CENT TROISIÈME JOURNÉE.
Mardi 9 avril 1946.
Audience du matin.
(Le témoin Lammers revient à la barre.)Oui, Docteur Dix.
Témoin, on a attiré mon attention sur le fait que je posais mes questions trop tôt après vos réponses et que vous répondiez trop rapidement à mes questions.
J’aimerais, avec la permission du Tribunal et avant de procéder à l’audition de ce témoin, aborder un autre sujet.
J’ai le regret d’annoncer que l’impression des documents a provoqué de tels abus que j’ai dû faire procéder à la fermeture des locaux destinés au tirage des documents à l’usage des avocats allemands. C’est une mesure sévère, mais c’est à mon avis la seule solution, et je soumets les faits au Tribunal.
Nous avons reçu du Secrétaire général l’ordre de procéder à ces impressions et nous avons imprimé le livre de documents n° 1 destiné à Rosenberg. Au cours de ses 107 pages, ce livre ne contient pas un seul point qui puisse, avec tout l’effort d’imagination désirable, être considéré comme pertinent dans ces débats. Il est inspiré d’un violent antisémitisme, et les États-Unis ne veulent pas se trouver devant le fait d’avoir, même sur l’ordre — que je crains devoir appeler irréfléchi — du Secrétaire général du Tribunal, à imprimer et a diffuser dans la presse, des documents ouvertement antisémites. Et ces documents ne sont rien d’autre. Je vous demande de vous prononcer sur ce point.
Il me faut dire que ce document contient deux sortes de choses : de l’antisémitisme, et avec le plus grand respect pour ceux qui pensent différemment de moi, des absurdités. Et voici un exemple d’absurdités que nous sommes obligés d’imprimer aux frais des États-Unis. Je ne puis plus longtemps passer ces faits sous silence :
« La méthode critique est la seule méthode philosophique qui convienne à une société bourgeoise. Elle vaut aussi bien au sens positif qu’au sens négatif. Le règne de la forme purement rationnelle, l’assujettissement de la nature, la libération de la personnalité autonome, tout cela est contenu dans la méthode de pensée formulée par Kant d’une manière classique. De même l’isolement de l’individu, le vide qui se fait dans la nature et dans la vie en commun, le rapport avec le monde fermé de la forme, vers lequel tend toute pensée critique. »
Pouvez-vous bien me dire pourquoi nous devons imprimer cela ? Regardons un peu cet antisémitisme et considérons ce qu’on nous demande de diffuser, page 47 de ce livre de documents :
« Les Juifs comme les Chananéens, les Phéniciens et les Carthaginois, sont réellement une race bâtarde... » Et cela continue longuement sur ce thème. Puis : « Les Juifs sont arrogants dans le succès, obséquieux dans l’adversité, malins et malhonnêtes autant qu’il est possible, avides, d’intelligence remarquable mais non. créatrice ».
Je ne voudrais pas faire perdre le temps du Tribunal, mais j’ajouterais que, la nuit dernière, nous avons reçu un nouvel ordre d’imprimer 260 exemplaires de plus de ce genre de prose ; j’ai été obligé de faire arrêter les presses. Nous ne pouvons accepter la tâche d’imprimer cette prose à moins qu’elle n’ait été examinée par le Tribunal. La plus grande partie de ce livre, autant que nous avons pu le vérifier, a déjà été rejetée par le Tribunal ; mais personne ne semble accorder la moindre attention à ce que le Tribunal a écarté, car nous recevons l’ordre de l’imprimer. Il faut donc que je déclare, avec le plus grand respect, que les États-Unis n’imprimeront que tout document qui aura été certifié par un membre du Tribunal ou son représentant mais nous ne pouvons continuer à imprimer de telles choses à la seule requête des avocats allemands ni en vertu des directives inconsidérées qui nous ont été données.
Pour l’instant, je tiens simplement à dire que, le 8 mars 1946, le Tribunal m’a donné expressément l’autorisation de faire paraître des citations de livres de philosophie dans mon livre de documents. Je suis, en conséquence, parti du principe que l’idéologie de Rosenberg était une expression de la philosophie qu’on appelle néo-romantique et j’ai cité des extraits d’ouvrages philosophiques néo-romantiques très sérieux qui ont été reconnus par la science. En second lieu, Messieurs, j’ai tenté sérieusement de ne pas présenter un livre antisémite. Ce qui vient d’être lu doit être une erreur de traduction. J’ai cité l’ouvrage d’un célèbre professeur de théologie évangélique, Homan-Harling et celui d’un savant juif reconnu, Isma Elbogen ; enfin, j’ai tiré des citations du journal périodique Kunstschatz dues à un professeur d’université juif, Moritz Goldstein. A dessein, je me suis abstenu de citer de la propagande antisémite dans cette salle. Je demande donc que ces documents soient de nouveau examinés, avant de décider qu’ils renferment des absurdités et ne constituent en fait qu’un rebut littéraire. Je maintiens que les ouvrages que j’ai cités sont d’auteurs américains, anglais et français reconnus et que la citation faite tout à l’heure par M. Justice Jackson à propos de « race bâtarde », etc. est tirée, à ma connaissance, d’un savant non allemand. Il faudrait que je le vérifie à nouveau. En tout cas, puis-je demander au Tribunal d’examiner de près les extraits que je voudrais citer, afin de décider si oui ou non ils ont de sérieuses bases scientifiques et sont pertinents ?
Monsieur Justice Jackson, le Tribunal pense qu’il a dû se produire une erreur dans l’envoi à la section de traduction d’un livre de documents qui n’a pas été présenté préalablement au Ministère Public. Le Tribunal a prescrit, il y a quelque temps, que le Ministère Public avait le droit d’élever des objections contre tout document avant son envoi à la section de traduction. Il s’éleva alors quelques difficultés du fait que la plupart de ces documents étaient en allemand. En outre, le Ministère Public hésitait à se prononcer définitivement sur des documents qui n’étaient pas traduits. Cette difficulté particulière nous fut expliquée, il y a quelques jours ; je crois que vous étiez absent à ce moment, mais d’autres membres du Ministère Public américain étaient certainement présents. Nous avons discuté le sujet à fond et il a été décidé que le Ministère Public s’entretiendrait avec la Défense et réglerait autant que possible la question des documents qui, aux yeux du Ministère Public, n’auraient pas à être traduits. En cas de désaccord le Tribunal devait trancher.
Ainsi, dans son domaine, le Tribunal a fait tout son possible pour alléger le travail de la section de traduction. Évidemment, si des documents ont été présentés à la section de traduction après avoir été rejetés par le Tribunal comme non pertinents, c’est le fait d’une erreur, car le service du Secrétaire général devait sans aucun doute refuser de transmettre à la section de traduction tout document refusé par le Tribunal. Mais le principe général que j’ai essayé d’expliquer paraît au Tribunal la seule base que nous puissions utiliser si nous voulons alléger le travail de la section de traduction ; cela revient à dire que le Ministère Public doit s’entretenir avec les avocats et leur indiquer les documents qui sont manifestement non pertinents et n’ont pas à être traduits.
Plaise au Tribunal. Je ne crois pas que ce soit une erreur. Le malentendu provient plutôt d’une divergence fondamentale que le Tribunal n’a pas, je crois, nettement perçue. De quoi s’agit-il ici ? La Défense déclare qu’elle pense avoir à faire ressortir le néo-romantisme de Rosenberg. Et nous accusons Rosenberg de l’assassinat de 4.000.000 à 5.000.000 de Juifs. La question qui se pose est une question idéologique. En matière de sentiments antisémites on ne doit considérer que le mobile. Il n’est nullement question de présenter ici le problème de l’antisémitisme ou de la supériorité des races, et les différences fondamentales de point de vue. Les avocats pensent, à juste titre selon eux, pouvoir amener la discussion sur ce point, car il est évident que s’ils peuvent obtenir ce premier essai de la part du Tribunal, leurs projets seront facilités.
Et tout d’abord nous avons reçu ce livre avec l’ordre de l’imprimer. Nous ne pouvons savoir quand les avocats déposent des documents à la salle de documentation. Et je ne veux pas simplement servir de moyen de diffusion à cet esprit antisémite. Les États-Unis, non plus, ne le peuvent pas. Les directives que le Tribunal a données à la Défense ont été simplement ignorées. C’est là que réside la difficulté.
Je ne sais pas si vous avez présente à l’esprit la décision que nous avons prise le 8 mars 1946 :
« Pour éviter toute traduction inutile, les avocats indiqueront au Ministère Public, pour chaque document, les passages qu’ils ont l’intention d’utiliser, afin que celui-ci puisse avoir la possibilité de faire opposition à la citation des extraits qui ne lui sembleraient pas pertinents. En cas de désaccord entre le Ministère Public et la Défense, quant à la recevabilité de tel ou tel passage, c’est le Tribunal qui décidera. Ainsi, il ne sera nécessaire de traduire que les passages cités, à moins que le Ministère Public ne demande une traduction intégrale du document. »
Évidemment, si vous avez quelque objection à cette règle de principe, nous l’écouterons ; mais le Tribunal estime que cette règle est la meilleure qui se puisse adopter et elle a été confirmée il y a peu de jours, après une longue discussion.
J’appelle l’attention du Tribunal sur le fait que votre décision n’est pas observée et que des documents nous sont apportés pour être imprimés sans avis préalable. Les employés de l’imprimerie ne sont pas des hommes de loi et ils ne sont pas à même de juger de telles choses. Je n’ai pas un personnel suffisant ; comme le Tribunal le sait, ce personnel a été réduit très sérieusement. Je ne puis faire procéder à l’imprimerie à aucune vérification de ce qui doit être mis sous presse, une fois que les ordres ont été donnés par le Secrétaire général.
Bien, mais...
La décision du Tribunal n’est pas observée, c’est là la difficulté.
Mais prétendez-vous qu’aucun de ces documents n’a été présenté au Ministère Public ?
Non, les documents n’ont pas été présentés au Ministère Public ; ils sont arrivés à l’imprimerie accompagnés d’un ordre d’imprimer du Secrétaire général. C’est le grief que je formule à propos duquel il me faut trouver une solution.
Nous sommes dans une position très particulière, Monsieur le Président, du fait qu’on nous demande d’être les imprimeurs des accusés ! Nous avons reçu l’ordre d’imprimer 260 copies de ces stencils qu’on nous a présentés. Les États-Unis ne peuvent jouer le rôle d’imprimeurs pour la distribution de cette littérature antisémite, que nous avons dénoncée depuis longtemps comme un des vices du régime nazi, surtout après que ces documents ont fait l’objet d’une discussion devant le Tribunal et ont été rejetés par lui. C’est, me semble-t-il, un cas flagrant d’outrage au Tribunal que de vouloir à nouveau déposer ces documents, alors que le Tribunal en a déjà décidé et a rejeté intégralement le livre de documents de l’accusé Rosenberg.
