QUATRE-VINGT-DIX-SEPTIÈME JOURNÉE.
Mardi 2 avril 1946.
Audience du matin.
(L’accusé von Ribbentrop est ramené à la barre.)Votre Honneur aura remarqué que je n’ai pas traité la question des Juifs. Mon éminent ami, M. Faure, du Ministère Public français, va le faire maintenant.
Monsieur le Président, permettez-moi de dire quelques mots au sujet d’une question importante. On a commenté hier une carte qui est actuellement exposée dans la salle d’audience. Le Ministère Public a déduit de cette carte qu’un nombre infini de camps de concentration se trouvaient en Allemagne. Les accusés protestent avec énergie contre cette déclaration.
En ce qui concerne le cas de Kaltenbrunner, mon client, j’espère prouver que très peu de points rouges correspondent à la réalité, mais je voudrais le dire dès maintenant afin que par la suite on n’ait pas toujours l’impression que cette carte est exacte.
Docteur Kauffmann, ce n’est là qu’une reproduction de ce qui a déjà été déposé.
Oui, mais je, suis bien autorisé à fournir la preuve du contraire ?
Naturellement, mais il n’est pas nécessaire que vous le disiez maintenant. Le fait que la preuve ait été déposée par le Ministère Public antérieurement vous donne toute latitude d’y répondre, mais pas actuellement.
Accusé, en tant que ministre des Affaires étrangères, vous étiez lé chef du personnel diplomatique ?
Parfaitement.
Ce personnel suivait vos instructions ?
Parfaitement.
Vous avez déclaré hier que vous étiez responsable des actes de vos subordonnés.
Parfaitement.
Voulez-vous m’indiquer si le Dr Best, plénipotentiaire au Danemark, dépendait de votre ministère ?
Oui.
Le Dr Best vous a dit que Hitler avait donné l’ordre d’assassiner des Danois quand se produisaient des actes de sabotage ?
Veuillez poser à nouveau la question ?
Le Dr Best, d’après les documents qui ont été produits à ce Tribunal, vous a vu le 30 décembre 1943 et il vous a dit que Hitler avait donné l’ordre d’assassiner des Danois quand se produisaient des actes de sabotage au Danemark. Est-ce bien exact ?
Oui, c’est exact, on agissait ainsi contre les saboteurs. Hitler l’avait ordonné.
L’ordre était, selon les termes du Dr Best dans le document, « d’exécuter sans jugement les personnes terroristes ou non terroristes ». Ne doit-il pas être considéré comme un assassinat ?
Dès le début, j’ai pris position contre de telles mesures et le Dr Best également.
Accusé, je ne prétends pas que vous ayez manifesté votre contentement de cette affaire, je vous ai demandé simplement si vous en aviez été informé. Est-ce exact ?
Oui, le Führer le voulait. Pour les détails, je ne sais pas.
Mais, je ne vous demande pas de détails.
Et je ne sais pas ce qui, par la suite, a été ordonné car cela n’est pas passé par nous mais par un autre service, autant que je sache.
Je retiens que vous avez bien été informé de l’ordre du Führer, donné ce jour-là, de commettre des assassinats. Vous avez donc considéré comme normal d’appartenir à un gouvernement dont le chef était un assassin ?
Non, la vérité est exactement contraire, l’exacte vérité...
Bien, bien, je vous prie de répondre, simplement.
... car je lui ai dit que j’avais pris position et que j’étais d’avis contraire. Le Führer n’était pas satisfait du Dr Best et a fait traiter cette affaire par d’autres services car le Dr Best protestait avec moi.
Je vous prie simplement de répondre à mes questions très brièvement. Vous pourrez donner des détails à votre avocat plus tard.
A propos du Danemark. Il y a eu une action contre les Juifs dans ce pays, pour les déporter. Vous vous êtes occupé de cela ?
Je ne puis rien vous dire de la question juive au Danemark ; je l’ignore complètement.
Vous n’en avez jamais entendu parler ?
Je me souviens d’avoir dit à Best que cette question était sans importance au Danemark, c’est pour cela que Best ne voulait rien faire, et j’étais d’accord avec lui.
Je demande que l’on vous présente le document PS-2375. Ce document n’a pas encore été produit au Tribunal. Je désirerais le déposer sous le numéro français RF-1503. Je voudrais lire avec vous le deuxième paragraphe de ce document. Ce document est un affidavit de Mildner qui était colonel de la police au Danemark :
« Comme commandant, j’étais subordonné du Dr Best. Opposé aux persécutions des Juifs pour le principe et aussi pour des raisons pratiques, je demandai au Dr Best la raison des mesures ordonnées.
« Le Dr Best me déclara que le ministre des Affaires étrangères Ribbentrop connaissait évidemment l’intention de Hitler d’exterminer les Juifs en Europe. Il avait présenté un rapport à Hitler sur le problème juif au Danemark et présenté la requête de déporter les Juifs du Danemark.
« Le Dr Best me déclara en outre que Ribbentrop craignait d’assumer des responsabilités au cas où les Juifs demeureraient au Danemark. Lui, Best, serait ainsi obligé d’exécuter les mesures que Ribbentrop avait proposées à Hitler. Je pouvais conclure de l’entretien avec Best, que celui-ci avait été en rapport avec Ribbentrop en personne ou par téléphone. »
Vous avez bien lu cela, n’est-ce pas ?
Ce qui est écrit dans ce document est de la pure fantaisie. Ce n’est pas vrai.
Bien. Je demande maintenant que l’on vous présente le document PS-3688 que je désirerais déposer sous le numéro français RF-1502. C’est une note du 24 septembre 1942 qui est signée de Luther et est adressée à ses collaborateurs. Je désirerais lire avec vous les deux premiers paragraphes de ce document :
« Monsieur le ministre des Affaires étrangères m’a donné aujourd’hui l’ordre par téléphone d’accélérer, autant que possible, l’évacuation des Juifs des différents pays de l’Europe, étant donné que partout les Juifs s’agitent contre nous et doivent être considérés comme responsables des actes de sabotage et des attentats.
« Après un rapport sommaire sur l’évacuation, qui est actuellement en cours, des Juifs de Slovaquie, Croatie, Roumanie et des territoires occupés, Monsieur le ministre des Affaires étrangères a donné l’ordre d’entreprendre maintenant l’évacuation des Juifs en Bulgarie, en Hongrie et au Danemark, en nous mettant en rapport à cet effet, avec les Gouvernements bulgare, hongrois et danois. »
Je suggère que ce deuxième document confirme les indications du premier en ce qui concerne votre participation à la déportation des Juifs au Danemark. Êtes-vous d’accord ?
C’est exact, le Führer avait projeté d’évacuer les Juifs de l’Europe en Afrique ou à Madagascar. Il m’avait donné l’ordre de sonder les différents gouvernements dans le but d’encourager l’émigration des Juifs et de les éloigner des services gouvernementaux. J’ai donné des instructions dans ce sens, au ministère des Affaires étrangères, et, autant que je m’en souvienne, je me suis adressé à plusieurs reprises à divers gouvernements dans ce but. Il s’agissait de persuader les Juifs d’émigrer vers l’Afrique du Nord, cela est exact.
Puis-je revenir sur cet affldavit ? C’est de la pure fantaisie de la part du colonel Mildner et absolument faux.
Vous reconnaissez, en tout cas...
Au Danemark, le Dr Best, et je m’en souviens très bien, s’est entretenu de cette question avec moi. Il m’a dit qu’elle n’était pas particulièrement importante au Danemark parce qu’il n’y avait pas beaucoup de Juifs, à la suite de quoi je lui ai dit qu’il devait laisser les choses suivre leur cours. Voilà la vérité.
Vous reconnaissez néanmoins que ce document de Luther est bien exact et que vous avez donné l’ordre d’entreprendre l’évacuation des Juifs au Danemark ? C’est dans le texte de la lettre.
Non, non, pas au Danemark. Je ne connaissais même pas ce document de Luther. Je le vois pour la première fois.
Je vous demande de répondre simplement à mes questions, sans quoi nous allons perdre beaucoup de temps. Vous êtes d’avis que ces deux documents sont inexacts, vous me l’avez dit, passons.
L’ambassade d’Allemagne à Paris...
Je n’ai pas dit cela, ce n’est pas exact. J’ai dit que je ne connaissais pas le document Luther. Il est cependant exact que le Führer m’a donné des instructions à transmettre au ministère des Affaires étrangères afin de s’adresser aux différents gouvernements et de trancher la question juive de la façon suivante : éloigner les Juifs des postes gouvernementaux et, partout où c’était possible, favoriser une émigration juive.
L’ambassade d’Allemagne à Paris dépendait de vous, n’est-ce pas ?
L’ambassade d’Allemagne à Paris, c’est-à-dire l’ambassadeur près du Gouvernement de Vichy, recevait naturellement ses instructions de moi.
On a déjà lu au Tribunal le document français RF-1061, par lequel vous avez défini quelle était la mission de l’ambassadeur Abetz. C’est le PS-3614.
Dans ce document que vous avez déjà entendu ici deux fois, je vous rappelle que vous avez donné comme mission à Abetz de mettre en sûreté tous les trésors d’art publics et les trésors d’art privés, particulièrement ceux qui appartenaient aux Juifs, sur la base d’instructions spéciales ici rapportées. Abetz a exécuté cette mission en pillant les œuvres d’art en France.
Ce n’est pas vrai.
Je demande que l’on vous présente le document PS-3766 qui n’a pas encore été produit et auquel je désire donner le numéro français RF-1505. Je désirerais simplement voir avec vous quelques lignes de ce document. C’est un rapport de l’administration militaire qui a été diffusé en 700 exemplaires. Il est intitulé : « Rapport sur l’enlèvement des œuvres d’art françaises par l’ambassade allemande de l’État-Major spécial Rosenberg en France. »
Si vous voulez prendre la page 3, vous verrez que le titre en marge est très significatif :
« Ambassade allemande
Essai d’enlèvement des tableaux du Louvre. »
Page 4, je vais lire la première phrase, en haut de la page...
Quand vais-je pouvoir parler à ce sujet, pas du tout ou maintenant ?
Quand je vous poserai une question, vous répondrez. Je vous lis un passage :
« L’ambassadeur Abetz a entrepris, violant ainsi l’interdiction militaire, de faire passer en Allemagne une série d’oeuvres d’art du Louvre qui avaient été mises en sûreté. »
Vous avez été au courant de cela ?
Non, je suis convaincu que c’est parfaitement faux. Aucune œuvre d’art n’a été prise au Louvre par l’ambassadeur Abetz. Cela aurait été contraire aux ordres exprès du Führer qui l’avait formellement interdit. Le rapport est donc faux en ce qui concerne ce point.
Puis-je mentionner que le Gouvernement français a voulu me faire cadeau d’une œuvre d’art du Louvre ? C’était un tableau de Boucher. Ce tableau fut envoyé à Berlin à l’occasion de mon anniversaire. Je l’ai renvoyé au Gouvernement français.
C’est tout ce que je sais au sujet des œuvres d’art du Louvre. Je n’en possède rien et le ministère des Affaires étrangères n’a jamais vu une seule œuvre d’art du Louvre.
