QUATRE-VINGT-DIX-HUITIÈME JOURNÉE.
Mercredi 3 avril 1946.
Audience de l’après-midi.
Docteur Nelte, le Tribunal devait entendre le Dr Horn à 2 heures, mais si vous voulez poursuivre l’interrogatoire de l’accusé Keitel, nous ne l’interromprons pas. Faites comme vous l’entendez.
Le Dr Horn est d’accord. Nous pouvons poursuivre l’interrogatoire de Keitel.
Parfait.
Messieurs les juges, dans le but de simplifier les débats, j’ai établi que le premier affidavit Halder, dont a parlé aujourd’hui le Dr Nelte, a été déposé le 4 janvier par le colonel Taylor sous le numéro USA-531 (PS-3702). Le deuxième affidavit Halder mentionné par le Dr Nelte a été déposé également par le colonel Taylor le 5 janvier sous le numéro USA-533 (PS-3707).
Merci beaucoup.
Monsieur le Président, M. Dodd a eu l’amabilité de me remettre un nombre correspondant d’exemplaires de la brochure intitulée Bases de l’organisation de l’Armée allemande, aux fins de les transmettre au Tribunal. Je m’acquitte de ce devoir. (Au témoin.) Vous nous avez expliqué comment, le 4 février 1938, une partie des attributions réservées jusqu’à cette date au ministère de la Guerre avait été transférée aux différentes armes, et une autre partie à l’OKW. Voici ce que contient, à ce sujet, le décret dont il a été fait mention :
« L’OKW assume les fonctions du ministère de la Guerre. Le chef de l’OKW exerce en mon nom les compétences qu’avait jusqu’à présent le ministre de la Guerre. »
Dites-moi brièvement quelles étaient ces compétences. Je transmettrai moi-même au Tribunal un diagramme qui a été remis à la section de traduction mais je ne sais pas si le Tribunal en possède déjà une traduction.
Ces fonctions, qui sont celles d’un ministère, ont été, en fait, transférées à l’OKW et ont été exercées par une série de services dont je vais nommer ici les plus importants avec leurs attributions.
Je dirai d’abord un mot de l’État-Major d’opérations (Wehrmachtführungsstab), service de l’OKW qui fut placé sur le même pied que les autres services mais qui, étant donné l’ordre hiérarchique, acquit à l’égard de ceux-ci une position privilégiée. Comme l’expression l’indique, le Wehrmachtsführungsstab, État-Major d’opérations, était un organe du Haut Commandement avec lequel le Führer collaborait beaucoup et, je dois le dire, de façon prépondérante. Il n’était pas question ici d’attribution ministérielle.
Puis l’« Allgemeine Wehrmachtsamt » dont dépendait surtout la partie administrative des attributions ministérielles. Il ne serait pas faux de l’appeler un petit ministère de la Guerre.
Il y avait ensuite l’ « Amt Ausland Abwehr » s’occupant de plusieurs questions à l’échelon ministériel et parfois des questions de commandement.
Puis le « Rüstungs- und Wirtschaftsamt » (Service de l’armement et de l’économie) dont je dois signaler la dissolution en 1940. Il subsista un petit service d’administration militaire chargé surtout de l’approvisionnement de l’Armée dans tous les domaines : combustibles, charbon, carburant, etc. Vient ensuite un domaine plus important : les réserves, pratiquement les questions de recrutement. Un bureau central s’occupait plus particulièrement des questions qui se posaient au sein de l’OKW. Je signale encore la Justice, le Budget et toute une série d’autres attributions dont l’énumération n’est pas nécessaire.
Voilà toute l’activité ministérielle de l’OKW. Je voudrais...
Docteur Nelte, je crois que le Tribunal a compris la différence qui existait entre le Generalstab des Ober-kommandos et l’OKW à laquelle fait allusion l’accusé. Mais est-il nécessaire d’entrer dans tous ces détails ?
J’en avais fini avec ce paragraphe.
Très bien.
Je voulais seulement...
Avant d’en terminer avec ce document — ce plan — que vous venez de présenter, voulez-vous nous dire si vous voulez le déposer comme preuve ?
Je vous prie de le considérer comme preuve. Il vous en sera remis une traduction.
Dans ce cas, quel numéro lui donnez-vous ? Tous les documents déposés doivent recevoir un numéro.
Donnons-lui, si vous le voulez bien, le numéro Keitel 1 (a).
Qui a fait ce plan ?
Nous l’avons fait et il a été reproduit en plusieurs exemplaires par la section technique du Tribunal. Le Ministère Public possède également ce diagramme.
Avez-vous demandé à l’accusé s’il en certifie l’exactitude ?
Monsieur le Feldmarschall, voulez-vous vérifier ce diagramme et nous dire s’il est exact.
Oui, je le reconnais.
Monsieur le Président, le Ministère Public n’a pas reçu ce diagramme et voudrait le connaître avant d’en tirer des conclusions.
En avez-vous d’autres exemplaires, Docteur Nelte ?
Nous pouvons en distribuer immédiatement… Je vous demanderai alors de réserver votre décision jusqu’à ce que vous en ayez reçu en nombre suffisant.
Ce diagramme est exact. Il ne contient pas les modifications apportées entre la création de l’OKW et le Statut que je viens de décrire par les remaniements ministériels, mais il indique comment on a effectivement procédé ces dernières années.
Continuez, Docteur Nelte.
Pour en finir avec ce groupe de questions, je vous demanderai ce qui suit : est-il exact que tous les ordres et décrets que le Ministère Public vous attribue ont été donnés ou signés sur l’ordre du Führer et en son nom ?
Oui, c’est là en effet une définition exacte de cette question. Cependant, je voudrais dire encore une fois, comme je l’ai déjà dit au début, que j’ai été et suis toujours entièrement responsable de ces ordres lorsque mon nom y apparaît. En effet, les circonstances étaient les suivantes : je connaissais évidemment la teneur de ces ordres et je reconnais ma signature sur les documents qui m’ont été présentés. Ils sont authentiques. Je dois ajouter que lorsque des scrupules de soldat ou d’autres raisons m’ont fait considérer ces ordres comme discutables, j’en ai évidemment fait part et je me suis efforcé d’en empêcher la parution. Cependant, il est de mon devoir de déclarer que lorsque Hitler avait pris à leur égard une décision définitive, je les ai transmis, je dois dire, pratiquement sans les contrôler.
Monsieur le Président, avant d’aborder la suite de mon interrogatoire, je voudrais faire une remarque.
L’Accusation a fondé la participation de Keitel aux nombreux crimes qui font la matière de ce Procès sur différents faits qui ne concordent pas toujours et qu’il faut concilier. Elle lui reproche par exemple, en toutes lettres, d’avoir été un officier d’État-Major important et influent et l’accuse, ensuite, de n’avoir été qu’un instrument sans volonté et d’avoir entretenu des relations intimes avec Hitler. Vous comprendrez que si l’accusé veut donner des explications ou réfuter ces allégations, il doit faire abstraction de ses rapports avec Hitler.
L’accusé lui-même a déjà fourni les explications sur ses rapports avec Hitler, Docteur Nelte. Si vous désirez des précisions, posez-lui d’autres questions.
Jusqu’à présent, il ne nous a parlé que de ses rapports de service avec Hitler. Mais je voudrais, pour compléter ce tableau, qu’il nous parle de ses relations personnelles avec lui. (Au témoin.) Voulez-vous nous parler de votre collaboration avec Hitler. Je vous prie d’être le plus bref possible et de ne dire que le strict nécessaire, mais sans déformer la réalité.
C’était la collaboration d’un chef militaire avec son subordonné ; en d’autres termes, j’ai entretenu avec lui les rapports que j’ai toujours eus au cours de ma carrière de soldat avec les commandants en chef de l’État-Major dont je faisais partie. Mon attitude à l’égard de Hitler a toujours été dictée par de pures considérations de service. Évidemment, je donnais mon opinion ; c’était mon droit et mon devoir. On en comprendra la difficulté si l’on sait que Hitler, après quelques échanges de paroles, dominait toujours la discussion et épuisait lui-même la question, ce qui rendait très difficile toute tentative de revenir sur le sujet. Je dois dire qu’ayant occupé de nombreux postes dans d’importants états-majors, j’étais habitué à discuter avec mes supérieurs, si j’ose m’exprimer ainsi. Je me trouvai là dans une situation à laquelle je n’étais pas habitué ; je fus pris au dépourvu et ai souvent perdu la pleine possession de mes moyens. Ceci n’a rien d’étonnant, car Hitler, pour employer un langage modéré, apportait dans les questions militaires et stratégiques, des idées audacieuses qui heurtaient souvent le soldat de la vieille école que j’étais, après trente-sept années de service.
S’agit-il du temps de guerre ou de la période qui a précédé la guerre ?
