QUATRE-VINGT-DIX-SEPTIÈME JOURNÉE.
Mardi 2 avril 1946.

Audience de l’après-midi.

GÉNÉRAL RUDENKO

Accusé Ribbentrop, avez-vous pris connaissance du contenu du document ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Oui.

GÉNÉRAL RUDENKO

Avez-vous pris connaissance de l’ensemble du document ou seulement du paragraphe 4 ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

J’ai lu le paragraphe 1, celui dont vous avez précédemment parlé.

GÉNÉRAL RUDENKO

Avez-vous trouvé le passage concernant les pleins pouvoirs accordés au ministère des Affaires étrangères en ce qui concerne le partage du territoire yougoslave ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Oui. Il est dit dans mon document que la cession du territoire occupé par les Italiens doit être préparée par une lettre du Führer au Duce et exécutée sur des instructions complémentaires du ministère des Affaires étrangères.

GÉNÉRAL RUDENKO

C’est exact. C’est précisément le passage auquel je pensais, c’est-à-dire la deuxième section de ce document qui est intitulée : « La délimitation des frontières ». Il déclare (section 2, page 2 du document) :

« Pour autant que la délimitation des frontières ne se trouve pas dans la section 1 ci-dessus, ceci est effectué avec l’accord du ministère des Affaires étrangères... »

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Oui. Je vois cela.

GÉNÉRAL RUDENKO

Je n’ai qu’une question à vous poser à ce sujet. Dois-je en conclure que ce document définit le rôle joué par le ministère des Affaires étrangères dans le partage du territoire yougoslave. Est-ce exact ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Cela vient du fait que les Affaires étrangères devaient prendre part à la délimitation des autres frontières, en plus de celles indiquées ici, dont les lignes principales devaient déjà probablement être fixées. C’est exact.

GÉNÉRAL RUDENKO

Oui, c’est fort clair. En ce qui concerne la Yougoslavie, j’ai deux autres questions à vous poser.

Le 4 juin 1941 (il n’est plus question de ce document), il y eut une conférence à l’ambassade d’Allemagne présidée par l’ambassadeur allemand à Zagreb, Siegfried Kasche, au cours de laquelle on décida la déportation forcée des Slovènes en Croatie et en Serbie et celle des Serbes de Croatie en Serbie. Cette réunion avait été autorisée par un télégramme du ministère des Affaires étrangères n° 389, en date du 31 mai 1941. Connaissez-vous ces mesures ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Non, je dois dire que je ne les connais pas. Puis-je en prendre connaissance ?

GÉNÉRAL RUDENKO

Je vous en prie.

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Je me souviens que des transferts de population furent entrepris mais je ne me rappelle plus les détails.

GÉNÉRAL RUDENKO

Évidemment il est difficile pour vous de vous souvenir maintenant des détails, mais vous rappelez-vous qu’un tel transfert de population ait eu lieu effectivement et cela sur les indications du ministère des Affaires étrangères ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Oui, le document déclare que le Führer avait approuvé un programme de déportations, mais je ne me rappelle plus les détails. En tout cas nous avons dû, sans aucun doute, jouer un rôle dans cette affaire, car cette réunion décisive a eu lieu effectivement au ministère des Affaires étrangères. Malheureusement, pour les détails, je ne puis rien ajouter car je ne suis pas au courant.

GÉNÉRAL RUDENKO

Je comprends. Une question encore : c’était un transfert forcé de la population, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Je n’en sais rien. Je ne puis rien dire. Non.

GÉNÉRAL RUDENKO

Vous ne le savez pas ? Très bien. Enfin une dernière question touchant la Yougoslavie : après l’agression de l’Allemagne contre la Yougoslavie, près de 200 fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères yougoslave, qui avaient essayé de partir pour la Suisse, ont été arrêtés puis, sans tenir compte des protestations envoyées à votre ministère, ces diplomates furent transférés de force à Belgrade où beaucoup d’entre eux furent envoyés dans des camps de concentration où ils moururent. Pourquoi n’avez-vous pas pris les mesures nécessaires après cette violation flagrante de l’immunité diplomatique ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Je ne m’en souviens plus du tout pour l’instant mais, autant que je sache, les instructions ont toujours suivi le principe que les diplomates devaient être traités comme tels et ramenés dans leur pays ; si cela n’a pas été fait dans ce cas, je ne sais pourquoi. Mais vous dites vous-même qu’ils ont été renvoyés à Belgrade, cela correspondait donc à mes instructions. Qu’ils aient été plus tard internés à Belgrade — s’ils l’ont été — je dois dire que je l’ignore, je ne crois pas que nous puissions être impliqués dans cette affaire.

GÉNÉRAL RUDENKO

Vous ne saviez pas qu’ils avaient été internés dans des camps de concentration ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Non, je l’ignorais. 451

GÉNÉRAL RUDENKO

Vous ne le saviez pas ? Très bien... Passons maintenant à une autre série de questions : qui signa, à part Hitler, l’ordre du 12 novembre 1938 concernant la région des Sudètes ? Vous en souvenez-vous ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Je ne sais pas de quel ordre vous voulez parler. Puis-je le voir ? Je vois que je l’ai contresigné. C’est la loi de la réunion du pays des Sudètes avec le Reich.

GÉNÉRAL RUDENKO

Vous vous souvenez de l’avoir réellement signé, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Oui, sans doute, si tel est le document, ce doit être exact, mais pour le moment je ne m’en souviens pas exactement.

GÉNÉRAL RUDENKO

C’est tout à fait compréhensible. Qui, à part Hitler, signa l’ordre concernant le Protectorat de Bohême et de Moravie le 16 mars 1939, ordre qui, par sa nature même, détruisit les derniers vestiges de la souveraineté de la République tchécoslovaque ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Je crois que je l’ai signé aussi moi-même, je l’admets, oui, je vois ici que je l’ai signé.

LE PRÉSIDENT

Général Rudenko, certainement tous ces documents parlent d’eux-mêmes. L’accusé n’a pas renié sa signature sur ces documents.

GÉNÉRAL RUDENKO

Oui, je comprends, Monsieur le Président. Je voudrais seulement rafraîchir la mémoire de l’accusé, étant donné qu’il oublie beaucoup de choses. Je lui présente simplement les documents (Au témoin.) Vous avez également signé un ordre du 12 octobre 1939 concernant l’administration des territoires polonais. Vous en souvenez-vous ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

12 octobre 1939 ? Non, je ne m’en souviens pas. J’ai signé beaucoup de choses pendant ces années, je ne peux donc pas me souvenir des détails.

GÉNÉRAL RUDENKO

Cet ordre est celui qui est daté du 12 octobre.

LE PRÉSIDENT

Général Rudenko, puisqu’il ne discute pas sa signature, pourquoi perdez-vous du temps en lui présentant ces documents ? Sa signature est sur les documents, il ne le conteste pas ; c’est une simple perte de temps.

GÉNÉRAL RUDENKO

Oui, je comprends très bien, je n’ai plus qu’une question à faire sur ce sujet. (Au témoin.) Il y a également votre signature sur l’ordre du 18 mai 1940, concernant l’annexion par l’Allemagne des régions belges d’Eupen et de Malmédy. Je pose ces questions afin de pouvoir conclure de la façon suivante : Serait-il exact de constater que chaque fois qu’un ordre émanant du Gouvernement hitlérien essayait de donner une apparence de prétexte aux nouvelles annexions territoriales, cet ordre portait invariablement la signature du ministre du Reich, Ribbentrop ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Je ne crois pas ; si des changements territoriaux étaient entrepris, c’était le Führer qui les ordonnait et, comme vous le voyez dans ces documents, les différents ministres qui étaient chargés de participer à cette action contresignaient alors l’ordre du Führer. Naturellement, la plupart de ces ordres ont été contresignés par moi-même.

GÉNÉRAL RUDENKO

Oui, je vois. Je voudrais maintenant que vous preniez connaissance du document déjà déposé au Tribunal sous le n° URSS-120 ; c’est votre accord avec Himmler concernant l’organisation des services d’espionnage ; c’est un document très important et je vous prierais simplement de prendre connaissance du paragraphe 6.

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Je vous demande pardon ; c’est un autre document que j’ai entre les mains. Ceci concerne le service d’espionnage et vous avez parlé du travail obligatoire.

GÉNÉRAL RUDENKO

Il y avait là une erreur de traduction ; je ne parlais pas de travail obligatoire mais de service d’espionnage. Portez votre attention sur le paragraphe 6 de ce document afin de ne pas faire perdre inutilement le temps du Tribunal. Il est dit, et je cite :

« Le ministère des Affaires étrangères donne toute l’aide qu’il peut au service secret d’espionnage. Le ministre des Affaires étrangères, autant que cela sera compatible avec les exigences de la politique extérieure, installera certains agents du service secret dans les missions diplomatiques. »

Je passe encore un long paragraphe et je lis, au dernier paragraphe : « L’agent responsable du service d’espionnage informera régulièrement le chef de la mission de toutes les questions concernant l’activité du service secret d’espionnage dans le pays intéressé ».

Avez-vous signé cet accord ? Est-ce exact ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Oui.

GÉNÉRAL RUDENKO

Ainsi, vous êtes obligé de conclure que les services extérieurs du ministère des Affaires étrangères allemand s’occupaient effectivement d’espionnage ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Non, on ne peut pas dire cela et pour les raisons suivantes : j’ai déjà dit ce matin, au cours de mon interrogatoire, qu’entre Himmler et moi-même il y avait des divergences d’opinion au sujet du service de renseignements à l’étranger. Grâce aux bons offices de l’accusé Kaltenbrunner, on est arrivé à faire signer cet accord. Une collaboration avait été prévue et je ne nie nullement que nous ayons eu l’intention d’occuper du personnel du service de renseignements chez nous, au ministère des Affaires étrangères. Mais pratiquement nous n’avons pu réaliser cela. Cet accord n’a pas pu être exécuté, parce qu’il fut conclu trop tard et que la guerre se termina.

Je crois que la date de conclusion de cet accord, qui fait défaut sur cette copie, se place en 1944 ou même 1945. Pour cette raison, cette collaboration n’a jamais eu lieu ; on avait l’intention de la réaliser et moi-même j’y étais particulièrement intéressé. Il y avait eu toutes sortes de divergences et je désirais y mettre fin et unifier cette affaire ; telle était la raison. De toute façon, je pense que c’est une activité qu’ont tous les pays à l’étranger et que cela n’a rien d’insolite.