Vous prétendez que ce rapport est inexact ?
Monsieur Faure, quel est ce rapport que vous lui fournissez ?
C’est le document PS-3766.
Oui, je le sais, mais qu’est-ce que c’est que ce document ?
C’est un rapport de l’administration militaire allemande qui figure dans la documentation américaine série PS. Le Tribunal a reçu l’affidavit général.
Documents saisis ?
Oui, documents saisis. J’indique au Tribunal que ce rapport contient de nombreux autres passages relatifs aux agissements d’Abetz, mais comme l’accusé a déclaré que le rapport était inexact sur l’un de ces passages je ne continuerai pas cette lecture pour ne pas perdre de temps.
En dehors...
Mais ce n’est pas un document saisi. Ce n’est pas un rapport.
Je vous prie de répondre à mes questions ; nous n’allons pas continuer cette controverse ; votre avocat peut vous interroger par la suite.
Je dois vous demander la permission de me renseigner sur la nature des documents. présentés au témoin. Si l’on dit qu’il s’agit d’un document saisi et que cela n’est pas le cas, il faut faire ici même une rectification immédiate.
J’ai déjà indiqué que ce document faisait partie de la série PS, documents saisis. Le Tribunal en a de grandes quantités et je ne pense pas que leur authenticité soit discutée. (Au témoin.) Je voudrais vous poser maintenant la question suivante...
Allez-vous poser d’autres questions sur ce document ?
Non, Monsieur le Président. (Au témoin.) En dehors de la question des œuvres d’art, Abetz s’est également occupé du traitement des Juifs en général, n’est-ce pas ?
Il n’avait pas reçu d’ordres à ce sujet. Autant que je sache, il n’avait rien à voir avec la question juive en France ; elle fut traitée par d’autres services.
N’est-il pas exact qu’en octobre 1940, Abetz a communiqué avec vous en vue de régler la situation des Juifs d’origine allemande ou autrichienne qui résidaient en France ?
Je n’en sais rien, cela ne m’intéressait pas.
Je voudrais vous présenter le document EC-265 que je désire déposer comme document français RF-1504.
C’est un télégramme d’Abetz en date du 1er octobre 1940. Je vais vous lire seulement la première et la dernière phrase :
« La solution du problème juif dans les territoires occupés de France, demande, outre certaines mesures, une réglementation aussi rapide que possible du statut de citoyen des Juifs allemands du Reich qui vivaient ici au début de la guerre. »
Et la dernière phrase :
« Les mesures proposées ci-dessus doivent être considérées comme étant seulement le premier pas vers la solution du problème tout entier. Je me réserve le droit de faire d’autres propositions. Je demande accord télégraphique. »
Puis-je lire tranquillement ce télégramme, s’il vous plaît ?
Je crois que vous allez un peu trop vite.
Oui.
Il s’agit dans ce télégramme, de Juifs autrichiens et allemands qui devaient être ramenés de France en Allemagne ou en Autriche. Je vois ce télégramme pour la première fois aujourd’hui. Je ne puis donc pas donner de renseignements à ce sujet. Il s’agit certainement d’affaires courantes traités quotidiennement par les Affaires étrangères mais qui ne m’étaient pas soumises. En outre, ces affaires étaient traitées séparément par d’autres services et non par les nôtres.
Si vous regardez la partie gauche du télégramme, vous voyez la liste des destinataires. Il y en avait dix-neuf et vous-même, notamment, n’est-ce pas ? Sous le n° 2.
Je voudrais dire ici au procureur français que tous les jours 400, 500 ou 800 de ces télégrammes parvenaient à mes services ; on ne m’en présentait qu’un ou deux pour cent.
En dehors de la question...
De toute façon je ne sais rien au sujet de ce télégramme.
En dehors de la question des Juifs d’origine allemande ou autrichienne, vos collaborateurs et vos subordonnés de l’ambassade se sont aussi occupés des Juifs français. Avant de vous poser une question, je voudrais vous relire deux phrases d’un document qui a été déposé au Tribunal comme document français n° RF-1207. C’est un rapport de Dannecker, qui était chargé des affaires juives en France. Voici ce que dit Dannecker dans sa conclusion :
« Dans cet ordre d’idées, je ne puis parler de ce sujet sans rappeler l’appui réellement amical qui a été accordé à notre travail par l’ambassadeur Abetz et par son représentant, l’attaché Schleier, ainsi que par le SS-Sturmbannführer conseiller d’ambassade, Dr Zeitschel.
« Je désire préciser que l’ambassade d’Allemagne à Paris a donné de sa propre initiative d’importantes sommes d’argent pour le financement de l’institut anti-juif et qu’elle continuera ses versements. »
Il résulte bien de ces documents qu’Abetz, Schleier et Zeitschel collaboraient.
Monsieur Faure, nous ne savons pas où se trouve ce que vous lisez.
Monsieur le Président, ce document ne vous a pas été donné dans ce dossier parce qu’il a déjà été produit au Tribunal. Je voulais simplement en lire deux phrases.
Bien.
Il résulte bien de ce document que trois fonctionnaires de l’ambassade d’Allemagne, Abetz, Schleier et Zeitschel collaboraient avec Dannecker dans le règlement des questions juives. Cela résulte bien du document, n’est-ce pas ?
Est-ce une question, dois-je y répondre ?
C’est une question.
A cette question, je dois repondre « naturellement » . Ils ont certainement collaboré dans une certaine mesure à la solution du problème juif en France, c’est parfaitement clair. Mais je puis dire en outre que le Ministère Public français doit avoir été informé d’une manière précise que l’ambassadeur Abetz ne recevait pas d’instructions que de moi, il agissait également de son propre chef, essayant toujours d’arriver à un compromis dans cette question. Il va sans dire que l’ambassade se trouvait, d’une façon ou de l’autre, dans la sphère de cette action. Il va sans dire également que je dois assumer la responsabilité de tout ce qui a été fait par le personnel de l’ambassade ; je voudrais répéter que mes instructions, aussi bien que les activités de l’ambassadeur Abetz, étaient toujours dirigées dans la direction opposée. Il est parfaitement clair que la politique et la tendance antisémite fondamentale du Gouvernement allemand s’étendait à tous les services et à toutes les sphères. Je veux dire par là que chaque service gouvernemental se trouvait d’une manière ou d’une autre en présence de ces questions. Notre tâche aux Affaires étrangères — et cela pourrait être prouvé dans des milliers de cas si les documents étaient présentés — consistait à agir dans ce domaine comme un intermédiaire. Je dois dire que nous devions souvent agir conformément à cette politique antisémite. Mais nous nous sommes toujours efforcés d’éviter de telles mesures et de parvenir à quelque compromis. En fait, l’ambassade d’Allemagne n’était responsable d’aucune mesure antisémite en France, quelle qu’elle fût.
Je désirerais attirer votre attention sur un autre document, RF-1210, document français qui est un second rapport de Dannecker du 22 février 1942. Page 3 de ce document (c’est la page 2 du texte allemand).
Je voudrais dire tout d’abord que je ne sais absolument pas qui était Dannecker. Peut-être pourriez-vous me donner quelques renseignements à ce sujet.
Je vous ai indiqué que Dannecker était le chargé d’affaires juives en France ; d’ailleurs, ces documents ont déjà été remis depuis longtemps au Tribunal et à la Défense.
Page 3 de ce document — c’est la page 2 en allemand — il y a un paragraphe intitulé « Action » dont je ne Us qu’une phrase :
« Jusqu’ici, trois opérations de grande envergure ont été réalisées contre les Juifs de Paris. »
Et maintenant, si vous voulez prendre la dernière page du document, à l’avant-dernier paragraphe, nous lisons ceci :
« Depuis le milieu de l’année 1941, il y a toutes les semaines une conférence du mardi à laquelle assistent les services suivants : I, H et III, commandement militaire, sections administrative, poli-cière et économique ; IV, ambassade d’Allemagne à Paris ; V, Ein-satzstab ouest du Reichsleiter Rosenberg.
« La conférence a eu pour résultat, sauf bien entendu de très rares exceptions constituées par des cas isolés, que la politique antijuive se poursuivra sans modifications dans les territoires occupés. »
Il résulte bien de ce document que vos collaborateurs étaient d’accord avec la politique anti-juive dans les territoires occupés et que cette politique comportait des arrestations de Juifs, n’est-ce pas ?
Puis-je prendre position ? A ma connaissance, ces services à l’étranger, dans cette hypothèse comme dans bien des cas semblables, n’étaient autres que l’ambassadeur d’Allemagne. Ils sont intervenus dans le sens d’un règlement pacifique.
Je désire que l’on vous présente maintenant le document français RF-1220 ; c’est une lettre de l’ambassade d’Allemagne du 27 juin 1942, adressée au chef de la Sicherheitspolizei et des SD en France. Avant de vous poser une question, je voudrais lire avec vous les deux premiers paragraphes de cette lettre :
« Comme suite à mon entretien avec le Hauptsturmführer Dannecker, en date du 27 juin, au cours duquel celui-ci a indiqué qu’il avait besoin au plus tôt de 50.000 Juifs de la zone libre pour les déporter vers l’Est et cela sur la base des notes envoyées par Darquier de Pellepoix, commissaire général aux questions juives, j’ai aussitôt saisi de cette affaire l’ambassadeur Abetz et le conseiller d’ambassade Rahn.
« Monsieur le conseiller Rahn doit rencontrer dans le courant de l’après-midi le président Laval et m’a promis de l’entretenir aussitôt de la remise de ces 50.000 Juifs, ainsi que de la question de donner pleins pouvoirs à Darquier de Pellepoix, conformément aux lois déjà promulguées et de lui accorder aussitôt les crédits qu’on lui a promis. »
Maintenant, je voudrais vous poser une question, et je désirerais que vous y répondiez très brièvement.
Est-ce que vous avez été au courant de cette démarche pour obtenir la remise de 50.000 Juifs ?
Non, je ne l’étais pas. Je l’ai seulement apprise ici, quand ce document a été lu.
Si vos collaborateurs, Abetz, Rahn et Schleier faisaient des démarches de ce genre sans vous tenir informé, n’est-ce pas parce qu’ils considéraient qu’ils agissaient dans le sens de vos instructions générales ?
Non, je ne le crois pas. Ils travaillaient d’une façon très indépendante à Paris. Tout ce que ces Messieurs ont fait, j’en prends la responsabilité, je le dis encore une fois. Je n’ai rien su, toutefois, au sujet de cette mesure à prendre contre 50.000 Juifs. Je ne sais même pas si, ultérieurement, cela a eu lieu et de quelle manière ces Messieurs sont intervenus. Cela ne découle pas de la lettre. Je sais seulement que mes instructions générales étaient de traiter prudemment ces affaires et, si possible, de résoudre les difficultés suivant mes propres conceptions et de ne pas essayer de forcer les choses mais tout au contraire de les adoucir. Je ne peux rien dire d’autre à ce sujet.
Pendant l’interrogatoire de votre témoin Steen-gracht, le Ministère Public anglais a produit un document PS-3319 qui a reçu le numéro anglais GB-287. Je désirerais me référer à ce document, simplement pour une question.