Pendant la guerre, ces contrastes se sont atténués par la force des événements. Les nécessités du moment ont pris le dessus et ces choses prirent une forme différente. D’autre part, au cours de « l’examen de la situation », Hitler était assisté d’une vingtaine de personnes et, au sens militaire du mot, était impitoyable dans ses critiques à l’égard des absents. En principe, j’ai toujours défendu les absents qui ne pouvaient se justifier eux-mêmes, ce qui eut pour conséquence d’attirer sur ma personne les reproches et les accusations qu’il leur destinait. Dans ces conditions, mon éducation de soldat m’obligeait à une certaine retenue car, en face des jeunes gens qui assistaient à ces conférences, je ne pouvais adopter à l’égard d’un supérieur une attitude de protestation ou de résistance. Le Führer ne tolérait absolument pas que l’on contredît un supérieur, quel que soit son grade ; la discussion n’était donc possible qu’ultérieurement et seul à seul.
Aviez-vous l’impression d’avoir la confiance de Hitler ?
Je ne puis l’affirmer, pour être exact ; je dois même dire que l’attitude de Hitler à mon égard n’était pas sans réserve et je sais aujourd’hui que, sur beaucoup de points, il a eu, vis-à-vis de moi, beaucoup de retenue et ne m’a jamais fait confiance. Hitler s’est toujours méfié des généraux d’un certain âge ; ils étaient, à ses yeux, les représentants d’une école surannée et dépassée et, pour nous, vieux soldats, il était lui-même un homme qui voulait insuffler à la Wehrmacht des idées nouvelles et révolutionnaires.
Cette méfiance s’exprimait malheureusement dans une forme désagréable ; il croyait en effet qu’avec les autres généraux de l’Armée de terre je complotais dans son dos et que je les montais contre lui. La raison en était peut-être que j’avais pris parti pour eux alors qu’ils étaient dans l’impossibilité de se défendre. Tout ceci a causé quelques incidents particulièrement graves, dans certaines circonstances.
Une autre question se pose maintenant : quelle fut la nature de votre collaboration avec Hitler, en particulier peut-on vous considérer comme son adjoint, son conseiller, ou quelque chose d’approchant ? Voulez-vous me dire si Hitler a élaboré ses plans en vous consultant comme on consulte quelqu’un avec lequel on travaille en liaison étroite ?
Je dois répondre en gros par la négative. Il n’était d’ailleurs pas du tout dans la mentalité de Hitler d’avoir des conseillers au sens étymologique du mot. J’étais peut-être conseiller en ce sens que je lui apportais des éléments puisés dans une longue expérience militaire, mais je n’intervenais absolument pas dans les décisions qu’il prenait, et c’est ce qu’on semble vouloir dire ici. Les décisions étaient en général précédées de semaines et parfois de mois de réflexion, durant lesquels nous pouvions rassembler des documents, mais il ne tolérait aucune intervention lorsqu’il s’agissait de la décision elle-même.
En dernière analyse, ses dernières paroles, si dur que cela puisse paraître, étaient celles-ci : « C’est ma décision et je n’y reviendrai pas ». Voilà comment il annonçait ses décisions.
Quand de telles décisions impliquaient plusieurs domaines de compétences, n’y avait-il pas de consultations préalables ?
Non, je ne me souviens pas que depuis 1938 une seule décision importante ait été prise après consultation, disons des personnalités civiles et militaires, car Hitler avait l’habitude de s’entretenir seul à seul avec chaque responsable des différents ressorts et glanait auprès d’eux des éléments nouveaux qu’il intégrait à ses plans. L’impression que l’on retire de la lecture de documents, de comptes rendus de réunions de généraux ou de listes de participants à des conférences, est trompeuse. De telles réunions n’ont jamais eu un caractère consultatif, il n’en était même pas question. Le Führer avait en effet l’impression, pour diverses raisons, que nous étions hostiles à ses projets, ce qui l’incitait à exposer ses idées devant un large auditoire, sans pour cela permettre la discussion. Ces groupements, que les documente appellent réunions, n’ont jamais été des aréopages.
Je dois ajouter que la façon même de tenir ces réunions interdisait toute discussion. L’officier le plus ancien réunissait un certain nombre de généraux, le Führer faisait son apparition, parlait et partait. Personne n’aurait eu le temps de dire un mot. En résumé — et je n’exagère pas — , le Führer donnait des instructions mais il ne s’agissait pas de consultations.
Maintenant, passons à autre chose. Le Ministère Public prétend que vous étiez membre du Gouvernement du Reich. Qu’avez-vous à dire à cela ?
Je n’ai jamais appartenu au Gouvernement du Reich et n’ai jamais été membre du Cabinet. Je dois, en outre, préciser que je n’ai jamais été ministre mais, comme le spécifiait le décret de 1938 : « Il a rang de ministre du Reich » et non pas « Il est ministre du Reich ». L’expression ministre signifiait simplement « rang de ministre » et il y avait de bonnes raisons à cela. Je répète seulement ce que j’ai dit ce matin. Il ne devait pas y avoir entre Hitler, l’Armée et les différentes armes, quelqu’un investi de fonctions ministérielles et la phrase à laquelle l’Accusation a fait plusieurs fois allusion : « Il avait rang de ministre » s’explique ainsi : avant la parution de ce décret, j’avais maintes fois demandé à qui j’aurais affaire, à des secrétaires d’État ou à des ministres et voici ce que Hitler me répondit :
« Si, agissant en mon nom, vous négociez avec des ministres du Reich, vous ne pouvez évidemment le faire que si vous avez rang de ministre et non de secrétaire d’État. »
Voici l’explication de cette phrase du décret : « Il a rang de ministre ».
Avez-vous eu, au Quartier Général, des entretiens avec d’autres personnalités influentes et dont le rôle était important, comme Ribbentrop, Rosenberg, Speer, Sauckel ou d’autres ?
Les visites de ministres ou d’envoyés spéciaux au Quartier Général étaient strictement réglées et ne coïncidaient que rarement avec la présence de nombreuses personnalités. En général, un temps était prévu pour chaque chose. J’entendais presque toujours des phrases de ce genre : « Le ministre des Affaires étrangères est ici », ou bien : « Le ministre Speer est ici », « Le plénipotentaire général au travail Sauckel est arrivé », mais je n’étais appelé à ces conférences que le Führer désirait tenir secrètes que lorsque il était question de sujets purement militaires. Je pourrais donner des exemples, mais il serait faux, et l’interrogatoire du secrétaire d’État Steengracht l’a montré, de croire que les personnages qui se succédaient au Quartier Général, constituaient une sorte de cabinet réduit. Hitler s’entretenait seul avec chacun de ses fonctionnaires, leur donnait des instructions ou les déchargeait de certaines tâches. Il est arrivé souvent qu’en s’en allant ces gens m’aient demandé en passant certains petits services que je pouvais leur rendre ou aient été chargés de m’informer de certaines décisions ou de me demander de transmettre aux autorités militaires compétentes les décisions prises.
De plus, je voudrais savoir si l’expression « intime » employée par l’Acte d’accusation qualifie exactement vos rapports avec Hitler dans vos relations privées ou de service.
J’ai en effet lu ce mot « intime » dans l’Acte d’accusation et je me suis demandé ce qu’il voulait dire. Pour être sincère, je dois dire que je n’ai jamais parlé à personne des difficultés constantes auxquelles j’ai eu à faire face ; je les ai toujours cachées. Je ne sais pas si ce mot « intime » a en anglais le même sens que chez nous. Nous entendons par là des relations confiantes, chacun des interlocuteurs disant franchement ce qu’il pense ; ce n’était pas le cas. Je l’ai d’ailleurs déjà dit et ce n’était pas non plus l’habitude de Hitler de se comporter de cette façon à l’égard des généraux de l’ancienne génération dont je faisais partie. Indépendamment des relations de pure forme que j’ai eues avec lui pendant plusieurs semaines et sur lesquelles je ne veux pas revenir, je n’ai jamais joué auprès de lui le rôle de conseiller ou de collaborateur. Je dois dire que, de mon côté, j’ai toujours été fidèle et loyal car c’est ainsi que je comprenais la mission qui m’était confiée. Cependant, il n’a jamais existé entre nous, sur le plan personnel, de rapports empreints de confiance et de compréhension réciproque. Ces rapports ont toujours été corrects, mais en restant sur le plan officiel et professionnel, sans plus.
Un décret du 4 février 1938 a créé un Conseil de cabinet secret. Ce décret semble indiquer que vous étiez membre de ce Conseil de cabinet. Pour gagner du temps, je vous demanderai seulement si vous confirmez la déposition du maréchal Göring, qui a déclaré que la création de ce Conseil de cabinet secret n’était que du bluff, qu’en réalité il n’a jamais existé et n’a tenu aucune réunion.
C’est absolument exact.
Occupons-nous maintenant du groupement appelé Conseil de Défense du Reich. Au cours de l’audience du 23 novembre, le représentant du Ministère Public a déposé les documents suivants destinés à prouver le réarmement, la participation active de la Wehrmacht aux préparatifs de guerre d’agression.
