CENT TROISIÈME JOURNÉE.
Mardi 9 avril 1946.
Audience de l’après-midi.
Témoin, je vais vous poser quelques questions concernant l’accusé Frank. C’est un de vos amis, n’est-ce pas ?
Frank ?
Oui.
Non, je ne suis pas particulièrement un ami de Frank. Avant de répondre à cette question, je vous prie de me permettre de me référer encore une fois au document que vous m’avez présenté tout à l’heure et dont je viens seulement maintenant de terminer la lecture. Je voudrais dire deux mots à ce sujet.
Si la Défense désire que vous y reveniez, je ne doute pas qu’on attire en temps utile votre attention là-dessus. Veuillez, pour l’instant, répondre à la question que je vous ai posée à propos de l’accusé Frank. Vous dites que ce n’est pas un de vos amis ?
Je ne le connaissais pas particulièrement et je n’ai pas eu avec lui des relations plus étroites que je n’en ai eues avec les autres membres du Gouvernement du Reich.
Serait-il exact de dire que, comme vous-même, il était un des principaux juristes nazis ?
Eh bien, je ne me suis jamais considéré comme l’un des principaux juristes nationaux-socialistes.
Voulez-vous dire que vous n’étiez pas un des principaux juristes, ou que vous n’étiez pas un national-socialiste ?
Je me considérais surtout comme un juriste, un spécialiste des questions de droit constitutionnel depuis près de vingt ans, déjà sous d’autres gouvernements. Puis j’ai adhéré au parti national-socialiste et, tout naturellement, étant donné ma situation dans l’État national-socialiste, j’ai fait tous mes efforts pour propager les idées du droit national-socialiste.
Et vous avez dit, à propos de Hans Frank, que c’était un juriste qui s’opposa à l’utilisation arbitraire du pouvoir par la Police ?
Il émit cette opinion dans plusieurs de ses discours, que le Führer désapprouva d’ailleurs.
C’était donc un homme qui croyait aux procès menés conformément au Droit ?
De quels procès parlez-vous ? Je ne vous entends pas, il y a un tel brouhaha.
Les procès criminels.
Je n’ai pas compris le mot que vous avez dit.
Il était en faveur des procès menés conformément au Droit et il s’opposa au pouvoir arbitraire des SS. C’est bien là votre témoignage, n’est-ce pas ?
En effet, il me le dit à plusieurs reprises et exprima cette opinion dans ses discours également.
Et vous dites que c’était un homme qui était en faveur d’une administration libérale dans les territoires dont il était Gouverneur Général ?
Je regrette beaucoup, je ne peux pas suivre. Il y a tellement de bruit que j’entends à peine ce que vous dites.
Nous allons essayer encore une fois. Avez-vous jamais entendu parler de « l’action AB » dont Frank s’est rendu responsable dans le Gouvernement Général ?
C’est une action dont je ne sais absolument rien. Quelqu’un m’en a déjà parlé il y a environ huit jours et m’a dit que Frank était accusé de cette « action AB ». J’ignore totalement ce que c’est.
Vous receviez de fréquents rapports de Frank concernant l’administration de son territoire, n’est-ce pas ?
Des rapports nous parvenaient de temps en temps.
Voulez-vous dire que Frank ne vous a jamais parlé de « l’action AB » ?
Oui. Je ne sais pas du tout ce que c’est que « l’action AB ».
Je vais vous le rappeler : c’était l’action qui eut pour résultat l’assassinat de la fleur de la race et de* l’élite intellectuelle polonaise.
J’ignore tout de cette action.
Si vous voulez regarder le document PS-2233 déjà déposé sous le numéro URSS-223 et qui représente le journal de Frank, vous y lirez l’histoire de cette action ; peut-être vous souviendrez-vous alors de quelque chose à ce sujet.
A quelle page, s’il vous plaît ?
C’est à la page 8 de l’annexe de ce texte. Vous y verrez que l’action commença le 16 mai par une conférence à laquelle Frank, le Gouverneur Général, le ministre du Reich Dr Seyss-Inquart, le secrétaire d’État Bühler, le SS-Brigadeführer Streckenbach et un certain colonel Müller étaient présents. Vous y verrez que Frank décréta qu’il fallait poursuivre immédiatement un programme de pacification extraordinaire et que cette tâche serait remplie par le chef de la Police de sûreté, sans autre délai. Les détails les plus importants de l’action furent ensuite discutés et le Brigadeführer Streckenbach fût dûment investi du pouvoir nécessaire par le Gouverneur Général. Ce dernier ordonna qu’on lui remît le 30 mai un rapport détaillé.
Je voudrais ensuite que vous regardiez à la page 2 de ce texte : un compte rendu de la conférence du 30 mai, où vous et, ce qui est plus important, ce Tribunal, pourrez juger quel genre de jurisprudence les juristes nazis soutenaient. Vous verrez, à la page 43 du texte anglais du document PS-2233, le compte rendu de la conférence de la Police du 30 mai, à laquelle assistaient Frank, Krüger et divers autres personnages.
Je n’ai jamais été présent à ces conférences du Gouvernement.
Je voudrais seulement que vous constatiez combien Frank, l’apôtre d’une administration équitable, était éloigné du véritable Frank, le Gouverneur Général de Pologne. Vous verrez qu’il déclare : « Si je n’avais pas ici à ma disposition la vieille garde de combat nazie de la Police et des SS, comment pourrions-nous poursuivre cette politique » ?
Le compte rendu, que le Tribunal connaît déjà, décrit comment, alors que les agressions allemandes étaient déclenchées à l’Ouest, il fut possible à Frank de mener à bien cette action contre l’élite intellectuelle polonaise.
Si les indications portées dans le journal du Gouverneur Général ne correspondent pas aux opinions que je l’ai entendu exprimer dans ses discours, je n’y peux rien. Je ne sais pas ce qu’il a dit à ce sujet. Il se peut que certains de ses discours contredisent d’autres discours qu’il a prononcés par la suite. Ce que j’ai déclaré se rapporte uniquement aux discours que le Führer a critiqués et qu’il désapprouva et qui eurent pour résultat qu’il fut interdit à Frank de faire des discours ou de les faire imprimer ; c’est à cela que je me référais. J’ignore pour l’instant les autres discours qu’a prononcés le Gouverneur Général et ce qu’il rapporta dans son journal.
Parlons nettement. Saviez-vous que le régime de Frank, dans le Gouvernement Général, était un régime monstrueux d’assassinat ?
Je n’en ai jamais entendu parler.
Avez-vous jamais reçu de Frank ou d’autres sources des rapports sur ces méthodes employées dans le Gouvernement Général ?
Il y eut souvent des plaintes émanant de Frank lui-même sur la mauvaise administration dans le Gouvernement Général, aussi bien que des plaintes de divers services, contre Frank.
Connaissiez-vous les méthodes impitoyables utilisées par Frank dans le Gouvernement Général ?
Je ne vous ai compris qu’à moitié.
Vous receviez des rapports de Frank sur ce qui se passait dans le Gouvernement Général, n’est-ce pas ?
Oui. Il y eut de fréquents rapports, que je transmettais aussitôt au Führer, pour avis. D’ailleurs, la plupart d’entre eux aboutirent chez Martin Bormann ou au bureau des aides de camp du Führer. Ces rapports...
Un instant. Nous avancerons beaucoup plus vite si vous voulez bien répondre directement à mes questions. Répondez brièvement à ce que je vous demande. Je vais vous soumettre un message qui, d’après le journal de Frank, a dû vous parvenir. A la page 41 du texte anglais de ce journal, nous trouvons ceci, en date du 5 août : « Le Gouvernement Général envoie le message télétypé suivant au ministre du Reich, Dr Lammers : « La ville de Varsovie est en grande partie en flammes. Incendier les maisons est la façon la plus sûre de priver « les rebelles de leurs repaires. Après cette insurrection et sa « répression, Varsovie souffrira et aura le sort qu’elle mérite : celui « d’être complètement rasée ».
Vous souvenez-vous d’avoir reçu ce message télétype ?
Autant que je sache, ce message nous parvint en effet et fut transmis immédiatement au Führer. Quant à l’action en elle-même, personnellement, je n’avais rien à y voir ; c’était une mesure militaire et, normalement, les rapports militaires allaient directement chez le Führer. Selon toutes probabilités, je transmis ce message, non seulement au Führer, mais encore au chef de l’OKW.
Je n’ai pas à m’occuper de ce que vous avez fait dans cette circonstance. Je m’occupe de ce que vous saviez, car vous avez nié devant ce Tribunal, à plusieurs reprises, avoir été au courant de ces abominations, qui eurent lieu sous le régime nazi. Donc, parlons de ce que vous saviez à ce moment-là. Vous avez dit...
Je sais que ce message fut reçu...
C’est un message tout à fait caractéristique de Frank, n’est-ce pas ?
... et qu’il avait été décidé de raser Varsovie et qu’on s’y battait. Mais, après tout, je n’avais pas d’ordres à donner au Gouverneur Général, je n’avais qu’à transmettre son rapport au Führer. Le rapport lui était destiné, il ne m’était pas adressé personnellement.
Vous dites que Frank était contre les camps de concentration. Vous avez témoigné dans ce sens, n’est-ce pas ? Et vous avez bien prétendu que Frank était contre l’établissement des camps de concentration ?
Oui, Frank m’a dit personnellement qu’en principe il était contre l’internement dans les camps de concentration, car il partageait mon avis qu’une telle procédure devait au moins avoir une base légale.
C’est ce qu’il vous a dit ?
Oui, il me l’a dit.
Laissez-moi vous lire un extrait très court de son journal, pour vous montrer pourquoi il n’approuvait pas les camps de concentration. Je lis, à la page 45 de son journal. Il parle de l’élite intellectuelle polonaise et il dit :
« D’abord, nous n’avons pas besoin de déporter ces éléments pour les interner dans des camps de concentration dans le Reich, car nous n’aurions que des ennuis et une correspondance inutile avec leurs familles. Nous allons liquider ces choses dans le pays même ».
Puis il continue : « ...nous n’avons pas l’intention d’établir des camps de concentration dans le vrai sens du mot, dans le Gouvernement Général. Tous les prisonniers du Gouvernement Général se trouvant dans des camps de concentration du Reich doivent être mis à notre disposition ici pour l’action AB, ou liquidés sur place. Tout individu soupçonné ici doit immédiatement être liquidé ». Voilà pourquoi Frank était contre l’établissement des camps de concentration ; il était partisan de l’assassinat immédiat, n’est-ce pas ?
Il se peut que le journal de Frank et ses actions ne s’accordent pas avec ce qu’il m’a soutenu, mais je sais seulement ce qu’il m’a déclaré être son opinion au sujet des camps de concentration. J’ignore complètement ce qu’il a pu écrire dans son journal et ce qu’il a fait en pratique m’est également inconnu. Je n’avais aucun droit de contrôle sur le Gouvernement Général.
Vous avez parlé de la rivalité qui exista entre Frank et divers commissaires du Reich, ministres du Reich et SS. Je prétends que la dispute qui eut lieu entre Frank et le SS-Brigadeführer Krüger avait comme enjeu le pouvoir ; c’était une lutte entre deux personnalités et n’avait rien à voir avec un désir de Frank de voir régner une administration juste et équitable dans le Gouvernement Général.
Si vous voulez dire que les déclarations que Frank me fit ne correspondent pas à ses actions, il faut en demander la raison à M. Frank lui-même ; je ne suis pas responsable de ce qu’il a fait. Je ne puis que vous rapporter ce qu’il m’a dit.
Vous receviez des comptes rendus, non seulement de Frank lui-même, mais aussi des SS, n’est-ce pas ?
Un grand nombre de rapports me parvenaient et je les transmettais aux intéressés, automatiquement, car mon bureau était en quelque sorte un centre de transmission. De toute façon, les rapports des SS, la plupart du temps, ne passaient pas par mon service.
Alors, vous étiez encore une de ces « boîtes aux lettres » en haut lieu, sur lesquelles se basait le Reich nazi ?
Je vous demande pardon, je n’ai pas compris.
Vous souvenez-vous d’avoir communiqué avec Himmler au sujet de la situation dans le Gouvernement Général ?
Oui, certainement. Je sais que Himmler aurait voulu éloigner Frank du Gouvernement Général. Il aurait préféré qu’il y eût quelqu’un d’autre comme Gouverneur Général.
Vous avez envoyé un compte rendu à Himmler, en vous basant sur une discussion que vous aviez eue avec le général SS Krüger, n’est-ce pas ?
Pour l’instant, je ne me rappelle pas avoir eu un entretien avec le général Krüger, à moins qu’on ne me donne plus de précisions.
Veuillez regarder le document PS-2220 déposé sous le numéro USA-175 ; c’est votre rapport à Himmler. Vous verrez qu’il est daté du 17 avril 1943, adressé à Himmler, et qu’il a trait à la situation qui règne dans le Gouvernement Général. Je viens d’en citer un extrait ; je vais en lire un passage qui n’a pas encore été cité :
« Mon cher Reichsführer. Lors de notre entretien du 27 mars de cette année, nous avions convenu qu’un dossier serait établi sur la situation existant dans le Gouvernement Général, qui servirait de base pour le compte rendu que nous présenterions au Führer. »
Il s’agissait du compte rendu présenté par les SS et vous-même. Le paragraphe suivant dit : « Le matériel... »
C’était un compte rendu exécuté sur l’ordre du Führer pour examiner certaines plaintes portées contre Frank. Le Führer avait décidé de charger Himmler et moi-même de cette enquête. C’est ce dont il s’agit ici.