GÉNÉRAL RUDENKO

Je ne vous questionne pas sur votre opinion. Je vous mets simplement en présence d’un document et vous demande s’il est exact que vous l’ayez signé. Vous avez répondu affirmativement, je ne vous demande rien d’autre.

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Oui, je l’ai affirmé.

GÉNÉRAL RUDENKO

C’est uniquement ce que je voulais savoir. J’ai encore un document de cette série. Vous souvenez-vous d’une lettre de l’accusé Kaltenbrunner dans laquelle il demande 1.000.000 de tomans pour la corruption en Iran ?

ACCUSE VON RIBBENTROP

1.000.000 de quoi ? Je n’ai pas bien compris.

GÉNÉRAL RUDENKO

De tomans. C’est une monnaie iranienne. Je vous prie de prendre connaissance de ce document. Il est bref.

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Puis-je le lire d’abord ?

GÉNÉRAL RUDENKO

Oui, oui, certainement.

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Oui, je m’en souviens et je crois que certains fonds ont été mis à leur disposition.

GÉNÉRAL RUDENKO

A la disposition de Kaltenbrunner ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Dans les détails, je l’ignorais ; mais je crois avoir donné des instructions au ministère des Affaires étrangères de soutenir financièrement cette affaire, c’est exact.

GÉNÉRAL RUDENKO

C’était précisément ce point qui m’intéressait. Le document parle de lui-même.

Maintenant, je passe à un autre groupe de questions. Vous avez témoigné ici qu’en août et septembre 1940, à votre château de Fuschl, vous aviez rencontré Keitel pour discuter d’un mémorandum sur les possibilités d’une agression de l’URSS par l’Allemagne. En conséquence, presque un an avant l’attaque contre l’URSS, vous aviez déjà connaissance de cette préparation ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Non, ce n’est pas exact. L’accusé Keitel était chez moi à Fuschl et, à cette occasion, il m’a parlé de certaines craintes du Führer au sujet de la Russie et dit qu’il ne pouvait négliger dans ses précisions l’hypothèse d’un conflit armé. Il dit que, pour sa part, il avait préparé un mémorandum qu’il se proposait de discuter avec le Führer. Il redoutait un conflit à l’Est, qu’il estimait peu sage, et me pria d’agir de mon côté et de faire valoir mon influence sur le Führer dans ce sens. Je lui donnai mon accord mais la question d’une attaque ne fut discutée si je puis dire que d’un point de vue d’État-Major. Il ne fut pas question de quoi que ce soit de concret.

GÉNÉRAL RUDENKO

Oui très bien. Je ne voudrais pas prendre le temps du Tribunal pour ce sujet qui a déjà été traité très à fond. J’ai toutefois une autre question à vous poser. Vous avez répondu à Keitel durant cette conversation que vous feriez part également à Hitler de votre opinion concernant la guerre contre l’URSS. Avez-vous eu cette conversation avec Hitler ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

J’ai à différentes reprises, parlé de ce sujet avec Hitler et, à cette occasion, je lui ai exposé les dangers d’une guerre préventive. Hitler m’a parlé de ses craintes que j’ai déjà mentionnées.

GÉNÉRAL RUDENKO

Oui, je sais que vous en avez parlé. Vous saviez, n’est-ce pas, que le « Dossier Vert » de l’accusé Göring, qui contenait des indications concernant le pillage et la dévastation des territoires momentanément occupés de l’Union Soviétique, avait été préparé longtemps avant l’agression contre l’URSS ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Non, je l’ignorais. J’ai entendu le nom de « Dossier Vert » ici pour la première fois.

GÉNÉRAL RUDENKO

Le nom peut-être, mais quand avez-vous eu connaissance du contenu de ce dossier ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Ni le nom, ni le contenu.

GÉNÉRAL RUDENKO

Oui, et vous saviez, n’est-ce pas, que déjà avant la guerre, des directives étaient préparées concernant l’extermination de la population civile soviétique ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Non, je l’ignorais également.

GÉNÉRAL RUDENKO

Et quand donc en avez-vous eu connaissance ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

De tels projets ne m’ont jamais été communiqués.

GÉNÉRAL RUDENKO

Pour les directives concernant la juridiction dans la région de « Barbarossa », connaissiez-vous cela ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Concernant quoi ? Je n’ai pas bien compris.

GÉNÉRAL RUDENKO

Concernant la juridiction dans la région de « Barbarossa ». C’est un supplément au « Cas Barbarossa ».

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Non, je ne me suis jamais occupé de cela. Il est possible qu’un service de mon ministère s’en soit occupé, mais moi personnellement, autant que je m’en souvienne, je n’ai jamais rencontré cette question. Dès le début des hostilités avec l’URSS, le ministère des Affaires étrangères n’avait plus rien à voir dans cette région.

GÉNÉRAL RUDENKO

Je vous demanderai de prendre connaissance du télégramme que vous avez envoyé le 10 juillet 1941 à 14h51 à l’ambassadeur d’Allemagne à Tokio. C’est le document PS-2896. Nous le présentons sous le n° URSS-446. Vous souvenez-vous de ce télégramme ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

A qui était-il adressé ? Ce n’est pas indiqué ici ?

GÉNÉRAL RUDENKO

A l’ambassadeur d’Allemagne à Tokio.

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Oh ! Tokio. Oui.

GÉNÉRAL RUDENKO

Vous semblez vous en rappeler. J’attire votre attention sur les mots placés à la fin de ce document, page 4 ; c’est un passage qui est souligné. Quand vous l’aurez trouvé, je le citerai.

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Puis-je vous demander à quel paragraphe vous vous référez ? Est-ce à la dernière page ?

GÉNÉRAL RUDENKO

Oui, page 4, souligné au crayon.

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Je viens de le trouver.

GÉNÉRAL RUDENKO

Bien. Je cite :

« Je vous demande d’user de tous les moyens en votre pouvoir pour engager Matsuoka dans la voie que j’ai indiquée, afin que le Japon déclare le plus tôt possible la guerre à la Russie. Plus tôt cela arrivera, mieux cela vaudra. Notre but final doit être de nous rejoindre, avant l’hiver, sur le Transsibérien. Après l’effondrement de l’Union Soviétique, la position sera tellement forte que l’écroulement de l’Angleterre ou l’anéantissement complet des Iles britanniques ne sera plus qu’une question de temps. »

Avez-vous trouvé ce passage ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Oui, je l’ai.

GÉNÉRAL RUDENKO

Est-ce là un de vos efforts pour localiser la guerre ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Je n’ai pas compris la dernière question.

GÉNÉRAL RUDENKO

Je la répéterai donc ; est-ce là un de vos efforts pour localiser la guerre ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Les hostilités avec l’Union Soviétique étaient déclenchées et j’essayais alors — le Führer soutenait le même point de vue — d’engager le Japon dans cette guerre afin d’en terminer le plus rapidement possible. Voici le sens de ce télégramme.

GÉNÉRAL RUDENKO

Ce n’était pas seulement la politique du Führer mais également la vôtre en tant que ministre des Affaires étrangères ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Oui, oui...

GÉNÉRAL RUDENKO

J’ai encore quelques questions à vous poser : vous affirmez que vous n’avez jamais rien entendu dire concernant les atrocités des camps de concentration ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Oui, c’est exact.

GÉNÉRAL RUDENKO

Pendant la guerre, en tant que ministre des Affaires étrangères, vous preniez connaissance de la presse étrangère. Saviez-vous ce qu’elle disait à ce sujet ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Non. Je ne le savais que dans une certaine mesure. J’avais chaque jour tellement de choses à lire et tellement de choses à faire que je lisais seulement les nouvelles politiques qui m’étaient apportées, concernant la presse étrangère. Donc, pendant toute la guerre, je n’ai eu de l’étranger aucune nouvelle sur ce qui se passait dans les camps de concentration, jusqu’au jour où vos armées, les armées soviétiques, ont pris le camp de Maïdanek en Pologne. A cette occasion, des nouvelles vinrent de nos ambassades et j’ai demandé les informations de presse, etc. On a déjà exposé ici comment j’ai communiqué ces dernières nouvelles au Führer. Mais avant cette date, je n’ai rien su des atrocités ou des mesures prises dans les camps de concentration.

GÉNÉRAL RUDENKO

Connaissiez-vous les notes du ministre des Affaires étrangères de l’URSS, Molotov, concernant les atrocités des fascistes allemands dans les territoires momentanément occupés de l’URSS, la déportation en esclavage de citoyens soviétiques, les dévastations et les pillages commis en Russie ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Je crois que cette note me fut envoyée par les voies diplomatiques, mais je ne m’en souviens plus très bien. Elle a pu également passer par une agence de presse. Cependant, je me souviens qu’il y avait plusieurs notes et je me rappelle l’une d’elles en particulier que j’avais présentée au Führer ; mais, depuis le début de la guerre germano-russe, nous ne pouvions plus avoir d’action ou d’influence dans ces territoires ; c’est ainsi que je n’étais pas informé des détails.

GÉNÉRAL RUDENKO

Ce qui m’intéresse le plus, c’est d’établir que vous connaissiez les notes du Commissaire du peuple aux Affaires étrangères de l’URSS.

Dites-moi maintenant : savez-vous que des millions de citoyens soviétiques étaient déportés en esclavage en Allemagne ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Non, je l’ignore.

GÉNÉRAL RUDENKO

Vous ne le savez pas ? Et que ces citoyens travaillaient en Allemagne comme des esclaves, vous ne le saviez pas ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Non. D’après ce que j’ai entendu dire, tous les ouvriers étrangers auraient été très bien traités en Allemagne. Il a pu y avoir des choses regrettables mais, dans l’ensemble, je pense qu’il y a eu aussi beaucoup de fait pour le bien de ces ouvriers. Je sais qu’occasionnellement les services du ministère des Affaires étrangères sont intervenus afin de régler certaines difficultés, mais en général nous n’avions pas beaucoup d’influence, car nous étions exclus des questions touchant l’Est.

GÉNÉRAL RUDENKO

Pourquoi étiez-vous assez bien informé pour savoir que ces ouvriers étrangers étaient bien traités et pourquoi ne saviez-vous pas, par contre, qu’ils étaient traités comme des esclaves ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Je ne crois pas que ce soit exact. Au ministère des Affaires étrangères, nous nous sommes occupés des ouvriers français, par exemple, et de travailleurs de quelques autres nationalités, afin qu’on fît venir des artistes de France à leur intention. Nous nous sommes occupés de questions relatives à leur bien-être et je sais que le Front du Travail allemand fit tout ce qui était en son pouvoir — autant que nous pouvions l’observer dans notre secteur — pour bien traiter les travailleurs et que leurs loisirs soient agréablement occupés. C’est du moins ce que nous désirions faire.

