsi et que le Japon prenne la décision de combattre les États-Unis et la Grande-Bretagne, je suis convaincu que cela ne sera pas seulement de l’intérêt commun du Japon et de l’Allemagne, mais que cela aura également des suites favorables pour le Japon lui-même. » (Document D-656.)
Prétendez-vous toujours, au vu de ce document et de la déclaration que vous avez faite à l’ambassadeur du Japon, que vous avez essayé d’empêcher la guerre avec les États-Unis ? Je soutiens que vous avez tout fait pour encourager le Japon à entrer en guerre contre les États-Unis.
Monsieur le Procureur, ce n’est pas exact et je dois vous contredire. Je ne connais pas ce document, je ne sais pas d’où il émane. En tout cas, en aucune circonstance je n’ai dit cela de cette manière et je regrette que tous les documents qui prouvent que j’ai fait des efforts constants pour éviter l’entrée des États-Unis dans la guerre n’aient pas encore été présentés ici. Ce document, je l’ai vu ici et je me suis longuement demandé comment ce passage avait pu y être introduit. Tous les autres documents — une douzaine je crois, ou une douzaine et demie — prouvent on ne peut plus clairement mon désir permanent de tenir les États-Unis en dehors de la guerre. Je peux également prouver que, pendant des années, je me suis efforcé, dans tous les domaines, et malgré l’attitude intransigeante des États-Unis, de ne rien faire contre eux. Je ne puis m’expliquer tout cela que de la façon suivante : l’ambassadeur du Japon souhaitait ardemment que son pays fît quelque chose et je sais qu’il envoya de très nombreux télégrammes à Tokyo afin d’inciter le Japon à entrer dans la guerre sous une forme quelconque, et avant tout contre Singapour. Je ne peux que présumer que c’est peut-être, si je peux m’exprimer ainsi, une interprétation erronée de cette conversation. Je vous demande de donner la possibilité à la Défense de produire tous les documents antérieurs qui prouvent très exactement le contraire de ce qui est avancé dans cet unique paragraphe.
C’est le rapport officiel de l’ambassadeur du Japon à son Gouvernement ; vous dites qu’il a tort lorsqu’il rapporte que vous lui avez annoncé de votre propre bouche que vous étiez convaincu que cela ne serait pas seulement de l’intérêt commun de l’Allemagne et du Japon, mais que cela aurait également des suites favorables pour le Japon lui-même. Voulez-vous regarder le document suivant, si vous niez celui-là, à la page 356 ; c’est un autre rapport de l’ambassadeur du Japon ; il déclarait, le lendemain de Pearl-Harbour :
« A 1 heure... je rendis visite à l’ambassadeur Ribbentrop et lui déclarai que notre désir était que l’Allemagne et l’Italie publiassent immédiatement des déclarations officielles de guerre à l’Amérique Ribbentrop répliqua que Hitler avait précisément réuni une conférence à son Quartier Général pour discuter des modalités d’une , déclaration de guerre, de façon à faire une bonne impression sur le peuple allemand. Il déclara qu’il transmettait votre désir immédiatement et ferait tout ce qu’il pourrait pour qu’il soit immédiatement exécuté. »
Maintenant, regardez les trois dernières lignes :
« A ce moment, Ribbentrop me dit que, le matin du 8, Hitler avait donné à toute la Marine allemande l’ordre d’attaquer les navires américains partout où elle les rencontrerait. »
Ceci se passait trois jours avant la déclaration de guerre. Prétendez-vous que ce rapport de l’ambassadeur du Japon est faux, lui aussi ?
Je crois que c’est une erreur.
Qu’y a-t-il de faux ?
Je crois que c’est une erreur. C’était après l’attaque sur Pearl-Harbour.
Exactement, le lendemain de Pearl-Harbour.
C’était un ordre d’Adolf Hitler en vue d’attaquer les navires américains qui, comme chacun sait, avaient déjà attaqué les nôtres depuis des mois. C’est une affaire tout à fait différente.
Quand vous dites « attaquer les bateaux allemands », vous voulez dire qu’ils se défendaient contre les sous-marins allemands ?