Vous et votre collègue Himmler étiez très intéressés à l’affaire, bien sûr. Je voudrais que vous regardiez ce compte rendu juste un peu plus loin. Vous verrez que dans ce compte rendu lui-même il y est mentionné au paragraphe A : « Tâches de l’administration allemande dans le Gouvernement Général. L’administration allemande du Gouvernement Général doit accomplir les tâches suivantes :
« 1° Dans le but d’assurer le ravitaillement du peuple allemand, augmenter la production agricole et organiser une collecte aussi serrée que possible ; attribuer des rations suffisantes à la population autochtone qui effectue un travail nécessaire à l’effort de guerre et livrer le restant à la Wehrmacht et à la patrie. »
On y traite ensuite des difficultés pour obtenir assez de main-d’œuvre et extraire des richesses suffisantes du Gouvernement Général au bénéfice du Troisième Reich. Et, vers la fin, on se réfère particulièrement au problème de l’utilisation de la main-d’œuvre, et c’est sur cet alinéa que je désire attirer votre attention. Avez-vous trouvé le paragraphe qui est intitulé ; « Mobilisation de la main-d’œuvre » traitant des difficultés de l’administration du Gouvernement Général ? J’attire votre attention sur la phrase suivante : « Il est clair que ces difficultés sont accrues par l’élimination de la main-d’œuvre juive ».
Où se trouve ce passage ?
C’est au paragraphe intitulé : « Mobilisation de la main-d’œuvre ».
Oui, mais ce n’est pas mon rapport.
Mais vous avez dit dans votre lettre qui l’accompagnait que le mémorandum avait été vérifié avec le général Krüger, qui était entièrement d’accord avec son contenu. Vous vous souvenez que, dans la lettre qui accompagnait ce document, vous avez dit que ce mémorandum avait reçu votre approbation. Or, que vous l’ayez écrit ou non m’importe peu pour l’instant. Ce que je voudrais que vous expliquiez au Tribunal c’est ceci : d’abord, vous rendiez-vous compte que ce rapport contenait cette phrase : « Il est clair que ces difficultés de main-d’œuvre ont été accrues par l’élimination de la main-d’œuvre juive » ?
Je vous prie de m’accorder le temps de lire ce document. Je ne puis, sans les avoir lus d’abord, vous donner de réponse lorsqu’il s’agit de documents de plusieurs pages ; cela m’est impossible ; laissez-moi le temps de le lire avant de vous répondre.
Vous avez le temps pour cela ; mais je veux simplement que vous regardiez une seule phrase, voyez-vous. Vous pouvez me croire, quand je vous dis qu’à l’avant-dernier paragraphe de ce compte rendu figure cette phrase sur l’élimination de la main-d’œuvre juive. Ce que je vais vous suggérer...
Mais où est-ce ? Je n’ai pas lu cette phrase. Je n’ai pas encore trouvé la citation. Est-ce en haut ou au bas de la page ? Si je pouvais lire toute la page, je trouverais la phrase ; il me faut quelques minutes. Pouvez-vous m’indiquer à peu près l’endroit ?
Ce rapport est évidemment celui de Krüger et il se réfère sans doute à une nouvelle évacuation de Juifs vers l’Est. Je ne sais pas du tout ce que vous entendez par « élimination ». Avec la meilleure volonté du monde, je ne suis pas en mesure de vous donner une explication, sans réfléchir, à propos d’une phrase tirée d’un rapport long de quatorze pages ; cela m’est impossible.
Voulez-vous dire que l’élimination de la main-d’œuvre juive devrait être traduite par émigration de la main-d’œuvre juive ?
Je n’en sais rien, il me faut lire tout le rapport pour pouvoir vous donner une explication. Il y en a quatorze pages, qui ne sont même pas de moi ; je n’ai aucune idée du véritable contexte.
Vous savez, n’est-ce pas, que Hans Frank lui-même était partisan d’une politique d’extermination du peuple juif ?
Je ne sais pas s’il était de cet avis. Il m’a déclaré juste le contraire. Comme témoin, je ne puis vous dire que ce qu’il m’a dit, à moi, et non pas ce qu’il a pu prononcer ailleurs.
Vous comprenez, on a déjà lu au Tribunal des extraits du journal de Frank, dans lesquels il disait : « Mon attitude vis-à-vis des Juifs... » — c’est à la page 12 de l’exemplaire en allemand — « Mon attitude vis-à-vis des Juifs est telle que j’attends qu’ils disparaissent tous » ; et il dit, à propos des 3.500.000 Juifs du Gouvernement Général, « qu’on ne peut pas les fusiller ou les empoisonner, mais, néanmoins, nous pourrons prendre des mesures pour les annihiler complètement. Le Gouvernement Général doit s’en débarrasser aussi radicalement que le Reich lui-même ».
Voulez-vous prétendre que Frank ne vous a pas exprimé des opinions semblables ?
Si Frank a écrit cela dans son journal et si vraiment il a dit des choses pareilles, alors c’est en contradiction avec ce qu’il m’a exprimé ; je ne puis vous en dire davantage.
Saviez-vous que le journal de Frank indique que, le 9 décembre 1941, il y avait 3.500.000 Juifs dans le Gouvernement Général et que, le 2 août 1943, il restait juste quelques compagnies de travailleurs ? Le saviez-vous ?
Je ne le sais pas, car il ne m’en a rien dit. Il doit rendre compte lui-même de ce qu’il a écrit dans son journal. C’est lui seul qui peut témoigner s’il a fait cela ou non. Je ne savais rien de tout cela.
Étant donné votre traduction du terme « élimination » par le terme « émigration », je vous signalerai que Frank déclare, à propos de ces millions d’êtres que le Tribunal sait avoir été assassinés : « Tous les autres ont, disons, émigré ». Utilisez-vous le mot « émigré » dans un sens aussi brutal et cynique que celui-là ?
Je ne suis pas à même de faire de commentaires sur le journal de M. Frank ; c’est à M. Frank lui-même de le faire.
Témoin, dès le début de cette ère de terreur, vous étiez occupé à élaborer des lois dans le but de parachever les résultats de la persécution raciale, n’est-ce pas ? N’aviez-vous pas paraphé le décret du Führer accordant à Himmler le pouvoir nécessaire pour prendre les mesures indispensables pour éliminer du territoire du Reich tous les éléments raciaux que vous, comme nazi, ne pouviez approuver ?
Je ne me souviens pas d’avoir signé un ’document semblable.
Eh bien, j’attire votre attention sur le document PS-686, déposé sous le numéro USA-305. C’est le décret de Hitler sur « l’affirmation de la race allemande ». C’est son titre, et le décret est daté du 7 octobre.
Oui, je connais ce décret.
Je pensais bien que cela ne vous étonnerait pas.
Mais il n’y est rien dit de ce que vous affirmiez.
Regardez la première phrase de ce document qui dit :
« Conformément à mes directives, le Reichsführer SS est rendu responsable : premièrement, du retour de tous les nationaux allemands et de tous les Allemands de race habitant à l’étranger ; deuxièmement, de l’élimination de l’influence néfaste des éléments étrangers de la population qui représentent un danger pour la communauté allemande ». La suite du document traite de « la formation de nouveaux territoires germaniques, par la colonisation... » et il y est déclaré : « Le Reichsführer SS est autorisé à prendre toutes les dispositions nécessaires pour l’accomplissement de sa tâche ».
Vous avez signé ce décret, n’est-ce pas ?
C’est exact. Mais il n’y est rien dit sur l’assassinat de Juifs. On y parle de l’élimination de l’influence néfaste d’éléments étrangers ; il ne s’agit pas de l’élimination des étrangers eux-mêmes, mais de celle de l’influence exercée par certains éléments étrangers de la population. La suppression de l’influence de quelqu’un ne veut pas dire la suppression de l’individu lui-même.
Vous qui, en tant que chef de la Chancellerie du Reich, deviez connaître tous les secrets du Troisième Reich, voulez-vous déclarer au Tribunal que vous ne saviez, rien de l’assassinat de millions et de millions de personnes qui furent tuées sous le régime nazi ?
Je veux dire que je n’en savais rien jusqu’au moment de la défaite. Vers la fin avril 1945, début mai, lorsque j’entendis certains rapports par la radio étrangère, je ne le croyais pas à ce moment-là et ce n’est que plus tard, ici même, que j’en reçus des preuves, par les journaux. Si nous parlons maintenant de l’élimination d’une influence néfaste, c’est loin de signifier l’anéantissement. Le Führer n’a jamais parié d’assassinat ; il ne fut jamais question d’un plan semblable.
Je voudrais attirer votre attention sur l’accusé Rosenberg. Vous nous avez dit que la première fois que vous avez entendu parler des grandes opérations militaires du Troisième Reich, ce fut par la presse. Est-ce par la presse aussi que vous avez connu les plans nazis en vue d’envahir l’Union Soviétique ?
J’ai eu connaissance de l’attaque contre la Russie lorsqu’elle fut déclenchée. Le Führer ne parla jamais, avant cela, d’une guerre d’agression contre la Russie ; il mentionnait seulement des « complications militaires » avec la Russie, qui semblaient imminentes, mais je n’interprétais pas cela comme signifiant une guerre d’agression contre la Russie.
Saviez-vous que la guerre entre l’Allemagne nazie et l’Union Soviétique était une guerre défensive de la part de l’Allemagne ?
Le Führer ne m’a jamais rien dit, sauf ce que j’ai déjà cité ici, à savoir que l’on avait reconnu des concentrations de troupes, ce qui donnait lieu de penser qu’on pouvait s’attendre à des complications militaires avec la Russie. « Je veux être prêt à toute éventualité, et, par conséquent, M. Rosenberg doit s’occuper des questions de l’Est ». C’est tout ce que j’entendis et j’ignorais totalement le fait qu’une guerre d’agression devait être déclenchée contre la Russie.
Un instant...
A la suite de divers incidents, on pouvait conclure que nous devions nous attendre à une attaque ; du moins, c’est ainsi qu’on nous représenta les faits dans la mesure où nous étions informés.
Mais vous savez, témoin, que, dès le 20 avril 1941, Hitler était en train d’établir des plans pour mener une action contre l’Union Soviétique. Regardez donc le document PS-865 (USA-143). Comme vous le verrez, c’est un décret du Führer, en date du 20 avril 1941 ; laissez-moi vous rappeler que l’invasion de l’URSS par l’Allemagne n’a eu lieu que le 22 juin. Le 20 avril, vous avez signé ce décret dans lequel Hitler nommait Rosenberg « commissaire pour le contrôle général des questions se rapportant aux régions de l’Est européen ».
Oui, c’est exact. Je n’ai jamais dit autre chose. C’est la première affectation de Rosenberg et, à cette occasion, le Führer mentionna la possibilité de complications militaires avec la Russie et il accorda à Rosenberg cette autorité.
Un instant. Veuillez répondre à la question que je vous pose, vous donnerez vos explications plus tard. Regardez, plus bas, dans ce document PS-865. Vous constatez que c’est une lettre de vous adressée à Keitel, en date du 21 avril,’ dans laquelle vous dites : « Ci-inclus, je vous envoie une copie du décret du Führer du 20 courant, aux termes duquel le Reichsleiter Rosenberg a été nommé commissaire pour le contrôle général de toutes les questions se rapportant à la région de l’Est européen. En cette capacité, le Reichsleiter Rosenberg doit prendre au plus tôt les mesures nécessaires contre toute éventualité ».
Prétendez-vous que toutes les activités déployées alors par Rosenberg et par vous-même n’avaient rien à voir avec les plans d’agression de l’Allemagne nazie ?
Je ne veux certainement pas dire cela. Par « éventualité », le Führer entendait, ainsi que je l’ai déjà indiqué, qu’il croyait qu’il pourrait y avoir une guerre avec la Russie. C’est la raison pour laquelle Rosenberg fut ainsi nommé. Il ne fut jamais fait mention d’une guerre d’agression et, réellement, il n’en était pas question.
Vous savez, n’est-ce pas, que Rosenberg était en rapport avec d’autres services du Gouvernement du Troisième Reich, à propos de ces préparatifs en vue d’une agression contre l’Union Soviétique, des semaines avant que cette invasion ne fût déclenchée ?
Qui est-il censé avoir influencé ? Je n’ai pas compris de quelle influence vous voulez parler.
Vous ne m’avez sans doute pas compris. Il collabora avec d’autres services du Troisième Reich pendant des semaines avant que l’invasion eût lieu.
Il a peut-être collaboré avec d’autres services, dans l’accomplissement de sa tâche ; mais j’ignore dans quelle mesure ou dans quel but. J’ignore aussi de quelles autres tâches il fut chargé par le Führer.
Vous savez, tout au moins, que Hitler expliqua clairement à Rosenberg, avant qu’il ne se mît à la tâche, quels seraient les buts principaux de la politique nazie vis-à-vis des territoires conquis en Union Soviétique, n’est-ce pas ? Vous étiez à la conférence de Hitler, le 16 juillet 1941, lorsqu’il décrivit ses plans et son but à propos de l’URSS ?
