CENT SIXIÈME JOURNÉE.
Vendredi 12 avril 1946.

Audience de l’après-midi.

LE PRÉSIDENT

Colonel Amen, je suppose que l’accusé désire dire quelque chose au sujet des autres documents. Je crois qu’il a déjà répondu sur le premier ?

COLONEL AMEN

Je ne sais pas s’il a terminé, Votre Honneur.

LE PRÉSIDENT (à l’accusé)

En aviez-vous terminé avec l’affidavit à la déclaration de Karwinsky ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Pas tout à fait, Votre Honneur.

LE PRÉSIDENT

Alors, continuez.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Je n’ai plus le document. Pourrait-on me le donner à nouveau ?

COLONEL AMEN

Le voici.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Ce document me m’a pas été montré au cours de l’instruction préliminaire. J’aurais pu alors y répondre en demandant la comparution du cousin du témoin Karwinsky qui était chef de l’Office des invalides à Linz, et qui porte le même nom. Il aurait pu déclarer m’avoir dit expressément que ce Karwinsky était à Dachau et n’avait jamais été à Maut-hausen. J’aimerais ajouter que le Dr Skubi, qui doit témoigner devant ce Tribunal pour une autre affaire, pourrait probablement donner des éclaircissements sur cette affaire, notamment sur le fait que le témoin Karwinsky fut arrêté tout près de la frontière suisse, au moment de sa fuite après l’Anschluss et, de là, emmené à Dachau. Les raisons pour lesquelles on l’interna à Dachau ne me sont pas connues, mais là aussi, le Dr Skubi pourra donner des renseignements à ce sujet. Je crois qu’il s’agissait de soustraire à une intervention éventuelle émanant d’Autriche cet ancien membre du Gouvernement autrichien, car Himmler pensait que le nouveau Gouvernement autrichien tenterait peut-être quelque chose en faveur de Karwinsky. Pour cette raison également, il est invraisemblable...

LE PRÉSIDENT

Votre avocat peut demander la comparution de tous les témoins que vous voulez pour réfuter ces accusations. Il peut faire une requête à cet effet, mais il est inutile d’entrer dans les détails maintenant.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Voici ce que je voudrais dire au sujet des deux autres documents : je déclare que leur contenu entier est faux. S’ils m’avaient été soumis au cours des interrogatoires préliminaires, j’aurais immédiatement demandé, comme je l’ai fait dans d’autres cas, celui du témoin Zutter par exemple,

à être ’confronté d’urgence avec lui. En ce qui concerne le témoin Zutter, j’ai demandé au moins vingt fois à celui des représentants du Ministère Public qui porte les insignes de commandant et qui est’ assis à côté du colonel Amen, d’être confronté avec le témoin qui porte contre moi des accusations aussi sérieuses. Le colonel Amen, qui représente aujourd’hui le Ministère Public, était également présent quand j’ai fait cette demande, au moment où l’on parlait de Mauthausen. Ces Messieurs se sont retirés pour conférer avec un troisième officier et se sont entretenus en anglais sur la question de la comparution de Ziereis et de Zutter. D’ailleurs, l’un et l’autre sont ici en prison. Tout cela est faux.

LE PRÉSIDENT

Je vous ai déjà dit que votre avocat pouvait demander la comparution de tous les témoins que vous désirez, pour réfuter ces déclarations.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Je vais prier mon avocat de bien vouloir faire une requête en vue de la comparution de ces témoins.

COLONEL AMEN

Accusé, qui est responsable de l’ordre de tuer tous les détenus du camp de concentration de Mauthausen, peu avant la fin de la guerre ?

Dr KAUFFMANN

Pourrais-je dire quelques mots à propos de ces documents ? On vient d’en faire état pour la première fois au cours de ce Procès. Ce n’est qu’à l’instant qu’il m’a été possible de discuter de ces graves accusations avec l’accusé. Auprès de moi également, il a contesté la véracité de ces affirmations. Je crois qu’il serait contraire à mes devoirs d’avocat que je ne demande pas dès maintenant la comparution de ces témoins. Il est possible que plus tard le Ministère Public...

LE PRÉSIDENT

Docteur Kauffmann, pourquoi voulez-vous retarder le cours des débats ? Je viens de dire que vous pouviez faire une requête à cet effet, et vous savez très bien que la requête doit être faite par écrit. J’ai dit deux fois au témoin que vous, Docteur Kauffmann, son avocat, pouviez faire une requête pour la comparution de tous les témoins que vous désirez, en vue de la réfutation de ces déclarations. A quoi bon retarder le cours des débats en vous levant et en faisant une requête verbale ?

Dr KAUFFMANN

Loin de moi l’idée de retarder le cours des débats ! Je voulais simplement déclarer que je désirais demander la comparution de ce témoin. Je ferai une demande écrite.

COLONEL AMEN

Accusé, avez-vous compris la question ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Oui, vous m’avez demandé qui avait donné l’ordre de tuer les internés de Mauthausen à la fin de la guerre, et je réponds que cet ordre m’est inconnu. J’ai donné un seul ordre au sujet de Mauthausen : celui de livrer à l’ennemi tout le camp et les détenus sans leur faire subir de mauvais traitements. J’ai dicté cet ordre en présence du témoin Dr Höttl, et il a été envoyé à Mauthausen par un agent de liaison. J’attire votre attention sur la déclaration du Dr Höttl qui confirme ce fait. Un questionnaire a été envoyé par mon avocat à une seconde personne qui était présente, pour demander une déclaration dans le même sens, mais la réponse n’est pas encore parvenue.

COLONEL AMEN

Je ne vous parle pas de cet ordre, je vous parle de l’ordre de tuer tous les détenus du camp de concentration de Mauthausen, peu avant la fin de la guerre. Qui est responsable de cet ordre ? Était-ce vous ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Non.

COLONEL AMEN

Connaissez-vous la personne qui a fait cette déclaration, Ziereis ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Parfaitement, je le connais.

COLONEL AMEN

Vous avez été photographié avec lui et Himmler ; ce document a été apporté comme preuve au Tribunal. Vous en souvenez-vous ?

ACCUSE KALTENBRUNNER

Je n’ai pas vu cette photographie ; elle a été présentée au Tribunal alors que j’étais à l’hôpital.

COLONEL AMEN

Bien, peu importe la photo, je voudrais qu’on montre à l’accusé le document PS-3870 (USA-797). Plaise au Tribunal. C’est un document assez long que je n’ai pas l’intention de lire en entier, mais c’est un des documents les plus importants de cette affaire et j’espère que le Tribunal le lira en entier, même si je ne le fais pas pour gagner du temps.

LE PRÉSIDENT

Est-ce un nouveau document ?

COLONEL AMEN

C’est un nouveau document, Votre Honneur.

LE PRÉSIDENT

Est-il en allemand ?

COLONEL AMEN

Oui. Vous remarquerez, accusé, qu’il s’agit d’une confession de Ziereis sur son lit de mort, faite à la personne qui a rédigé l’affidavit. J’attire votre attention sur les deux derniers paragraphes de la première page que nous allons lire ensemble :

« II y avait un SS pour dix détenus. Le nombre maximum de détenus était de 17.000 environ, sans compter les camps secondaires. Le nombre maximum des détenus du camp de Mauthausen, y compris les camps secondaires, était d’environ 95.000. Le nombre total de détenus qui moururent atteint 65.000. Le personnel était composé, à l’origine, d’unités Totenkopf d’un effectif de 5.000 hommes qui constituaient la garde et l’État-Major de commandement. » Et au milieu de la page suivante, le paragraphe commence par :

« En vertu d’un ordre du Reichsführer Himmler, je devais « liquider » tous les détenus sur les instructions de l’Obergruppen-führer SS, Dr Kaltenbrunner : les détenus devaient être conduits dans les tunnels de l’usine Bergkristall à Gusen, et une seule entrée devait rester ouverte. »

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Je n’ai pas trouvé ce paragraphe.

COLONEL AMEN

C’est au milieu de la page 2. Vous y êtes ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Oui.

COLONEL AMEN

« Puis, je devais faire sauter cette issue à l’aide d’explosifs, ce qui aurait entraîné la mort des détenus. Je me refusai à exécuter cet ordre qui représentait l’extermination des détenus de ce qu’on appelait le « camp-mère » de Mauthausen et des camps de Gusen 1 et Gusen 2. Les détails de ces événements sont connus de M. Wolfram et du SS-Obersturmführer Eckermann.

« On construisit au camp de concentration de Mauthausen, sur l’ordre de l’ancien Standortarzt, le Dr Krebsbach, une chambre à gaz camouflée en salle de bain. Les détenus étaient gazés dans cette salle de bains camouflée. D’autre part, une automobile spécialement construite circulait entre Mauthausen et Gusen, dans laquelle les détenus étaient gazés pendant le voyage. L’idée de la construction de cette automobile était due au Dr Wasiczki, SS-Untersturmführer et pharmacien. Personnellement, je n’ai jamais fait entrer de gaz dans cette auto, je l’ai simplement conduite, mais je savais que les détenus y étaient gazés. Cette opération était faite à la demande du SS-Hauptsturmführer Dr Krebsbach.

« Tout ce qui a été exécuté avait été ordonné par le RSHA, Himmler ou Heydrich et par le SS-Obergruppenführer Müller ou par le Dr Kaltenbrunner ; ce dernier était chef de la Police de sûreté. »

Nous passons à la page 5, un peu plus bas que le milieu de la page ; le paragraphe commence par : « Au début de l’été 1943... Avez-vous trouvé le passage ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Oui.

COLONEL AMEN

« Au début de l’été 1943, le SS-Obergruppenführer Dr Kaltenbrunner visita le camp de concentration de Mauthausen. Le commandant du camp Ziereis, le Gauleiter Eigruber, le premier chef du camp d’internement de sécurité Bach-maier et plusieurs autres personnes accompagnaient Kaltenbrunner.

J’ai vu de mes propres yeux le Dr Kaltenbrunner et les personnes qui l’accompagnaient.

« D’après le témoignage des hommes qui étaient alors chargés du transport des cadavres, les anciens détenus Albert Tiefen-bacher » — dont l’affidavit a été lu — « habitant présentement Salzbourg, et Johann Polster, habitant à Pottendorf près de Wiener-Neustadt en Autriche, 15 détenus environ furent choisis par l’Unterscharführer Winkler afin de montrer au Dr Kaltenbrunner trois modes d’exécution : le coup de feu dans la nuque, la pendaison et les gaz. Des femmes auxquelles on avait coupé les cheveux se trouvaient parmi les personnes à exécuter ; elles furent tuées d’un coup de feu dans la nuque. Les hommes chargés de porter les cadavres, dont il a été question plus haut, assistèrent à l’exécution et durent porter les corps au four crématoire. Le Dr Kaltenbrunner se rendit au four crématoire après l’exécution et alla ensuite à la carrière.

« Baldur von Schirach visita le camp à la fin de 1943 ; lui aussi se rendit à la prison et au four crématoire. »

Prétendez-vous toujours que vous n’avez rien à voir avec les ordres en question ou les faits relatés dans cet affldavit ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Je le prétends avec la plus grande énergie et je tiens à faire remarquer que vous avez déclaré, Monsieur le Procureur, que cette déposition avait été faite par Ziereis sur son lit de mort, mais que vous n’avez pas dit que ce que vous avez lu aux pages 7 et 8 n’est pas de Ziereis, mais de ce Hans Marsalek qui est responsable de ces déclarations. Ce Hans Marsalek, que je n’ai, bien entendu, jamais vu de ma vie, a, comme les autres témoins, été interné à Mauthausen. J’ai fait savoir ce que je pense de la valeur de la déclaration d’un ancien interné de camp de concentration à mon sujet, et de l’impossibilité, si même ce témoin était convoqué, de lui parler en face. Ma requête va être présentée par mon avocat. Je demande, moi aussi, à être confronté avec lui. Marsalek ne peut rien connaître de cet ordre, bien qu’il le prétende.