Le document EC-177 relate une séance du Conseil de Défense du Reich du 22 mai 1933. Je dois dire que j’en ai pris la traduction dans le procès-verbal et que je ne sais pas si l’expression « Conseil de Défense du Reich » a été correctement traduite. Le compte rendu déclare qu’il s’agit d’une séance du comité de travail. Je vous fais remarquer, pour votre information personnelle, que le Conseil de Défense du Reich était un organisme ministériel et qu’il existait à côté un comité de travail. Le deuxième document, déposé sous le numéro EC-405, relate une séance de ce même organisme, du 7 mars 1934 ; te troisième document, PS-2261, contient la loi de défense du Reich de 1935 et la nomination, à la même époque, du Dr Schacht au poste de plénipotentiaire à l’Économie.
Il est incontestable que vous vous êtes occupé des questions intéressant la défense du Reich. Ces documents seront utilisés contre vous et je vous demande de nous dire si ces réunions auxquelles vous avez assisté et que vous avez dirigées ont été consacrées aux préparatifs de guerre et à l’armement.
Dès le début, je me suis occupé personnellement de toutes ces questions et puis me considérer comme l’instigateur de ce comité des rapporteurs qui est à l’origine de beaucoup d’autres choses et qui était destiné à collaborer avec le ministère de la Défense nationale. En tant que chef de la section d’organisation de l’Armée de terre, j’ai formé personnellement ce comité de rapporteurs au cours de l’hiver 1929-1930, c’est-à-dire trois ans avant le Gouvernement de Hitler, après que le Chancelier du Reich, c’était à l’époque Brüning, et le ministre de l’Intérieur du Reich et de Prusse, Severing, eurent donné leur assentiment. Je voudrais faire remarquer qu’un représentant du ministre Severing était constamment présent et devait veiller à ce que rien ne se passât qui fût contraire aux stipulations du Traité de Versailles. Ce travail était méticuleux, car aucun ministre du Reich ni aucun chef de direction n’était tenu de par ses fonctions à réaliser les désirs du ministère de la Défense nationale et de l’Armée, mais tout avait été édifié par bonne volonté. Les travaux avancèrent donc lentement et péniblement. Au sein de ce comité de rapporteurs, nous, nous sommes occupés surtout, si je m’en souviens bien, de savoir quelle assistance pouvaient nous prêter les administrations civiles pour rendre cette « armée de 100.000 hommes » disponible pour des missions purement militaires. Tout ceci naturellement dans le cadre de la protection de nos frontières que nous avait garanties le Traité de Versailles. En faisant appel à mes souvenirs. je pourrais répéter ce qu’on y déclara’ car, à l’exception de la période comprise entre 1933 et 1934, j’ai présidé moi-même chacune de ces séances ou bien j’ai simplement dirigé la discussion. Cependant, je puis me référer au livre de mobilisation destiné aux autorités civiles, qui sera d’ailleurs peut-être déposé, et qui a été publié en conclusion de ce travail. J’y reviendrai bientôt. Nous n’avons traité que les questions de défense des frontières et je donnerai quelques précisions pour éviter tout malentendu : la Wehrmacht devait être capable d’assurer la défense des chemins de fer, des postes, des transformateurs électriques et des stations de radio ; elle devait occuper des positions de sécurité aux frontières avec l’aide des douaniers. D’autre part, les transmissions avec la Prusse orientale ainsi que les transmissions par câbles et par mer devaient être améliorées.
Je ne voudrais pas vous importuner avec ces énumérations ; il s’agissait uniquement de mesures défensives destinées à rendre les quelques soldats dont nous disposions, aptes à remplir des tâches purement militaires. En effet je n’ai pas besoin de préciser ni de prouver davantage ce qu’il a été effectivement possible de réaliser avec une armée de 100.000 hommes. Toutes les questions étrangères à ce domaine n’ont jamais été traitées par ce comité. Les choses se passaient ainsi : je demandais au rapporteur de présenter aux chefs de service ou aux secrétaires d’État leurs désirs et de faire en sorte, par leur éloquence, que les chefs de service nous déchargent de ces travaux afin que l’on puisse dire : ce sont les autres qui les font ; nous n’avons plus à nous en occuper. Les questions d’opérations, les questions stratégiques, d’armements, d’approvisionnements en matériel de guerre n’ont jamais été abordées dans ce comité. Il ne s’agissait que des questions d’organisation ; il s’agissait de faire endosser à des services civils, des responsabilités qui incombent en général aux militaires.
Je vais aborder maintenant la séance du 22 mai 1933 dont on a beaucoup parlé. Dans la copie du compte rendu que nous avons ici, on l’a déjà dit : la compétence est passée du ministre de la Défense nationale au Conseil de Défense du Reich. Je l’ai déjà dit : il ne s’agissait plus du ministre de la défense du Reich, grâce à l’adhésion volontaire au comité des autres ministres, mais d’une action obligatoire des chefs de départements, des ministres, agissant sous le vocable « Conseil de Défense ». Je vais m’expliquer plus clairement pour éviter tout malentendu. Chaque membre du comité représentait un ministère. Le ministre dont dépendait ce comité des rapporteurs formait avec les autres ministres ce « Conseil de Défense du Reich », qui était le « conseil », tandis que nous, nous formions le « comité ». On pouvait donc dire, à ce moment, que les autres ministres étaient habilités à agir ainsi.
Le paragraphe 3 parle particulièrement de « plans de travail ». Il s’agit pratiquement des travaux préparatoires au livre de mobilisation qui est l’aboutissement des travaux faits au cours de l’année 1933. Puis c’est la conclusion de la séance du 22 mai 1933 sur laquelle l’Accusation a insisté et selon laquelle, dit le compte rendu, j’ai demandé qu’il ne demeurât aucune trace écrite de cette réunion susceptible de susciter des difficultés à la Conférence du désarmement de Genève. C’est en effet exact, et je l’ai dit, pour les raisons suivantes : les rapporteurs m’ont signalé qu’à part un petit secrétaire ou un tiroir qui ne fermait pas, ils n’avaient rien qui fût susceptible de contenir des documents. D’autre part, l’ancien ministre de la Guerre, von Blomberg, qui est resté presque deux ans à Genève à la Conférence du désarmement, m’avait donné avant cette séance l’ordre exprès de prendre ces dispositions car Genève était plein d’agents dont l’unique tâche était de prouver d’une manière quelconque que l’on se servait de la Conférence du désarmement pour attenter au Traité de Versailles. Voilà ce que je voulais dire à propos de ce document.
Je vous ai fait transmettre le livre de mobilisation destiné aux administrations civiles. C’est le document PS-1639. Il doit prouver qu’il s’agit de préparatifs de guerre d’agression. Voulez-vous nous expliquer à quoi devait servir cet ouvrage.
J’ai déjà dit qu’entre 1932 et 1933 les différents ministères ont élaboré ce qu’on a appelé les « plans du travail » définissant leur attitude au cas où des événements quelconques auraient motivé leur participation à la défense du pays. De plus, petit à petit, de nouvelles tâches sont apparues qui ont conduit finalement à la parution de ces livres de mobilisation destinés aux autorités civiles et aux administrations ; ils ne prouvent absolument pas que l’on s’est occupé là de préparatifs de guerre dans le domaine de la stratégie ou dans celui des opérations. D’un autre côté, il ne m’est pas possible de prouver que les dispositions de ce fascicule n’auraient pas été utilisées au cours d’opérations militaires comprises dans le cadre d’une guerre d’agression. Beaucoup de mesures, je pourrais presque dire toutes les mesures envisagées en cas de mobilisation ne permettent pas de reconnaître si elles ont un caractère défensif ou offensif. Mais je crois pouvoir dire, car j’y ai travaillé personnellement, Qu’on ne peut en déduire une participation éventuelle des hauts fonctionnaires civils à des préparatifs stratégiques ou autres. A mon avis, il est à peine nécessaire de le prouver. J’ai feuilleté ici ce livre de mobilisation ; je l’ai étudié et il me semble que ce serait vous importuner que de vous énumérer les dispositions purement défensives que j’y ai trouvées. Je pourrais les nommer : mesures de fermeture, renforcement de la protection des frontières, destructions, coupures de lignes de chemin de fer et autres choses semblables. Un chapitre parmi les plus importants auquel on a consacré peut-être cinq ou six séances est celui de l’évacuation des populations frontalières et du matériel de valeur afin qu’au cours de l’évolution de la guerre il ne tombe pas entre les mains de l’ennemi. C’était là un des points les plus délicats car il est extrêmement difficile de donner au terme « régions frontalières » des limites précises.