Ceci se passa après le début de la guerre d’agression en ma présence.
Vous avez dit que Rosenberg était un homme qui croyait qu’il fallait traiter de façon libérale les pays conquis par les armées nazies. Mais, au mois de juillet 1941, vous étiez à la conférence de Hitler, dans les toutes premières semaines où cet homme avait endossé ses nouvelles responsabilités, et vous avez entendu Hitler annoncer à cette conférence un programme de terreur, de brutalité et d’exploitation, n’est-ce pas ?
Le 16 juillet, M. Rosenberg avait déjà élevé des objections à ce programme.
Mais ce furent des doutes qui ne l’obligèrent pas à démissionner, et il s’y maintint jusqu’à ce que l’Armée rouge lui rendît sa position vraiment inconfortable, n’est-ce pas ?
Oui, mais il a toujours maintenu des principes de modération. J’ai eu connaissance des activités de Rosenberg d’une façon toute générale. Je ne puis donc témoigner sur toutes les mesures particulières qu’il prit. Je ne puis vous répéter que ce que Rosenberg me dit lui-même, les doléances dont il me fit part et ce qu’il me décrivit comme étant ses buts. Si, en réalité, il a agi autrement, je n’en sais rien.
Vous étiez au courant de la rivalité qui existait entre Rosenberg et Koch, le commissaire du Reich pour l’Ukraine, n’est-ce pas ?
Oui, j’étais pleinement au courant de cela. Rosenberg était toujours partisan d’une application modérée et raisonnable de toutes les mesures politiques, alors que Koch, lui, était enclin à une solution plus radicale.
Lorsque vous parlez de « solution plus radicale », que voulez-vous dire ? Des « assassinats en masse » ?
Non, je ne veux pas dire cela du tout.
Mais vous saviez parfaitement bien, n’est-ce pas, que Koch était un assassin ?
Koch, un assassin ?
Oui.
Je ne sais absolument rien de cela. Je n’avais aucun contrôle dans ce domaine.
Je vais attirer votre attention là-dessus. Regardez le document PS-032 qui sera déposé sous le numéro GB-321, car c’est un document qui n’a pas encore été présenté. C’est un compte rendu de Rosenberg, en date du 2 avril 1943, adressé à Himmler, avec un exemplaire pour vous. C’est un compte rendu sur l’assassinat des habitants de la région boisée du Zuman, dans le but d’assurer un terrain de chasse au commissaire du Reich Koch.
Je suis au courant de cette plainte et l’ai même soumise au Führer. M. Rosenberg se plaignit que Koch avait fait nettoyer une région boisée assez considérable de toutes les villes et villages qui s’y trouvaient, afin d’avoir à sa disposition un terrain de chasse.
Et le mot « nettoyer » veut-il dire émigration ou assassinat ?
Cela veut dire rendre la région disponible.
Ne refermez pas le document pour l’instant ; je voudrais que vous le regardiez, car vous avez nié savoir que Koch était un assassin. Au second paragraphe figure ceci : « Je reçois à l’instant le rapport suivant d’un ancien camarade du Parti, qui a travaillé pendant neuf mois en Volhynie et en Podolie, dans le but d’établir un commissariat de district ou le bureau d’un chef de service dans le district général de Volhynie et de Podolie. Voici ce que dit son rapport : « Sur des ordres donnés en haut lieu, des mesures ont été prises pour évacuer toute la région du Zuman. Les Allemands et les Ukrainiens ont tous déclaré que le commissaire du Reich voulait avoir toute la région boisée pour établir un terrain privé de chasse. En décembre 1942, alors qu’il faisait déjà très froid, l’évacuation commença. Des centaines de familles furent obligées de rassembler tous leurs biens pendant la nuit et furent évacuées à plus de 60 kilomètres « de là. Des centaines d’habitants du Zuman et des environs ont été fusillés à l’aide d’une compagnie de Police, parce qu’ils étaient soi-disant membres du parti communiste. Aucun Ukrainien n’a voulu le croire... »
Avez-vous trouvé cet extrait, témoin ? Car je voudrais que vous suiviez.
Non, je ne l’ai pas encore trouvé.
Je sais que c’est évidemment très difficile de suivre des citations d’un document si embarrassant.
Oui, je l’ai maintenant.
Je vais relire la dernière phrase, cela rafraîchira vôtre-mémoire sur ces assassinats. « Des centaines d’habitants du Zuman et des environs ont été fusillés à l’aide d’une compagnie de Police entière, parce qu’ils étaient soi-disant membres du parti communiste. Aucun Ukrainien n’a voulu le croire, et les Allemands ont aussi été mystifiés par cette explication, car même si cela avait été fait pour la sécurité du pays, il eût été nécessaire, en même temps, d’exécuter des éléments infectés par le communisme dans d’autres régions. Au contraire, on estime dans tous le pays que ces hommes ont été fusillés impitoyablement sans être même jugés, simplement parce que l’évacuation prévue avait une telle envergure qu’il s’était avéré impossible de l’achever dans le temps requis et parce que, de toute façon, il n’y avait pas suffisamment de place dans le nouvel endroit où devaient être acheminés les évacués ». Prétendez-vous vraiment qu’après avoir lu ce compte rendu, vous ne saviez pas que Koch était un assassin ?
A la suite de ce rapport, je fis tout ce que je pus. Je l’ai transmis immédiatement au Führer et, si le rapport est véridique, j’admets que ce fut de l’assassinat ; mais je ne me souviens plus aujourd’hui de ce rapport. S’il a tué ces gens, alors il est un assassin, mais je ne suis pas le juge de M. Koch. Rosenberg s’est beaucoup plaint de cette affaire et elle fut immédiatement portée à la connaissance du Führer.
Rosenberg est resté en place, et cet homme est demeuré un de ses commissaires, n’est-ce pas ?
Le Führer a demandé à Bormann et à moi-même de prendre une décision ; et il a tenté de rassurer Rosenberg. Celui-ci essaya à plusieurs reprises de donner sa démission, mais n’y réussit pas.
Je voudrais me référer maintenant à un autre territoire, afin que vous puissiez donner au Tribunal de plus amples renseignements sur les conditions qui régnaient dans les territoires occupés ; car, voyez-vous, ce que je voudrais suggérer, c’est que les combats qui s’y poursuivaient étaient une lutte sans merci entre hommes qui aspiraient au pouvoir et, dans ce domaine sous le contrôle nazi, pas une seule âme ne préconisait la décence et la compassion humaines. Vous ne les préconisiez pas non plus, n’est-ce pas ?
Je n’ai pas compris. Qu’est-ce que je ne voulais pas encourager ? Il y a continuellement des troubles dans cet appareil. Veuillez répéter la question, je vous prie.
Vous-même, dans la situation où vous vous trouviez dans ce régime, n’agissiez pas en faveur de la décence humaine, n’est-ce pas ?
J’ai toujours été en faveur de la décence et de la compassion humaines. J’ai fait tout ce que j’ai pu. J’ai peut-être sauvé la vie à 100.000 ou à 200.000 Juifs.
Votre tâche consistait à envoyer des comptes rendus de massacres à Himmler, Bormann et Hitler, n’est-ce pas ?
Je n’ai jamais transmis d’ordres de massacres.
Il y a une question dont vous vous êtes occupé, qui concerne l’accusé Keitel et la politique impitoyable que Terboven a poursuivie contre les Norvégiens. J’attire votre attention sur le document...
J’ai simplement prié M. Keitel de définir son point de vue et j’ai élevé des objections devant le Führer contre l’exécution d’otages. Mes subordonnés peuvent en témoigner.
Je voudrais attirer votre attention sur le document PS-871, déposé sous le numéro GB-322. C’est une lettre de Keitel à vous-même, relative à un compte rendu de Terboven — document PS-870, déposé par Sir David Maxwell-Fyfe au dossier concernant l’accusé Keitel — . Vous verrez que cette lettre PS-871 est une missive qui vous est adressée par Keitel. Je cite, au premier alinéa :
« Quant au problème relatif au sabotage qui se produit en Norvège, je partage aussi l’opinion du commissaire du Reich pour les territoires occupés de Norvège : je ne m’attends à des résultats positifs que dans la mesure où des représailles seront poursuivies impitoyablement et si le commissaire du Reich Terboven est autorisé à fusiller les coupables. »
J’ai présenté cela au Führer en lui exprimant en même temps mon opinion sur l’exécution d’otages, et je réussis dans ma démarche.
Vous avez réussi ? Comment donc ?
Dans un entretien auquel Terboven assistait, le Führer déclara expressément que les exécutions d’otages ne devaient pas se produire sur l’échelle envisagée par Terboven et autres. Les otages ne devaient être saisis que parmi le cercle de famille des coupables.
Ainsi donc, le résultat de votre intervention fut que les exécutions ne se poursuivirent pas sur l’échelle que Terboven désirait ?
Oui, Terboven, voulait exécuter des otages sur une grande échelle, mais le Führer n’y a pas consenti, et moi-même je n’approuvais aucune exécution d’otages. Les fonctionnaires de la Chancellerie du Reich le savent et peuvent en témoigner.
Et le résultat...
Oui, il est exact que j’ai reçu cette lettre. L’affaire se développa comme suit : d’abord, je reçus la proposition de Terboven, puis j’écrivis au maréchal Keitel, en l’avisant que j’allais soumettre la lettre de Terboven au Führer, je lui demandai de me faire part de son opinion. Vint alors le télétype de Keitel et la demande de Terboven fut soumise au Führer. Celle-ci ne fut agréée qu’en partie. Le Führer estima que ce qui importait avant tout était de saisir les coupables ; il ne fallait prendre des otages que si c’était absolument nécessaire. Il ne mentionna pas du tout leur exécution.
Témoin, vous savez très bien que, dans tous les territoires dominés par la puissance nazie, des otages ont été pris, des pères et des mères assassinés à cause de l’action entreprise contre le régime par leurs enfants. Prétendez-vous ignorer cela ?
Non, je n’en savais rien, car je n’étais pas commissaire des pays occupés et je n’y suis jamais allé.
Cependant, vous receviez régulièrement des compte rendus de ces régions et vous étiez la « liaison » entre les ministres des territoires occupés et Hitler. Un instant ! Vous étiez la liaison... — Veuillez écouter la question que je vous pose — Vous étiez la « liaison » entre les ministres des territoires occupés et Hitler, n’est-ce pas ?
Pas toujours. Pas toujours. Beaucoup de ces ministres, surtout Terboven, passaient par Bormann. Mes subordonnés à la Chancellerie peuvent en témoigner. Terboven évitait le plus souvent de m’adresser ses rapports et les envoyait à Bormann.
Mais vous travailliez la main dans la main avec Bormann, n’est-ce pas ?
Oui, je devais collaborer avec lui.
Vous collaboriez très assidûment avec Bormann, n’est-il pas vrai ?
Oui, je devais travailler avec lui.
Vous deviez travailler avec lui ? Mais vous étiez le chef de la Chancellerie du Reich !
Lorsque j’avais une communication ou un suggestion à faire au Führer, j’étais obligé de passer par Bormann. Je devais travailler en collaboration étroite avec celui-ci afin d’avoir l’accord du Parti dans une quantité innombrable de circonstances.
Trouviez-vous désagréable de travailler avec Bormann ?
Je n’avais pas à le trouver désagréable. C’était mon devoir de travailler avec lui.
Je suggère, voyez-vous, que le pouvoir que vous déteniez, vous et Bormann, était très étendu.
Oui, mais il était exercé de façon très unilatérale. Car Bormann pouvait voir le Führer tous les jours ; tandis que je ne pouvais le voir qu’une fois toutes les six ou huit semaines. Bormann me communiquait les décisions du Führer et avait des entrevues personnelles avec lui, tandis que moi je n’en avais pas.
Vous avez cherché à maintenir votre collaboration avec Bormann jusqu’à la fin, n’est-ce pas ?
Il me fallait travailler avec Bormann, c’était le seul moyen de pouvoir aborder le Führer sur une question quelconque. Pendant les huit derniers mois du régime, je n’ai plus eu aucune entrevue avec le Führer et ce n’est que par l’entremise de Bormann que j’ai réussi à faire ce que j’ai accompli.
Vous avez encore écrit à Bormann, vous en souvenez-vous, le 1er janvier 1945 ? Cette lettre est le document D-753 (a), déposé sous le numéro GB-323.
Oui, je m’en souviens. Dans cette lettre — je puis vous le dire de mémoire, sans même la lire — , je me plaignais du fait que je ne pouvais plus approcher personnellement le Führer et je déclarais que cela ne pouvait continuer ainsi.
Et vous dites, dans cette lettre, à l’avant-dernier paragraphe : « ... car notre coopération jusqu’ici harmonieuse a depuis longtemps causé un effet fort désagréable à nombre de personnes, qui voulaient nous opposer l’un à l’autre ».
Où se trouve ce passage ?
C’est l’avant-dernier paragraphe de votre lettre, tout à fait à la fin. Trois phrases avant la fin.
L’avant-dernière phrase ?...
La phrase précédente.
« Pour terminer, je voudrais dire... » ?