Dans ce document figure le procès-verbal d’un congrès, d’une réunion à laquelle assistaient tous les rapporteurs des questions juives dans les différentes missions diplomatiques en Europe. Ce congrès s’est tenu les 3 et 4 avril 1944 à Krumhuebel. Il avait été organisé par Schleier. On a lu cela l’autre jour.
Vous avez été au courant de ce congrès je suppose ?
Non, j’en entends parler pour la première fois. Qu’est-ce que c’était que ce congrès ? Je n’ai même jamais entendu dire qu’un tel congrès eut lieu. De quelle sorte de congrès s’agissait-il ?
Ce document a déjà été déposé ; c’est un congrès qui a été tenu...
Je ne connais qu’un seul congrès et j’avais demandé au Führer de ne pas le tenir. De cela, je suis au courant. Mais je ne connais absolument rien d’un congrès qui se soit effectivement tenu. Veuillez me donner des informations plus précises.
Le document a été déposé au Tribunal et je désire simplement vous poser une question. Vous avez témoigné que vous n’aviez pas été au courant de cette réunion à laquelle assistaient trente et une personnes qui appartenaient presque toutes au personnel diplomatique. Je vous indique qu’au cours de cette réunion le conseiller d’ambassade von Thadden a fait une déclaration qui a été inscrite dans les termes suivants :
« L’orateur expose pourquoi la solution sioniste de Palestine et les autres solutions similaires doivent être rejetées et pourquoi il y a lieu de réaliser la déportation des Juifs dans les territoires de l’Est. »
Je suggère que cette déclaration faite par un conseiller d’ambassade devant trente et une personnes de vos services, représentait votre propre doctrine sur la question.
Oui, mais je ne sais pas du tout ce que vous voulez dire. Voudriez-vous d’abord me donner des informations sur le sujet que nous traitons. Je n’y comprends rien. J’ai déjà dit que je ne savais rien d’un congrès en dehors de celui contre lequel je m’étais élevé. C’était un congrès international que nous devions tenir. Je ne sais rien d’un congrès de diplomates. Voudriez-vous mettre le document en question à ma disposition, afin que je puisse répondre ?
Je n’ai pas l’intention de vous montrer ce document. Je vous ai lu une phrase et je vous demande simplement si cette phrase représente ou non votre opinion. Répondez par oui ou par non.
Alors il faut que je vous demande de répéter la phrase et je voudrais dire encore une fois, cependant, qu’il n’y a pas eu de congrès ; ce n’est pas vrai.
Monsieur le Président, je proteste contre cette question, si l’on ne peut pas soumettre les documents de base à l’accusé, afin qu’il puisse donner une réponse exacte.
Le Tribunal pense que la question est pertinente.
Je vous demande de répondre si cette phrase que je viens de vous lire correspondait à votre opinion.
Alors, voulez-vous encore une fois relire cette phrase, je ne l’ai pas très bien comprise.
L’orateur expose pourquoi la solution sioniste de Palestine et les autres solutions similaires doivent être rejetées et pourquoi il y a lieu de réaliser la déportation des Juifs dans les territoires de l’Est. Est-ce que c’était votre doctrine ?
Non, ça ne l’était pas.
Est-ce que votre attention a été attirée sur le fait que les autorités italiennes en France protégeaient les Juifs contre les persécutions des Allemands ?
Oui, je me souviens qu’il y a eu quelque chose dans ce genre mais je ne me rappelle plus exactement quoi.
Avez-vous fait une démarche à ce sujet auprès du Gouvernement italien ?
Je me souviens qu’une fois j’ai eu un entretien avec Mussolini ou le comte Ciano à propos de certains actes de sabotage ou d’espionnage ou de quelque chose de cette nature survenu en France et contre quoi nous avions été alertés. Je crois qu’à cette occasion le problème juif a été également discuté.
Je demande que l’on vous présente le document D-734 que je désirerais déposer comme document français RF-1501. Cette note est intitulée : « Compte rendu d’un entretien entre le ministre des Affaires étrangères du Reich et le Duce, en présence des ambassadeurs von Mackensen et Alfieri et du secrétaire d’État Bastianini, le 25 février 1943. »
Je voudrais lire avec vous le deuxième paragraphe de cette page : « En outre, le ministre des Affaires étrangères discuta la question juive dans ces termes : le Duce sait que l’Allemagne, en ce qui concerne le traitement des Juifs, a adopté une position radicale. Cela s’est encore précisé à la suite du développement de la guerre en Russie.
« L’Allemagne a déporté tous les Juifs du territoire allemand et des territoires occupés par l’Allemagne vers les réserves de l’Est. Il sait — le ministre des Affaires étrangères — que ces mesures sont qualifiées de cruelles, notamment du côté ennemi. Elles sont cependant nécessaires pour mener la guerre avec succès. »
Je lirai maintenant non pas le paragraphe suivant, mais le quatrième :
« La France, elle aussi, a pris à rencontre des Juifs des mesures extrêmement utiles. Elles ne sont que provisoires. La solution définitive consiste dans la déportation des Juifs vers l’Est. Il sait — le ministre des Affaires étrangères — que dans les milieux de l’Armée italienne, tout comme, parfois, parmi les militaires allemands, la question juive n’est pas toujours comprise dans toute sa portée. C’est ainsi seulement qu’il peut expliquer l’ordre du « Comando Supremo » selon lequel des mesures prises par les autorités françaises sous l’instigation allemande et dirigées contre les Juifs ont été annulées, dans la zone d’occupation italienne de la France.
« Le Duce contesta l’exactitude de cette information et l’imputa à la tactique des Français tendant à provoquer des différends entre l’Allemagne et l’Italie. »
Maintenant, je vais vous poser une question. Tout à l’heure, vous nous avez dit que vous vouliez faire émigrer les Juifs à Madagascar. Est-ce que Madagascar se trouve dans les réserves de l’Est dont on parle dans ce document ?
Comment ? Je n’ai pas compris.
Vous parlez dans ce document de déporter tous les Juifs vers les réserves de l’Est. Tout à l’heure vous nous avez parlé d’installer les Juifs à Madagascar ; est-ce qu’il s’agit ici de Madagascar ?
Non, c’était le plan du Führer. Ce document se rapporte au fait qu’une grande organisation d’espionnage avait été découverte, je crois, en France. Le Führer m’a envoyé pendant que j’étais en voyage en Italie, vers le Duce pour lui parler afin de m’assurer qu’au cas où des Juifs seraient impliqués dans ces actes de sabotage et d’espionnage, le Gouvernement italien ou l’Armée italienne n’interviendraient pas pour empêcher de prendre des mesures. Je désirerais également déclarer d’une manière précise que je savais — et je savais aussi que c’était le plan du Führer — que les Juifs d’Europe devaient être transplantés sur une grande échelle dans l’Afrique du Nord ou dans les réserves de l’Est. Tout le monde le savait en Allemagne. Il ne s’agit que de cela ici, et je sais qu’à cette époque il est arrivé des choses très désagréables et que le Führer était convaincu qu’elles devaient être attribuées à des organisations juives se trouvant dans le midi de la France.
A cette époque, je m’en souviens très bien maintenant, j’ai discuté de cette affaire dans tous ses détails avec Mussolini et l’ai prié de prendre les mesures qui s’imposaient car ces Juifs portaient des renseignements aux services secrets américains et anglais. Tout au moins c’était l’information que le Führer recevait constamment.
Vous avez bien dit que tous les Juifs devaient être déportés vers les réserves de l’Est ? C’est bien exact ? Répondez oui ou non, je vous prie.
Si je le désirais ?
L’Allemagne a déporté du territoire allemand et des territoires occupés par l’Allemagne, tous les Juifs vers les réserves de l’Est. C’est bien cela ?
Je ne sais pas, je ne connais pas ce document. Je ne sais pas ce que j’ai pu dire par le détail, mais je savais que le Führer avait ordonné que les Juifs en Europe dans les territoires occupés soient envoyés dans les réserves de l’Est et soient regroupés. Cela, je le savais. L’exécution de ces mesures cependant ne dépendait pas de moi en tant que ministre des Affaires étrangères, ni de mes services, mais je savais que le Führer le désirait. Je me souviens que j’avais reçu de sa part l’ordre de discuter ce sujet avec le Gouvernement italien afin que celui-ci prît les mesures qui s’imposaient. Ceci était valable pour d’autres pays auxquels nous avons dû envoyer fréquemment des télégrammes afin que ces pays traitent la question juive comme nous le désirions.
Monsieur Faure, avez-vous lu le deuxième paragraphe commençant par : « D’autre part, le ministre allemand traita la question juive... »
Oui, Monsieur le Président, c’est le paragraphe que je viens de lire.
Vous avez lu le troisième, mais je ne savais pas que vous aviez lu aussi le deuxième. Vous avez lu aussi le deuxième paragraphe ?
Oui, je l’ai lu également, Monsieur le Président.
Il s’agit d’un nouveau document, n’est-ce pas ?
Oui, Monsieur le Président, c’est un document que je désire déposer sous le n° RF-1501. Il fait partie de la série D, c’est le D-734 des documents anglais.
L’accusé a-t-il dit s’il admettait que c’était en substance un compte rendu exact de la conversation ?
Je ne peux plus répéter, Monsieur le Président, ce que j’ai dit à cette époque. Je sais seulement, je comprends d’après ce document, d’après ce texte, que les Juifs s’occupaient de propager des nouvelles de source anglo-américaine. Je me souviens qu’à cette époque il existait une grande organisation d’espionnage et de sabotage en France qui nous donnait beaucoup de mal et que le Führer m’avait chargé d’en parler au Duce car les Italiens s’opposaient à certaines mesures que nous avions prises en France. J’ai parlé dans ce sens à Mussolini et je lui ai expliqué que le Führer était d’avis que, dans ces questions, il nous fallait arriver à une entente précise.
Je crois que vous nous avez déjà dit cela. Je vous ai demandé si vous, vous étiez d’accord sur le fait que c’était en substance un compte rendu exact de cette conversation ?
Je crois que sur certains points, le rapport n’est pas exact, mais dans son essence la question est telle que je viens de l’expliquer.
Maintenant, vous avez parlé également de cette question avec Horthy, n’est-ce pas ?
Oui, oui. A plusieurs reprises j’ai conféré avec le Gouvernement hongrois pour l’amener à faire quelque chose dans la question juive. Le Führer insistait beaucoup à ce sujet. C’est pour cela qu’à différentes reprises j’en ai parlé à l’ambassadeur de Hongrie. Il s’agissait à cette époque de concentrer les Juifs dans une partie de Budapest, je crois que c’était à la périphérie, je ne connais pas très bien Budapest. C’était là le premier point. Le deuxième point consistait à éloigner les Juifs des postes influents du Gouvernement, car il avait été prouvé que l’influence juive dans ces services était suffisamment puissante pour amener la Hongrie à une paix séparée.
On a déjà produit le document relatif à cet entretien ou à l’un des entretiens que vous avez eus avec Horthy. C’est celui du 17 avril 1943. Ce document est le D-736 qui a été déposé comme GB-283.