GÉNÉRAL RUDENKO

Très bien. Je vous présente un avant-dernier groupe de questions : au sujet de l’activité du bataillon Ribbentrop. Je vous prie de prendre connaissance des déclarations du SS-Obersturmbannführer Normann Paul Förster, document présenté sous le n° URSS-445. Portez votre attention sur la page 3 de cette déclaration de Förster ; le passage est souligné. Il est ainsi rédigé : Lorsqu’en août 1941, je fus arrivé à l’adresse désignée à Berlin, j’appris que j’avais été muté au groupe spécial SS du ministère des Affaires étrangères. Un adjoint au ministère des Affaires étrangères, le baron von Künsberg, était à la tête de ce groupe qui comprenait 80 à 100 hommes. Plus tard, il s’accrut de 300 ou 400 membres et prit le nom de « Bataillon spécial du ministère des Affaires étrangères » (ZbV).

« Je fus reçu par le baron von Künsberg dans les bâtiments du ministère des Affaires étrangères où le groupe spécial était logé. Il me déclara que ce groupe spécial avait été formé sur l’ordre du ministre du Reich pour les Affaires étrangères, von Ribbentrop.

« Suivant les instructions de von Ribbentrop, ce Sonderkom-mando devait s’occuper de garder, en arrière des lignes, dans les territoires occupés, les valeurs artistiques telles que musées, bibliothèques, établissements scientifiques, galeries de tableaux, etc. afin qu’elles ne soient ni détruites ni endommagées par les soldats allemands, afin qu’ensuite toutes les œuvres de valeur soient réquisitionnées et emmenées en Allemagne. »

Je passe un court passage.

« Le 5 août 1941 au soir, en présence de Nietsch, Lieben, Paulsen, Krallat, Remerssen et d’autres, von Künsberg nous fit part d’un ordre de von Ribbentrop tendant à piller de fond en comble en Russie toutes les installations culturelles, toutes les bibliothèques, les palais, les châteaux, etc. et d’emmener tout ce qui avait une valeur quelconque. »

Avez-vous trouvé ce passage ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Oui. Puis-je répondre ?

GÉNÉRAL RUDENKO

Non, je vous prierai d’abord de répondre à la question suivante : vous saviez qu’il existait un bataillon du ministère des Affaires étrangères et que sur votre instigation, il s’occupait, comme le dit ce document, de conserver les valeurs culturelles ? Je vous prie de répondre.

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

De la façon exprimée par ce document c’est absolument faux. Je ne puis le reconnaître et je dois protester. Ce qui est exact, c’est que M. von Künsberg, avec quelques collaborateurs, avait été nommé par moi longtemps avant la campagne de Russie afin de recueillir en France les documents qui pouvaient être d’importance pour nous. En même temps, il avait ordre d’éviter les destructions inutiles de valeurs et d’œuvres d’art. En aucune circonstance, il n’y eut d’ordres de moi pour transporter en Allemagne ou voler les œuvres d’art. Je ne sais pas comment on a pu recueillir cette déclaration. En tout cas, elle est complètement fausse.

GÉNÉRAL RUDENKO

Vous avez protesté ici contre de nombreux documents, mais cela ne signifie pas qu’ils soient faux. Je ne citerai pas la suite de cette déposition, je vais me référer maintenant à un autre document. C’est une lettre de l’accusé Göring à l’accusé Rosenberg qui a déjà été citée sous le n° PS-1985. Je cite le paragraphe 2 de ce document. Göring écrivait à Rosenberg :

« Après de longues recherches, j’ai été particulièrement heureux de voir qu’on avait finalement désigné un bureau pour réunir ces objets, bien que je doive faire remarquer que d’autres autorités avaient été nommées sur l’ordre du Führer ; en premier lieu, le ministre des Affaires étrangères du Reich qui avait, il y a quelques mois, envoyé une circulaire à toutes les organisations, déclarant notamment qu’il avait autorité dans les territoires occupés et qu’il avait été rendu responsable de la conservation des trésors d’art dans ces régions. »

Je pense que l’accusé Göring était parfaitement au courant de cette question touchant la conservation des trésors d’art. Vous souvenez-vous de cette lettre ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Je ne sais pas dans quelles circonstances cette lettre du maréchal du Reich Göring a été écrite, mais si on y parle d’une autorité quelconque, cela ne peut s’appliquer qu’au fait que ces trésors d’art devaient être mis à l’abri dans ces territoires. J’ai déjà déclaré ici que pendant la guerre ni moi ni les Affaires étrangères n’avons jamais confisqué ni réclamé aucun trésor d’art quel qu’il fût. Il est possible qu’on ait mis en lieu sûr pour un certain temps ces œuvres d’art, mais certainement aucune d’elles n’est passée en notre possession. Il ne peut s’agir, dans cette lettre, que d’un malentendu, car il s’agissait en réalité de la mise en lieu sûr des œuvres d’art. En France, par exemple, à ce moment, des vols commençaient à se commettre dans les appartements particuliers et les musées et je me souviens d’avoir demandé à la Wehrmacht de veiller sur ces objets précieux. De toute façon, dans notre ministère, nous n’avons jamais vu une seule de ces œuvres d’art.

GÉNÉRAL RUDENKO

Nous n’allons pas approfondir cette question.

Autre question sur le même sujet : ne pensez-vous pas que sous le terme « conservation des trésors d’art » il faut entendre pillage des trésors d’art des régions occupées ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Cela n’était nullement dans nos intentions et je n’ai jamais donné d’ordre à quiconque dans ce sens. Je tiens à le déclarer très nettement ici. Je pourrais ajouter que lorsque j’ai appris que Künsberg avait réuni autant de personnel, je lui ai enjoint immédiatement d’avoir à dissoudre son bataillon — ce n’était d’ailleurs pas un bataillon, l’expression est inexacte — en tout cas, de le dissoudre sur l’heure, et je crois même pouvoir me souvenir que je l’ai renvoyé, lui, du ministère des Affaires étrangères, parce qu’il ne faisait pas ce que je désirais. Je crois qu’il a été suspendu de ses fonctions.

GÉNÉRAL RUDENKO

Très bien. Je termine. Vous avez été ministre des Affaires étrangères de l’Allemagne fasciste depuis le 4 février 1938. Votre arrivée à ce poste correspondait exactement avec les débuts de la période pendant laquelle Hitler entreprit toute une série d’actes de politique extérieure qui, finalement conduisirent à la guerre mondiale. La question se pose de savoir pourquoi Hitler vous a nommé ministre des Affaires étrangères juste avant de mettre à exécution un programme très étendu d’agressions ? Ne croyez-vous pas qu’il vous considérait comme l’homme le mieux armé pour ces circonstances, celui avec lequel il n’avait pas à craindre de divergences de vues ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Je ne peux pas faire de déclarations au sujet, des idées d’Adolf Hitler, il ne m’a rien confié. Il savait que j’étais son collaborateur fidèle. Il savait que je partageais son point de vue selon lequel nous devions avoir une Allemagne forte, mais il savait également que je désirais accomplir ces choses de façon pacifique et diplomatique. Je ne puis en dire davantage. Je ne sais quelles peuvent avoir été ses pensées.

GÉNÉRAL RUDENKO

Enfin, dernière question : comment expliquer que même maintenant que nous vous avons donné une vue d’ensemble des crimes sanglants du régime hitlérien, maintenant que vous avez pu vous rendre compte entièrement de l’effondrement de cette politique hitlérienne qui vous a conduit au banc des accusés, comment pouvez-vous expliquer que vous continuiez, comme auparavant, à défendre ce régime, à élever Hitler sur un piédestal, et que vous continuiez enfin à dire que cette clique de criminels n’était qu’un groupe d’idéalistes ?

LE PRÉSIDENT

Il semble qu’il y ait là un certain nombre de questions réunies dans une seule. Je ne crois pas qu’il convienne de la poser ainsi au témoin.

GÉNÉRAL RUDENKO

Il me semblait que cela constituait une seule question. (A l’accusé.) Je vous en prie, accusé Ribbentrop, répondez.

LE PRÉSIDENT

Je vous ai dit, général Rudenko, que le Tribunal n’estime pas que cette question soit pertinente.

GÉNÉRAL RUDENKO

Très bien. Dans ce cas, je n’ai plus de questions à poser.

LE PRÉSIDENT

Docteur Horn, désirez-vous contre-interroger ?

Dr HORN

Je n’ai plus de questions à poser au témoin, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Alors l’accusé peut retourner à sa place.

Docteur Horn, je crois que vous allez parler maintenant de vos documents, n’est-ce pas ?

D’après l’heure, il serait peut-être préférable de suspendre 10 minutes.

(L’audience est suspendue.)
LE PRÉSIDENT

Le Tribunal désire que j’annonce qu’il ne siégera pas le Vendredi saint ni le samedi qui suivra, ni le lundi de Pâques.

COMMANDANT J. HARCOURT BARRINGTON (substitut du Procureur Général britannique)

Plaise au Tribunal. Je parle au nom des quatre Ministères Publics pour présenter leurs commentaires sur le livre de documents de l’accusé Ribbentrop. Je parle pour les quatre Ministères Publics à l’exception d’un point qui sera traité par le Procureur Général français. Il s’agit de deux catégories de documents présentant un intérêt spécial pour la Délégation française.

Je crois que si le Tribunal le permet, je pourrais dès maintenant présenter l’ensemble de l’exposé du Ministère Public avant que le Dr Horn ne fasse sa réponse, s’il le veut bien.

LE PRÉSIDENT

Le Dr Horn est-il d’accord pour que le Ministère Public exprime d’abord ses commentaires ? Docteur Horn, voulez-vous que le Ministère Public présente tout d’abord ses commentaires ?

Dr HORN

Parfaitement.

COMMANDANT BARRINGTON

Monsieur le Président, il y a en tout neuf livres dans la traduction anglaise ; les deux derniers nous ont été remis seulement aujourd’hui, et comme ils contiennent environ 350 documents, je regrette de n’avoir pu m’entendre sur cette liste avec le Dr Horn, bien que je l’aie informé des commentaires que nous avions l’intention de présenter.

Les deux premiers livres comprennent les documents 1 à 44 ; le Dr Horn les a déjà lus à l’audience le 27 mars et je crois que Monsieur le Président ne désire pas qu’on en traite à nouveau.

LE PRÉSIDENT

Non.

COMMANDANT BARRINGTON

Restent les livres 3 à 9. J’ai rédigé une note, dont j’ai des exemplaires ; je ne sais pas si elle a été présentée au Tribunal.