COLONEL AMEN

Accusé, Marsalek est simplement l’homme qui a recueilli la confession faite par Ziereis sur son lit de mort. Comprenez-vous ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Non, je ne comprends pas, parce que jusqu’ici je ne savais pas que le Ministère Public utilisât d’anciens détenus de camps de concentration pour recueillir la déposition de ’ Ziereis, qui avait été abattu de trois coups de feu dans le ventre. Je pensais que des interrogatoires de ce genre étaient menés par un représentant du Ministère Public possédant une certaine expérience juridique et pouvant donner une certaine valeur à ce témoignage.

COLONEL AMEN

II est possible, accusé, que si vous dirigiez l’accusation, vous agiriez différemment ? De toute façon, vous prétendez que tout le contenu de l’affidavit qui vient de vous être lu est faux ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

II est faux. Je n’ai jamais donné d’ordre concernant Mauthausen ; à l’exception de cet ordre unique pour lequel j’avais reçu les pleins pouvoirs et pour le contenu et la transmission duquel j’ai proposé des témoins en quantité suffisante. Mais jamais Mauthausen n’a dépendu de moi d’une façon quelconque. Je ne pouvais pas donner de tels ordres. Le Ministère Public sait parfaitement, et cela lui est prouvé par des douzaines de témoignages, qu’il n’y eut jamais de rapports de service entre moi et Mauthausen.

LE PRÉSIDENT

Accusé, vous ne semblez pas comprendre ce qu’est ce document. C’est une déclaration sous serment de Hans Marsalek. Le paragraphe 2 montre que c’est lui qui a procédé à l’interrogatoire de Ziereis qui était sur le point de mourir, en présence du commandant d’une division blindée. Il expose ensuite les déclarations de Ziereis et continue en déclarant ce qui constitue le paragraphe 3. Il est parfaitement évident pour le Tribunal que ce qui est dit dans le paragraphe 3 n’est pas ce qu’a dit Ziereis mais ce qu’a dit Marsalek, l’auteur de l’affidavit.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Je voulais simplement dire, Votre Honneur, que Marsalek, en qualité d’interné du camp, ne pouvait pas savoir que Ziereis n’a jamais été sous mes ordres, et que pour cette seule raison il est évident que Marsalek, interrogeant Ziereis, ne pouvait pas connaître les circonstances. J’ai déjà prouvé au Tribunal et au Ministère Public que les pleins pouvoirs ne m’avaient été donnés que le 19 avril.

LE PRÉSIDENT

Oui, je sais. Ce n’est qu’une question d’argumentation. J’ai simplement attiré votre attention sur le fait qu’il est parfaitement évident, d’après le document, que ce qu’a lu le colonel Amen est une déclaration de Marsalek et non pas une déclaration de Ziereis ; c’est bien la question que vous souleviez.

COLONEL AMEN

Accusé, vous souvenez-vous d’avoir donné au commandant du camp de concentration de Mauthausen, le 19 avril 1945, l’ordre de tuer au moins 1.000 personnes par jour à Mauthausen ? Est-ce vrai ou non ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Je n’ai jamais donné un tel ordre. Vous savez que...

COLONEL AMEN

Connaissiez-vous le colonel SS Ziereis, celui dont nous venons de parler à l’instant ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Oui.

COLONEL AMEN

Et vous connaissiez Kurt Bêcher ou Becker, un ancien colonel de SS ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Non.

COLONEL AMEN

Je demande qu’on montre au témoin le document PS-3762 que je dépose sous le numéro USA-798.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Vous m’avez demandé, Monsieur le Procureur, si je connaissais un colonel Becker et j’ai répondu : non. Cet homme s’appelle Kurt Bêcher.

COLONEL AMEN

Très bien. Vous le connaissez donc.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Oui, je le connais.

COLONEL AMEN

Bien.

LE PRÉSIDENT

Colonel Amen, ces documents ont-ils été traduits dans toutes les langues ?

COLONEL AMEN

Oui, je pense qu’ils ont tous été traduits. Pardon, non, on me dit qu’ils n’ont pas tous été traduits ; certains d’entre eux seulement. Celui-ci a été traduit en anglais et en allemand, mais nous n’avons pas eu le temps de les faire traduire en russe et en français ; leur traduction est en cours.

LE PRÉSIDENT

Ce sera donc fait ?

COLONEL AMEN

Oui, Monsieur le Président, on est en train de le faire.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Puis-je dire un mot ?

LE PRÉSIDENT

Pour que le procès-verbal soit complet, le Tribunal aimerait que le Ministère Public lui fasse savoir quand la traduction sera faite, afin que tout soit en ordre.

COLONEL AMEN

Parfaitement. Accusé, nous allons lire ensemble ce document :

« Je soussigné, Kurt Bêcher, ancien SS-Standartenführer, né le 12 septembre 1909 à Hambourg, déclare ce qui suit sous la foi du serment :

« 1. Entre la mi-septembre et la mi-octobre 1944, j’ai obtenu du Reichsführer SS Himmler qu’il promulguât l’ordre suivant que je reçus en deux exemplaires, destinés chacun aux SS-Obergruppenführer Kaltenbrunner et Pohl, plus un exemplaire pour moi :

« J’interdis, avec effet immédiat, toute extermination des Juifs, « et j’ordonne qu’au contraire des soins soient donnés aux personnes « malades et affaiblies. Je vous tiens » — et il veut désigner ici Kaltenbrunner et Pohl — « pour personnellement responsables,

« même dans le cas où cet ordre ne serait pas strictement observé « par les échelons subalternes. »

« J’apportai personnellement l’exemplaire de Pohl à son bureau à Berlin, et je remis également l’exemplaire de Kaltenbrunner à son secrétariat à Berlin.

« A mon avis, Kaltenbrunner et Pohl portent l’entière responsabilité, à partir de cette date, des massacres de détenus juifs.

« 2. A l’occasion de ma visite au camp de concentration de Mauthausen, le 27 avril 1945, à 9 heures du matin, je fus informé sous le sceau du secret le plus absolu par le commandant du camp, le SS-Standartenführer Ziereis, que Kaltenbrunner lui avait donné l’ordre de faire mourir au moins 1.000 hommes par jour à Mauthausen.

« Les faits mentionnés ci-dessus sont vrais. J’ai fait cette déclaration volontairement et sans contrainte. Je l’ai relue, signée, et l’ai confirmée par serment. »

Est-ce vrai ou faux, accusé ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

C’est en partie exact et en partie faux. Je vais expliquer phrase par phrase ce qu’il en est.

COLONEL AMEN

Dites-nous simplement ce que vous considérez comme faux, car, comme vous le voyez, il faut que nous avancions.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Je crois volontiers que vous voulez gagner du temps, mais il s’agit en fait d’établir si c’est moi qui suis coupable ou non. Il faut donc que je prenne position de façon précise, sinon ni vous ni le Tribunal ne pourrez connaître la vérité, et c’est, je l’espère, ce qui importe ici.

Je suis très heureux que l’on ait trouvé ce témoin Bêcher et que ce document existe, car il prouve d’abord que Himmler, en septembre ou octobre 1944, a été forcé de donner cet ordre, ce même Himmler au sujet duquel il est prouvé que depuis 1939 ou 1940 il s’était chargé, dans la plus large mesure, du crime d’assassiner les Juifs.

Il faut d’abord savoir pourquoi, en septembre ou octobre 1944, Himmler donna cet ordre. Avant d’avoir connaissance de ce document, j’ai déclaré, hier et aujourd’hui, que c’est grâce à mes représentations auprès de Hitler que cet ordre avait pu être donné et il semble évident que cet ordre de Himmler trouve son origine dans un ordre qu’il avait lui-même reçu de Hitler.

Deuxièmement, il me paraît normal que Himmler ait adressé cet ordre à Pohl en tant que responsable des camps de concentration où se trouvaient les Juifs et, troisièmement, qu’il porte ces faits à ma connaissance, moi Kaltenbrunner, qui étais son adversaire.

En ce qui concerne la personne de Bêcher, il me faut remonter un peu plus loin. Himmler a fait, par l’intermédiaire de Bêcher, les choses les plus abominables qui puissent être révélées ici. Par l’intermédiaire de Bêcher et du Joint Committee de Hongrie et de Suisse, il fit libérer des Juifs, d’abord en échange de matériel de guerre, plus tard en échange de matières premières et enfin contre des devises. J’appris l’existence de cette opération par le service de renseignements et je m’y opposai immédiatement non pas auprès de Himmler, car cela aurait été inutile, mais auprès de Hitler.

Dès ce moment, Himmler perdit auprès de Hitler la plus grande part de son crédit personnel, car cette opération était de nature à saper très sérieusement le prestige du Reich à l’étranger. Au même moment, j’avais déjà entrepris mes pourparlers avec Burck-hardt et vous comprendrez maintenant pourquoi le témoin Schellenberg a déclaré que Himmler lui avait dit : « J’ai peur, maintenant Kaltenbrunner me tient en mains ». Cela voulait dire que Kaltenbrunner avait maintenant éventé toutes ses machinations en Hongrie et en avait rendu compte à Hitler et s’y était déclaré opposé. Il voulait maintenant se couvrir en donnant cet ordre et pensait se tirer d’affaire en faisant croire, lui, Himmler, que la responsabilité en incombait à Pohl et à Kaltenbrunner. Suivant ce document, Himmler et Pohl sont responsables et le restent ; mais il fallait y faire participer Kaltenbrunner et le mettre au courant parce que Kaltenbrunner risquait un jour ou l’autre d’en informer Hitler. Tel est le sens de ce document.

Je sais que le témoin Bêcher est à Nuremberg et je vous demande instamment, Monsieur le Procureur, de le confronter avec moi. Je suis absolument en mesure de prouver à la face du monde, au moyen de ce témoin, comment, à commencer par la prise de possession de la société Weiss, A.G., en Hongrie, jusqu’à ce jour, Himmler, Pohl, Bêcher et les deux comités de Suisse et de Hongrie ont fait ces opérations et de quelle manière je m’y suis opposé.

Ce document contient encore une accusation contre moi : j’aurais donné à Ziereis, le 27 avril, dans le plus grand secret, l’ordre d’exterminer 1.000 Juifs par jour. Je vous demande de faire comparaître le plus tôt possible le témoin Höttl, qui se trouve également ici, et de lui demander quel jour j’ai dicté et envoyé par un officier de liaison à Mauthausen, l’ordre de remettre à l’ennemi le camp et tous les internés. Ce témoin vous confirmera que cet ordre a été donné plusieurs jours avant le 27 avril et que je n’ai donc pas pu ordonner le contraire le 27 avril.

Je vous serais reconnaissant de ne pas me présenter par surprise des situations vraisemblablement destinées à me confondre. Je ne serai pas confondu. Je vous le jure et je vous l’ai juré, je veux vous aider à établir la vérité.

COLONEL AMEN

Accusé, vous avez entendu au cours de ce Procès employer l’expression « traitement spécial ». Avez-vous entendu cette expression devant ce Tribunal ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Cette expression a été employée devant moi plusieurs fois par jour au cours de mon interrogatoire préliminaire, parfaitement.

COLONEL AMEN

Savez-vous ce qu’elle signifie ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Je pense — sans pouvoir m’expliquer très exactement cette expression — qu’il s’agit d’une condamnation à mort non pas prononcée par un Tribunal, mais à la suite d’un ordre de Himmler.