Pendant l’interrogatoire de votre témoin Schmidt, le représentant du Ministère Public anglais a demandé à ce témoin s’il reconnaissait bien avoir rédigé lui-même ce procès-verbal. Cela a été confirmé par Schmidt. Cette note porte l’indication suivante au bas du premier paragraphe :
« Le ministre des Affaires étrangères déclara que les Juifs devaient être, soit exterminés, soit envoyés dans les camps de concentration. Il n’y a pas d’autres solutions. »
Vous avez bien dit cela ?
Sous cette forme, je ne l’ai certainement pas dit, mais je voudrais répondre ce qui suit.
Ce sont là des notes de l’ambassadeur Schmidt, rédigées comme il en avait l’habitude, quelques jours après la longue discussion entre le Führer et Horthy. J’ai déjà dit que le Führer m’avait chargé à différentes reprises de pourparlers avec Horthy, le Gouvernement hongrois et l’ambassadeur, afin d’arriver à une solution de la question juive.
Quand Horthy rendit visite au Führer, celui-ci insista sur la question avec irritation et je me souviens particulièrement bien qu’après cette discussion j’en parlai avec l’ambassadeur Schmidt, lui disant que, à strictement parler, je n’avais pas compris le Führer. La remarque citée n’a certainement pas été faite sous cette forme. M. Horthy avait probablement dit qu’il ne pouvait pas, après tout, battre les Juifs à mort. Il est possible, puisqu’il ne pouvait être en aucune façon question de cela, qu’en cette circonstance je me sois efforcé de persuader Horthy d’agir sans attendre. Principalement pour ce qui est de la question juive de Budapest, je voulais qu’il entreprenne la concentration des Juifs demandée depuis longtemps par le Führer.
C’est probablement ainsi que s’explique ma remarque ou l’interpolation.
Je dois ajouter qu’à cette époque la situation était la suivante : nous avions reçu des réclamations répétées de Himmler parce qu’il souhaitait prendre lui-même en mains la question juive hongroise. J’y étais opposé car, d’une façon ou d’une autre, cela aurait probablement créé des difficultés politiques à l’étranger. En conséquence, agissant selon le vœu du Führer, qui était très obstiné sur ce sujet, j’ai — et cela est bien connu — fait des efforts répétés pour arranger les choses tout en maintenant solidement les Hongrois pour qu’ils fassent quelque chose en toute hypothèse.
Si donc d’une longue conversation on extrait une remarque brièvement résumée contenant cette déclaration, cela ne signifie certainement pas que je souhaitais que tous les Juifs fussent battus à mort. C’était absolument contraire à mes convictions personnelles.
Je n’ai pas compris si vous avez ou non répondu à ma question et je vais vous la poser à nouveau : est-ce que le compte rendu est exact ou est-ce qu’il n’est pas exact ?
Non, il ne peut pas être exact tel que vous me le donnez là. Ce sont des notes. Personnellement, je n’avais jamais vu ces notes auparavant, sans quoi j’aurais dit tout de suite que ce sont là des sottises susceptibles d’entraîner de fausses interprétations. Je n’avais pas vu ces notes. Je les vois pour la première fois ici, à Nuremberg.
Je ne puis dire qu’une chose sur la façon dont l’affaire a pu se dérouler, j’ai dû dire ceci : comme on ne peut pas battre à mort ou éliminer tous les Juifs, faites donc quelque chose afin que le Führer soit satisfait et concentrez les Juifs. C’était en tout cas notre but ; à ce moment nous ne désirions pas aggraver la situation ; nous essayions de faire quelque chose en Hongrie pour éviter que d’autres services ne prennent la question en mains et ne créent au ministère des difficultés politiques à l’étranger.
Vous saviez à cette époque-là que beaucoup de Juifs étaient déportés. C’est bien ce qui résulte de vos explications ?
Un moment, je vous prie. En avez-vous terminé avec ce document ?
Je continuais d’en parler d’une façon plus générale.
Mais vous en avez terminé, dites-vous ?
Oui.
Accusé, le Tribunal voudrait savoir si vous avez dit au régent Horthy que les Juifs devaient être envoyés dans les camps de concentration.
Oui, cela correspond probablement à la réalité. Nous avions à ce moment reçu l’ordre de faire installer un camp de concentration dans les environs de Budapest pour que les Juifs y soient parqués et le Führer m’avait chargé bien avant, de trouver une solution à la question juive en Hongrie, qui devait comporter deux points :
1° Éloigner les Juifs des positions-clefs ;
2° Puisque les Juifs étaient si nombreux à Budapest, les parquer dans certaines parties de la ville.
Je comprends que vous insinuez que ce document n’est pas exact.
Oui, il n’est pas exact. Je voudrais dire, Monsieur le Président, que quand on lit ce document — je l’ai déjà lu plusieurs fois — on pourrait penser que je croyais possible ou désirable, l’extermination et l’assassinat des Juifs, ce qui est tout à fait faux. Ce qui a été dit ici et répété ne devrait être compris que dans le sens suivant : je désirais commencer à faire quelque chose en Hongrie pour résoudre la question juive, afin que d’autres services ne prennent pas en mains cette question, car le Führer m’en avait entretenu à plusieurs reprises et très sérieusement, me demandant que la question juive fût résolue sans tarder...
Oui, vous l’avez déjà dit. Ce que je voulais vous demander est ceci : insinuez-vous que Schmidt qui a établi ce mémorandum ait pu inventer les dernières phrases commençant par ces mots :
« Si les Juifs là-bas ne veulent pas travailler, ils doivent être fusillés ; s’ils ne peuvent pas travailler, ils doivent périr. Ils doivent être traités comme les bacilles de la tuberculose qui peuvent infecter un corps sain. Ce n’est pas cruel si l’on pense que des créatures innocentes de la nature, telles que des cerfs ou des daims doivent être tuées, bien qu’elles ne fassent aucun mal. Pourquoi les bêtes qui veulent nous apporter le bolchévisme seraient-elles plus épargnées ? Les nations qui ne se débarrassent pas elles-mêmes des Juifs périssent. Un des plus fameux exemples qu’on puisse donner est la chute d’un peuple qui fut si fier dans le passé, je veux dire les Perses qui, maintenant, mènent une existence pitoyable en tant qu’Arméniens. »
Pensez-vous que Schmidt ait inventé ces phrases ou les ait imaginées ?
Monsieur le Président, je voudrais dire que ces paroles du Führer m’ont beaucoup attristé et que je ne les ai pas comprises, mais peut-être faut-il entendre que le Führer estimait que les Juifs avaient amené la guerre et qu’ainsi, peu à peu, une haine fanatique s’était développée en lui.
Je me souviens qu’après cette entrevue j’ai dit à l’interprète Schmidt et à quelques-uns de ces Messieurs que c’était la première fois que le Führer s’était servi, au sujet du problème juif, d’expressions que je ne comprenais plus, je veux dire pour lesquelles je ne pouvais pas le suivre. Ces mots n’ont certainement pas été inventés par Schmidt car il arrivait au Führer de s’exprimer de la sorte à cette époque. C’est vrai.
Oui, Monsieur Faure.
Il résulte de ce document que vous pensiez qu’il y avait des camps de concentration en Hongrie et pourtant vous avez dit hier que vous ne saviez pas qu’il y en avait en Allemagne. C’est bien cela, n’est-ce pas ?
Je ne savais pas qu’il y avait des camps de concentration en Hongrie ; j’ai dit que le Führer m’avait ordonné de parler au Gouvernement hongrois afin que les Juifs soient concentrés dans certaines parties de la ville de Budapest. Au sujet de ma connaissance des camps de concentration d’Allemagne, vous m’avez déjà entendu hier.
Vous avez reconnu que vous étiez au courant de la politique de Hitler de déporter tous les Juifs et que, dans la mesure de votre compétence de ministre des Affaires étrangères, vous avez aidé à cette politique. Est-ce bien exact ?
Dans ce secteur également, j’ai exécuté les ordres du Führer comme son fidèle adjoint. J’ai toujours essayé de modérer son action ; bien des témoignages pourraient prouver ce que je dis. J’ai même, en 1943, envoyé un important rapport au Führer où je le priais de changer sa politique pour la question juive. Je pourrais également citer beaucoup d’autres exemples.
Si je comprends bien votre témoignage, vous étiez moralement opposé à ces persécutions des Juifs, mais vous avez aidé à les réaliser, c’est bien cela ?
J’ai déjà répété plusieurs fois depuis le début de mon interrogatoire que jamais je n’ai été antisémite dans ce sens-là, mais simplement un fidèle adepte d’Adolf Hitler.
En dehors de la question juive, vous vous êtes occupé d’arrestations de Français, n’est-ce pas ?
D’arrestations de Français ?
Oui, est-ce que vous vous êtes occupé de donner des ordres d’arrêter des Français ?
C’est possible, oui, c’est possible.
Pouvez-vous nous donner des précisions ?
Non, je ne trouve pas de détails à donner pour le moment ; je sais que des Français ont été arrêtés, mais dans quelle mesure nous l’avions demandé, je ne le sais plus. Je crois que c’était en 1944, peu avant l’invasion, que le Führer ordonna d’arrêter sur-le-champ un grand nombre de Français à la tête des mouvements de résistance et cela sur une très grande échelle. Je crois que nous en avons été avisés. Il est même possible que nos services aient contribué à l’exécution de cet ordre, je ne me souviens plus des détails. Il s’agissait de l’arrestation d’éléments qui, dans le cas d’une invasion, auraient déclenché le mouvement de résistance et seraient tombés sur les arriéres allemands ; je ne puis plus vous donner maintenant de détails.
Je désirerais que l’on vous présentât maintenant un document qui sera déposé sous le n° 1506. C’est un affidavit du Dr Knochen. Je vais vous lire quelques passages de ce document :
« A la fin de 1943, cela devait être en décembre, eut lieu au ministère des Affaires étrangères une conférence sur les mesures à prendre en France ; comme je me trouvais à Berlin, je fus aussi convoqué. A cette conférence participaient le ministre des Affaires étrangères von Ribbentrop, le secrétaire d’État Steengracht, l’ambassadeur Abetz, un autre membre du ministère des Affaires étrangères dont j’ai oublié le nom, le chef de la Sipo et du SD, Dr Kaltenbrunner, le chef supérieur des SS et de la Police en France, Oberg, et le représentant du Haut Commandement militaire, le colonel Kossmann, si j’ai bonne mémoire.
Le ministre déclara ce qui suit : « Le Führer s’attend à ce qu’en France, dorénavant, on fasse davantage attention ; les forces des adversaires ne doivent pas s’accroître ; tous les services allemands devront par conséquent faire leur devoir plus activement. »
Je passe le paragraphe suivant. Puis vient ce qui suit : « Il voit s’élever un danger en cas d’invasion, celui de ces Français des milieux dirigeants qui ne veulent pas collaborer avec l’Allemagne et travaillent clandestinement contre elle.