C’est la phrase qui précède celle-là : « ...car notre coopération jusqu’ici harmonieuse... »
Oui, mais je voudrais signaler qu’à la fin j’ai exprimé le désir de bonnes relations personnelles et je répète que c’était une lettre de nouvelle année et lorsque j’écris à quelqu’un une lettre de bons vœux, je ne peux pas lui déclarer que les choses n’ont pas bien marché l’année précédente. Ainsi, afin de maintenir de bonnes relations, je déclarai que tout allait bien.
Vous n’avez pas tenté de rejeter la responsabilité sur les épaules de Bormann dans cette affaire ? C’est vous qui étiez la « liaison » entre les territoires occupés et Hitler ?
Oui, mais pas exclusivement, seulement pour les affaires d’importance secondaire. Les commissaires du Reich étaient directement sous les ordres du Führer.
Je veux maintenant vous poser des questions non pas sur la terreur qui régnait dans les territoires conquis par l’Allemagne, sur celle qui régnait en Allemagne même. Vous avez dit, dans votre témoignage sur l’accusé Frick, qu’en tant que ministre de l’Intérieur il n’avait pas de pouvoir, qu’il était un homme de paille. C’est ce qu’on peut déduire de votre témoignage, n’est-ce pas ?
J’ai dit qu’il n’avait pas d’influence sur la Police.
Saviez-vous que les recours en grâce intéressant les internés des camps de concentration étaient adressés à Frick ?
Oui, beaucoup de ces cas étaient soumis à Frick.
Savez-vous s’il exerçait ses pouvoirs d’une façon efficace en faveur des malheureux internés dans les camps ? Avez-vous entendu ma question ?
Je n’entends pas tout mais seulement la moitié de ce que vous dites, plusieurs voix parlent dans le micro. Il serait peut-être préférable que je retire les écouteurs.
Non remettez-les et essayez encore une fois. Un peu de patience.
N’est-il pas exact que Frick recevait les demandes de libération de gens internés dans les camps de concentration ?
Des pétitions de ce genre ont toujours passé par Frick, naturellement ; mais elles venaient aussi en grand nombre chez moi et je m’en occupais. Je les traitais comme des pétitions adressées au Führer. Après un examen soigneux, dans de nombreux cas, j’ai obtenu la libération de certaines personnes de cette façon.
Mais de quelle façon Frick se servit-il de son autorité dans ce domaine ?
Frick me faisait souvent passer ces demandes pour que je les transmette au Führer. Je ne puis vous dire ce qu’il fit dans les autres cas.
Je voudrais que vous écoutiez ce que rapporte un affidavit du Dr Sidney Mendel, docteur en droit (document PS-3601, déposé sous le numéro GB-324). Comme docteur en droit, il était membre du barreau de Berlin et avoué auprès des tribunaux allemands, jusqu’en 1938. Il habite maintenant au 85-20 Elmhurst avenue, Elmhurst, État de New-York. En tant qu’avoué, il eut entre les mains de nombreux cas d’affaires de camps de concentration, de 1933 à 1938. Il se souvient très exactement qu’en 1934 et 1935 il eut affaire plusieurs fois au ministère de l’Intérieur Frick qui avait la juridiction sur la Gestapo, pour tenter de faire libérer des internés des camps de concentration. Le ministère de Frick avait un contrôle spécial sur les camps de concentration. Il informa le ministère de cas d’arrestations illégales, de mauvais traitements, de tortures, etc. Mais le ministère refusait toute libération et maintenait les décisions de la Gestapo. C’était bien l’attitude de Frick dans ces cas, n’est-ce pas ?
Je ne sais pas du tout quelle fut l’attitude de Frick dans de semblables cas. Il faut demander cela à M. le Dr Frick.
Mais vous avez témoigné en sa faveur. Si vous dites maintenant que vous ne savez rien, je ne vous poserai plus de questions au sujet de l’accusé Frick. Mais vous avez déposé en sa faveur vous le savez.
Je ne pouvais décrire son attitude envers la Police qu’en termes généraux. J’ignore absolument comment il agissait pour sa correspondance.
Vous avez dit que, dans le Protectorat de Bohême et de Moravie, Frick n’avait pas de pouvoir non plus ; c’est bien ce que vous avez déclaré, n’est-il pas vrai ?
J’ai dit qu’il était plutôt une personnalité décorative qu’autre chose. Cela ne veut pas dire qu’il ne recevait pas de pétitions ou de demandes. Mais j’ignore quelle suite il leur donnait.
Vous dites que c’était une personnalité décorative ; c’est une affaire de goût. Mais une de ses fonctions, en tout cas, était de décider de l’exécution ou non des sentences de mort prononcées sur son territoire. Ce n’était pas une petite affaire pour les humains qui habitaient le Protectorat de Bohême et Moravie, vous savez.
Oui, veuillez annuler le terme « décoratif ». Je voulais simplement dire par là qu’il avait des fonctions plus décoratives que réelles, tel un chef d’État, par exemple, qui ne s’occupe que de certaines choses ; c’est cela que je voulais dire. Il représentait la direction allemande dans ce pays et avait le droit de grâce. Ce rôle était évidemment très important, je n’en doute aucunement.
Vous savez très bien, témoin, que Frick avait le droit de gracier les condamnés à mort dans les territoires de Bohême et de Moravie. Vous le saviez, n’est-ce pas ?
Certainement, c’était l’un de ses pouvoirs, il n’y a aucun doute.
Je suggère donc que Frick n’a exercé aucune clémence, aucune influence modératrice ; au contraire, il a renforcé les méthodes brutales contre les victimes de l’administration nazie dans cette malheureuse partie de l’Europe.
Frick avait le droit de grâce conformément aux pouvoirs qui lui avaient été attribués. Je ne sais pas sur quels principes il basait son action.
En collaboration avec Frick et le ministère de la Justice, vous avez travaillé à la préparation des lois pénales contre les Polonais et les Juifs dans les territoires annexés de l’Est, n’est-ce pas ?
Il y eut, à un moment donné, un début de préparatifs dans ce sens au ministère de la Justice et celui-ci entama une correspondance avec moi à ce sujet, mais en fin de compte, je crois que rien n’en sortit.
Vous n’avez pas participé à l’établissement de cette législation ?
Non, je ne la connais pas. Je ne crois pas qu’il y eut une loi spéciale ; autant que je sache, le soin d’établir des lois fut confié aux Gauleiter. Je ne sais rien de précis.
Ainsi, l’établissement des lois fut laissé aux Gauleiter, aux Koch, aux Frank et aux Rosenberg ?
Non, il s’agit maintenant des provinces de Prusse Orientale et de Posen ; c’est à ce propos qu’eut lieu la correspondance dont j’ai parlé.
Je voudrais maintenant que vous répondiez à quelques questions au sujet de Sauckel.
Je crois que nous pouvons suspendre l’audience pendant dix minutes.
Docteur Lammers, entendez-vous ce que je dis ?
Oui.
Bon. Voulez-vous avoir l’obligeance d’essayer de répondre aux questions après qu’on vous les aura posées et de ne pas les interrompre ? Essayez d’attendre un moment jusqu’à ce que la question ait été complètement posée car les interprètes et les sténotypistes éprouvent de grandes difficultés à vous suivre et à interpréter ce que vous dites.
Je voudrais aborder pour le moment la question de vos relations avec Seyss-Inquart. Vous receviez de lui des rapports sur son administration dans les Pays-Bas, n’est-ce pas ?
Oui, chaque trimestre environ, je recevais un compte rendu général, que je transmettais au Führer. Il y avait aussi des rapports individuels.
Et dans les Pays-Bas, comme ailleurs, vous saviez que le but de l’administration allemande était d’épuiser et d’exploiter au maximum ce territoire à l’avantage de l’Allemagne, c’est bien cela ?
Notre but était évidemment d’utiliser tout les moyens qu’offraient ces pays pour notre production de guerre. Je n’ai jamais entendu qu’il fût question d’exploitation.
Réduire leur standard de vie, les réduire à la famine, voilà l’un des résultats de votre politique dans les Pays-Bas, vous le saviez bien, n’est-ce pas ?
Je ne crois pas que nous soyons allés aussi loin que cela. J’ai eu moi-même des parents en Hollande et je sais que les gens vivaient là-bas beaucoup mieux que nous ne le faisions en Allemagne.
Je voudrais que vous regardiez le document PS-997 qui est déposé sous le numéro RF-122. Il consiste en une lettre que vous avez envoyée à l’accusé Rosenberg à laquelle sont joints un rapport qui vous avait été soumis par le Stabsleiter Schickedanz adressé au Führer, ainsi qu’un rapport du Commissaire du Reich Dr Seyss-Inquart, pour la période du 29 mai au 19 juillet 1940. Si vous regardez à la page 9 de votre texte, page 5 du texte anglais, du document PS-997, vous verrez qu’il y a un premier compte rendu des ébauches de la politique économique allemande dans les Pays-Bas. Vous verrez le paragraphe marqué sur votre exemplaire, de façon à vous éviter la difficulté de trouver où sont ces passages. Vous voyez qu’il y est dit : « Il est indispensable de réduire la consommation de la population... »
Il est évident qu’en temps de guerre il faut réduire la consommation de la population. Il n’est pas question ici d’obtenir du ravitaillement pour le Reich.
Un instant, je vous prie. Je vais vous lire ce passage jusqu’au bout :
« Il était clair qu’avec l’occupation de la Hollande, un grand nombre de mesures économiques et aussi de police devaient être prises. Les premières avaient pour but de réduire la consommation de la population d’une part, afin de procurer de la nourriture au Reich, d’autre part, pour assurer une distribution équitable des stocks qui restaient. »
C’est un rapport très précis de la politique économique que poursuivait Seyss-Inquart envers les Hollandais, n’est-il pas vrai ?
Oui, et c’était aussi une politique très raisonnable. La consommation devait être réduite pour que le ravitaillement pût être distribué équitablement et afin d’en tirer quelque chose pour le Reich. Quoi qu’il en soit, ce rapport, n’est pas le mien, mais plutôt celui de M. Schickedanz, et je ne sais pas s’il est exact.
Mais le but de cette réduction de la consommation de la population était d’en faire bénéficier le Reich de sorte que le territoire des Pays-Bas devait être pillé au profit du Reich. C’était là toute la politique, n’est-ce pas ?
Ce n’est pas ce qui ressort de ce rapport. Il est dit ici que, d’abord, un certain ravitaillement doit être acquis pour le Reich, et, deuxièmement, que les divers stocks doivent être distribués d’une façon équitable, ce qui signifie, parmi les Hollandais. Il n’y a rien là d’une politique d’exploitation.
Plaise au Tribunal. Le Tribunal a le document en mains et peut constater dans quels termes il est conçu. (Au témoin.) Je voudrais maintenant que nous nous occupions de l’accusé Sauckel. Vous-même, témoin, vous connaissiez parfaitement le vaste programme d’esclavage des populations conquises par la force nazie, dont Sauckel s’occupait, n’est-ce pas ?
J’avais pris connaissance du programme de Sauckel, ainsi que des mesures qu’il avait adoptées pour l’accomplir. Je n’avais pas l’impression que c’était un programme d’esclavage. Dans son opinion, Sauckel était toujours très généreux et très modéré, et il fit tous ses efforts pour obtenir les contingents nécessaires de travailleurs étrangers par le recrutement volontaire.
Prétendez-vous que vous pensiez que les millions de travailleurs étrangers que Sauckel entraîna en Allemagne y vinrent volontairement ?
Ils ne vinrent pas tous volontairement. Par exemple, dans le cas de la France, ils partirent de France à la suite d’une loi sur le travail obligatoire promulguée par le Gouvernement français. Ils ne vinrent pas volontairement, mais forcés par une loi de leur propre Gouvernement.
Je voudrais que vous regardiez l’un des premiers rapports que vous avez reçus de Sauckel sur son programme de travail. C’est le document PS-1296, déposé sous le numéro GB-325. Il débute par une lettre de Sauckel, qui vous est adressée, en date du 29 juillet 1942 :
« Cher ministre du Reich, je me permets de vous envoyer ci-joint pour information, la copie d’un rapport adressé au Führer et au maréchal du Grand Reich allemand. Heil Hitler ! Fidèlement vôtre, Fritz Sauckel. »
Oui, ce rapport a certainement dû me parvenir.
Oui. Et vous l’avez probablement examiné, n’est-ce pas ?
Pas en ce moment, mais il me fut soumis pour information.
Et vous l’avez examiné à ce moment-là.
Je suppose que je l’ai lu, que je l’ai parcouru rapidement. Il n’avait pas d’autre intérêt pour moi.
Vous verrez, dans la première page du rapport lui-même, qu’il indique, par exemple, que dans la période d’avril à juillet 1942, qui fut la première période d’activité de Sauckel comme plénipotentaire à la main-d’œuvre, il avait obtenu un total de 1.639.794 travailleurs étrangers, parmi lesquels 21.009 étaient des prisonniers de guerre soviétiques. Vous l’avez vu, n’est-ce pas ?
Je l’ai probablement lu, oui, mais je n’avais pas de raison de m’y opposer. Sauckel n’était pas mon subordonné. Il était, en fait, subordonné au Plan de quatre ans, ainsi que le démontre la signature ; il était directement subordonné au Führer. Il envoyait ses rapports directement au Führer et la seule raison pour laquelle je ne transmis pas celui-ci au Führer fut que je savais que ce même rapport était parvenu au Führer par l’entremise du Reichsleiter Bormann. Autrement, je ne n’avais rien à voir à la question.