LE PRÉSIDENT

Oui.

COMMANDANT BARRINGTON

Vous trouverez dans la colonne de gauche la liste des documents à propos desquels le Ministère Public se propose d’élever des objections, dans la colonne du milieu, celle des documents qu’il accepte, et dans la colonne de droite, des remarques.

Bien que cette note ne l’indique pas, j’ai, pour des raisons de commodité, divisé ces documents en neuf groupes et je pense qu’il n’est pas nécessaire d’examiner chacun de ces documents en détail, à moins qu’une question particulière ne s’élève à propos de l’un d’eux.

Avant de dire quels sont ces groupes, je pourrais peut-être faire quelques remarques générales. Les Ministères Publics pensent que le Livre Blanc allemand qui figure pour une part importante dans cette liste ne peut être considéré comme preuve parce qu’il a été édité par le Gouvernement des conspirateurs nazis.

Parmi ces documents, il en figure un nombre considérable qui consistent seulement en des discussions assez vagues sur différentes questions générales ; certains autres, d’après le Ministère Public, présentent un caractère cumulatif.

Le premier de ces neuf groupes comporte tout ce qui est relatif à la Tchécoslovaquie et si vous voulez bien vous reporter à la note que j’ai remise au Tribunal, il comprend les premiers documents de 1 à 45 ; non, excusez-moi, il y a une erreur, car après le 45, il y a six documents PS qui sont déjà déposés ; et il y a encore les 46 et 47, plus sept encore concernant la Tchécoslovaquie. Le Ministère Public pense que les six documents PS sont admissibles ainsi que les 46 et 47. Pour les 66, 67 et 69, nous élevons des objections parce qu’ils sont cumulatifs par rapport au numéro 68.

LE PRÉSIDENT

Dans quel volume se trouvent les numéros 66 et 69 ?

COMMANDANT BARRINGTON

Dans le volume numéro 3, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Étant donné qu’ils ont déjà été traduits, est-ce que cela a une grande importance s’ils présentent un caractère cumulatif ?

COMMANDANT BARRINGTON

Cela n’a aucune importance, à moins que l’on ne se propose de les faire figurer au procès-verbal.

LE PRÉSIDENT

Ils ont tous été traduits ?

COMMANDANT BARRINGTON

Oui.

LE PRÉSIDENT

Et dans les autres langues aussi ?

COMMANDANT BARRINGTON

C’est ainsi que je l’entends, Votre Honneur.

LE PRÉSIDENT

Alors il n’est pas nécessaire de les lire pour qu’ils figurent au procès-verbal.

COMMANDANT BARRINGTON

Oui, s’il plaît à Votre Honneur.

LE PRÉSIDENT

C’est la règle, n’est-ce pas, que s’ils ont été traduits dans les quatre langues, il ne soit pas nécessaire de les lire pour qu’ils figurent au procès-verbal ?

COMMANDANT BARRINGTON

Cela s’appliquerait à tous les documents, étant donné que tous ont été traduits.

LE PRÉSIDENT

Oui, cela devrait être ainsi, mais il se peut que d’autres objections s’élèvent contre ces documents, outre le fait d’être cumulatifs.

COMMANDANT BARRINGTON

D’après le Ministère Public, un très grand nombre présentent ce caractère cumulatif.

LE PRÉSIDENT

Un très grand nombre ?

COMMANDANT BARRINGTON

Oui.

LE PRÉSIDENT

Oui, mais le fait est que, étant traduits, ils sont déjà au dossier.

COMMANDANT BARRINGTON

Oui, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

COMMANDANT BARRINGTON

En tout cas, c’est la seule objection que le Ministère Public ait élevée contre ces documents ; ils sont cumulatifs. Le Dr Horn n’est peut-être pas d’accord. Il faudrait que la question soit tranchée.

LE PRÉSIDENT

Non. Ce que je vous fais observer, c’est que si la seule objection est qu’ils présentent un caractère cumulatif, ils peuvent simplement être déposés comme preuve sans être discutés, étant donné qu’ils ont déjà été traduits. Cela économisera du temps.

COMMANDANT BARRINGTON

Oui, à moins que le Dr Horn ne désire en lire certains et s’y référer en particulier.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous dire qu’il pourrait les lire tous in extenso ?

COMMANDANT BARRINGTON

Je ne sais pas ce que Votre Honneur va lui permettre de faire. Je crois que le Dr Horn se propose d’en lire quelques-uns.

LE PRÉSIDENT

Mais, vraisemblablement, s’il en lit plusieurs présentant un caractère cumulatif, nous l’arrêterons.

COMMANDANT BARRINGTON

Je passe donc au deuxième groupe allant des numéros 48 à 62 inclus. Ils portent tous sur le réarmement des Alliés et leurs prétendues intentions belliqueuses. Le numéro 54 manque dans mon livre ; je ne sais pas si c’est intentionnellement qu’on l’a écarté.

Le Ministère Public élèvera des objections contre tous ces documents, car nous ne les considérons pas comme pertinents.

Ils figurent au livre 3, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Il semble que le 59 soit différent. Il traite d’un discours de Sir Malcolm Mac Donald sur les colonies.

COMMANDANT BARRINGTON

Oui. Il ne porte pas exactement sur le réarmement, mais rentre dans le même esprit. C’était une provocation à la guerre. C’est naturellement une catégorie un peu différente des autres.

LE PRÉSIDENT

Oui.

COMMANDANT BARRINGTON

Le troisième groupe traite de la Pologne. Il est assez chargé, il comprend toutes les négociations qui ont précédé le déclenchement de la guerre ; les documents de ce groupe portent les numéros allant de 74 à 214.

Je crois qu’il serait peut-être plus commode de diviser ce groupe en deux parties. La première se rapporterait à la question des minorités de Dantzig, du Corridor polonais et des incidents relatifs à ces problèmes. La deuxième partie intéresserait un peu la même période, mais se rapporterait essentiellement aux événements diplomatiques dans les autres pays que la Pologne, approximativement à partir du 15 mars 1939.

La première partie de cette catégorie de documents comprendrait les numéros 74 à 181, la deuxième, de 182 à 214.

En ce qui concerne la première partie, il y a deux arguments à faire valoir. Le Ministère Public pense que ces documents à quelques exceptions près, ne sont pas pertinents parce qu’ils traitent tous d’incidents découlant de cette question des minorités. Le Ministère Public estime que cette question n’est pas pertinente pour deux raisons. L’un des documents de cette série consiste en un échange de notes entre le Gouvernement allemand et le Gouvernement polonais, le 28 avril 1939. C’est le document TC-72, n° 14 dans le livre 5. Cet échange de notes a abouti à un renouvellement de l’accord des deux parties en vue de renoncer sans conditions à l’utilisation de la force sur la base du Pacte Briand-Kellogg. Ceci avait déjà été fait précédemment le 26 janvier 1934, ainsi qu’il ressort d’un autre document qui figure ici à la page 2 de ma note, TC-21.

LE PRÉSIDENT

Quelle était la date de TC-72 ?

COMMANDANT BARRINGTON

TC-72, n° 14 : le 28 avril 1939.

LE PRÉSIDENT

Bien.

COMMANDANT BARRINGTON

Les deux pays renonçaient sans restriction à l’utilisation de la force. L’accusé Ribbentrop, en 1938, a lui-même dit que l’Allemagne était en excellents termes avec la Pologne. Une déclaration a également été faite par l’Allemagne et la Pologne le 5 novembre 1937, sur la question des minorités — c’est le numéro 123 du livre de documents, en haut de la page 4 de ma note —  ; le Ministère Public estime que le compte rendu de ces incidents sur le problème des minorités n’est pas pertinent et constitue une vieille histoire.

Je crois que je ferais peut-être bien...

M. BIDDLE

Vous estimez donc qu’ils sont tous de caractère cumulatif ou bien non pertinents à partir du numéro 76, n’est-ce pas ?

COMMANDANT BARRINGTON

Je crois malheureusement que c’est là une erreur. Ceci a été originalement rédigé comme note de travail. Il fallait lire : non pertinent à partir de TC-21.

LE PRÉSIDENT

Bien.

COMMANDANT BARRINGTON

Monsieur le Président, je me proposais de dire que je pourrais peut-être anticiper sur une objection que le Dr Horn a l’intention de faire et dont il a eu l’obligeance de m’informer hier. Cette objection est la suivante : Hier, il avait avancé que certains incidents antérieurs à Munich avaient été couverts par l’accord de Munich, que c’était justement ce même argument que je faisais valoir alors qu’il avait déjà été repoussé hier par le Tribunal. Mais, néanmoins, il y a cette différence que l’accord de Munich a été négocié dans l’ignorance du « Cas Vert » et que si l’on prétend faire valoir qu’il a couvert les incidents qui l’ont précédé, on ne peut le considérer de la même façon que s’il avait été négocié en pleine connaissance de cause.

Si nous prenons maintenant le groupe 3, Pologne et sa première partie, colonne centrale, page 2, le Ministère Public propose d’accepter le numéro 75 qui est le Traité polonais de 1919 et TC-21 que je viens de mentionner et qui confirme le Pacte Briand-Kellogg, les numéros 123 et TC-72, numéros 14 et 16 que j’ai déjà mentionnés ; le reste, semble-t-il, peut-être considéré comme non pertinent. Il serait peut-être raisonnable cependant de permettre la production des numéros 117, 149, 150, 153, 154, 159, 160, 163 et TC-72, n° 18. Ils comprennent des discussions entre chefs d’État et ambassadeurs présentant plus d’importance que les autres documents de ce groupe particulier. Je crois d’ailleurs, Votre Honneur, qu’ils sont déjà déposés.

Nous en arrivons maintenant au numéro 182. De 182 à 186, les cinq premiers...

LE PRÉSIDENT

Pourquoi vous opposez-vous à la production du numéro 155 ? Il s’agit de la mobilisation des réserves polonaises, 155 à 158.

COMMANDANT BARRINGTON

Monsieur le Président, l’objection élevée contre les documents de cette catégorie se base simplement sur le fait...

LE PRÉSIDENT

Je crois qu’ils sont tous mentionnés dans la conversation rapportée au numéro 159 et c’est sans doute la raison pour laquelle vous désirez les écarter.

COMMANDANT BARRINGTON

Oui, je remercie Votre Honneur, je crois que c’est cela, mais je ne pense pas que l’opposition à ces documents puisse être très sérieuse.

LE PRÉSIDENT

Non.

