CENT CINQUIÈME JOURNÉE.
Jeudi 11 avril 1946.
Audience de l’après-midi.
Le Dr Kauffmann m’a dit qu’il était en mesure de lire deux contre-interrogatoires écrits que nous désirons présenter, ceux des Docteurs Mildner et Höttl. J’ai dit au Dr Kauffmann qu’il serait opportun, pour ne pas inquiéter l’accusé Kaltenbrunner, de les lire avant de terminer l’interrogatoire.
Êtes-vous d’avis qu’il serait préférable de lire maintenant ces contre-interrogatoires pour que l’accusé puisse soulever les questions qui lui paraîtront dignes d’intérêt ?
Oui. On pourrait en faire état immédiatement.
Plaise au Tribunal. Le premier affidavit est celui du Dr Rudolf Mildner :
« Je soussigné, Dr Rudolf Mildner, déclare répondre dans le présent affidavit au contre-interrogatoire que m’ont fait subir les représentants de l’Office of United States Chief of Counsel, au sujet de mon affidavit du 29 mars 1946, que j’ai rédigé, en réponse aux questions du Dr Kauffmann, à l’usage du Tribunal Militaire International.
Question n° 1. — Confirmez ou rectifiez les données biographiques suivantes.
Réponse
J’ai été nommé successivement : en décembre 1939, chef de la Gestapo à Chemnitz ; en mars 1941, chef de la Gestapo à Katowitz ; en septembre 1943, chef de la Sipo et du SD à Copenhague ; en janvier 1944, inspecteur de la Sipo et du SD à Cassel ; le 15 mars 1944, chef adjoint des groupes IV A et IV B du RSHA ; en décembre 1944, inspecteur adjoint de la Sipo et du SD à Vienne ; le même mois commandant de la Sipo à Vienne.
Toutes les nominations postérieures à janvier 1943 ont été faites par Kaltenbrunner, en sa qualité de chef de la Police de sûreté et du SD.
Question n° 2. — N’est-il pas vrai que, lorsque vous étiez chef de la Gestapo à Katowitz, vous avez fréquemment envoyé des prisonniers à Auschwitz pour y être emprisonnés ou exécutés ; que, pendant la même période, vous étiez en contact avec la section politique d’Auschwitz, au sujet des détenus envoyés du district de Katowitz ; que vous avez visité Auschwitz à plusieurs reprises ; que le tribunal d’exception SS de la Gestapo siégeait souvent à Auschwitz et que vous avez fréquemment assisté aux procès des prisonniers ; qu’en 1942, et de nouveau en 1943, à la suite d’ordres donnés par le Gruppenführer Müller, chef de la Gestapo, le commandant d’Auschwitz vous a montré les installations d’extermination ; que vous connaissez ces installations d’Auschwitz puisque vous deviez y envoyer les Juifs de votre propre territoire en vue de leur exécution ?
Réponse
Oui, c’est l’expression même des faits.
Question n° 3. — Je vous demande, à propos de votre réponse à la question n° 5 de votre affidavit du 29 mars 1946, si tous les ordres d’arrestation, de condamnation et d’exécution individuels de détenus des camps de concentration provenaient du RSHA ? Si, pour la transmission d’ordres d’exécution individuels, la voie hiérarchique allait de Himmler à Müller par l’intermédiaire de Kaltenbrunner, puis au commandant du camp de concentration ? Est-ce que le WVHA était chargé du contrôle de tous les camps de concentration, pour les questions d’administration, d’utilisation de la main-d’œuvre et de maintien de la discipline ?
Réponse
La réponse est oui à chacune de ces trois questions.
Question n° 3 bis
Est-il vrai que des entrevues avaient lieu entre le SS-Obergruppenführer Kaltenbrunner et le SS-Obergruppenführer Pohl, chef du WVHA et des camps de concentration ? Kaltenbrunner avait-il connaissance des conditions qui régnaient dans les camps de concentration ?
Réponse
Oui, et grâce à ces entrevues ainsi qu’à ses entretiens avec les deux chefs de service, les Gruppenführer Müller (IV) et Nebe (RSHA), le SS-Obergruppenführer Kaltenbrunner, ; chef de la Sipo et du SD, devait avoir eu connaissance des conditions régnant dans les camps de concentration. J’ai appris par le SS-Gruppenführer Müller, chef de l’Amt IV, que des conférences régulières avaient lieu entre le RSHA et le groupe D du WVHA.
Question n° 4. — N’est-il pas vrai qu’en juillet ou août 1944, un ordre a été donné par Himmler aux commandants et aux inspecteurs de la Sipo et du SD, par l’intermédiaire de Kaltenbrunner, en sa qualité de chef de la Sipo et du SD, précisant que les membres de tous les groupes de commandos anglo-américains devraient être remis à la Sipo par les Forces armées ; que la Sipo devait les interroger, puis les fusiller ; que les exécutions devaient être portées à la connaissance des Forces armées par un communiqué déclarant que le groupe de commando avait été détruit au cours d’un combat et que cette décision devait être considérée comme très secrète et détruite immédiatement après lecture ?
Réponse
Oui.
Question n° 5. — De votre réponse à la question n° 7 de votre affidavit du 29 mars 1946, ne ressort-il pas : a) Qu’après avoir envoyé un télégramme à Müller pour lui demander que la persécution des Juifs cessât, vous avez reçu un ordre de Himmler pour que les actions antisémites soient poursuivies ?
b) Que vous avez alors pris l’avion pour Berlin en vue de vous entretenir personnellement avec le chef de la Sipo et du SD, Kaltenbrunner, mais que celui-ci étant absent, vous avez vu son adjoint Müller, chef de l’Amt IV du RSHA, qui, en votre présence, a envoyé à Himmler un message contenant votre requête à l’effet d’arrêter la persécution des Juifs au Danemark ?
c) Que peu de temps après votre retour à Copenhague, vous avez reçu un ordre direct de Himmler, envoyé par l’intermédiaire de Kaltenbrunner, chef de la Sipo et du SD, déclarant que les actions anti-juives devaient commencer immédiatement ?
d) Que dans ce but, le Sonderkommando Eichmann, qui était subordonné à la Gestapo, a été envoyé de Berlin à Copenhague en vue de déporter les Juifs dans deux bateaux qu’il avait affrétés ?
Réponse
Je réponds par l’affirmative à chacune des questions a, b, c, d.
Question n° 6. — N’est-il pas vrai que l’entreprise du commando spécial Eichmann a échoué ; que Müller vous a ordonné de faire un rapport expliquant les causes de cet échec dans la déportation des Juifs et que vous avez envoyé ce rapport directement au chef de la Sipo et du SD, Kaltenbrunner ?
Réponse
Oui, c’est exact.
« J’ai lu les questions et les réponses ci-dessus et je jure que ces déclarations sont l’expression de la vérité, etc. »
Et maintenant, Messieurs, je vais lire le contre-interrogatoire de Wilhelm Höttl.
Vous voulez dire quelque chose ?
Je voulais demander au Tribunal la permission de répondre immédiatement à cet interrogatoire, de sorte que...
Oui, vous pourrez le faire dans un instant. Le but de cette lecture était de permettre à votre avocat de vous poser des questions à ce sujet et de vous donner l’occasion de faire tous les commentaires désirables. Le colonel Amen va maintenant lire l’autre contre-interrogatoire, et votre avocat pourra alors continuer à vous poser des questions. Comprenez-vous ?
Oui, je comprends ; mais je voulais dire que, puisque ces deux questions sont traitées séparément et concernent deux domaines différents, je pourrais d’abord exposer mon point de vue, puis...
Nous ne pouvons pas interrompre ainsi, vous pourrez prendre la parole dans un moment. Continuez, colonel Amen.
L’affidavit du Dr Mildner, daté du 9 avril 1946, devient le document USA-791 ; celui de Wilhelm Hôttl, que je vais lire, est daté du 10 avril 1946 et devient le document USA-792.
« Je soussigné, Dr Wilhelm Höttl, certifie avoir rédigé le présent affidavit en réponse à un contre-interrogatoire se rapportant à une déclaration sous serment faite par mes soins le 30 mars 1946 et qui contient les explications qui m’ont été demandées par le Dr Kauffmann au nom du Tribunal Militaire International.
Question n° 1. — A propos de la question n° 3, je vous prie de donner les renseignements suivants : a) Que voulez-vous dire lorsque vous déclarez que si des personnes appartenant au SD étaient mutées dans les Einsatz-kommando de la Sipo et du SD, elles démissionnaient du SD ? Nous attirons votre attention sur le fait qu’Ohlendorf, le chef du SD, a déclaré le contraire.
b) Expliquez votre déclaration suivant laquelle les Einsatz-kommando n’avaient rien à voir avec les exécutions. Nous attirons votre attention sur le fait que votre témoignage est également à cet égard en contradiction directe avec celui du chef du SD Ohlendorf.
c) Qu’était l’ordre sur les commissaires de Hitler et quand en avez-vous eu connaissance pour la première fois ?
Réponse
En ce qui concerne la question n° 1 a, je n’ai pas parlé dans mon affidavit d’une démission définitive du SD, mais d’une absence temporaire couvrant la période d’activité dans l’Einsatzkommando. Ce. qui signifiait que les intéressés n’exerçaient pas leurs fonctions dans le SD pendant ce temps et que ces fonctions restaient sans titulaire.
En ce qui concerne la question n° 1 b, mon affidavit semble avoir été mal interprété sur ce point. Je n’ai pas déclaré que les Einsatzkommando n’avaient rien à voir avec les exécutions, mais qu’il n’y en avait que quelques-uns qui s’en occupaient. J’ai donné comme exemple les Einsatzkommando d’Afrique, de Hongrie et de Slovaquie. J’ai dit à ce propos que ces commandos n’avaient pas à s’occuper des exécutions ; je voulais dire qu’ils n’avaient rien à voir avec les exécutions elles-mêmes.
En ce qui concerne la question n° 1 c, je ne connais pas moi-même l’ordre de Hitler sur les commissaires. Le Dr Stahlecker, qui commandait un Einsatzgruppe de la Sipo et du SD en Russie m’a dit au cours de l’été 1942 que les exécutions des commissaires et des Juifs avaient lieu sur la base de cet ordre qui préconisait l’extermination des Juifs en tant que propagateurs du bolchévisme.
Question n° 2. — A propos de la question n° 4 ; n’est-il pas exact que Heydrich, en tant que chef de la Sipo et du SD, donna à Eichmann les premières instructions concernant l’extermination des Juifs ; qu’au RSHA, le supérieur immédiat de Eichmann était Müller, chef de la Gestapo ; que Müller fut d’abord l’adjoint de Heydrich, puis de Kaltenbrunner ?