Cependant, en ce qui concerne le Comité de défense du Reich, et pour compléter mes déclarations précédentes, je voudrais ajouter ceci : jusqu’en 1938 n’a eu lieu aucune réunion ou aucune séance du Conseil de Défense du Reich, c’est-à-dire des ministres qui étaient au-dessus du Comité. Pas une seule fois. Je devais le savoir, bien qu’en Conseil de cabinet, en mars 1933 je crois, on ait pris la décision de donner à ces ministres la responsabilité incombant à un Conseil de Défense du Reich et qu’on les ait ainsi obligés à s’occuper de cette question de la défense du territoire qui devenait dorénavant une de leurs tâches et naturellement à en assurer le financement. C’est là tout ce qu’a fait le Conseil de Défense du Reich qui n’a jamais siégé.
En fait, les comptes rendus établis entre 1933 et 1938 concernent bien des séances du comité de travail. Vous savez cependant qu’il y a huit jours environ, on a déposé deux documents qui semblent bien être le compte rendu de séances du Conseil de Défense du Reich. L’une de ces séances a dû avoir lieu en novembre 1938 et la seconde en mars 1939. Malheureusement, je n’ai pas les documents mais je les ai vus et vous aussi. Dites-nous comment ces comptes rendus, je veux dire plutôt comment ces réunions ont été tenues et ce qu’elles signifient.
Je voudrais dire encore quelques mots pour compléter la déclaration qu’a faite le maréchal Göring. En décembre 1938, la loi sur la défense du Reich était encore, depuis 1935, restée dans un tiroir ; elle n’avait pas été publiée et demandait une modification du fait qu’elle avait été élaborée par le ministre de la Guerre et Commandant en chef von Blomberg. Je me suis rendu auprès du maréchal Göring pour lui parler de cette question et pour trouver une nouvelle base de discussion devant conduire à la rédaction de cette loi non publiée. Cette nouvelle loi de 1938 avait une série d’annexés et d’amendements par rapport à la précédente et j’en expliquerai plus tard le détail. Le maréchal Göring agissait ici en tant que représentant du Führer : il avait été auparavant ministre de la Guerre, poste que je ne pouvais pas occuper. Je vais rappeler quelques faits : cette conférence de novembre 1938 avait été convoquée par le maréchal Göring afin de porter à la connaissance d’un grand nombre de gens appartenant au ministère cette loi non publiée et destinée à rester telle. Il y avait environ 70 personnes et peut-être plus, devant lesquelles le Reichsmarschall expliqua la situation au cours d’une allocution. Il n’y eut aucune discussion et on ne peut pas parler véritablement d’une séance du Conseil de Défense du Reich.
Vous m’avez montré également le second document concernant la séance du Conseil de Défense du Reich, comme il est indiqué dans les comptes rendus de l’été 1939.
Non, il s’agit de mars 1939.
En tout cas on en a parlé ici et je crois bien que c’était la seconde séance du Conseil de Défense du Reich. Voici ce dont il s’agit : j’ai réuni le Comité et, naturellement, j’ai communiqué au maréchal Göring l’ordre du jour et la liste des personnes présentes. Le maréchal Göring me fit savoir qu’il allait venir lui-même et qu’il avait l’intention d’allonger la liste des personnes convoquées car il avait d’autres questions à discuter. En plus de l’ordre du jour que j’avais prévu pour ce Comité, d’autres questions concrètes ont été posées au cours des débats. Ce qu’il y a de curieux c’est que, d’après la liste des présents et d’après divers témoignages, les membres du Conseil de Défense du Reich y étaient en très petit nombre, bien que la séance eût réuni de 40 à 50 personnes. Le Conseil de Défense du Reich lui-même comprenait 12 personnes et je n’ai pas besoin d’expliquer plus longtemps que les deux réunions ou séances se sont déroulées de la façon que je viens de mentionner ; l’on ne peut parler de séances du Conseil de Défense du Reich à l’issue desquelles on devait prendre les décisions et pour lesquelles un ordre du jour était prévu, mais il s’agissait de deux manifestations dont j’ai indiqué les causes et la portée.
Docteur Nelte, le Tribunal estime que vous pourriez peut-être activer un peu l’interrogatoire de l’accusé. Le Tribunal se rappelle que vous avez demandé, il y a quelques jours, la possibilité de faire certifier sous la foi du serment les documents dont fait usage l’accusé. Cette attestation se trouve dans votre livre de documents. Vous avez traité de tout ceci d’une façon bien plus longue que si vous aviez simplement lu cette attestation. Nous espérons qu’il sera possible à l’avenir de consacrer moins de temps à cette question des preuves.
Monsieur le Président, je me suis efforcé de réduire tout ceci au strict minimum, mais il est évident que nous jugeons chacun avec notre point de vue. Malheureusement, c’est le nom de l’accusé qui revient le plus souvent au cours de ce Procès et, naturellement, il a à cœur de traiter ce qu’il estime important pour donner une vue exacte des choses.
Docteur Nelte, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de discuter plus longtemps sur ce sujet ; le Tribunal vous a fait part de ses désirs.
J’essaierai, Monsieur le Président, de me conformer à ce désir. (Au témoin.) Feldmarschall Keitel, vous nous avez expliqué la signification des termes « Conseil de Défense du Reich » et « Comité de Défense du Reich ». Vous savez bien qu’il ne s’agit pas de savoir si telles décisions ont été prises dans un Conseil de Défense du Reich ou dans un Comité de Défense du Reich. Il s’agit de savoir ce qui est arrivé et si ce qui est arrivé est conforme aux accusations du Ministère Public. C’est pour cela que je vous demande de me dire si ce que vous avez préparé au sein de ce Comité de Défense du Reich est de nature à justifier le soupçon que vous ayez pensé à une guerre d’agression.
Je sais fort bien que les questions de forme n’ont pas beaucoup d’importance ; qu’il s’agisse d’un comité ou d’un conseil, la question reste la même. En effet, le Conseil était évidemment une réunion de ministres et le Comité réunissait des fonctionnaires moins importants. Il s’agit de savoir ce qui a été fait. Je dois dire que toutes les questions de préparation de guerre, de plans établis dans l’éventualité d’une guerre, de préparatifs dans l’ordre stratégique, dans celui des armements ou dans celui des opérations n’ont pas été faits dans ce but. Je dois ajouter, pour être absolument exact, que je ne peux garantir toutes les paroles prononcées de 1934 à l’automne 1935 car je n’ai pas participé aux entretiens et aux conférences qui se sont déroulés à cette époque.
Le Ministère Public vous a dépeint comme membre d’un triumvirat possédant un certain pouvoir gouvernemental. Je vous transmets les documents PS-2194. Vous y trouverez, dans la loi de défense du Reich de 1938, paragraphe 5, alinéa 4, l’origine de cette description qui n’a rien d’officiel.
La loi de défense du Reich de 1938 prévoyait un plénipotentiaire à l’administration pour réduire les effectifs. Le ministre de l’Intérieur du Reich devait s’y conformer et, de plus, comme prévu au paragraphe 5, alinéa 4, il devait donner à l’OKW la possibilité de prendre les dispositions concernant les chemins de fer et les postes. En effet, en cas de mobilisation, les transports et les transmission devaient, comme partout, lui être subordonnés. J’ai entendu parler ici pour la première fois de ce triumvirat. Il s’agit du plénipotentiaire à l’administration, du plénipotentiaire à l’Économie et du chef de l’OKW, il n’y a pas de doute là-dessus. En effet, dans le cadre de la loi sur la défense du Reich, on avait déjà pris une série de mesures qui étaient restées dans les tiroirs. Ces mesures ont été ensuite publiées en même temps que la loi et chacun de ces trois fonctionnaires devait s’occuper des préparatifs qui leur incombaient. On a donc parlé de triumvirat car ils exerçaient ces fonctions en vertu de pleins pouvoirs.
Le Ministère Public prétend, en s’appuyant sur le document PS-2852, que vous étiez membre du Conseil des ministres pour la défense du Reich. N’étiez-vous pas ministre du fait que l’on vous a désigné comme membre du Conseil de Défense du Reich ?
Puis-je dire quelques mots sur ce Conseil des ministres. La loi sur la défense du Reich, le Comité de Défense du Reich et le Conseil de Défense du Reich ont été éclipsés par la loi créant le Conseil des ministres pour la défense du Reich et n’ont ainsi jamais eu l’occasion de fonctionner. Le Conseil des ministres pour la défense du Reich a été créé le 1er septembre 1939 et a rendu ainsi lettre morte les projets élaborés au Conseil de Défense du Reich et au Comité de Défense du Reich, ainsi que la loi du même nom, en créant à leur place une institution nouvelle. C’est ainsi que le Conseil des ministres pour la défense du Reich constituait le cabinet de guerre restreint qui aurait dû, si je puis dire, être créé, comme je l’avais proposé, avec un nombre restreint de membres. Ainsi, après la nomination des membres de ce Conseil des ministres et sa consécration officielle, c’est lui qui prit les mesures nécessaires.