« Ces milieux pourraient présenter un danger à ce moment pour la troupe. Ces éléments dangereux doivent être recherchés dans les milieux économiques, dans les universités, dans certains milieux militaires et politiques et dans toutes les classes de la société qui s’y rattachent. Le Führer croit qu’il sera nécessaire de frapper un coup immédiat. Il pense que cela atteindrait facilement 2.000 personnes au moins, si ce n’est plus. A une époque où il s’agit de défendre l’Europe contre l’ennemi, il n’y a pas de raison de reculer devant des mesures préventives de cette sorte en France. Quant aux moyens pratiques de réalisation, l’ambassadeur Abetz s’occupera lui-même immédiatement de cette affaire et établira une liste en accord avec les services allemands pour tenir compte de toutes les exigences que la situation comporte. »
J’arrêterai ici ma lecture. Reconnaissez-vous l’exactitude de ce document ?
Oui. Je me rappelle cette conférence. Un ordre du Führer exigeait qu’on agisse immédiatement à cause de l’invasion menaçante et qu’on prenne des mesures immédiates afin d’éliminer les éléments dangereux qui auraient pu constituer une résistance sur les arrières des troupes allemandes. Je considère que c’était une mesure parfaitement compréhensible, que n’importe quel Gouvernement ayant à cœur la sécurité de ses troupes aurait prise. J’ai donc tenu cette conférence. Le Führer comptait sur un bien plus grand nombre d’arrestations, mais en fait et à ce que je crois, il y eut relativement peu de personnes arrêtées. D’ailleurs nous avons eu peu à voir avec ces arrestations ; c’est la police qui les a faites.
Mais il est parfaitement exact que cette conférence a eu lieu au moment indiqué et que nous avons décidé des mesures à prendre, à savoir l’arrestation d’éléments qui, dans le cas d’une invasion, seraient devenus dangereux. C’est parfaitement exact.
Je n’ai plus de questions à poser.
L’audience est suspendue.
Je tiens à dire deux choses. L’une concerne le Ministère Public et l’autre la Défense. Nous désirons que le Ministère Public fournisse les documents aux interprètes, lorsqu’il a l’intention de les utiliser au cours d’un interrogatoire ou d’un contre-interrogatoire. Ces documents ne doivent pas être nécessairement dans le langage utilisé par l’interprète, mais il doit y avoir un texte écrit quelconque afin que l’interprète ait plus de facilité pour sa traduction.
L’autre question est celle-ci : on m’informe que la Défense ne fournit pas les documents aux services de traduction, deux semaines à l’avance, ainsi que cela avait été spécifié par le Tribunal ; il est vrai que le Tribunal avait dit que ces documents devaient être fournis à lui-même ou à la section de traduction, deux semaines à l’avance, si possible, mais ces mots « si possible » sont traités un peu trop légèrement et les documents, me dit-on, sont fournis parfois 48 heures seulement avant que l’exposé concernant l’accusé intéressé soit fait devant le Tribunal. Ceci ne doit pas continuer. C’est tout.
Plaise au Tribunal. Au cours du contre-interrogatoire de cet accusé par le Ministère Public français, on a mentionné le document PS-3766 et je crois que le Dr Horn a dit que ce document n’était pas un document saisi. C’est tout au moins ce que j’ai compris, mais toutefois je ne suis pas absolument sûr qu’il se soit exprimé ainsi devant le microphone. En tout cas, pour que tout soit clair, je désire informer le Tribunal que c’est un document saisi et je ne sais pas sur quelle base le Dr Horn a pu appuyer son assertion.
Docteur Horn ?
Monsieur le Président, on a prétendu tout à l’heure qu’il s’agissait d’un document saisi ; je n’ai pas eu le loisir de le vérifier au préalable. En haut du document figure le numéro de dépôt USA et la référence PS-3766. Je n’ai pas eu la possibilité d’en vérifier l’origine et c’est pourquoi j’ai demandé que le Ministère Public français veuille bien l’établir. Cela a été ma seule objection. Je n’ai pas soutenu que le document ne fut pas saisi, j’étais simplement hors d’état de le prouver.
Est-ce qu’un membre d’un autre Ministère Public désire poser des questions à l’accusé ?
Colonel Amen, le Tribunal espère que vous n’allez pas revenir sur des questions déjà traitées ?
Très certainement non, Monsieur le Président. (A l’accusé.) Vous parlez très bien anglais, Ribbentrop ?
Je le parlais bien autrefois et maintenant je le parle encore passablement.
Presque aussi bien que vous parlez allemand ?
Non, pas exactement ; autrefois, je parlais presque aussi bien anglais qu’allemand, mais il est vrai que j’ai beaucoup oublié au cours de ces années et maintenant ce me serait plus difficile.
Savez-vous ce que c’est qu’un « yes man » ?
Oui, je sais ce que c’est qu’un « yes man ». C’est un homme qui dit oui à propos de tout ; il m’est évidemment difficile d’en donner une définition car je ne sais pas ce qu’on entend par ce mot en anglais. En allemand, je dirai que c’est un homme qui obéit à des ordres et qui est obéissant et fidèle.
En fait, vous étiez un « yes man » par rapport à Hitler ?
J’ai toujours été fidèle à Hitler, j’ai exécuté ses ordres, j’ai souvent émis des opinions contraires aux siennes, j’ai eu des divergences de pensée très graves avec lui ; à plusieurs reprises, je lui ai proposé ma démission. Mais lorsque Hitler ordonnait, j’exécutais toujours ses ordres, conformément aux principes de notre État autoritaire.
Je vous ai fréquemment interrogé avant ce Procès, n’est-ce pas ?
Oui, j’ai été interrogé une ou deux fois je crois.
Je vais vous lire certaines parties du questionnaire que vous avez subi et je vous demanderai simplement de dire au Tribunal si, oui ou non, vous avez bien fait les réponses que je veux vous lire. Ma question ne peut avoir pour réponse que oui ou non ; comprenez-vous ?
Oui.
« J’ai été un homme loyal avec le Führer et cela jusqu’au dernier jour ; je ne lui ai jamais fait faux-bond et, cependant, je n’ai pas toujours été d’accord avec lui. Tout au contraire, j’avais parfois des opinions très différentes des siennes, je le reconnais, mais je lui avais promis, en 1941, que je garderais ma foi en lui et je lui ai donné ma parole d’honneur que je ne lui créerais aucune difficulté. » Est-ce exact ?
C’est exact. Oui je me souviens ; il est vrai que je n’ai pas vu le document, que je ne l’ai pas signé, mais j’ai dit cela.
Que voulez-vous dire par ces mots : « Je ne voulais pas lui créer de difficultés » ?
Je voyais en Adolf Hitler le symbole de l’Allemagne et le seul homme qui fût capable de gagner cette guerre pour l’Allemagne. Et c’est pour cela que je ne voulais pas lui créer de difficultés et pour cela que je lui suis resté fidèle jusqu’à la fin.
Vous vouliez dire que vous ne le contrarieriez jamais et vous le lui aviez promis en 1941, n’est-ce pas ?
J’ai dit que je ne lui ferais pas de difficultés, oui, je l’ai dit. Il trouvait souvent que j’étais un subordonné de caractère un peu difficile et c’est pourquoi je lui ai dit que je ne lui créerais pas de difficultés.
En 1941, vous lui avez dit que, d’accord avec lui ou non, à l’avenir, vous n’insisteriez jamais pour maintenir votre point de vue, n’est-ce pas ? (Pas de réponse.)
Oui ou non ?
Je ne me suis pas exprimé exactement de cette façon, mais...
Mais c’est approximativement cela.
Non, on ne peut pas le dire ainsi. J’ai dit, si je dois l’expliquer ainsi, que je ne lui ferais pas de difficultés ; s’il s’élevait des divergences sérieuses d’opinions, je retirerais alors mes propositions. C’est cela que je voulais dire.
Vous lui avez donné votre parole d’honneur sur ce point, est-ce exact ?
Oui, c’est exact.
Et, à cette époque, vous aviez parlé de démissionner. Est-ce exact ?
Oui.
Et le Führer s’était mis en colère et était tombé malade. Est-ce exact ?
Oui, enfin pas malade à proprement parler, mais il s’est beaucoup énervé. Je n’aime pas beaucoup parler de ces détails.
En tout cas, il vous a dit que cela le rendait malade et il vous a demandé de cesser toute discussion et de faire ce qu’il vous disait, n’est-ce pas ?
J’aimerais ne pas être obligé d’énoncer les raisons personnelles de cette affaire. Je ne crois d’ailleurs pas que ces choses soient d’un grand intérêt ici. C’est une question de rapports personnels entre le Führer et moi.
Je ne m’intéresse pas aux questions personnelles, je désire simplement vérifier vos dires et savoir si vous avez, à cette occasion, juré à Hitler que vous ne formuleriez jamais une opinion différente de la sienne sur un de ses projets ?
Non, non, c’est absolument inexact, c’est une fausse interprétation. J’ai dit au Führer que je ne lui créerais pas de difficultés. Après 1941, j’ai eu bien des divergences avec lui et j’ai toujours exprimé mon opinion devant lui.
Ribbentrop, quelles que soient les divergences que vous ayez eues, vous n’avez jamais réussi à réaliser votre propre point de vue après 1941. Oui où non ?
Je n’ai pas compris votre question et je vous prie de la répéter.
J’ai dit : quelles que soient les divergences de vues ou quelles que soient les opinions que vous ayez exprimées au Führer sur une question quelconque après 1941, vos objections n’ont jamais été prises en considération. Est-ce exact ? Vous avez toujours, en définitive, fait ce que le Führer vous disait de faire qu’elles qu’aient été vos propositions ?
Vous me posez deux questions en même temps. Je réponds à la première : il n’est pas exact de dire que le Führer n’ait jamais accepté une proposition venant de moi. Pour la deuxième question, je dirais que lorsque Hitler exprimait une opinion devant moi et que cette opinion était suivie d’un ordre, j’exécutais cet ordre parce que chez nous c’était ainsi.
En d’autres termes, vous avez toujours dit oui en définitive ; est-ce exact ?
J’ai exécuté ses ordres, oui.
Je vais vous lire d’autres extraits de votre déposition : « Le Führer me considérait comme son collaborateur le plus dévoué. Une conversation très sérieuse eut lieu entre nous, et quand je désirai me retirer, je lui promis — et j’ai tenu ma parole jusqu’à la dernière minute — que je ne lui créerais pas de difficultés et que je ne l’abandonnerais pas. Je puis vous assurer qu’il m’a été souvent difficile de tenir cette promesse et aujourd’hui je regrette de l’avoir donnée. Peut-être eût-il mieux valu que je n’aie pas fait cette promesse, car elle m’obligea alors, dans des moments très graves et très importants de la guerre, à ne pas parler à Hitler comme j’aurais aimé le faire et comme peut-être j’aurais pu encore lui parler après cette conversation.
« Je dois vous expliquer tout cela car si vous ne connaissiez pas le fond des choses vous pourriez penser peut-être que ministre des Affaires étrangères pendant ces dernières années je pourrais en dire davantage à ce sujet. Peut-être pourrais-je donner plus d’informations sur ce sujet, mais je veux être et demeurer loyal envers cet homme, même après sa mort, autant qu’il m’est possible de le faire. Je me réserve’ toutefois le droit de prouver à la postérité que j’ai tenu ma promesse et je me réserve également le droit de montrer le rôle que j’ai joué dans l’ensemble de ce drame. »
Avez-vous, oui ou non, prononcé ces paroles sous serment devant moi ?