Réponse
En ce qui concerne la question n° 2, oui, j’ai entendu Eichmann dire, probablement au mois d’août 1944, que Heydrich lui avait donné ces instructions. Il est également exact que Müller, chef de la Gestapo, était le supérieur immédiat de Eichmann. Autant que je sache, Müller fut l’adjoint de Heydrich, puis de Kaltenbrunner, mais dans le seul domaine de la Gestapo, tout comme l’étaient les autres chefs de service dans leurs domaines respectifs.
Question n° 3. — A propos de la question n° 5, n’est-il pas exact que vous savez, grâce à vos entretiens avec Kaltenbrunner et Eichmann, que ceux-ci étaient originaires d’une même localité autrichienne et qu’ils étaient excellents amis ; qu’Eichmann avait toujours accès directement auprès de Kaltenbrunner, avec qui il s’entretenait souvent ; que Kaltenbrunner était très satisfait de la façon dont Eichmann remplissait ses fonctions ; que vous savez personnellement que Kaltenbrunner est allé en Hongrie en vue de discuter, avec les fonctionnaires du Gouvernement hongrois, Eichmann et les autres membres de son État-Major, le programme d’extermination dans ce pays ? Veuillez confirmer ou rectifier ces déclarations et dire tout ce qui sera nécessaire pour que votre réponse soit très claire.
Réponse
En ce qui concerne la question n° 3, j’ai appris par Eichmann qu’il fit la connaissance de Kaltenbrunner à Linz et qu’ils y servirent ensemble en 1932 dans une compagnie de SS. Je ne savais pas qu’ils étaient si bons amis, ni qu’Eichmann avait directement accès auprès de Kaltenbrunner, ni qu’ils s’entretenaient souvent. Je ne connais pas les détails de leurs relations officielles. Je ne sais pas si Kaltenbrunner a tenu des conférences sur le programme d’extermination de Juifs en Hongrie, au cours des séjours qu’il fit dans ce pays au printemps 1944. Winkelmann, ancien chef de la Police et des SS en Hongrie, doit savoir exactement ce qu’il en est puisque, à ma connaissance, il a rendu visite à des personnalités du Gouvernement hongrois, accompagné de Kaltenbrunner.
Question n° 4. — A propos de la question n° 6 : a) Ne savez-vous pas que Müller, chef de la Gestapo, s’entretenait toujours avec Kaltenbrunner sur les questions importantes qui touchaient aux affaires de son service, particulièrement sur le cas des exécutions des détenus spéciaux ?
b) Saviez-vous que Kaltenbrunner a été chef supérieur de la Police et des SS et secrétaire d’État à la sûreté en Autriche, depuis l’Anschluss jusqu’à sa nomination de chef du RSHA, c’est-à-dire pendant une période de cinq ans, au cours de laquelle son attention a été exclusivement consacrée aux affaires de Police et de sécurité ?
c) Quel est le fondement de votre déclaration d’après laquelle le service de renseignements absorbait la majeure partie de l’attention de Kaltenbrunner et tout son intérêt ?
Réponse
En ce qui concerne la question n° 4 a, les détails concernant les relations officielles entre Müller et Kaltenbrunner me sont inconnus ; cependant, j’ai pu remarquer qu’en plusieurs occasions Müller était venu voir Kaltenbrunner pour lui faire un rapport sur le travail de sa section.
En ce qui concerne la question n° 4 b, Kaltenbrunner ne s’est pas exclusivement occupé des affaires de Police et de sécurité pendant ses activités respectives de chef des SS et de la Police en Autriche ou de secrétaire d’État à la sûreté. Sans aucun doute, il s’occupait par ailleurs de questions politiques, puisque les chefs de la Police et des SS représentaient le Reichsführer SS Himmler dans tous les domaines.
En ce qui concerne la question n° 4 c, j’ai pu remarquer, en vertu des relations officielles que j’avais avec lui, que les membres des autres départements tendaient souvent à dire qu’il favorisait et secondait l’Amt III et particulièrement l’Amt VI et le Bureau militaire.
Question n° 5. — A propos de la question n° 7, voulez-vous répondre aux questions suivantes : a) Quel rôle aviez-vous personnellement à jouer dans les camps de concentration et sur quoi basez-vous votre réponse à cette question ?
b) Saviez-vous que tous les ordres de détention, de libération et d’exécution se rapportant aux camps de concentration provenaient du RSHA ?
c) Saviez-vous que le RSHA donnait directement des ordres aux commandants des camps de concentration ? Citez des ordres de ce genre dont vous avez eu personnellement connaissance.
d) Quelles sont les atrocités qui furent commises dans les camps de concentration que vous mentionnez dans votre réponse à cette question ; dites quand et comment vous avez eu connaissance de ces atrocités ?
Réponse
En ce qui concerne la question n° 5 a, je n’avais personnellement aucun rôle à jouer dans les camps de concentration ; cependant, j’en ai libéré un certain nombre d’internés et suis par conséquent au courant des difficultés que faisait en pareil cas la direction des camps, qui attirait toujours l’attention sur les ordres du WVHA et des SS, les détenus étant indispensables à l’industrie de l’armement.
En ce qui concerne la question n° 5 b, je sais que les ordres d’internement en camp de concentration et de libération provenaient du RSHA. Je ne savais pas que c’était le cas de la totalité. Je n’ai pas eu connaissance d’ordres d’exécutions donnés par le RSHA.
En ce qui concerne la question n° 5 c, je n’ai pas de détails sur cette affaire et ne connais pas personnellement d’ordres s’y rapportant. Dans les cas où je suis intervenu pour libérer des détenus, je me suis adressé moi-même soit à Kaltenbrunner, soit directement à l’Amt IV. Lorsque cela demandait trop de temps, je recevais à plusieurs reprises des réponses de fonctionnaires de l’Amt IV qui déclaraient que le service principal économique et administratif des SS (WVHA) avait fait des difficultés.
En ce qui concerne la question n° 5 d, lorsque la Hongrie fut occupée par les troupes allemandes en mars 1944, beaucoup de personnes hongroises de ma connaissance furent envoyées dans des camps de concentration. Après les avoir fait libérer, elles me parlèrent des mauvais traitements et des atrocités au camp de concentration de Mauthausen. J’envoyai alors un rapport officiel sur ce sujet au directeur des services de la Gestapo de Linz, lui demandant de mener une enquête à cet effet auprès de Ziereis, commandant du camp de concentration. Il me fut répondu que celui ci avait nié les faits. En août 1944, Eichmann me dit qu’il y avait également des camps d’extermination à côté des camps de concentration.
Question n° 6. — A propos de la question n° 9, sur quoi basez-vous votre opinion suivant laquelle Kaltenbrunner était en désaccord avec Hitler et Himmler sur le programme de l’extermination physique de la juiverie européenne ?
Réponse
En ce qui concerne cette question n° 6, Kaltenbrunner m’a dit, après son entretien avec les représentants de la Croix-Rouge internationale, en mars 1945, qu’il était opposé au programme de Hitler et de Himmler sur l’extermination de la juiverie européenne. Dans ma réponse à la question n° 9, selon laquelle Kaltenbrunner n’avait donné aucun ordre de tuer des Juifs, les mots « à ma connaissance » manquent.
Question n° 7. — A propos de la question n° 11, quel était l’Américain avec lequel vous avez prétendu que Kaltenbrunner avait pris contact, en 1943, en pays neutre ? Kaltenbrunner a-t-il consenti à aller en Suisse avec vous pour y rencontrer un représentant des Puissances alliées avec lequel vous étiez en rapport par l’intermédiaire du mouvement de résistance autrichien ? Et, si oui, quand était-ce ?
Réponse
En ce qui concerne la question n° 7, l’agent de liaison américain rencontré en 1943 était un membre de la légation américaine à Lisbonne ; je ne me souviens pas de son nom. Les rapports avec une organisation américaine en Suisse, par l’intermédiaire du mouvement de résistance autrichien, n’ont existé qu’à partir de la fin de 1944. L’accord de Kaltenbrunner pour ce voyage m’avait été donné vers le 20 avril 1945.
Question n° 8. — A propos de la question n° 12, à quelle date Kaltenbrunner a-t-il ordonné au commandant du camp de concentration de Mauthausen de rendre le camp aux troupes qui s’avançaient, et sur les instances de qui Kaltenbrunner a-t-il émis cet ordre et pour quelles raisons ?
Réponse
En ce qui concerne la question n° 8, je ne peux pas dire la date exacte de l’ordre donné par Kaltenbrunner au commandant du camp de concentration de Mauthausen de rendre le camp aux troupes qui approchaient. Cela a dû se produire dans les derniers jours d’avril 1945. Je ne sais pas sur les instances de qui et pour quelles raisons il a donné cet ordre. Il est très probable que c’est à la suite de ses entretiens avec le SS-Standartenführer Bêcher que j’ai rencontré avec lui à cette époque.
Les déclarations ci-dessus sont exactes, je les ai faites volontairement et sous l’empire d’aucune contrainte, etc.
Signé : Dr Wilhelm Höttl. »
Le Tribunal désire-t-il entendre une déclaration de l’accusé au sujet de ces deux documents ?
Oui, je vous prie de me permettre de m’expliquer immédiatement.
Donnez-nous d’abord votre point de vue sur le document de Mildner. J’attire votre attention sur la question n° 2 qui me paraît importante. Elle dit :
« Question n° 2. — N’est-il pas exact qu’en 1942 et à nouveau en 1943, le commandant d’Auschwitz, conformément aux ordres du Gruppenführer Müller, vous a montré les installations d’extermination ? »
Il semble en découler que le chef de l’Amt IV doit avoir été au courant de cette affaire...
Docteur Kauffmann, je me permets de vous interrompre. D’après ce que j’ai pu constater, au cours des dernières audiences, on emploie contre moi des méthodes de surprise avec les affidavits. C’est à mon cas que cette procédure s’est appliquée pour la première fois. Malgré cela, je suis reconnaissant qu’on me permette, même sans m’avoir laissé l’occasion de voir cet affidavit auparavant, de répondre en bloc à chacun de ses points.