Bien entendu, les documents rejetés n’auraient jamais dû être envoyés à la section de traduction. Ne pourrions-nous entendre Sir David Maxwell-Fyfe à ce propos puisqu’il était présent à l’audience précédente, c’est-à-dire à celle où nous avons traité cette question ?
Plaise au Tribunal. Si je comprends bien, on avait déjà disposé des documents Rosenberg — c’est du moins ce qu’on m’a dit — avant que le Tribunal ne se prononçât à ce sujet ; c’est pourquoi j’avais suggéré que la nouvelle règle s’applique seulement à partir des documents de l’accusé Frank. C’est ce que j’avais déclaré au Tribunal.
Si je me rappelle, je crois que c’est après avoir établi cette règle du 8 mars 1946 que le Ministère Public — je parle des quatre Ministères Publics, bien que je croie que le document présenté ait été signé par le procureur américain, mais je ne puis l’affirmer — indiqua qu’il éprouvait de grandes difficultés à appliquer cette règle du 8 mars, étant donné que le Ministère Public hésitait à se prononcer sur la recevabilité des documents, car les documents devaient, au préalable, être traduits afin qu’il pût pratiquer son examen. Est-ce exact ?
Cette difficulté se présenta avec les documents Ribbentrop, présentés par le Dr Horn.
Mais une requête écrite aux fins de modification de la règle du 8 mars 1946 fut adressée au Tribunal et c’est alors que nous avons discuté cette affaire en audience publique et que nous sommes tombés d’accord pour déclarer qu’il valait mieux suivre cette règle du 8 mars 1946. Je vois d’ailleurs qu’on s’est occupé des documents Rosenberg avant cette date.
Depuis notre dernière discussion, nous avons, bien entendu, essayé d’appliquer cette règle. Le Dr Dix est venu voir M. Dodd et moi-même pour les documents Schacht et je sais que d’autres éminents avocats se préparent à s’entretenir avec le Ministère Public au sujet de leurs documents. Mais, avant cela, avant que la discussion ne s’élevât à propos des documents Ribbentrop, il n’y avait eu aucune rencontre entre les avocats et le Ministère Public. Voilà la situation.
Mais je voudrais signaler le fait que le Ministère Public n’a pas appliqué la règle du 8 mars 1946. C’était peut-être impossible, mais elle n’a été appliquée en aucun cas.
Je ne comprends pas ce que Votre Honneur entend exactement par « le Ministère Public ne l’a pas appliquée ».
Le Ministère Public et la Défense, je suppose ; car la requête qui nous a été adressée après la règle du 8 mars 1946, provenait du Ministère Public, qui éprouvait de grandes difficultés à obtenir les traductions des documents ; aussi proposait-il un autre règlement.
Je m’excuse, Monsieur le Président, si nous n’avons pas appliqué cette règle. C’est la première fois qu’on me suggère...
Je n’ai pas l’intention de vous critiquer.
Nous nous sommes tous donné beaucoup de peine. Tout le monde a coopéré loyalement. Je ne me doutais pas que nous étions en faute ; je le regrette infiniment.
Ce n’est pas ce que je veux dire, Sir David, mais je crois qu’il y a eu d’immenses difficultés à appliquer cette règle et je crois qu’on a proposé de la modifier. J’approfondirai cette question pour voir si j’ai raison. Je me souviens d’avoir vu une telle proposition. Nous avons ensuite discuté de cette question en audience publique, après quoi avons décidé de maintenir cette règle du 8 mars. Ces difficultés présentes ont surgi sans doute — comme vous l’avez indiqué — du fait que les documents Rosenberg avaient été présentés auparavant. Probablement que le meilleur moyen consisterait maintenant... (Brève délibération du Tribunal.)
Monsieur Justice Jackson, le meilleur moyen ne consisterait-il pas à ce que vous nous adressiez vos objections par écrit, pour tous les documents qui ne vous semblent pas pertinents ; le Tribunal en déciderait après avoir délibéré ?
Mais le Tribunal a déjà rejeté ces documents, Votre Honneur, et cependant nous avons reçu l’ordre de les imprimer. Les décisions du Tribunal ne sont pas respectées — je ne veux pas critiquer les avocats — mais nous n’avons pas eu l’occasion d’examiner ces documents ; ces stencils que j’ai arrêtés la nuit dernière ne nous ont pas été présentés ; ils n’ont rien à voir avec les décisions du Tribunal et nous n’arriverons à rien en discutant à ce propos avec le Dr Thoma, qui estime que la philosophie de ces ouvrages représente un argument.
A mon avis, si nous voulons arriver à une solution, le Tribunal devrait — je présente ma suggestion avec la plus grande déférence au Tribunal, et ne prétends pas atteindre à l’impartialité parfaite — nommer un représentant qui vérifierait ces documents. Ce n’est pas une discussion avec le Dr Thoma ou avec quiconque, qui mènera à une conclusion. Je suggère qu’un délégué officiel approuve ces documents avant qu’ils ne soient traduits. Si la personne désignée trouve un document qui prête à discussion, elle pourra alors en référer au Tribunal.
Évidemment, nous n’avons pas l’autorité nécessaire pour accepter ces documents ou les rejeter définitivement. Je me rends compte que ce serait un trop lourd fardeau pour le Tribunal que d’approuver à l’avance tous ces documents. Mais c’est une charge aussi lourde pour les États-Unis que de les imprimer tous. Le papier est rare de nos jours : plus de 25.000 feuilles ont été nécessaires à l’impression d’un livre qui a été rejeté. Je crois qu’il n’y a pas d’autre solution en dehors de celle qui consiste à confier à un juriste qui ait quelque idée de la pertinence ou de la non-pertinence des documente, la tâche de représenter le Tribunal en examinant les documents à l’avance, plutôt que d’en laisser ce soin aux avocats.
Je ne m’aventurerais même pas à m’asseoir au côté du Dr Thoma pour discuter, car nous partons de points de vue tout à fait différents. Il désire justifier l’antisémitisme ; j’affirme quant à moi que ce n’est pas un point à discuter. Les assassinats de Juifs, d’êtres humains, voilà ce qu’il faut juger et non discuter du fait si la race juive est ou n’est pas sympathique au peuple allemand. Cela ne nous intéresse pas. Nous établissons des conclusions.
Je voudrais, avec l’autorisation du Tribunal, ajouter quelques mots à ce que M. Jackson vient de dire. Je ne désire pas critiquer les avocats non plus, mais le Tribunal a dit qu’il pouvait s’agir là d’une erreur. Je voudrais donc attirer l’attention du Tribunal sur le fait que ces erreurs se répètent bien souvent. Je me permettrai de rappeler le cas des documents se rapportant au Traité de Versailles que le Tribunal avait considérés comme irrecevables et rejetés de la façon la plus catégorique ; le Tribunal se souviendra aussi que nous avons perdu beaucoup de temps à entendre la lecture des documents présentés par le Dr Stahmer et le Dr Horn.
Je voudrais rappeler ici un autre exemple de décision du Tribunal qui n’a pas été respecté — peut-être était-ce par suite d’une erreur, peut-être non — lorsqu’un certain document, présenté par le Dr Seidl, fut publié dans la presse avant même d’avoir été accepté par le Tribunal. Il me semble qu’il serait fort utile pour le Tribunal, en vue d’économiser du temps, de s’assurer d’une façon plus efficace que ses propres règles sont observées, non seulement par le Ministère Public qui les suit très correctement, mais également par les avocats.
Je vous en prie, Docteur Thoma ?
Je suis très désagréablement surpris par le reproche qui m’est fait de n’avoir pas suivi les décisions du Tribunal. Au cours des discussions portant sur la recevabilité des documents, j’ai expliqué en détail dans quels ouvrages de philosophie je prendrais mes citations et pourquoi je choisissais ces passages. Le Ministère Public, en s’occupant de Rosenberg, a déclaré que celui-ci avait inventé sa philosophie dans le but de préparer une guerre d’agression et de commettre des crimes de guerre, etc. J’estimais donc qu’il était de mon devoir de prouver que cette prétendue...
Veuillez indiquer au Tribunal où le Ministère Public établit que Rosenberg inventa une philosophie, est-ce dans l’Acte d’accusation ou au cours de son exposé ?
Je peux le prouver ; on trouve dans le discours de Churchill et dans celui de M. Justice Jackson également, que la philosophie de Rosenberg a abouti à ce résultat.
Vous dites que cela ressort d’un discours de Churchill ?
Oui.
Mais qu’avons-nous affaire avec cela ? Je vous demande si le Ministère Publie a manifesté cette opinion dans l’Acte d’accusation ou au cours de son exposé et vous me répondez que M. Churchill...
Non, ce n’est pas Churchill, mais plutôt M. Justice Jackson. Dans son exposé, il a exprimé des choses qui avaient exactement ce sens. Par conséquent, j’ai cru qu’il était de mon devoir d’expliquer au Tribunal cette philosophie, qui, bien avant Rosenberg, a donné lieu à des discussions similaires et qui est une philosophie répandue dans le monde entier.
En ce qui concerne la présentation du livre de documents, les faits se sont passés ainsi : la section de traduction me demanda — attendu qu’elle avait justement le temps de s’en occuper avant qu’il ne soit soumis au Tribunal — de lui faire parvenir mon livre de documents aussi rapidement que possible. C’est ainsi que la section de traduction eut le livre entre les mains avant le Tribunal. Mais le Tribunal, dans la décision qu’il a rendue le 8 mars 1946, a bien voulu me permettre de présenter des extraits de ces ouvrages philosophiques ; seuls, les ouvrages antisémites de Goldstein, de Elbogen et de Homan-Harling me furent refusés. En conséquence, j’ai immédiatement informé le Tribunal que mon livre de documents contenait des documents qui n’avaient pas été acceptés par ce dernier.
Et maintenant, Messieurs, voici un point extrêmement important : j’ai pu établir que la citation que M. Justice Jackson vient de lire est extraite d’un ouvrage d’un savant français, M. Lapouge. De plus, dans mon livre de documents, j’avais marqué au crayon rouge les passages qui devaient être traduits, la citation que M. Jackson a lue n’était pas marquée en rouge et ne devait pas faire partie du livre de documents ; c’est là une erreur regrettable.