COLONEL AMEN

L’accusé Keitel a déclaré, je crois, qu’elle était universellement connue. Ne saviez-vous pas, n’avez-vous jamais su ce que signifiait cette expression « traitement spécial » ? Oui ou non, je vous prie.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Oui, je vous l’ai déjà dit, un ordre donné par Himmler — je pense à l’ordre de Hitler en 1941 — , par conséquent, par Hitler également, de procéder à une exécution sans procédure légale...

COLONEL AMEN

Avez-vous jamais discuté, avec le Gruppenführer Müller de l’Amt IV, de l’application du traitement spécial à certaines personnes ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Non. Je sais que le témoin Schellenberg prétend...

COLONEL AMEN

Je demande que l’on montre à l’accusé le document PS-3839, que je dépose sous le numéro USA-799. A propos, connaissiez-vous Joseph Spacil ?

LE PRÉSIDENT

Répondez à la question.

COLONEL AMEN

Connaissiez-vous Joseph Spacil ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Spassel ? Non.

COLONEL AMEN

C’est lui qui a fait l’affidavit qui est devant vous.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Le nom qui figure ici est Joseph Spacil ; je le connais.

COLONEL AMEN

Voulez-vous voir, au milieu de la première page, le paragraphe qui commence par : « Au sujet du traitement spécial... » Avez-vous trouvé le passage ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Pour comprendre le sens de ce document, il faudrait que je puisse le lire en entier.

COLONEL AMEN

Si vous vouliez lire tous les documents en entier, accusé, nous n’en finirions jamais, car la première partie n’a aucun rapport avec ce qui m’intéresse, ni avec vous.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Je veux bien croire, Monsieur le Procureur, que vous désirez accélérer les débats le plus possible ; de même, les accusés et leurs défenseurs s’efforcent de ne pas les retarder ; mais il est néanmoins nécessaire à ma défense que je puisse lire les documents sur lesquels je dois prendre position.

COLONEL AMEN

Mais, accusé, votre avocat reçoit des copies de tous ces documents, et je suis certain qu’il fera le nécessaire pour que soit utilisé en temps utile tout ce qui peut l’être à votre profit, et cela une fois que j’aurai fini de vous poser mes questions. Cela ne vous satisfait-il pas ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Non, cela ne me suffit pas, car il faut en tous cas que je sache ce qu’il y a dans ce document si je suis obligé de vous donner une réponse immédiatement.

COLONEL AMEN

Eh bien, lisez-le.

LE PRÉSIDENT

Accusé, vos intérêts sont défendus non seulement par votre propre avocat, mais aussi par le Tribunal et vous devez répondre à la question.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Oui.

COLONEL AMEN

Lisons donc, à partir du milieu de la page, la phrase qui commence par :

« Au sujet du traitement spécial, j’ai connaissance des faits suivants :

« A l’occasion des réunions des chefs de section (Amtschefs), le Gruppenführer Müller demandait fréquemment à Kaltenbrunner s’il fallait traiter spécialement tel ou tel cas ou si la question du traitement spécial se posait. La conversation se déroulait par exemple de la manière suivante : « Müller. — Obergruppenführer, « je vous prie, pour le cas B, faut-il appliquer le traitement spécial « ou non ? Kaltenbrunner. — Oui, ou soumettre le cas au Reichs- « Führer SS pour qu’il prenne une décision. » Ou bien : « Müller. — « Obergruppenführer, il n’est arrivé aucune réponse du Reichs- « Führer SS au sujet du traitement spécial pour le cas A. « Kaltenbrunner

Réclamer ». Müller remettait une pièce à Kaltenbrunner et lui demandait des instructions, comme il est décrit plus haut. Quand Müller avait avec Kaltenbrunner une conversation de ce genre, il ne mentionnait que les initiales, de sorte que les personnes assises à la table ne savaient jamais de qui il s’agissait. »

Puis les deux derniers paragraphes : « Aussi bien Müller que Kaltenbrunner ont, en ma présence, demandé le traitement spécial pour certains cas, ou proposé que le cas soit soumis au Reichsführer pour approbation du traitement spécial. J’estime que dans 50 % des cas environ, le traitement spécial a été approuvé. »

Les faits contenus dans cette déclaration, sont-ils exacts ou non ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Le contenu de cette déclaration n’est pas exact, dans le sens que vous lui donnez, Monsieur le Procureur. Vous allez voir immédiatement que l’expression tragique de « traitement spécial » est employée ici d’une façon absolument humoristique. Savez-vous ce que sont Walsertraum, dans le Walsertal, ou Winzerstube à Godesberg et leur rapport avec ce que vous appelez la Sonderbehandlung ? « Walsertraum » est l’hôtel de montagne le plus élégant et le plus mondain de toute l’Allemagne et la Winzerstube, à Godesberg, est l’hôtel bien connu où furent tenues de nombreuses conférences internationales. Dans ces deux hôtels furent logées des personnes de marque, telles que M. Poncet et M. Herriot, etc. Ils recevaient des rations triples de la ration normale d’un diplomate, c’est-à-dire neuf fois la ration d’un Allemand en temps de guerre. Ils recevaient tous les jours une bouteille de champagne, correspondaient librement avec leur famille, pouvaient recevoir des colis de leur famille restée en France. Ces internés recevaient de fréquentes visites, et l’on s’enquérait de tous leurs désirs. Voilà ce que nous appelions le « traitement spécial ».

Je peux simplement déclarer ici qu’il est possible que Müller m’en ait parlé, car il m’intéressait au plus haut degré, au point de vue de la politique étrangère et du service de renseignements, que le Reich adoptât mes idées et traitât plus humainement les étrangers. C’est à ce propos que Müller a pu m’en parler, mais Winzerstube et Godesberg qui constituaient l’aboutissement du traitement spécial étaient les deux établissements où les prisonniers politiques de marque étaient logés.

COLONEL AMEN

Accusé, aviez-vous des réunions fréquentes avec vos chefs de service, y compris Müller, comme il est indiqué dans le document ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

J’ai déclaré hier et aujourd’hui, Monsieur le Procureur, que je parlais, bien entendu, à Müller au cours des déjeuners, que nous ne prenions en commun que parce que nos trente-huit immeubles dans Berlin étaient détruits ou endommagés par les bombardements ; mais nous ne parlions pas de questions de service de l’Amt IV. Il ressort justement de ce document qu’il s’agissait de questions qui m’intéressaient au plus haut degré en tant que chef du service de renseignements.

Puis-je vous demander de ne pas abandonner tout de suite ce document : je voudrais en effet que le Tribunal sache pertinemment que ces deux établissements ont été utilisés, suivant mes vœux, pour accorder aux personnes qui y étaient internées un traitement de faveur, meilleur que celui accordé aux Allemands. C’est extrêmement important pour moi. Je vous prie donc, ou vous ferai prier par l’intermédiaire de mon avocat, de faire procéder à une enquête approfondie sur ces deux établissements et d’interroger M. Poncet, en sa qualité de chef des internés français, sur le traitement qu’il y a reçu. Il y était si bien qu’il faisait des études de français avec la femme d’un fonctionnaire de la Police criminelle et lui apprenait le français pendant des heures, au cours de promenades, sans la moindre surveillance.

COLONEL AMEN

Accusé, avez-vous, oui ou non, donné des instructions à Müller en qualité de chef de la section IV en vue de faire transporter en Allemagne du Sud ou exécuter certaines personnes internées à Berlin ? Pour vous venir en aide, je vous rappellerai que c’était en février 1945, au moment où les armées russes approchaient de Berlin. Répondez-moi par oui ou par non, si vous le pouvez.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Non, en février 1945, l’Armée russe était encore relativement loin de Berlin. Je crois que les militaires pourraient donner des renseignements précis sur l’endroit où se trouvait le front à ce moment-là ; je ne crois pas qu’à ce moment-là on ait déjà eu des raisons de procéder à une évacuation vers le Sud.

COLONEL AMEN

Connaissiez-vous Martin Sandberger, chef du groupe VI A du RSHA ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Oui, il était le plus proche collaborateur de ce Schellenberg dont il a été plusieurs fois question et l’intermédiaire entre Himmler et Schellenberg pour les renseignements.

COLONEL AMEN

Je demande que l’on présente à l’accusé le document PS-3838 que je dépose sous le numéro USA-800. J’attire votre attention sur les deux premiers paragraphes seulement de cet affidavit.

« En ma qualité de chef du groupe VI A du RSHA, j’ai eu connaissance des faits suivants :

« En février 1945, j’ai été informé par le chef de groupe, le SS-Standartenführer Steimle, qu’il était chargé de représenter Schellenberg aux réunions quotidiennes de chefs de section. A cette occasion, Müller, chef de la section IV, aurait présenté à Kaltenbrunner une liste de noms de personnes internées à Berlin ou dans la région de Berlin ; Kaltenbrunner devait décider si ces personnes devaient être transportées vers l’Allemagne du Sud ou si elles devaient être fusillées, étant donné que les armées russes approchaient de Berlin. Steimle ne savait pas de qui il s’agissait. Kaltenbrunner prenait ses décisions d’une manière extrêmement rapide et superficielle et Steimle s’était indigné devant moi d’une telle légèreté de procédé. J’en conclus que Kaltenbrunner avait donné l’ordre de procéder à un certain nombre d’exécutions parce que, si on avait ordonné l’évacuation, on n’aurait pas parlé de légèreté de procédé. »

Cet affidavit est-il vrai ou faux ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Cette déclaration n’est pas exacte, mais je suis en mesure, bien qu’elle me surprenne, de la réfuter à l’instant. J’attirerai votre attention sur les points suivants : Premièrement, le document a été rédigé le 19 novembre 1945 à Oberursel par le témoin Sandberger. Il dit dans la deuxième partie du premier paragraphe — pardon, pas dans le premier mais dans le second paragraphe — qu’il était en Angleterre avec Schellenberg et déclare : « J’appris par Schellenberg, au cours d’une promenade au camp d’internement en Angleterre... » Il est donc évident, d’après cette deuxième partie, qu’il était avec Schellenberg dans un camp près de Londres, où je suis resté moi-même pendant dix semaines, et qu’ils eurent ensemble des conversations détaillées.

C’est très important car, en ce qui concerne la personne de Schellenberg, il y a encore bien des choses à dire. Sandberger avait-il donc déjà eu des informations par Steimie en février 1945, ou ne les a-t-il obtenues que par l’intermédiaire de Schellenberg, au cours de leur détention commune à Londres ? Cette question ne peut être résolue qu’en faisant interroger Sandberger directement par mon avocat. Jusqu’à ce que cela ait été fait, je ne peux que réfuter cette déclaration.

COLONEL AMEN

Bien...

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Non, j’en ai encore pour un bon moment, Monsieur le Procureur.

En second lieu, Sandberger prétend avoir appris par Steimle ce que Steimie avait entendu dire. Pour ma part, je n’oserais pas accorder trop de crédit à une information de troisième ou de quatrième main. Je dois en tout cas contester de la manière la plus formelle cette déclaration de Steimie. Je n’ai jamais eu les pouvoirs nécessaires pour prendre de telles décisions et, d’autre part, ni Steimie, ni Sandberger, ni Schellenberg ne pouvaient douter à cette époque que seul Himmler fût habilité à prendre de telles décisions.

En troisième lieu, je n’ai eu connaissance d’un traitement comme celui-ci pour les détenus que dans un seul cas. Je suis intervenu moi-même et l’ai fait savoir dans ce milieu. Il s’agissait de Schuschnigg, dont la situation était, elle aussi, menacée par le front russe. Le 1er février 1945, je me souviens parfaitement de la date, et un autre accusé peut en témoigner, cet autre accusé me demanda : « Ne pourrait-on pas faire quelque chose pour Schuschnigg afin qu’il ne tombe pas entre les mains des Russes ? » Je répondis :

« Voulez-vous faire au Führer, ou voulez-vous que je lui fasse, la proposition de remettre Schuschnigg en liberté, ou tout au moins de l’emmener dans un lieu tel qu’il ne tombe pas aux mains des Russes mais dans celles des Américains ? » Sur quoi, l’un d’entre nous, je ne sais plus lequel, peut-être les deux, fit cette proposition à Hitler.