A la question n° 1, on demande au Dr Mildner de préciser les fonctions qu’il assumait dans le service de sécurité ; il énumère les postes qu’il occupa de 1939 à 1944. A l’époque à laquelle j’étais en fonctions, il fut inspecteur de la Sipo et du SD à Cassel, chef de l’Amt IV, inspecteur adjoint à Vienne en 1944 et commandant de la Sipo à Vienne, également en 1944. Il dit que toutes ces nominations postérieures à janvier 1943 ont été faites par Kaltenbrunner, chef de la Police de sûreté et du SD. C’est inexact. Je n’ai jamais nommé qui que ce soit à des fonctions aussi importantes que celles qu’occupait Mildner. Si le Tribunal le lui demandait, il pourrait certainement confirmer ma déclaration. Le Ministère Public ne l’a pas apparemment interrogé sur ce sujet. Lorsqu’il s’agissait de la nomination d’un fonctionnaire de la Police de sûreté et du SD, on ne faisait que me consulter et m’avertir, car un tel fonctionnaire devait s’occuper d’un vaste service de renseignements, c’est-à-dire d’une subdivision des Amter III et IV, qui étaient sous mes ordres dans le domaine des renseignements. Comme j’étais chef de tous ces services, je devais savoir qui était nommé inspecteur à Cassel, à Vienne et à Copenhague. La personne nommée devait par la suite recevoir mes ordres. C’est la seule raison pour laquelle on portait de telles nominations à ma connaissance ; mais je n’avais pas compétence pour nommer un fonctionnaire de la Police de sûreté. C’est une grossière erreur qui s’est glissée dans cet affidavit.
En ce qui concerne la question n° 2, où l’on dit que de par les fonctions qu’il exerçait à Chemnitz et à Katowitz en 1939 et en 1941, il a dû envoyer des prisonniers à Auschwitz pour qu’ils y soient internés et exécutés, je déclare d’abord que ces faits se rapportent à une période antérieure à mon entrée en fonctions, et ensuite qu’il s’agit là d’une mesure purement exécutive prise par des services dont je n’ai jamais eu la charge. Il n’a donc pas pu agir ainsi comme mon délégué.
Au sujet de la question n° 3, le Ministère Public prétend que le tribunal d’exception de la Gestapo siégeait souvent à Auschwitz. Il dit aussi : « Vous avez souvent assisté aux procès des prisonniers — c’est-à-dire aux exécutions — et en 1942, et à nouveau en 1943, à la suite d’ordres donnés par le Gruppenführer Müller, le commandant d’Auschwitz vous a montré — à Mildner — les installations d’extermination d’Auschwitz, puisque vous deviez y envoyer les Juifs de votre territoire en vue de leur exécution ».
La seule chose qui pourrait m’être imputée est la suivante. La question est celle-ci : « Mildner a-t-il vu une fois en 1943 ces installations ou assista-t-il sur votre ordre aux exécutions ? »
Premièrement, le Ministère Public n’a pas constaté si ce « une fois » s’appliquait à la période antérieure à mon entrée en fonctions.
Je vous prie d’être un peu plus bref et d’entrer dans le sujet.
Excusez-moi, mais je voudrais pouvoir réfuter point par point, sans quoi on ne manquerait pas de me reprocher tout ce que j’aurais repoussé et tout ce que je n’aurai pas dit.
Docteur Kauffmann, nous ne voulons pas que le témoin discute ce document. Nous voulons qu’il discute des faits.
C’est bien mon avis aussi. Témoin, la question n° 3 paraît particulièrement grave. Je lis :
« Est-il exact que tous les ordres d’arrestations, d’exécutions individuelles, provenaient du RSHA » et « la voie hiérarchique normale allait de Himmler à Müller en passant par Kaltenbrunner, puis au commandant du camp de concentration » ? Sa réponse est « oui ». Veuillez répondre brièvement.
J’ai déjà dit ce matin que le pouvoir de donner des ordres d’exécutions ne revenait qu’à Himmler et pour partie au ministre de la Justice. Dans tout le Reich, personne d’autre n’avait la possibilité de donner de pareils ordres, ni l’autorité pour le faire. Malgré la voie hiérarchique Himmler-Kaltenbrunner-Müller, un tel ordre de Himmler ne passait jamais entre mes mains. Il allait directement de Himmler à Müller. Il est inopportun de poser cette question à Mildner qui n’était jamais avec moi ; s’il a fait cette affirmation, c’est une conclusion qu’il a tirée de l’organisation théorique.
C’est une question qui intéresse seulement la Défense : vous n’avez pas à en parler.
Vous ne faites pas attention à la question : on vous demande si la voie hiérarchique allait de Himmler à Millier en passant par vous ?
Monsieur le Président, j’ai déjà expliqué comment Himmler utilisait les compétences. Je vous prie de vous rappeler l’époque, de juin 1942 à la mort de Heydrich. A partir de ce moment, un ordre écrit a été publié selon lequel Himmler prenait en charge tout le RSHA et assumait toutes les fonctions de Heydrich. En janvier 1943, je fus nommé chef du RSHA après qu’il eut été annoncé que les tâches exécutives et l’autorité sur la Gestapo et la Police criminelle resteraient à Himmler, ce qui est resté inchangé, et que les chefs des Ämter IV et V, c’est-à-dire Müller et Nebe, continueraient à recevoir leurs ordres directement de Himmler. C’est la raison pour laquelle le schéma d’organisation tel qu’il existait à l’époque de Heydrich n’était plus valable pour les Ämter IV et V, dès que je suis entré en fonctions.
Je passe à la question n° 3 a. Il est dit :
« Le Dr Kaltenbrunner connaissait-il les conditions de vie dans les camps de concentration ? »
Il est vrai qu’ici aussi on n’explique pas ce que l’on entend par « conditions », mais il est probable qu’il s’agit des conditions telles qu’elles ont été décrites par les témoins entendus ici. Le témoin a répondu « oui ».
Docteur Kauffmann, vous sautez ici une phrase très importante, la dernière question n° 3. Le Ministère Public demande : « Le WVHA avait-il le contrôle de tous les camps de concentration, en ce qui concerne l’administration, l’utilisation de la main-d’œuvre et le maintien de la discipline ? » Cette phrase est d’une importance énorme, parce que le Ministère Public essaie d’enlever au WVHA toute la responsabilité de la destruction des vies humaines, pour en charger le RSHA, et si le Tribunal veut connaître la vérité...
Un moment. Voilà encore une argumentation qui n’en finit pas. La seule question qui nous intéresse, au sujet de la question n° 3 a est la suivante : une entrevue a-t-elle eu lieu entre Kaltenbrunner, Pohl et les commandants des camps de concentration ? S’il répond « non » ce sera là sa réponse à l’affidavit. C’est la seule question de fait.
Oui, je suis de votre avis : il s’agissait d’autre chose.
Accusé, je vous prie de répondre par « oui » ou par « non » à la question qui vient de vous être posée : y a-t-il eu de telles entrevues entre Pohl, Müller et vous-même ?
Je n’ai jamais eu d’entrevues avec Pohl ni avec Müller ; j’avais deux entrevues par an avec Pohl, qui, en tant que chef du WVHA, était ministre des finances de tous les SS et de la Police, et s’occupait des finances de mon service de renseignements dans la mesure où le ministre des Finances du Reich, n’y pourvoyait pas.
Je vous prie de répondre encore à une autre question : qui était responsable de l’administration des camps de concentration, du traitement général, de la nourriture, etc. ?
La responsabilité des camps de concentration, à partir du moment où un interné franchissait le seuil d’un camp jusqu’au moment où il était congédié, ou jusqu’à sa mort dans ce camp ou, troisième hypothèse, jusqu’à la fin de la guerre, au moment auquel il a été libéré, incombait uniquement au WVHA.
Encore une autre question, pour que toute cette question soit parfaitement claire. Je suppose que tout ceci tombait sous la seule compétence du WVHA, qui n’avait rien à voir avec le RSHA. Mais il est exact qu’un internement dans ces camps ne pouvait avoir lieu que sur l’initiative de la Gestapo, par l’émission d’ordres de détention préventive ?
Il n’y a aucun doute que c’est exact, en ce qui concerne les internements individuels effectués sur la base d’ordres individuels de détention préventive, qui, je l’admets et je l’ai déjà dit, étaient plus ou moins illégaux. Cependant, la plupart des internements eurent lieu, non pas sur ordre du RSHA, mais des autorités en territoire occupé, comme ce fut le cas pour les grands transports que Fichte mentionna dans le premier document.
Mais il est certain que c’étaient les services de la Police d’État qui étaient chargés de procéder aux internements ?
Non, pas eux seuls.
Mais ils y participaient ?
Un procédé d’internement était l’ordre de détention préventive de la Gestapo ; un autre était celui qui était donné par la police criminelle ou les tribunaux.
Voulez-vous également me donner une explication au sujet de la question n° 5, concernant le Danemark.
Vous n’avez pas encore traité la question n° 4 ?
Pas encore, Monsieur le Président. Accusé, je passe à la question n° 4 ; n’est-il pas exact qu’en juillet ou août 1944, un ordre a été adressé par Himmler aux commandants, par l’intermédiaire de Kaltenbrunner, pour que les membres de tous les groupes de commandos anglo-américains soient remis à la Sipo par les Forces armées ? Monsieur le Président, je voulais traiter cette question en détail a un autre moment, avec documents à l’appui, mais, si vous le désirez, je vais m’en occuper maintenant.
Cela m’est égal. Je pensais toutefois que vous feriez bien d’épuiser ce document.
Je voudrais répondre à cette question maintenant : la réponse est très simple. Le Ministère Public lui même a, à l’aide d’un document présenté sous une forme tout à fait différente, déclaré que la Gestapo s’était rendue coupable de travestir les faits. Dans ce document, le Ministère Public déclare que Müller donna son approbation, mais il est écrit ici :
« promulgué par Himmler par l’intermédiaire de Kaltenbrunner, chef de la Sipo et du SD ». Et ce document est, autant que je m’en souvienne (je n’en connais pas le numéro), signé par Müller.
Je vous présente ce document. C’est le document PS-1650 (USA-246). Il est intitulé : Service de la Gestapo de Cologne, section d’Aix-la-Chapelle ». C’est un télétype daté du 4 mars 1944, très secret. Objet : « Mesures à prendre contre les prisonniers de guerre évadés, officiers ou sous-officiers réfractaires au travail, exception faite des prisonniers de guerre anglais et américains ».
Il y a sûrement confusion, c’est un document de mars 1944 et le document auquel se rapporte notre sujet est de juillet ou d’août 1944.
Je n’entends pas.
Le document que vous présentez maintenant est un document de mars 1944. La question n° 4 se rapporte à un document de juillet ou d’août 1944.
Juillet ou août 1944 ? Je n’ai pas de document de ce genre, Votre Honneur. Peut-être l’accusé peut-il nous dire maintenant s’il existait’ un tel ordre de Himmler, et si cet ordre a été transmis par lui.
C’est ici que j’ai entendu parler de l’existence de cet ordre pour la première fois. Je crois que le Ministère Public se trompe lorsqu’il dit que la question a été posée à Mildner en juillet ou août. Je pense qu’il fait allusion au document du 4 mars 1944.
Alors vous dites que vous ne connaissez pas cet ordre de juillet 1944 ?
Je ne connais pas cet ordre et n’en ai rien su lorsque j’étais en fonctions.
