QUATRE-VINGT-DIX-NEUVIÈME JOURNÉE.
Mercredi 4 avril 1946.
Audience de l’après-midi.
Monsieur le Président, des deux documents présentés ce matin, le premier, n° 3 du second livre de documents, est intitulé « Les rapports du commandement à l’Est » et portera le numéro 10 des documents Keitel.
Il est daté du 14 mars 1946 ?
Oui, du 14 mars 1946, Monsieur le Président.
Le document que j’ai en mains est marqué 23 février 1946 et porte, à la fin, la date 14 mars 1946. Est-ce celui que vous désignez ?
Le document a d’abord été rédigé, et ensuite une déclaration sous serment a été fournie à son sujet. C’est pour cela qu’il y a une différence entre les deux dates.
Je désire seulement identifier le document, c’est tout.
C’est le document du 14 mars 1946, la déclaration sous serment du 14 mars.
Et vous lui donnez quel numéro ?
Je lui donne le numéro K-10.
Le second document, qui est le cinquième dans le livre de documents, porte en tête la date du 18 mars 1946 et, à la fin, la déclaration sous serment de l’accusé, datée du 29 mars 1946. Ce document est numéroté K-12.
Permettez-moi, je vous prie, de lire un résumé des quelques points figurant aux pages 11 et 12 du texte allemand. Il me semble que cela a une grande importance pour ce Procès.
Quel document ?
C’est le document n° 12.
Une minute. Je ne crois pas que les interprètes aient déjà trouvé le document. Il vient immédiatement après le certificat de Catherine Bedford, au milieu du livre, je croîs. Bien que les pages n’aient pas de numéros consécutifs, il porte le numéro 51.
Je commence là où il est dit : « En résumé, on peut constater... » ; ce sont les trois dernières pages de ce document.
« En résumé, on peut constater que :
« 1. A côté de la Wehrmacht, représentant les forces légales de protection à l’intérieur et à l’extérieur du Reich, comme c’est le cas pour chaque État » — et j’ajoute ici « dans les organisations SS » — « fut constitué un facteur de puissance totalement indépendant, qui prit un statut légal et qui, du point de vue politique, biologique, dans les domaines administratifs et de police, s’arrogea véritablement tout le pouvoir de l’État.
« 2. Dès le commencement des difficultés et des rivalités nées de la guerre, les SS devinrent les véritables promoteurs de la lutte et les porte-drapeau d’une politique de conquête et de puissance.
« 3. Dès que les opérations militaires furent commencées, le Reichsführer SS, en trouvant des moyens qui semblaient toujours appropriés, d’abord sous une forme dissimulée ou, tout au moins, très peu visible de l’extérieur, parvint réellement à augmenter de plus en plus sa puissance, sous le prétexte de mettre les territoires annexés ou occupés à l’abri des adversaires politiques.
« 4. De l’occupation du pays des Sudètes, en commençant par la création de troubles politiques, c’est-à-dire de soi-disant « actions de libération » et « d’incidents », une voie directe nous mène, par la Pologne et les pays occupés de l’Ouest, au territoire russe lui-même.
« 5. Par les directives même du « Cas Barbarossa » pour l’administration et l’exploitation des territoires conquis à l’Est, la Wehrmacht, malgré elle et sans se douter des conditions particulières, fut entraînée de plus en plus dans le courant des activités entreprises et des conséquences qui s’ensuivirent.
« 6. Moi-même, Keitel, et mes collaborateurs, nous n’avions aucune connaissance plus approfondie des effets qui résulteraient des pleins pouvoirs accordés à Himmler et nous n’avions aucune idée des conséquences possibles de ces pouvoirs. Je suppose, sans plus, qu’il a dû en être de même pour l’OKH qui, suivant un ordre du Führer, avait conclu des accords avec les services, de Himmler et transmis les ordres aux commandants de l’Armée de terre.
« 7. En réalité, ce n’était pas le .Commandant en chef de l’Armée de terre qui détenait les pleins pouvoirs et le droit de décréter et de faire appliquer les lois dans les territoires occupés. Mais c’était Himmler et Heydrich qui, de leur propre autorité, décidaient de la vie et de la mort des populations, y compris les prisonniers de guerre, dont ils géraient les camps.
« 8. L’éducation traditionnelle et la conception du devoir des officiers allemands, dans le sens d’une obéissance sans condition et d’une responsabilité des supérieurs, avait conduit à une attitude que l’on peut considérer maintenant comme regrettable, qui les faisait reculer devant l’idée d’une rébellion contre ces ordres et ces méthodes, même s’ils en reconnaissaient l’illégalité et les désavouaient intérieurement.
« 9. Le Führer, Hitler, a abusé envers nous, sans responsabilité, de son autorité et de son Ordre fondamental n° 1. Le texte de cet Ordre n° 1 était à peu près le suivant :
« 1° Personne n’aura connaissance d’affaires secrètes qui ne sont « pas de son propre ressort. 2° Personne ne doit se mettre au « courant de plus que ce qui est strictement nécessaire à l’exécution « de sa tâche. 3° Personne ne doit prendre connaissance des obligations qui lui incombent plus tôt qu’il n’est nécessaire. 4° Personne « ne doit transmettre aux services subordonnés plus qu’il n’est nécessaire des ordres indispensables à l’accomplissement d’une tâche, et avant qu’il ne soit nécessaire. »
« 10. Si l’on avait prévu l’ensemble des conséquences résultant du pouvoir accordé à Himmler à l’Est, les principaux généraux auraient été les premiers, dans ce cas, à élever une protestation énergique. C’est là ma conviction. A mesure que ces atrocités étaient commises et s’enchaînaient les unes les autres sans que personne pût en prévoir les conséquences, le destin suivait son cours tragique, avec ses suites fatales. »
Accusé Keitel, avez-vous écrit ou dicté cette déclaration, telle que je viens de la lire ? Connaissez-vous parfaitement son contenu et l’avez-vous faite sous la foi du serment ?
Oui.
Je verserai l’original dé ce document au dossier. (S’adressant à l’accusé.) Nous étions arrivés au document C-50, qui concerne la suppression de la juridiction militaire dans les territoires du « Cas Barbarossa ». Je ne sais pas si vous désirez encore exprimer votre opinion à ce sujet ou si vous l’estimez inutile après la lecture qui vient d’être faite.
Je voudrais simplement ajouter que ces documents, C-50 et PS-884, au début de la page 4, sont la reproduction des directives qui ont été établies le 14 juin, lors de cette conférence des généraux ; conformément au règlement et aux habitudes militaires, ces ordres furent transmis par écrit aux services intéressés de l’Armée de terre.
J’ai encore quelques questions au sujet de la guerre contre l’Amérique. Le Ministère Public affirme que le Japon aurait été incité par l’Allemagne à déclencher la guerre contre l’Amérique, et il vous accuse, dans son réquisitoire, d’avoir participé et collaboré à cette affaire. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet ?