Non, autant que je sache, plusieurs mois auparavant, je ne peux pas vous citer la date exacte, mais en tout cas bien longtemps avant Pearl-Harbour, nous avions adressé une protestation officielle aux États-Unis au sujet de deux bateaux, le « Gréer » et le « Kearny », qui avaient poursuivi des sous-marins allemands et les avaient attaqués au moyen de grenades sous-marines. Je crois que le secrétaire à la Marine, Knox, l’a reconnu ouvertement dans une conférence de presse. J’ai déclaré hier que Hitler avait dit dans son discours de Munich qu’il n’avait jamais donné l’ordre de tirer sur des navires américains ou de les attaquer spontanément, mais de riposter s’ils tiraient les premiers.
Ce que je voudrais que vous me disiez, c’est ceci : approuviez-vous l’ordre donné trois jours avant la déclaration de guerre à toute la Marine allemande d’attaquer les navires américains partout où elle les rencontrerait ?
Je ne puis en parler maintenant car je ne me souviens pas de cette affaire et je ne connais pas ce document.
Je voudrais vous interroger sur une autre question. Vous souvenez-vous que...
Je désirerais ajouter que cela aurait été compréhensible.
Vous avez donné votre réponse. Vous souvenez-vous d’une conférence qui eut lieu en juin 1944 et sur laquelle nous avons déjà entendu des témoignages, conférence relative à l’exécution de ce qu’on a appelé les aviateurs terroristes. Maintenant, écoutez la question et essayez, je vous prie, d’y répondre directement. Est-il exact, comme il est dit dans le rapport, que vous désiriez inclure dans la notion d’aviateurs terroristes, toutes les sortes d’attaques terroristes contre la population civile allemande, c’est-à-dire l’attaque des villes au moyen de bombes ? Est-il exact que vous vouliez inclure dans les aviateurs terroristes les aviateurs qui participaient au bombardement des villes allemandes ?
Non, ce n’est pas exact.
Voulez-vous alors vous reporter à la page 391 ; c’est un rapport signé par le général Warlimont sur la conférence du 6 juin. A la quatrième ligne... Je vais vous la lire :
« L’Obergruppenführer Kaltenbrunner informa l’adjoint au chef du WFSt, dans l’après-midi du 6 juin, à Klessheim, qu’une conférence sur cette question s’était tenue peu de temps auparavant entre le Reichsmarschall, le ministre des Affaires étrangères et le Reichs-führer SS. Au cours de cette conversation, il fut convenu qu’au contraire des propositions originales du ministre des Affaires étrangères qui voulait comprendre dans ces mesures toutes les attaques terroristes contre la population civile allemande, y compris les attaques par bombes, seules les attaques au moyen d’armes de bord seraient retenues comme constituant un acte criminel dans ce sens. » (Document PS-735.)
Prétendez-vous que Kaltenbrunner a eu tort lorsqu’il a dit que vous désiriez y inclure les attaques de toute nature ?
J’ai pris position sur cette question hier. Je ne sais pas si je dois revenir sûr ce point. Je crois avoir épuisé ce sujet hier, mais si vous le désirez, je peux recommencer.
Je ne veux pas que vous vous répétiez. Je désire que vous répondiez à ma question. Prétendez-vous que Kaltenbrunner avait tort lorsqu’il déclara à cette conférence que vous vouliez inclure les aviateurs qui bombardaient les villes ?
Ce n’est pas exact. Tout d’abord, autant que je m’en souvienne, cette conférence n’a pas eu lieu et, ensuite, j’ai exposé hier d’une façon parfaitement claire mon attitude au sujet des aviateurs terroristes.
Bien, répondez à ma question.
Non, cela n’est pas exact, de la façon dont vous le présentez.
Bien. Alors répondez à cette question. Approuviez-vous que ceux que vous appeliez des « aviateurs terroristes » fussent abandonnés à la population pour être lynchés ou bien remis aux SS ?
Non, ce n’était pas ma manière de voir.