Elles ont...
Oui ou non ?
Nous nous trouvons, encore une fois, en face de deux questions. A la question n° 1, je répondrai que je ne me souviens pas ; à la seconde question je répondrai non. Je n’ai certainement pas déposé sous serment ce que vous venez de lire. J’ai seulement déposé sous serment deux fois, mais ceci ne correspond pas. Cette déclaration n’est pas littérale et ne doit pas avoir été bien traduite d’après le texte que je viens d’entendre. Il est exact que j’ai dit que j’étais loyal envers le Führer et que j’ai dit ensuite que j’avais des divergences de vues avec lui, que je n’étais pas toujours de son avis. C’est l’esprit même de ma déposition.
Je vous pose seulement une question et je vous demande de nouveau de répondre par oui ou par non. Avez-vous fait ou n’avez-vous pas fait cette déclaration, avec les mots exacts que je viens de lire devant vous ?
Je pense, colonel Amen, qu’il a réellement répondu, puisqu’il a dit que ce n’était pas « littéral ».
Mais c’est littéral ?
C’est une affaire d’opinions, mais il a dit que ce n’était pas littéral.
Bon. Très bien, Monsieur le Président. (A l’accusé.) En tout cas, vous pouvez dire que vous avez déclaré en substance ce que je viens de vous lire, n’est-ce pas ?
C’est justement ce que je vous ai déjà dit.
En fait, Ribbentrop, vous avez témoigné et donné ce témoignage en anglais, est-ce vrai ?
J’ai parlé anglais plusieurs fois aux interrogatoires, mais pour cet interrogatoire en particulier je ne peux pas dire s’il a eu lieu en anglais. En tout cas, je le répète, ces déclarations doivent, être, sur les deux points, entendues de cette façon. Tel était leur sens.
Quand vous avez fait cette déposition en anglais, c’était sur votre demande, n’est-ce pas ?
Non, ce n’est pas exact.
Alors sur la demande de qui ?
Je ne sais pas. Je crois que cela s’est trouvé ainsi, mais je ne peux me souvenir. Je crois que j’ai parlé anglais la plupart du temps et allemand quelquefois seulement.
Maintenant, je vais vous lire encore un peu de votre témoignage et vous poserai la même question à laquelle j’espère que vous répondrez par oui ou par non, à savoir : avez-vous fait ce témoignage au cours de l’interrogatoire :
« Question
Croyez-vous que vous ayez l’obligation devant le peuple allemand de rétablir les faits historiques, non seulement dans les bonnes choses mais aussi dans les mauvaises, en vue de son éducation future ?
« Réponse
C’est une question à laquelle il est très difficile de répondre.
« Question
Est-ce donc trahir la loyauté que vous avez promise au Führer ?
« Réponse
Je ne veux pas paraître devant le peuple allemand comme un homme déloyal envers le Führer. » Avez-vous fait cette déposition ?
Oui, c’est tout à fait possible, mais je ne m’en souviens plus pour le moment. Nous avons dit tant de choses au cours de ces derniers mois et ma santé n’était pas très bonne ; vous savez aussi que je ne puis me rappeler chaque mot que j’ai dit.
Très bien. Maintenant voyons si vous pouvez vous souvenir de ce qui suit :
« J’ai toujours dit ouvertement au Führer mon opinion s’il désirait l’entendre, et avant toute décision j’ai toujours fait mes réserves ; mais quand le Führer avait décidé, en accord avec mon attitude envers lui, j’ai exécuté aveuglément ses ordres et j’ai toujours agi dans le sens de sa décision. Sur quelques points décisifs de politique étrangère, j’ai essayé de donner mon opinion, avec plus d’insistance. Ce fut le cas dans la crise polonaise et aussi dans la question russe, parce que je considérais cela comme très important et comme nécessaire ; mais après 1941, mon opinion avait peu de poids et il était devenu très difficile de présenter au Führer une opinion différente de la sienne. »
Vous souvenez-vous d’avoir fait cette déposition, oui ou non, s’il vous plaît ?
C’est à peu près exact, oui et je m’en souviens.
Colonel Amen, le Tribunal a déjà entendu un très long contre-interrogatoire de l’accusé et il pense que ceci n’y ajoute pas grand-chose. L’accusé a donné déjà des témoignages analogues.
Très bien, Monsieur le Président, je vais passer à un autre sujet. (Au témoin.) Vous avez déclaré qu’il y avait une démarcation très nette entre le domaine politique et le domaine militaire, est-ce exact ?
Entre ?... Je n’ai pas très bien compris la dernière partie de votre question.
Vous avez témoigné qu’il y avait toujours une démarcation très nette entre les éléments politiques et les éléments militaires ?
Oui, le Führer maintenait toujours une grande séparation entre ces deux éléments.
Et que les informations concernant les militaires étaient exclusivement communiquées aux militaires et ne passaient pas par vos bureaux ; est-ce exact ?
J’entendais très peu parler de plans et affaires militaires, c’est exact.
Et le contraire était également vrai : les informations que vous obteniez n’étaient pas davantage communiquées aux militaires ; est-ce exact ?
Je ne suis guère en position de juger sur ce point, mais je suis tenté de le croire, bien que je ne sache pas quelles informations les militaires recevaient du Führer.
Bien, vous nous avez dit que le plan tout entier du Führer était de tenir ses services militaires et politiques séparés les uns des autres. Est-ce exact ?
Oui, dans l’ensemble en effet, il y a eu séparation très nette, c’est exact, et j’ai déclaré cela à plusieurs reprises ; c’est la raison pour laquelle je n’ai eu connaissance d’un certain nombre de documents de caractère militaire qu’ici même. Ceci résulte d’un décret du Führer demandant que l’on tienne secrètes les questions importantes et que chaque service ne soit informé que de ce qui était absolument indispensable à son fonctionnement.
En fait, ce n’était pas vrai du tout, n’est-ce pas Ribbentrop ?
J’ai déjà donné ma réponse.
En fait, vous aviez des agents secrets qui travaillaient dans les pays étrangers à la fois pour vos services, pour l’Armée et pour la Marine, n’est-ce pas exact ?
Non, ce n’est pas exact.
Êtes-vous sûr de cela ?
J’en suis certain.
Vous le jurez ?
Vous parlez d’agents qui faisaient quoi et pour qui ?
Qui étaient chargés de se procurer des renseignements à la fois pour vos services, pour l’Armée et pour la Marine conjointement ?
Cela me paraît tout à fait invraisemblable. Il est possible qu’à un moment donné un homme ait travaillé pour différents services, mais c’était certainement en dehors des règles d’organisation. En ce qui nous concerne, nous avions un service d’informations à l’étranger très réduit et les services d’informations des autres départements du Reich travaillaient, autant que je le sache, tout à fait en dehors des nôtres. Il est possible qu’ici ou là un agent ait travaillé pour différents services. C’est concevable ; c’est ainsi que par exemple dans nos légations, comme c’était l’usage dans les légations anglaises, américaines, russes ou autres, nous voyions des membres du personnel travaillant à procurer des renseignements pour l’un ou l’autre de nos services.
Vous voulez modifier la réponse que vous avez donnée il y a un instant ; est-ce exact ?
Non, pas du tout. C’était un principe fondamental pour moi de ne jamais présenter entre eux aucun des agents secrets qui travaillaient simultanément pour plusieurs services à l’étranger. On peut imaginer cependant que les Affaires étrangères qui traitaient de ces questions aient envoyé des agents travaillant également pour d’autres services, le contre-espionnage et le SD. C’était d’ailleurs une assez insignifiante affaire. Aujourd’hui je dis malheureusement. Plus tard nous avons même...
Je voudrais encore ajouter ceci : j’avais des divergences d’opinions très accusées avec Himmler au sujet du service de renseignements à l’étranger et ce fut seulement grâce aux bons offices de l’accusé Kaltenbrunner que j’obtins une entente à la suite de laquelle on devait mettre à ma disposition certains renseignements. Mais cette entente n’a plus eu d’effet plus tard. Je crois que si elle ne fut pas effective, c’est qu’il était trop tard ; c’était en 1944.
Voulez-vous regarder le document PS-3817 s’il vous plaît ? Voulez-vous tout d’abord dire au Tribunal qui était Albrecht Haushofer s’il vous plaît ?
Albrecht Haushofer était autrefois un de mes collaborateurs. C’était un homme qui s’occupait des minorités allemandes. Permettez-moi de lire la lettre d’abord. C’est une lettre de Haushofer ? Elle n’est pas signée.
Oui. Avez-vous fini cette lecture ?
Non, pas tout à fait. Dois-je lire simplement la première lettre ou toutes les lettres ?
Je parlerai des autres lettres dans un moment. J’essaye d’être aussi bref que possible. Est-ce que cette lettre rafraîchit vos souvenirs sur le fait que Haushofer s’occupait en Orient de diverses questions et vous envoyait des rapports dès 1937 ?
En ce moment, je ne me souviens pas que Haushofer fût allé à Tokio, mais c’est possible ; on peut l’imaginer.
Mais la lettre vous est adressée et elle contient un rapport, n’est-ce pas ?
Est-ce qu’il n’y a pas un malentendu ? N’est-ce pas une lettre du comte Duerkheim ? Naturellement, si vous me dites que c’est une lettre de Haushofer, on peut imaginer qu’il était à Tokio, c’est possible. Je ne me souviens pas de ces détails pour le moment. A ce moment, j’ai envoyé le comte Duerkheim à Tokio, mais il est possible que Haushofer y soit allé également. Pour être franc, je dois vous dire que j’ai, pour l’instant, tout oublié.
Monsieur le Président, cette lettre ne porte pas de date complète ni de signature, mais j’entends que le colonel Amen vient de dire que cette lettre était de 1937. Or, en 1937, Ribbentrop n’était pas encore ministre des Affaires étrangères, il ne l’est devenu que le 4 février 1938.
Elle porte une date dessus : 3 octobre et elle a été saisie avec les papiers de Haushofer.
Cela me paraît tout à fait vraisemblable ; il est parfaitement possible qu’il s’agisse là d’une lettre de Haushofer mais, comme je l’ai dit, je ne me rappelle pas sa visite à Tokio en 1937.
Maintenant...
C’est un collaborateur des premières années, mais ensuite il s’est tourné vers les questions des minorités allemandes, si bien que je l’ai perdu de vue dans les derniers temps.
J’ai terminé avec ce document. Vous trouverez le suivant, daté du 15 avril 1937, demandant le remboursement des fonds pour ce voyage.
Oui.
Et, ensuite, le document suivant, une lettre adressée à l’adjoint du Führer, Hess, disant : « J’utilise le courrier pour vous envoyer aussi personnellement un bref rapport également adressé à Ribbentrop. Il contient, aussi résumé que possible, un sommaire de ce que j’ai pu observer et entendre ici dans l’espace de quatre semaines ». Est-ce exact ?