Le document C-75 est une directive de l’OKW relative à la collaboration avec le Japon. Il est évident que j’ai participé à la rédaction de cette directive et je l’ai signée par ordre. L’autre document, PS-1881, qui rapporte une conversation entre le Führer et Matsuoka, m’est inconnu je n’en ai jamais rien su. Tout ce que je puis dire, en ce qui nous concerne, nous autres soldats, c’est ceci : pendant toute la période qui a précédé l’entrée en guerre du Japon contre l’Amérique, il y eut deux idées fondamentales ou principes soulignés par Hitler, qui constituaient nos directives : il s’agissait, d’une part, d’éviter à tout prix l’entrée en guerre des États-Unis et, par conséquent, il fallait éviter de la part de la Marine des opérations militaires en mer ; d’autre part, ce qui nous intéressait, nous, soldats, c’était l’espoir que le Japon entrerait en guerre contre la Russie. Je me rappelle que vers novembre, début décembre 1941, au moment où l’avance allemande à l’ouest de Moscou s’était trouvée arrêtée et où j’accompagnais Hitler dans une visite au front, à maintes reprises les généraux me posèrent la question : « Quand le Japon va-t-il entrer en guerre ? » La raison pour laquelle ils me posaient cette question était que, du côté de Moscou, de nouvelles divisions russes étaient engagées dans la lutte, c’est-à-dire des troupes fraîches venant d’Extrême-Orient. Je ne puis l’affirmer avec certitude, mais je crois qu’il s’agissait de 18 à 20 divisions.
J’étais présent lors de la visite de Matsuoka à Berlin, et je le vis également à une soirée organisée en son honneur, mais je n’ai pas eu d’entretien avec lui. Ainsi, toutes les conclusions qui peuvent être tirées de la directive n° 24, document C-75, et dont j’ai pris connaissance au cours de mon interrogatoire préliminaire sont absolument sans aucun fondement pour nous, soldats, et rien ne donne lieu à croire que nous étions poussés par la pensée d’amener une guerre entre le Japon et les États-Unis ou que nous ayons entrepris une action quelconque dans ce but. En fin de compte, je puis dire seulement que cet ordre était rendu nécessaire par la résistance qui se manifesta dans certains services de la Wehrmacht à l’idée de fournir au Japon certains renseignements ou secrets de la production d’armement, à moins qu’il ne participât à la guerre.
Le Ministère Public a aussi présenté une lettre du commandant von Falkenstein, adressée à l’État-Major d’opérations de l’Aviation. Le Reichsmarschall, Göring, en a déjà parlé ici lors de son interrogatoire. Voici ce que je vous demande : connaissiez-vous cette lettre ou avez-vous quelque chose à ajouter à ce qui a été dit par le maréchal Göring ?
Je n’ai rien à ajouter, car cette lettre de von Falkenstein m’était absolument inconnue jusqu’au moment où je l’ai vue ici au cours de mon interrogatoire.
Nous en venons maintenant à divers faits isolés qui vous sont imputés par le Ministère Public, à vous et à l’OKW. Étant donné le grand nombre de points composant ces charges, je ne puis que choisir un certain nombre de détails qui me paraissent les plus graves, pour tenter de démontrer dans quelle mesure vous avez participé à ces faits et quelle fut votre réaction personnelle en constatant l’effet des mesures prises.
Dans la plupart des cas, il s’agit d’ordres de Hitler, mais dans votre déclaration sur les événements eux-mêmes, vous avez admis une certaine connaissance de ces faits et admis d’y avoir participé. Donc, nous devons en discuter. Un des points les plus importants est la question des otages. A ce propos, je vous soumets le document C-128. Il s’agit là d’instructions en vue des opérations à l’Ouest. Je voudrais, au préalable, vous demander sur quoi se fondait la prise d’otages, telle que l’a pratiquée la Wehrmacht ?
Sur les instructions intitulées « Geheim G-2 » (H.Dv G-2), extraites de l’ordre « Instructions de service à l’usage des unités de troupes ».
Monsieur le Président, je vous demanderai de regarder le numéro 7, à la page 65 de mon premier livre de documents. Je vous prie de constater qu’il s’agit là d’une copie des instructions militaires qu’on vient de mentionner ; l’alinéa 9 traite de la question des otages. C’est le document K-7, qui est rédigé comme suit :
« Les otages ne peuvent être pris que sur ordre d’un commandant de régiment ou de bataillon ou d’un officier exerçant un commandement militaire. En ce qui concerne leur internement et leur nourriture, il faut noter que, bien qu’ils doivent être maintenus sous bonne garde, ce ne sont pas des criminels de droit commun. De plus, seuls les officiers supérieurs ayant au moins le grade de commandant de division peuvent décider du sort des otages. »
Voilà, si vous voulez, ce qu’on a appelé la « loi des otages » de la Wehrmacht.
Permettez-moi de dire que, dans le document C-128, qui est l’ordre préparatoire d’opérations pour l’Armée de terre dans la campagne de l’Ouest, ce point est expressément mentionné sous la rubrique : « 3 a. Mesures de sécurité à l’égard de la population du territoire occupé. A) Otages. »
Docteur Nelte, déposez-vous ce document sous le numéro K-7 ?
Je vous prie de bien vouloir accepter comme preuve ces instructions militaires sous le numéro K-7.
Auriez-vous l’obligeance d’indiquer exactement chaque fois le document que vous déposez, car si vous dites simplement « 7 », il pourrait y avoir des confusions.
K-7. (Au témoin.) Le document C-128 était donc un ordre de l’OKW lors de l’invasion de la France ?
Oui.
J’ai ici un autre document, PS-1585, qui fait état d’une prise de position de l’OKW. C’est une lettre adressée à M. le ministre de l’Aviation du Reich et Commandant en chef de la Luftwaffe ; cette lettre contient, je le suppose, l’opinion formelle des services dont vous étiez le chef ?
Oui.
Que dites-vous aujourd’hui de cette lettre ?
Tout ce que je puis dire, c’est qu’elle exprime le même point de vue que j’ai aujourd’hui encore, car on y trouve, relatif aux instructions précitées, le paragraphe suivant qui commence par ces mots : « Pour prévenir tout abus... » etc. Puis vient l’instruction elle-même.
C’est une référence aux instructions « G-2 », et, plus loin, il est déclaré que « ... la décision se rapportant au sort réservé aux otages... »
Il y est déclaré : « ... selon lesquelles la décision se rapportant au sort réservé aux otages ne peut être prise que par des officiers exerçant le commandement en chef d’une division ».
Est-il donc exact de dire que cette lettre fut rédigée par le service juridique de l’OKW, après examen de la situation du point de vue du Droit international et des conséquences possibles ?