Docteur Kauffmann, il est parfaitement évident n’est-ce pas, que le document auquel vous faites allusion n’a aucun rapport avec le sujet qui nous occupe, car ce document de mars a trait aux mesures à prendre contre les prisonniers de guerre évadés, officiers ou sous-officiers, exception faite des prisonniers de guerre anglais et américains. Tel est le document.
Je n’ai pas de document de juillet ou d’août 1944.
Je ne sais pas du tout s’il en existe un. Ce que je vous dis, c’est que le document que vous soumettez maintenant au témoin, daté de mars 1944, ne peut avoir trait à la question n° 4, car il concerne un sujet entièrement différent.
Oui, c’est juste, Monsieur le Président ; je crois que je puis en fournir l’explication. Je suppose que la déposition du témoin se rapporte à un ordre de Hitler, d’octobre 1942, sur les commandos et qu’on parle ici d’une conséquence de. cet ordre. Je crois qu’il en est ainsi.
Colonel Amen, pouvez-vous nous dire si le Ministère Public, en posant cette question, faisait allusion à un document de juillet ou d’août 1944 ?
Monsieur le Président, nous ne faisions pas allusion à un document présenté par le témoin : mais depuis, nous en avons obtenu confirmation par un autre document se rapportant à celui-ci ou à un autre de la même date. L’opinion du témoin est que ce document a été détruit après lecture. Mais l’existence d’un tel ordre était apparemment confirmée par un autre document que nous possédons ici et qui n’a été en aucune manière présenté au Tribunal. En d’autres termes, ce document a été produit en premier par le témoin lui-même.
Mais le document de mars 1944, auquel le Dr Kauffmann fait allusion, a-t-il quelque chose à voir dans cette affaire ?
Ce n’est pas le document en question et il n’a en tout cas rien à voir avec cette affaire.
Puis-je passer à la question suivante, Votre Honneur ?
Oui.
C’est la question de la persécution des Juifs au Danemark. Voulez-vous déclarer quelque chose à ce sujet ?
La déclaration contenue dans l’affidavit de Mildner que vous avez lue ce matin est la seule qui soit exacte.
Est-ce là votre déposition ?
Je ne me suis jamais occupé de la déportation des Juifs du Danemark. Un tel ordre n’a pu être donné que par Himmler et Mildner a confirmé le fait.
Le point c de la question n° 5 dit que « peu après votre retour à Copenhague, vous (c’est-à-dire le témoin Mildner) avez reçu un ordre direct de Himmler, envoyé par l’intermédiaire de Kaltenbrunner en sa qualité de chef... »
Un tel ordre ne m’est jamais passé entre les mains et je n’en ai jamais reçu de pareil de Himmler. C’est tout à fait impossible puisque le Danemark possédait son propre chef suprême de la Police et des SS, qui était le représentant direct de Himmler, qui lui était directement subordonné et non au RSHA. Le chef des SS et de la Police était en même temps commandant de la Sipo. Je ne pouvais pas donner d’ordres au Danemark en matière d’organisation.
Maintenant, passons à la question n° 6 :
« N’est-il pas exact que l’action entreprise par le commando spécial Eichmann fut un échec et que Müller vous ordonna (à Mildner) de faire un rapport... et de l’envoyer directement au chef de la Sipo et du SD, Kaltenbrunner » ?
Le témoin répond à cela par l’affirmative. Un tel rapport vous est-il connu ?
Non seulement je ne connais pas ce rapport, mais je sais avec certitude (car j’en ai parlé à Himmler une douzaine de fois) qu’il recevait directement tous les rapports d’Eichmann, la plupart du temps sans en informer Müller.
Passons à l’affidavit de Höttl. Je constate qu’il n’y a aucune différence importante avec l’affidavit qui m’a été donné. Le Tribunal désire-t-il que je pose des questions à ce sujet. (Au témoin.) Passons à la question n° 5 b qui déclare : « Je sais que les ordres d’internement en camps de concentration et ceux de libération provenaient du RSHA. Je ne savais pas qu’il en était ainsi de tous les ordres. Je ne suis pas au courant d’ordres d’exécution donnés par le RSHA ». Que pouvez-vous dire à cela ?
Les ordres d’exécutions n’auraient pu passer par le RSHA que si Himmler avait donné à Müller l’ordre de les transmettre. Mais je crois que cela ne se produisit que dans des cas isolés et surtout si Müller avait fait savoir à Himmler qu’un tribunal avait prononcé une décision.
Monsieur le Président, l’accusé m’a demandé, il y a quelques minutes, de pouvoir faire une déclaration au sujet du document PS-1063. Il a contesté la signature de ce document et je crois qu’il désire déclarer aujourd’hui que c’était bien, en fait, sa signature. C’est le document du RSHA du 26 juillet 1943. Le voulez-vous ?
C’est le document PS-1063 ? Avez-vous ici l’original ?
Je n’en ai qu’une photocopie et non l’original, Monsieur le Président.
De quoi s’agit-il ?
Accusé, êtes-vous prêt ?
Oui. Vous faites une erreur, Docteur Kauffmann. Je n’ai pas contesté ma signature. J’ai dit que je devais supposer que je n’ai eu connaissance de cet ordre qu’après sa publication et que le document original ne portait sans doute pas ma signature. Voilà ce que j’ai dit. Mais je me souviens, grâce à la clause « fonctionnaire assermenté », qu’il s’agissait apparemment d’un ordre dont j’avais dû, alors, signer l’original. En outre, je me rappelle, grâce aux tout premiers mots du décret « Le Reichsführer SS a décrété... » que cet ordre est basé sur un rapport que j’ai dû faire à Himmler, dans lequel (j’attire votre attention sur la date, 26 juillet 1943), je fis ma première tentative pour adoucir ou améliorer les conditions ; autrement dit, je proposai que les personnes qui étaient encore en camp de concentration fussent, dans les cas peu importants, envoyées dans des camps de rééducation et de travail, dont les conditions seraient différentes de celles des camps de concentration. C’était donc, selon moi, le résultat de mon premier entretien avec lui au cours duquel je me suis opposé au système des camps de concentration. Je voudrais aussi faire remarquer que ce décret porte le numéro II c et ne provient donc pas des bureaux de la police exécutive Gestapo et Sipo, mais de l’administration.
Cette explication nous satisfait entièrement.
Le Ministère Public vous accuse d’avoir interné des éléments indésirables au point de vue racial, dans des camps de concentration. De combien de camps de concentration avez-vous eu connaissance après votre nomination comme chef du RSHA ?
Au moment de ma nomination, je connaissais trois camps de concentration ; à la cessation de mes fonctions, il y en avait douze dans tout le Reich.
Combien y en avait-il en tout ?
Il y en avait un treizième. C’était le camp SS de représailles à Dantzig. Il y avait donc treize camps de concentration dans le Reich.
Comment expliquez-vous alors que la carte que vous avez vue ici soit couverte de tant de points rouges qui sont censés représenter des camps de concentration ?
Ce tableau est complètement faux. J’ai vu cette carte ici. Tous les centres d’armement, usines, etc. où des internés des camps de concentration étaient utilisés comme main-d’œuvre ont dû être indiqués comme camps de concentration. Je ne peux expliquer autrement ce déluge de points rouges.
Vous faites une distinction entre les camps de concentration plus petits et les camps de concentration ordinaires. En quoi consiste-t-elle ?
La différence est très claire pour les raisons suivantes : tout ouvrier employé dans les industries d’armement, c’est-à-dire chaque interné, travaillait dans la même entreprise, dans la même usine que tout autre travailleur allemand ou étranger. La seule différence était que l’ouvrier allemand, après son travail, rejoignait sa famille et que l’interné du camp de travail retournait à son camp.
On vous a accusé d’avoir créé le camp de Mauthausen et de l’avoir visité régulièrement. Le témoin Höllriegi a affirmé vous avoir vu dans ce camp, il prétend aussi vous avoir vu passant l’inspection des chambres à gaz pendant leur fonctionnement. Il existe une déclaration sous serment de Zutter, à laquelle il a déjà été fait allusion aujourd’hui, dans laquelle il est dit qu’on vous a vu à Mauthausen. Le Ministère Public en conclut donc que vous étiez au courant des conditions inhumaines du camp. Je vous pose maintenant la question suivante : ces témoignages sont-ils exacts ou erronés ? Quand avez-vous passé l’inspection de ces camps et qu’y avez-vous observé ?
Le témoignage est faux. Jusqu’en 1943, j’étais en Autriche et je n’ai jamais procédé à l’établissement d’aucun camp de concentration. Pas plus d’ailleurs que dans le Reich après 1943. Tous les camps de concentration du Reich que je connais aujourd’hui ont été créés à la suite des ordres de Himmler à Pohl.
Ceci s’applique aussi — et j’insiste là-dessus — au camp de Mauthausen. Non seulement les autorités autrichiennes n’ont en aucune façon participé à l’établissement de ce camp, mais elles furent désagréablement surprises, car telle n’était pas la conception qu’on s’en faisait en Autriche et la nécessité d’établir des camps de concentration ne s’était jamais fait sentir dans ce pays.
Et maintenant, en Allemagne, dans le Reich proprement dit ?
Que voulez-vous dire ?
Je vous interroge sur ce que vous saviez des conditions qui y régnaient ?
En ce qui concerne les conditions dans les camps de concentration, je les ai apprises au fur et à mesure par le service de renseignements du Reich et ses nouveaux réseaux de politique intérieure.
Avez-vous, comme l’affirme Höllriegi, vu des chambres à gaz en fonctionnement ?
Jamais je n’ai vu une chambre à gaz, ni en fonctionnement ni à aucun autre moment.
Vous allez trop vite. Arrêtez-vous entre les questions et les réponses et ne parlez pas trop vite. Il disait que, grâce à son service de renseignements, il avait peu à peu entendu parler des camps de concentration dans le Reich, est-ce exact ?
Oui.
Accusé, vous dites que vous avez eu, au fur et à mesure, connaissance des conditions qui régnaient dans les camps de concentration ?
Oui.
Vous souvenez-vous de ma dernière question ?
Non.
Avez-vous vu des chambres à gaz en fonctionnement ?
J’ai déjà répondu que je n’ai jamais vu une chambre à gaz ni en fonctionnement ni à un autre moment. Je ne savais pas qu’il y en eût à Mauthausen, et les témoignages à ce sujet sont entièrement faux. Je n’ai jamais mis les pieds dans le centre de détention de Mauthausen. J’ai été à Mauthausen, mais dans le camp de travail. L’agglomération de Mauthausen, si mes souvenirs sont exacts, s’étendait sur une longueur de 6 kilomètres et dans son enceinte, les centres de travail couvraient 4 kilomètres et ’ demi ou 5. Il y avait des carrières de granit, les plus vastes d’Autriche, qui appartenaient à la ville de Vienne.