LE PRÉSIDENT

Vous vous étendez beaucoup trop. Le Tribunal comprend très bien ce que vous voulez dire, à savoir que ce témoignage ne repose que sur des on-dit, ce qui est évident. Mais la question à laquelle vous devez répondre est celle de savoir si Müller vous a remis à cette occasion une liste de noms. Si nous vous comprenons bien, vous dites qu’il ne l’a pas fait. Nous ne voulons pas que vous argumentiez sur cette question.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Non, Votre Honneur, Müller ne m’a pas présenté de liste. Mais je dois néanmoins prendre position d’une manière quelconque car ce document m’est présenté aujourd’hui pour la première fois et je ne veux pas donner au Tribunal l’impression que je ne peux me défendre qu’après des heures de discussion avec mon avocat. Je veux au contraire dire immédiatement et en face du Procureur qu’il n’en est pas ainsi. Je veux démontrer, sous une forme quelconque, la véracité de mes dires. Je ne puis pas répondre immédiatement aux questions, mais il me semble que je ne puisse rendre la tâche plus aisée au Procureur qu’en lui demandant de faire comparaître ce témoin Sandberger, avec lequel il pourra, dans l’intervalle, s’entretenir des douzaines de fois, afin de lui dire pourquoi je ne considère pas cela comme plausible. Je dois auparavant dire au Tribunal pourquoi ces déclarations sont fausses.

COLONEL AMEN

Accusé, connaissez-vous ce qu’on a appelé le décret « Kugel » qui a été pris pour le camp de concentration de Mauthausen ? Oui ou non ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

J’ai déjà répondu hier, en détail, sur la question de ce décret « Kugel ».

COLONEL AMEN

Avez-vous jamais donné un ordre verbal, en complément de ce décret ? Vous-même avez-vous donné un ordre de ce genre ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Non.

COLONEL AMEN

Je demande que l’on présente à l’accusé le document PS-3844 que je dépose sous le numéro USA-801. Connaissez-vous Joseph Niedermayer, accusé ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Joseph Niedermayer ? Non, je ne me souviens pas de l’avoir connu.

COLONEL AMEN

Bien. Peut-être ceci va-t-il vous permettre de vous souvenir :

« 1. De l’automne 1942 jusqu’en mai 1945, j’exerçais le commandement du bâtiment des cellules du camp de concentration de Mauthausen.

« 2. Au début de décembre 1944, les décrets dits « Kugel » m’ont été montrés au département politique du camp de concentration de Mauthausen. Il y avait deux décrets, dont chacun portait la signature de Kaltenbrunner. J’ai vu moi-même ces deux signatures. L’un de ces décrets ordonnait que les travailleurs civils étrangers qui s’étaient échappés à plusieurs reprises des camps de travail fussent, au cas où ils seraient repris, envoyés au camp de concentration de Mauthausen en application de l’action « Kugel ».

« Le deuxième décret stipulait que la même procédure devait être adoptée à l’égard des officiers et sous-officiers prisonniers de guerre, à l’exception des Britanniques et des Américains, quand ils avaient fait plusieurs tentatives d’évasion des camps de prisonniers de guerre. Ces prisonniers de guerre devaient également être conduits au camp de concentration de Mauthausen.

« 3. A la suite de ces décrets « Kugel » et des instructions orales données par Kaltenbrunner, en complément de cet ordre, 1.300 travailleurs civils étrangers, officiers et sous-officiers, furent amenés au camp de concentration de Mauthausen. Ils furent logés au block n° 20 et, suivant les ordres, si mal nourris qu’ils ne pouvaient que mourir de faim. 800 d’entre eux moururent de faim et de maladie. La mauvaise nourriture et le manque de soins médicaux avaient pour origine les ordres verbaux donnés personnellement par Kaltenbrunner. »

Accusé, cette déclaration est-elle vraie ou fausse ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

C’est faux et je crois pouvoir réfuter immédiatement ce document. Puis-je attirer votre attention sur la page 2 ? A la page 2, paragraphe 3, on lit à la troisième ligne : « 1.300 travailleurs civils étrangers, officiers et sous-officiers, etc. ». Des mots « travailleurs civils... »

COLONEL AMEN

Accusé, ce qui m’intéresse particulièrement c’est le paragraphe 2 qui traite du fait que la personne qui a rédigé l’affidavit a vu deux décrets « Kugel » portant votre signature. A votre connaissance, est-ce vrai ou non ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Non. Je l’ai déjà dit hier et je le répète aujourd’hui sous la foi du serment : je n’avais pas connaissance de ces décrets « Kugel ». Pour contester la véracité des dires du témoin et la valeur probatoire du document, je dois être en mesure de développer personnellement mes arguments sur les points où il est particulièrement évident que le Ministère Public a tort : ainsi, la troisième ligne du paragraphe 3. Là, le témoin, dont la signature est totalement différente de l’écriture du reste de la déclaration — j’attire sur ce fait l’attention du Tribunal — le témoin a complètement oublié que cet ordre « Kugel », dont le texte a été lu ici à plusieurs reprises, ne se rapportait qu’aux officiers et aux sous-officiers, et non aux travailleurs civils. Comment, sur la base d’un ordre faux, de tels événements auraient-ils pu se produire ? Il m’est impossible, par exemple, de prononcer une sentence de mort pour meurtre en application de l’article 820 du BGB (Code pénal) et il m’est également impossible de faire enfermer dans un camp des travailleurs civils en application du décret « Kugel ». Voilà ce que, dans son zèle, ce témoin a oublié.

Je ne crois pas non plus que cet homme ait jamais vu un document qui porte ma signature, car jamais un document de ce genre ne m’a été présenté.

Une fois encore je dois demander — car je suis convaincu qu’il y en aura encore plusieurs à propos de Mauthausen — que tous ces témoins soient cités et qu’on leur demande sur quoi ils fondent leurs déclarations.

COLONEL AMEN

Accusé, vous souvenez-vous du témoignage de Wisliceny au sujet de votre participation au programme du travail forcé pour les ouvrages de défense de Vienne ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Je n’ai pas encore fini de répondre à votre dernière question. Je m’excuse, mais je voudrais encore ajouter quelque chose d’essentiel à ce sujet.

COLONEL AMEN

Je croyais que vous aviez terminé.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Je le croyais aussi, mais je viens de penser à quelque chose d’important.

COLONEL AMEN

Bien.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Je tiens encore à insister sur ce que j’ai dit hier à propos de cet ordre « Kugel ». J’ai déclaré que cet ordre avait été porté à ma connaissance en décembre 1944 ou janvier 1945 et j’ai dit comment j’avais pris position contre cet ordre. Ces circonstances expliquent le fait que je n’ai pas pu, peu de temps auparavant, signer moi-même ; il est d’ailleurs absolument impossible qu’un Kaltenbrunner signe un décret dont le Ministère Public sait fort bien qu’il avait été signé par Hitler dès 1941. Voilà pourquoi je voulais faire cette dernière remarque.

Maintenant, je vous prierai de répéter la question que vous m’avez posée.

COLONEL AMEN

Très bien. J’attirais votre attention sur le témoignage de Wisliceny au sujet de votre participation au programme de travail forcé pour les ouvrages de défense de Vienne. Avez-vous connaissance de ce qu’il a déclaré au Tribunal ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Non.

COLONEL AMEN

Je vais donc vous lire ce témoignage, il est très court :

« Question

Qu’est-il arrivé aux Juifs qui étaient restés à Budapest ?

« Réponse

En octobre ou novembre 1944, 30.000 Juifs, peut-être quelques milliers de plus, ont été emmenés en Allemagne. Ils devaient être employés à la construction du mur du Sud-Est, ouvrage définitif situé aux environs de Vienne. Il s’agissait surtout de femmes... Un grand nombre d’entre eux moururent d’épuisement et furent la proie d’épidémies, dans les camps de travail du bas Danube. Un certain nombre, peut-être 12.000 furent emmené à Vienne et dans les environs de Vienne, et un transport de 3.000 personnes environ, à Bergen-Belsen et de là en Suisse. C’étaient des Juifs qui, à la suite de négociations, étaient autorisés à sortir d’Allemagne. »

Accusé, vous souvenez-vous d’avoir échangé une correspondance avec le maire de la ville de Vienne au sujet de l’attribution à cette ville de ces travailleurs forcés ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Je n’ai jamais écrit cette lettre au maire de Budapest. Je vous serais très obligé de me montrer une telle lettre.

COLONEL AMEN

Je n’ai pas dit Budapest, j’ai dit maire de la ville de Vienne, ou du moins c’est ce que j’avais l’intention de dire, si je ne l’ai pas fait.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Je ne me souviens pas davantage d’avoir correspondu avec le bourgmestre de Vienne, mais je crois pouvoir dire que ces fortifications de frontière dont il semble s’agir ici ne dépendaient pas de la ville de Vienne mais du Gau du bas Danube. Vienne, que je sache, n’a pas de frontière commune avec la Hongrie.

COLONEL AMEN

Bien. Vous avez déjà dit que vous n’aviez pas participé à ce programme de travail forcé, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Oui.

COLONEL AMEN

Bien. Voulez-vous montrer à l’accusé le document PS-3803 que je dépose sous le numéro USA-802. J’attire votre attention sur les trois premiers paragraphes. Vous remarquerez que la lettre émane de vous-même. Voici ce qu’on y lit :

« A M. le maire de la ville de Vienne, le SS-Brigadeführer Blaschke.

« Objet : attribution de main-d’œuvre à la ville de Vienne pour des travaux de guerre importants. Référence : Ta lettre du 7 juin 1944. Cher Blaschke. Pour les raisons particulières que tu m’as exposées — le SS-Brigadeführer Dr Dellbruegge m’a d’ailleurs écrit au même sujet — j’ai, dans l’intervalle, donné des ordres pour que plusieurs transports d’évacuation soient dirigés sur Vienne-Strass-hof. Il s’agit pour le moment de quatre transports d’environ 12.000 Juifs qui doivent arriver à Vienne dans les jours prochains. Compte tenu des expériences précédentes, on estime à 30 % de ce transport le nombre des Juifs aptes au travail (3.600 dans le cas présent) qui pourront être utilisés à ces travaux, étant entendu qu’ils pourront être rappelés à tout moment.

« Il est évident que cette main-d’œuvre ne peut être utilisée qu’en groupe et sous bonne garde, et logés dans des camps offrant toute sécurité : c’est là une condition essentielle pour que ces Juifs soient mis à votre disposition.

« Les femmes et les enfants qui seront inaptes au travail et qui sont tenus en réserve pour une opération spéciale et seront par conséquent évacués de nouveau, devront rester dans le camp pendant la journée.

« Les services de la Police d’État de Vienne (SS-Obersturmbannführer Dr Ebner et SS-Obersturmbannführer Krumey du commando spécial de Hongrie qui se trouve actuellement à Vienne) sont en mesure de fournir des détails complémentaires.

« J’espère que ces transports t’aideront à exécuter ces travaux urgents. Heil Hitler ! Ton Kaltenbrunner. »

Vous souvenez-vous maintenant de ce message ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Non.

COLONEL AMEN

Niez-vous avoir écrit cette lettre ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Oui.

COLONEL AMEN

Je crois que cette fois-ci, accusé, l’original de la lettre porte votre signature. Avez-vous l’original ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Oui.