Oui, il ressort du texte même de la lettre que la question fut également examinée sous cet angle-là.
Avez-vous, en tant que chef de l’OKW, donné d’autres ordres généraux sur la question des otages, à part ceux que nous avons vus jusqu’à présent ?
Non, l’OKW n’a fait que participer à la rédaction de cette directive. Aucun autre ordre ou directive ne fut donné à ce sujet.
Cependant, dans certains cas particuliers, avez-vous eu à traiter de cette question d’otages ? L’OKW et vous-même êtes accusés d’avoir adopté une certaine attitude et de vous être exprimés d’une certaine façon au moment des interventions de Stülpnagel et de von Falkenhausen.
Je vous soumets le documents PS-1594.
Ce document PS-1594 est une missive de von Falkenhausen, Commandant en chef en Belgique, adressée à l’OKH, État-Major général, chef d’État-Major adjoint et, en outre, au Commandant en chef en France, aux commandants de grandes unités à l’Ouest et, à titre d’information, au Commandant en chef dans les Pays-Bas et à celui de la Luftwaffe en Belgique.
Je ne connais pas ce document et il m’était impossible de le connaître, vu qu’il était adressé à l’Armée de terre. La supposition du représentant du Ministère Public français selon laquelle j’aurais reçu une lettre de von Falkenhausen est fausse. Je ne connais pas cette lettre, elle ne m’a pas été adressée. Les communications officielles entre les Commandants en chef en France et en Belgique n’étaient transmises que par le canal de l’OKH, auquel ces deux chefs étaient subordonnés. Ils ne dépendaient ni de l’OKW, ni de moi-même.
Le Ministère Public français a présenté le document UK-25 et a affirmé que ce document constitue le fondement de la législation relative aux otages en France ; autrement dit, qu’il y aurait une relation de cause à effet entre l’ordre signé par vous le 16 septembre 1941 et le traitement des otages en France. Je vais vous soumettre les documents PS-1587 et PS-1588, en même temps que le numéro UK-25, et je vous demanderai d’exprimer votre opinion à leur sujet.
Je dois d’abord répondre à la question que vous m’avez posée précédemment ; à savoir, si j’avais traité ou discuté sur des cas particuliers d’otages avec certains commandants en chef. N’est-ce pas ce que vous m’aviez demandé ?
En ce qui concernait Stülpnagel et von Falkenhausen ?
Oui, avec Stülpnagel et von Falkenhausen. Il est possible, et je me souviens de cette circonstance, que Stülpnagel m’appela par téléphone de Paris parce qu’il avait reçu de l’Armée de terre l’ordre de faire fusiller un certain nombre d’otages à la suite d’une attaque contre des membres de la Wehrmacht. Il voulait que je confirme cet ordre. Ce qui fut fait, et je crois que la confirmation fut envoyée par télégramme, document qu’on m’a montré ici. Il est exact, aussi, que j’eus alors une entrevue avec Stülpnagel à Berlin. Mais, autrement, mes rapports avec ces deux commandants militaires se bornaient à des problèmes tout à fait spéciaux au sujet desquels ils pensaient pouvoir obtenir mon appui, lorsqu’il s’agissait de questions qui leur étaient désagréables : celle de la main-d’œuvre, par exemple, ou des travailleurs belges ou français qui devaient partir pour l’Allemagne, ou bien, dans un cas aussi de conflits entre certains commandants militaires et les services de police allemands. On me téléphonait directement pour me demander d’arbitrer les cas de ce genre.
Permettez-moi de regarder ces documents, je vous prie.
Il faut commencer par le document UK-25 daté du 16 septembre 1941.
Oui.
Il est impossible au Tribunal d’avoir présents à l’esprit tous ces documents et leurs numéros si nous ne les avons pas devant nous. Nous ne savons donc pas à quel document vous vous référez. Il nous est absolument impossible de suivre
Monsieur le Président, c’est la raison pour laquelle, avant le début de l’audience, je me suis permis de faire remettre au Tribunal une liste de ces documents. Si cela n’a pas été fait, je le regrette beaucoup. Il m’était impossible de vous remettre les documents eux-mêmes. Vous trouverez sur cette liste une indication numérique à gauche.
Oui, je comprends bien, mais tout ce que je vois ici c’est le document PS-1587, qui n’est apparemment pas celui auquel vous vous référez, et qui est indiqué comme étant un rapport au Commandement en chef de l’Armée de terre. Cela ne nous donne pas beaucoup d’indications sur le contenu.
Le document suivant est le numéro PS-1594, lettre adressée à l’OKH. Là encore, nous n’avons guère d’indications sur son contenu, sinon qu’elle a quelque rapport avec la question des otages.
Ce document se rapporte à la question sur laquelle l’accusé Keitel va justement répondre. N’avez-vous pas aussi l’ordre qui porte le numéro C-128 ?
Oui, j’ai les « Directives pour les opérations à l’Ouest. »
Et vous avez le numéro UK-25 ?
Oui.
Et PS-1588 ?
Oui, nous les avons tous. La seule chose que je voulais vous signaler, c’est que la description de ces documents est insuffisante pour nous permettre de savoir ce qu’ils sont et ce qu’ils veulent dire. Vous pourriez peut-être, en quelques mots, nous dire pour chaque document en quoi il consiste.
Le document UK-25, au sujet duquel l’accusé Keitel va nous parler, est un ordre signé de l’accusé en date du 16 septembre 1941, relatif à « des soulèvements communistes dans les territoires occupés ». Ce document contient, entre autres, la phrase suivante : « Le Führer a ordonné que, désormais, on intervienne partout avec les moyens les plus sévères pour écraser le mouvement le plus rapidement possible ». Le Ministère Public français a affirmé que c’est sur la base de cet ordre que furent promulguées en France, les lois concernant les otages, que vous trouverez dans le document PS-1588. Si vous avez ce document PS-1588 en mains, vous trouverez à la troisième page le texte d’un véritable code sur la prise et le traitement des otages. L’accusé doit nous expliquer s’il y avait véritablement là une relation de cause à effet, et dans quelle mesure l’OKW et lui-même étaient compétents en cette matière.
Le document UK-25, ordre du Führer du 16 septembre 1941, ainsi qu’on vient de l’indiquer, traite des mouvements insurrectionnels communistes dans les territoires occupés ; le fait qu’il s’agit ici d’un ordre du Führer a déjà été mentionné. Je dois préciser que cet ordre, de par son contenu, se rapporte uniquement aux régions de l’Est et tout particulièrement aux Balkans. Je crois pouvoir le prouver par le fait que la liste des destinataires est annexée au document, une liste qui commence ainsi : « Commandant en chef de la Wehrmacht dans le Sud-Est (Serbie, Grèce méridionale et Crète) ». Évidemment, un double de cette lettre fut transmis également à d’autres commandants en chef de la Wehrmacht ainsi qu’à l’OKH qui avait éventuellement la possibilité de le faire parvenir à ses services subalternes.