On a montré une photographie sur laquelle vous vous trouviez à côté de Himmler et de Ziereis.
J’allais justement en parler. Les carrières appartenaient à la ville de Vienne, et elles représentaient un intérêt vital pour cette cité car elles fournissaient le granit pour paver les rues. Mais, d’après une loi du Reich, comme je l’appris plus tard, la ville de Vienne fut dépossédée de ces grandes carrières par le WVHA (Pohl) et fut privée, pendant un certain temps, de son approvisionnement en granit. Elle s’adressa à moi pour que j’en parle à Himmler. Il arriva que Himmler vint en tournée pour inspecter l’Allemagne du Sud ; il décida de visiter Mauthausen et l’Autriche et me demanda de m’y rencontrer. C’est ainsi que je me rendis à cette carrière avec lui. Je ne sais si à ce moment-là on me photographia. Je n’ai jamais vu cette photo et n’ai donc pu m’y reconnaître. Mais je voudrais ajouter quelque chose. Ni à cette époque, ni à une autre, Himmler ne m’emmena avec lui dans un camp de concentration ou ne m’en fit la proposition. Comme je l’ai su plus tard, il avait des raisons pour ne pas le faire. Je n’aurais pas pris part à une inspection de ce genre car je savais très bien que Himmler aurait agi avec moi comme il avait l’habitude d’agir avec ceux qu’il invitait pour de pareilles visites ; il m’aurait montré des « villages Potemkine » et non pas les conditions réelles du camp. Et à part quelques personnes faisant partie du WVHA, personne n’était admis à voir comment les choses se passaient en réalité dans les camps de concentration.
Vous me parlez de quelques personnes. N’en faisiez-vous pas partie ?
Non, ce groupe se composait de Himmler, Pohl, Müller, Glücks et des commandants de camp.
En ce qui concerne le camp de concentration de Mauthausen, il y a un document, le PS-1650 de mars 1944, appelé le décret « Kugel », qui a déjà été soumis, et sur lequel nous voudrions avoir votre opinion. Il parle du camp III :
« Mesures à prendre à l’égard des prisonniers de guerre, officiers et sous-officiers, réfractaires au travail, arrêtés après évasion, à l’exclusion des prisonniers de guerre anglais et américains ». Le Tribunal connaît la teneur de ce document. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire que je le lise. L’accusé Kaltenbrunner doit déclarer si ces faits lui sont connus.
Je n’ai pas entendu la référence.
PS-1650 (USA-246). (Le document est remis à l’accusé.)
Le moment est peut-être venu de suspendre l’audience pendant dix minutes.
Plaise au Tribunal. On m’informe que l’accusé Göring n’assiste pas à cette audience.
Avez-vous le document PS-1650 et l’avez-vous lu ?
Oui, je l’ai lu.
C’est, comme on l’a souligné, le fameux décret « Kugel ». Quand en avez-vous entendu parler ?
En fait, je ne connaissais pas ce décret. Il a dû être promulgué longtemps avant que je n’entre en fonctions. Et je n’ai pas vu non plus cette copie d’un télétype.
J’attire maintenant votre attention sur la signature : « Müller ».
Il était habilité pour signer un tel décret, au cas où il a réellement été promulgué. Mais je voudrais ajouter que j’appris en 1944-1945 par l’agent de liaison entre Himmler et Hitler, Fegelein, lorsque je fis mon compte rendu au Quartier Général qui était, je crois, déjà à Berlin, l’existence de ce décret « Kugel » dont la conception m’était tout à fait étrangère. Je lui demandai ce que c’était. Il me répondit que c’était un ordre du Führer et qu’il n’en savait pas plus. Il avait seulement entendu dire qu’il concernait un type spécial de prisonniers de guerre. Cette réponse ne me satisfit pas et, le jour même, j’envoyai un message télétypé à Himmler, lui demandant d’examiner un ordre du Führer appelé « Kugel ». A cette époque, je ne savais même pas que la Police d’État s’occupait elle-même de ce décret. Quelques jours plus tard, Müller vint me voir de la part de Himmler et me donna à lire un décret qui, cependant, ne provenait pas de Hitler mais de Himmler, et où celui-ci déclarait qu’il transmettait un ordre verbal de Hitler.
A ce propos, je répondis à Himmler que ce décret du Führer m’indiquait une fois de plus que les principes les plus élémentaires de la Convention de Genève étaient violés, quoique ceci se passât à une époque bien antérieure à mon entrée en fonctions et que d’autres violations eussent suivi celle-là. Je lui demandai d’intervenir auprès du Führer et je joignais à cette lettre un projet de lettre de Himmler à Hitler, dans laquelle Himmler demandait au Führer : a) D’annuler ce décret ; b) D’enlever à tout prix ce fardeau de la conscience des membres des services subalternes.
Quel en fut le résultat ?
Il fut positif. Bien que le décret « Kugel » ne fût pas abrogé, pas plus qu’un certain nombre d’ordres également impitoyables, le résultat fut positif en ce sens qu’en février 1945, Hitler me permit pour la première fois de prendre contact avec la Croix-Rouge internationale, chose qui avait été formellement interdite auparavant.
C’est vous qui avez entrepris cette démarche auprès de la Croix-Rouge ? Avait-elle trait à l’inspection des camps de concentration ?
A ce sujet, je dois répondre par oui et par non, car elle coïncida avec la demande faite par la Croix-Rouge et par son président, Burckhardt, à l’effet de prendre des contacts directs et immédiats. Je dois dire que ces tentatives réciproques coïncidèrent ; mais ne vous y trompez pas. En dehors de cette tentative, il y en eut d’autres — je dirais presque derrière le dos de Hitler — pour entrer en contact avec la Croix-Rouge.
J’attire par exemple l’attention sur les contacts permanents que le ministre des Affaires étrangères gardait avec elle.
Si je vous comprends bien, vous voulez citer la demande faite au professeur Burckhardt pour visiter les camps de concentration, pour la faire jouer comme circonstance atténuante ?
Oui. Mais j’aimerais en parler plus tard en détail. Cela me semble prématuré maintenant.
Le Ministère Public a déclaré qu’alors que vous étiez en fonctions, deux nouveaux camps de concentration avaient été créés à Lublin et à Herzogenbusch. En avez-vous entendu parler ? Qui a pu donner l’ordre d’établir ces deux camps ?
Je ne connais pas la date de création de ces deux camps. Ils étaient tous deux soumis, par l’intermédiaire du WVHA, aux ordres du chef de la Police et des SS des territoires occupés où ils se trouvaient, de sorte que les services centraux de Berlin n’avaient rien à y voir.
Voulez-vous, s’il vous plaît, répondre à cette question par oui ou non : le camp de concentration d’Auschwitz vous était-il connu en tant que tel ?
Non, je n’en ai entendu parler qu’en novembre 1943.
En apprenant l’existence de ce camp, avez-vous aussi appris quel en était le but, à savoir que c’était un camp d’extermination pour les Juifs amenés là par Eichmann ?
Non. Personne ne pouvait en connaître la nature exacte, car lorsqu’on demandait à Himmler pourquoi on avait installé là un camp aussi important, la réponse était toujours « à cause de la proximité des grandes entreprises d’armement » et il mentionnait Witkowitz et quelques autres. En tout cas, et je pense qu’il faut insister sur ce point, les faits qui se passèrent à Auschwitz étaient à un tel point gardés secrets que les réponses négatives, données soit par les accusés, soit par quelque autre personne, à la question posée par les Américains : « Le saviez-vous ? » doivent être considérées comme parfaitement dignes de crédit.
Les cas les plus atroces se sont produits dans ce camp d’Auschwitz. Il était sous la direction spirituelle de l’infâme Eichmann. Je vous demande maintenant quand avez-vous fait la connaissance d’Eichmann ?
Je fis la connaissance d’Eichmann dans ma ville natale, Linz. Le Ministère Public a déclaré — et a essayé d’établir aujourd’hui par un affidavit — que j’étais un ami d’Eichmann ou tout au moins en rapports étroits avec lui. Je voudrais faire la déposition suivante à ce sujet, en faisant particulièrement allusion à mon serment. Ma conception d’une relation étroite ou d’une amitié est différente. Je connaissais l’existence d’Eichmann à Linz, car son père, directeur d’une compagnie de constructions électriques, consultait mon père qui était avoué. C’est ainsi qu’ils se connaissaient. Son fils fréquentait la même école que mes frères. C’est pourquoi la déclaration de Höttl, aux termes de laquelle j’ai rencontré Eichmann dans un peloton de SS à Linz est fausse, car j’entrai dans les SS au moment où Eichmann était déjà parti pour l’Allemagne, comme je l’entendis dire plus tard. Le Ministère Public déclare que je le rencontrai pour la première fois en 1932 et pour la seconde fois en février ou mars 1945. Donc, je ne l’ai pas vu pendant 13 ans, et je ne l’ai jamais revu après cette dernière rencontre. En me basant sur ces deux rencontres, je peux tirer la conclusion que je n’étais ni un de ses amis ni une proche relation. Il est vrai que la seconde fois il m’aborda en me disant : « Je suis l’Obergruppenführer Eichmann et je viens également de Linz ». Je lui dis : « Ravi de vous rencontrer, comment vont les choses là-bas ? » Il n’y eut pas de contact officiel de service entre nous.
Le témoin Lammers a déclaré hier qu’il y eut une conférence au RSHA au sujet de la « solution finale ». Êtes-vous au courant ?
Non. Je pense que le témoin Lammers, ainsi qu’un autre témoin, ont déclaré qu’Eichmann, peut-être en mon nom, avait organisé une réunion au RSHA à Berlin, en février ou mars 1943, une prétendue discussion des chefs de service. Je dois répondre à cela que je suis en principe entré en fonctions à Berlin le 30 janvier mais qu’en fait, jusqu’en mai, je ne me suis rendu à Berlin que pour certaines occasions officielles. Je séjournais à Vienne où j’agrandissais mon service de renseignements, en vue d’un transfert éventuel à Berlin.
Une question encore : quand avez-vous, pour la première fois, entendu dire que le camp d’Auschwitz était un camp d’extermination ?
Himmler me l’a dit en 1944,
en février ou en mars. Il l’a plutôt admis que dit.
Quelle fut votre attitude à ce sujet ?
Je n’ai pas entendu la question.
Quelle attitude avez-vous adoptée lorsque vous en avez entendu parler ?
L’ordre de Hitler à Heydrich concernant la solution finale du problème juif m’était inconnu au moment où je suis entré en fonctions. Au cours de l’été 1943, j’appris par la presse étrangère et par la radio ennemie...