COLONEL AMEN

N’est-ce pas votre signature ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Non, ce n’est pas ma signature. C’est une signature à l’encre ou en fac-similé, mais ce n’est pas la mienne.

COLONEL AMEN

Accusé, je vais vous montrer des échantillons de votre signature, de signatures que vous avez données au cours de votre interrogatoire et je vous demande de me dire si elles sont bien vôtres.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

J’ai donné des centaines de signatures et je suis persuadé qu’elles vont concorder. Le document au crayon est signé par moi.

COLONEL AMEN

Voulez-vous les indiquer d’une manière quelconque afin que le Tribunal puisse voir quelles sont les signatures que vous reconnaissez être les vôtres et les comparer à la signature que porte ce document PS-3803 (USA-802).

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Ces signatures au crayon figurant sur ces papiers sont de moi ; c’est mon écriture.

COLONEL AMEN

Toutes ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Toutes les trois.

COLONEL AMEN

Bien.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Mais pas celle écrite à l’encre.

COLONEL AMEN

Très bien. (Les documents sont présentés au Tribunal.)

Puis-je continuer, Monsieur le Président ?

LE PRÉSIDENT

Un moment, je vous prie... Continuez, colonel Amen.

COLONEL AMEN

Accusé, vous avez vu les preuves relatives à l’établissement du ghetto de Varsovie et à l’évacuation de ce ghetto ?

LE PRÉSIDENT

Passez-vous à d’autres documents ?

COLONEL AMEN

Oui, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Nous allons suspendre l’audience pendant dix minutes.

(L’audience est suspendue.)
Dr THOMA

Monsieur le Président, je dois commencer dans quelques jours l’exposé de mes preuves et je ne sais pas encore si mon livre de documents n° 1 sera approuvé. Je vous prie de me dire quel jour ou à quelle heure il pourra en être discuté.

(Brève délibération du Tribunal.)
LE PRÉSIDENT

Docteur Thoma, le Tribunal pense que vous pourrez prendre la parole demain samedi à 12 h. 30, à la fin de l’audience ; nous pourrons alors discuter de l’admissibilité de vos documents.

Dr THOMA

Merci, Monsieur le Président.

COLONEL AMEN

Messieurs, je voudrais revenir un instant sur ce document PS-3803 qui porte la signature de l’accusé. Accusé, avez-vous l’original de cette pièce devant vous ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Oui.

COLONEL AMEN

Voulez-vous regarder la signature et me dire si vous ne trouvez pas, juste au-dessus de la signature, les lettres D-e-i-n ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Oui.

COLONEL AMEN

Je crois comprendre que ce mot signifie « ton ». C’est un terme familier utilisé seulement entre amis intimes, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

En allemand, on n’utilise que deux expressions dans les signatures : ou bien « Ihr » — votre — , ou bien « Dein » — ton — . On emploie ce dernier terme quand on tutoie quelqu’un, lorsqu’il s’agit d’un ami. Blaschke, le maire de Vienne, est un ami, et évidemment...

COLONEL AMEN

Bien, mais ne serait-il pas absolument ridicule et incroyable d’établir un tampon ou un fac-similé comprenant non seulement la signature mais aussi le mot « Dein » au-dessus de cette signature ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Ce serait pour le moins insensé, j’en conviens, mais je n’ai pas dit qu’il s’agissait obligatoirement d’une signature en fac-similé. J’ai déclaré que ce n’était pas ma signature et que c’était soit un fac-similé soit une autre signature. L’auteur de la lettre — vous ne m’avez pas laissé parler tout à l’heure — doit se trouver à la section IV a, 4 b, comme vous pouvez le voir par le chiffre figurant en haut et à gauche. Tout le monde, aussi bien dans le service que dans tout le Reich, savait que Blaschke, le maire de Vienne, et moi, depuis notre activité politique commune à Vienne, c’est-à-dire depuis peut-être dix ans, nous nous tutoyions et que nous étions des amis intimes. Ainsi, me trouvant absent de Berlin et cette lettre étant urgente — et je le crois volontiers d’après son contenu — le fonctionnaire a cru bien faire en utilisant cette formule. Je ne l’y avais pas autorisé, c’est évidemment une énormité de sa part, mais c’est la seule façon dont je puisse l’expliquer.

COLONEL AMEN

Vous reconnaissez donc, accusé, que ce n’est pas une signature en fac-similé ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

II est tout à fait insensé de penser qu’on puisse faire un tampon avec « Dein » ; c’est tout à fait impossible ; le fonctionnaire a donc dû signer lui-même. Tout le monde savait que je tutoyais Blaschke. Il fallait donc qu’il ajoute le mot « ton » s’il se servait de ma signature.

Regardez, d’autre part, le chiffre 30, en haut. Vous pourrez voir, d’après de nombreux spécimens de mon écriture, que je n’écris pas de cette façon.

COLONEL AMEN

Accusé, n’est-il pas tout aussi ridicule de penser qu’une personne ou un fonctionnaire, comme vous dites, ait essayé d’imiter votre signature, en signant à votre place ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Non, Monsieur le Procureur, mais il serait manifestement tout aussi impossible que ce fonctionnaire, écrivant au maire de Vienne et sachant que je tutoyais Blaschke, écrivît mon nom à la machine au bas d’une lettre personnelle. Comme j’étais absent de Berlin, il ne lui restait que deux possibilités : ou bien écrire à la machine, ou bien faire comme si Kaltenbrunner était là.

COLONEL AMEN

N’est-ce pas plutôt, accusé, que vous mentez purement et simplement au sujet de cette signature comme vous avez menti au Tribunal pour presque tous les faits sur lesquels vous avez témoigné ? N’est-ce pas cela ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Monsieur le Procureur, je suis habitué depuis un an aux insultes que vous me jetez à la figure, en me traitant de menteur. Depuis un an, au cours de centaines d’interrogatoires, ici et à Londres, j’ai dû subir ces insultes, et d’autres, pires encore. Ma mère, morte en 1943, a été traitée de putain et bien d’autres choses semblables ont été dites. Ce n’est pas nouveau pour moi, mais je voudrais vous dire que je ne dirais certainement pas un mensonge au Tribunal pour une affaire telle que celle-ci alors que je revendique la confiance du Tribunal pour des choses bien plus importantes.

COLONEL AMEN

Je pars du point de vue, accusé, que si votre témoignage est si directement opposé à celui de vingt ou trente autres témoins, et de bien plus de documents encore, il est à peine croyable que ce soit vous qui disiez la vérité et que tous les témoignages et tous les documents soient faux. Ne trouvez-vous pas ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Non, je ne peux pas être d’accord, car jusqu’à maintenant j’ai toujours eu l’impression que chacun des documents que vous m’avez présentés aujourd’hui pouvait immédiatement être réfuté dans ses points essentiels. Aussi je vous demande — et j’espère que le Tribunal me donnera satisfaction — à être mis en contact direct avec ces témoins, afin d’éclaircir certains points et de pouvoir enfin me défendre. Au cours de tout l’interrogatoire préliminaire, votre collaborateur s’est fait de moi une idée fausse et paraissait croire que je discutais ou que j’ergotais sur des points de détail. Ce n’est pas sous cette forme que j’imaginais une procédure accélérée. S’il m’avait parlé dans leurs grandes lignes des moyens de trouver la vérité, je pense qu’il serait arrivé plus vite à des résultats plus importants. Je suis peut-être le seul accusé qui, dès le jour de la remise de l’Acte d’accusation, et à la question : « Êtes-vous prêt à faire d’autres déclarations au Ministère Public ? » ait répondu immédiatement et ait revêtu de ma signature — et je vous prierais de la montrer — une déclaration disant : « A partir d’aujourd’hui, je me mets à la disposition du Ministère Public pour lui donner tous renseignements utiles ». N’est-ce pas exact ? Confirmez-le, je vous prie. C’est ce Monsieur là-bas qui m’a interrogé. (L’accusé désigne un interprète.) J’aurais donc pu jusqu’à ce jour, c’est-à-dire pendant cinq mois, donner des informations en réponse à toutes questions. Mais je n’ai plus été interrogé.

LE PRÉSIDENT

Essayez de vous maîtriser un peu. Et quand vous voyez la lampe s’allumer, parlez plus lentement. Vous savez ce qu’elle signifie, n’est-ce pas ?

COLONEL AMEN

N’avez-vous pas déclaré, accusé, au cours de votre dernier interrogatoire, que vous ne vouliez plus être interrogé parce que les questions semblaient posées en vue de soutenir le Ministère Public plutôt que pour vous aider dans votre défense, et ne vous a-t-on pas dit alors que, dans ce cas, vous ne seriez plus interrogé ? Ne vous a-t-on pas fait savoir à ce moment qu’il y avait d’autres documents que l’on ne vous avait pas présentés, que si vous désiriez y revenir et être interrogé sur ces points vous pourriez en avertir vos avocats et envoyer une note, et que les magistrats instructeurs vous entendraient volontiers ? Est-ce vrai, oui ou non ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Non, Monsieur le Procureur, ce n’est pas cela ; j’ai au contraire fait cette déclaration à ce sujet à plusieurs reprises au cours d’interrogatoires qui portaient sur des points de détail. Ce soir-là, il était très tard, 8 heures environ ; je pourrais décrire exactement la pièce. On me fit sortir de la pièce. L’interprète que j’ai vu ici ce matin, je crois, était assis à une grande table avec deux ou trois autres personnes. Ils me dirent :

« Vous avez reçu aujourd’hui l’Acte d’accusation ». Je répondis que oui. Ils me demandèrent si j’en avais pris connaissance et ajoutèrent : « A partir de maintenant, vous vous entretiendrez de votre défense avec le Secrétaire général. Voulez-vous que l’on continue à vous interroger ? » A quoi je répondis que oui, que j’étais toujours à leur disposition. L’officier me regarda et parut ennuyé, car il ne s’attendait pas à cette réponse de ma part. Visiblement, tous les autres avaient dû répondre que non, qu’ils étaient contents que les interrogatoires fussent terminés et qu’ils pussent dorénavant préparer leur défense.

COLONEL AMEN

Accusé, je veux vous relire le procès-verbal de votre dernier interrogatoire. On vous a demandé si vos déclarations semblaient suffisamment utiles à votre cause pour que vous désiriez continuer à déposer et vous avez répondu ce qui suit :

« Réponse

Ce serait au moins aussi important pour ma défense que ne l’est pour le Ministère Public le matériel de preuves sur lequel le magistrat instructeur m’a déjà posé des questions à plusieurs reprises. Aussi ai-je le sentiment d’être toujours aux mains du Ministère Public et non pas d’un juge chargé de l’interrogatoire préliminaire ; comme l’Acte d’accusation vient de m’être notifié, je dois maintenant préparer ma défense et je ne pense pas qu’il soit bon que vous continuiez de rechercher des preuves qui me soient à charge.

« Je vous demande de ne pas considérer ce que je viens de dire comme une critique ou un refus, car je n’ai pas été instruit de la procédure utilisée au cours de ces interrogatoires et ne la connais pas. Mais, autant que je connaisse la procédure légale, ceci est anormal. Je n’ai jamais eu la possibilité d’être confronté avec d’autres témoins, pour leur rappeler que telle ou telle chose s’était passée différemment... » et ainsi de suite.

« Question

Cette déclaration doit-elle être considérée comme une objection à de nouveaux interrogatoires ?

« Réponse

Comme je viens de le déclarer, s’il m’est possible d’être confronté avec des témoins et d’obtenir des témoignages en ma faveur, je désirerais volontiers que cet interrogatoire continuât. Mais, même dans ce cas, je crois qu’il vaudrait mieux que cela soit fait au cours de l’exposé des preuves, durant le Procès lui-même. Je crois qu’il vaut mieux que je consulte d’abord mon avocat.