Je crois que ce document, que je ne lirai pas ici pour des raisons de temps, contient un certain nombre d’indications permettant d’établir que la supposition du Ministère Public français selon laquelle ce document est le fondement de la loi sur les otages, telle qu’elle apparaît dans le document PS-1588, est erronée et qu’il n’y a pas de relation de cause à effet entre ces deux documents. Il est vrai que la loi des otages date également de septembre — le chiffre n’est pas très lisible — mais, à en juger par leur texte, ces deux documents n’ont, à mon avis, aucun rapport. D’ailleurs, les deux Commandants en chef en France et en Belgique n’ont jamais reçu pareil ordre de l’OKW ; il se pourrait qu’il leur fût parvenu par l’OKH, mais cela je ne puis le contrôler car je ne le sais pas.
Au sujet de l’ordre du 16 septembre 1941, je voudrais faire remarquer que les rigueurs manifestes qu’il contient sont dues à l’influence personnelle du Führer. De même, il ressort avec évidence de son contenu et de l’introduction qu’il s’agit des régions de l’Est, et toute autre preuve est superflue. Il est exact que cet ordre du 16 septembre 1941 porte ma signature.
Nous en venons au deuxième point important, le « Nacht und Nebel » (Nuit et Brouillard). Le Ministère Public vous fait grief du décret du 12 décembre 1941, inspiré par Hitler, qu’on a intitulé décret « Nuit et Brouillard ». C’est le document L-90...
Me permettez-vous d’ajouter quelque chose à ce que je viens de dire ?
Certainement, si cela vous paraît utile. Dans la lettre du 2 février 1942, nous lisons ce qui suit : « Ci-joint vous trouverez : 1. Un décret du Führer du 7 décembre 1941... » Vous vouliez ajouter quelque chose ? Si c’est important, très certainement. Avez-vous le document L-90 ?
L-90, oui.
Qu’est-ce qui a donné lieu à ce décret, si funeste dans ses conséquences ?
Je dois admettre que le rapprochement de mon nom et de ce décret dénommé « Nacht und Nebel » constitue pour moi une charge très lourde, bien qu’il ressorte du document qu’il s’agit là d’un ordre du Führer. C’est pourquoi je voudrais expliquer les circonstances qui ont donné lieu à cet ordre.
Dès le début de la campagne de Russie, et surtout à la fin de l’automne 1941 et jusqu’au printemps 1942, les mouvements de résistance, les actes de sabotage et tout ce qui s’y rapporte se multipliaient de plus en plus dans tous les territoires occupés ; sur le plan militaire, il en résultait que les troupes destinées à maintenir la sécurité étaient entravées et immobilisées du fait de ces troubles. C’est ainsi que j’envisageai la situation à l’époque, du point de vue militaire. Et, jour après jour, les rapports quotidiens nous présentaient un tableau des événements dans les divers secteurs des pays occupés. Il était impossible de traiter ce problème sommairement ; Hitler demandait qu’on l’informât de chaque incident particulier, et il était très mécontent lorsqu’on en passait sous silence dans les rapports militaires officiels. Il parvenait à être au courant malgré tout. A ce propos, il me déclara qu’il lui était fort désagréable de constater l’augmentation du nombre des condamnations à mort prononcées contre les saboteurs et leurs complices et que cela nuisait sérieusement à l’établissement de la paix dans les pays occupés. Il désirait que cela cessât car, à son avis, de tels faits rendaient encore plus difficile l’apaisement des populations et l’entente avec elles. Il me dit alors que le seul moyen de modifier cet état de choses, au lieu de prononcer des condamnations à mort, dans les cas où une telle sentence ne pouvait être ni prononcée ni exécutée le plus rapidement possible comme le prévoit le décret, consistait à déporter en Allemagne les personnes suspectes ou coupables — si l’on peut employer ce terme — , à l’insu de leurs familles, pour les interner ou les emprisonner, en évitant ainsi l’emploi d’une longue procédure de cour martiale avec de nombreux témoins.
Je lui exprimai à ce sujet de profonds scrupules et je sais pertinemment que je lui dis alors que je craignais fort que ce procédé n’entraînât des résultats opposés à ceux qu’on semblait désirer. J’eus ensuite de longs entretiens avec le conseiller juridique de la Wehrmacht, qui émit les mêmes scrupules, étant donné qu’on écartait ainsi toute procédure légale ordinaire. Je tentai de nouveau d’empêcher cet ordre de paraître, ou de l’atténuer tout au moins ; mais ce fut en vain. On menaça de faire promulguer un décret équivalent par le ministère de la Justice, si la Wehrmacht s’avérait incapable de s’en charger.
Maintenant, permettez-moi de citer quelques détails, uniquement dans le but de démontrer qu’en rédigeant cet ordre L-90, on essaya de prévenir son application arbitraire. Voici comment : les dispositions générales du décret stipulaient expressément qu’une telle déportation dans le territoire du Reich ne pourrait avoir lieu qu’après une procédure normale de cour martiale et que, dans tous les cas, l’officier responsable de cette juridiction, c’est-à-dire le Commandant en chef de la division intéressée, d’accord avec son conseiller juridique, devrait prendre les dispositions juridiques nécessaires en se fondant sur une enquête judiciaire.
Je dois dire que je pensais alors que cette mesure éviterait ainsi tout abus de pouvoir et toute possibilité d’arbitraire. Vous reconnaîtrez peut-être que les termes suivants qui figurent dans le décret : « C’est la volonté bien arrêtée du Führer... » employés à bon escient, ne furent pas employés sans raison et sans l’espoir que les commandants en chef destinataires comprendraient ainsi que c’était là une méthode que nous n’approuvions pas et que nous considérions comme mauvaise. Enfin, nous prescrivîmes dans ce décret une procédure de contrôle, de sorte que, par le moyen d’un appel aux autorités suprêmes, c’est-à-dire le Commandant en chef en France et l’OKH et, par son canal, le Commandant en chef de l’Armée, il restait toujours la possibilité de faire réviser le cas par la voie de l’appel, si la décision paraissait attaquable, tout au moins dans le sens du décret.
Et le plus monstrueux de la tragédie qui s’ensuivit, et dont je ne fus mis au courant qu’ici même, fut que ce décret, qui était destiné à la Wehrmacht et qui devait seul permettre de déterminer si l’auteur d’une infraction frappé d’une peine de détention devait disparaître dans les conditions de ce texte, reçut une application officielle et générale de la part des organes de Police, ainsi qu’il ressort des débats et des témoignages que j’ai entendus ici, de même que de l’exposé du Ministère Public dont j’ai eu connaissance. C’est ainsi que fut révélée l’atroce vérité : des camps entiers ont été remplis de gens déportés au moyen de ce décret « Nacht und Nebel ». A mon avis, la Wehrmacht, ou du moins moi-même et les commandants en chef des territoires occupés qui eurent cet ordre entre les mains, ignorions tout de ces faits. En tout cas, on ne m’en parla jamais. Ainsi ce décret qui, en soi, était indubitablement très dangereux et qui outrepassait, dans une certaine mesure, le point de vue juridique tel que nous l’avions conçu jusque là, a pu donner lieu à ces abus effroyables, tels qu’ils ont été décrits ici par le Ministère Public.