Ce n’est pas une réponse à votre question. Vous lui avez demandé ce qu’il a fait quand il a appris qu’Auschwitz était un camp d’extermination. Il nous fait en ce moment un long discours sur Heydrich. Vous lui demandiez son attitude. Je suppose que vous vouliez parler de ce qu’il fit quand il entendit parler pour la première fois du camp d’extermination d’Auschwitz, en février ou mars 1944. Il nous raconte maintenant une longue histoire sur Heydrich.
Essayez, s’il vous plaît, de me donner une réponse directe à cette question. Quelle a été votre attitude lorsque vous avez eu connaissance de ce fait ? Veuillez répondre d’une façon brève et précise, s’il vous plaît.
Aussitôt que j’en eus connaissance, je m’élevai exactement comme je l’avais fait auparavant, non seulement contre la solution finale, mais encore contre cette façon de traiter le problème juif. C’est pourquoi je voulais expliquer comment j’avais été amené par mon service de renseignements à connaître la question juive et comment je m’y suis opposé.
Cependant, nous ne savons pas encore ce que vous avez fait.. .
Qu’avez-vous fait ? Je vous le demande pour la dernière fois.
Pour expliquer ce que j’ai fait, je dois vous dire comment j’ai réagi. Je dois également vous dire ce que j’ai appris sur cette affaire.
Expliquez-nous seulement vos réactions.
Tout d’abord, j’ai protesté auprès de Hitler et, le lendemain, auprès de Himmler. Je n’ai pas seulement attiré leur attention sur mon opinion personnelle, sur les conceptions complètement différentes que j’avais rapportées d’Autriche et sur mes scrupules humanitaires, mais dès le premier jour, je concluai presque tous mes rapports sur la situation en disant qu’aucune puissance ennemie ne consentirait à négocier avec un Reich qui s’était rendu coupable de pareilles choses. Tels étaient les rapports que je présentai à Hitler et à Himmler, en insistant sur le fait que les services de renseignements devaient créer une atmosphère favorable aux discussions avec l’ennemi.
Quand la persécution juive a-t-elle pris fin ?
En octobre 1944.
Voulez-vous dire que cette réaction fut due à votre intervention ?
Je suis fermement convaincu que ce changement est dû à mon intervention, quoiqu’un certain nombre d’autres personnalités aient agi également dans ce sens. Mais je ne pense pas qu’il y eût quelqu’un qui, à chaque occasion, fit plus de reproches à Himmler que je n’en fis moi-même et qui eût parlé aussi ouvertement, aussi franchement et avec une telle abnégation que moi-même à Hitler.
Les instructions données à Eichmann provenaient-elles de Hitler et de Himmler et furent-elles transmises par le RSHA, ou bien est-ce un ordre de caractère personnel, donné en dehors du RSHA ?
Naturellement, je ne puis aujourd’hui que refaire l’historique de la situation puisque je n’étais pas là quand ces ordres furent donnés ; mais j’ai des raisons de croire que la voie hiérarchique empruntée par cet ordre était : Hitler-Heydrich-Eichmann, et que Himmler, peu après la mort de Heydrich, continua à travailler avec Eichmann, et probablement en excluant souvent Müller.
Le témoin Wisliceny, qui a été interrogé ici, a déclaré le 3 janvier comme je vais vous le montrer, que pratiquement, la solution finale fut obtenue entre avril 1942 et octobre 1944. Wisliceny se référait à un ordre personnel de Himmler ; il déclara qu’Eichmann fut personnellement chargé de cette mission, mais affirma également que l’extermination des Juifs se poursuivit sous Kaltenbrunner sans aucune modification ni atténuation, que les rapports d’Eichmann à ce sujet étaient envoyés à intervalles réguliers à Kaltenbrunner par l’intermédiaire de Müller, qu’en 1944, Eichmann lui-même alla voir Kaltenbrunner ; et Wisliceny affirme avoir vu la signature de Kaltenbrunner sur ces rapports à Himmler. C’est là ce qu’a rapporté Wisliceny. Ce témoignage est-il vrai dans l’ensemble ?
Il est faux, mais je peux l’expliquer. Wisliceny peut avoir vu ma signature une fois mais pas sur un rapport à Himmler que j’avais reçu d’Eichmann et de Müller. C’était sur une lettre que j’avais écrite à Himmler, dont j’avais transmis une copie à Müller et à Eichmann pour information, et dans laquelle je me référais à mon dernier rapport verbal à Himmler sur la question juive. C’est à cette occasion que j’appris pour la première fois l’activité d’Eichmann à cet égard, et pour lui faire comprendre que je ne voulais pas y être mêlé, je dis à Müller de lui donner une copie de la lettre à Himmler. Dans cette lettre, je demandais à Himmler de définir son attitude de façon que je pusse faire au Führer, qui m’avait donné l’ordre d’aller le voir, un rapport détaillé sur les activités de Himmler et demandais une décision rapide.
Le témoin Höttl a établi dans un affidavit qu’il avait appris par Eichmann qu’un nombre total de 4.000.000 ou 5.000.000 de Juifs avaient été exterminés, dont environ 2.000.000 à Auschwitz. Avez-vous appris ces chiffres ?
Je n’ai jamais entendu parler de ces chiffres, mais je me suis entretenu avec Himmler à ce sujet et lui ai demandé s’il se faisait une idée de tous ces crimes. Je lui ai posé la question pour qu’il comprît l’étendue de la catastrophe qui allait en découler. Il m’a rétorqué qu’il n’avait aucun chiffre. Je ne le crois pas ; je suis convaincu qu’il les avait.
Assumez-vous une responsabilité à cet égard ou non ?
Je dois la rejeter complètement, parce que j’espère pouvoir prouver par Burckhardt qu’il n’y eut personne qui insista plus que moi en faveur d’une autre solution de cette question.
Je me réfère maintenant au document R-135 (USA-289). C’est une lettre du commissaire du Reich de Riga, datée du 18 juin 1943. Elle se rapporte à des actes commis contre des Juifs à la prison de Minsk et à une autre lettre du commandant de la prison, adressée au commissaire général pour la Ruthénie blanche à Minsk. Voulez-vous, s’il vous plaît, faire une déclaration à propos de ce document ?
Je peux voir à la fois par la signature et le nom du destinataire que cette lettre n’a pu être portée à ma connaissance, pas plus que son contenu. Elle rapporte probablement le résultat des événements de juin 1943 qui se sont produits avant que je n’entre en fonctions, et dont l’exécution a dû s’étendre sur une longue période de temps.
Je vous présente maintenant le document D-473 (USA-522). C’est une lettre du chef de la Police de sûreté et du SD, datée du 4 décembre 1944. Le Ministère Public a également conclu de ce document que vous aviez une lourde responsabilité. Il s’agit de la lutte contre la criminalité parmi les travailleurs civils polonais et russes. La lettre déclare que, comme moyen de répression, la Police criminelle avait à sa disposition l’emprisonnement et le transfert dans un camp de concentration de tous les prisonniers asociaux ou dangereux. Ce document porte la signature « Dr Kaltenbrunner ». Qu’en pensez-vous ?
Je ne me souviens pas d’avoir jamais signé un tel décret.
Vous niez avoir signé cette lettre ? Ou, pour être plus précis, savez-vous quelque chose là-dessus ?
Non.
Je vous soumets le document PS-1276 (USA-525). Le Ministère Public s’y est référé. Il résulte de l’ordre de Hitler, du 18 octobre 1942, suivant lequel les parachutistes et les troupes de sabotage devaient être exterminés et les commandos remis au SD. Dans une lettre qui porte la signature « Müller », datée du 17 juin 1944, adressée au Commandement suprême, il est dit que les parachutistes en uniforme anglais devaient être traités conformément aux ordres de Hitler. Je vous demande si vous avez connaissance de ce document signé par Müller, daté du 17 juin 1944, et de son contenu ?
Je ne connaissais rien. Mais je voudrais dire à ce propos que cet ordre de Hitler et son attitude de principe sur cette question me furent révélés plus tard. C’était je pense, au Quartier Général, en février 1945 ; là, devant témoins, j’ai déclaré publiquement que j’étais non seulement opposé à un tel traitement des soldats et des prisonniers, mais que je refusais d’obéir à de tels ordres. Je crois qu’un autre accusé a demandé la citation d’un témoin nommé Koller ; je vous prie de demander à ce témoin qui était chef d’État-Major de l’Aviation, comment je me suis exprimé et comment j’ai défini, en présence de Hitler je crois, mon attitude sur cette question dont j’ai entendu parler pour la première fois en 1945. Je ne pouvais pas faire plus devant l’homme le plus fort et le plus puissant de l’Allemagne, qui avait dit :
« Quiconque n’obéira pas à mes ordres sera fusillé quel que soit son rang ». Je ne pouvais pas faire plus que de dire : « Je n’obéirai pas à un tel ordre ».
J’arrive maintenant au document PS-2990 (USA-526). C’est un affidavit du témoin Schellenberg. D’après ce document, en 1944, une entrevue eut lieu entre Kaltenbrunner et Müller. Kaltenbrunner est supposé avoir dit qu’il ne fallait pas intervenir dans les actes de la population contre les aviateurs terroristes, mais qu’il fallait au contraire les encourager. Je citerai quelques phrases de l’interrogatoire du témoin Schellenberg, du 3 janvier 1946, où il dit :
« En 1944, à différentes reprises, j’ai entendu des fragments d’une conversation qui avait lieu entre Kaltenbrunner et Müller. La remarque suivante de Kaltenbrunner demeure clairement dans ma mémoire : « Tous les services de la Sûreté et de la Sipo doivent « être informés que les actes commis par la population contre les « aviateurs terroristes anglais et américains ne doivent pas être « empêchés ; au contraire, l’attitude hostile de la population doit « être encouragée ».
Connaissiez-vous Schellenberg ?
Je dirai, à propos de Schellenberg...
En peu de mots, s’il vous plaît.
... et du crédit à accorder à ce document, qu’il était sous la protection de Heydrich ; lorsque j’entrai en fonctions dans mon service, il a pris la direction de l’Amt VI.
Il veut savoir si vous connaissez Schellenberg. Voilà la question à laquelle vous devez répondre. La question était : « Connaissez-vous Schellenberg ? » et vous vous lancez à nouveau dans un long discours sans répondre à la question.
Connaissiez-vous Schellenberg, oui ou non ?
Oui, évidemment. Il était le chef de l’Amt VI.
Ma seconde question : quels étaient vos rapports avec le chef de l’Amt VI ? Considérez-vous que sa déclaration est conforme à la vérité ?