Enfin, je voudrais citer le fait — mon attention vient d’être attirée là-dessus — que l’extrait en question dit : « Rosenberg a développé la technique philosophique pour les besoins de la conspiration et créa ainsi un système d’éducation favorable aux guerres d’agression ». Voilà la phrase même de l’exposé de M. Justice Jackson. C’est pourquoi j’estimais qu’il était nécessaire de démontrer que cette philosophie existait déjà, était en quelque sorte dans l’air et devait inévitablement faire son apparition. Je crois donc que je me suis maintenant lavé du reproche d’avoir contrevenu à l’ordre du Tribunal.
Docteur Thoma, ces documents ont-ils été envoyés à l’imprimerie ou ont-ils été envoyés à la section de traduction ?
A mon avis, ils avaient été envoyés à la section de traduction, puisque ce service m’avait dit qu’il avait un peu de temps libre et qu’il s’attendait à être débordé très prochainement. Mon document étant prêt, je l’ai transmis à la section de traduction.
M. Justice Jackson a, semble-t-il, déclaré qu’ils avaient été envoyés à l’imprimerie et qu’ils avaient été distribués de cette façon. Mais j’aperçois que sur la couverture de chaque document il est indiqué qu’ils ne doivent pas être publiés avant d’avoir été soumis à l’approbation du Tribunal en audience publique et seule la partie qui sera réellement présentée comme preuve. Par conséquent, tous les documents qui sont envoyés à la section de traduction ne doivent pas être diffusés à la presse et ne doivent pas être publiés jusqu’à ce qu’ils aient été soumis au Tribunal.
Il paraît y avoir un certain nombre de malentendus sur cette question du fait, principalement, que vous ayez envoyé vos documents à la section de traduction avant de les avoir présentés au Tribunal, et c’est pourquoi certains d’entre eux ont été traduits qui, par la suite, ont été refusés par le Tribunal. Est-ce exact ?
Non, Monsieur le Président, ce n’est pas exact : d’abord il ne s’agissait que d’une mesure administrative intérieure, prise dans le service même de la section de traduction. Je lui ai donné mon livre de documents, parce que ce service me l’a demandé, et alors...
Je n’ai pas demandé qui avait fait cette demande ; j’ai dit que la section de traduction avait reçu les documents, qu’elle les avait traduits avant qu’ils n’eussent été soumis au Tribunal, et, en conséquence, que certains documents avaient été traduits que le Tribunal refusa par la suite.
Les seuls ouvrages rejetés furent les trois livres antisémites. Je ne m’explique pas comment ces documents sont parvenus jusqu’à la presse. Je voulais simplement faciliter le travail de la section de traduction. J’ai dûment avisé le Secrétaire général que j’avais remis le livre de documents. Cependant, les extraits tirés des ouvrages de philosophie me furent accordés un peu plus tard et je voudrais signaler encore une fois que j’ai toujours été persuadé que tout ceci n’était qu’une affaire administrative et que de tels documents ne pouvaient absolument pas parvenir à la presse. Je n’en fus jamais informé. Je savais parfaitement que les citations qui n’avaient pas encore été lues au Tribunal ne devaient pas être communiquées à la presse. J’ai toujours respecté cette règle. Rien encore n’a été lu devant le Tribunal ; aucune communication donc n’aurait dû être faite à la presse.
Comme vous devez sans doute le savoir, la première acceptation par le Tribunal des documents que vous présentez n’est que provisoire, car ensuite, vous devez les présenter en audience publique, comme le Dr Horn l’a fait ; c’est alors que le Tribunal décide de leur recevabilité. L’autre règle fut établie dans le but d’éviter des traductions inutiles. Il a été décidé que, lorsque le Tribunal aurait accepté provisoirement le choix de documents, vous auriez à soumettre au Ministère Public les passages que vous vouliez citer, en vue d’objections éventuelles, afin que la section de traduction ne soit pas surchargée. Ainsi que vous l’avez expliqué et comme l’a confirmé Sir David Maxwell-Fyfe, cela n’a pas été fait dans votre cas, en partie, probablement, parce que la section de traduction était disposée à entreprendre ce travail. C’est ainsi que certains documents se trouvèrent soumis à la traduction, qui furent par la suite rejetés par le Tribunal.
Puis-je apporter une correction à une interprétation qui a soulevé un malentendu ? Je n’ai jamais eu l’intention de dire que la Défense avait envoyé des documents à la presse, aux journaux ; mais ils n’ont pas été communiqués à la presse au sens de presse d’information ; ils ont été envoyés à la presse, à la presse à imprimer et ces documents ont naturellement été imprimés. Les 260 exemplaires demandés portaient l’avis habituel indiquant qu’ils ne devaient pas être communiqués à la presse et j’ai bien dit qu’ils avaient été envoyés à la presse à imprimer et non aux journaux.
Oui, Docteur Dix ?
Monsieur le Président, Messieurs, je demande à ajouter à la discussion qui vient d’avoir lieu quelques observations qui ne se référeront pas spécialement au cas Rosenberg mais à la Défense en général. De très sérieux reproches ont été adressés à la Défense dans son ensemble. Il a été déclaré que le Ministère Public n’avait pas à être l’imprimeur de la Défense. On a reproché également à la Défense de vouloir faire de la propagande et finalement le comble fut atteint lorsqu’on formula l’accusation la plus grave qu’on puisse porter dans un procès comme celui-ci : d’avoir commis un outrage envers le Tribunal.
Au nom de tous les avocats, je m’élève contre ces graves reproches en présentant l’argument le plus fort et le meilleur qu’il soit possible de produire : celui d’une conscience absolument nette à cet égard. Quiconque a entendu les débats de la dernière demi-heure a dû constater que les divergences d’opinions qui se sont produites et sur lesquelles le Tribunal aura à se prononcer, sont encore dues à des malentendus qui se sont déjà présentés plusieurs fois dans l’enceinte de ce Tribunal.
M. Justice Jackson a bien voulu préciser en toute loyauté qu’il ne parlait pas de la presse d’information, mais de la presse à imprimer, et mon collègue, le Dr Thoma, a indiqué que la seule raison qui avait motivé l’envoi des documents à la section de traduction était l’avis de ce service lui-même qui avait, très naturellement et raisonnablement, fait savoir : « Nous n’avons pas beaucoup de travail en ce moment, envoyez-nous vos documents, nous commencerons à les traduire dès maintenant ».
Je crois que nous pourrions éviter toutes ces difficultés si nous convenions de part et d’autre, la Défense et le Ministère Public, de travailler en bonne harmonie et avec loyauté et si nul d’entre nous ne songeait, même un instant, à négliger délibérément les décisions du Tribunal. Des erreurs et des malentendus peuvent toujours se produire. Puis-je rappeler à ce propos qu’en ce qui concerne la presse, le fait que des documents aient été publiés avant que le Tribunal n’en ait décidé s’est produit fréquemment au début du Procès. Je ne veux pas mentionner de cas particuliers, car le Tribunal sait que la faute n’en revenait pas à la Défense. Je ne sais pas qui en est responsable : en tout cas ce n’est pas la Défense. Je ne fais pas de reproches ; ces choses-là arrivent dans des débats comme ceux-ci. Personne n’y a mis de mauvaise volonté. Je me permettrai simplement de rappeler que c’est la Défense — et cela par ma propre bouche — qui a soutenu énergiquement la règle et qui a demandé que la presse fût informée seulement de ce qui figurait au procès-verbal des audiences publiques ; c’est à la suite de cela que le Tribunal prit cette décision, car, précédemment, la procédure était différente.
Je n’ai jamais considéré cela comme une offense, tout au plus comme une conséquence de la dépendance des hommes voulue par Dieu. Il m’a été, par exemple, impossible, au début des débats, d’obtenir un exemplaire du Statut, fondement de ce Procès. Il a fini par m’être aimablement donné par la presse.
Il est évident qu’il doit se produire des erreurs et des fautes, chaque fois qu’un mécanisme si compliqué est mis en mouvement. Mais nous avons déjà commencé, avec l’aide de Sir David, à rechercher une solution pratique et efficace à cette question de documents. Aussi longtemps que nous ne disposions que du texte allemand, nous avons conféré avec le Ministère Public afin de déterminer ses objections aux extraits choisis. Des difficultés techniques de langue se sont présentées tant que nous n’avions que le texte allemand et que les procureurs ne parlaient que les autres langues. Je me suis entretenu à ce sujet avec le Ministère Public afin de nous rendre compte de ses difficultés. Avec un peu de bonne volonté on arrive là aussi à une solution, au besoin en utilisant un interprète. Ce fut donc un excellent moyen d’éviter d’abord un travail inutile à la section de traduction et ensuite des délibérations inutiles au Tribunal. Et tout alla fort bien ; le début était excellent. Je voudrais revendiquer pour la Défense — et je suis convaincu que Sir David ne me contredira pas — que ce fait est dû à notre initiative, de même que l’idée des entretiens officieux préalables avec le Ministère Public qui nous ont permis de collaborer.
Dans ce Procès, la Défense se trouve dans une position particulièrement délicate. Je veux croire que vous voudrez bien tous reconnaître que notre tâche de défenseurs exige que nous déployions une habileté rare et un degré exceptionnel de tact politique, si nous voulons éviter toute erreur, si petite soit-elle. En tout cas, personnellement, je ne prétends pas être absolument sûr de moi sur ce point et ne commettre aucune maladresse. Nous sommes dans une situation fort délicate vis-à-vis du monde, vis-à-vis du Tribunal et aussi de l’opinion publique allemande. Je prie M. Justice Jackson de s’efforcer de comprendre que notre tâche est extrêmement difficile et de ne pas nous adresser des reproches tels que ceux qui, malheureusement, figurent souvent dans la presse allemande. Il ne nous est pas toujours possible, lorsqu’une attaque injuste se déclenche dans la presse, d’implorer l’aide du Tribunal qui a des préoccupations autrement plus importantes que celle de protéger les avocats à chaque instant.