Oui, je vois la lettre, c’est cela.
Et, ensuite, prenez la lettre suivante du 1er septembre 1937, elle vous est adressée ?
Oui.
Elle contient un rapport qui porte sur les quatre premières semaines ?
Oui, cette lettre est devant moi.
Et nous en venons maintenant à une lettre datée du 17 décembre 1937.
Colonel Amen, le Tribunal pense que ceci nous amène très loin des questions que nous avons à considérer.
Mais il me semble, Monsieur le Président, que cela indique très clairement que le même rapport était adressé simultanément à Ribbentrop, à l’Armée et à la Marine.
Oui, c’est exact ; mais ce que le témoin dit, c’est qu’ils n’avaient pas d’agents communs. Ensuite, il a légèrement modifié sa réponse, peut-être qu’à un moment donné ils ont eu des agents communs ; il n’a pas nié le fait.
C’est exact, si vous dites qu’il a avoué ce fait, c’est entendu.
Je voudrais déposer ce document comme document USA-790.
Permettez-moi de dire qu’il ne s’agit pas ici d’un agent. M. Haushofer était un collaborateur libre dans nos services, qui s’intéressait aux questions de politique en général et aux questions des minorités allemandes en particulier. Qu’il ait été à Tokio à ce moment-là, c’est très probable, je l’avais oublié. Je lui ai dit de s’entretenir avec un certain nombre de personnalités de là-bas et de me faire des rapports. Apparemment, — je vois cela par cette lettre — soit parce qu’il était occupé, soit pour quelque autre raison qui m’est inconnue ou parce qu’il connaissait ces messieurs, il avait mis ces rapports à leur disposition de sa propre initiative ; mais il ne s’agissait nullement d’un agent chargé de ces fonctions par différents services. Je pense que la personne qui le connaissait le mieux était Rudolf Hess, autrement je crois qu’il ne connaissait personne. Je crains de ne pas vous donner une idée exacte de ce qu’il était, c’est-à-dire un simple touriste qui rapporte ses impressions.
Maintenant, je crois que vous avez dit au Tribunal que vous n’étiez pas étroitement lié avec Himmler, n’est-ce pas ?
J’ai toujours dit que mes relations furent bonnes avec Himmler pendant les premières années, mais j’ai le regret d’ajouter que, par la suite, je n’étais plus en bons termes avec lui. On ne voyait pas très bien cela de l’extérieur. Je ne voudrais plus en parler maintenant. On a déjà dit toutes sortes de choses à ce sujet. Il y a eu des divergences très sérieuses et très violentes entre nous, dues à bien des raisons...
Je ne me soucie pas de ce qu’étaient ces divergences. En quelle année avez-vous été en relations étroites avec lui ?
Je n’ai pas compris votre question.
En quelle année étiez-vous en relations étroites avec lui ?
La première divergence entre Himmler et moi est survenue je crois en 1941 au sujet de la Roumanie et des difficultés de Roumanie. Ces divergences furent aplanies et naturellement, pour le monde extérieur, nous dûmes travailler ensemble comme auparavant. Nous nous écrivions souvent des lettres à l’occasion de nos anniversaires ou en d’autres occasions. Mais, depuis, nos relations n’étaient plus très bonnes. La rupture finale se produisit en 1941. Antérieurement, nos relations étaient bonnes et je partageais son avis sur la création d’un groupe de chefs à laquelle il aspirait.
Et vous avez eu au moins cinquante réunions amicales avec Himmler en 1940 et 1941 ?
Combien dites-vous ?
Cinquante.
Cinquante ! Non, certainement pas. Je ne saurais dire exactement combien. Mais, après 1941, les choses sont devenues plus difficiles avec Himmler. Je crois que d’autres personnes ont déjà parlé de cette question.
Je ne veux pas prendre davantage de temps, sauf...
Traitez-vous des réunions mondaines de Ribbentrop ou de quelque chose d’autre ?
Oui.
Est-ce là une question que le Tribunal doit examiner ?
Il me semble qu’une personne qui a des rendez-vous aussi nombreux que ceux qu’indique ce livre a certainement pu discuter avec Himmler la question des camps de concentration et toutes les questions dont s’occupait Himmler. Cet accusé a dit au Tribunal qu’il n’a jamais entendu parler des camps de concentration. Himmler ne lui en a jamais rien dit !
Je répète encore cette déclaration, à savoir que jamais Himmler ne m’a parlé de ces questions ; en ce qui concerne nos cinquante réunions, je ne sais pas ; malgré tout, même si nous nous sommes fréquemment rencontres, je ne puis me souvenir de cinquante réunions. Peut-être cinq ou dix ; je ne sais pas. Je ne crois pas que ce soit d’une importance vitale, car ce n’est pas un facteur décisif.
Il est évident que nous devions collaborer dans bien des domaines et, le plus souvent, c’était une collaboration très difficile.
En tout cas, vous avez eu avec lui de nombreuses entrevues au sujet de vos fonctions, n’est-ce pas ? Veuillez donc regarder cette feuille qui provient du livre de rendez-vous de Himmler et dites-moi si ses indications sont conformes à vos...
Colonel Amen, le Tribunal ne désire pas que cette question soit examinée plus en détail.
Très bien, Monsieur le Président. Mais ceux-ci sont des rendez-vous d’affaires, ce ne sont pas des rendez-vous privés. Je n’ai pas d’autres questions à poser.
Accusé Ribbentrop, au cours de la dernière audience du Tribunal, vous avez exposé très largement les bases de la politique étrangère de l’Allemagne. Je vais vous poser quelques questions générales, je voudrais que vous donniez des réponses brèves, sous forme de oui ou de non.
Pensez-vous que l’Anschluss était une agression de la part de l’Allemagne ? Veuillez répondre.
L’Autriche ?
Oui, l’Autriche.
Non, ce n’était pas une agression. Il s’agissait de l’accomplissement d’un dessein.
Je vous demande...
Après avoir dit oui, puis-je ajouter quelques explications, ou bien voulez-vous simplement oui ou non ?
Je vous demande de répondre à mes questions. Vous vous êtes déjà étendu beaucoup trop sur ces questions et je voudrais que vous résumiez vos réponses avec précision en répondant oui ou non.
Cela dépend aussi de mon état de santé, aussi je vous prie d’excuser ma façon de répondre.
Je comprends.
Je considère que l’Anschluss n’est pas une agression. Je réponds donc non, je considère que l’Anschluss est la réalisation de la volonté de deux peuples qui voulaient s’unir et, d’ailleurs, ce désir était déjà connu et le Gouvernement, avant Adolf Hitler, s’était déjà efforcé d’atteindre ce but.
Je vous demande encore une fois de me répondre par oui ou non. Vous pensez que l’Anschluss avec l’Autriche n’était pas une agression allemande ?
Général Rudenko, il vous a donné une réponse catégorique à cette question : « Que ce n’était pas une agression ».
Oui, je comprends, Monsieur le Président.
Et nous avons déjà décidé que les témoins ne doivent pas être limités à une réponse oui, ou non ; ils doivent tout d’abord répondre oui, ou non, et ensuite donner une brève explication, s’ils désirent le faire mais, en tout cas, en ce qui concerne cette question, il vous a répondu catégoriquement.
Pensez-vous que l’invasion de la Tchécoslovaquie soit une agression de la part de l’Allemagne ?
Non, ce n’était pas une agression dans le sens réel du mot, mais une union en accord avec le droit de libre disposition des peuples, qui avait été proclamé en 1919 par le président des États-Unis, Wilson, et l’annexion des Sudètes a été sanctionnée par un accord à Munich, signé par quatre grandes puissances.
Vous n’avez pas compris ma question. Je vous ai demandé si l’invasion de la Tchécoslovaquie, de toute la Tchécoslovaquie, est considérée par vous comme un acte d’agression de la part de l’Allemagne ?
Non, ce n’était pas une agression allemande, dans le sens où vous l’entendez, mais, comme le Führer l’a dit — et je crois qu’il avait raison — une nécessité résultant de la situation géographique de l’Allemagne. Cette situation avait pour effet que le reste de la Tchécoslovaquie, ce qui restait encore de la Tchécoslovaquie, pouvait représenter une base pour des attaques contre l’Allemagne. C’est pour cela que le Führer croyait qu’il était nécessaire d’occuper ces territoires de Bohême et de Moravie, afin de protéger le Reich allemand contre des attaques, en particulier contre des attaques aériennes. La distance Prague-Berlin, par avion, est d’une demi-heure. A ce moment-là, le Führer m’a dit qu’en raison du fait que les États-Unis considéraient l’hémisphère occidental comme une sphère d’intérêts pour l’Amérique et que, d’autre part, en raison du fait que la Russie était un État très puissant, disposant d’immenses territoires et qu’enfin l’Angleterre dominait le monde, l’Allemagne pouvait bien considérer comme justifié qu’un si petit territoire fasse partie de sa propre sphère d’intérêts.
Considérez-vous que l’attaque de la Pologne fut une agression de la part de l’Allemagne ?
Non, je surs encore obligé de répondre non. L’attaque de la Pologne était devenue inévitable par suite de l’attitude des autres puissances. Il eût été possible de trouver une solution pacifique, en tenant compte des réclamations allemandes. Je crois que le Führer eût accepté cette solution pacifique si les autres puissances s’étaient dirigées dans cette voie, mais la situation était devenue peu à peu si tendue que l’Allemagne ne pouvait plus accepter un tel état de fait et que l’Allemagne, grande puissance, ne pouvait plus tolérer les provocations polonaises. C’est ainsi que cette guerre est née, mais je suis convaincu que le Führer n’avait pas eu primitivement l’intention de conquérir la Pologne.
Considérez-vous que l’attaque du Danemark soit une agression de la part de l’Allemagne ?
Non, l’attaque du Danemark, c’est-à-dire ce que nous appelons, nous, l’intervention au Danemark, fut, suivant les explications et les propres mots du Führer, une simple mesure préventive prise contre le débarquement imminent de troupes britanniques. Les informations que nous avons reçues à ce sujet étaient certainement vraies puisqu’elles ont été prouvées par le fait que, quelques jours plus tard, il y eut des combats entre les troupes allemandes et britanniques en Norvège, ce qui démontre que ces troupes avaient été préparées de longue date pour se battre en Norvège, et il résulte également des documents saisis, qui ont été publiés, que le débarquement britannique, dans la péninsule Scandinave, avait été préparé dans ses moindres détails. C’est pourquoi le Führer pensait, en prenant cette mesure, qu’il pourrait éviter aux pays Scandinaves de devenir un théâtre d’opérations. C’est pour cela que je crois qu’on ne peut considérer l’invasion du Danemark comme une agression.
Et l’invasion de la Norvège, vous ne la considérez pas non plus comme une agression ?
Je viens de parler de la Norvège, Il s’agissait de la Norvège et du Danemark. C’était une opération combinée.
Avec le Danemark ? Bon, je comprends, c’était une opération combinée. Considérez-vous que l’attaque de la Belgique, de la Hollande et du Luxembourg soient des agressions de la part de l’Allemagne ?
C’est là la même question. Il faut que je dise encore non. Mais permettez-moi de donner une explication.