Voudriez-vous alors passer à la page 393, page 214 du texte anglais. C’est, comme vous le savez, un mémorandum du ministère des Affaires étrangères. On y lit à la page 396 que le général Warlimont déclare que l’ambassadeur Ritter l’a informé par téléphone que « ces projets avaient été approuvés par le ministre des Affaires étrangères ». (Document PS-740.) Ces projets comprenaient deux parties ; au paragraphe 1, celui du lynchage, le projet indique : « Les autorités allemandes ne sont pas directement responsables si la mort survient avant qu’elles n’interviennent ». (Document PS-740.) Approuvez-vous ce point de vue ? Était-ce là votre point de vue quant au lynchage des aviateurs ?
Non, ce n’était pas mon opinion et je l’ai expliquée en détail hier. J’ai également pris position sur ce document hier. Il émane du ministère des Affaires étrangères ; je ne sais plus comment il a été élaboré, si c’est sur mon ordre ou d’après une déclaration des autorités militaires. Ce rapport, je ne l’ai pas approuvé sous sa forme présente mais je l’ai envoyé au Führer pour lui demander de décider de la question. Le Führer l’a qualifié de sottise — je crois — et c’est ainsi que ce rapport du ministère des Affaires étrangères a été enterré et n’a eu aucune suite.
Si bien qu’en l’occurrence, vous dites, lorsque Warlimont annonça que l’ambassadeur Ritter avisa la Wehrmacht par téléphone, le 29 juin, que vous aviez approuvé ce projet, que Warlimont ou Ritter ne disent pas la vérité ?
En tout cas, ce n’est pas exact car il ressort d’un autre document que j’ai vu également ici que ce document a été envoyé au Führer et que j’ai dit à ce moment-là qu’il devait donner son accord. J’ai d’ailleurs vu ici d’autres documents à ce sujet. Voilà également ce dont je me souviens.
Si nous revenons donc au point de vue du Führer, tâchons de nous en faire une idée. Prenons le document PS-3780 (GB-293), qui est le compte rendu d’une réunion entre vous-même, Hitler et Oshima, le 27 mai 1944. C’est à la page 11, lignes 9 à 12.
Vous souvenez-vous qu’en votre présence, Hitler dit à Oshima que les Japonais devaient pendre tous les aviateurs terroristes américains et non pas les fusiller, et que cela ferait réfléchir les Américains avant d’entreprendre de telles attaques. Est-ce que vous étiez d’accord sur ce point ?
Non, je ne suis absolument pas d’accord sur ce point. Si cela y figure, ce n’est pas mon opinion.
Bien, maintenant...
Je ne sais pas où se trouve ce que vous dites, dans ce document.
A la page 11, lignes 9 à 12.
Non, je ne m’en souviens pas. Je ne puis dire qu’une seule chose, c’est que toute l’attitude de Hitler, telle qu’elle apparaît dans ce document, provenait des terribles effets des attaques aériennes à cette époque.
J’ai déjà entendu cela. Je vous demande si vous étiez d’accord ou non ; vous dites : non. Maintenant, je voudrais passer à un autre point.
Je voudrais encore dire quelque chose à ce sujet parce que c’est très important.
Vous pourrez le dire tout à l’heure à votre éminent avocat, après avoir répondu à ma question. Je voudrais maintenant attirer votre attention sur le Stalag Luft III. Il se peut que vous m’ayez entendu poser un certain nombre de questions à des témoins à ce sujet. Il s’agit des 50 aviateurs anglais qui furent assassinés par les SS après leur évasion. Vous le savez ? Vous savez de quoi je veux parler ?
Je suis au courant.
Vous vous souvenez que mon collègue M. Eden fit à la Chambre des Communes une déclaration très ferme disant que ces aviateurs avaient été assassinés et que l’Angleterre demanderait justice. Vous vous en souvenez, en juin 1944 ?
J’ai appris cette affaire par le discours aux Communes de M. Eden.
Et vous souvenez-vous que le Gouvernement du Reich fit une déclaration selon laquelle, dans une communication faite à l’Angleterre par la Suisse, il réfutait cette allégation inqualifiable du ministre des Affaires étrangères britannique. Vous en souvenez-vous ?