L’intention était de déporter ces gens en Allemagne, car Hitler pensait qu’une peine de prison pendant la guerre n’aurait pas été considérée comme une peine infamante par les intéressés, dans les cas où il s’agissait d’actes patriotiques. Ce n’aurait été qu’un emprisonnement de courte durée qui se serait terminé avec la fin de la guerre. Ces considérations ont déjà été exprimées en partie dans la note. Si vous avez d’autres questions, veuillez me les poser.
Dans le décret visant à l’exécution de l’ordre « Nacht und Nebel », il est spécifié que c’est la Gestapo qui est chargée du transfert en Allemagne. Vous avez dit que les gens qui étaient envoyés en Allemagne devaient être remis au ministère de la Justice, c’est-à-dire aux services de la Police ordinaire. Vous comprendrez que, du fait que la Gestapo était mêlée à l’affaire, on soupçonne immédiatement le sort qui a pu être réservé à ces gens. Pouvez-vous me dire quelque chose à ce sujet ?
Oui. Les instructions du moment prévoyaient la remise de ces personnes aux mains des autorités judiciaires allemandes. Cet écrit signé par ordre, accompagné d’une signature, date de huit semaines après la parution du décret de l’Amt Ausland Abwehr lui-même, ainsi que je le constate d’après ma correspondance officielle. Il révèle les entretiens, c’est-à-dire les accords qui devaient être réalisés sur la méthode de transfert de ces gens de leur pays dans le territoire du Reich. Ces dispositions semblent avoir été prises par l’Amt Abwehr, qui chargea évidemment la Police de constituer des détachements d’escorte. Voilà ce qu’on peut déduire de ce document.
Je pourrais mentionner à ce sujet — j’ai dû voir ce document — qu’il ne me parut aucunement répréhensible, car je ne pensais pas et je ne pouvais supposer que ces gens étaient livrés à la Gestapo dans le but, disons-le, d’être « liquidés ». J’étais convaincu que la Gestapo jouait simplement un rôle d’intermédiaire dans l’acheminement de ces personnes en Allemagne. J’insiste particulièrement là-dessus, pour qu’il n’y ait pas de doute : notre intention n’était absolument pas de les faire disparaître, ainsi que cela se produisit par la suite dans ces camps « Nacht und Nebel ».
Nous en venons maintenant à la question des parachutistes, des troupes de sabotage et des opérations de commandos. Le Ministère Public français a traité en détail l’origine et les effets des deux décrets de Hitler du 18 octobre 1942 relatifs au traitement à infliger aux commandos.
Le Tribunal a-t-il un exemplaire de. ce décret du Führer ? C’est le document n° 498...
Nous n’avons pas d’exemplaire de cet ordre. Voulez-vous dire PS-553 ou PS-498 ?
Le second document est le numéro PS-553.
Nous ne l’avons pas non plus. « Lutte contre les parachutistes isolés, décret du 4 août 1942... »
Je vous demanderai de bien vouloir répéter, Monsieur le Président, ce que vous venez de dire ne m’a pas été transmis.
Document PS-553, « Lutte contre les parachutistes isolés, décret du 4 août 1942 ». C’est tout ce que nous avons. Vous avez aussi le numéro 498...
Le document PS-553 est une note signée par l’accusé Keitel. Le Ministère Public français a supposé, et à juste raison, qu’il doit y avoir une certaine corrélation entre le document PS-553 et le décret du Führer du 18 octobre 1942. L’accusé doit nous dire quelles furent les raisons qui amenèrent la rédaction de cette note et de ce décret du Führer.
Tout d’abord, le document PS-553. Je fis paraître ce mémorandum en août 1942. Comme je l’ai déjà expliqué pour le décret « Nacht und Nebel », les actes de sabotage, le parachutage d’agents, d’armes, de munitions, d’explosifs, de postes de radio et de petits groupes de saboteurs augmentaient de plus en plus. Les parachutages se faisaient la nuit dans des régions peu habitées et avaient lieu dans toute l’étendue du territoire occupé alors par l’Allemagne, de l’Ouest jusqu’en Tchécoslovaquie et en Pologne, et de l’Est jusqu’à Berlin. Évidemment, beaucoup de ceux qui prirent part à ces activités furent arrêtés et leur matériel saisi.
Ce mémorandum était destiné à alerter également tous les services en dehors de la Wehrmacht, c’est-à-dire la Police, les autorités civiles, et devait les engager dans la lutte contre ces activités, contre une méthode qui, selon nos conceptions militaires, était une méthode illégale de conduire la guerre, une espèce de guerre dans l’obscurité à l’arrière du front. Même aujourd’hui, en relisant le document qui m’a été soumis ici, je ne le trouve pas répréhensible. Il stipule expressément que les membres des troupes ennemies, c’est-à-dire tous les soldats ennemis arrêtés par la Police, seront remis au plus proche service de la Wehrmacht, après vérification de leur identité.
Je sais qu’en France, la Police française a contribué pleinement à l’arrestation et à la mise en sécurité de ces troupes. Elle collabora à empêcher ces sabotages. On aura peut-être une idée de l’étendue de ces activités si je signale que certains jours il y avait plus de cent actes de sabotage des voies ferrées. C’est indiqué dans le mémorandum. Quant aux décrets du Führer du 18 octobre 1942, ils ont déjà été cités ici à plusieurs reprises et je les considère comme faisant suite aux dispositions du mémorandum. Ces méthodes, cette façon illégale de conduire la guerre, prenaient toujours plus d’ampleur. Les parachutistes isolés furent remplacés par des petits groupes de commandos parachutés ou amenés par gros avions de transport et employés systématiquement, non pas seulement à causer des perturbations d’une manière générale, mais à attaquer des objectifs militaires précis et d’une importance vitale comme cela a été le cas en Norvège. Je me souviens d’un cas spécial où ces troupes eurent la mission de faire sauter la seule usine d’aluminium. A cette époque, et cela peut paraître étonnant, une demi-heure à trois quarts d’heure au moins de la discussion quotidienne était consacrée à ces divers incidents et à la manière de les traiter. Leur multiplication dans tous les territoires occupés amena alors le Führer à exiger d’autres méthodes, des mesures énergiques pour combattre de telles activités, qu’il dénonça comme terroristes et déclara que le seul moyen de les freiner était d’adopter des contre-mesures très sévères.