COMMANDANT BARRINGTON

Les numéros 182 à 186, Monsieur le Président, sont des rapports des chargés d’affaires allemands dans diverses capitales et le Ministère Public dit que ces rapports ne constitueraient pas des preuves sérieuses.

M. BIDDLE

Pourquoi pas ?

COMMANDANT BARRINGTON

Ce sont simplement les comptes rendus des observations des chargés d’affaires allemands et les conclusions tirées des faits, d’un point de vue personnel, et transmises au ministère des Affaires étrangères.

M. BIDDLE

Et vous estimez que cela n’est pas pertinent parce que ce sont des ouï-dire ?

COMMANDANT BARRINGTON

Ce sont en partie des ouï-dire et, de plus, ils sont vagues et transmis dans un but défini. Tout au moins, le Ministère Public estime qu’ils sont transmis pour renforcer le point de vue allemand.

M. BIDDLE

Admettriez-vous ces rapports s’ils avaient été établis par les chargés d’affaires des autres États ?

COMMANDANT BARRINGTON

Ils seraient admissibles s’il s’agissait de rapports gouvernementaux fournis par les nations alliées, d’après le Statut, mais ils ne le sont pas si ce sont des documents allemands.

M. BIDDLE

Je regrette, mais je ne comprends pas ce que vous voulez dire.

COMMANDANT BARRINGTON

Cela se rapporte à l’article 21 du Statut...

M. BIDDLE

Excusez-moi, je n’ai peut-être pas été très clair. Je ne comprends pas très bien pourquoi les rapports dont il est question ici seraient différents d’autres rapports officiels des chargés d’affaires d’autres pays. Est-ce parce que ce sont des rapports allemands ?

COMMANDANT BARRINGTON

Parce qu’ils sont allemands.

M. BIDDLE

Je comprends. En d’autres termes, vous considérez que les rapports allemands doivent être exclus.

COMMANDANT BARRINGTON

J’estime, d’après le Statut, qu’ils doivent être exclus, sauf dans le cas où ils sont utilisés par le Ministère Public comme des aveux à retenir contre le Gouvernement allemand lui-même.

LE PRÉSIDENT

Nous vous entendrons dans un moment, Docteur Horn.

En tout cas, commandant Barrington, votre objection pour les numéros 182 à 214 est qu’ils émanent de la partie intéressée et, par suite, ne sont pas admissibles. Est-ce cela ?

COMMANDANT BARRINGTON

Oui, c’est cela, Votre Honneur.

LE PRÉSIDENT

Avez-vous d’autres objections à élever ?

COMMANDANT BARRINGTON

Comme je l’ai dit, ce sont des conclusions tirées par un observateur en pays étranger ; elles sont un peu vagues.

LE PRÉSIDENT

Ceci pourrait s’appliquer à bon nombre de preuves, ne croyez-vous pas ?

COMMANDANT BARRINGTON

Il n’y a pas d’objections pour les numéros 187 à 192 et TC-77.

Les numéros 193 et 194 sont des mémorandums du ministère des Affaires étrangères allemand, ce sont de simples discussions intérieures de ce ministère. Le 193 est un mémorandum du secrétaire d’État des Affaires étrangères, il traite d’une visite que lui aurait rendue l’ambassadeur de France. Le 194 est de nature similaire, mais cette fois il s’agit de l’ambassadeur de Grande-Bretagne. Dans le numéro 195, il s’agit de Sir Nevile Henderson, c’est son Échec d’une mission. Il y a un grand nombre d’extraits de ce livre, Monsieur le Président, et nous estimons qu’ils sont cumulatifs ; ils n’ajoutent rien aux preuves déjà versées et ils sont pour la plupart de nature réellement provocante. Cela s’applique en particulier au premier extrait.

LE PRÉSIDENT

Que voulez-vous dire par « de nature provocante » ?

COMMANDANT BARRINGTON

Vous verrez, Monsieur le Président, dans le premier extrait, des opinions exprimées assez violemment. Cela figure dans le livre VI. Les opinions sont exprimées en termes assez peu mesurés au sujet de la position de la Russie soviétique.

LE PRÉSIDENT

Bien, continuez.

COMMANDANT BARRINGTON

Les numéros 196 et 197 sont constitués par des mémorandums allemands à l’intention du ministère des Affaires étrangères ; ils tombent dans la même catégorie que les numéros 193 et 194. L’un d’eux concerne des questions du ministère des Affaires étrangères et l’autre provient du chargé d’affaires allemand à Washington.

Les numéros 198 à 203 sont parfaits. Nous élevons des objections contre le numéro 204 qui ne constitue pas une preuve ; c’est un mémorandum du chef du département politique du ministère des Affaires étrangères à Berlin et il rapporte simplement un compte rendu de la Berliner Börsenzeitungr. C’est donc une preuve indirecte, sinon plus.

Pour les numéros 205 et 206, pas d’objection, pas plus que pour le TC-72-74.

Le numéro 207 est le même document que le précédent, c’est une simple répétition.

Quant au numéro 208, Monsieur le Président, c’est une collection d’extraits du Livre Bleu britannique et je dois dire que je n’ai pas eu le temps de vérifier ceux qui sont déjà déposés ; je crois que la plus grande partie d’entre eux est pertinente, mais ceux de la colonne de gauche contiennent des détails inutiles.

Numéro 209, pas d’objection.

Le numéro 210 est une conversation entre l’accusé Ribbentrop et Sir Nevile Henderson, du 30 août 1939 ; cette conversation a déjà naturellement été utilisée comme preuve, mais elle a peut-être un caractère cumulatif pour cette raison même.

Les numéros 211 (a) et 211 (b) ne sont que des répétitions de documents pris au Livre Bleu britannique.

Le numéro 212 est une émission de la radio polonaise et le numéro 213 un communiqué allemand au public allemand. Il est évident qu’ils n’ont aucune valeur probante.

Le numéro 214 est un extrait d’un livre que le Tribunal a déjà rejeté.

Maintenant la page suivante de la note traite d’un autre sujet qui est la Norvège et le Danemark.

LE PRÉSIDENT

C’est le groupe 4, n’est-ce pas ?

COMMANDANT BARRINGTON

Groupe 4, Monsieur le Président, oui.

Les numéros 215 (a) et 215 (b) traitent du cas de l’Islande et du Groenland ; ce ne sont pas de très longs documents, mais ils ne sont pas pertinents, quoique l’objection contre eux ne soit pas très forte.

Pas d’objection contre le 216 (a) et le 216 (b), qui ont déjà été déposés comme preuve, ainsi que le D-629.

Le numéro 217 relate une interview que l’accusé Ribbentrop donna à la presse et auquel le Ministère Public ne reconnaît pas le caractère de preuve.

Le numéro PS-004 est déjà déposé.

Les numéros 218 et 219 sont dans le même cas.

Pour le numéro 220, nous élevons une objection car il s’agit simplement d’une interview donnée à la presse.

LE PRÉSIDENT

Pourquoi élevez-vous des objections à ces deux communiqués de Ribbentrop à la presse ?

COMMANDANT BARRINGTON

C’est une preuve qu’il a créée lui-même. Monsieur le Président. Il l’a probablement présentée auparavant.

LE PRÉSIDENT

Il ne l’a pas donnée à la même époque. Ce qu’il a dit il y a six ans peut être pertinent.

COMMANDANT BARRINGTON

Je m’incline si c’est votre avis, Monsieur le Président ; le seul point que j’indiquais était le fait qu’il s’agissait d’une preuve créée à l’époque pour faire naître une impression. C’est de la propagande.

LE PRÉSIDENT

Oui, c’est exact.

COMMANDANT BARRINGTON

Le groupe suivant concerne les Pays-Bas. Il commence en réalité à 218 et continue jusqu’à 245.

LE PRÉSIDENT

C’est donc un autre groupe.

COMMANDANT BARRINGTON

Oui, c’est le cinquième groupe, Monsieur le Président. Il va de 218 à 245 et je ne le traiterai pas en détail parce que le chef du Ministère Public français doit en parler. Il en est de même pour le groupe suivant, n° 6, qui concerne les Balkans. Le chef du Ministère Public français traitera cette question des documents 246 à 278.

Le groupe suivant, n° 7, concerne la Russie, documents 280 à 295. Avec une exception, le 285 (a), qui semble avoir été placé là par erreur, car il se rapporte aux États-Unis.

Le 279 : je ne peux pas l’identifier d’après la traduction anglaise et ne me rends pas du tout compte de ce que c’est. Peut-être auriez-vous la bonté, Monsieur le Président de faire une rectification pour les documents 282 et 283, et de les passer dans la colonne du milieu. Nous n’élèverons pas d’objections à leur endroit. Mais nous en élèverons contre tous les autres documents russes. Vous constaterez, Monsieur le Président, qu’ils commencent au bas du groupe n° 291 à 295 et ils se rapportent tous au Pacte anti-Komintem.

En regardant de nouveau la page à partir du bas, 290, 1 à 5, sont des extraits d’un livre que le Tribunal a déjà rejeté.

Et le document au-dessus, le 280, est un discours de Hitler sur la Russie, d’octobre 1939.

Le 281 est la répétition d’un document que nous avons déjà eu. Le 274, c’est le Pacte Tripartite ; nous nous en occuperons.

LE PRÉSIDENT

Vous dites que c’est la reproduction textuelle.

COMMANDANT BARRINGTON

Je crois que je peux dire que c’est réellement une reproduction textuelle.

M. BIDDLE

Mais pourquoi élevez-vous une objection contre une reproduction textuelle ?

COMMANDANT BARRINGTON

Il n’y a pas d’objection.

M. BIDDLE

Alors vous voulez dire que ce n’est pas dans la bonne colonne ?

COMMANDANT BARRINGTON

Je ne mets dans la colonne des Alliés que les documents qui entrent complètement dans les vues du Ministère Public.

M. BIDDLE

Est-ce exact pour le 284, le Pacte germano-soviétique ?

COMMANDANT BARRINGTON

Je ne sais pas s’il a déjà été présenté.

M. BIDDLE

Alors pourquoi élevez-vous une objection ?

LE PRÉSIDENT

Par le mot « Pacte » qu’indiquez-vous ? Est-ce le Pacte allemand du 28 septembre 1939 ?

COMMANDANT BARRINGTON

Oui, c’est celui du 28 septembre 1939, Monsieur le Président. On m’informe qu’il n’y a pas d’objection à ce que ce document soit produit.

Le 285 est simplement un rapport allemand qui tire des conclusions de fait et le Ministère Public lui refuse valeur probante. C’est un très long rapport des bureaux du ministère des Affaires étrangères allemand ayant trait à l’agitation en Europe menée par l’URSS contre l’Allemagne et il est rempli de conclusions et d’opinions personnelles.