Non, je ne m’en souviens pas. Je me souviens seulement de ceci : à cette époque, nous reçûmes une communication sur ce qui s’était passé et cela par une note de la Puissance protectrice. C’est tout ce que je sais.
C’est ce que je voulais vous demander. Saviez-vous, au moment où cette déclaration fut faite, que ces officiers avaient été assassinés de sang-froid ?
Je ne le savais pas. J’avais appris que ces hommes avaient été tués lors d’une tentative d’évasion ; mais dès cette époque nous avions l’impression que cette affaire n’était pas tout à fait claire, je m’en souviens encore.
Laissez-moi traiter cela en deux phrases. Qui vous a raconté ce mensonge ? Qui vous a dit que ces hommes avaient été tués en essayant de s’évader ?
Je ne m’en souviens pas maintenant, mais à cette époque les autorités compétentes nous ont envoyé les documents et une note fut transmise au Gouvernement suisse.
De qui teniez-vous les documents qui contenaient ces mensonges ? De Himmler ou de Göring ?
Je ne sais pas.
Vous nous avez dit également que vous aviez l’impression que cette affaire n’était pas très claire, je crois ?
Oui.
Merci. Je voudrais maintenant que vous nous disiez un mot de vos relations avec les SS. Vous ne prétendez pas que, à ce moment-là, vous n’étiez qu’un membre honoraire des SS ? Votre avocat l’a prétendu et je suis certain que c’est à la suite d’un malentendu. Ce n’est pas exact ?
Ce n’est pas un malentendu. J’ai reçu de Hitler l’uniforme SS. Je n’ai jamais accompli aucun service dans les SS. Mais en tant que ministre des Affaires étrangères et auparavant comme ambassadeur, il était d’usage d’avoir un grade et j’avais un grade de SS-Führer.
Je prétends que cela est absolument faux : vous avez fait une demande d’adhésion aux SS avant d’être ambassadeur extraordinaire en mai 1933 ?
Je le sais. D’ailleurs, j’ai toujours appartenu aux SS.
Vous venez de dire que ce n’était qu’à titre honoraire, parce que Hitler voulait que vous portiez un uniforme. Je dis, moi, que vous avez, en mai 1933, par la voie normale, fait une demande d’adhésion aux SS.
Bien entendu, il fallait faire une demande, mais le fait est qu’il m’arriva de sortir avec un gros manteau brun et Hitler me dit que je devais porter un uniforme. Je ne sais plus quand cela se passait, peut-être en 1933. Plus tard, comme ambassadeur, j’eus un rang supérieur, puis, comme ministre, un rang plus élevé encore.
Et en mai 1933, après avoir fait votre demande, vous avez adhéré aux SS avec le grade assez peu élevé de Standartenführer ?
C’est exact.
Et vous n’êtes devenu Oberführer que le 20 avril 1935, Brigadeführer le 18 juin 1935 et Gruppenführer le 13 septembre 1936, c’est-à-dire après votre nomination d’ambassadeur ; Obergruppenführer le 20 avril 1940. Avant de devenir ambassadeur, vous apparteniez déjà aux SS depuis trois ans et vous aviez été normalement promu en raison de votre activité dans les SS. Est-ce exact ?
Sans avoir jamais bougé le petit doigt ou accompli le moindre travail pour les SS, oui.
Regardez le document GB-294, D-744 (a), le numéro correspondant est 744 (b). Il est inutile que vous le lisiez en détail. C’est votre demande, avec toutes les pièces justificatives. Je voudrais vous poser une ou deux questions là-dessus. Vous avez demandé à entrer à la division « Tête-de-mort » des SS ?
Je ne l’ai jamais demandé.
Ne vous souvenez-vous pas avoir reçu de Himmler une bague à tête de mort et une épée en reconnaissance de vos services ?
Non, je ne m’en souviens pas, je n’ai jamais appartenu à une division « Tête-de-mort ». Vous parliez d’une division « Tête-de-mort », n’est-ce pas ?