Je me souviens que, répondant aux objections élevées par nous, soldats, le Führer prononça les paroles suivantes : « Tant que le parachutiste ou le saboteur ne court que le danger d’être capturé, il n’a pas de risque ; en circonstances normales il ne risque rien, nous devons agir là contre ». Voilà ce qu’il pensait. On me demanda à plusieurs reprises d’exprimer mon avis à ce sujet. Le général Jodl s’en souviendra certainement aussi, et nous ne savions vraiment pas ce que nous devions faire, en tant que soldats ; nous ne savions que proposer. En résumé, nous entendions chaque jour les éclats de l’emportement de Hitler à ce sujet, mais nous ne faisions rien, ne sachant quelles mesures préconiser. Hitler déclarait que c’était contraire à la Convention de La Haye, que c’était illégal, que c’était une méthode qui n’était pas prévue et qui ne pouvait pas être prévue par les Conventions de La Haye ; nous avions affaire à une nouvelle guerre, contre laquelle il fallait trouver des méthodes nouvelles.
En fin de compte, comme je l’ai déjà dit lors des interrogatoires préliminaires, ces décrets — c’est-à-dire l’ordre lui-même et les fameuses instructions selon lesquelles ceux qui n’obéiraient pas au premier ordre seraient punis — furent rédigés d’une façon précise et signés par Hitler et furent distribués ensuite par les soins du chef de l’État-Major d’opérations Jodl, je crois. Je me permettrai d’ajouter que, plus d’une fois, les commandants de troupes qui reçurent ces ordres, posèrent de nombreuses questions sur la manière dont il fallait appliquer ces ordres, eu égard surtout à l’avertissement donné pour leur non-exécution. La seule réponse que nous pouvions leur donner était : « Vous savez ce que contiennent ces ordres », car nous n’avions aucun pouvoir de modifier les instructions signées.
Le Ministère Public vous a accusé personnellement d’avoir donné l’ordre d’exécuter les soldats qui furent arrêtés à la suite des opérations de commando à Stavanger. Je cite à cet égard les documents PS-498, PS-508 et PS-527. (Les documents sont soumis à l’accusé.)
Il s’agit là, Monsieur le Président, d’une opération de commando près de Stavanger. Ceux qui tombaient vivants entre les mains des Allemands devaient, selon le texte de l’ordre du Führer, être exécutés. Il y avait une possibilité ultime d’interroger ces gens, si la nécessité militaire s’en faisait sentir. En l’occurrence, le Commandant en chef en Norvège, le général von Falkenhorst, traita cette affaire. Il s’adressa à l’OKW, comme il l’a déjà indiqué dans un procès-verbal d’interrogatoire. (A l’accusé.) Voulez-vous, je vous prie, exprimer votre opinion à ce sujet ?
J’ai été interrogé à ce sujet et, au cours de l’interrogatoire, on me confronta avec le général von Falkenhorst. Autant que je me souvienne, je ne me rappelais plus qu’il m’eût posé des questions sur l’exécution de cet ordre. Je n’en savais rien. L’événement lui-même n’était plus présent à ma mémoire et ce ne fut qu’en voyant ces documents que je m’en suis souvenu. Au cours de l’interrogatoire, je déclarai que je n’étais absolument pas habilité pour modifier l’ordre et que tout ce que je pouvais faire était d’indiquer à la personne qui s’adressait à moi qu’elle avait à s’en tenir à cet ordre. Quant à ma confrontation avec le général von Falkenhorst, je voudrais simplement rappeler ce qui a été mentionné dans le procès-verbal : « Il évitait visiblement de répondre aux questions et modifiait ses déclarations antérieures, sans toutefois les dénier. Quant à Keitel, il ne nia pas avoir eu cette conversation mais en contesta l’objet ».
Monsieur le Président, il s’agit là du rapport concernant l’interrogatoire du général von Falkenhorst ; c’est un document qui a été présenté pat le Ministère Public sans indication de numéro. (A l’accusé.) Avez-vous terminé votre déclaration ?
Oui. Je crois que cela suffit.
Docteur Nelte, le Ministère Public n’a pas versé ce document au dossier, n’est-ce pas ? Il ne l’a pas présenté lui-même comme preuve ?
Je crois que si.
Il doit l’avoir présenté à l’accusé Keitel au cours d’un interrogatoire préliminaire, n’est-ce pas ? Cela ne veut pas du tout dire qu’il l’a lui-même utilisé comme preuve, parce que l’interrogatoire proprement dit n’est pas nécessairement utilisé comme preuve au cours des débats, de sorte qu’il faut que vous le présentiez vous-même maintenant si vous voulez l’utiliser.
Monsieur le Président, il doit y avoir erreur. Ce document a été présenté par le Ministère Public, ici, aux débats, pour justifier l’assertion selon laquelle l’accusé Keitel aurait donné l’ordre de tuer des parachutistes. C’est ici à l’audience que j’ai pris connaissance de ce document.
Le Ministère Public me dira si c’est exact, mais je suis étonné qu’un document ait pu être versé ici sans acquérir de numéro.
Nous ne nous souvenons pas de l’avoir versé au dossier. Nombre de ces interrogatoires n’ont pas reçu de numéro de document, mais naturellement, s’ils ont été versés comme preuves, ils ont reçu un numéro USA ou GB.
La meilleure chose serait peut-être que le Ministère Public vérifie si ce document a bien été mentionné au procès-verbal après sa lecture.
Cela me, prendra quelques minutes, Votre Honneur.
Oui, eh bien ! Prenez votre temps. En attendant, nous allons suspendre l’audience.
L’audience publique sera suspendue à quatre heures moins le quart cet après-midi. Le Tribunal siégera ensuite en chambre du conseil et il désire que les représentants du Ministère Public et la Défense soient présents pour discuter avec eux du meilleur moyen d’éviter la traduction inutile de documents.
Comme vous le savez, un grand nombre de documents ont été déposés et un lourd fardeau s’est abattu sur la section de traduction. C’est le problème que le Tribunal désire discuter en chambre du conseil avec le Ministère Public et les avocats. En conséquence, comme je l’ai dit, nous siégerons en chambre du conseil à cinq heures dans cette salle où tous les avocats peuvent trouver une place.
Vous rappelez-vous la question posée par le Commandant en chef à l’Ouest, en juin 1944, sur le traitement des troupes de sabotage derrière le front d’invasion ? Une situation nouvelle résulta de l’invasion, et la question des commandos se posa à nouveau.