Mais vous saviez parfaitement bien, n’est-ce pas, qu’il était incorrect de forcer des soldats capturés en campagne, à travailler contre leur propre pays ?
C’était l’affaire de Sauckel de s’entendre avec les services avec lesquels il travaillait. Je ne me suis jamais préoccupé de cette question. C’était à Sauckel de s’entendre avec les services intéressés, avec la Wehrmacht, et même, pour ce qui touchait le Droit international, avec le ministère des Affaires étrangères. D’ailleurs, je ne vois ici aucune mention de prisonniers de guerre.
Je ne veux pas suggérer que vous êtes...
Je n’ai rien lu jusqu’à présent à propos de prisonniers de guerre.
Regardez donc à la première page de ce rapport. Il n’y a aucun mystère là-dessous, vous savez. Vous pouvez lire l’allemand tout à fait aisément.
Mais je ne peux pas lire des pages et des pages d’un long rapport en une minute.
Regardez à la première page seulement.
Oui, maintenant je vois.
Et vous le saviez dès le début de mes questions à ce sujet... Un instant s’il vous plaît. Quand je parle, veuillez attendre que j’aie fini, avant de m’interrompre. Autrement, le système d’interprétation n’est pas capable de faire une traduction rapide. Vous voyez très clairement, par ce rapport, n’est-ce pas, que pendant les quatre premiers mois de la carrière de Sauckel, il avait obtenu en sa qualité de négrier 221.009 prisonniers soviétiques pour alimenter sa machine.
Les détails ne me concernaient pas. Je n’avais pas d’autorité de contrôle sur Sauckel. Un rapport décrivant ce qu’il avait à faire a été transmis. S’il avait le droit d’agir ainsi, c’était une question à résoudre avec les services intéressés. Je n’ai pas approfondi la question, car le rapport m’avait été transmis simplement à titre d’information.
Vous avez déclaré en faveur de Sauckel qu’il s’opposa à la suggestion que les SS agissent dans ce domaine de la main-d’œuvre. N’avez-vous pas dit cela ?
Non, je n’ai pas dit cela. J’ai dit qu’il ne voulait pas avoir le concours exclusif des SS, mais qu’il désirait l’aide de toutes les autorités exécutives qui pouvaient lui rendre service. Il va sans dire que, dans les régions occupées par des partisans, ces autorités étaient représentées principalement par la Police et les SS.
Et en fait, vous saviez que Sauckel demandait plus d’aide des SS pour obtenir plus de main-d’œuvre. C’est ce qu’il recherchait, n’est-ce pas ?
Oui, car autrement, il ne pouvait pas travailler dans ces régions si l’ordre n’était pas maintenu.
Regardez maintenant le document PS-1292, qui a été déposé sous les numéros USA-225 et RF-68. C’est le compte rendu d’une conférence du 4 janvier sur la répartition de la main-d’œuvre en 1944 ; le procès-verbal a été dressé par vous-même, donc si ce que vous dites mérite la confiance, voilà votre propre rapport. Vous constaterez que Hitler, Sauckel, Speer, Keitel, Milch et Himmler étaient présents à cette conférence.
Le nouveau programme de travail pour 1944 avait été dressé et je fus chargé d’en aviser les services intéressés. Je pris part à cette conférence pour la seule raison que c’était une mesure qui touchait au domaine de nombreux départements et qu’il fallait les informer. Autrement, je n’aurais jamais participé à la conférence.
Et, à cette conférence, Hitler stipula que Sauckel devait fournir encore au moins 4.000.000 de travailleurs pour la main-d’œuvre, n’est-ce pas ?
C’est possible. Le Führer exigea plus de Sauckel que celui-ci ne pensait pouvoir lui fournir.
Et Sauckel déclara que cela dépendrait surtout des agents de contrainte allemands qui pourraient être mis à sa disposition ; son projet ne pouvait être réalisé avec les agents locaux d’exécution. Et votre rapport continue :
« Le Reichsführer SS expliqua que les effectifs mis à sa disposition étaient peu nombreux, mais qu’il » — c’est-à-dire Himmler — « essaierait d’aider Sauckel dans son projet, en les augmentant et en les faisant travailler plus durement. Le Reichsführer SS mit immédiatement 2.000 à 2.500 hommes des camps de concentration à la disposition de la défense passive de Vienne. » Ainsi il se dégage clairement de ce rapport, n’est-il pas vrai, que Sauckel cherchait plus d’aide des SS et que Himmler déclarait qu’il ferait de son mieux pour l’aider ? C’est bien cela ?
Il ne peut y avoir de doute là-dessus, mais Sauckel ne voulait pas avoir d’aide exclusivement des SS ; il désirait obtenir toute l’aide nécessaire dans les pays en question par n’importe quel service officiel, comme je l’ai déjà dit, la Feldkommandantur, par exemple.
Il y a un dernier document que je voudrais vous montrer sur Sauckel. C’est le document PS-3819, déposé sous le numéro GB-306, dont un court extrait, fut cité au procès-verbal d’audience par Sir David Maxwell-Fyfe. C’est un rapport de Sauckel à Hitler, en date du 17 mars 1944. Je suppose que vous avez vu un exemplaire de ce rapport, n’est-ce pas ?
Je ne sais pas.
Regardez-le, simplement, car il éclaire d’une façon saisissante l’attitude de Sauckel à propos de l’aide des SS et de la Police allemande.
Oui ; ce document est daté du 11 juillet 1944. J’ai en mains celui du 11 juillet 1944.
Oui.
Monsieur Elwyn, Jones, il dit qu’il a entre les mains un document du 11 juillet 1944. Celui auquel vous vous référiez était du 17 mars 1944, n’est-ce pas ?
Oui, Monsieur le Président. (Au témoin.) Vous avez là le procès-verbal de la conférence, n’est-ce pas ? Le rapport de Sauckel daté du 17 mars n’y est-il pas attaché ?
II y a un autre rapport ici, daté du 5 avril 1944.
Je ne poursuivrai pas la lecture de cette partie du document, Monsieur le Président. (Au témoin.) Si vous voulez vous référez au document daté du 12 juillet, cela suffira pour l’instant à mes intentions. Vous vous rappelez que c’est votre propre compte rendu de la conférence du 12 juillet 1944 sur la question de l’augmentation de main-d’œuvre étrangère 9 obtenir. C’est vous qui avez ouvert cette conférence, témoin, n’est-il pas vrai ?
J’étais toujours dans une position neutre à ces conférences. S’il advenait des divergences d’opinions, je me proposais comme intermédiaire.
Comment étiez-vous neutre, témoin ?
Je n’étais pas à la tête d’un ministère. Les autres services avaient leurs intérêts particuliers.
N’étiez-vous pas un honnête courtier entre Sauckel et Himmler ?
Il m’arrivait souvent de tenter d’amener un compromis entre diverses personnes, y compris à l’occasion Himmler ou Sauckel, et je crois que je puis affirmer sans rougir que j’agissais alors en courtier honnête. Je voulais faire de mon mieux pour rapprocher les deux personnages, afin qu’il me fût possible d’éviter de déranger le Führer avec ces divergences d’opinion.
Regardez seulement comment vous avez ouvert cette conférence. Vous dites là — c’est la seconde phrase sous votre nom :
« Il limita le thème de la discussion à l’examen de tous les moyens susceptibles de remédier au déficit de la main-d’œuvre étrangère. »
Vous dites ensuite, dans la question suivante :
« La considération primordiale devra demeurer celle-ci : faut-il exercer une plus grande contrainte, et sous quelle forme, pour faire accepter le travail en Allemagne ? » Le terme efficace, ici vous le savez, est le mot « contrainte ».
Oui, il s’agit évidemment de l’emploi de la main-d’œuvre féminine et de la réduction de l’âge-limite pour les travailleurs mineurs.
Passez à la phrase suivante de votre compte rendu :
« A cet égard, il nous faut examiner comment les pouvoirs exécutifs, dont l’insuffisance fait l’objet de vives critiques émanant du plénipotentiaire pour la répartition de la main-d’œuvre peuvent être renforcés, d’une part, en agissant auprès des gouvernements de ces pays, d’autre part, en augmentant le nombre de nos effectifs locaux et par l’utilisation accrue de la Wehrmacht, de la Police ou d’autres organismes allemands. »
C’est ainsi que vous avez ouvert cette conférence, vous le savez.
C’est très exact. C’étaient les problèmes qui devaient être discutés.
Trouver plus de main-d’œuvre forcée et découvrir par quels moyens de terrorisme policier et quelles pressions par Ribbentrop les résultats désirés pourraient être obtenus ? C’était là le but de cette conférence, n’est-il pas vrai ?
Non, notre but n’était pas de savoir comment nous pourrions terroriser les populations, mais comment nous pourrions mettre à exécution les décrets officiels, en disposant de l’autorité nécessaire pour cette tâche. Il doit être évident qu’en proposant des mesures exécutives, cela n’implique pas nécessairement que ce sont des mesures de terreur. Je pourrais citer un exemple qui se produisit en France. Les travailleurs que Sauckel avaient recrutés en France furent amenés à la gare de départ par les autorités françaises elles-mêmes, conformément au décret du Gouvernement français sur le travail obligatoire.
Veuillez répondre simplement à mes questions, je vous prie ? Vous vous engagez sur une autre voie.
Je n’ai proposé aucune mesure terroriste.
Chaque État doit employer une certaine contrainte ; mais lorsqu’on parle de contrainte, cela ne signifie aucunement le terrorisme, le crime ou la violence.
J’attire simplement votre attention sur la contribution du général Warlimont à la discussion quand il dit que :
« Les troupes employées à combattre les partisans devront, en outre, se charger de la tâche d’acquérir de la main-d’œuvre dans les régions des partisans. Quiconque ne peut dûment prouver le but de sa présence dans ces régions devra être saisi de force. »
Et vous dites :
« A la suite de l’enquête faite par le ministre du Reich, Dr Lammers, » — c’est à la page 10 du texte anglais — « pour savoir si une partie de la population apte au travail ne pourrait pas être emmenée avec les troupes en retraite, le colonel Saas, plénipotentiaire général pour l’Italie, a déclaré que le maréchal Kesselring avait déjà décrété que la population, sur une profondeur de 30 kilomètres, derrière le front, devait être capturée. »
Le thème principal de toute cette conférence était l’emploi de la force, n’est-ce pas ? Et la collaboration des organismes exécutifs de l’État, pour obtenir les travailleurs forcés nécessaires pour le Reich ?
Une certaine coercition devait sans doute être exercée.
Il ne reste plus que deux sujets, Monsieur le Président, que je pense de mon devoir de présenter au témoin. (Au témoin.) Sur la question du massacre du peuple juif, vous avez déclaré dans votre témoignage, avant la suspension d’audience, que vous aviez sauvé vous-même 200.000 Juifs. Vous souvenez-vous d’avoir dit cela au Tribunal ?
Oui.
Vous vouliez dire que vous les avez sauvés de l’extermination, je suppose ?
Non. Je les ai simplement préservés de l’évacuation, c’est tout. Par la suite, je le découvris et maintenant, je sais qu’en fait je les ai vraiment sauvés de l’extermination. Vous avez...
Vous savez que vous avez fait une déposition... un moment... vous avez déposé devant le Tribunal au sujet d’une conférence qui eut lieu au début de 1943, à laquelle le Reichssicherheitshauptamt vous invita à envoyer un représentant et qui avait trait au problème juif. Vous souvenez-vous d’avoir dit cela au Tribunal ?
Oui, on discuta cette question. C’était une conférence de spécialistes.
Ce fut la fameuse conférence présidée par Eichmann. Vous souvenez-vous ?
Je ne sais pas. Je n’étais pas présent, j’y ai envoyé un de mes subordonnés.
L’invitation d’assister à cette conférence provenait de Kaltenbrunner, n’est-ce pas ?
Non. L’invitation provenait du RSHA.
Pas de Kaltenbrunner personnellement ?
Je ne sais pas.
Et vous avez envoyé un représentant à la conférence, n’est-ce pas ?
Quelqu’un devait y aller pour me représenter et il avait des ordres formels d’écouter simplement et de ne faire aucun commentaire au cours de la conférence, car je voulais me réserver le droit de m’entretenir de tout cela avec le Führer.
Aviez-vous donné à votre représentant à cette conférence des instructions pour qu’il ne prenne aucune attitude ? Est-ce cela que vous avez dit au Tribunal ?
Il lui avait été spécialement ordonné de ne pas faire de commentaires. Mon secrétaire d’État, qui lui donna ces instructions, peut le confirmer. De toute façon, il ne l’aurait pas pu, car cette conférence n’aboutit à aucune décision. Mais il ne devait faire aucune déclaration de son propre chef, car j’avais l’intention de m’entretenir de cette question, qu’on nommait alors « la solution définitive du problème juif », avec le Führer. C’est pourquoi je donnai expressément l’ordre : « Aucun commentaire ».
Vous avez envoyé Gottfried Bohle pour vous représenter personnellement à cette conférence, n’est-ce pas ?
Ce n’est pas moi qui l’ai envoyé, c’est mon secrétaire d’État. Et ce n’était même pas l’homme compétent, mais il fut accidentellement...