Cette déclaration est fausse et je voudrais vous en donner les raisons pour que le Tribunal puisse en estimer la valeur. Schellenberg était l’ami le plus intime de Himmler. Par ordre de Himmler, il resta avec lui jusqu’au dernier jour. C’est lui qui, au nom de Himmler, entra en contact avec le comte suédois Bernadette. Il fut l’homme qui, à la dernière minute, par l’entremise de M. Mühse en Suisse, se fit des relations qui permirent à un très petit nombre de détenus juifs d’aller en Suisse, dans le but de créer rapidement une impression favorable pour Himmler et Schellenberg aux yeux de l’étranger. Il est l’homme qui, avec d’autres amis de Himmler, essaya de conclure un accord avec une organisation de rabbins aux USA, pour que les plus grands journaux américains lui fassent une bonne réputation. J’ai critiqué Himmler pour ces actes et je m’en suis plaint à Hitler en disant que ces méthodes de Himmler et de Schellenberg desservaient la cause du Reich. J’ai dit que la seule façon régulière d’agir serait la reprise immédiate des relations avec la Croix-Rouge internationale. En conséquence, j’ai prévenu Himmler devant le président Burckardt et je l’ai forcé à adopter une attitude différente à ce sujet en demandant à Burckhardt personnellement de visiter ces camps.
Mais j’ai posé une question tout à fait différente.
Oui, mais je devais dire cela pour que vous voyiez comment Schellenberg et Himmler furent déçus par mes actes et pourquoi Schellenberg a maintenant intérêt à m’accuser, comme il l’a fait dans l’affidavit, d’avoir manqué à ma parole dans le domaine international.
En d’autres termes, vous voulez dire que Schellenberg était en contradiction avec vous et vous accuse à tort ?
Oui.
Dans ce document de Schellenberg, l’affaire des 50 aviateurs est mentionnée, et Schellenberg relate que vous avez eu une entrevue avec Müller et Nebe et que vous avez essayé de trouver une excuse pour que les événements véritables soient cachés au public. Je vous demande quand avez-vous entendu parler pour la première fois de l’exécution de ces 50 aviateurs ?
C’est l’affaire de Sagan.
Quand en avez-vous entendu parler ? C’est une simple question.
Six semaines environ après l’événement.
Question suivante : voulez-vous dire par là que vous n’avez nullement participé à l’exécution, mais qu’au contraire vous avez appris la chose beaucoup plus tard ?
Oui, c’est ce que je veux dire.
Voulez-vous dire aussi que cet entretien avec Schellenberg portait uniquement sur la dernière tentative faite pour camoufler la chose ?
Il n’a pu porter que là-dessus.
J’en arrive maintenant au document PS-835 (USA-527). Le Ministère Public a également utilisé ce document contre l’accusé. C’est le décret « Nacht und Nebel », qui est un ordre de Hitler, du 7 décembre 1941. L’expression « Nacht und Nebel » vous est-elle familière ? Où l’avez-vous entendue pour la première fois ?
Je l’ai entendue pour la première fois, en juin 1945, à Londres.
Ce document que je vous ai soumis est une lettre de l’OKW datée du 2 septembre 1944, adressée à la commission allemande d’armistice. Elle est signée par le Dr Lehmann et déclare ce qui suit : « Selon ces décrets, tous les civils non allemands des territoires occupés, qui pourraient mettre en danger la sécurité ou les moyens d’action des forces occupantes par le terrorisme, le sabotage ou autre, doivent être remis à la Police de sûreté et au SD ».
Dans un cas aussi important, il semble improbable que l’affaire et le décret « Nacht und Nebel » vous soient inconnus.
Je n’en savais rien et je demande qu’on me donne la permission de clarifier la question. Puis-je tout d’abord dire qu’aucun autre document n’apporte une meilleure preuve du fait que c’est à tort que l’on a attribué un rôle exécutif au SD. Il est écrit à la quatrième ligne :
« ... mettre en danger... ou autre, doivent être remis à la Police de sûreté et au SD. »
C’est d’abord un non-sens de déclarer qu’une seule et même chose puisse être confiée à deux autorités différentes. Ou c’est la Police de sûreté, ou c’est le SD.
Cette erreur de la langue allemande s’est glissée elle-même dans le décret du Führer ; car on mentionnait Heydrich, chef de la Police de sûreté et du SD, comme chef du SD ; c’était une erreur complète. Je ne cherche pas à décharger le SD des autres actions qui peuvent peut-être lui être imputées. Je cherche simplement à prouver qu’on détermine sa compétence exécutive d’une façon erronée.
Oui, mais il n’est pas uniquement question du SD. La Police de sûreté est aussi mentionnée.
Oui, et à cela je répondrai ce qui suit : je ne connaissais pas le décret du Führer de 1941. Je vous demande de vous mettre à ma place. Au début de 1943, je vins à Berlin. Excepté quelques visites officielles, je n’entrai effectivement en fonctions qu’en mai 1943. Pendant la quatrième année de la guerre, les décrets et les règlements intérieurs du Reich et des pays occupés arrivaient par milliers et s’accumulaient sur les bureaux des fonctionnaires. Il était absolument impossible qu’un homme pût les lire tous en un an, et je ne pouvais pas connaître l’existence de tous ces règlements, même si j’avais considéré que mon devoir m’ordonnait de le faire. D’ailleurs, ce n’était pas du tout mon devoir. Je vous demande donc de considérer le fait suivant : mon activité débute le 1er février 1943. Le 2 février, Stalingrad tombait, et la plus grande catastrophe militaire...
Voilà un long discours pour répondre à la question de savoir s’il avait vu cet ordre. Il a d’abord dit qu’il ne l’avait pas vu, puis il entame cette longue explication.
Maintenant, je vais vous poser cette question. Quand vous êtes-vous rendu compte de ce que signifiait le décret « Nacht und Nebel » et ce qu’il réservait aux individus qu’il concernait ? Voulez-vous me donner une réponse précise ?
Docteur Kauffmann, j’ignorais l’existence de ce décret. Si j’avais su que cette accusation serait portée ici contre moi, j’aurais pu alors citer un témoin qui se trouve en captivité à Londres et qui aurait pu affirmer que, même à Londres, je n’avais aucune idée que ce décret existât. Nous avons abordé ce sujet en captivité.
En fin de compte, vous ne saviez rien ?
Oui, j’ignorais absolument ce décret.
J’arrive maintenant au document PS-526 que le Ministère Public a présenté sous le numéro USA-502. Il est question de l’arrivée d’une vedette ennemie en Norvège le 30 mars 1943. Le rapport contient la phrase suivante : « Ordre du Führer appliqué par le SD ». Le document n’est pas signé. Il est daté du 10 mai 1943. C’est un commandement militaire secret et il est intitulé : « Note ».
Veuillez, s’il vous plaît, faire une déclaration au sujet de cette phrase : « Ordre du Führer appliqué par le SD ».
Je ne suis pas au courant de l’exécution d’un pareil ordre du Führer. Je veux signaler que cette note est visiblement rédigée par un bureau militaire et concerne un événement qui eut lieu peu après mon entrée en fonctions, mais avant que je vienne à Berlin. Je n’ai absolument pas pu en prendre connaissance.
Il est dit à la fin du document : « Communiqué de l’Armée du 6 avril 1943 ». Et plus loin : « Dans le nord de la Norvège, un bateau ennemi, ayant à son bord des unités de sabotage, fut attaqué en approchant de la côte et détruit ».
Voyez-vous un lien entre ce rapport de l’Armée — dans la mesure où vous le connaissiez — et le décret dont nous parlons ?
Non. Naturellement, je lisais presque chaque jour les communiqués de la Wehrmacht. Mais je suis incapable de conclure, d’après leur rédaction, à toute participation d’une unité militaire sous mon autorité.
Je passe maintenant au document suivant qui a été présenté contre l’accusé par le Ministère Public, c’est le document L-37 (USA-506). Il concerne ce qu’on a appelé la responsabilité familiale. Il concerne les crimes commis contre les parents des coupables. Ce document mentionne une lettre du commandant de la Police de sûreté et du SD à Radom, datée du 19 juillet 1944, aux termes de laquelle les parents mâles des saboteurs devront être exécutés et les femmes envoyées dans des camps de concentration. (Au témoin.) Quelles explications donnez-vous au Tribunal au sujet de ce document et de toute l’affaire ?
Le rapport commence par ces mots : « La direction des SS et de la Police de l’Est a... », puis « ordonné » ou « promulgué le règlement suivant ».
La direction de la Police de l’Est est un service qui, comme tous ceux qui sont établis dans un territoire occupé, relève directement du Reichsführer SS et non d’un service central de Berlin. C’est pourquoi je ne pouvais avoir connaissance de cet ordre. Les chefs de la Police dans les territoires occupés relevaient directement de Himmler.
J’en arrive à l’accusation suivante portée par le Ministère Public a propos du camp de concentration de Dachau. Nous possédons un document à ce sujet, le PS-3462 (USA-528). C’est une déclaration du Gaustabsamtsleiter Gerdes.
Le Ministère Public accuse Kaltenbrunner d’avoir envisagé l’anéantissement du camp de Dachau et des deux autres camps voisins de Mühldorf et Landsberg à l’aide de bombes ou de poison. Je vais lire quelques phrases de ce document. Elles se trouvent au bas de la page 2 du texte allemand.
« En décembre 1944 ou en janvier 1945, je me trouvais dans le bureau du Gauleiter Giesler à Munich, 28 Ludwigstrasse, et j’eus l’occasion d’entendre parler d’un ordre secret émanant de Kaltenbrunner. Le Gauleiter Giesler reçut cet ordre en ma présence, par un messager, Après qu’il m’eut autorisé à en prendre connaissance, il le détruisit, se conformant ainsi à la consigne inscrite sur le document : « A détruire après lecture ». L’ordre qui était signé de Kaltenbrunner était rédigé à peu près ainsi : « En accord avec le « Reichsführer SS, j’ai donné des instructions à tous les services « de la Police pour que les Allemands qui, à l’avenir, prendront « part à la persécution et à l’exécution des aviateurs ennemis, ne « ne soient pas inquiétés. »
« Giesler me dit qu’il était en contact permanent avec Kaltenbrunner car l’attitude des travailleurs étrangers, et surtout des détenus des camps de concentration de Dachau, Mühldorf et de Landsberg, dont les Armées alliées approchaient, lui causaient beaucoup de souci. Un mardi, au milieu du mois d’avril 1945, le Gauleiter m’appela au téléphone, m’ordonnant de me tenir prêt à venir assister à une conférence de nuit. Au cours de notre conversation ce soir-là, le Gauleiter Giesler me révéla que l’Ober-gruppenführer Kaltenbrunner lui avait donné des instructions, en accord avec un ordre du Führer, pour que soit établi aussitôt un plan de liquidation du camp de concentration de Dachau ainsi que des deux camps de travailleurs juifs de Mühldorf et de Landsberg. D’après les instructions, l’Aviation allemande devait être appelée à détruire les deux camps de travailleurs juifs de Landsberg et de Mühldorf, car la région où ils se trouvaient venait de subir dernièrement des bombardements répétés par l’Aviation ennemie. Cette opération portait le nom de « Wolke A 1 ».