J’ai été appelé à ce Conseil des ministres. J’y ai reçu un poste. Je n’en donnerai pas les raisons car elles sont d’ordre intérieur. Je n’y ai joué aucun rôle actif, j’en étais membre. C’était d’ailleurs fort bien ainsi, car dans le secteur purement militaire, en ce qui concernait la Wehrmacht, c’était le Führer lui-même qui prenait les décisions et qui signait sans consulter le Conseil des ministres ; il n’était donc pas nécessaire de passer par Berlin. Quant à la question de savoir si j’ai été nommé ministre ou si j’ai exercé des fonctions ministérielles, je répondrai dans l’un et l’autre cas par la négative. Ce poste n’impliquait aucun droit à remplir des fonctions de ministre. J’étais seulement le représentant de la Wehrmacht à ce Conseil des ministres.
Il est pourtant indiscutable que votre nom figure au bas de textes de lois et de décrets. Comment expliquez-vous la présence de ces signatures ?
J’ai en effet signé une série de décrets du Conseil des ministres, car ils m’ont été transmis par le secrétariat ou par le chef de la Chancellerie du Reich, le Dr Lammers, en me demandant d’y apposer ma signature. Lorsque j’en ai demandé la raison, Lammers me répondit qu’il fallait bien que les autres fonctionnaires voient que la Wehrmacht devait aussi se conformer à ces ordonnances et à ces lois. Ma signature au bas de ces textes signifie donc que la Wehrmacht n’y échappait pas.
Le Ministère Public a porté contre vous une autre accusation : il vous reproche d’avoir été un général politique. Il est évident que vous avez été mêlé à diverses mesures politiques. Voulez-vous nous en donner les raisons.
Je comprends parfaitement que les fonctions que j’ai exercées et qui, s’apparentant à celles d’un ministre, m’ont plusieurs fois obligé à des contacts avec les ministres du Reich, ont pu faire croire que j’exerçais des fonctions politiques, d’autant plus que nous étions en guerre et que les questions militaires étaient au premier plan. D’autre part, ma présence, relatée par les documents, à des visites d’État ou à d’autres manifestations a pu également faire croire ’que j’étais mêlé à des questions politiques. Toutes ces déductions sont fausses ; je n’ai été mêlé ni à la politique intérieure allemande, ni à ce qui a un rapport quelconque avec la politique étrangère. Mais j’avais évidemment toute une série de questions à régler en rapport avec les ministères, surtout avec les techniciens, et la Wehrmacht avait, d’une façon ou d’une autre, son rôle à jouer à l’occasion de l’adoption de presque tous les textes émanant des ministres.
Tous ces travaux trouvaient leur conclusion à Berlin, alors que j’étais obligé de suivre le Führer au Quartier Général. Mes bureaux — les bureaux de l’OKW — étaient par conséquent en liaison assez lâche avec les techniciens des ministères. Ainsi apparurent des textes de cette sorte à l’occasion desquels j’avais pris position ou obtenu l’accord du Führer. J’étais, d’autre part, le collecteur des désirs et des opinions des officiers généraux qui commandaient les différentes armes. Cette activité m’a, bien entendu, mêlé au fonctionnement de tout cet ensemble, mais je ne crois pas que cela permette d’appliquer au chef de l’État-Major du Führer l’épithète de général politique.
Parlez-nous de votre rôle en ce qui concerne la politique étrangère et les réunions qui y furent consacrées ?
En ce qui concerne la politique étrangère, je reprendrai ce que le ministre des Affaires étrangères a dit de la collaboration qu’il avait eue avec le commandement de la Wehrmacht. Lorsque les deux services importants étaient appelés à coopérer, chacun voulait en faire à sa guise et c’était tantôt l’un, tantôt l’autre, les Affaires étrangères ou la Wehrmacht qui, sous l’influence du Führer lui-même, refusait son accord. Je tiens à le faire remarquer, il empêchait toute osmose entre ces deux services et tenait à avoir affaire à l’un ou à l’autre séparément. Bref, tout était fait séparément et les fonctionnaires convoqués au Quartier Général le quittaient seuls. Je puis peut-être résumer cette activité de politique étrangère en citant les contacts avec le ministère des Affaires étrangères, contacts relatés ici par le secrétaire d’État Steengracht, dans le domaine du droit des gens, et qui englobait la question des prisonniers de guerre, les contacts avec les Puissances protectrices de ces prisonniers et un domaine que Steengracht a peut-être mentionné lorsqu’il disait : « J’englobe dans la Wehrmacht toute la question des attachés ». En effet, tous les rapports que les attachés militaires dans les pays neutres ou amis envoyaient à la Wehrmacht ou à leurs chefs, passaient par le canal des Affaires étrangères. Au cours de ce circuit, il y avait des fuites et nous apprenions beaucoup de choses. Il était tout naturel qu’au cours de la guerre, des nouvelles particulièrement intéressantes aient entraîné certains contacts et que nous nous soyons plaints de recevoir trop tard des Affaires étrangères ces rapports que notre ministère voulait recevoir directement. A part cela, je l’affirme, il n’y eut aucune collaboration et aucun travail d’équipe entre nous et les Affaires étrangères dans le domaine de la conduite de la guerre.
Il y a environ dix jours, le Ministère Public a présenté ici un document D-655 portant le titre « Idées du Führer sur les Waffen SS » et la date du 6 août 1940. Ce document contient une note de l’OKW qui s’exprime ainsi :
« Le chef de l’OKW est d’avis de diffuser les idées du Führer. »
Connaissez-vous ce document ?
Oui, j’ai lu ce document lorsqu’il à été déposé et je puis m’en souvenir. Pour plus de précision, je dirai ceci : après la guerre en France, Hitler prépara la création de corps indépendants en rendant indépendantes les formations SS — les Waffen SS — . Jusque là, elles étaient des unités d’infanterie incorporées à différentes formations de l’Armée de terre. Elles devinrent dorénavant indépendantes. Ceci a provoqué une forte réaction et, en général, fut désapprouvé par les milieux militaires qui s’en tenaient à la formule : « Il n’y a qu’une force armée en Allemagne : la Wehrmacht » ; cet adage était ainsi infirmé ; quelles en seraient les conséquences ?
Le Commandant en chef de l’Armée a, à cette époque, demandé des explications à l’aide de camp de Hitler à ce sujet, et le général Schmundt a rédigé le document ici présent, avec l’accord de Hitler.
J’étais présent auprès du Führer et lui ai déclaré sans ambages que ce serait considéré comme un affront par l’Armée. Il se décida à charger son aide de camp d’une explication, car l’OKW n’avait rien à voir avec cette question. C’est l’Armée de terre elle-même qui a fait cette déclaration pour apaiser les esprits, et si j’ai dit que je ne voyais pas d’objection à la propagation de ces idées, c’était pour satisfaire à un désir du général von Brauchitsch qui m’avait demandé expressément de faire savoir dans toutes les unités, pour apaiser les esprits dans l’Armée, qu’il s’agissait là de troupes de police qui devaient obligatoirement avoir participé aux opérations militaires, pour le cas où on refuserait dans le pays de les reconnaître comme troupes combattantes. Voilà comment les choses se sont passées et si l’on me demande quelle est ma position actuelle vis-à-vis de tout ce problème, je ne peux ajouter que ceci : j’ai cru que ces mesures seraient limitées, je crois qu’on en nomma dix pour cent. Après l’extension prise après 1942 par la mise sur pied de nouvelles unités, ces formations perdirent leur caractère originel d’élite ou de corps choisi pour ses qualités raciales. On ne pouvait méconnaître cette poussée, et j’ai beaucoup craint moi-même que les Waffen SS, cet instrument soufflé dont les effectifs avaient été portés à vingt divisions, ne devinssent une nouvelle armée animée d’une autre idéologie. Nous avons éprouvé de graves inquiétudes à ce sujet, d’autant plus qu’il ne s’agissait plus d’une sélection ; que des officiers, sous-officiers et soldats étaient détachés de la Wehrmacht pour y être versés. Ce n’était plus une sélection de volontaires. Je crois qu’il n’y a plus rien à dire sur ce sujet.
Le Ministère Public m’a présenté le document L-211 qui porte pour titre « La conduite de la guerre en tant que problème d’organisation » et contient le point de vue de l’OKW sur un mémoire du Commandant en chef de l’Armée de terre sur « l’organisation de la direction des Forces armées ». Ce document a été produit pour prouver que le Haut Commandement des Forces armées et vous, en tant que chef de l’OKW, étiez animés d’intentions agressives que vous avez exposées dans cette étude.
Je pense que cette étude est encore présente à votre mémoire. Qu’avez-vous à répondre à l’accusation qu’on en a tirée ?