LE PRÉSIDENT

C’est après le début de la guerre contre la Russie ?

COMMANDANT BARRINGTON

Oui, Monsieur le Président.

Les numéros 286 et 287 sont rejetés comme dépourvus de valeur probatoire. Ils sont extraits du Völkischer Beobachter.

Le numéro 288 serait un document soviétique saisi et il a été altéré dans la version anglaise ; il ne porte ni date, ni signature. Sa valeur semble très douteuse.

Le numéro 289 est un rapport de l’attaché militaire yougoslave à Moscou que le Ministère Public juge non pertinent.

Puis vient le groupe n° 8, Monsieur le Président, qui est un groupe concernant les États-Unis d’Amérique, document 299 à 310 comprenant le 285-A. Les dix premiers documents, le Tribunal en jugera, sont des rapports provenant d’une source très indirecte si je puis dire : un rapport de l’ambassadeur de Pologne sur la situation politique des États-Unis en 1939. Le suivant semble venir du Portugal et celui qui le suit émane aussi de l’ambassadeur de Pologne ; puis deux autres encore du même ambassadeur. Le numéro 300 est un discours du Président Roosevelt de 1937 et qui semble trop ancien pour être d’une grande pertinence. Le 301 est un résumé allemand des événements survenus aux États-Unis que nous trouvons non pertinent pour la raison que j’ai indiquée ; ce sont des résumés allemands plutôt indignes de foi que non pertinents. Le numéro 302 est un rapport de l’ambassadeur polonais ; le numéro 303, une déclaration du Président Roosevelt en 1936 et le 304, un message du Président, Roosevelt au congrès du 4 janvier 1939 ; je ne pense pas qu’on puisse lui objecter quelque chose. Pas davantage d’objection pour les numéros 305 à 308. Il y a dans ma copie deux versions différentes du 309, la première est un résumé allemand de faits sans dates et sans indication de sources. Il ne paraît être d’aucune valeur en tant que preuve. La seconde, 309 et 309 (a), contient des déclarations faites à la Conférence Panaméricaine ainsi que la note allemande qui fut envoyée en réponse. Je ne crois pas que le Ministère Public puisse avoir de trop fortes objections contre ce document, mais je ne crois pas non plus qu’il soit d’une grande pertinence.

TC-72. n° 127 et TC-72, n° 124, sont des appels du Président Roosevelt à Hitler ; il n’y a pas d’objection contre eux. Le numéro 310 est un autre résumé allemand de faits sans indication de source.

Le 9e groupe est très varié et si le Tribunal veut bien se reporter à la première page de mes notes, ce sont les huit premiers documents de cette page jusqu’au numéro 45 ; ils sont tous acceptés par nous. Il n’y a pas d’objection, excepté pour le numéro 12 qui est la proclamation du résultat des élections au Reichstag. Cela ne nous importe pas beaucoup.

Le numéro 45 est le livre de Lord Wallace Rothermere, Avertissements et prophéties ; je crois que le Ministère Public ne le juge pas pertinent. Le groupe suivant est très divers, page 2, numéro 70 à 73. Le numéro 71 est le traité germano-lituanien concernant Memel, il n’y a pas d’objection. Le numéro 70 est plutôt non pertinent, le 72 et le 73 appellent des objections parce qu’ils se rapportent aux Quatorze Points du Président Wilson.

Puis vient un lot très divers qui se trouve à la dernière page de mes notes, tout à fait en bas : c’est le numéro 296, c’est un discours de Hitler à propos de la Rhénanie. Vous avez déjà toutes les preuves concernant cette question et il semble plutôt cumulatif ; peut-être même est-il déjà déposé, je n’ai pas encore vérifié.

Le numéro 298 au haut de la page suivante n’est, en fait, d’aucune utilité ; il en est de même pour le 274. En bas de la dernière page, Monsieur le Président, se trouve le 311. C’est une note écrite par l’accusé Ribbentrop sur la personnalité du Führer.

LE PRÉSIDENT

Il a déjà été écarté cet après-midi.

COMMANDANT BARRINGTON

C’est ce que je pensais. Le numéro 312 est un affidavit de Madame von Ribbentrop ; le numéro 313 est un affidavit du Dr Gottfriedsen. J’ai compris, d’après ce que m’a dit le Dr Hom, qu’il avait l’intention de se contenter de la lecture d’un affidavit ou d’un extrait d’affidavit, bien qu’il ait obtenu l’autorisation de faire venir ce témoin.

Monsieur le Président, si vous permettiez au Ministère Public de faire des commentaires, quand cela se présentera, peut-être serait-ce la meilleure façon de s’y prendre. Voilà toutes les observations que je voulais présenter, Monsieur le Président. Il reste maintenant à traiter la question des Pays-Bas et des Balkans.

M. DODD

Plaise au Tribunal. M. Barrington a parlé au nom de nous tous et je n’ai pas l’intention de revenir sur aucun de ces documents, mais quelques membres du Tribunal peuvent se poser certaines questions à propos de nos objections aux documents allant de 76 à 116, 118 à 122 et 114 à 148 ; ce sont les documents, polonais et nous disons naturellement avec M. Barrington qu’ils sont cumulatifs, mais il me paraît qu’on peut leur faire une objection de base, car ils traitent tous de soi-disant incidents qui se seraient passés à l’intérieur de la Pologne et qui ont été publiés dans le Livre Blanc.

Ces incidents comprennent de mauvais traitements infligés à des citoyens polonais à l’intérieur de la Pologne, citoyens qui étaient peut-être d’origine allemande. A notre avis, de tels documents ne sont pas pertinents ici parce qu’ils ne constituent nullement une défense contre les accusations que nous portons et nous ne pouvons pas autoriser une nation à se défendre elle-même ou à laisser ses accusés se défendre contre des charges telles que celles qui ont été portées contre eux, en montrant que des citoyens d’un autre pays, qu’ils aient été d’origine allemande ou de tout autre origine, furent maltraités à l’intérieur de ce pays. Ces documents commencent au 76 jusqu’au 116, 118 jusqu’au 122, 114 jusqu’au 148 et 151 et 152. Pardon, c’est 124 à 148 et non 114 à 148 ; les derniers sont les numéros 151 et 152.

M. CHAMPETIER DE RIBES (Procureur Général français)

Je demande au Tribunal la permission de faire deux courtes observations sur des documents qui font partie du 5e et du 6e groupe et qui regardent des documents uniquement français issus du Livre Blanc allemand. C’est d’ailleurs seulement ainsi que le Ministère Public français en a eu connaissance car, contrairement à ce que croit le Tribunal, le Ministère Public français n’a pas eu les traductions des documents proposés par le Dr Hom.

Sur le premier groupe n° 5, il s’agit des documents n° 221 à 245 ; ce sont des documents d’Etat-Major, dont il semble que le Dr Horn ait la prétention de tirer cette preuve que c’est l’Angleterre et que c’est la France qui ont violé la neutralité de la Belgique.

Si nous demandons au Tribunal d’écarter des débats ces vingt-cinq documents, c’est uniquement parce que nous y voyons l’inconvénient grave de faire perdre inutilement son temps au Tribunal. Bien loin d’en craindre la discussion, nous pensons au contraire que l’Accusation y trouverait la preuve que la France et que l’Angleterre ont scrupuleusement respecté les deux engagements qu’elles avaient pris : le premier respectait la neutralité de la Belgique et le second respectait les engagements qu’elles avaient pris en faveur de la Belgique de garantir sa neutralité.

Mais de quoi s’agit-il, Messieurs, en définitive ici ? Seulement de savoir si c’est l’Allemagne ou si c’est la France et l’Angleterre qui ont violé la neutralité de la Belgique. Or, cette question a été posée à l’accusé Ribbentrop par son avocat et l’accusé y a répondu de la façon la plus claire à l’audience de samedi dernier par une déclaration que le Tribunal se rappelle certainement : l’accusé Ribbentrop a dit : « Il est bien entendu qu’il est toujours très pénible dans une telle guerre de violer la neutralité d’un pays et il ne faut pas croire que ce soient là des choses que nous ayons pu faire de gaîté de cœur. »

C’est, Messieurs, l’aveu formel que c’est l’Allemagne qui a violé la neutralité de la Belgique. Qu’est-il besoin, dès lors, de perdre notre temps en discutant sur la pertinence des vingt-cinq documents proposés ? Et je passe, Messieurs, au second groupe, le groupe n° am01041946 z6, qui se rapporte à des documents d’état-major que l’Allemagne aurait saisis à propos des événements des Balkans en 1939 et 1940.

Le Ministère Public vous demande, Messieurs, d’écarter les vingt-deux documents proposés par le Dr Horn, pour les deux raisons suivantes : ils n’ont aucun caractère d’authenticité et ils ne sont pas pertinents.

Ils n’ont aucun caractère d’authenticité, ils sont tous extraits du Livre Blanc, et le Tribunal connaît la position du Ministère Public. En outre, la grande majorité de ces documents est constituée d’extraits de documents émanant des états-majors alliés. Aucun original n’est produit et les prétendues copies ne sont même pas données en entier. En second lieu, ils ne semblent avoir aucune pertinence, car ils se rapportent à des projets étudiés par des états-majors, qui datent des derniers mois de 1939 et des premier mois de 1940. Ces projets d’intervention par l’Angleterre et la France en Yougoslavie et en Grèce supposaient, bien entendu, comme condition préalable, l’accord des Gouvernements intéressés. Ils n’ont jamais été mis à exécution. Et l’armistice de juin 1940 a consacré leur abandon définitif. Ils datent de 1939 et de 1940, et le Tribunal se rappelle que l’agression contre la Grèce et la Yougoslavie s’est produite le 6 avril 1941, à une époque où le Gouvernement hitlérien n’avait plus rien à redouter des projets de 1939.

Ces documents, qui n’ont aucun caractère d’authenticité, n’ont aucun caractère de pertinence dans le débat actuel, et c’est pourquoi le Ministère Public français demande au Tribunal de les écarter.

LE PRÉSIDENT

Maintenant, Docteur Horn, le Tribunal pense que vous pourriez peut-être, étant donné les dépositions de l’accusé Ribbentrop, retirer certains de ces documents, en considération du temps qui a déjà été absorbé, et étant donné que l’accusé Ribbentrop a traité très abondamment la plupart de ces questions. Il vous sera peut-être possible de retirer certains de ces documents pour gagner du temps.