Dois-je en parler ?
Certainement. Mais d’abord connaissez-vous Gerdes ?
Je ne connais pas Gerdes, je ne l’ai jamais vu.
Connaissez-vous Giesler ?
Je l’ai vu pour la dernière fois en septembre 1942 ?
Existait-il un ordre de Hitler concernant la destruction de camps de concentration ?
Non.
Pouvez-vous donner une explication raisonnable de ce document ?
Il n’est pas humainement possible de donner une explication raisonnable de ce document étant donné que c’est une invention de A jusqu’à Z et un faux. Je déclare que ce document est un mensonge flagrant de la part de Gerdes ; et je ne puis qu’attirer votre attention sur une déposition qui confirme ma déclaration : c’est celle du Chef suprême des SS et de la Police de Bavière, le comte von Eberstein, qui qualifie lui-même la déclaration de Gerdes de tout à fait incroyable. J’aimerais réfuter ces accusations en détail comme suit. Il dit :
« Un mardi, au milieu du mois d’avril 1945, le Gauleiter m’a appelé au téléphone, m’ordonnant de me tenir prêt à venir assister à une conférence de nuit. Il révéla... que Kaltenbrunner lui avait donné des instructions, en accord avec un ordre du Führer... et ainsi de suite. »
Personne dans le Reich ne savait mieux que Hitler qui était responsable des camps de concentration et l’autorité habilitée à donner ces ordres. Il ne m’aurait et il n’aurait pas pu me donner un tel ordre, car j’étais en Autriche sur ordre personnel de Hitler depuis le 28 mars et je devais y rester jusqu’au 15 avril. Du 15 avril au 8 mai, jour où je fus fait prisonnier, y compris les jours que j’ai passés à Berlin, je puis dire exactement où je suis allé et ce que j’ai fait, de sorte que la possibilité d’un ordre en ce sens est exclue. Et, en tous cas, ces faits auraient dû se passer plus tôt : si le témoin parle de la mi-avril, il aurait dû en parler à Hitler avant cette date, sinon il n’aurait pu se tenir prêt pour une conférence de nuit avant la mi-avril.
L’existence des camps de travailleurs juifs en Bavière, annexes du camp de Dachau, m’était totalement inconnue. Et je vous demande de considérer comme une absurdité le fait qu’on m’impute d’avoir répondu en avril 1945 à un tel ordre, alors qu’en mars 1945 je discutais avec le président de la Croix-Rouge internationale, Burckhardt, sur la libération et l’assistance à donner à tous les Juifs, et que je faisais tous mes efforts pour qu’il s’intéressât personnellement aux camps des Juifs et réussissais dans cette démarche.
Aviez-vous la possibilité d’influencer l’aviation allemande à ce sujet, d’une façon quelconque ?
Je n’avais pas la possibilité de donner des ordres à l’Aviation ; j’aurais seulement pu demander au chef de l’Aviation de les donner, mais cela aurait échoué, car vous devez vous rendre compte qu’à ce moment, lorsque tout le monde savait que la guerre était sur le point de finir, l’Aviation ne se serait pas prêtée à un tel crime.
Et maintenant, avec l’autorisation du Tribunal, et parce que c’est une accusation terrible, je cite quelques phrases de ce document, car le Ministère Public les a aussi versées au dossier.
Le document continue :
« Je savais que je n’exécuterais jamais cet ordre » — c’est Gerdes qui parle — « puisque l’action « Wolke Al » était censée avoir déjà été exécutée ; des messagers de Kaltenbrunner continuaient à arriver et on supposait que j’avais discuté les détails de l’action de Mühldorf et de Landsberg avec les deux Kreisleiter intéressés. Les messagers, qui pour la plupart étaient des officiers SS, surtout des Untersturmführer SS, me faisaient lire des ordres brefs et secs. J’étais menacé de sanctions sévères, y compris l’exécution, en cas de désobéissance. Je pouvais toujours donner comme excuse à la non-réalisation du plan, que les conditions atmosphériques étaient défavorables ou que l’essence ou les bombes manquaient. C’est pourquoi Kaltenbrunner ordonna que les Juifs aillent à pied de Landsberg à Dachau, afin de les faire tomber sous le coup des mesures d’empoisonnement qui avaient lieu à Dachau, tandis que l’action de Mühldorf devait être exécutée par la Gestapo. Les ordres concernant le camp de concentration de Dachau transmis par Kaltenbrunner reçurent le nom de « Wolkenbrand » : les détenus des camps de concentration de Dachau, à l’exception des ressortissants aryens des Puissances occidentales, devaient être liquidés par empoisonnement. Le Gauleiter Giesler reçut cet ordre directement de Kaltenbrunner et, en ma présence, il discuta avec le directeur du service de santé du Gau, le Dr Harrfeld, sur la façon de se procurer la quantité de poison nécessaire. Le Dr Harrfeld promit que la quantité nécessaire serait obtenue conformément à l’ordre, et fut avisé d’attendre mes instructions ultérieures. Étant donné que je désirais empêcher l’exécution de cette action à tout prix, je ne donnai pas d’instructions ultérieures au Dr Harrfeld.
« Les détenus du camp de Landsberg venaient à peine d’arriver à Dachau qu’un messager de Kaltenbrunner vint donner l’ordre d’exécuter l’action qui portait le nom de « Wolkenbrand ». J’empêchai l’exécution des deux actions « Wolke A 1 » et « Wolkenbrand » en disant à Giesler que le front était trop près et en lui disant de transmettre cette raison à Kaltenbrunner. Celui-ci envoya des instructions écrites à Dachau pour que tous les internés membres des pays occidentaux de l’Europe soient chargés sur des camions et transportés en Suisse, tandis que le reste des internés devait être conduit à pied dans le Tyrol où la liquidation finale devait être réalisée d’une façon ou d’une autre. »
Peut-être pouvez-vous expliquer en quelques mots et sans entrer dans les détails, si ce document est ou non conforme à la vérité.
Ce document est entièrement faux.
Il est entièrement faux ?
Mais, Docteur, je dois avoir la possibilité de définir mon point de vue. Je dois avoir la possibilité d’éclaircir la question.
Vous avez déjà défini votre attitude. Si vous avez quelque chose d’important à ajouter, vous pouvez le dire maintenant.
Ces faits me semblent importants : selon cette déclaration, j’ai dû avoir des douzaines de messagers durant mon séjour en Autriche. Les personnes qui étaient avec moi étaient au nombre de deux, mon chauffeur et mon adjoint administratif, un nommé Scheitler, qui n’avait rien à voir avec la Police. Nous étions trois. Je n’aurais pas eu la possibilité d’envoyer tant de messagers. Deuxièmement, à propos de la Bavière, je n’avais aucune raison de faire des préparatifs, même sous la pression de Himmler. Pourquoi ? Parce que, en ce qui concernait la Bavière, les pleins pouvoirs furent donnés à l’Obergruppenführer Berger, le jour même où je reçus les pleins pouvoirs pour l’Autriche. De sorte que je n’avais aucune raison de prendre cette mesure. Troisièmement, je n’aurais pas pu, en conscience, exécuter des ordres aussi stupides concernant les camps de concentration, alors qu’en même temps j’ordonnais exactement le contraire. Je pense à Mauthausen, où j’avais donné l’ordre de remettre le camp entier à l’ennemi. Si vous pouvez vous mettre à la place de Himmler, c’eût été une erreur complète, étant donné que les véritables criminels étaient à Mauthausen, tandis que les gens de Dachau n’avaient rien ou presque à se reprocher. De sorte que, même si vous pouviez souscrire à l’opinion de Himmler — que justement le contraire aurait été nécessaire — de ce point de vue aussi, il est complètement stupide de m’accuser d’une telle action.
Enfin, le Ministère Public vous tient pour responsable du fait d’avoir, en tant que chef de la Police de sûreté et du SD, toléré la persécution de l’Église, en particulier de l’Église catholique, par la Gestapo. A ce sujet, je vous rappelle que le service B-2 de l’Amt IV s’occupait de questions pédagogiques et confessionnelles et que le service 1 de l’Amt IV s’occupait du catholicisme politique.
Savez-vous quelque chose sur le fait qu’au sein de ce service on jouait un double jeu à l’égard des Églises ? Il y avait un « but immédiat » et un « but lointain ».
Par « but immédiat », on voulait dire que les Églises n’auraient pas le droit de regagner un seul centimètre de terrain ; le « but lointain » signifiait que les Églises d’Allemagne devaient être détruites après la guerre. Que savez-vous de ces buts ?
Tout ce que je puis dire de ces déclarations théoriques, c’est qu’elles m’étaient complètement inconnues. La politique religieuse du Reich, comme je l’ai reconnu en 1943, a été différente. En 1943, la politique de Hitler était de maintenir une paix apparente avec les Églises, tout au moins pour la durée de la guerre. C’est-à-dire d’éviter les attaques dans la mesure du possible et de ne poursuivre que les délits individuels des membres du clergé, si l’autorisation expresse en était accordée.
Puis-je vous interrompre ? Avez-vous, au printemps 1943... ?
Oui, j’allais en venir là.
Avez-vous fait quelque démarche auprès de Hitler et quel en fut le résultat ?
Eh bien, je voulais justement vous donner un aperçu de l’état des choses tel qu’il se présente à moi. Malgré l’attitude de Hitler, je découvris que Bormann continuait à lutter activement contre les Églises. C’est pourquoi, dès le mois de mars, j’écrivis à Hitler et lui demandai plus tard oralement d’éclaircir la politique religieuse. Je lui demandai de la modifier et d’effectuer un rapprochement. Je désirais surtout qu’on adoptât une politique différente vis-à-vis du Vatican.
Je ne crois pas que vous ayez besoin d’entrer dans trop de détails.
Mais mon action fut paralysée. D’abord, Himmler s’opposa à l’idée de Hitler et ensuite, je me heurtai à une très forte résistance de la part de Bormann, qui alla même jusqu’à discréditer complètement l’ambassadeur d’Allemagne auprès du Vatican, Weizsäcker, en envoyant un individu pour contrôler ses actions.
Ces détails nous suffisent. Monsieur le Président, voulez-vous que je continue, car il est 5 heures ?
Si vous pouvez terminer brièvement, j’aimerais que vous continuiez. Pour combien de temps en avez-vous encore ?
Je pense qu’il me faudra encore une heure, car je dois parler des documents qui ont été présentés par le Ministère Public.
Avant de lever l’audience, je tiens à dire que le Tribunal siégera samedi en audience publique jusqu’à 1 heure.