« Question

Bien. Si vous vous demandez si vous devez continuer à être interrogé par le Procureur Général américain près le Tribunal Militaire International, je pense que vous devez d’abord consulter votre avocat. On ne vous a jamais forcé à répondre ni avant ni après la remise de l’Acte d’accusation. Je pense que vous pouvez admettre que vous avez toujours été traité correctement en toutes circonstances. »

N’est-ce pas exact ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Monsieur le Procureur, ceci confirme exactement ce que je disais. Le document que vous venez de lire dit que je n’étais pas d’accord sur l’interruption brusquée des conversations et des interrogatoires et que j’ai déclaré n’avoir jamais eu l’occasion de parler aux témoins avec lesquels j’étais confronté. Ceci confirme aussi le fait que je vous ai prié de me mettre en présence des témoins, de façon que je puisse leur parler, et qu’à cette occasion j’ai aussi déclaré, bien entendu, que j’étais heureux de pouvoir passer à la préparation de ma défense. Je ne le nie pas, c’est un fait. Mais je n’ai pas dit, au cours d’une si longue déclaration qui ne m’a d’ailleurs pas été lue sous cette forme, de même qu’aucun de mes interrogatoires à l’exception de deux ou trois au plus, que je ne me mettais plus à la disposition des magistrats instructeurs. Bien au contraire j’ai déclaré — et vous en avez donné la lecture — que je me tenais à leur disposition.

COLONEL AMEN

Accusé, parlons du Ghetto de Varsovie. Vous souvenez-vous des témoignages déposés devant ce Tribunal et suivant lesquels 400.000 Juifs furent d’abord mis dans le ghetto, puis au moment de l’opération finale, des troupes SS en évacuèrent environ 56.000 dont plus de 14.000 furent tués. Vous souvenez-vous de ce témoignage ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Pas en détail, mais j’ai déjà fait aujourd’hui des déclarations sur ce que je savais sur la question.

COLONEL AMEN

Un moment. Savez-vous que presque tous ces 400.000 Juifs furent massacrés dans ce lieu l’extermination qu’était Treblinka ? Le savez-vous ?

ACCUSE KALTENBRUNNER

Non.

COLONEL AMEN

Quelle fut votre participation à la destruction finale, du ghetto de Varsovie ? Aucune, comme d’habitude ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Je n’avais rien à voir à cela ; je l’ai déjà déclaré.

COLONEL AMEN

Je demande que l’on montre à l’accusé le document PS-3840 que je dépose sous le numéro USA-803. Connaissiez-vous Karl Kaleske ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Non, je ne connais pas ce nom.

COLONEL AMEN

Vous souviendrez-vous mieux quand je vous aurai dit qu’il était aide de camp du général Stroop ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Je ne connais pas l’aide de camp du général Stroop, ni le nom que vous venez de mentionner, Kaleske.

COLONEL AMEN

Revenons à sa déposition. L’avez-vous entre les mains ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Oui.

COLONEL AMEN

« Je m’appelle Karl Kaleske. J’ai été l’aide de camp du Dr von Sammern-Frankenegg, de l’été 1942 à avril 1943, alors qu’il était chef des SS et de la Police à Varsovie. Je fus ensuite aide de camp du chef des SS et de la Police Stroop jusqu’en août 1943. Le plan d’opération contre le ghetto de Varsovie fut élaboré alors que von Sammern-Frankenegg était encore chef des SS et de la Police. Le général Stroop prit le commandement le jour du début de l’opération. La Police de sûreté avait pour fonction d’accompagner les troupes SS durant l’opération. Un certain nombre de troupes SS eurent pour tâche d’assurer l’évacuation d’une rue. A chaque groupe SS étaient adjoints 4 à 6 agents de la sûreté, qui connaissaient très bien le ghetto. Ces agents de la sûreté, étaient sous les ordres du Dr Hahn, commandant de la Police de sûreté de Varsovie. Hahn recevait ses ordres, non du chef des SS et de la Police de Varsovie, mais directement de Berlin, de Kaltenbrunner, et ceci non seulement pour l’opération du ghetto, mais en toutes circonstances. Le Dr Hahn venait très souvent dans nos bureaux et avertissait le chef des SS et de la Police qu’il avait reçu tel ou tel ordre émanant de Kaltenbrunner, dont il voulait l’informer. Il ne le faisait pas pour tous les ordres qu’il recevait, mais seulement pour quelques-uns.

« Je me souviens du cas de 300 Juifs étrangers que la Police de sûreté avait réunis dans l’hôtel Polski. Quand l’opération contre le ghetto fut terminée, Kaltenbrunner donna l’ordre à la Police de sûreté d’évacuer ces gens. Quand j’étais à Varsovie, la Police de sûreté avait été chargée de toutes les questions de résistance. Elle s’occupait de ces questions indépendamment du chef des SS et de la Police, et recevait ses ordres de Kaltenbrunner à Berlin. Quand le chef de la résistance de Varsovie fut capturé en juin ou juillet 1943, on l’expédia directement à Kaltenbrunner à Berlin. »

Cette déposition est-elle exacte ou non, accusé ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Cette déclaration est entièrement fausse.

COLONEL AMEN

Comme toutes les autres dépositions de toutes les autres personnes qui ont été lues aujourd’hui, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Cette déposition n’est pas exacte et je peux la réfuter.

COLONEL AMEN

C’est ce que vous avez dit de toutes les autres dépositions que je vous ai lues aujourd’hui, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Monsieur le Procureur …

COLONEL AMEN

N’est-ce pas vrai ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Si vous m’opposez des situations fausses, je dois déclarer qu’elles le sont. Je ne puis pas acquiescer à toutes les charges dont vous m’accablez, du seul fait que le Ministère Public se trompe en me désignant ici comme le représentant de Himmler.

COLONEL AMEN

Bien, continuez et dites ce que vous voulez.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Je vous demande de ne pas oublier ce que j’ai déjà dit sur la compétence et la hiérarchie des chefs suprêmes des SS et de la Police. Ils relevaient tous directement de Himmler. Au-dessous du Chef suprême des SS et de la Police, se trouvait le chef des SS et de la Police d’un territoire moins étendu. Il disposait de la Police régulière et de la Police de sûreté, qui étaient sous ses ordres exclusifs. Ainsi, toute l’organisation en activité dans les territoires occupés était absolument distincte des services centraux. Il y a d’ailleurs ici des gens qui peuvent indubitablement témoigner de la véracité de mes affirmations. On a entendu ici BachZelewski, qui était dans les territoires occupés et sait ce qui s’y passait. L’accusé Frank aussi avait affaire avec un chef des SS et de la Police qui devint plus tard son secrétaire d’État.

COLONEL AMEN

Votre avocat peut citer ces témoins. Je vous demande simplement de me dire si oui ou non ce document dit la vérité et de donner une explication brève et pertinente de ce que vous jugez utile.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Ce document est faux...

COLONEL AMEN

Nous connaissons en Allemagne des témoins qui pourraient être cités à ce sujet, et nous savons que tous les accusés ici présents sont au courant de la plupart de ces choses, mais ce n’est pas ce que je vous demandais. Je vous demandais simplement si la teneur de ce document était vraie ou fausse, et vous avez répondu qu’elle était fausse. Maintenant, voulez-vous ajouter quelque chose à ce sujet ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Ce n’est pas exact et ce témoin ne connaît pas .. .

COLONEL AMEN

Bien, vous l’avez déjà dit six fois.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

... les conditions...

COLONEL AMEN

Et le général Stroop ? Était-il au courant ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Naturellement, puisqu’il était chef des SS et de la Police à Varsovie. Vous m’avez d’ailleurs présenté son journal et son rapport filmé. Stroop était sous les ordres du Chef suprême des SS et de la Police de son ressort. Il avait à exécuter cette opération sur l’ordre de Himmler, qu’il recevait par le Chef suprême des SS et de la Police.

COLONEL AMEN

Stroop était un de vos bons amis, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

De toute ma vie, je n’ai vu Stroop que deux ou trois fois, chez le Reichsführer Himmler.

COLONEL AMEN

Bien. Si Stroop était présent, pourrait-il au moins dire la vérité sur cette affaire du ghetto de Varsovie ?

ACCUSE KALTENBRUNNER

II pourrait du moins confirmer qu’il était, comme je l’ai dit, sous les ordres du chef des SS et de la Police du Gouvernement Général et qu’il ne dépendait pas de moi. Je serais très heureux qu’il puisse le confirmer immédiatement. D’après ce que vous avez dit, je suppose qu’il est ici.

COLONEL AMEN

II n’est pas détenu ici, mais heureusement nous possédons un affidavit établi par lui et qui traite justement des sujets sur lesquels je viens de vous interroger.

Je demande que l’on montre à l’accusé le document PS-3841 que je dépose sous le numéro USA-804.

Nous allons voir si Stroop a confirmé ce que vous essayez de dire au Tribunal. Vous inclinerez-vous devant les déclarations de Stroop, témoin ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Je n’ai pas lu le document.

COLONEL AMEN

Non, mais connaissant Stroop et la position qu’il occupait, vous ne doutez pas qu’il ait dit la vérité sur ce qui s’est passé dans le ghetto de Varsovie ; n’est-ce pas en substance ce que vous venez de dire ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

La véracité des dires d’un témoin, a déjà pu être contestée à bon droit à plusieurs occasions. Mais, comme je ne connais pas ce document, je ne peux pas encore prendre position.

COLONEL AMEN

Très bien, nous allons donc le lire. « Je m’appelle Jurgen Stroop. Je fus chef des SS et de la Police du district de Varsovie, du 17 ou 18 avril 1943 jusqu’à la fin du mois d’août 1943. Le plan d’opération contre le ghetto de Varsovie fut élabore par mon prédécesseur, le SS-OberführerDr vonSammem-Frankenegg. Le jour du début de l’opération, je pris le commandement et von Sammern-Frankenegg m’expliqua ce qu’il y avait à faire. Il avait devant lui l’ordre de Himmler et je reçus d’autre part un télétype de Himmler me donnant l’ordre d’évacuer le ghetto de Varsovie et de le raser. A cet effet, j’avais à ma disposition deux bataillons de Waffen SS, 100 hommes de la Wehr-macht, des unités de la Police régulière et 75 à 100 hommes de la Police de sûreté. La Police de sûreté opérait depuis quelque temps déjà dans le ghetto de Varsovie et, au cours de cette opération, elle avait pour mission d’accompagner, par groupes de six ou huit, les unités de SS pour les guider dans le ghetto qu’elles connaissaient très bien. L’Obersturmbannführer, Dr Hahn, commandait à cette époque la Police de sûreté de Varsovie. Hahn donna à la Police de sûreté ses ordres sur les missions qu’elle aurait à remplir au cours de cette opération. Ce n’est pas moi qui ai donné ces ordres à Hahn, mais ils lui étaient directement venus de Kaltenbrunner à Berlin. En ma qualité de chef des SS et de la Police de Varsovie, je ne donnais aucun ordre à la Police de sûreté. Tous les ordres destinés à Hahn venaient de Kaltenbrunner à Berlin. Ainsi, en juin et juillet de la même année, je me trouvais avec Hahn dans le bureau de Kaltenbrunner et celui-ci me dit que, quand Hahn et moi travaillerions ensemble, tous les ordres importants adressés à la Police de sûreté devaient venir de lui, à Berlin.

« Quand on eut fait sortir les gens du ghetto, au nombre de 50.000 ou 60.000, ils furent conduits à la gare. La Police de sûreté était seule responsable d’eux et devait assurer leur transport vers Lublin.