Répondez à mes questions brièvement, s’il vous plaît. Gottfried Bohle vous fit un compte rendu, n’est-ce pas ?
Je reçus un court rapport écrit.
Et ce rapport indiquait-il que Eichmann projetait l’extermination des Juifs ?
Non, il n’en était pas question ; et nous n’en savions rien. Du moins, je ne peux me souvenir de rien qui m’eût incité à agir immédiatement.
Hier, vous avez dit au Tribunal que les camps de concentration n’étaient pas mentionnés dans le budget du Reich. Vous rappelez-vous avoir dit cela ?
Qu’est-ce qui n’était pas mentionné ?
Hier...
Je ne sais pas. Je n’ai rien lu à ce sujet.
Hier, vous avez dit au Tribunal que, dans le budget du Reich, rien n’était mentionné à propos des camps de concentration.
Je n’ai rien trouvé et je n’ai rien lu à ce sujet. Je n’en sais rien du tout. Ces questions ne m’intéressaient d’ailleurs pas beaucoup.
Vous dites maintenant que vous ne savez pas s’il y avait un chapitre camps de concentration dans le budget ou non ?
Je ne peux pas l’affirmer. Je ne puis me souvenir d’une mention quelconque sur les camps de concentration portée spécifiquement dans le budget.
Cela vous surprend-il de savoir que, dans le budget de 1939, budget du ministère de l’Intérieur, les sommes de 104.000.000 de Mark et de 21.000.000 de Mark furent respectivement portées pour les dépenses des Waffen SS et des camps de concentration ? Le saviez-vous ?
Je n’ai pas étudié dans le détail le budget du ministère de l’Intérieur. Je ne lisais aucun budget ; les seuls budgets qui m’intéressaient étaient ceux de la Chancellerie du Reich ; je ne lisais pas ceux des autres services ; je n’avais aucune raison de le faire.
Saviez-vous qu’il existait plus de 300 camps de concentration dans l’Allemagne nazie ?
Non, je ne le savais pas.
Combien en connaissiez-vous ? en tant que chef de la Chancellerie du Reich ?
Je n’en connaissais que quelques-uns.
Seulement quelques-uns !
Trois, tout au plus.
Pouvez-vous jurer, sous la foi du serment...
Mais je savais qu’il y en avait d’autres.
Pouvez-vous déclarer au Tribunal sous la foi du Serment, que vous, au sein même de l’organisation nazie, ne connaissiez pas l’existence de plus de trois camps de concentration ?
Oui, c’est bien ce que je déclare. Je ne me trouvais pas au centre du nazisme. J’étais simplement le chef des fonctionnaires qui faisaient le travail administratif du Führer. Je ne m’occupais pas des camps de concentration. J’en connaissais quelques-uns de nom, deux ou trois environ ; et je me doutais qu’il en existait quelques autres. C’est tout ce que je puis dire, sous la foi du serment.
Je prétends que vous connaissiez parfaitement ce régime de terreur, mais vous avez continué à le servir jusqu’au bout. N’est-ce pas exact ?
De quel régime de terreur parlez-vous ? Le système des camps de concentration existait, oui. Je le savais ; tout le monde le savait.
Mais cela ne troubla pas votre conscience, je suppose ?
Le fait qu’ils existaient ? J’ai fait part de mon opinion au Führer au sujet des camps de concentration et il m’exclut de la question dès 1934, lorsque je lui eus précisé mon opinion sur ce point ; il chargea Himmler de toute la question, et c’est à celui-ci que je devais transmettre toutes les plaintes au sujet des camps de concentration ; je n’avais donc rien à voir avec cette question, sauf lorsque des plaintes me parvenaient, que je traitais comme si elles étaient adressées au Führer et auxquelles je donnais suite, dans la mesure du possible ; j’ai réussi à faire aboutir favorablement plusieurs de ces cas.
Vous étiez évidemment SS-Obergruppenführer. Peut-être ne reconnaissiez-vous pas le terrorisme même quand il se produisait sous vos yeux.
J’étais SS-Obergruppenführer, à titre honorifique, ainsi que je l’ai indiqué pour Seyss-Inquart. Je n’avais pas de fonctions officielles dans les SS, aucun commandement, aucune autorité, absolument rien.
Et, grâce à ce régime, vous et vos collègues nazis, vous vous êtes considérablement enrichis, n’est-ce pas ? Vous, comme contrôleur des fonds de la Chancellerie du Reich, pouvez sans aucun doute nous éclairer à ce sujet.
Que possédais-je de considérable ?
Des fonds, de l’argent, des Mark, des Reichsmark.
Oui, j’avais un revenu, certainement.
Et vous étiez responsable de la distribution...
Pas en qualité de Führer SS...
Comme Chancelier du Reich, vous étiez responsable de la distribution des richesses nazies entre vous, n’est-ce pas ?
J’étais responsable de l’argent du Führer et, suivant ses instructions, je faisais les paiements qu’il me demandait de faire sur ces fonds. Je ne pouvais pas dépenser cet argent comme je le voulais.
Vous, en tant que Chancelier du Reich, avez remis 1.000.000 de Reichsmark au Dr Ley, n’est-ce pas ?
Cette somme était un don particulier du Führer au Dr Ley. Je ne fis pas ce paiement de ma propre initiative.
Et un autre million fut versé à Ribbentrop, n’est-ce pas ?
Oui, il reçut cette somme en deux versements de 500.000 Mark chacun.
Et Keitel fut un autre bénéficiaire, n’est-ce pas ? Il lui fut versé 1.000.000, n’est-ce pas ?
Il reçut une somme d’argent et un domaine, car le Führer avait renouvelé la vieille coutume prussienne de récompenser ses généraux avec des dons en terres et en argent.
Et vous-même avez reçu 600.000 Mark, n’est-ce pas ?
J’ai reçu 600.000 Mark le jour anniversaire de mes 65 ans. Cette somme me fut versée parce qu’aucun don ne m’avait été fait au cours de mes fonctions antérieures, car je n’avais jamais réclamé et aussi parce que j’avais été sinistré à deux reprises par les bombardements et ne possédais aucune propriété ou fortune personnelle. Le Führer désirait que je m’achète une petite maison.
J’ai terminé. Si Votre Honneur me permet de répéter les numéros des documents déposés, les voici : PS-3863, déposé sous le numéro GB-320 ; PS-2220, déposé sous le numéro USA-175 ; PS-686, déposé sous le numéro USA-305 ; PS-865, déposé sous le numéro USA-143 ; PS-32, déposé sous le numéro GB-321 ; PS-871, déposé sous le numéro GB-322 ; D-753 (a), déposé sous le numéro GB-323 ; PS-3601, déposé sous le numéro GB-324 ; PS-997, déposé sous le numéro RF-122 ; PS-1296, déposé sous le numéro GB-325 ; PS-1292, déposé sous les numéros USA-225 et RF-68 ; PS-3819, déposé sous le numéro GB-306.
Monsieur Elwyn Jones, avez-vous déposé le budget qui porte les chiffres que vous nous avez donnés ?
C’est à la page 1394 du budget de 1939. Pour le procès-verbal d’audience, ce sera le document PS-3873, déposé sous le numéro GB-326.
Je vous remercie.
Le Ministère Public a l’intention de faire faire un dossier d’extraits de ce volume important de documents, Votre Honneur, pour l’usage du Tribunal.
Très bien.
Colonel Pokrovsky, le Tribunal pensait qu’il n’y aurait qu’un seul contre-interrogatoire des témoins qui n’étaient pas accusés.
La Délégation soviétique désirait interroger le témoin Lammers. Il fut suggéré que l’interrogatoire serait divisé en deux : une partie des questions serait posée par la Délégation britannique et l’autre, par la Délégation soviétique.
S’il plaît à Votre Honneur...
Était-ce le seul cas qui se présentait ?
C’est un cas exceptionnel, Votre Honneur, et l’accord à ce sujet est intervenu avant que le nouveau régime d’interrogatoire fût instauré. Mon collègue, le colonel Pokrovsky, et moi-même nous sommes mis d’accord pour partager le travail ; le colonel Pokrovsky a indiqué les quelques questions qu’il désirait poser ; les représentants du Ministère Public sont tombés d’accord.
Très bien.
Le 6 novembre 1945, vous avez été interrogé par un représentant du Ministère Public soviétique. Vous rappelez-vous cet interrogatoire ?
Oui, je me souviens d’un interrogatoire par le représentant du Ministère Public soviétique.
Vous avez déclaré alors que Hitler...
Oui, j’ai témoigné...
Vous ne savez pas ce que je veux dire ; aussi ne vous pressez pas.
Vous avez déclaré que Hitler vous avait autorisé à aider Rosenberg. Vous souvenez-vous de cela ?
Oui, Rosenberg était chargé des questions politiques se rapportant aux régions de l’Est.
C’est exact ; quelle fut votre aide à Rosenberg ?
Tout d’abord, elle consista seulement à avoir un entretien avec lui, au cours duquel il discuta les plans qu’il établirait pour une administration qui pourrait éventuellement entrer en vigueur. Le Führer lui avait demandé de s’occuper personnellement de la question de savoir comment, en cas de guerre avec la Russie, le territoire qui serait occupé, devait être organisé et administré. Pour cela, M. Rosenberg...
Témoin, attendez un moment. Je ne vous ai pas demandé ce que le Führer a prié Rosenberg de faire. Je vous demande ce que le Führer vous a autorisé ou demandé de faire ? Vous m’avez dit : « D’aider Rosenberg ». De quelle façon avez-vous prêté votre aide à Rosenberg ? Vous avez participé... Un instant ! Avez-vous participé au développement, attendez un moment, je vous prie d’écouter ma question. Avez-vous participé à l’élaboration d’un plan concernant l’organisation ou l’administration des territoires de l’Est ? Me comprenez-vous ?
Je n’ai pris part à aucun projet de programme d’exploitation économique.
Je désire que vous jetiez un coup d’œil sur le document PS-1056. Vous souvenez-vous de ce document maintenant ?
Je dois tout d’abord le regarder.
Oui, c’est la raison pour laquelle je vous l’ai fait remettre.
Je ne reconnais pas ce document et je ne crois pas que ce soit moi qui l’ait rédigé. C’est apparemment un plan élaboré par Rosenberg.
En d’autres termes, vous déclarez que vous ne connaissez rien, et alors vous n’êtes pas du tout au courant de ce document ?
Il est possible que Rosenberg m’ait montré un plan de ce genre, mais en ce moment, je ne puis préciser. Si j’ai jamais eu ces trente pages en mains ou non, je ne le sais pas.
Vous avez fait hier une déposition devant le Tribunal, déposition très détaillée, sur la question de l’organisation administrative des territoires de l’Est. Comment pouviez-vous faire une déposition véridique si vous ne saviez rien de ce document essentiel ? Ce document, en particulier, établit et détermine la structure de l’administration dans les territoires qui dépendaient de Rosenberg. Me comprenez-vous ?
Je ne peux émettre aucune opinion sur ce que contient ce document ; je ne peux pas juger d’un document de trente pages, ici, sur le moment. Permettez-moi, je vous prie, de garder ce document quelque temps pour que je puisse le parcourir en entier. Je ne crois pas avoir jamais eu ce document entre les mains. L’organisation à l’Est fut exécutée par Rosenberg ; je pris part simplement au décret initial, dans lequel fut accordé à Rosenberg le pouvoir d’agir à l’Est. Mais je ne me suis pas du tout occupé des détails.
Si votre mémoire est si courte en ce qui concerne ce document, voulez-vous être assez aimable pour en regarder un autre ? Il a moins de trente pages. On va vous montrer maintenant un document signé de vous ; il a trait à la question des prisonniers de guerre soviétiques. C’est le document déposé sous le numéro URSS-361. Il y a un passage marqué dans ce document où il est dit que les prisonniers de guerre soviétiques ne devaient pas être traités selon la règle générale, qu’ils devaient être placés sous le contrôle du ministère des Territoires de l’Est. Avez-vous trouvé l’endroit ? (Pas de réponse.) Témoin Lammers, je vous demande...
Je n’ai pas encore trouvé l’endroit.
Voyez à la page 2 ; oui, à l’annexe ; pour vous guider, le passage est marqué au crayon.
Il n’y a pas de passage marqué dans le document que j’ai sous les yeux.
Colonel Pokrovsky, le document que j’ai, si c’est le même, n° PS-073, est divisé en paragraphes. Pourriez-vous lui indiquer les paragraphes ?
Un instant, s’il vous plaît. Malheureusement, le paragraphe n’est pas mentionné dans l’extrait que j’ai en mains. Cependant, on va montrer l’endroit exact au témoin. 0n indique au témoin le passage sur le document.) Le passage est vraiment marqué au crayon ; il ne l’a simplement pas remarqué. (Au témoin.) L’avez-vous trouvé ?
Oui, je l’ai trouvé maintenant.
Vous êtes convaincu maintenant qu’il est marqué au crayon ?
Oui. Le ministère des Affaires étrangères...
Je ne vous pose pas de question là-dessus ; c’est un autre passage qui m’intéresse, où l’on peut lire : « L’exception à cette règle... » L’avez-vous trouvé ?
Oui.