Or, quant au reproche qu’on fait ici d’une propagande nationale-socialiste ou antisémite, je crois pouvoir déclarer hautement, en toute conscience, qu’aucun avocat, quelles qu’aient pu être jadis sa philosophie personnelle ou ses convictions politiques, n’a jamais songé ou tenté de faire ici une propagande idéologique pour le monde défunt — et je souligne le mot défunt — du Troisième Reich. Ce serait injuste, pire même, et comme le dirait Talleyrand, ce serait parfaitement stupide. Cependant, comme nous faisons l’objet de reproches, que nous ne pouvons pas nous défendre et que nous ne pouvons pas, décemment, demander au Tribunal de nous protéger contre toutes les attaques, je demanderai à M. Justice Jackson de bien vouloir nous donner un éclaircissement et de convenir que ses accusations graves — outrage au Tribunal, propagande antisémite ou nationale-socialiste, etc. n’ont pas été formulées sérieusement. La coopération amicale qui s’est manifestée jusqu’à présent entre le Ministère Public et nous, j’avoue franchement que je me souviendrai de cette coopération avec reconnaissance et que je reconnais pleinement l’aide et la camaraderie que nous ont fournie et témoignée nos adversaires. Cette ambiance devrait être maintenue. Où finirions-nous si nous nous faisions face ici comme des coqs prêts au combat ? Nous poursuivons tous le même but. Non seulement je demande à M. Justice Jackson de le faire, mais, comme je le connais, je suis sûr que, sans ma prière, il fera une mise au point sur cette allégation dont l’effet est pénible autant pour le Tribunal que pour la Défense.
Permettez-moi de vous remercier, Messieurs, de votre longue attention. Mais je crois que l’incident était suffisamment important pour justifier un appel à une collaboration renouvelée, sans heurts entre le Ministère Public et la Défense, dans l’intérêt même de la cause.
Messieurs, souffrez que je fasse une rectification portant sur les faits.
Je voudrais citer exactement les passages qui tiennent Rosenberg pour seul responsable d’une idéologie erronée. Dans l’exposé du Ministère Public américain (Tome V, page 47), il est déclaré que Rosenberg réforma le système d’éducation allemande afin de soumettre le peuple allemand à la volonté des conspirateurs et de le préparer psychologiquement à une guerre d’agression. C’est une citation que je tiens ici à votre disposition.
Encore un mot en second lieu car je suis obligé de répondre personnellement au reproche formulé par M. Justice Jackson et je vais dire quelque chose que, normalement, je n’aurais pas exprimé dans cette salle : j’ai déclaré à maintes reprises à M. Rosenberg : « Monsieur Rosenberg, je ne puis défendre votre antisémitisme ; vous devez le faire vous-même ». C’est pour cela que j’ai limité le choix de mes documents et que j’ai estimé, qu’il était de mon devoir de fournir à Rosenberg toutes les possibilités qui puissent faciliter sa défense sur ce point.
Je tiens encore à signaler le fait que l’extrait cité tout à l’heure par M. Justice Jackson n’était pas souligné en rouge dans le livre de documents et c’est par erreur qu’il a été inclus dans le texte traduit.
Je ne voudrais certes pas être injuste envers nos adversaires. Je sais qu’ils ont une tâche fort difficile. Toutefois, j’espère que le Tribunal a devant les yeux — je ne veux stigmatiser personne, les faits parleront d’eux-mêmes — la décision du 8 mars 1946, troisième alinéa. J’attire l’attention du Tribunal sur le fait qu’elle signale : « Les documents suivants sont re jetés comme non recevables : Rosenberg... » Suit toute la liste des documents : Kunstwart, Histoire des Juifs en Allemagne, Histoire du Peuple juif. Je ne citerai que ces trois. Deux jours après cette décision, l’avocat de Rosenberg a présenté au Tribunal, le 10 mars 1946, un mémorandum dans lequel il renouvelait sa demande d’autorisation de citer certains extraits des livres figurant sur la liste. Le 23 mars 1946, le Tribunal a de nouveau repoussé cette demande. Je vais maintenant vous faire parvenir les stencils qu’on nous a ordonné de tirer, le 8 avril 1946. Ils ne sont pas très lisibles. Le premier est une citation de l’Histoire du Peuple juif, l’un des ouvrages rejetés ; le suivant est une citation de Kunstwart, autre ouvrage rejeté, et le troisième est tiré de l’Histoire des Juifs en Allemagne, troisième livre dont j’ai parlé. Nous n’avons pas eu le temps d’examiner tous ces stencils, mais un coup d’œil rapide a permis de constater qu’ils se composent en grande partie, sinon entièrement, d’extraits tirés des documents refusés.
Je ne ferai aucun commentaire ; je cite uniquement les faits.
Monsieur Justice Jackson, toute la question ne dépend-elle pas de la date à laquelle les documents ont été présentés à la section de traduction ? Le Dr Thoma déclare qu’il lui a remis ces documents parce qu’elle était prête à les accepter. Mais ces faits se sont passés avant que n’intervienne la décision du Tribunal lui refusant la production de ces documents. S’il en est ainsi, on comprend facilement ce qui s’est passé...
Votre Honneur, je ne sais pas ce qu’il a dit. Je n’ai pas compris qu’ils avaient été donnés avant le 8 mars 1946. En tout cas, même s’ils ont été traduits, l’ordre d’imprimer nous a été remis le 8 avril 1946 en même temps que les documents. Après le rejet de ces documents, il restait suffisamment de temps pour éviter une dépense de peine et d’argent pour imprimer des documents qui avaient été repoussés à deux reprises. Je ne veux pas caractériser les faits plus avant : ils parlent d’eux-mêmes.
Docteur Thoma, pouvez-vous nous aider pour cette question de dates ? M. Justice Jackson a déclaré que ces trois documents ayant été refusés une première fois, vous avez cependant fait une nouvelle demande, le 10 mars 1946, pour qu’on les accepte et, le 23 mars 1946, ils ont été rejetés une fois pour toutes. A quel moment avez-vous fait parvenir ces documents à la section de traduction ?
Les documents ont été remis au service de traduction avant le 8 mars. Au cours d’une audience, la pertinence des documents fut discutée et c’est à peu près à cette époque que la section de traduction s’est mise en rapport avec ma secrétaire pour lui demander de lui soumettre le livre de documents afin de le traduire, puisqu’il avait entendu dire qu’il était prêt. C’est alors que j’abordai ici cette question des citations philosophiques avec l’impression que le Tribunal ne consentirait pas à ce que je produise ces documents. Là-dessus, j’adressai une nouvelle requête écrite au Tribunal pour qu’on m’autorisât à les produire. Lorsqu’on me communiqua que les livres antisémites étaient irrecevables — quelques jours après la date de cette décision — , j’avisai le Tribunal que je tenais à lui faire remarquer qu’on avait traduit des livres qu’on ne m’autorisait pas à produire.
Évidemment, Docteur Thoma, vous ne pouvez pas me donner de dates exactes pour le moment, mais nous allons approfondir la question.
Je voudrais attirer encore une fois votre attention sur le fait que j’ai moi-même signalé que des extraits non autorisés figuraient dans mon livre de documents. Je vous prie de bien vouloir en conclure que je ne tentais pas de faire quelque chose d’incorrect.
Je crois que, puisque les documents avaient été refusés, la procédure normale eût consisté à retirer ces documents de la section de traduction, ou tout au moins à l’avertir qu’il fallait les retirer. Cependant, le Tribunal pense que la meilleure solution actuelle est de prendre en considération la suggestion de M. Justice Jackson, à savoir de nommer un représentant du Tribunal pour procéder à l’examen de ces documents, afin d’épargner au Ministère Public la tâche de décider ou de soulever des objections contre des documents à transmettre à la section de traduction.
Le Tribunal estime que M. Justice Jackson ou le comité des Ministères Publics devrait faire une requête écrite pour que soient écartés tous les documents qu’il estime non pertinents dans le livre de documents de l’accusé Rosenberg qui a été présenté. Pour l’instant, le Tribunal maintiendra le système établi avec le consentement du Ministère Public.
Je n’ai plus qu’une chose à ajouter. J’avais raison lorsque je disais que le comité des Ministères Publics avait demandé au Tribunal, le 29 mars 1946 — j’ai le document ici, sous les yeux — de modifier la règle n° 297, établie le 8 mars 1946.
Je voudrais ajouter que je me suis rendu moi-même auprès de l’officier et lui ai dit qu’il fallait écarter les documents qui ne devaient pas être inclus dans la traduction. On a constaté, toutefois, qu’il en avait déjà été tiré et relié quelques centaines d’exemplaires. On me déclara : « Après tout, ils ne seront pas cités, alors on peut bien les laisser tels quels ». J’ai pourtant demandé expressément qu’on les retirât du livre de documents.
Naturellement, je ne voulais pas dire que le Tribunal demandait au Ministère Public d’adresser une requête par écrit aux fins de rejet des documents qui ont déjà été refusés. Ces documents-là seront retirés sans autre démarche ; mais s’il en figure d’autres dans le livre de documents de Rosenberg, contre lesquels le Ministère Public élève des objections, celui-ci fera une requête en la forme afin que cette question soit débattue en audience publique. Comme je l’ai déjà indiqué, l’acceptation des documents est toute provisoire et les requêtes aux fins d’admission définitive doivent être présentées au audience publique.
Le Tribunal demande au Secrétaire général de lui soumettre un rapport sur toute cette question, en précisant les dates.
L’audience est suspendue pendant dix minutes.
Le Tribunal estime que l’on épargnerait du temps si les accusés étaient les premiers témoins cités au cours des débats qui les concernent. A l’avenir donc, l’accusé devra être appelé en premier lieu, à moins qu’il n’y ait des raisons exceptionnelles ; dans ce cas, les avocats s’adresseront au Tribunal qui examinera ces raisons et décidera si l’accusé peut donner ultérieurement son témoignage.
Oui, Docteur Dix.
Témoin, j’avais commencé à dire qu’on m’avait signalé que je posais mes questions trop tôt après vos réponses et que vous répondiez trop vite à mes questions, ce qui empêchait les interprètes de suivre et les sténographes également. Je vous prie donc — et moi-même j’y prendrai garde — de faire une courte pause après chaque question. Le Tribunal, j’en suis sûr, n’interprétera pas comme une hésitation, le temps de pause que vous marquerez. Vous avez donné hier des explications détaillées sur les demandes de démission adressées par Schacht à Hitler et sur certaines démarches ou propositions de paix faites verbalement ou par écrit par Schacht au cours de la guerre, et qu’il a transmises ou avait l’intention de transmettre à Hitler par votre intermédiaire.
Nous nous étions arrêtés à un mémoire daté de l’été 1941, et j’avais l’impression que le Tribunal avait à soulever une objection de procédure, attendu que je soumettais le contenu du document au témoin en lui demandant de le certifier. La copie de ce document se trouve dans le coffret dont il a été question à plusieurs. reprises et qui fut saisi dans la propriété de Schacht, lors de l’arrivée de l’Armée rouge. Malgré tous ses efforts, la Délégation soviétique n’a pas encore réussi à obtenir ce coffret. Quoique des passages fort intéressants se trouvent dans ce document, je suis tout disposé à m’arrêter là et à poser certaines questions à M. Schacht, si le Tribunal le préfère. Puis-je demander au Tribunal de se prononcer à ce sujet ? S’il le désire, je puis même cesser toute allusion à ce document.