« Immédiatement après la fin de l’opération, environ 300 Juifs étrangers furent rassemblés à l’hôtel Polski. Une partie de ces gens s’y trouvait déjà, d’autres y furent amenés au cours de l’opération. Kaltenbrunner donna à Hahn l’ordre de les évacuer. Hahn me déclara lui-même qu’il avait reçu cet ordre de Kaltenbrunner.

« Toutes les exécutions furent ordonnées par l’Office principal de la sécurité du Reich (RSHA), par Kaltenbrunner.

« J’ai relu cette déposition et en ai entièrement compris le sens. Je l’ai faite librement et sans contrainte. Je jure devant Dieu que j’ai dit la pure vérité. Jürgen Stroop. »

Qu’avez-vous à dire sur cette déclaration de Stroop. Est-elle vraie ou fausse ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Elle est fausse et je demande la comparution de Stroop.

COLONEL AMEN

Vous voyez qu’au lieu de corroborer votre version, elle confirme en substance tous les détails de la déclaration de Kaleske, qui était à cette époque l’adjoint de Stroop. N’est-ce pas vrai, accusé ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Ce n’est pas exact, en ce sens que le témoin Stroop se rapproche de ce que je dis en déclarant, dès la page 1, qu’il a reçu de Himmler cet ordre relatif au ghetto, ce que le témoin Kaleske n’a jamais dit.

COLONEL AMEN

J’admets cette explication.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Ce point pourrait être entièrement tiré au clair en interrogeant le général Stroop. Que Hahn ait également reçu des ordres de la Gestapo à Berlin est tout à fait normal ; je ne sais d’ailleurs pas s’il en reçut précisément pour cette affaire, car les services de la Police de sûreté devaient également être à la disposition de l’Amt IV, particulièrement en ce qui concerne les procédures d’exception. Mais ce qu’il importe de connaître, au sujet d’une opération exécutée dans le Gouvernement Général et à Varsovie, ce sont les organismes qui y ont pris part, et tous les témoins compétents ne pourront que déclarer que cette opération était du domaine du Chef suprême des SS et de la Police du Gouvernement Général et non pas de celui du RSHA. Il est absolument faux de dire que ces éléments de la Police de sûreté de Varsovie, tels que Hahn, n’étaient pas soumis à l’autorité du chef des SS et de la Police.

On peut affirmer et prouver que tous les services de la Police de sûreté ne pouvaient être, en particulier pour une opération de ce genre, subordonnés qu’à un seul chef, le chef local. Mais, Monsieur le Procureur, si vous me donnez à nouveau l’occasion de fournir de plus amples explications à propos de ces témoignages, par l’intermédiaire de mon avocat, j’y reviendrai avec des arguments appropriés.

COLONEL AMEN

Et maintenant, accusé, j’attire votre attention sur le document PS-3819, qui est déjà déposé sous le numéro GB-306. C’est le procès-verbal d’une conférence tenue à la Chancellerie du Reich, le 11 juillet 1944. Il est signé par Lammers, et a fait récemment l’objet d’une déposition devant le Tribunal. Je pense que vous vous souvenez d’avoir assisté à cette conférence ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Je ne sais pas encore. Je ne sais pas quel était l’objet de cette conférence.

COLONEL AMEN

Vous ne niez pas que vous y assistiez ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Je ne sais pas, je vois ce document pour la première fois.

COLONEL AMEN

Regardez maintenant à la page 12, au milieu de la page cette phrase : « A Paris, dont l’évacuation était envisagée... »

Dr KAUFFMANN

Monsieur le Président, puis-je demander si, pour tirer au clair cette question, il n’aurait pas été préférable que le Ministère Public interrogeât Lammers à ce sujet alors qu’il était ici.

LE PRÉSIDENT

Cette question a-t-elle été posée à Lammers ?

COLONEL AMEN

En réalité, Monsieur le Président, je ne le sais pas. Le document a été déposé et coté, mais je ne suis pas certain qu’on ait interrogé le témoin à ce sujet. Sir David dit qu’il a déposé le document à propos de Keitel, au bas de la page 9.

LE PRÉSIDENT

Bien, continuez.

COLONEL AMEN

Avez-vous trouvé le passage, accusé ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Oui, j’ai trouvé.

COLONEL AMEN

« A Paris, dont l’évacuation était envisagée, on pouvait prendre de 100.000 à 200.000 ouvriers. A ce sujet... »

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Non, je n’ai pas trouvé ce passage, Monsieur le Procureur.

COLONEL AMEN

C’est juste au-dessus du paragraphe qui commence par : « Le chef de la Police de sûreté, le Dr Kaltenbrunner... » L’avez-vous trouvé ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Oui, je l’ai maintenant.

COLONEL AMEN

Passons à cette phrase :

« Le chef de la Police de sûreté, le Dr Kaltenbrunner, se déclara prêt, en réponse à une question posée par le délégué général à la main-d’œuvre, à mettre dans ce but la Police de sûreté à sa disposition, mais fit remarquer sa faiblesse numérique. Pour toute la France, il ne disposait que de 2.400 hommes. Il était douteux qu’on pût lever des classes entières avec ces faibles forces. A son avis, le ministère des Affaires étrangères devait exercer une influence ’ plus forte sur les Gouvernements étrangers. »

Est-ce un compte rendu fidèle de ce qui se passa à cette réunion, accusé ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Je ne saurais le prétendre à la seule vue de ce texte, mais je peux déclarer ce qui suit : il s’agit, comme l’indique l’introduction, à la page 1, d’une conférence de chefs. Ceci ne veut pas nécessairement dire que j’y assistais en tant que chef du RSHA, car on entendait par là les services supérieurs et les ministères. On doit pouvoir déterminer, en interrogeant le témoin Lammers, si j’y assistais au nom de Himmler, ministre de l’Intérieur et chef de la Police allemande. Ce serait possible et il semble que ce fut le cas, que j’y aie assisté au nom de Himmler à cause du chiffre mentionné : on dit, en effet, que 2.400 hommes seulement étaient disponibles. Or ni la Police de sûreté, ni le SD, ni les deux réunis n’ont jamais disposé d’un tel effectif, et on a dû inclure dans ce chiffre toutes les forces de la Police régulière et d’autres petites organisations subordonnées à Himmler.

Il manque donc au moins une chose dans ce document : c’est-à-dire que Kaltenbrunner, sur l’ordre de Himmler représentait l’opinion de ce dernier. Il manque au moins cela, mais cela peut certainement être tiré au clair en interrogeant le témoin Lammers.

En tous cas, je ferai remarquer que personnellement, j’étais d’avis que je ne pouvais être d’aucun secours car il fallait avant tout qu’aient lieu des négociations entre le ministère des Affaires étrangères et le Gouvernement étranger compétent c’est-à-dire le Gouvernement français. Ces mesures ne pouvaient en aucun cas être prises sans l’accord du Gouvernement français.

COLONEL AMEN

Bien, accusé. Vous souvenez-vous des preuves déposées devant ce Tribunal au sujet des efforts faits par l’Allemagne pour inciter les Slovaques à la révolte contre la Tchécoslovaquie et suivant lesquelles Hitler utilisa l’insurrection des Slovaques comme prétexte pour occuper la Tchécoslovaquie, en mars 1939 ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Je ne sais pas qui a fait cette déposition.

COLONEL AMEN

En tous cas, il est bien exact, n’est-ce pas, qu’au cours des années 1938 et 1939, vous étiez secrétaire d’État à la Police de sûreté en Autriche ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Non, je n’étais pas secrétaire d’État à la Police de sûreté. J’étais secrétaire d’État à la sûreté du Gouvernement régional autrichien à Vienne. Il y a là une différence essentielle car la Police de sûreté en Autriche fut installée par Berlin et était dirigée de Berlin...

COLONEL AMEN

Bien.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

... et je n’avais sur elle, en Autriche, pas la moindre influence, non plus que mon ministre.

COLONEL AMEN

Quand êtes-vous devenu Chef suprême des SS et de la Police pour la Haute-Autriche, votre Quartier Général étant en Allemagne ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

C’est complètement faux. Il n’y avait pas en Haute-Autriche de Chef suprême des SS et de la Police. Il y en avait un pour l’Autriche.

COLONEL AMEN

Bien. Quand était-ce ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Après la liquidation du Gouvernement autrichien et des affaires en cours ; on doit pouvoir en retrouver la trace dans le Reichsgesetzblatt. De toute façon, dans l’été de 1941.

COLONEL AMEN

N’est-il pas exact que vous ayez vous-même dirigé l’activité des rebelles slovaques et leur ayez fourni des explosifs et des munitions ? Répondez par oui ou par non, s’il vous plaît.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Non.

COLONEL AMEN

Vous souvenez-vous d’avoir pris part à une conférence relative à un plan d’instigation des Slovaques à la révolte ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

C’est faux. Je n’ai jamais poussé les Slovaques à la révolte. J’ai participé à la première conférence du Gouvernement, en Slovaquie, en présence du représentant allemand.

COLONEL AMEN

Votre ami Spacil vous a-t-il aidé pour l’exécution de ces plans ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Je ne m’en souviens plus maintenant. En tous cas, ce n’étaient pas des plans allemands, car si vous examinez la situation politique en Slovaquie à cette époque, vous verrez qu’il n’était pas besoin que l’Allemagne poussât à la révolte, car le mouvement Hlinka qui était dirigé à cette époque par le Dr Tuka, je crois, mais aussi par le Dr Tiso, avait depuis longtemps pris cette décision de lui-même.

COLONEL AMEN

Étiez-vous en relations avec l’Obersturm-bannführer Fritz Mundhenke ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Je n’ai pas compris le nom.

COLONEL AMEN

Bien, vous le verrez sur ce document que je vais demander qu’on vous montre ; c’est le document PS-3842, que je dépose sous le numéro USA-805.

Accusé, ce document est assez long et je ne veux pas en examiner tous les détails, mais j’attire d’abord votre attention sur les premières lignes :

« ... en ce qui concerne l’occupation de la Tchécoslovaquie, deux étapes étaient prévues : la première, pour l’occupation du territoire des Sudètes et des régions frontières à population allemande ; la seconde, pour l’occupation de la Tchécoslovaquie proprement dite. »

Puis, les lignes suivantes :

« Quelque temps avant d’entreprendre la seconde opération, des officiers de la « Hlinka-Garde » (l’organisation illégale, similaire aux SS, qui existait dans la partie slovaque de la Tchécoslovaquie) vinrent à plusieurs reprises dans le bâtiment du SS-Oberabschnitt Donau (qui portait peut-être encore à cette époque le nom de SS-Oberabschnitt Osterreich). »

Suivent alors les détails de ces plans d’instigation à la révolte. Puis, à la fin du premier paragraphe, vous trouverez ce qui suit. :

« Des réunions secrètes avaient lieu auxquelles je n’étais pas invité à participer. J’avais le sentiment très net que je ne passais pas pour suffisamment sûr. Je ne vis ces Messieurs que dans l’antichambre de Kaltenbrunner et, autant que je me souvienne, dans la salle à manger. Ces conversations, sur le sujet desquelles je n’appris rien, avaient trait, sans aucun doute, à l’opération imminente. »

II expose ensuite ses raisons et, à la seconde page, au milieu, vous trouverez ce qui suit :

« Kaltenbrunner, seul, était responsable de cette opération. L’opération était commandée, en ce qui concerne l’Allgemeine SS, par le SS-Standartenführer Spacil (surnommé Spatz). Il était chef de l’administration du SS-Oberabschnitt Donau et fut appelé plus tard par Kaltenbrunner à Berlin comme chef de l’administration au Reichssicherheitshauptamt ; Spacil était l’un des amis les plus intimes de Kaltenbrunner. »

Puis, à la fin, paragraphes 1 et 2 et subdivisions :

« J’ai fait cette déclaration :

« 1. Non pas par sentiment de haine ou pour le plaisir de dénoncer, mais parce que je suis pleinement conscient du fait qu’en agissant de la sorte je peux aider à faire la lumière sur des crimes dont j’ai honte, en tant qu’Allemand.