Une division « Tête-de-mort ».
Ce n’est pas exact. Si c’est écrit ici, c’est faux. Je crois bien, en effet que j’ai reçu un poignard comme tous les SS-Führer. Cela, c’est exact.
Et la bague aussi. Voici une lettre du 5 novembre 1935 adressée au bureau personnel du Reichsführer SS disant : « En réponse à votre question, je vous informe que la pointure de bague du Brigadeführer von Ribbentrop est 17. Heil Hitler. Signé : Thorner ». Vous souvenez-vous de cela ?
Je crois que tout le monde recevait une bague, mais je ne me souviens pas exactement de l’affaire. C’est d’ailleurs certainement exact.
Et vous vous êtes intéressé aux SS de 1933 jusqu’à une époque avancée de la guerre. Je crois que votre correspondance avec Himmler s’étend jusqu’à 1941 ou 1942.
Oui, c’est très possible, c’est certainement exact. Naturellement, nous avions beaucoup à faire avec les SS pour des questions très diverses.
Et principalement au sujet des camps de concentration. Prétendez-vous que vous ne saviez pas qu’ils existaient en très grand nombre ?
Non, je n’en savais rien.
Voudriez-vous, je vous prie, vous retourner un moment. (Une carte est placée derrière le témoin.)
C’est un agrandissement du document déposé par le Ministère Public français. Les points rouges sont des camps de concentration. Voulez-vous regarder ! Nous allons voir maintenant une des raisons de la situation de vos diverses résidences. L’une au nord de Berlin, Sonnenburg. Voyez-vous à peu près où cela se trouve, sur la carte ?
Sonnenburg est à environ une heure de voiture de Berlin.
Au nord de Berlin.
Non, à l’est de Berlin.
Prenons un autre de vos domiciles. C’est votre château, votre pavillon de Fuschl. C’est tout à côté de la frontière ; immédiatement au delà de la frontière et tout auprès se trouve un groupe de camps situés autour de Mauthausen. Juste au-dessus de votre main, le groupe de camps autour de Mauthausen, vous le voyez ?
Oui ; je voudrais affirmer sous la foi du serment que j’ai entendu pour la première fois le nom de Mauthausen ici à Nuremberg.
Alors, prenons un autre endroit : vous dites que vous n’y alliez pas souvent mais que vous aviez l’habitude...
Je crois que je pourrais abréger considérablement tout ce débat en disant que je ne connaissais que deux camps de concentration avant de venir ici, non, trois : Dachau, Oranienburg et Theresienstadt. Tous les autres noms ne m’ont été communiqués pour la première fois qu’ici même. Le camp de Theresienstadt était un camp, un asile de vieillards juifs, je crois, et la Croix-Rouge internationale l’a visité à plusieurs reprises. Je n’ai jamais, auparavant, entendu prononcer les noms des autres camps. Je désire que ceci soit bien établi.
Savez-vous qu’autour de Mauthausen il y avait 33 camps relativement très peu éloignés les uns des autres, et 45 autres dont le commandant n’a pas pu donner les noms car ils sont trop nombreux ; et que dans ces 33 camps il y avait plus de 100.000 internés ? Prétendez-vous dire au Tribunal que dans tous les voyages que vous avez faits à Fuschl vous n’avez jamais entendu parler de ces camps de Mauthausen où étaient internées 100.000 personnes ?
Je l’ignorais complètement et il y a des douzaines de témoins qui peuvent le prouver ; des douzaines.
Il m’est indifférent de savoir combien de témoins vous pouvez citer. Je vous demande de regarder cette carte. Vous êtes resté ministre responsable dans le Gouvernement de ce pays depuis le 4 février 1938 jusqu’à la défaite de l’Allemagne, en mai 1945, pendant sept ans et trois mois ; prétendez-vous devant le Tribunal que l’on pouvait être ministre responsable dans ce pays où il y avait des centaines de camps de concentration et les ignorer, à l’exception de deux ?
Cela peut paraître surprenant, mais c’est tout de même la vérité pure.