Le Tribunal ne s’oppose pas à ce que vous posiez des questions au témoin sur ce document, mais il estime que vous ne devez pas poser de questions directrices. Il voudrait que vous demandiez au témoin s’il se souvient du document et de son contenu, mais non pas si tel ou tel passage se trouve bien dans le document ; demandez-lui simplement le contenu du document.
Il y a une limite très vague entre une question déterminée et une allusion au contenu du document, surtout lorsque le témoin ne se souvient pas bien du document. Dans ces conditions, je préfère que M. Schacht me décrive le reste de ce mémoire ; nous éviterons ainsi toutes ces difficultés. Je passerai donc maintenant à un autre domaine.
Témoin, vous avez fort justement décrit hier, en réponse à une question que vous posait mon confrère le Dr Sauter, qui défend l’accusé Funk, comment, en 1939, Hitler décréta que la Reichsbank devait accorder un crédit de tant. Je voudrais éviter qu’il s’en dégageât pour le Tribunal une fausse impression sur l’attitude ancienne de la Reichsbank à ce sujet. Vous savez qu’en janvier 1939 la Reichsbank, par ce décret de Hitler, perdit son autonomie. Hitler décréta qu’il déterminerait à l’avenir tous les crédits que la Reichsbank aurait à accorder ; ce décret de Hitler fut promulgué en juin 1939 et eut force de loi. Afin que le Tribunal ait une impression exacte sur l’attitude précédente et générale de la Reichsbank, je voudrais que vous me décriviez quelle était la situation avant janvier 1939, c’est-à-dire à l’époque où Schacht était président de la Reichsbank, fonctions qu’il quitta, comme nous le savons, en janvier 1939. A ce moment-là, Hitler pouvait-il déjà décréter le montant du crédit à accorder, ou la Reichsbank demeurait-elle encore assez indépendante pour refuser de tels crédits, si elle le jugeait bon ?
Les prescriptions légales en vigueur à ce sujet ne sont pas suffisamment présentes à ma mémoire pour me permettre de répondre en détail à votre question ou de vous dire quand et comment ces prescriptions furent modifiées ; je puis cependant confirmer une chose : à l’époque où il était président de la Reichsbank, M. Schacht a certainement dû créer certaines difficultés au Führer au sujet de tels crédits. Je n’ai pas assisté aux entretiens qui eurent lieu entre le Führer et Schacht mais je sais, par des déclarations du Führer, qu’il avait eu de grosses difficultés avec Schacht pour ces crédits et que cette obstruction amena, finalement, la résignation par Schacht de ses fonctions de président de la Reichsbank. D’autre part, je sais qu’à partir du moment où M. Funk lui succéda comme président, ces difficultés disparurent. Elles furent évidemment supprimées au moyen de dispositions légales et d’ordres du Führer. Car, dès que Funk devint président de la Reichsbank, ces crédits furent octroyés très simplement, de la façon que je citai hier en décrivant la procédure technique employée ; en somme, la plupart des ordres de crédits et d’emprunts du Reich ne demandaient finalement que la simple signature du Führer. C’était une question...
Je ne pense pas que le témoin réponde à votre question relative à la situation antérieure à 1939. Je crois donc que vous devrez vous en tenir aux décrets et aux documents.
Un instant, Monsieur Lammers, je vais éclaircir cela immédiatement. Vous venez de décrire la façon de procéder en 1939, telle qu’elle ressort des livres. Ne vous souvenez-vous plus qu’autrefois la Reichsbank était indépendante vis-à-vis du Gouvernement ?
Oui, je m’en souviens, et je me rappelle également qu’on procéda à certaines modifications, mais je ne puis en préciser la date. Sans me reporter aux textes de loi, je ne puis vous décrire exactement ces dispositions, ni les limites imposées, en chiffres. Tout ce que je sais, c’est que les pouvoirs du président de la Reichsbank furent considérablement limités par la suite, par ordre du Führer lui-même.
Cela me suffit. Maintenant, dans le même domaine, je dirais qu’il est très difficile, même pour un Allemand qui a vécu toute cette période — et combien davantage pour un étranger — de comprendre tout l’appareil du Troisième Reich. Je pense que, malgré les déclarations que vous avez faites hier aux questions posées par mon confrère le Dr Sauter, vous n’avez pas tout dit et que vous pouvez en dire davantage encore pour expliquer la situation au Tribunal. Si je ne savais pas ce que vous savez, si j’étais un simple particulier, vos déclarations d’hier m’auraient donné l’impression suivante : le ministre de l’Intérieur du Reich n’avait pas d’ordres à donner à la Police, le ministre de l’Economie du Reich n’était pas seul à diriger l’économie du Reich ; tous les ministres du Reich n’avaient aucun pouvoir d’exécution et n’avaient pas la possibilité de donner des instructions aux commissaires du Reich pour les territoires occupés.
Plaise au Tribunal. Je dois respectueusement faire remarquer que le Dr Dix est réellement en train de témoigner. Je crois qu’il pourrait peut-être poser ses questions d’une manière plus simple ; cela nous permettrait d’aller plus vite et au témoin de répondre mieux.
Je vais poser mes questions d’une manière plus précise, mais il m’est impossible de le faire à moins de déterminer au préalable, par certaines déclarations, ce qui n’a pas encore été dit. Sans cela, la question la plus précise et la plus brève ne pourrait être posée, car le Tribunal ne comprendrait pas où je veux en venir. Je peux assurer M. Dodd que je ne poserai pas de questions vagues ; au contraire, elles seront très précises. Je continue donc. (Au témoin.) Nous avons déjà parlé du président de la Reichsbank ; je voudrais maintenant vous poser la question suivante : si tous ces ministres se trouvaient limités comme vous l’avez dit, dans leurs fonctions et dans leur compétence, quels étaient donc les hommes et les autorités qui pouvaient s’ingérer dans l’administration et qui détenaient réellement le pouvoir administratif. Telle est ma question. Je me permets de dire que, à propos de Frank, l’intervention de Himmler a déjà été mentionnée, mais cette question doit être encore approfondie afin que le Tribunal soit éclairé.
Les empiétements sur l’autorité des ministres compétents procédaient du nombre d’organismes que le Führer avait créés, délibérément, sans le moindre doute pour contrebalancer le pouvoir des ministres. C’est le premier point.
En second lieu, les mesures étaient prises par des services dirigés par les sphères supérieures qui, dans le but d’assurer l’unité dans certains domaines particuliers, détenaient seules le pouvoir et l’autorité réels. Dans cette catégorie, l’exemple le plus typique est l’Office du Plan de quatre ans. Dans ce cas, le Führer avait désiré créer une direction unifiée générale qui fût indépendante de l’influence des ministres intéressés et c’est dans ce but qu’il créa le Plan de quatre ans. Dans d’autres services aussi, d’une façon ou d’une autre, le ministre se trouvait face à face avec son double ; tel, par exemple, le ministre du Travail, qui se vit soustraire ses pouvoirs sur la question importante du logement, par la nomination de M. Ley au poste de commissaire du Reich à l’Habitation. De même, on lui retira une de ses fonctions les plus importantes, en nommant M. Sauckel plénipotentiaire général à la main-d’œuvre. Quant à l’Économie, comme je l’ai déjà dit, le ministre de l’Économie vit son autorité fortement réduite par la création de l’Office du Plan de quatre ans, par les pouvoirs qui lui furent accordés et, par la suite, également par les pouvoirs délégués au ministre de l’Armement et de la Production de guerre. Au ministère de l’Intérieur, le pouvoir réel du chef de la Police allemande...
Docteur Dix, le Tribunal estime qu’une fois que les aspects généraux de la question ont été tracés par ce témoin, toute la question pourra être expliquée par les accusés eux-mêmes, de leur point de vue particulier. Je veux dire qu’en ce moment le témoin est en train de nous exposer — et il semble avoir l’intention de le faire assez longuement — que le Plan de quatre ans prévoyait un commandement unique qui ne devait pas être influencé par les différents ministres intéressés. Cela explique le système général et, lorsque nous entendrons les accusés, ils pourront nous dire à ce moment-là comment il s’appliquait à eux. Nous ne voulons donc pas voir, pour l’instant, cette question traitée en détail.
J’en tiendrai compte et je me bornerai à poser quelques questions d’ordre tout à fait concret. Il ne s’agit pas seulement, Monsieur le Président, de savoir si un ministre a dû confier à un tiers une certaine parcelle de ses attributions, mais encore du fait que des tiers, en raison de l’autorité qui leur fut conférée, purent virtuellement intervenir dans des domaines qui relevaient du ministre intéressé. Et je vais, maintenant, aborder une question précise avec le témoin. Quelles étaient par exemple, les fonctions du Reichsleiter Bormann ?
Le Reichsleiter Bormann était le successeur du ministre du Reich Hess.
Quel rôle joua-t-il au point de vue de cette question d’ingérence ?
II fut nommé secrétaire du Führer par le Führer lui-même et par là fut introduit dans le domaine gouvernemental. Comme chef de la chancellerie du Parti, il était simplement le successeur du ministre du Reich, Hess, qui était censé représenter les désirs et les conceptions du Parti. Le fait qu’il fut nommé secrétaire du Führer, ce qui fit que dans le domaine gouvernemental un grand nombre d’affaires passaient par Bormann, lui valut une position fort influente dans l’État. Je pus le constater moi-même très souvent, car là où autrefois j’avais au moins parfois la possibilité de faire mes rapports au Führer seul, je ne pus plus le faire sans l’intermédiaire de Bormann. La plupart de mes rapports au Führer lui étaient remis en présence de Bormann et toutes les questions que je pouvais naguère soumettre directement au Führer, même lorsqu’il s’agissait de simples affaires d’État, durent alors être transmises par l’intermédiaire de Bormann, secrétaire du Führer.
Il en est résulté, évidemment, une influence croissante de Bormann sur les différents ministères.
Oui, son influence s’étendit de plus en plus. Tout ce que je ne pouvais pas régler en présentant un rapport verbal au Führer ou en réclamant directement sa décision, je fus obligé de l’adresser par écrit à Bormann. Bormann me répondait ensuite par écrit que le Führer avait décidé de telle et telle manière. En fait, je n’avais plus la possibilité de faire un rapport personnel au cours duquel j’aurais pu parler au nom du ministre intéressé. Il ne s’agissait pas de mes propres affaires ; il s’agissait toujours de plaintes, de protestations, de divergences d’opinions parmi les membres du cabinet, qu’il me fut impossible, à la fin, de présenter personnellement au Führer.