Oui, je m’en souviens, car ces documents m’ont également été soumis ici. Il y en a plusieurs à ce sujet. Il est vrai que le Commandant en chef à l’Ouest, après le débarquement des forces anglo-américaines dans le nord de la France, estima qu’une situation nouvelle se présentait affectant l’ordre du Führer du 18 octobre 1942, dirigé contre les troupes parachutistes. La question fut posée, comme d’habitude ; le général Jodl et moi-même représentions l’opinion du Commandant en chef à l’Ouest, c’est-à-dire que cet ordre n’était pas applicable en l’occurrence. Hitler refusa d’accepter ce point de vue et donna certaines directives en réponse ; celles-ci, selon ces documents, furent rédigées par deux fois ; après que l’une eût été rejetée comme non utilisable, le document PS-551, qui est la version finale, fut approuvé par le Führer pendant cette conférence. La raison pour laquelle je me souviens avec tant de précision de ces détails, est la suivante : en apportant cette réponse au cours de la discussion, une note manuscrite fut ajoutée par le général Jodl à propos de son application au théâtre d’opérations d’Italie. Cette version, avec la note additive, approuvée et réclamée par Hitler, fut alors transmise au Commandant en chef à l’Ouest.
A ce propos, a-t-on discuté comment la coopération active de la population à de tels actes de sabotage pourrait être jugée du point de vue de la loi internationale ?
Oui, cette question s’éleva à plusieurs reprises à propos de l’ordre du 18 octobre 1942 et du fameux mémorandum dont nous avons parlé. Je suis d’avis que le fait d’aider des agents ou d’autres entreprises ennemis est une violation de la Convention de La Haye. Si la population participe à de tels actes, aide ou protège les coupables, sous quelque forme que ce soit, il est spécifié très clairement, à mon avis, dans la Convention de La Haye, que la population ne doit pas prêter son assistance à l’accomplissement de semblables actions.
Le Ministère Public français a soumis une lettre du 30 juillet 1944, document PS-537, relative au traitement des membres de missions militaires étrangères capturés avec des partisans. Connaissez-vous cet ordre ?
Oui, je le connais. Oui, j’ai déjà été interrogé sur ce document PS-537, au cours des interrogatoires préliminaires, et je fis la déclaration suivante : il m’avait été rapporté que des missions militaires étaient rattachées aux états-majors de ces partisans, en particulier à ceux des chefs partisans serbes et yougoslaves. Nous étions d’avis qu’il s’agissait certainement d’agents ou de groupes d’agents qui devaient maintenir la liaison avec les pays contre lesquels nous étions en guerre. Des rapports m’avaient été faits dans ce sens et on me demanda comment il fallait traiter ce genre de prétendues missions, au cas où leurs membres seraient capturés. Lorsque le Führer fut consulté à ce sujet, il décida de rejeter les propositions faites par les autorités militaires, à savoir de les traiter comme des prisonniers de guerre. Car, selon la directive du 18 octobre 1942, ils devaient être considérés comme des saboteurs et traités comme tels. Ce document est donc l’expression de cet ordre et il porte ma signature.
La question des aviateurs terroristes et du lynchage a été mentionnée pendant l’interrogatoire du maréchal du Reich Göring. En conséquence, je me bornerai à quelques questions seulement qui vous concernent personnellement sur ce point. Savez-vous de quoi il s’agit quand on parle d’aviateurs terroristes et du traitement à leur infliger ? Quelle était votre attitude à cet égard ?
Le fait que, à partir d’une certaine date au cours de l’été 1944, les attaques à la mitrailleuse menées par des avions ennemis contre la population — comme elles ont été décrites ici — augmentèrent sensiblement, jusqu’à faire de trente à quarante victimes par jour, incita Hitler à réclamer catégoriquement une solution à cette question. Nous, soldats, étions d’avis que les règlements existants étaient suffisants et que de nouveaux règlements étaient inutiles. La question de lynchage fut introduite dans la discussion ainsi que celle de la définition du terme « aviateur terroriste ». Ces deux groupes de questions donnèrent lieu à toute cette liasse de documents, que je connais parfaitement et qui contiennent les procès-verbaux des discussions sur ces sujets.
Je pense qu’il ne sera pas nécessaire de répéter les détails, qui ont .déjà été discutés. Pour ce qui est de votre responsabilité, je suis vivement intéressé par les mots que vous avez écrits sur ce document. Voulez-vous nous les expliquer, je vous prie ?
Tout d’abord je voulais encore indiquer simplement que j’avais suggéré, à l’exemple de l’avertissement que nous avions donné lors de l’entreprise de Dieppe au cours de laquelle des prisonniers de guerre allemands avaient été enchaînés, de lancer un avertissement semblable sous la forme d’une note officielle adéquate, menaçant de représailles si les autorités ennemies ne cessaient pas d’elles-mêmes cette pratique. Cette suggestion fut repoussée : elle n’était pas opportune en la matière.
Et maintenant, voyons les documents qui ont une grande importance pour moi.
Le document PS-735.
Quelques notes manuscrites sur le document émanent de Jodl et de moi-même. Le document porte en marge une remarque, écrite de ma main ; elle est ainsi rédigée :
« Les tribunaux militaires ne feront pas l’affaire », du moins c’en était le sens. Ce commentaire fut écrit en marge, après une discussion sur la question des condamnations prononcées par les tribunaux militaires, car ce même document définissait, pour la première fois, en détail le terme « aviateur terroriste » et déclarait que les attaques terroristes étaient toujours faites à la mitrailleuse ou avec les armes de bord par des avions volant en rase-mottes. Je fus amené à penser que les équipages attaquant ainsi ne seraient pas, 99 fois sur 100, capturés vivants s’ils étaient abattus, car ils ne pouvaient se sauver en employant leur parachute à cette hauteur.
C’est pourquoi j’écrivis cette remarque en marge. En outre, j’estimais que, en dehors du fait qu’on ne pouvait pas poursuivre de tels aviateurs, il était impossible de mener à bien un procès, ou même une enquête, dans le cas d’une attaque à très haute altitude, car, à mon avis, aucun tribunal ne pouvait prouver que tel aviateur avait l’intention d’attaquer les objectifs qui, en fait, avaient été atteints.
Finalement, il y avait une autre considération : c’est que, selon la règle, les décisions prononcées contre des prisonniers de guerre par des tribunaux militaires devaient être communiquées à l’État ennemi par la Puissance protectrice, et trois mois de sursis devaient être accordés pour permettre à cet État d’élever ses objections contre cette décision. Il était donc absolument impossible d’obtenir par ce moyen, et rapidement, le résultat désiré.
Voilà en fait ce que cela signifiait. Mais j’ai aussi écrit une autre remarque qui se réfère au lynchage : « Du moment que l’on permet le lynchage, il est difficile d’établir des règles à ce sujet ».
A cet égard, je ne puis dire plus, car j’ai la conviction qu’il n’est pas possible de déterminer dans quelles circonstances de telles méthodes de justice du peuple peuvent être réglées ou considérées comme justes, et je suis encore d’avis qu’on ne peut établir de règles pour de tels procédés.