Je vous dis que ce n’est pas seulement étonnant, mais tellement incroyable que cela ne peut être que faux. Comment pouviez-vous ignorer ces camps ? Ne voyiez-vous jamais Himmler ?
Non, jamais à ce sujet, jamais. Ces choses ont été tenues entièrement secrètes et nous n’avons appris qu’ici ce qui s’y passait. Personne n’en savait rien ; cela peut être surprenant, mais je suis également convaincu que la plupart des accusés n’en savaient rien non plus.
Nous les entendrons à leur tour. Savez-vous que rien qu’à Auschwitz...
Je n’ai entendu parler d’Auschwitz pour la première fois qu’ici même.
Le commandant allemand d’Auschwitz a signé un affidavit selon lequel 4.000.000 de personnes ont été mises à mort dans ce camp. Prétendez-vous que ces faits se soient déroulés sans que vous n’en sachiez rien.
Je n’en savais absolument rien. Je peux le déclarer sous la foi du serment.
Bien. Il y a un autre sujet sur lequel je voudrais vous entendre. Heureusement, je suis en mesure d’aider votre mémoire au moyen de documents. C’est la question des partisans. Je voudrais que vous regardiez trois documents relatifs à ce sujet.
Pourrez-vous terminer ce soir ?
Oui, si Votre Honneur peut m’accorder encore cinq minutes. (A l’accusé.) Reconnaissez-vous que vous étiez partisan d’appliquer des traitements extrêmement durs aux habitants des territoires occupés ?
Je n’ai pas très bien compris la question ; pouvez-vous la répéter ?
Ma question est la suivante : Serait-il correct de caractériser votre attitude en disant que vous préconisiez les traitements les plus durs envers les partisans ?
Je ne sais pas si j’ai jamais parlé du traitement des partisans, je ne m’en souviens pas. En tout cas, j’étais opposé à ce traitement.
Très bien. Regardez le document D-735 (GB-295). C’est une discussion entre le comte Ciano et vous-même, en présence du Feldmarschall Keitel et du maréchal Cavallero, au Grand Quartier Général du Führer, après le petit déjeuner, le 19 décembre 1942. Si vous regardez à la page 2, vous y verrez un passage où le Feldmarschall Keitel dit aux Italiens que :
« La région de la Croatie devait être nettoyée par les troupes italiennes et les troupes allemandes en coopération, et ceci avant la fin de l’hiver, étant donné la forte influence exercée par les Anglais dans cette région. Le Führer avait déclaré que les conspirateurs serbes devaient être liquidés et que les méthodes douces ne devaient pas être utilisées. Le Feldmarschall Keitel fit alors remarquer que tous les villages dans lesquels on trouverait des partisans devraient être brûlés. Le ministre des Affaires étrangères du Reich déclara ensuite qu’il ne fallait pas que Roatta quittât la troisième zone, mais qu’il devait avancer, en étroite collaboration avec les troupes allemandes. A ce sujet, le Feldmarschall Keitel demanda aux représentants de l’Italie de ne pas considérer comme un avantage accordé aux Croates, l’utilisation de troupes croates pour le nettoyage. Le ministre des Affaires étrangères dit, à ce sujet, que le Poglavnik, auquel il avait parlé très clairement, était entièrement prêt à s’entendre avec l’Italie. »
Étiez-vous d’avis que « les conspirateurs serbes devaient être liquidés » ?
Comment ?
Étiez-vous d’avis que « les conspirateurs serbes devaient être liquidés » ?
Je ne connais pas cette expression. En tout cas, il est certain qu’ils devaient être mis en prison.
Cela signifie que leurs villages devaient être rasés et détruits par le feu.
Où ai-je dit cela ? Je ne crois pas l’avoir dit.
C’est le point de vue du Führer. Était-ce le vôtre ?
Le Führer avait adopté une attitude très dure à ce sujet. Je sais que, de temps à autre, dans certains services ainsi que dans l’Armée, on donnait des ordres très durs. Il s’agissait d’une lutte à la vie, à la mort, il ne faut pas l’oublier. C’était la guerre...