Je vous remercie, cela suffit. Ce que vous dites au sujet de Bormann, ne s’appliquait-il pas également aux Gauleiter qui, eux aussi, empiétaient sur les attributions des ministères ?
Les Gauleiter, en tant que tels, avaient évidemment la voie hiérarchique de la chancellerie du Parti. Mais, étant donné qu’en règle générale les Gauleiter étaient à la fois Reichsstatthalter ou Oberpräsident, ces deux positions naturellement se confondaient, et beaucoup d’affaires, au lieu de passer par la voie hiérarchique prévue, c’est-à-dire le ministre et moi-même, allaient directement du Gauleiter à Bormann. Il y a même des cas où cette voie a été intentionnellement choisie.
Je vous remercie. Quant à l’attitude de Himmler vis-à-vis de ce même problème, c’est-à-dire l’institution d’un pouvoir nouveau, vous nous avez parlé hier des cas de Frank et de Frick. Vos déclarations peuvent-elles, en fait, s’appliquer à tous les ministères principaux, dans le domaine de l’autorité toujours plus étendue accordée à Himmler, aux SS et à la Police ?
Je n’ai pas tout à fait compris la question.
Vous n’avez pas entendu ma question ?
Je n’ai pas très bien compris la question.
Sous la rubrique « Ingérence dans les divers services », vous avez parlé de Bormann et des Gauleiter. Hier, vous avez parlé de Himmler, de la Police, des SS, dans leurs rapports avec Frick et Frank. Je vous demande maintenant si ce pouvoir accru de Himmler et des SS n’a pas eu également des répercussions sur d’autres ministères ?
Sur une vaste échelle et dans les domaines les plus variés.
Voilà qui épuise cette question. Je reviens à Schacht. Nous avons parlé des offres de démission, nous en venons maintenant au renvoi lui-même. Les ministres qui étaient congédiés recevaient en général de Hitler une lettre de renvoi, n’est-ce pas ?
Oui.
Et cette lettre, je suppose, était rédigée par vous et soumise à l’approbation de Hitler ?
Oui.
Hitler accordait-il beaucoup d’attention à la rédaction d’une telle lettre, lors d’un licenciement ?
Généralement, Hitler la parcourait très soigneusement et, très souvent, y proposait des corrections, une expression plus accentuée ou moins forte...
Messieurs, ces deux lettres de renvoi adressées à Schacht, qui lui retiraient ses fonctions de président de la Reichsbank et de ministre sans portefeuille, se trouvent dans mon livre de documents, pour servir de preuves. Je ne me propose donc pas de les présenter in extenso’ au témoin. Il n’y a que deux phrases que je désirerais citer, dans la lettre de renvoi adressée par Hitler à Schacht, à l’occasion du congé qui lui était donné en sa qualité de président de la Reichsbank :
« ...Votre nom sera avant tout, à jamais lié au début du réarmement national. »
Schacht estima que cette phrase avait été écrite à dessein et contenait un léger reproche, une atténuation des éloges qu’on lui adressait. Qu’en pensez-vous, vous qui avez été chargé de la rédaction de cette lettre ?
Dans la mesure où je m’en souviens, j’ai rédigé la lettre dans le sens d’une expression de remerciements, en termes généraux. Cette phrase supplémentaire fut rajoutée personnellement par le Führer, si je me souviens bien, car il ne m’était pas usuel de formuler ce genre de subtilité.
Dans la seconde lettre de renvoi du 22 janvier 1943, qui ne porte pas la signature de Hitler, mais la vôtre, par ordre du Führer, on lit :
« Le Führer, compte tenu de votre attitude générale dans la lutte décisive actuelle que mène le peuple allemand, a décidé de vous priver provisoirement de vos fonctions de ministre du Reich. »
Je crois que M. Schacht n’a pas dû se sentir personnellement en toute sécurité en lisant cette phrase. Puis-je vous demander, puisque vous avez rédigé cette lettre sur l’ordre de Hitler, si cette crainte de Schacht pour sa personne était justifiée ?
Tout ce que je sais sur les raisons qui motivèrent le renvoi de Schacht, c’est qu’une lettre qu’il avait adressée au Reichsmarschall Göring décida le Führer à le congédier. Le Führer ne me précisa pas les raisons véritables. Il était très en colère et m’ordonna de rédiger le texte dans ce sens, en me signifiant qu’il le désirait même encore plus rigoureux ; mais je l’exprimai sous la forme plus ou moins acceptable que vous avez là. Le Führer ne m’indiqua naturellement pas les autres mesures qui étaient envisagées à rencontre de Schacht. Mais il m’ordonna expressément de me servir du terme « provisoirement ».
Une dernière question : j’avais d’abord l’intention de vous demander de nous donner des détails sur l’évolution depuis 1933, jusqu’au moment de l’autocratie complète de Hitler. Mais les réponses que vous avez données hier à mes confrères ont épuisé, dans une grande mesure, ce sujet, et je ne tiens pas à répéter des questions auxquelles vous avez déjà répondu. Mais je voudrais vous poser encore deux questions pour éclaircir la situation. La loi donnant les pleins pouvoirs datait de 1933, c’est la loi dans laquelle le Reichstag se démettait de ses pouvoirs ; cette loi les transmettait-elle à Hitler, au Cabinet du Reich ou au Gouvernement du Reich ?
La loi des pleins pouvoirs donnait le pouvoir législatif et le droit de modifier la constitution au Gouvernement du Reich, et celui-ci, à son tour, se servit de ce droit pour modifier la constitution, expressément et implicitement, en créant des lois basées sur la coutume.
Je vous remercie. Vous nous avez déjà expliqué cela hier, il est donc inutile d’insister. Vous avez signalé hier que ce Gouvernement du Reich ne se composait pas exclusivement de nationaux-socialistes et qu’au contraire la majorité était constituée par des membres d’autres partis. Vous n’avez cité que des membres du parti national allemand, Hugenberg, le Dr Dorpmüller et Gürtner ; vous avez mentionné le Stahlheim, dont le chef était Seldte, mais vous avez oublié — et c’est pourquoi je vous le demande — de nommer le parti du centre. N’est-il pas exact que von Papen appartenait à ce parti ?
Oui, oui, évidemment, je vous le concède ; mais je ne sais pas si von Papen était membre du parti du centre ou non.
Il me semble que vous vous exprimez d’une façon très savante et par euphémisme en parlant de lois basées sur la coutume. Quant à moi, j’appellerais cela autrement, mais n’entrons pas en discussion à ce sujet. Tout ce que je voudrais, c’est que vous me disiez si, au cours de l’évolution qui aboutit à la dictature absolue de Hitler, d’autres lois furent promulguées et, comme telles, turent déterminantes ? N’estimez-vous pas que la loi qui vit le jour après la mort de Hindenburg, qui consacrait l’union des différentes fonctions de Chancelier du Reich et de Président, et qui avait pour résultat que celui qui détenait ce poste élevé devenait en même temps le Commandant en chef suprême auquel la Wehrmacht devait jurer fidélité. Ne considérez-vous pas que cette loi représente une étape de cette évolution ?
Cette loi fut une des étapes les plus importantes de cette évolution et cela tout particulièrement parce que, selon un décret du Gouvernement du Reich, elle fut approuvée par un plébiscite à près de cent pour cent des voix.
N’y a-t-il pas eu d’autre loi consacrant cette évolution ?
Non, je n’en connais pas d’autre.
Moi non plus. Quant au reste, à savoir si l’on peut ou si l’on veut appeler une méthode fondée sur la terreur et la ruse, une loi basée sur la coutume, c’est une autre question. Je ne veux pas me prononcer à ce sujet pour l’instant. Je crois que nous avons des opinions divergentes sur ce point.
Monsieur le Président, j’en ai fini avec les questions que j’avais à poser au témoin Lammers en ce qui concerne mon client. Mais mon collègue, le Dr Kubuschok, est en voyage ; je doute qu’il soit de retour, car hier soir son avion n’a pas pu prendre le départ. Il m’avait prié de poser une question au témoin Lammers au nom de M. von Papen et je voudrais demander au Tribunal si, étant donné qu’il n’y a qu’une seule question, je puis la poser maintenant, ou si je dois attendre que vienne le tour de M. von Papen.
Non, maintenant, car ce témoin ne sera pas rappelé, à moins d’une raison tout à fait exceptionnelle.
Non, je voulais dire : désirez-vous que je pose cette question un peu plus tard dans la journée lorsque viendra le tour de von Papen suivant la liste des accusés ?
Je crois qu’il vaut mieux que vous le fassiez maintenant.
Je vous prie de faire appel à vos souvenirs à propos du putsch de Röhm. Le rôle de M. von Papen au cours de ce putsch sera mentionné plus tard. Mais vous rappelez-vous que von Papen qui, à cette époque, était vice-chancelier, offrit sa démission, le 3 juillet 1934, et que celle-ci fut acceptée ?
Oui. Je ne me souviens pas de la date exacte, mais c’était bien cela.
Vous rappelez-vous, par ailleurs, que quelque temps plus tard — il ne s’agirait que de quelques jours, c’est-à-dire entre le 7 et le 10 juillet — vous vous êtes rendu auprès de M. von Papen, par ordre de Hitler, et lui avez demandé s’il était prêt à accepter le poste d’ambassadeur au Vatican ?
Je me souviens que je me suis rendu alors chez M. von Papen ; sur l’ordre du Führer, je devais lui signifier qu’il serait utilisé ailleurs, éventuellement auprès du Saint-Siège. Mais je ne me souviens plus si je fus ou non chargé de lui faire une offre directe.
Vous rappelez-vous ce que von Papen a répondu en cette occurrence ?
A ce moment-là, il n’était pas très disposé à accepter un tel poste.
Je vous remercie, j’en ai terminé.
Témoin, le 21 mars 1943, Sauckel a été nommé plénipotentiaire général à la main-d’œuvre. Quelles furent les raisons qui ont motivé le choix de Sauckel pour cette fonction ?
Le Führer pensait que ce problème de la main-d’œuvre n’avait pas été traité avec suffisamment d’énergie par le ministre du Travail et qu’il fallait confier cette tâche à une personnalité particulièrement active.
Le Führer a-t-il insisté particulièrement sur le fait qu’il fallait employer de la main-d’œuvre étrangère ?
Il exigea que tout travailleur disponible fût immédiatement utilisé.