« L’exception à cette règle est le cas des prisonniers de guerre soviétiques » — voilà ce qui m’intéresse — « qui sont placés sous le contrôle du ministre responsable des territoires occupés de l’Est, étant donné que la Convention générale de Genève ne... » Avez-vous trouvé l’endroit ?
Oui.
Aviez-vous signé ce document ?
Je n’ai pas signé ce document, car ce fut le ministère des Affaires étrangères qui le prépara. J’ai simplement signé une lettre dans laquelle j’envoyais ce mémorandum du ministère des Affaires étrangères au ministre Rosenberg, pour information.
Ah, une note de transmission ? Vous avez envoyé votre lettre...
Dans la note de transmission, je dis que je joins un mémorandum du ministère des Affaires étrangères : « Le ministère des Affaires étrangères répond à votre lettre, etc. et je vous en fais part ». J’ai agi simplement comme intermédiaire ou agent de transmission. Je n’ai pas rédigé le mémorandum et ne l’ai pas signé.
Alors, dois-je comprendre que vous avez, en fait, prouvé l’authenticité de ce document, le document qui est passé entre vos mains ?
Je ne sais pas ; je peux seulement prouver...
Comment ? Vous ne pouvez pas le dire ? Vous nous avez dit que vous l’aviez transmis ; vous avez donné, transmis ce document à quelqu’un d’autre. L’avez-vous envoyé à quelque adresse ?
J’ai envoyé le document signé. J’ai signé la lettre informant M. Rosenberg de l’attitude prise par le ministère des Affaires étrangères. Je ne sais pas si le document inclus est authentique ou non.
Cette réponse me satisfait entièrement.
Le 5 avril, vous avez déclaré ici devant le Tribunal que la solution du problème juif fut confiée par Hitler à Göring et à Heydrich et, par la suite, au successeur de Heydrich : Kaltenbrunner. Je voudrais maintenant que vous nous disiez exactement de quelle manière Göring, Heydrich et Kaltenbrunner contribuèrent à la solution du problème juif.
Je sais seulement qu’un ordre du Führer fut transmis par le Reichsmarschall Göring à Heydrich, alors chef du RSHA. Celui-ci fut ensuite, je crois, soumis à l’autorité de Kaltenbrunner. Cet ordre était intitulé : « Solution définitive du problème juif », mais personne n’en savait le détail ni ce que ce terme signifiait. Par la suite, je fis plusieurs tentatives pour obtenir une définition claire de l’expression « solution définitive » et de ce qui était projeté à ce sujet. J’ai essayé hier d’expliquer cela, mais n’ai pas pu dire tout ce que je voulais.
On ne voit pas assez clairement par l’intermédiaire de qui et comment vous avez essayé d’éclaircir le sens de l’expression « solution définitive du problème juif ». A qui vous êtes-vous adressé ? Qui avez-vous questionné ?
D’abord, je me suis adressé à Himmler et lui ai demandé quelle en était la signification. Himmler me dit qu’il avait été chargé par le Führer d’évacuer les Juifs qui se trouveraient encore en Allemagne, et cela entraînait un certain nombre de problèmes qui étaient désignés par l’expression « solution définitive du problème juif ». C’est ce que j’ai dit hier.
Attendez une minute, témoin ; vous avez dit que Hitler confia à Göring et à Heydrich et, par la suite, à Kaltenbrunner, la charge de régler ce problème. Vous êtes-vous adressé à Göring à ce sujet ? Ou à Heydrich ? Ou à Kaltenbrunner ? Leur avez-vous posé la question dont vous me parliez ?
Non, je ne me souviens pas de l’avoir fait, car je pensais que Göring ne faisait que transmettre l’ordre du Führer. Je n’avais pas connaissance que Keitel y participa ; je n’en ai jamais entendu parler jusqu’à maintenant.
Qui vous a parlé de Keitel ? Personne n’a mentionné son nom. C’est de Heydrich qu’il s’agit.
Heydrich avait certainement cette tâche. J’ai découvert par les rapports de mes adjoints l’existence de cette tâche. Je m’intéressais à déterminer quelle était la nature de celle-ci, et je m’adressai à Himmler pour me renseigner.
Et vous n’y avez pas réussi ?
Je ne vis jamais aucun ordre écrit.
Hier, vous avez dit : « Tous, sauf moi » exprimèrent leur opinion sur les problèmes juifs. Qui étaient-ils ? Vous vous souvenez de cette déposition d’hier ?
J’ai déclaré hier que j’avais parlé de cette question à Himmler et que je me réservais à moi-même le droit de rendre compte de ces questions au Führer. J’ai également déclaré hier que j’avais eu cette conversation avec le Führer, mais que sur ce sujet ce dernier était très difficile à convaincre. J’ai déclaré hier aussi que des rumeurs avaient circulé au sujet de massacres de Juifs, ce qui me poussa à faire une enquête. J’ai aussi déclaré hier que ces rumeurs — pour autant que je parvins à le savoir — n’étaient que des on-dit. Aussi ne me restait-il rien d’autre à faire que de m’adresser au Führer à ce sujet, d’abord à Himmler, ensuite au Führer.
Témoin, je ne vous ai pas demandé ce que vous avez dit hier. Je ne veux pas entendre votre déposition une seconde fois. Ce qui m’intéresse, le point que je désire que vous éclaircissiez pour le moment est ce à quoi vous avez fait allusion hier, que « tous, sauf moi, exprimèrent leur opinion sur le problème juif ». Qui voulez-vous dire par « tous » ? Nommez-les. Qui voulez-vous dire ? Et répondez à ma question directement.
Je ne comprends pas la question.
Je vais répéter la question pour la troisième fois, pour que vous puissiez mieux la comprendre. Vous avez dit, hier, lors de votre déposition au sujet du problème juif :
« Tous, sauf moi, exprimèrent leur opinion et définirent leur attitude à l’égard du problème juif. On me demanda aussi mon opinion. »
Vous en souvenez-vous maintenant ?
Oui, je m’en souviens.
Alors ?
Le mot « tous » se réfère à tous les représentants des services qui furent invités à cette conférence. Les chefs des services intéressés furent invités à assister à toutes ces conférences du RSHA. Voilà à qui se réfère le mot « tous ».
Lesquels, parmi les accusés ici présents, y assistèrent ?
Aucun ministre n’y assista. C’était purement une conférence de spécialistes. Moi, je n’y assistais pas. Je ne sais pas exactement qui était présent à cette conférence.
Vous avez assisté à la conférence au Quartier Général de Hitler le 16 juillet 1941, n’est-ce pas ? Vous comprenez de quelle conférence je parle ? C’est celle qui avait pour but de considérer les objectifs de guerre contre l’URSS. Comprenez-vous maintenant ?
Oui.
Keitel était-il à la conférence ?
Autant que je sache, oui.
Vous rappelez-vous ce que Keitel déclara au sujet des buts de la guerre contre l’URSS ?
Je ne me souviens pas qu’il ait abordé le sujet.
Êtes-vous resté jusqu’à la fin de la conférence ?
Je pense que j’y suis resté jusqu’à la fin.
Keitel aussi ? Resta-t-il, lui aussi, jusqu’à la fin ?
Je ne m’en souviens plus aujourd’hui. Je suppose que oui, mais il est possible qu’il soit parti plus tôt.
Vous ne pouvez l’affirmer ?
Non, je n’en suis pas certain.
Le 13 octobre 1945, vous avez été interrogé par un lieutenant-colonel de l’Armée américaine et vous avez déclaré alors que Rosenberg fut nommé ministre pour les territoires de l’Est sur la demande expresse du Führer. Vous souvenez-vous de cette déclaration ?
Je sais que j’ai témoigné.
De plus, le même jour et durant le même interrogatoire, vous avez déclaré que vous n’aviez pas recommandé la nomination de Rosenberg à ce poste, car vous souleviez certaines objections quant à sa candidature. Quelles objections faisiez-vous à la candidature de Rosenberg ?
Il y avait de nombreuses objections à la nomination de Rosenberg. Celles-ci furent soulevées avant tout par Bormann. Le Reichsleiter Bormann ne voulait pas que Rosenberg occupât ce poste.
Parlez-nous de vos objections. Qu’objectiez-vous personnellement ?
Je me demandais, et je soumis la question au Führer à l’époque, si un homme comme Rosenberg était vraiment nécessaire à l’Est au cas où il se produirait des complications militaires, et alors si Rosenberg avait les capacités d’organisateur qui le rendraient apte à tenir ce poste.
C’était en avril 1941 ?
Je ne me souviens plus ; c’était au printemps.
Par ordre du ministre du Reich Rosenberg, le travail obligatoire pour les populations juives des territoires de l’Est fut introduit le 16 août 1941. Toute personne d’origine juive, de 14 à 60 ans, était astreinte au travail obligatoire. Tout refus de travailler entraînait la menace d’exécution. Étiez-vous au courant de cet ordre ?
Je ne le connaissais pas. Je ne m’en souviens pas.
Jetez un coup d’œil sur ce document et tâchez de vous rappeler. (Au Tribunal.) Monsieur le Président, ce document a été reproduit à la page 50 de la seconde partie du dossier « Vert » de Göring, qui a déjà été présenté au Tribunal sous le numéro EC-347 (USA-320).
Je ne me souviens pas de ce document.
Bien, laissons cela. Jetez un coup d’œil sur un autre document. Peut-être les souvenirs que vous conservez de ce document seront-ils plus précis.
Colonel Pokrovsky, dans le dernier document que vous venez de citer, les paragraphes de l’ordonnance ont-ils été lus devant le Tribunal pour figurer au procès-verbal ?
Je ne peux l’affirmer, Monsieur le Président. Je ne sais pas si ce paragraphe en particulier a été lu devant le Tribunal. Toute la seconde partie du dossier « Vert » de Göring a été soumise au Tribunal en tant que preuve et enregistrée sous le numéro USA-320 (document n° EC-347). Le document se rapportant à la première enquête porte le numéro EC-347. Cette partie-là a été lue devant le Tribunal. Je pense que, puisque le témoin ne se souvient pas du document, nous le présenterons à nouveau quand ce sera plus urgent, lors de l’interrogatoire d’un autre accusé. Maintenant, nous allons passer à un autre sujet. (Au témoin.) Jetez un coup d’œil sur la directive du Führer du 29 août 1941. Vous vous souviendrez aisément de ce document, puisqu’il porte votre signature. Cette directive concerne les mesures économiques à prendre dans les territoires occupés de l’Est. (Au Tribunal.) Ce document, Messieurs, est aussi l’un de ceux qui constituent la seconde partie du dossier « Vert » de Göring, il est soumis au Tribunal en langue anglaise. (Au témoin.) Maintenant, reconnaissez-vous le document ?
Oui, j’ai signé ce document. Ces mesures avaient été suggérées au Führer par le Reichsmarschall.
Très bien. Et comment expliquez-vous le fait que Keitel signait des directives ou des ordres comme celui-ci, concernant des questions administratives générales du Reich, ne touchant pas au domaine militaire ? Quelles explications donnez-vous ? Pourquoi cette directive est-elle signée par Hitler, Keitel et Lammers ?
C’était un décret du Führer ; les décrets du Führer étaient contresignés par moi-même et signés par Keitel également en sa qualité de chef de l’OKW, si les intérêts de la Wehrmacht étaient en cause. Ils pouvaient aussi parfois être signés par Bormann, si cela concernait les intérêts du Parti. La signature de Bormann...
On ne trouve pas la signature de Bormann sur ce document. Il a été signé par Hitler, Keitel et Lammers, n’est-il pas vrai ?
Il a d’abord été signé par Keitel, parce que le décret se rapporte aux territoires occupés de l’Est.
Autrement dit, Keitel était responsable des lois appliquées dans les pays occupés ? C’est cela ? Comprenez-vous bien ma question ? L’accusé Keitel était-il responsable de toutes les mesures législatives entreprises dans les territoires occupés ? Comprenez-vous ma question ?
La signature n’engage aucune responsabilité...
Alors pourquoi signait-il, quel était le but de sa signature ? Une question d’esthétique ?
Puisqu’il était intéressé à la question, qu’elle concernait son domaine, il contresignait, comme nous, mais on ne peut pas parler de responsabilité...
Vous devez le savoir mieux que personne. Malgré tout, il n’est pas très clair pourquoi sa signature devait figurer sur un tel document, et elle se trouve juste au-dessus de la vôtre. De quoi s’agit-il ?
On a présumé, sans doute, que ce décret mettait en cause les intérêts de la Wehrmacht. Le maréchal Keitel doit certainement savoir encore mieux que moi pourquoi il a signé ce document.
Vous avez lu ce document et vous pouvez constater vous-même qu’il n’y est pas question de la Wehrmacht.
J’ai deux autres questions à vous poser. Vous avez déclaré aujourd’hui que Seyss-Inquart avait le rang et portait l’uniforme d’un commandant des SS, mais qu’il n’en avait pas les droits. Est-ce exact ?
Oui, c’est exact.
Bien, doit-on conclure alors que le titre et l’uniforme de fonctionnaire de la Police était, dans le Reich, une distinction honorifique ?
Seyss-Inquart ne faisait pas partie de la Police, mais des Allgemeine SS.
Mais les SS étaient réellement utilisées pour des opérations de police, n’est-ce pas ?