Niez-vous...
De toute façon, je ne sais pas où j’ai pu dire quelque chose au sujet des partisans...
Vous dites que ce n’était pas votre point de vue. C’est bien ce que vous dites ? Ce n’est pas votre point de vue ? Ne regardez-pas le document suivant. Dites-moi, est-ce là votre point de vue ?
Je vous prie de répéter encore une fois la question à laquelle vous voulez que je réponde.
Prétendez-vous que vous ne préconisiez pas le traitement impitoyable des partisans ?
Je suis d’avis qu’il faut traiter durement les partisans qui tirent dans le dos des troupes. C’est mon avis et je crois que c’est celui de tout militaire et de tout homme politique.
Y compris les femmes et les enfants ?
Non, en aucun cas.
Puisque vous niez que vous ayez pris cette attitude envers les femmes et les enfants, regardez le document D-741 (GB-296). C’est un entretien entre vous-même et l’ambassadeur Alfieri, à Berlin, le 21 février 1943. Le dernier paragraphe dit : « Ensuite le ministre des Affaires étrangères souligna le fait que l’état de choses que la politique de Roatta avait contribué à établir en Croatie causait beaucoup de soucis au Führer. On comprenait du côté allemand que Roatta désirât épargner le sang italien mais on considérait que sa politique n’aboutirait qu’à faire chasser Satan par Belzebuth. Ces bandes de partisans devaient être exterminées, hommes, femmes et enfants, car leur existence mettait en péril la vie des hommes, des femmes et des enfants allemands et italiens ». Prétendez-vous toujours que vous n’étiez pas d’avis de traiter de façon impitoyable les femmes et les enfants ?
A quelle page est-ce ?
Pages 10 à 13 ; c’est le dernier paragraphe de ma traduction :
« Ces bandes de partisans devaient être exterminées, hommes femmes et enfants car leur existence mettait en péril la vie des hommes, des femmes et des enfants allemands. »
Si j’ai dit cela c’est peut-être que j’étais dans un grand énervement. En aucun cas cela ne répond à mes conceptions dont j’ai donné des exemples par mon activité au cours de la guerre. Je ne peux rien dire d’autre actuellement.
Je voudrais encore vous montrer, à propos de votre activité, un autre document le dernier, si le Tribunal le permet. C’est le document D-740 (GB-297), mémorandum d’une conversation entre le ministre des Affaires étrangères du Reich et le secrétaire d’État Bastianini, en présence des ambassadeurs von Mackensen et Alfieri, au château de Klessheim, l’après-midi du 8 avril 1943. Si vous voulez regarder le commencement, je crois que vous discutiez au sujet d’une grève en Italie. Vous disiez ceci :
« Le ministre des Affaires étrangères du Reich pensait que ces grèves avaient pu être provoquées par des agents britanniques, mais ceci fut énergiquement contesté par Bastianini. Il y avait toujours des communistes en Italie qui recevaient leurs instructions de Moscou. Le ministre des Affaires étrangères répliqua que, dans un cas semblable, seule une intervention impitoyable serait efficace. » Puis, après une déclaration relative à l’information :
« Il (le ministre des Affaires étrangères) ne voulait pas discuter au sujet de l’Italie, mais plutôt des territoires occupés, où il apparaissait que l’on n’arriverait à aucun résultat avec des méthodes de douceur ou en essayant d’obtenir un accord. Le ministre des Affaires étrangères illustra sa pensée par une comparaison entre le Danemark et la Norvège. En Norvège avaient été prises des mesures brutales qui avaient provoqué de vives protestations, particulièrement en Suède. »
Puis vous continuez, et après une critique adressée au Dr Best...
Je ne trouve pas cela ; à quelle page est-ce, je vous prie ?
Le paragraphe commence par : « Le ministre des Affaires étrangères du Reich pensait que ces grèves avaient pu être provoquées par des agents britanniques... »
Oui, voilà.