Particulièrement en ce qui concernait la main-d’œuvre étrangère ?
Oui, les autres pays entrèrent en compte car, en Allemagne, nous avions épuisé toutes nos ressources.
Avez-vous reçu la mission d’informer tout particulièrement les milieux dirigeants, dans les territoires occupés, de cette exigence, afin qu’ils soutiennent Sauckel de leur mieux dans sa tâche ?
Ce fut le cas beaucoup plus tard. Tout d’abord, on créa le poste de plénipotentiaire à la main-d’œuvre, fait qui fut porté à la connaissance de tous les services intéressés. Je ne crois pas avoir joint à cette nomination une requête spéciale.
Mais, au début de l’année 1944, il y eut une conférence au Quartier Général du Führer, au cours de laquelle le programme de l’utilisation de la main-d’œuvre pour l’année 1944 fut discuté ; à la fin de cette conférence au cours de laquelle Sauckel avait reçu toutes ses instructions, en particulier des indications numériques sur la main-d’œuvre dont on avait besoin, on me chargea d’écrire aux différents services intéressés de soutenir par tous les moyens à leur disposition la mission qui incombait à Sauckel.
Vous parlez d’une conférence qui aurait eu lieu au début du mois de janvier 1944. Il existe à ce sujet, rédigé par vous, un procès-verbal assez détaillé aux termes duquel Sauckel aurait indiqué, au cours de cette réunion, qu’il lui serait difficile, et même peut-être impossible, d’accomplir la réalisation du programme quant au nombre requis de travailleurs étrangers. Quelle est la raison qu’il a indiquée ?
C’est exact et la raison qu’il indiqua fut la suivante : il ne disposait pas, dans les divers territoires, du pouvoir d’exécution nécessaire pour réaliser ce programme. Pour pouvoir accomplir sa mission, il lui fallait avant tout être indépendant du pouvoir exécutif étranger, comme c’était le cas par exemple en France, mais il lui fallait une autorité allemande qui pût soutenir son action.
N’a-t-il pas fait allusion au fait qu’il lui était impossible d’accomplir sa mission en raison du danger créé par l’activité des partisans ?
Oui, il attira l’attention à plusieurs reprises sur le danger causé par les partisans ; il semblait évident qu’il ne pouvait pas recruter les travailleurs dans des territoires où il y avait encore des combats de partisans.
A-t-il demandé la pacification de ces territoires et a-t-il exigé qu’on lui accordât l’autorité nécessaire dans ce but ?
Oui, c’est exact.
Désirait-il que les autorités locales fussent protégées contre ces mouvements de résistance ?
Oui, il voulait que les services locaux agissent, afin qu’il ait les mains libres pour se mettre à l’œuvre.
Je vais lire un passage du procès-verbal, et je vous prierai de m’expliquer dans quel sens il faut l’entendre. Voici :
« Le Reichsführer SS expliqua que les effectifs mis à sa disposition étaient extrêmement faibles, mais qu’il essaierait, en augmentant leur nombre et leur rendement, d’assurer le succès de l’activité de Sauckel. »
Comment faut-il l’entendre ?
Cela se rapportait surtout aux territoires occupés de Russie où il y avait des partisans, et M. Sauckel pensait que, sans un nettoyage de ces territoires, il ne pourrait procéder à aucun recrutement. Himmler, qui était présent, lui promit de faire tout son possible, mais se demandait s’il aurait un nombre suffisant de bataillons de police ou d’autres effectifs à sa disposition.
Alors, il est exact de dire qu’il s’agissait là de protéger les autorités locales et les territoires, et non pas d’une transmission de pouvoirs aux SS ?
Non, l’utilisation directe des SS n’avait pas été prévue dans ce but ; mais le pouvoir exécutif allemand exigé par Sauckel n’était autre que celui qui était habituellement exercé. En France, par exemple, c’étaient les Feldkommandanturen et non pas les SS. En Russie, ce furent des bataillons de police qui eurent à l’exercer en procédant à la pacification des régions infestées de partisans.
Maintenant, j’ai une question à vous adresser à propos du Corps des dirigeants politiques. On a présenté ici un document qui a été versé au dossier sous le numéro D-720. Il est signé par le Gauleiter Sprenger et ne porte aucune date, mais il semble bien que ce document remonte au printemps ou au début de l’année 1945. Dans cette lettre, il est question d’une nouvelle loi sur la santé du Reich, et elle est supposée contenir des instructions sur les pulmonaires, les cardiaques, qui doivent être supprimés. Il y est dit que cette disposition doit rester secrète pour le moment et qu’en vertu de cette disposition les familles intéressées ne pourront plus vivre libres ni procréer. Savez-vous quelque chose au sujet de cette loi ?
Je n’ai pas très bien compris. S’agit-il d’aliénés ou de quel genre de malades ?
Il s’agit d’une loi concernant la santé du Reich, qui s’applique aux cardiaques et aux pulmonaires.
Je n’ai aucune idée de cela.
Je ne vous ai pas entendu.
Je ne sais absolument rien de cela.
Pourtant vous auriez dû être au courant, n’est-ce pas ?
Oui, le ministre de l’Intérieur aurait dû être au courant ; les questions de santé étaient de son ressort. Mais cela n’est jamais parvenu jusqu’à moi.
Je vous remercie, je n’ai pas d’autre question à poser.
Témoin, le lendemain de l’entrée des troupes allemandes en Autriche, une loi fut promulguée — c’était le 13 mars 1938 — intitulée « Loi sur le retour de l’Autriche au Reich allemand ». Seyss-Inquart et son Gouvernement furent très surpris par les dispositions de cette loi. Je vous demande maintenant si vous savez quelque chose de précis sur les circonstances dans lesquelles cette loi fut promulguée à Linz le 13 mars 1938 ?
Comme n’importe quel auditeur, c’est par la radio que j’appris l’entrée des troupes allemandes en Autriche. Supposant qu’on pourrait avoir besoin de moi, je me rendis à Vienne. A ce moment-là, cette loi avait déjà été signée et promulguée. Je n’ai pas collaboré à la rédaction de cette loi ; par contre, ce furent le ministre de l’Intérieur du Reich et le secrétaire d’État Stuckhart qui effectuèrent ce travail. Je n’y ai participé en aucune manière étant donné que je ne savais même pas que cette action devait avoir lieu.
Est-ce que les personnes que vous venez de nommer vous ont informé des raisons pour lesquelles cette loi fut promulguée si précipitamment ?
C’était le désir du Führer.
Je vous remercie. En même temps, le Dr Seyss-Inquart fut nommé SS-Obergruppenführer, et non pas général des SS comme le prétend le Ministère Public. De plus, le Führer lui promit que, dans le délai d’un an, il serait nommé membre du Gouvernement du Reich. En fait, il devint ministre du Reich sans portefeuille en 1939. En sa qualité d’Obergruppenführer SS et de ministre sans portefeuille, Seyss-Inquart a-t-il exercé une fonction quelconque ?
A ma connaissance, Seyss-Inquart ne fut pas nommé Obergruppenführer, mais seulement Gruppenführer ; c’était là un titre purement honorifique. Il n’avait aucune autorité dans les SS et il n’y accomplit aucun service, autant que je le sache ; il en portait simplement l’uniforme et, plus tard, il devint Obergruppenführer.
Autrement dit, c’était un titre purement honorifique, une question de port de l’uniforme, comme vous le dites.
Oui, un grade honorifique, en quelque sorte.
Je vous remercie. Un an plus tard, Seyss-Inquart fut nommé commissaire du Reich pour les Pays-Bas et cette nomination fut publiée dans le Journal officiel des Pays-Bas ainsi qu’au Reichsgesetzblatt. Savez-vous si, en dehors de ce décret le nommant Reichsstatthalter, on ne lui confia pas également une mission dans le cadre du Plan de quatre ans ?
Dès sa nomination comme commissaire du Reich pour les Pays-Bas, Seyss-Inquart se vit imposer exactement les mêmes limites à son autorité que celles que j’ai décrites hier au sujet de Frank et de M. Rosenberg ; c’est-à-dire que certains pouvoirs étaient réservés au plénipotentiaire au Plan de quatre ans qui, partout, exerçait un pouvoir général absolu. C’est dans cette mesure que l’autorité de Seyss-Inquart fut limitée dès le début.
Quelle était la situation de la Police allemande dans les Pays-Bas ? La Police allemande était-elle subordonnée directement à l’autorité de l’accusé Seyss-Inquart ou dépendait-elle du Reichsführer SS Himmler ?
La situation est la même ou elle était sensiblement la même que celle que j’ai décrite hier pour le Gouvernement Général en Pologne. Le chef suprême de la police dépendait théoriquement du commissaire du Reich, mais il recevait ses instructions de Himmler.
Je vous remercie.
Témoin, vous rappelez-vous qu’au début de l’année 1944 vous avez transmis à l’accusé, en sa qualité de commissaire du Reich, un ordre du Führer selon lequel 250.000 ouvriers devaient être recrutés dans les Pays-Bas, et auquel Seyss-Inquart opposa un refus ?
Il s’agit de la lettre à laquelle j’ai déjà fait allusion lorsqu’on m’a interrogé au sujet de Sauckel. C’est une circulaire dans laquelle on demandait à tout le monde d’appuyer l’action de Sauckel, en indiquant aux différents services le nombre d’ouvriers qu’ils avaient à fournir. Je ne me souviens pas s’il s’agissait de 250.000 ouvriers dans le cas de Seyss-Inquart ; mais je sais qu’il me déclara craindre fort de ne pouvoir fournir ce grand nombre d’ouvriers qu’on lui réclamait. Il voulait même faire part de ses inquiétudes au Führer.
Je vous remercie, je n’ai pas d’autres questions.
Témoin, en 1933, Hitler est-il parvenu au pouvoir avec l’aide de la Reichswehr, c’est-à-dire y a-t-il eu une pression militaire quelconque effectuée à ce moment-là ?
Personnellement, je n’ai pas participé à la prise du pouvoir, je ne puis donc rien dire de précis ; toutefois, je n’ai jamais entendu parler d’une influence quelconque de la Reichswehr dans la prise du pouvoir. Je suppose que si cela avait été le cas, on l’aurait appris.
En 1934, les fonctions de chef d’État et de Chancelier du Reich furent réunies en la personne de Hitler. Les chefs militaires auraient-ils pu refuser de prêter serment à Hitler sans violer la loi ?
La loi sur le chef de l’État fut promulguée constitutionnellement et désigna Hitler le chef suprême de la Wehrmacht. Aucune possibilité de s’y opposer n’existait ; cela eût été une véritable révolte, une rébellion.