Dr HORN

Oui, Monsieur le Président, je vais écarter tous les documents qui auraient un caractère cumulatif, au cours de ma production de preuves. Je voudrais simplement maintenant...

LE PRÉSIDENT

Vous pourriez peut-être nous faire savoir dès maintenant ce que vous allez écarter.

Dr HORN

Oui, Monsieur le Président.

Pourrais-je commencer par établir ma position sur quelques points fondamentaux ? Il s’agit de la valeur du témoignage du Livre Blanc et des rapports d’ambassade. J’aimerais indiquer que ces documents ont contribué essentiellement à la formation des opinions politiques tant de l’accusé Ribbentrop que de Hitler, et je voudrais insister sur le fait que l’Accusation elle-même s’est appuyée largement sur des documents de cette sorte.

Je voudrais donc avoir le droit de m’en servir. Je voudrais ajouter également quelques mots sur les documents de l’État-Major français qui ont été découverts. Il s’agit de dossiers qui ont été saisis au cours de la campagne de France, à La Charité. Si le Tribunal partage les réserves du Ministère Public français, je lui demanderai de bien vouloir citer le Feldmarschall Leeb, commandant du groupe de Heeresgruppe 10. Ce sont les éléments placés sous son autorité qui ont découvert ces documents dans la ville de La Charité-sur-Loire.

Les dossiers polonais auxquels je me suis référé ont été découverts à Varsovie, au Ministère des Affaires étrangères polonais. A ce sujet, l’ancien commandant général, le Feldmarschall Blasko-witz pourrait apporter son témoignage. Je voudrais pouvoir citer dans ce cas à la barre, comme témoin, le général Blaskowitz.

Ensuite, je crois être l’interprète de la Défense en disant qu’on ne peut présenter des réserves sur un document que dans la mesure où il s’en dégage des inexactitudes ou si l’on peut prouver que ce témoignage est falsifié. Je demande au Tribunal de bien vouloir admettre tous les autres documents contenus dans le Livre Blanc et dans les rapports des ambassadeurs.

En ce qui concerne les documents se rapportant à la question des minorités polonaises, je voudrais faire observer que le Premier Ministre Chamberlain, lui-même, a considéré la question des minorités comme une question décisive entre l’Allemagne et la Pologne. Puisque ces négociations qui conduisirent à la guerre avaient pour objet principal, à côté de Dantzig, du Corridor, la question des minorités, celle-ci a bien été l’une des causes de la guerre.

Je demande par conséquent que les documents relatifs à tout ceci, qui montrent des violations des pactes des minorités de la part de la Pologne, soient admis comme preuves.

Si le Tribunal est d’accord avec cette requête, je voudrais commencer à présenter mes documents au Tribunal afin qu’il en prenne acte et aussi citer certains passages essentiels. Je voudrais également indiquer au Tribunal de quels documents je pense pouvoir me passer.

Dr DIX

Je serais reconnaissant au Tribunal si je pouvais simplement indiquer ma position, non par rapport au cas de Ribbentrop avec lequel je n’ai rien à voir (c’est l’affaire de mon collègue le Dr Horn), mais sur la question de principe, et même pas seulement du point de vue de la Défense, mais aussi d’une façon objective et fondamentale. Je voudrais donner mon opinion sur les divers problèmes que le Tribunal doit examiner avant de formuler sa décision pour l’admission de telle ou telle preuve, que ce soit sous forme de question posée à un témoin ou de document présenté.

Je voudrais obtenir la permission du Tribunal, non pour le plaisir de parler, mais simplement parce que j’estime que cela permettrait d’abréger un peu la suite des débats, et aussi parce que j’espère que le Tribunal consentira à admettre le bien-fondé des points principaux de mes remarques, ce qui évitera sans doute d’autres interventions de la Défense.

Je laisserai naturellement au Tribunal le soin de décider s’il considère que le moment de mon intervention est venu ou s’il estime que je doive attendre que mon collègue, Horn, en ait fini avec ses documents. Je ferai néanmoins volontiers mes déclarations avant que le Tribunal ait exprimé son jugement sur les requêtes de l’Accusation et sur celles du Dr Horn.

Je demande à Votre Honneur que le Tribunal me permette de prendre, aussi brièvement que possible, position sur les questions de principe que j’estime importantes pour les décisions à intervenir.

LE PRÉSIDENT

Oui.

Dr DIX

Sans vouloir mettre en doute la valeur juridique des déclarations que nous avons entendues ici, sans vouloir émettre un jugement là-dessus, je crois que, malgré tout, certains concepts ont été mélangés. Nous devons distinguer clairement dans nos esprits ce qui suit :

1. Un moyen de preuve, un élément de preuve, est-il pertinent (et cela vaut aussi bien pour les documents que pour les témoins) ?

2. Un élément de preuve a-t-il une valeur en soi ?

3. Un élément de preuve est-il cumulatif et par conséquent à rejeter 7

Si le Tribunal décide qu’un document n’est pas pertinent, qu’il n’a pas de valeur ou bien qu’il est cumulatif, alors il est indispensable qu’il refuse son utilisation, même à ce stade des débats.

D’autre part, s’il s’agit de la véracité d’un élément de preuve, et si la question est de savoir si l’on peut accorder un crédit à une réponse de témoin ou au contenu d’un document, si l’on peut admettre, par exemple, des citations tirées d’un Livre Blanc ou non, voilà, à mon avis, une question qui ne saurait être tranchée que lorsque le moyen ou l’élément de témoignage aura été déposé devant le Tribunal, que le Tribunal en aura pris acte et sera capable, en l’appréciant librement — une voie qui est ouverte au Tribunal — de juger de sa véracité.

Voilà pourquoi j’estime que, dans le moment présent, il n’y a pas de raison de dire, par exemple, que tel document doit être éliminé parce que c’est une partie du Livre Blanc publié par le Gouvernement allemand ; un Livre Blanc, c’est-à-dire la publication officielle d’un Gouvernement quelconque, constitue un moyen de témoignage pertinent et utile, personne ne le contestera.

Si le passage tiré d’un tel livre au Procès est ainsi conçu que le Tribunal puisse y ajouter foi, c’est là une question qui pourra être décidée après présentation de ce document probatoire, en l’espèce le Livre Blanc. On ne pourra décider de sa pertinence qu’après que le document, le contenu de ce document, aura été déposé et que le Tribunal en aura pris connaissance.

Je reviens à la question de la pertinence et de l’efficience. Tout à l’heure, M. le représentant du Ministère Public britannique a dit que les rapports envoyés par les ambassadeurs allemands à leur ministre des Affaires étrangères n’étaient pas probants en soi. Du moins, je l’ai compris ainsi. Ces rapports ne seront admis que si l’Accusation désire s’en servir ; autrement dit, ils ne seront admis que dans la mesure où l’Accusation désire s’en servir afin d’accabler les accusés. Je crois qu’en aucune façon un tel point de vue ne saurait être maintenu. A ce propos, M. le représentant du Ministère Public britannique a cité l’article 21 du Statut. Cet article 21 du Statut n’a rien à voir avec cette question. L’article 21 du Statut dit simplement, si je l’ai bien en mémoire, — je peux le préciser, mais je crois vraiment l’avoir retenu qu’il n’est pas nécessaire de lire les documents se rapportant aux enquêtes des Gouvernements victorieux sur les crimes de guerre qui ont pu être commis dans leur propre pays, mais qu’il suffit de les présenter au Tribunal afin qu’il en prenne acte, et cela n’a rien a voir avec la question de la valeur ou de la pertinence du rapport d’un ambassadeur allemand à son ministre des Affaires étrangères. Cela n’a rien de commun.

Qu’un tel rapport soit admissible, cela doit se décider d’après la question de savoir si le thème probatoire qu’il traite et qui doit être résolu au moyen d’un tel document pourra être considéré comme pertinent par le Tribunal. Il faut que le Tribunal dise ce qui doit être prouvé et considéré comme pertinent. Il faut que ce soit fondé, mais si cela est fondé un tant soit peu, il faut qu’un rapport d’ambassade puisse être admis, et qu’ensuite le Tribunal ait le droit de mettre en question la véracité ou la valeur de ce témoignage.

Pour la crédibilité subjective, voilà ce que je voulais dire à propos de la distinction importante entre les concepts pertinence-crédibilité et valeur de témoignage, c’est-à-dire valeur objective et subjective d’un élément de témoignage.

Passons maintenant à la question des documents cumulatifs. Il est certain que tous les juristes qui sont ici sont d’accord avec moi pour affirmer que les éléments de témoignage cumulatifs ne doivent pas être retenus. Mais de la question de savoir si un témoin est cumulatif, on ne saurait en décider de façon formelle et mécanique. Je peux fort bien me représenter qu’une question qui est textuellement la même qu’une autre question déjà posée, peut être cumulative, mais peut également ne pas l’être, pour des raisons que je vais exposer, alors qu’une autre question qui, en apparence, n’a aucun rapport avec la précédente, est tout de même cumulative, du tait qu’elle exige du témoin une réponse se rapportant à la même preuve.

Le fait qu’une question puisse être semblable textuellement à une autre question déjà posée, ne signifie pas nécessairement qu’elle soit cumulative selon la vieille formule Si duo faciunt idem, non est idem. Si, par exemple, je demande son impression subjective sur quelque chose à un témoin qui est considéré comme un adhérent fanatique du régime national-socialiste, puis que je pose la même question à un témoin qui est considéré comme un adversaire fanatique du national-socialisme, ces deux questions qui peuvent être identiques ne sont assurément pas cumulatives, car il est d’une importance considérable, pour que le Tribunal soit en mesure de se faire une opinion et de prendre une décision, qu’il découvre si la même impression ressort de deux mondes, pour ainsi dire, ou plutôt de deux personnes aussi diamétralement opposées.

Voilà pourquoi il faut considérer le témoin avant de décider si une question est cumulative ou non.

Un autre exemple du fait qu’une question identique à une autre antérieure peut n’être pas cumulative, se présente dans le cas où je pose la question d’abord à l’accusé, puis à un témoin qui n’est pas accusé. En disant cela, je n’ai pas l’intention de déprécier le témoignage donné sous la foi du serment par l’accusé, loin de là. En principe, ces deux témoignages, celui de l’accusé, celui du témoin, sont égaux. Cependant, lorsqu’en examinant une partie de la vie privée de l’accusé sur laquelle il est évidemment le mieux informé, j’interroge un témoin qui a vécu le même incident et qu’ensuite je questionne l’accusé lui-même pour qui cette réaction intime fait partie de la trame psychologique de son action, on ne pourra nier qu’il y ait une différence très sensible entre ces deux témoignages.