Non, les Allgemeine SS n’étaient pas du tout des policiers ; c’est inexact. Et le droit de porter l’uniforme SS était une distinction particulière dans le Reich.
Le droit de porter cet uniforme lui fut accordé comme une récompense pour un certain travail accompli ?
Oui.
Une dernière question...
Ce n’était pas toujours une récompense pour un service exceptionnel, mais certaines hautes personnalités du Reich reçurent...
Votre réponse me suffit, vous n’avez pas besoin de me donner d’autres détails à ce sujet.
Maintenant, je veux vous poser une dernière question. Le 17 janvier, l’accusé Keitel demanda au Tribunal la permission de vous citer comme témoin. Dans sa requête, il déclara que vous pourriez affirmer devant le Tribunal que lui, Keitel, en qualité de Chef suprême de la Wehrmacht et des services auxiliaires militaires sous ses ordres en territoires occupés, s’opposa aux « commandos de pillage » de Rosenberg et ordonna de les arrêter. Vous avez été appelé à comparaître devant ce Tribunal pour répondre à cette question et, pour une raison inconnue, c’est la seule question qui ne vous ait pas été posée. Je voudrais que vous y répondiez maintenant. Que savez-vous de la lutte engagée par Keitel et la Wehrmacht contre les « commandos de pillage » de Rosenberg, comme les nommait Keitel ?
Je sais seulement que Rosenberg fut chargé d’acheter des objets d’art, et aussi d’obtenir des meubles des pays occupés de l’Ouest pour des bureaux des régions de l’Est. Il reçut cette tâche en sa qualité de ministre du Reich.
Témoin, vous ne m’avez pas compris... Attendez un instant ! Nous ne parlons pas des soucis de Rosenberg ; je vous demande de me dire ce que vous savez sur l’opposition soulevée par le commandement de l’Armée contre les « commandos de pillage » de Rosenberg — pour employer les termes de Keitel ? Avez-vous compris ma question ? Savez-vous quoi que ce soit à ce sujet, ou non ?
Non, je ne suis pas du tout au courant de cela.
Bien, je suis entièrement satisfait. Je n’ai plus de questions à poser au témoin.
Colonel Pokrovsky, je voudrais apporter une précision. Je vous ai entendu dire, en vous référant au document daté du 2 juin 1941, que vous avez soumis au témoin tout à l’heure, que celui-ci n’intéresse pas le domaine de l’autorité militaire. Mais il est indiqué au paragraphe 2 de ce document :
« Pour atteindre ce but, il » — c’est-à-dire Göring — « a le pouvoir de donner des ordres directement aux organismes militaires intéressés dans les territoires occupés de l’Est ».
Donc, il n’est pas exact de dire que ce document n’a pas trait du tout au domaine de l’autorité militaire.
Je pense que le Tribunal se souvient du témoignage présenté ici sur les conditions selon lesquelles Keitel signa diverses directives et lois d’ordre général. Il expliqua que ces ordres et décrets relevaient du domaine du bureau des opérations de l’État-Major. Dans ce cas particulier, la question concerne uniquement un service du Reich et n’a rien à voir avec une tâche militaire.
Je ne désire pas discuter sur ce point avec vous. Je voulais seulement vous signaler qu’il n’était pas exact de dire que le document ne mentionnait pas le domaine militaire.
Docteur Nelte, désirez-vous encore interroger le témoin ?
Monsieur le Président, je serais très reconnaissant au colonel Pokrovsky s’il voulait bien éclaircir la dernière question posée au témoin, le Dr Lammers. Il a déclaré que l’accusé Keitel a cité le Dr Lammers comme témoin pour déposer sur le fait que lui, Keitel, s’opposa à l’action de l’État-Major spécial de Rosenberg dans les territoires de l’Est. L’ai-je bien compris ? Peut-être la traduction allemande du russe était-elle défectueuse ?
Je ne suis pas sûr moi-même d’avoir compris la question, mais j’ai constaté que le témoin n’a pas pu y répondre. Je ne crois pas que cela ait une grande importance. Le témoin n’a pas pu y répondre.
Non, je croyais que le Procureur soviétique voulait dire que le Dr Lammers avait été cité comme témoin pour fournir un certain témoignage et que je ne lui avais pas posé cette question. Je voulais simplement préciser que ce n’est pas le cas ; autrement, je n’ai pas d’objection à formuler ni d’autres questions à poser au témoin pour la défense de l’accusé Keitel.
Je ne crois pas que le Tribunal estime qu’il soit nécessaire que vous approfondissiez cela. Vous avez examiné amplement toute cette question dans votre interrogatoire principal. Alors, avez-vous d’autres témoins à faire comparaître, Docteur Nelte ?
Je pourrai terminer en une demi-heure demain matin. Je n’ai pas d’autres témoins à interroger.
Je voudrais poser quelques questions au sujet du Cabinet du Reich. Vous nous avez dit que la première réunion eut lieu le 30 janvier 1933 et la dernière en novembre 1937. Y eut-il d’autres réunions en 1937 ?
Non, les réunions du cabinet ne furent remplacées par aucune autre sorte de réunions.
Ce n’est pas ce que je vous ai demandé. Veuillez écouter. Vous avez dit qu’il y eut une réunion en novembre 1937. Y en eut-il d’autres au cours de l’année 1937 ?
Oui, il y en eut quelques-unes avant cela. Il y eut plusieurs réunions du cabinet, mais pas un grand nombre. Il y en eut assez peu en 1937.
Combien de réunions en 1937, selon vous ?
Combien ? Il y eut peut-être cinq ou six réunions du cabinet. Je ne crois pas qu’il y en ait eu davantage.
Savez-vous combien il y en eut...
Peut-être moins.
Savez-vous combien il y en eut en 1936 ?
Il y eut plus de réunions du cabinet cette année-là, mais pas autant qu’au début de 1933 et 1934. Le nombre des réunions...
Cela suffit, je vous remercie.
Oui, Docteur Laternser ?
Monsieur le Président, je n’ai pas de questions à poser au témoin, je désirais simplement présenter quelques remarques sur le point suivant : Mon collègue, le Dr Nelte, n’a pas demandé à interroger d’autres témoins. Et, ce faisant, il s’est passé, entre autres, du témoignage du général Halder ; évidemment, il est dans son droit. Mais, en se passant d’interroger le témoin Halder, il empiète quelque peu sur mes propres droits. Le Tribunal se souviendra que, lorsqu’une déposition écrite lui fut soumise, le Tribunal...
Docteur Laternser, si le Dr Nelte ne fait pas comparaître le général Halder, vous pourrez alors en faire la demande vous-même et la question sera examinée. Je pense que vous l’avez déjà demandé et qu’on vous aura signalé que le Dr Nelte voulait le citer. Maintenant que le Dr Nelte ne l’a pas fait comparaître, vous pourrez renouveler votre requête, si vous le désirez et par écrit.
Monsieur le Président, je ne crois pas que ce point de vue soit tout à fait exact. Lorsque la déclaration écrite a été présentée par le Ministère Public soviétique et que la Défense émit ses objections, il fut déclaré que le témoin Halder serait appelé pour être contre-interrogé ; d’accord avec mes collègues, cette procédure fut modifiée afin que Halder pût être entendu au cours des débats relatifs à l’accusé Keitel. Le fait de ne pas faire comparaître ce témoin empiète sur mes droits. Par conséquent, je crois que j’ai le droit de demander que le témoin en question soit mis à ma disposition pour un interrogatoire.
Docteur Laternser, nous allons examiner cette question du général Halder et vous dirons notre décision demain matin. Il est cinq heures, maintenant.
Oui.
Monsieur le Président, j’aurais aimé poser certaines questions au témoin, qui ont été rendues nécessaires par le contre-interrogatoire et qui ont trait à certains sujets...
En tout cas, vous ne pourrez pas le faire ce soir. Nous examinerons la question et vous dirons notre décision demain matin. Mais vous ne pouvez pas le faire ce soir.
Je voulais simplement soulever la question, afin que le témoin soit encore mis à notre disposition demain matin.
Très bien, il sera demain à votre disposition.
Votre Honneur, permettez-moi de retenir un instant l’attention du Tribunal : M. Justice Jackson m’a demandé de porter à la connaissance du Tribunal, pour éclairer sa religion, les faits suivants, à propos de la discussion qui a eu lieu ce matin : Nous avons reçu du colonel Dostert, le texte original qui lui a été soumis par le Dr Thoma ; on peut y constater qu’un trait rouge a été marqué dans la marge pour indiquer le passage qui devait être traduit, ronéotypé et inclus dans le livre de documents. Ce matin, le Dr Thoma avait l’impression qu’il ne l’avait pas souligné et qu’il devait certainement y avoir une erreur de traduction ; le colonel Dostert nous informe qu’il ne s’est pas produit d’erreur dans la traduction et que le passage était bien souligné.
Maintenant, Docteur Nelte, nous aimerions savoir quel est votre avis au sujet du général Westhoff et au sujet de Obergruppenführer Wielen ou un nom semblable. Vous aviez été autorisé à citer ces témoins et il paraît que maintenant vous ne désirez pas le faire.
Messieurs, il me semble que le contre-interrogatoire a indiqué clairement que le Ministère Public renonçait à la charge qu’il avait à l’origine portée contre Keitel, à savoir : qu’il avait émis un ordre, ou transmis l’ordre de Hitler décrétant que les cinquante officiers de la Royal Air Force devaient être fusillés.
Sir David Maxwell-Fyfe a présenté à l’accusé Keitel les quatre points retenus à sa charge dans cette affaire ; l’accusé Keitel les a admis.
Étant donné que j’ai cité le général Westhoff comme témoin uniquement pour qu’il confirme que Keitel n’a pas donné cet ordre et ne l’a pas transmis, et étant donné que Westhoff n’assistait pas à la conférence de l’Obersalzberg et n’a donc aucune connaissance personnelle sur ce sujet, je n’ai plus besoin de faire comparaître ce témoin.
Docteur Nelte, c’est à vous de décider si vous voulez ou non le citer. Mais, à moins que Sir David Maxwell-Fyfe n’affirme qu’il a bien retiré une charge contre Keitel, je ne crois pas que vous deviez renoncer à citer le témoin, en prétextant le retrait de cette charge. Aucun retrait formel d’une charge quelconque ne s’est produit jusqu’ici. A part une déclaration de Sir David Maxwell-Fyfe, il ne me semble pas que ce soit une bonne raison pour renoncer à ce témoin, mais c’est entièrement votre affaire. Oui, Sir David ?
Votre Honneur, il n’est pas question de renoncer à aucun motif d’inculpation. En fait, le Ministère Public s’en tient à ce qui figure dans la déclaration du général Westhoff, que j’ai soumise à l’accusé Keitel. Tel est le point de vue du Ministère Public, et celui-ci s’en tient aux preuves telles qu’elles ont été présentées.
Puis-je demander au Ministère Public s’il a l’intention d’affirmer que le général Westhoff a témoigné que Keitel avait émis cet ordre ou l’avait transmis ?
Docteur Nelte, vous avez vu le document qui contient un extrait de la déposition du général Westhoff. Vous savez donc ce qu’il a dit dans cette déclaration. Sous réserve des représentations éventuelles des avocats à ce sujet, que le Tribunal prendra certainement en considération, celui-ci se propose de citer lui-même le général Westhoff, afin de savoir s’il maintient sa déclaration, et Wielen également, dont la déposition est dirigée principalement contre l’accusé Kaltenbrunner.
Alors, puis-je également demander au Ministère Public de présenter au Tribunal l’affidavit que le général Westhoff a déposé à ce sujet, afin de mettre au clair...
Lorsque vous dites l’affidavit, faites-vous allusion à sa déclaration ?
Non, je veux dire l’affidavit et non pas une simple déclaration. Jusqu’ici, le Ministère Public s’est limité aux déclarations faites sous prestation de serment. A part celles-ci, toutefois, le colonel Williams a demandé et a obtenu un affidavit du témoin Westhoff, et cet affidavit contient une déclaration formelle de Westhoff, à savoir qu’il ne désire pas déclarer et n’a jamais prétendu que Keitel ait émis au transmis aucun ordre de ce genre.
Je n’ai aucun affidavit. J’ai vérifié avec M. Roberts et nous n’en avons pas. Si mes souvenirs sont exacts, on a procédé à deux interrogatoires, l’un eut lieu plus tôt et l’autre le 2 novembre. Il y a eu deux interrogatoires, dont j’ai présenté l’un. Ils se trouvent dans le livre de documents du Dr Nelte. Je n’ai pas d’affidavit. Si j’en avais un, il va sans dire que je le présenterais tout de suite. Je ne sais pas d’où le Dr Nelte a tiré ses renseignements, mais certainement on n’a jamais porté à mon attention aucun affidavit.
Le seul document que le Tribunal possède à ce sujet est une déclaration du général Westhoff, jointe au rapport d’un certain général de brigade, dont j’ai oublié le nom. Ah oui, général de brigade Shapcott. Le Tribunal se propose de citer le général Westhoff et de lui demander si la déclaration qui figure dans ce document est conforme à la vérité.
Le Ministère Public ne voit pas la moindre objection à cela.
L’huissier audiencier fera comparaître le général Westhoff et Wielen également, demain matin à 10 heures.
Oui, Monsieur le Président.
L’audience est levée.