Avez-vous jamais entendu que des chefs militaires aient fait des propositions en vue d’une guerre d’agression ?
Non, jamais.
On sait que Hitler ne permettait pas aux chefs militaires d’avoir une influence quelconque sur ses décisions politiques. Connaissez-vous des déclarations de Hitler selon lesquelles il ait refusé aux généraux le droit de manifester leur jugement sur le plan politique ?
Du point de vue militaire, le Führer faisait de grands éloges de tout le groupe des généraux, aussi bien collectivement qu’individuellement. Quant au domaine politique, il était toujours d’avis que les généraux n’entendaient rien à la politique et qu’il fallait, autant que possible, éviter qu’ils eussent des décisions à prendre dans ce domaine.
On sait, en outre, que Hitler ne tolérait aucune contradiction. N’est-ce pas là la raison du congédiement de Blomberg, de Fritsch et de Beck, parce qu’ils se permettaient souvent de le contredire ?
Oui, je pense que ces différends très personnels ont pu, finalement, amener le renvoi de Schacht, de Blomberg, de von Neurath et de Fritsch. Mais je ne fus jamais présent à ces entretiens et je ne puis donc pas donner de précisions. Mais je crois qu’en effet ces personnages ont contredit très souvent le Führer.
Hitler était-il très méfiant à l’égard des généraux, ceux de l’Armée de terre en particulier ?
On ne peut pas répondre à cela d’une manière générale. Le Führer manifestait une certaine réserve à l’égard de la plupart des gens et il ne disait à chacun que ce qui le concernait spécialement. Si l’on veut y voir une méfiance, alors cette méfiance existait à l’égard de presque tous les généraux et des ministres, car aucun d’eux n’apprenait du Führer plus qu’il ne désirait qu’il sache.
Parmi ceux qui jouissaient de la confiance illimitée de Hitler, y avait-il un chef militaire ?
Non, je ne le crois pas ; je n’en connais aucun.
Une dernière question : pourquoi les territoires occupés furent-ils, pour la plupart, soumis à l’autorité d’un commissaire du Reich et quelques-uns seulement à celle de l’administration militaire ?
En règle générale, le Führer voulait que l’administration des pays occupés fût confiée à des chefs politiques. Il estimait que les généraux n’étaient pas faits pour cette tâche car il les accusait — si l’on peut dire — de n’avoir aucun instinct politique.
N’était-il pas prévu que l’administration militaire en Belgique devait, dès avant 1944, être remplacée par une administration civile ?
Oui, c’était prévu depuis longtemps. On avait déjà pris certaines mesures dans ce sens, mais le Führer ne put se décider à le faire car on lui avait toujours laissé entendre qu’il y avait des raisons importantes d’ordre militaire contre l’instauration d’une administration civile dans ce pays, étant donné que la Belgique pouvait fort bien redevenir une zone d’opérations. La décision fut donc remise pendant un an et plus.
Je vous remercie, je n’ai pas d’autre question.
Le Ministère Public désire-t-il contre-interroger le témoin ?
Témoin, il y a un sujet sur lequel je voudrais vous poser des questions : celui des pouvoirs accordés aux ministres du Reich par la constitution de l’Allemagne nazie. Il ressort de votre déposition que c’étaient des hommes qui avaient relativement peu d’autorité, des pouvoirs et une compétence très limités, que c’étaient des hommes de paille, est-ce bien exact ?
Ce serait trop dire que d’affirmer qu’ils n’avaient aucun pouvoir. Je veux dire, en politique...
En tout cas, ces pouvoirs étaient extrêmement limités. C’est bien ce que vous avez dit, n’est-ce pas ?
En général, ils étaient chefs administratifs de leurs ministères. Ce n’étaient pas des ministres politiques que l’on consultait pour des problèmes politiques de grande envergure.
Ils avaient moins d’autorité que les ministres allemands sous la constitution précédente ?
Indubitablement, car, d’après l’ancienne constitution, on procédait à des votes et les ministres pouvaient au moins par leur vote à l’intérieur du cabinet, exprimer l’autorité dont ils étaient investis.
Je voudrais vous citer quelques observations que vous avez faites vous-même en 1938 au sujet de l’autorité des ministres en Allemagne. Il s’agit du document PS-3863. Voici vos commentaires au sujet de la direction de l’État dans le Troisième Reich :
« De toute cette concentration de puissance investie en la personne du Führer, il ne s’ensuit pas pour l’Administration gouvernementale une centralisation excessive et inutile de l’autorité entre les mains du Führer. Dans ma description générale du concept de base de l’État totalitaire, j’ai déjà fait remarquer que le respect dû aux autorités subordonnées « Unterführer » interdit une trop grande immixtion dans la plupart de leurs ordres ou mesures prises. Ce principe est appliqué par le Führer de telle façon que, par exemple, la situation des ministres du Reich est infiniment plus indépendante maintenant qu’auparavant bien que, actuellement, les ministres du Reich soient subordonnés au pouvoir direct illimité du Führer, que ce soit dans leur domaine officiel ou pour toute mesure individuelle ou décision, même la plus insignifiante. L’empressement à prendre une responsabilité, la volonté,. l’énergie, l’initiative et un certain ascendant, ce sont là les qualités que le Führer exige avant tout des chefs qui lui sont subordonnés ; aussi leur accorde-t-il une grande liberté dans l’exécution de leur tâche et dans la façon dont ils la remplissent. Il est loin de les harceler de critiques ou de reproches insignifiants. »
Voilà un tableau des pouvoirs des ministres du Reich tout à fait différent de celui que vous avez fait au Tribunal.
A mon avis, il n’y a là aucune contradiction. Tout ce que je dis maintenant, c’est que les ministres, en général, n’avaient aucune influence politique. Par contre, dans leur propre domaine, ils étaient les chefs suprêmes de l’administration. J’ai déjà expliqué, qu’en tant que chef subordonné au Führer, chaque ministre avait des pouvoirs étendus, pour autant que le Führer les lui avait accordés, et que le Führer n’intervenait pas inutilement et minutieusement ; il n’y aurait pas songé. Il ne s’agit là, bien entendu, que de questions de second ou troisième ordre ; il n’est pas question ici de problèmes politiques de grande envergure.
Voyez-vous, votre tableau de l’administration de ce grand État qu’était l’Allemagne nazie, nous représente un homme qui décidait seul de toutes les questions en se basant sur son intuition. Est-ce bien ce que vous voulez dépeindre au Tribunal ?
Oui, le ministre était le chef suprême dans son propre domaine et, dans la limite de son pouvoir, il possédait une autorité beaucoup plus vaste qu’aucun ministre précédent, car le Führer n’intervenait pas dans les affaires courantes de moindre importance.
Dans le cas de l’accusé Funk, par exemple, vous dites que c’était un petit homme, sans autorité ni influence sur les affaires. Est-ce bien exact ?
Il n’avait aucune influence sur les grandes questions politiques ; mais, dans le ressort de son propre ministère, il avait une grande influence pour les questions d’importance toute secondaire.
Mais les décisions, les grandes décisions relatives aux questions économiques importantes telles que, par exemple, le montant des richesses à extraire des territoires occupés, étaient basées sur les rapports de ministres tels que Funk, n’est-ce pas ?
Je ne sais pas. La politique financière, dans les territoires occupés, était du ressort du ministre pour les territoires de l’Est ou des commissaires du Reich, en accord avec le ministre des Finances du Reich.
Mais en ce qui concernait les décisions se rapportant à des questions économiques comme, par exemple, les recommandations relatives aux sommes à extraire des territoires occupés, ainsi que la méthode d’achat au marché noir, des hommes comme Funk devaient émettre leur avis et recommandations sur la politique à suivre dans ces questions, n’est-ce pas ?
Il y participait, oui, mais il n’avait pas l’autorité d’un commissaire du Reich pour les territoires occupés qui était directement subordonné à Hitler.
Tous ces ministres collaboraient, chacun dans son domaine et où cela s’avérait nécessaire, à la bonne marche des affaires de l’État nazi, n’est-ce pas ?
Évidemment, la coopération était indispensable ; ce qui ne veut pas dire que Funk avait le pouvoir de donner des ordres dans les territoires occupés. Il ne l’avait certainement pas.
En ce qui concerne Funk, vous avez essayé de définir clairement sa situation dans l’État. Vous souvenez-vous si Funk était directement subordonné à Hitler ou non ? Vous le rappelez-vous ?
Oui, il est évident que Funk, en tant que ministre, était sous les ordres du Führer.
Et il conseillait le Führer lui-même, n’est-ce pas ?
Il voyait très rarement le Führer.
Mais, dans le domaine vital du financement du réarmement, par exemple, il avait des décisions importantes à communiquer au Führer et sur lesquelles il devait le conseiller, n’est-ce pas ?
Je ne sais pas si le Führer le fit venir souvent, car je n’ai jamais assisté à des entretiens sur les questions de crédits et du réarmement.
Je voudrais vous poser encore une question relative aux affaires ministérielles. De façon générale, les ministres sans portefeuille continuèrent à recevoir les communications du Cabinet du Reich, n’est-ce pas ?
On leur envoyait les documents se rapportant aux questions qui devaient être débattues.
L’accusé Frank, par exemple, était un ministre sans portefeuille, n’est-ce pas ?
Oui.
Et il continua à recevoir certaines communications, en tant que ministre sans portefeuille ?
Il recevait les mêmes documents que ceux qui étaient transmis aux autres ministres, dans la mesure où il y avait une distribution générale.
Et certainement, lorsqu’il était Gouverneur Général de Pologne, il avait un bureau ministériel spécial chargé de s’occuper de tout ce qui avait trait au Cabinet du Reich, n’est-ce pas ?
De qui parlez-vous maintenant, de Frank ?
Oui, je parle maintenant de l’accusé Frank.
Frank avait un bureau à Berlin où lui étaient communiquées toutes les affaires ministérielles qui le concernaient.
Alors, bien que le Cabinet du Reich ne se réunît plus, il continuait à exister, n’est-ce pas ?
Le Cabinet du Reich n’existait que pour le processus concernant la promulgation écrite des lois ainsi que pour les affaires d’administration qui pouvaient être réglées par écrit, au moyen de communications et de circulaires.
Et les membres du Cabinet du Reich, tels que Frank, continuaient à recevoir des communications relatives aux tâches et actes législatifs du Cabinet du Reich, même s’ils n’assistaient pas aux séances et réunions ?
On leur faisait parvenir ces communications, comme à tous les ministres.
Je pense qu’il serait opportun de suspendre l’audience maintenant ?
Oui.