J’ai demandé au Tribunal de m’accorder un peu de temps et je ne voudrais pas abuser. Cette déclaration a été faite uniquement dans le but de demander au Tribunal de ne prendre sa décision sur, je le répète, la pertinence, la valeur et la crédibilité d’une question, qu’en en distinguant avec soin la vérité intrinsèque. Je voudrais également demander au Tribunal, lorsqu’il examinera la question des preuves cumulatives, de bien vouloir ne pas se borner à l’apparence extérieure d’une question, mais d’examiner si vraiment elles ne peuvent servir à la recherche de la vérité, et alors de me permettre de poser la même question à différentes personnes, ou même de citer les mêmes phrases de différentes personnes dans différents documents.

J’éprouve, en vérité, quelques remords de vous avoir soumis à une pareille épreuve, mais j’espère que l’éclaircissement que j’ai essayé de donner contribuera dans une certaine mesure à raccourcir la suite des débats.

LE PRÉSIDENT

Docteur Horn, le Tribunal aimerait savoir combien de temps vous mettrez à traiter de ces documents, parce que nous sommes de plus en plus en retard sur notre plan de travail. Combien de temps durera votre exposé ? Avez-vous décidé maintenant quels documents vous êtes disposé à retirer, s’il y en a ?

Dr HORN

Monsieur le Président, je crois que j’aurai besoin de deux heures environ, en cas de non-interruption de la part des Ministères Publics, et je crois que dans ce laps de temps je pourrai terminer ma présentation, y compris la lecture des plus importants passages qui se limitent à très peu de documents. Donc, sans interruption, environ deux heures.

LE PRÉSIDENT

Nous avons déjà entendu les objections du Ministère Public, nous les examinerons et nous examinerons également les réponses que vous y avez faites, mais nous ne désirons pas, en ce moment, alors que nous devons encore entendre tous les exposés concernant les autres accusés, que vous exposiez en détail tous ces documents et que vous les lisiez. Nous espérons que vous ne jugerez pas nécessaire de les lire, après que vous aurez répondu aux objections du Ministère Public élevées contre certains de ces documents.

Dr HORN

J’ai l’intention...

LE PRÉSIDENT

Considérez-vous que vous en avez terminé dans vos réponses aux objections du Ministère Public, ou bien avez-vous encore l’intention de discuter sur l’admissibilité de certains des documents ?

Dr HORN

J’ai l’intention, conformément aux désirs du Tribunal, de présenter ces documents par groupes et brièvement à propos de chaque groupe et, quand il y aura eu des objections faites par l’Accusation, de me permettre quelques remarques sur les points soulevés. Je n’ai pas d’autres intentions.

LE PRÉSIDENT

Voyez-vous, Docteur Horn, voilà la situation : le Ministère Public a élevé des objections contre certains documents en arguant de certaines raisons, et nous voulons que vous ayez toute possibilité de répondre à ces objections. Quand vous aurez fait toutes vos réponses à ces objections, nous pensons qu’il sera bon de suspendre l’audience et de prendre une décision sur les objections et sur vos réponses.

Quand vous aurez répondu aux objections, nous suspendrons l’audience et nous déciderons quels sont les documents que nous estimerons recevables comme preuves.

Dr HORN

Si le Tribunal a l’intention de prendre une décision quand j’aurai moi-même pris position contre les objections du Ministère Public, je demande au Tribunal de bien vouloir me donner la permission de le faire tout de suite.

LE PRÉSIDENT

Attendez un instant, Docteur Horn ; il est cinq heures maintenant, et nous n’aurons pas la possibilité d’en terminer ce soir.

Docteur Horn, si vous pouviez en terminer avec vos arguments en répondant aux objections de principe présentées par le Ministère Public maintenant, nous pensons que ce serait le mieux, à condition que vous puissiez le faire dans un délai assez bref. Vous avez entendu ce que le Ministère Public a dit au sujet des divers groupes de documents et ce serait très bien si vous pouviez y répondre maintenant, dans l’espace d’un quart d’heure, par exemple.

Dr HORN

Pour commencer, je voudrais me référer aux documents 48 à 61. Je ne puis prendre à leur sujet que la position suivante : peut-être pourrais-je utiliser à nouveau ces feuillets du Ministère Public, avec les objections qu’ils contiennent, comme base de mon exposé. Les documents 48 à 61 ont été jugés non pertinents, mais ils traitent de la préparation de la guerre et du réarmement par la partie adverse. C’est seulement dans le cas où la situation des Allemands est comparée à celle de leurs adversaires que je puis arriver à connaître les motifs qui ont pu décider l’accusé Ribbentrop et Hitler. Je ne puis donc pas juger de l’illégitimité d’une action tant que je ne connais pas tous les faits. Pour connaître ceux-ci, je dois savoir l’attitude prise par les adversaires. Je considère, par conséquent, que ces documents sont extrêmement pertinents.

LE PRÉSIDENT

Oui.

Dr HORN

Le second groupe, d’une importance décisive, est constitué par les documents qui traitent de la question des minorités polonaises. A ce propos, M. le représentant du Ministère Public a précisé que l’accord polono-allemand du 5 novembre 1937 avait sanctionné de la part des deux pays, la question des minorités, c’est-à-dire que toutes les violations de la loi internationale se rapportant aux questions des minorités devaient être considérées comme réglées si elles avaient eu lieu antérieurement à cette année. Ce point de vue n’est certainement pas exact, car un accord ne peut sanctionner la violation d’un accord précédent.

En outre, au cours des négociations pour le pacte de 1934 entre l’Allemagne et la Pologne, il fut expressément convenu — comme je le prouverai par des documents — qu’après qu’un accord politique général aurait été conclu, la question des minorités et celles de Dantzig et du Corridor seraient réglées.

Ces questions ont été absolument réservées, pour être réglées ultérieurement par traité et puisque leur règlement n’a pu intervenir, on ne saurait repousser les documents ayant trait aux infractions polonaises contre les autres minorités et les considérer comme non pertinents ; car ce traité, je tiens à le souligner encore une fois, spécifie justement la nécessité d’un accord supplémentaire pour régler ces questions.

La seconde réserve formulée contre ce groupe consiste en ce que la question des minorités est considérée comme non pertinente ; antérieurement, j’ai établi brièvement que le Premier Ministre Chamberlain lui-même avait compris la nécessité de régler ce problème. Je voudrais par conséquent présenter ce document, le numéro 200 de mon livre de documents. Tous les milieux politiques intéressés pensaient qu’il fallait trouver une solution à cette question et donc la considérait comme pertinente. C’est pourquoi je demande au Tribunal d’accepter les documents s’y rapportant. Au surplus, ces documents ne sauraient être rejetés parce que cumulatifs, car en m’appuyant sur eux, je voudrais apporter la preuve que depuis 1919 ces accords concernant les minorités ont été violés à plusieurs reprises, et présenter des documents émanant du Tribunal International de La Haye et de la SDN, précisant que ces violations s’étendirent sur une période de vingt années.

J’accepte les réserves formulées contre les documents 286 à 289 par la Délégation soviétique, et je retire ces documents 286 à 289.

Puisque le livre L’Amérique dans la guerre des continents a été rejeté récemment par le Tribunal, je retire les documents 290, 1 à 5. D’autre part, dans d’autres numéros, j’ai pu me référer à cet ouvrage ; je les retire également.

En ce qui concerne les rapports d’ambassade, je me réfère encore une fois à ma propre déclaration de principe et, d’autre part, à la déclaration qui vient d’être faite par mon collègue le Dr Dix. Je suis convaincu que, par principe, et pour des raisons juridiques qui ont été apportées, mais aussi du fait que le Ministère Public s’est servi dans une large mesure de tels rapports, on devrait donner également à la Défense le droit de pouvoir les utiliser, d’autant plus qu’ils constituent la base sur laquelle l’opinion politique allemande a pu se former.

Je ne pourrai pas davantage me passer des dossiers de l’État-Major français pour les mêmes raisons. On a déclaré ici que les documents allant de 221 à 268 n’étaient pas pertinents. Ils sont pertinents, parce que nous avions accepté des accords de neutralité avec ces pays, et dans ces accords de neutralité, il avait été précisé que l’Allemagne respecterait cette neutralité aussi longtemps que l’adversaire la respecterait également. Nous prouverons ici que les adversaires n’ont pas respecté cette neutralité ; ainsi, la preuve d’une guerre d’agression contre ces pays par l’Allemagne...

LE PRÉSIDENT

Oui, mais l’une des objections de M. Champetier de Ribes était que la France se trouvait éliminée de la guerre par 1940 et que, par conséquent, les documents provenant de l’État-Major français en 1940 ne peuvent pas être pertinents pour ce qui s’est déroulé en 1941. C’est là l’argument qu’il faisait valoir.

Dr HORN

Vous voulez parler du Procureur français ?

LE PRESIDENT

Oui, du Procureur français.

Dr HORN

Oui, mais le fait, de la part de la France, de violations de neutralité et celui que ces violations aient été connues à ce moment du Gouvernement allemand, change tout de même la situation de façon radicale, car on ne saurait dire que l’Allemagne eût mené une guerre d’agression contre ces pays, alors que nous savions par nos services de renseignements que nos adversaires s’apprêtaient à occuper ces pays. De cette façon, les violations juridiques se trouvent chez nos adversaires, et les documents découverts à ce moment n’ont fait que confirmer les renseignements qui nous avaient été fournis alors, je dis bien : alors. Par conséquent, on ne saurait accuser l’Allemagne d’avoir violé les traités de neutralité. Je demande donc au Tribunal de bien vouloir, pour cette raison, déclarer ces dossiers comme pertinents.

En ce qui concerne les autres documents, je demande au Tribunal la permission de pouvoir faire ma déclaration lorsque je les présenterai à son agrément avec les témoignages.

LE PRÉSIDENT

Voyez-vous, Docteur Horn, nous voulons prendre une décision une fois que nous aurons entendu vos arguments. Nous ne voulons pas discuter sur chaque document que vous présentez, nous voulons les prendre dans leur ensemble.

Dr HORN

Telles sont les principales objections que j’ai à présenter sur la procédure adoptée par le Ministère Public. Je prie une fois de plus le Tribunal de bien vouloir faire une distinction entre les déclarations théoriques, de principe, faites par le Dr Dix, et les distinctions pratiques formulées par moi-même.

LE PRÉSIDENT

Nous suspendrons maintenant l’audience.

(L’audience sera reprise le 3 avril 1946 à 10 heures.)