Cette étude m’a déjà été présentée au cours de l’instruction préliminaire. C’est ce qui me l’a remise en mémoire. Je dois ici donner en quelques mots un aperçu de l’arrière-plan historique. Il n’est pas extraordinaire que, dès 1920 environ, c’est-à-dire peu après la fin de la première guerre mondiale, dans tous les États qui y avaient participé, je crois, ait surgi toute une littérature sur le thème suivant : comment répartir les attributions des grands chefs pour obtenir le maximum d’efficacité dans la direction des Forces armées ? J’ai moi-même écrit quelque chose là-dessus et j’ai entendu exposer différents points de vue par des Américains, des Anglais et des Français. On s’occupait alors de préciser les différentes attributions des grands chefs, et Blo-berg déclarait que sa position était la huitième solution, sept autres ayant déjà été rejetées.
Il y avait conflit sur ce point entre le Haut Commandement de l’Armée de terre et l’État-Major de l’Armée de terre, qui s’opposait toujours à l’idée d’une direction suprême unifiée de la Wehrmacht, demandant que l’autorité suprême restât, comme auparavant, au Grand État-Major général de l’Armée de terre. Après la création du Haut Commandement des Forces armées et le départ de Blomberg, l’Armée de terre crut opportun de remettre la question en discussion. C’est l’origine du mémoire du Commandant en chef de l’Armée de terre, rédigé par la général Beck et l’étude que nous avons sous les yeux en constitue la réponse. Je peux me porter garant pour les deux hommes qui ont travaillé à rédiger cette réponse. Le Generaloberst Jodl et moi fûmes les seuls à y participer. Je peux déclarer que nous n’avons pas travaillé pour résoudre un problème urgent ou dans le cadre de projets d’État-Major pour la préparation de la guerre, mais tout simplement, je tiens à le dire, parce que nous considérions que cette solution était la meilleure de toutes celles proposées par tous les mémoires, après toutes les recherches effectuées en vue de la solution idéale.
Docteur Nelte, le document ne se suffit-il pas ? Il déclare qu’il y a travaillé, mais que cela n’avait rien à voir avec la guerre. C’est tout ce qu’on peut dire sur ce sujet. Le document est suffisamment explicite.
Il peut cependant donner des explications sur plusieurs idées contenues dans ce document. D’ailleurs, Monsieur le Président, je me suis permis de vous présenter encore l’affidavit du deuxième livre de documents « Haut Commandement des Forces armées et État-Major général », signé par l’accusé Keitel et aussi par Jodl. C’est le numéro 2 de votre deuxième livre de documents.
Est-ce l’affidavit du 8 mars ?
Du 29 mars, Monsieur le Président.
Où se trouve-t-il ? Le premier du livre ?
Non, dans la seconde partie.
Mais à quelle page ?
Je n’ai pas de pagination, Monsieur le Président. Il y a une table des matières, c’est le numéro 2.
Est-ce une citation du document L-211 ? Avez-vous terminé ?
Cet affidavit fait partie du document L-211.
Je croyais que le témoin avait dit qu’il avait participé à la rédaction de l’étude L-211 et que cela n’avait rien à voir avec la guerre. Vous pouvez donc laisser ce document.
Je pense qu’il importe dans ce Procès d’entendre ce que les accusés ont à dire sur les documents qui doivent les charger. Les explications que l’accusé Keitel doit donner sur le livre de documents L-211 sont contenues dans l’affidavit que j’ai présenté dans le livre de documents numéro 2.
Si ce qu’il voulait dire se trouve déjà dans l’affidavit, vous n’auriez pas dû l’interroger là-dessus ; il fallait lire l’affidavit.
La différence entre la déclaration orale de l’accusé et l’affidavit est que ce dernier est dix fois plus long que l’autre. Il a dit très rapidement ce qu’il voulait répondre en résumant. L’affidavit est plus long, c’est pourquoi je pense pouvoir renoncer à la lecture de cet affidavit si le témoin dit rapidement l’essentiel.
Nous avons tous deux des conceptions différentes du mot « résumé ».
Puis-je continuer, Monsieur le Président ?
Oui, continuez.
Je passe maintenant à l’ensemble des questions relatives au réarmement et aux affaires d’Autriche, de Tchécoslovaquie, etc. Je vais vous interroger au sujet de l’accusation portée contre vous par le Ministère Public, selon laquelle vous avez participé à des préparatifs et à l’élaboration de projets en vue d’une guerre d’agression. Pour que nous puissions bien nous comprendre et que vous puissiez nous donner des réponses pertinentes, il faut préciser le sens de l’expression « guerre d’agression ». Voulez-vous nous donner votre point de vue là-dessus ?
En tant que soldat, je dois dire que le terme « guerre d’agression » ne signifie rien pour moi au sens où vous l’entendez, car nous avons appris à mener des opérations offensives, défensives, ou des opérations de repli. Mais, d’après mon expérience militaire personnelle, le concept de guerre d’agression est essentiellement politique et non militaire. J’estime que l’Armée et le soldat, qui sont les instruments du politicien, n’ont pas, à mon avis, à juger, dans des opérations militaires, s’il s’agit ou non d’une mesure d’agression. Je crois pouvoir dire, en résumé, que les services militaires ne sont pas compétents en la matière et ne doivent pas l’être, et que les décisions sur ce point ne sont pas du ressort du soldat, mais du seul politicien.
Vous voulez donc dire que vous, et ceci est valable également pour les services et pour tous les chefs auxquels il a été fait allusion ici, n’avez pas introduit dans le domaine de vos considérations et décisions professionnelles la question de savoir si une guerre était une guerre d’agression ou un combat mené pour la défense du pays, ni même si une guerre était juste ou non ?
Non. Je voulais le dire expressément, car...
C’est une explication que vous donnez. Mais vous n’êtes pas seulement un soldat, mais aussi un homme qui a une vie propre. En cette qualité,- n’avez-vous pas fait quelques réflexions quand, dans le service, vous avez eu connaissance de faits qui ont révélé le caractère illégal des opérations prévues ?
Je crois dire la vérité en déclarant qu’au cours de ma carrière militaire, j’ai toujours été nourri des conceptions traditionnelles qui n’avaient rien à voir avec cette question. Évidemment, chacun a son point de vue personnel, sa vie personnelle. Mais en ce qui concerne les fonctions militaires, en tant que soldat et qu’officier, on a, à proprement parler, renoncé à sa vie personnelle dans l’exercice du métier militaire. Je n’ai jamais eu l’impression et je ne peux pas l’affirmer après coup, que j’aie fait des réflexions dans ce sens sur ces questions d’appréciation purement politique et que j’étais d’avis que le soldat pouvait exiger d’avoir confiance en son Gouvernement ; par conséquent, il devait faire son devoir et obéir.
Nous allons maintenant passer à différents groupes de questions. Connaissiez-vous des projets de Hitler relatifs à des plans d’abord dans le domaine du réarmement, puis, dans celui d’une quelconque « agression », comme le dit le Ministère Public ? Je considère d’abord la période qui s’étend de février 1933 à 1938.
Je voyais bien que l’avènement de Hitler au poste de Chancelier du Reich amènerait sûrement, pour nous autres soldats, un changement dans notre situation dans le Reich, et que le facteur militaire serait de nouveau considéré sous un autre jour, comme il l’avait été auparavant, si bien que nous avons salué ouvertement, en toute sincérité, l’annonce de l’arrivée au pouvoir d’un homme décidé à ouvrir dans ces domaines une ère nouvelle et à nous tirer de notre lamentable situation. Je dois même reconnaître que j’ai souscrit aux plans et aux projets d’un réarmement, tel qu’il était alors possible, et à toutes les théories dirigées en ce sens. Toujours est-il que, dès 1933, à la fin de l’été, j’ai abandonné mes activités au ministère de la Guerre pour passer deux ans dans la troupe, que je n’ai quittée qu’au moment où nous avons reconquis la souveraineté militaire et où le réarmement s’est fait ouvertement, si bien que je n’avais pas suivi les événements pendant mon absence. En tout cas, pendant la période de 1935 à 1938, pendant laquelle j’ai commandé en chef aux côtés de Blomberg, j’ai naturellement vécu tous les événements relatifs au réarmement et vu ce qu’a fait dans ce domaine le ministère de la Guerre pour aider les armes de la Wehrmacht.
Savez-vous que l’occupation de la zone démilitarisée de la Rhénanie, l’introduction de la souveraineté militaire, du service militaire obligatoire, la création de l’Armée de l’air, l’augmentation des contingents de la Wehrmacht étaient des violations des clauses du Traité de Versailles ?