Je vous demanderai des explications un peu plus tard, car vous vous étendez trop. La question de base est la suivante : niez-vous que ces attaques soient des actes d’agression de la part de l’Allemagne ?
Monsieur le représentant du Ministère Public soviétique comprendra qu’il s’agit ici de choses très importantes et qu’il est très difficile d’y répondre par une seule phrase. Je ferai tout mon possible pour être bref.
Je comprends bien que vous répondez à des questions de cette nature depuis trois jours déjà.
Je serai très bref. La campagne de Pologne avait prouvé combien les considérations militaires s’avéraient des facteurs décisifs Le Führer ne souhaitait pas que la guerre s’étendît. En ce qui concerne la Belgique, la Hollande et la France, c’était la France qui nous avait déclaré la guerre et non pas nous qui avions déclaré la guerre à la France et, pour cela, nous devions nous attendre à une attaque à tout moment.
Le Führer me dit, à ce moment-là, que nous pouvions nous attendre à une attaque contre la Ruhr et les documents que nous avons trouvés plus tard nous ont montré sans l’ombre d’un doute, et au monde également, que cette information était parfaitement exacte. C’est pour cette raison que le Führer avait décidé, là aussi, de prendre des mesures préventives et de ne pas attendre une attaque contre le centre nerveux de l’Allemagne. Il attaqua le premier et le plan horaire des opérations de l’État-Major allemand entra en vigueur.
Considérez-vous que l’attaque de la Grèce fut une agression de la part de l’Allemagne ?
L’attaque contre la Grèce et la Yougoslavie a déjà été traitée ici. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire que je donne encore des détails à ce sujet.
Je ne pense pas non plus qu’il soit nécessaire que vous nous donniez une réponse détaillée. Je vous demande si vous considérez l’attaque contre la Grèce comme une agression de la part de l’Allemagne ? Répondez oui ou non.
Non. Je considère que les mesures prises en Yougoslavie et en Grèce, qui cédaient notamment des bases aériennes aux ennemis de l’Allemagne, justifiaient l’intervention d’Adolf Hitler et que par conséquent, ici encore, on ne peut pas parler d’agression. Il était parfaitement clair qu’en Grèce, le débarquement britannique était imminent, puisque les Anglais avaient déjà débarqué en Crète et dans le Péloponèse et que le soulèvement en Yougoslavie, effectué comme je l’ai indiqué hier en accord avec nos ennemis, avait été encouragé dans l’intention de déclencher une attaque de ce pays contre l’Allemagne.
Les dossiers de l’État-Major général français, que nous avons trouvés plus tard en France, ont montré très clairement qu’il y avait un plan de débarquement à Salonique.
Accusé Ribbentrop, vous avez déjà fait un exposé très étendu là-dessus. Ne pensez-vous pas que vous pourriez donner des réponses plus brèves ?
Voulez-vous répondre par oui ou non à ma dernière question concernant ces agressions : considérez-vous l’attaque contre l’URSS comme une agression de la part de l’Allemagne ?
Dans le sens littéral du terme, on ne peut pas dire que ce fut là une agression, mais...
Excusez-moi, accusé Ribbentrop. Vous avez dit que littéralement ce n’était pas une agression. Et dans quel sens était-ce une agression ?
Puis-je donner quelques mots d’explication ? Je dois pouvoir dire quelque chose.
Vous...
Il faut lui laisser le temps de répondre.
Je crois que le terme d’agression est un terme très difficile à définir. Il s’agit certainement d’une intervention à titre préventif, c’est cela qui est certain. Nous avons attaqué, cela est incontestable ; j’avais espéré que nous pourrions arriver à un règlement diplomatique avec l’Union Soviétique et j’ai fait tous mes efforts dans ce sens. Les informations que nous avions et tous les actes politiques de l’Union Soviétique pendant les années 1940 et 1941 jusqu’au début de la guerre, ont persuadé le Führer, il me l’a dit à plusieurs reprises, que tôt ou tard ces tenailles est-ouest seraient certainement mises en action contre l’Allemagne, c’est-à-dire que la Russie déploierait son immense potentiel de guerre à l’Est, et qu’à l’Ouest, le débarquement anglo-américain se préparait. C’était là le grand souci du Führer.
Le Führer me disait encore qu’il avait des informations selon lesquelles existait une collaboration étroite entre les États-Majors de Londres et de Moscou. Personnellement, je n’ai pas reçu d’informations dans ce sens, mais les rapports ou les informations que le Führer m’a présentés à ce sujet étaient extrêmement probants. En tout cas, il craignait que cette situation politique ne devienne un jour si grave qu’elle accule l’Allemagne à une catastrophe. Il voulait éviter l’effondrement de l’Allemagne et la rupture de l’équilibre des forces en Europe.
Dans vos dépositions, vous avez déclaré plus d’une fois que, pour la poursuite de buts pacifiques, vous considériez comme essentiel de résoudre nombre de problèmes décisifs par la voie diplomatique. Ces dépositions sont manifestement d’une hypocrisie insigne, puisque vous considérez que tous les actes d’agression de l’Allemagne étaient justifiés.
Non, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. J’ai seulement dit qu’il ne s’agissait pas d’une agression, en expliquant comment cette guerre était née et comment elle s’était développée. J’ai également expliqué comment j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour éviter la guerre pendant la crise polonaise. Par delà l’enceinte de ce Tribunal, l’Histoire prouvera la vérité de ce que j’avance et montrera que j’ai essayé de localiser la guerre et de l’empêcher de s’étendre. Cela aussi est vrai. En conclusion, je dis donc que le déchaînement de la guerre a été provoqué par des circonstances qui, à la fin, n’étaient plus entre les mains de Hitler. Il ne pouvait plus agir autrement qu’il ne l’a fait, et lorsque la guerre s’est étendue, toutes ses décisions furent principalement dictées par des considérations d’ordre militaire ; il n’a agi que dans l’intérêt suprême de son peuple.
Oui, c’est clair. Je vous demande maintenant de répondre aux questions suivantes : Je crois que vous avez présenté au Tribunal un document n° 311, écrit par vous-même et contenant une appréciation de Hitler intitulée « Personnalité du Führer ». Vous avez écrit ce document il n’y a pas bien longtemps. Je ne veux pas vous le présenter car vous vous en souvenez certainement.
Non, je ne sais plus très bien de quoi il s’agit. Puis-je le voir ?
C’est un document présenté par vous à votre propre avocat sous le n° Ribbentrop 311 et soumis par lui au Tribunal. A la page 5, Ribbentrop...
Ne puis-je pas avoir une copie du document ?
C’est le document n° 311.
Il ne peut pas avoir été soumis au Tribunal comme n° 111, sans rien de plus. C’est PS-111, 111 ?
Monsieur le Président, c’est un document soumis au nom de l’accusé Ribbentrop comme Ribbentrop n° 311. Nous n’en avons qu’une traduction russe ici, qui nous est parvenue en même temps que le livre de documents allemand. Je suppose que le Tribunal a le même livre de documents.
C’est R-111... Vous voulez dire que ce n’est pas simplement 111, mais Ribbentrop 111.
En fait, c’est le n° 311, Monsieur le Président. C’est le n° 311 et non 111, s’il vous plaît.
Oui, nous l’avons maintenant. C’est dans le livre de documents n° 9.
Je peux continuer, Monsieur le Président ?
Oui.
A la page 5 de ce document, en décrivant Hitler, vous dites ce qui suit : « Après la conquête de la Pologne, les plans de Hitler à l’Ouest, sous une influence que nous ne pouvons attribuer qu’à Himmler, tendirent à établir l’hégémonie allemande en Europe. »
Vous rappelez-vous ce passage que vous avez écrit vous-même, accusé Ribbentrop ?
Puis-je voir ce document ? Je ne le connais pas.
Je demanderai à l’avocat de l’accusé Ribbentrop, au Dr Horn, de présenter ce document à son client.
Monsieur le Président, nous traitons ici de...
Attendez un instant.
Docteur Horn, le Tribunal pense que ce document n’est pas pertinent. Il semble que ce soit un document écrit par l’accusé Ribbentrop sur la personnalité du Führer. Je ne vois pas quand il a été préparé, mais il ne semble avoir aucun caractère de pertinence.
Oui, Monsieur le Président. Je suis également d’avis qu’il s’agit là d’un document non pertinent et je n’ai inséré ce document dans le livre de documents que pour le cas où l’accusé n’aurait pas eu la possibilité de parler en détail de la personnalité du Führer. Mais puisqu’il a eu cette possibilité, je retire ce document.
Général Rudenko, le Tribunal considère que ce document n’est pas pertinent.
Monsieur le Président, ce document a été présenté dans le livre de documents de la Défense. Il a été écrit par l’accusé Ribbentrop au cours de ce Procès. Tous les Ministères Publics l’ont accepté, puisque ce document, cette appréciation présentée par l’accusé Ribbentrop, nous permettait de poser un grand nombre de questions. Mais si le Tribunal considère que ce document n’est pas pertinent, je ne vais pas l’utiliser pendant mon contre-interrogatoire.
Nous n’avons pas encore eu la possibilité de prendre une décision sur l’admissibilité de ces documents. Nous les voyons pour la première fois ce matin. Nous considérons tous ce document comme non pertinent.
Je comprends, Monsieur le Président. (A l’accusé.) Je voudrais vous poser quelques questions en rapport avec l’agression contre la Yougoslavie. Je voudrais que vous preniez connaissance du document PS-1195, qui est intitulé « Instructions préliminaires sur la division de la Yougoslavie ». J’attire votre attention sur le paragraphe 4 de la première partie de ce document. On y voit l’avis du Führer sur la question du partage de la Yougoslavie. L’avez-vous trouvé ?
Je vous prie de me dire a quelle page cela se trouve ?
Page 1, paragraphe 4, sur la question du partage de la Yougoslavie, le Führer a donné les indications suivantes...
Cela ne doit pas être le document en question que j’ai entre les mains.
Document PS-1195.
Ah oui ! Le commencement,
Je réponds : sur la question du partage de la Yougoslavie le Führer a donné les indications suivantes :
« La cession des territoires occupés par les Italiens sera réglée dans une lettre du Führer au Duce et sera exécutée sur des instructions détaillées du ministère des Affaires étrangères. »
Avez-vous trouvé ce passage ?
Non, je ne vois pas cela ici.
Paragraphe 4, page 1, commençant par les mots : « Le Führer ». Avez-vous trouvé ?
Oui.
J’ai déjà lu ce paragraphe pour le procès-verbal.
Ce document commence ainsi :
« Sur la question du partage de la Yougoslavie, le Führer a donné les indications suivantes... » Tel est le début du document. Et le passage que vous citez où est-il ?
Il finit par les mots suivants : « ... sur des instructions détaillées du ministère des Affaires étrangères... » et, plus loin, il y a une référence à un télétype du Generalquartier-meister de l’OKH.
Il doit s’agir là d’une erreur, je ne vois pas cela ici.
Vous n’avez probablement pas trouvé le document.
Général Rudenko, il est maintenant 12 h. 45, il y aurait peut-être lieu de suspendre l’audience.