« 2. En pleine conscience du fait que mon acte m’attirera les calomnies de la partie adverse. Je connais très bien les hommes qui, depuis des années, essayent de m’attirer des ennuis. Mais, cela ne m’empêchera pas d’aider au triomphe de l’esprit de justice. »

Je vous demande si le contenu essentiel de ce document, tel que je vous l’ai présenté, est vrai ou faux.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Ni l’un ni l’autre : il n’a pas de sens et est par conséquent inexact. Ce qui caractérise le mieux ce document, c’est cette phrase qui figure à la première page de de l’introduction :

« ... la seconde, pour l’occupation de la Tchécoslovaquie proprement dite (qui devint par la suite le Protectorat de Bohême-Moravie et l’État slovaque.) »

Étant donné qu’au cours de l’Histoire, l’Allemagne n’a jamais occupé la république de Slovaquie, ceci suffit peut-être à caractériser dès l’abord ce témoin Mundhenke, originaire de l’Allemagne du Nord et peu familiarisé avec l’Histoire ou avec la politique. Mais il y a dans ce document tant de détails qui peuvent être expliqués d’une manière proprement humoristique que sa valeur est réduite à néant.

Puis-je attirer votre attention sur la page 3 du texte allemand et sur les noms des hommes responsables de la grande opération politique destinée à l’occupation de la Tchécoslovaquie ?

Le premier est Franz Kourik, qui était chauffeur. Le second est Karl Spitt, également chauffeur. Le troisième est un SS du nom d’Apfelbeck, fils d’un aubergiste, boucher de son métier et qui travaillait comme auxiliaire dans l’administration à la suite d’une grave blessure à la tête dans un accident d’automobile. Stadler était un petit comptable, et le nommé Petenka m’est inconnu.

Ces hommes sont censés avoir préparé avec moi l’occupation de la Slovaquie par le Reich ; c’est d’une absurdité évidente. Excusez-moi, Monsieur le Procureur, de désigner cela de cette façon, mais cela est et reste...

COLONEL AMEN

Bien, accusé, c’est absurde.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Une chose est exacte dans ce document et c’est ce que je voulais dire ; j’ai en effet eu une conversation dans l’immeuble du Parkring 8 à Vienne. C’était au sujet de l’union des groupes raciaux allemands de Slovaquie avec la Hlinka-Garde pour la nomination de candidats communs au Gouvernement slovaque. Il y a, à ce sujet, des documents, du moins à Presbourg où mon nom est suffisamment connu, et cela peut être confirmé par tout le monde et même par ce Mundhenke qui était le chef du groupe racial. Mais du moment que l’occupation de la Slovaquie n’a jamais eu lieu, je ne pense pas que j’aie besoin de me justifier.

COLONEL AMEN

Accusé, au cours de ce Procès a été déposé comme preuve l’ordre donné par Himmler de ne pas punir la population civile du lynchage des aviateurs alliés. Vous avez entendu les déclarations faites sous la foi du serment par Schellen-berg et Gerdes, déclarant qu’en votre qualité de chef de la Police de sûreté et du SD, vous avez donné de telles instructions à vos subordonnés. Niez-vous l’exactitude de ces déclarations ? Oui ou non s’il vous plaît.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Je ne désire pas les nier, mais je déclare n’avoir jamais fait aucune déclaration de cette sorte et je demande au Tribunal d’autoriser mon avocat à lire le papier que je lui ai donné au commencement de l’audience et qui contient la déposition textuelle du témoin Koller, chef d’État-Major de la Luftwaffe, qui définit mon attitude envers ce problème ; j’ai déclaré en présence de Hitler lui-même que je n’obéirais pas à un tel ordre. Ceci a eu lieu un peu plus tard, mais indique ce que je pensais personnellement à ce sujet. J’ai d’ailleurs parlé à mon avocat de cette question hier.

COLONEL AMEN

Bien, accusé. Jetez maintenant un coup d’œil sur le document PS-3855 que je dépose sous le numéro USA-806 et qui porte au bas votre nom, que ce soit une signature, un fac-similé ou de quelque manière que vous ayez choisi de l’appeler. Avez-vous ce document devant vous ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Oui.

COLONEL AMEN

Vous noterez qu’il provient du chef de la Police de sûreté et du SD et, selon les références figurant à la partie supérieure gauche, il fut préparé pour être signé par vous, par l’Amt IV A 2-B, n° 240/44 g RS.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

C’est une première et très grave erreur. Monsieur le Procureur.

COLONEL AMEN

Bien.

« a) A tous les Commandants en chef et inspecteurs de la Police de sûreté et du SD (pour communication verbale à tous les services subalternes) ;

« b) Aux groupes IV A et IV B, aux sections IV A 1, IV A 3, IV A 4, IV A 6, IV B 1 et IV B 4 ;

« c) A l’Amt V — Service national de la Police criminelle. Pour information aux Chefs suprêmes des SS et de la Police. Au chef de la Police du maintien de l’ordre.

« d) Aux chefs des services (Amtschefs) I-III et IV du RSHA.

« Objet : traitement des aviateurs ennemis parachutés.

« Référence : néant.

« Plusieurs questions relatives au traitement des aviateurs ennemis abattus doivent être mises au point :

« I. En règle absolue, les aviateurs ennemis faits prisonniers doivent être enchaînés. Cette mesure est indispensable et est approuvée par le chef de l’OKW : a) Pour prévenir les fréquentes évasions et, b) En raison du manque de personnel dans les centres de rassemblement.

« II. Les équipages d’avions ennemis qui : a) Résistent au moment de leur capture, b) Portent des vêtements civils sous leur uniforme, doivent être fusillés immédiatement après leur capture.

« III. Les aviateurs ennemis, et particulièrement ceux appartenant à l’aviation anglo-américaine, sont pour la plupart munis de trousses d’évasion, contenant des poignards, plusieurs sortes de cartes géographiques, des cartes d’alimentation, des outils d’évasion, etc. Ces trousses doivent absolument être saisies par la Police, car elles constituent des moyens de recherche extrêmement précieux. Elles devront être remises à la Luftwaffe.

« IV. L’ordre du Reichsführer SS en date du 10 août 1943 » — que vous avez également déclaré ne pas connaître — « n’est pas toujours appliqué, car il n’a vraisemblablement pas été, conformément aux ordres, transmis oralement aux services subordonnés. Il est donc à nouveau prescrit ce qui suit : il n’appartient pas à la Police d’intervenir dans les conflits mettant aux prises la population allemande et les aviateurs terroristes anglais et américains qui atterrissent en parachute.

« V. Il a été trouvé sur le corps d’un aviateur anglais abattu, un brassard portant l’inscription « Deutsche Wehrmacht » et muni d’un cachet officiel. Ce brassard n’est porté que par des combattants et permet au porteur l’accès de tous les points stratégiques importants dans les différentes zones d’opérations. Des agents ennemis parachutés feront vraisemblablement usage de ce nouveau camouflage.

« VI. Des cas isolés qui se sont produits au cours des derniers mois ont montré que si la population se saisit effectivement de la personne des aviateurs ennemis, elle ne fait pas preuve, en attendant la livraison à la Police ou à la Wehrmacht, de la retenue nécessaire. La Police d’État, en prenant des mesures trop sévères à l’égard de ces citoyens, les empêcherait d’intervenir sans réserve dans la capture des aviateurs ennemis, d’autant plus que ces cas ne doivent pas être confondus avec l’acte criminel qui consiste à donner assistance à des aviateurs ennemis évadés.

« Le Reichsführer SS a prévu les mesures suivantes contre les citoyens qui, dans de mauvaises intentions ou par un sentiment de pitié mal comprise, se seraient conduits sans dignité à l’égard d’aviateurs ennemis faits prisonniers :

« 1. Dans les cas particulièrement flagrants, internement dans un camp de concentration. Publication dans les journaux locaux.

« 2. Dans les cas plus bénins, internement de sécurité pour une durée de quinze jours au moins, dans les locaux du service de la Police d’État compétent. Emploi aux travaux de déblaiement dans les régions dévastées.

« Au cas, où il n’existerait pas, dans le ressort du service de la Police d’État, de régions dévastées qui se prêtent à cet emploi, l’internement de sécurité à court terme devra être... etc.

« Le Reichsführer SS s’est mis en rapports à ce sujet avec le Reichsleiter Bormann et a attiré son attention sur le fait qu’il est du devoir des dignitaires du Parti d’instruire la population afin qu’elle observe la retenue nécessaire vis-à-vis des aviateurs ennemis.

« Je charge les commandants en chef et les inspecteurs de la Police de sûreté de communiquer par écrit aux services subalternes les paragraphes V et VI du décret ci-dessus.

« Signé : Dr Kaltenbrunner. »

« Certifié conforme : Rosé, secrétaire. »

Niez-vous avoir été mêlé à la promulgation de ce document ? Niez-vous l’avoir signé ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Ce document ne m’a jamais été présenté ; je répéterai ce que j’ai dit hier au sujet des questions de direction et de commandement : dans le service de la Police secrète, l’Amt IV A, qui, d’après l’en-tête de la lettre, en est l’auteur, pour des questions de ce genre, recevait ses ordres directement de Himmler.

LE PRÉSIDENT

Je n’ai pas entendu la réponse à la question, l’avez-vous signé ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Non.

COLONEL AMEN

Vous niez avoir signé et vous prétendez ne rien savoir de ce document qui porte votre nom. Est-ce exact ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Monsieur le Procureur, je vous ai...

COLONEL AMEN

Voulez-vous répondre, accusé, vous ne reconnaissez pas ce document, pas plus que vous n’avez reconnu aucun de ceux qui vous ont été soumis aujourd’hui. Est-ce exact ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

J’ai déjà déclaré hier, et j’ai également dit à mon avocat, que ce document ne m’avait jamais été présenté ; je dois le savoir aujourd’hui. Dans une certaine mesure, je suis coupable de ne pas avoir prêté plus d’attention à des documents publiés sous mon nom. Je n’ai jamais, hier, nié cette responsabilité. Mais, en ce qui concerne cette question, mon point de vue ressort très nettement de la déposition de Koller.

LE PRÉSIDENT

Je ne comprends pas. Dites-vous que la signature qui figure sur ce document n’est pas la vôtre ou que vous avez pu signer ce décret sans le lire ? Que dites-vous ?

ACCUSE KALTENBRUNNER

Monsieur le Président, ce document et ce décret ne m’ont jamais été soumis ; y apposer ma signature aurait été tout à fait contraire à mon opinion personnelle sur la question. Mon opinion à ce sujet ressort de la déposition de Koller.

LE PRESIDENT

Je ne vous demande pas quelle est votre opinion personnelle. Je vous demande si le nom qui figure est signé de votre main ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Non.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal désirerait voir le document.

COLONEL AMEN

C’est une signature tapée à la machine, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Oui, montrez-nous le document. Accusé, qui était Rosé ?

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Je ne sais pas, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Colonel Amen, pouvez-vous nous dire le temps qui vous est nécessaire pour terminer votre contre-interrogatoire ?

COLONEL AMEN

Peut-être une demi-heure, cela dépend des réponses de l’accusé.

LE PRÉSIDENT

Bien. Le Tribunal va donc suspendre l’audience. Nous siégerons demain à 10 heures pour continuer cette partie des débats et nous suspendrons l’audience à 12 h. 30 pour entendre le Dr Thoma et le Ministère Public sur les documents. 374

(L’audience sera reprise le 13 avril 1946 à 10 heures.)