Les termes du Traité de Versailles, tant que nous l’avons considéré comme valable, ne nous le permettaient évidemment pas, et l’examen du Traité de Versailles, que nous avons poussé au maximum.
je puis le déclarer — nous a permis de découvrir les lacunes qui nous autorisaient, par une interprétation appropriée, de prendre ces mesures sans violer le Traité. C’était notre pain quotidien, en liaison avec le Comité de Défense du Reich. A partir de 1935, les conditions furent absolument différentes et, à mon retour auprès de Blomberg, je dois avouer en toute sincérité que je ne me suis pas demandé si la question suivante se posait : est-ce une violation du Traité de Versailles ? Car tous nos agissements se faisaient ouvertement. Nous avons annoncé que nous voulions mettre sur pied trente-six divisions. Il y eut ouvertement des discussions sur ce sujet. Je n’ai jamais rien vu qui eût pu constituer pour nous, soldats, de quelque façon que ce fût, une violation du Traité. Nous voulions évidemment tout faire pour nous libérer des chaînes imposées par les clauses territoriales et militaires du Traité de Versailles. Je dois dire, en toute bonne foi, que j’aurais méprisé un soldat ou un officier qui n’eût pas été animé de ces sentiments et de ces aspirations, ce qui est bien naturel pour un soldat.
On a présenté au cours de ce Procès un ordre, le document C-194, qui porte votre signature. Il s’agissait de mouvements d’avions de reconnaissance et de sous-marins au moment de l’occupation de la Rhénanie. On en a déduit que vous aviez participé à l’occupation de la Rhénanie. En quelle qualité avez-vous signé cet ordre ?
Cet ordre porte déjà la phrase d’introduction que l’on trouve dans tous les ordres ultérieurs : « Le Commandant en chef des Forces armées, le ministre von Blomberg, après examen de la situation, donne l’ordre suivant... » J’ai transmis sous cette forme au Commandant en chef de la Marine de guerre et au Commandant en chef de l’Armée de l’air, un ordre que m’avait donné le général von Blomberg et je me souviens qu’il s’agissait de prendre certaines mesures de contrôle au moment où les trois bataillons entreraient dans la zone démilitarisée.
Avant votre nomination au poste de chef de l’OKW, avez-vous su, par Hitler lui-même ou autrement, qu’il existait des plans qui ne pouvaient être réalisés que par la force et contrairement aux assurances de paix données par Hitler, c’est-à-dire par la guerre ?
Je ne me souviens pas d’avoir, dans la période qui va jusqu’aux premières mesures pratiques relatives à l’Autriche, entendu parler d’un programme ou de l’élaboration d’un plan quelconque portant sur plusieurs années et avec des buts à longue portée. Je dois dire que nous étions si occupés par la transformation de cette petite armée de sept divisions dont les effectifs furent doublés et triplés, sans compter la création d’une Armée de l’air importante, qui n’existait absolument pas, que nous avons dû passer toutes ces années dans notre cabinet de travail ; nous étions entièrement absorbés par ces problèmes d’organisation pure et, d’après la méthode de travail de Hitler que j’ai décrite aujourd’hui, il est évident qu’on ne savait rien de tout cela.
Avant le 4 février 1938, avez-vous eu des contacts personnels avec Hitler ?
De 1935 à 1938, en tant que chef auprès de Blomberg, j’ai vu trois fois le Führer. Il ne m’a jamais dit un mot, il ne me connaissait pas. S’il savait quelque chose sur moi, ce ne pouvait être que par l’intermédiaire de Blomberg. Je n’ai eu aucun contact ni directement avec le Führer ni par l’entremise de personnalités éminentes du Parti ou du monde politique et le premier entretien que j’eus avec lui eut lieu dans les derniers jours de janvier, avant que j’aie été appelé à ce poste.
N’avez-vous pas entendu parler de la conférence tenue par Hitler en novembre 1937 ? Il s’agit de la conférence au cours de laquelle Hitler aurait fait connaître son testament ?
Au cours de l’instruction préliminaire, j’ai déjà déclaré sous la foi du serment que je n’en avais rien su, que c’est ici que j’ai vu pour la première fois un document ou un procès-verbal de cette conférence. C’est bien le document Hossbach ; je ne me rappelle absolument pas que Blomberg m’ait donné aucune indication pour de quelconques mesures préparatoires. Ce ne fut pas le cas.
Saviez-vous quelque chose des intentions de Hitler dans le domaine des questions territoriales ?
Oui, je dois le dire. Je savais, d’ailleurs aussi par des débats politiques publics, que le but de notre politique était d’éliminer peu à peu, à plus ou moins brève échéance, toute une série de problèmes territoriaux résultant du Traité de Versailles. C’est exact.
Et que pensez-vous de la réalisation de ces buts territoriaux, je veux dire des moyens de les atteindre ?
Je n’ai vu et pesé les choses que de notre point de vue militaire ; je puis seulement dire que, quand je quittai la troupe en 1935, il n’y avait encore aucune des vingt-quatre divisions qui devaient être mises sur pied. J’ai tout envisagé, non du point de vue des buts politiques, mais d’après cette simple considération : Peut-on réaliser quelque chose par l’agression et par la guerre si l’on ne dispose d’aucun moyen militaire ? C’est pourquoi, pour moi, toutes ces questions se ramenaient à celle du réarmement, qui devait être terminé en 1943-1945, 1945 pour la Marine. Nous avions donc dix ans pour arriver à regrouper nos forces. En conséquence, je n’ai jamais considéré que tous ces problèmes fussent graves, même quand ils m’étaient présentés sous leur angle politique, parce que j’estimais impossible de les résoudre autrement que par la voie des négociations.
Comment expliquez-vous la directive générale de juin 1937 sur les préparatifs de mobilisation ?
Ce document est effectivement une directive de mobilisation restée générale et qui se rattache aux instructions traditionnelles de l’État-Major général données pendant la période d’avant-guerre, avant la première guerre mondiale, et suivant lesquelles cette question devait être préparée à fond. Cela n’avait, à mon avis, rien à voir avec de quelconques projets politiques du Führer, car j’étais déjà alors chef d’État-Major auprès de Blomberg et le Generaloberst Jodl, chef de la division « Défense du territoire » ; on peut trouver un peu présomptueux de ma part de m’entendre dire que nous étions très satisfaits qu’on se décidât enfin à donner à la Wehrmacht un programme annuel d’enseignement moral et théorique ; dans l’ancienne instruction d’État-Major, telle que je l’avais reçue avant la première guerre mondiale ; le but de ces directives était de faire de tous les voyages de l’État-Major et des voyages d’étude du Grand État-Major général, l’occasion d’examens théoriques de tous les problèmes. Telle était l’instruction qu’on recevait alors au Grand État-Major général. Mais je ne sais plus si Blomberg a donné directement ses idées courantes sur les complications possibles ou sur les développements possibles des opérations, ni s’il a été influencé par Hitler.
Hitler n’a certainement jamais vu ce document ; c’était un travail propre à l’État-Major général de la Wehrmacht.
Mais il s’y trouve une référence au « Cas Otto » et vous savez qu’il s’agissait là de l’affaire d’Autriche ?
Je me souviens naturellement du « Cas Otto », ce seul mot montre de qui il s’agissait ; d’Otto de Habsbourg.
On a sans doute — on a même, en fait — répandu certaines informations selon lesquelles on aurait souhaité une restauration que nous aurions soutenue, éventuellement, même par une intervention armée. Au contraire, le Führer Adolf Hitler voulait empêcher une restauration de la monarchie en Autriche. Tout fut remis en question plus tard, avec l’affaire de l’Anschluss. Je crois que je peux laisser cela de côté maintenant ; je l’expliquerai peut-être plus tard. En tout cas, on croyait, sur la base de ces délibérations de l’Armée, qu’il y avait une sorte de préparation ou un règlement du « Cas Otto » qui serait déclenché par la phrase-code : « Le Cas Otto entre en vigueur ».
Vous voulez donc dire qu’on n’a pas donné d’ordres concrets relativement au « Cas Otto » sur la base de cette directive générale ?
Vous voulez dire relativement à l’Anschluss, au début de février ?
Pardon ?
Je ne peux témoigner ici que de ce que j’ai vu moi-même, quand Hitler m’envoya à l’Armée pour dire au général Beck : « Le Führer demande que vous vous présentiez immédiatement chez lui pour lui faire un rapport sur les préparatifs faits en vue d’une entrée éventuelle en Autriche », et que le général Beck m’a dit : « Nous n’avons rien préparé, il n’y a rien de fait, rien ».
Le Ministère Public déclare que vous avez participé à l’élaboration du plan d’opérations contre l’Autriche, tel qu’il fut mis à exécution en mars 1938. J’ai ici la directive concernant l’opération « Otto », document C-102.
Pouvez-vous déclarer que toute l’affaire fut en réalité improvisée ?
Je me souviens que cet ordre a été donné au Commandant en chef de l’Armée de terre et aux autres commandants en chef et qu’il n’a été donné qu’alors que l’affaire était déjà en cours. Rien n’avait été préparé, tout fut improvisé et les faits, tels qu’ils se sont passés, s’ils étaient enregistrés régulièrement, le prouveraient d’eux-mêmes. Les ordres furent donnés verbalement et individuellement et ils furent effectivement mis à exécution le 12 mars au matin, lors de l’entrée des troupes en Autriche.