Mais quelle était votre attitude au sujet de la question du lynchage ?
Je considérais que c’était, pour nous, soldats, une méthode totalement inadmissible. Le Reichsmarschall nous avait communiqué un cas dans lequel on avait interdit toute poursuite contre un soldat qui avait arrêté de tels actes. Je ne connais aucun cas où des soldats, dans l’exécution de leur devoir de soldat, se soient comportés envers un prisonnier de guerre autrement que de la façon prescrite dans les règles générales. Cela m’est inconnu.
J’aimerais aussi indiquer — et ceci n’a pas encore été mentionné — que j’eus une discussion avec le Reichsmarschall Göring au Berghof sur cette question et il fut alors pleinement d’accord avec moi : nous devions, nous, soldats, rejeter la loi de lynch à tout prix. Je le priai, vu la situation délicate dans laquelle nous nous trouvions, d’aborder Hitler personnellement, à nouveau, afin de le persuader de ne pas nous obliger à donner ou à rédiger un ordre quelconque à ce sujet. Voilà la situation.
Nous en venons maintenant aux questions relatives aux prisonniers de guerre.
Je puis ajouter en terminant qu’aucun ordre de l’OKW ne fut jamais établi ou donné à ce propos.
Il n’y a pas de problème dans les lois de la guerre, auquel toutes les nations et tous les peuples soient aussi passionnément intéressés qu’à la question des prisonniers de guerre. C’est pourquoi, ici aussi, le Ministère Public a particulièrement souligné les cas qui furent considérés comme des violations des lois sur les prisonniers de guerre, soit en accord avec la Convention de Genève, soit en accord avec le Droit international en général.
Étant donné que l’OKW et vous, en tant que son chef, étiez responsables de ce qui avait trait aux prisonniers de guerre en Allemagne, j’aimerais vous poser les questions suivantes : Qu’a-t-on fait en Allemagne pour que tous les services et bureaux de la Wehrmacht soient mis au courant des accords internationaux se rapportant aux prisonniers de guerre ?
Il y avait une instruction de service spéciale à ce sujet, qui, je pense, existe et qui contenait toutes les stipulations des accords internationaux et les indications pour les mettre en pratique. C’est, je crois, la directive n° 38, qui concernait l’Armée de terre, la Marine et l’Aviation. C’était l’ordre fondamental.
Comment cet ordre fut-il suivi ? Ceux qui étaient chargés de son exécution dans ce domaine étaient-ils instruits spécialement ou était-ce suffisant d’attirer leur attention sur les directives générales ?
Chaque service, jusqu’au plus petit élément, possédait ces instructions, et chaque soldat avait été plus ou moins instruit sur ce sujet. En dehors de cela, il n’y eut pas d’autres explications, ou instructions, au début de la guerre.
Je pense aux cours d’instruction institués à Vienne, dans ce but particulier. Savez-vous qu’ils eurent lieu à Vienne ?
Oui, je sais que de telles matières firent l’objet de certains cours d’instruction destinés à ceux qui étaient en contact quotidien avec les prisonniers de guerre et que des cours d’instruction avaient eu lieu.
De plus, est-il exact que chaque soldat avait certaines instructions dans son carnet de solde ?
Oui. Cela a été confirmé ici, l’autre jour, par le général Milch, qui l’avait sur lui.
Quand furent données, par vos soins, les premières instructions sur les prisonniers de guerre ?
Autant que je sache, les premières instructions firent leur apparition après le début de la campagne de Pologne, attendu que toute mesure préparatoire pour la réception de prisonniers de guerre avait été rejetée par Hitler. Il l’avait interdit. Par la suite il fallut improviser des mesures dans un délai très court.
Que fut-il ordonné ?
Il fut ordonné que les trois armes de la Wehrmacht, la Marine, l’Armée de terre et l’Aviation dans une certaine mesure — mais particulièrement l’Armée — , devaient faire les préparatifs nécessaires pour la création de camps, de services de garde et tout ce qui était indispensable à la création et à l’organisation d’un tel service.
Veuillez nous dire quelles furent les fonctions de l’OKW dans le traitement des prisonniers de guerre et leur bien-être ?
L’instruction principale était le traitement selon la directive KGV-38 basée sur les accords internationaux. A mon avis, elle contenait tout ce que les personnes intéressées devaient savoir. A part cela, aucun ordre supplémentaire ne fut émis à cette époque ; mais les ordres ci-dessus furent exécutés.
Tout d’abord, j’aimerais savoir dans quelle mesure l’OKW était compétent pour le traitement des prisonniers de guerre ?
L’OKW était, si je puis dire, la « direction ministérielle » qui devait émettre tous les règlements de base et directives sur ces questions et qui avait le droit de vérifier, par voie d’inspection, la mise en application de ces instructions. En d’autres termes, c’était le service administratif qui donnait des instructions et faisait des inspections, sans avoir, naturellement, le commandement des camps eux-mêmes.
Ne faudrait-il pas mentionner les contacts avec le ministère des Affaires étrangères ?
Évidemment, je l’avais oublié. Une des tâches principales de l’ensemble de la Wehrmacht, et par conséquent de la Marine et de l’Aviation également, était de communiquer avec les Puissances protectrices, par l’entremise des Affaires étrangères, et avec la Croix-Rouge internationale et tous les services de ce genre qui s’intéressaient au bien-être des prisonniers de guerre. Je l’avais oublié.
Par conséquent, l’OKW était, en somme, l’organisme législatif et de contrôle ?
C’est exact.
Qu’avaient à faire les armes composant la Wehrmacht ?
La Marine et l’Aviation, dans le cadre limité de leurs propres prisonniers de guerre, avaient certains camps sous leur commandement, de même que l’Armée de terre. Mais comme les prisonniers de l’Armée de terre étaient de beaucoup les plus nombreux, c’étaient les généraux de l’intérieur, les commandants des régions militaires et leurs services qui étaient compétents en matière de camps.
Maintenant, passons aux camps de prisonniers de guerre eux-mêmes. Qui était à la tête de ces camps ?
Dans chaque région militaire, il y avait un commandant ou général qui était responsable de tout ce qui avait trait aux prisonniers de guerre dans sa région. Le camp lui-même était dirigé par un commandant de camp qui avait un petit personnel d’officiers, parmi eux un officier de renseignements et d’autres fonctionnaires de ce genre.
Quel était l’officier supérieur au général de chaque région militaire qui s’occupait des prisonniers de guerre ?
Le commandant de la région militaire était l’officier supérieur responsable de toutes les questions se rapportant aux prisonniers de guerre de la région militaire.
Quel était son supérieur ?
Les commandants de régions militaires étaient sous les ordres du Commandant en chef de l’Armée de l’intérieur et de réserve, qui, à son tour, dépendait du Commandant en chef de l’Armée de terre.
L’audience est suspendue.