Vous voyez donc ce que je veux dire. Vous dites : « Seule une intervention impitoyable serait efficace... En Norvège avaient été prises des mesures brutales. »
Et au début du paragraphe suivant :
« En Grèce aussi il fallait intervenir brutalement, même si les Grecs devaient changer d’air. Il était d’avis que l’Armée grecque démobilisée devait être déportée de Grèce très rapidement et qu’il fallait montrer aux Grecs, d’une main de fer, qui était le maître dans le pays. Des méthodes très dures de cette sorte étaient nécessaires dans une guerre contre Staline ; ce n’était pas un guerre chevaleresque, mais une guerre d’extermination brutale. »
Puis, après quelques déclarations sur les Français : « Pour en revenir à la Grèce, le ministre des Affaires étrangères, une fois de plus, insista sur la nécessité de prendre des mesures sévères ».
Et à la troisième ligne du paragraphe suivant :
« Le Führer prendrait des mesures radicales dans les territoires occupés pour mobiliser la main-d’œuvre locale, afin d’égaler le potentiel d’armement américain. »
Est-ce exact ? Ceci exprime-t-il avec précision votre point de vue ? Vouliez-vous que dans les territoires occupés l’on prît des mesures très sévères pour mobiliser la main-d’œuvre en vue d’accroître le potentiel de guerre du Reich ?
Au sujet de ce document, je ne puis dire qu’une chose. Je sais qu’à cette époque...
Vous pouvez la dire, mais répondez d’abord à ma question. Ceci exprime-t-il votre opinion suivant laquelle...
Non.
... des mesures radicales devaient être prises envers les travailleurs étrangers et les habitants des territoires occupés. Ce document exprime-t-il votre point de vue ?
Non.
Alors, pourquoi l’avez-vous dit ? Pourquoi avez-vous dit ces choses ?
Parce que, à ce moment-là, j’avais reçu du Führer l’ordre de ne pas laisser de répit aux Italiens, parce qu’il régnait un chaos complet dans certaines régions et que les Italiens, par les mesures qu’ils prenaient, semaient un désordre complet sur les arrières de l’Armée allemande. C’est pourquoi il fallait que, de temps à autre, je parle aux Italiens un langage très ferme. Je m’en souviens très distinctement. A ce moment-là, les Italiens combattaient en partie avec les Tchetniks contre les troupes allemandes. C’était le chaos le plus complet et c’est pourquoi j’utilisais souvent vis-à-vis des diplomates un langage ferme et dur, peut-être aussi un langage très exagéré. Mais les choses, en réalité, se sont révélées par la suite tout à fait différentes.
Ce n’était pas du tout exagéré, ni par rapport à la Norvège, ni par rapport à la Grèce. Vous preniez dans ces pays les mesures les plus brutales.
Non ; en Norvège, nous n’avions rien à dire et nous avons toujours essayé d’agir différemment. Au Danemark, nous avons tout fait pour diminuer, dans la mesure du possible, et pour empêcher l’exécution de ces mesures brutales qui étaient en partie nécessaires à cause des parachutistes.
Je crois que l’on peut prouver par de très nombreux documents que moi-même et mes services avons toujours essayé, dans les territoires occupés, d’aplanir les difficultés. Je crois qu’il n’est ni très juste, ni très exact d’extraire d’innombrables documents une ou deux déclarations dans lesquelles j’ai pu être amené à m’exprimer assez durement. Il est certain qu’au cours de six années de guerre, on peut, de temps en temps, être obligé d’employer un langage dur. Je me permettrais de rappeler que bon nombre d’hommes d’État étrangers ont parlé en termes sévères du traitement réservé à l’Allemagne, mais je suis certain qu’ils ne le pensaient pas réellement.
Voulez-vous m’expliquer pourquoi, aujourd’hui, chaque fois que vous avez été mis en présence d’un document qui vous attribue quelque dureté de langage ou qui contredit ce que vous avez dit ici, vous déclarez qu’à cette occasion vous faisiez un mensonge diplomatique. C’est bien cela ? Merci beaucoup.
Sir David avez-vous déposé tous ces documents comme preuve ?
Oui, Votre Honneur.
L’audience est levée.