Je dois maintenant revenir aux événements qui ont précédé l’affaire autrichienne. Vous savez qu’on a trouvé dans le journal du Generaloberst Jodl la remarque suivante : « Schuschnigg a subi, avant de signer, une très forte pression dans les domaines politique et militaire ». Quel a été votre rôle dans cet entretien avec Schuschnigg à l’Obersalzberg ?
Puis-je compléter ma précédente réponse en disant qu’il en ressort que l’invasion eut lieu le 12 mars au matin et que cet ordre fut donné le 11 mars dans la soirée ; ce document ne pouvait donc avoir aucune influence pratique sur ces opérations. On ne peut pas mettre au point un ordre de ce genre entre 10 heures du soir et 6 heures du matin.
A l’autre question relative au rôle que j’ai joué à l’Obersalzberg le 10 ou le 11 février, je peux faire la réponse suivante : Ce fut le premier acte officiel auquel j’ai été mêlé. Le 4 février au soir, Hitler quitta Berlin. Il me demanda de me présenter à l’Obersalzberg le 10 février. C’est là, ce même jour, qu’eut lieu la visite du Chancelier fédéral autrichien Schuschnigg, visite dont on a parlé ici à plusieurs reprises. Peu après moi — je n’avais aucune idée de la raison pour laquelle j’avais été appelé — , apparurent le général von Reichenau, qui venait de Munich, et le général Sperrle, de l’Armée de l’air ; nous étions donc trois généraux réunis quand, à 10 h. 30, M. Schuschnigg apparut en compagnie de M. von Papen. Tout d’abord, comme je n’avais jamais encore pris part à une conférence ou à une activité politique de ce genre, je ne savais absolument pas ce que je devais faire. Je dois le dire, en toute sincérité, sinon on ne peut pas comprendre. Au cours de cette journée, je compris naturellement que la présence de trois représentants de la Wehrmacht signifiait, à certains égards, je peux le dire, au moins une démonstration militaire. Au cours de l’instruction préliminaire et à l’occasion de discussions ultérieures, on m’a demandé pourquoi mon nom avait été jeté à travers la maison, dans l’après-midi, pour que je me rende auprès du Führer. Je suis entré dans son bureau. Cela peut paraître comique, mais en fait, quand je suis entré, je croyais qu’il allait me donner des instructions. Il me dit :
« Ce n’est rien » et ajouta : « Asseyez-vous », puis : « Oui, le Chancelier fédéral veut avoir une courte conférence avec son ministre des Affaires étrangères, Schmidt ; je n’ai rien d’autre à vous dire ». Je ne peux qu’assurer qu’il ne m’a pas dit un mot d’une action politique quelconque, en dehors du fait que M. Schuschnigg ne partait que le soir et qu’il y aurait encore d’autres entretiens.
Nous autres, généraux, nous nous trouvions dans l’antichambre et quand, le soir, peu avant mon départ, je reçus l’ordre de lancer les nouvelles qui ont été révélées ici par un document, aux termes desquelles nous prenions des mesures de mobilisation, je compris clairement que pendant ce jour on avait voulu, en faisant figurer des représentants de l’Armée, conduire les discussions vers un but précis et que l’ordre de répandre ces nouvelles ne servait qu’à exercer une pression, ce qui a été prouvé ici.
Ce fut ensuite à Berlin, à mon retour chez moi, que nous discutâmes, en présence de Goebbels et de Canaris, des nouvelles à lancer et que Canaris devait faire diffuser de Munich. Enfin, en conclusion, il n’est pas sans intérêt de dire que le chef du service de renseignements au ministère fédéral autrichien, Lahousen, qui a comparu ici, nous a déclaré, au général Jodl et à moi, quand il a pris du service dans la Wehrmacht : « Nous n’étions pas tombés dans le panneau ». Sans aucun doute, c’est moi qui ai inspiré au Generaloberst Jodl cette note de journal dont les termes sont évidemment assez brutaux, parce que cette première expérience m’avait évidemment impressionné.
Comment jugez-vous les mesures prises contre l’Autriche ?
Sur le développement ultérieur des événements, il est superflu d’ajouter quoi que ce soit. Le sujet a été traité ici dans le détail. Le jour de l’entrée des troupes, je suis allé au front en avion, accompagné de Hitler, et nous avons parcouru ensuite, en voiture, les routes passant par Braunau et Linz, après avoir passé une nuit à Vienne. Et même en s’exprimant avec modération, c’est un fait que nous avons été accueillis partout avec un enthousiasme indescriptible, et que l’Armée alliée autrichienne défilait du même pas avec les soldats allemands, sur la route même que nous avons suivie. Il n’est parti aucun coup de feu. De l’autre côté, la seule unité ayant une certaine importance militaire fut une formation de chars qui se déplaçait sur la route de Passau à Vienne et qui y parvint avec seulement quelques véhicules. Le lendemain, la division était formée pour la revue. Tel est le tableau objectif de ce que j’ai vu.
Nous en arrivons à la question de la Tchécoslovaquie. A quelle époque Hitler vous a-t-il parlé pour la première fois de la question tchécoslovaque, et quelles étaient ses intentions ?
Je crois que c’était six à huit semaines après notre entrée en Autriche, donc après l’Anschluss, c’est-à-dire fin août, l’Anschluss ayant eu lieu à la mi-mars. Et cela aussi se passa de cette façon : je fus appelé le soir, soudainement, à la chancellerie, où le Führer m’exposa en détail les faits qui ont provoqué l’instruction du « Fall Grün », bien connu ici, au cours des débats, par les dossiers Schmundt, et que j’ai tous identifiés lors de l’instruction préliminaire. Il m’a alors donné les premières directives avec un hâte relative. Des instructions complémentaires n’ont pu être données du fait qu’il devait quitter Berlin immédiatement. C’étaient les bases des questions dont il dépendait qu’une action contre la Tchécoslovaquie pût ou dût être engagée.
Vous aviez l’impression que Hitler voulait attaquer la Tchécoslovaquie ?
Les explications qu’il me donna ce soir-là tendaient en tout cas à la préparation d’une action militaire, avec tous les travaux préliminaires que l’État-Major doit assumer, et donnaient l’impression qu’une attaque devait être déclenchée. Il s’exprimait d’une façon aussi précise en déclarant expressément que le moment était absolument propice, mais que, provisoirement, il n’en avait pas l’intention. Ce sont ses propres paroles : « ... Je n’en ai pas l’intention pour l’instant ».
Une distinction était-elle faite entre le pays des Sudètes et la Tchécoslovaquie proprement dite ?
Je crois que ce point n’a pas été discuté ce soir-là. Le Führer n’a pas non plus évoqué le côté politique, mais uniquement envisagé comme tâche à méditer les mesures alors indispensables, et nullement la question de savoir s’il fallait se contenter du territoire des Sudètes ou si l’on voulait percer la ceinture de forteresses de la Tchécoslovaquie. Ce n’était d’ailleurs pas le problème à étudier à cette époque. Mais pour tous les cas qui eussent dû être décidés par la force, il fallait que la guerre fût préparée. Si l’on devait en venir à une explication avec l’Armée tchèque, c’est-à-dire à une véritable guerre, il fallait qu’elle fût préparée.
Vous avez certainement connaissance de ce que, dans le procès-verbal relatif à l’entretien Hitler-général Keitel — le procès-verbal est là, en double exemplaire — il est question d’une action-éclair, indispensable en cas d’incident. Après le mot incident, il est dit une fois : « ... par exemple, assassinat du chargé d’affaires allemand... », consécutive à une démonstration hostile. Une autre fois, figure seulement : « Exemple : action à la suite d’un incident ». Voulez-vous, s’il vous plaît, exposer à quoi se rapporte cette notice, qui n’est pas un procès-verbal dans toute l’acception du mot ?
J’ai eu connaissance de ces notices de Schmundt ici pour la première fois. Et elles ne nous ont pas alors été présentées comme une base de travail ; elles ne constituent pas un procès-verbal ; ce sont des notices rédigées après coup par un officier d’ordonnance. Je ne veux absolument contester ni leur précision ni leur exactitude, car la mémoire ne me permet vraiment pas de me rappeler, aujourd’hui encore, le mot à mot de ce qui a été dit. Mais cette question, à laquelle on attache ici de l’importance — meurtre du chargé d’affaires allemand à Prague — , une telle éventualité ne m’est jamais venue à l’esprit, et cela pour une simple raison : parce que cela n’a jamais été dit. Au contraire, il a été dit : « Il peut aussi arriver que le chargé d’affaires sort assassiné ». Là-dessus, j’ai dit : « Quel chargé d’affaires ? » ou quelque chose de semblable. A quoi Hitler, je crois, a répondu : « La guerre de 1914 a pourtant été causée par un assassinat à Serajevo. De tels incidents peuvent pourtant se produire ». Je n’ai pas eu l’impression que l’on voulait amener la guerre par une provocation.
Il faut que vous me disiez encore quelque chose à ce sujet.
Nous allons maintenant lever l’audience.