CENT HUITIÈME JOURNÉE.
Lundi 15 avril 1946.
Audience du matin.
Messieurs, je viens d’être informé que l’accusé Ribbentrop n’assistera pas à l’audience de ce matin.
Je vais d’abord m’occuper des documents de l’accusé Rosenberg.
Le Tribunal décide que tous les documents du premier livre, premier et deuxième volumes, doivent être refusés jusqu’à et y compris le livre de Hellpach, c’est-à-dire les documents numérotés de 1 à 6 de même que les documents 7 (e) et 8.
Deuxièmement, le Tribunal accordera valeur probatoire aux documents 7, 7 (a), 7 (b), 7 (c) et 7 (d).
Le Tribunal décide que les pièces 7 à 7 (d) ne doivent pas être lues en ce moment ; mais elles peuvent être citées par l’avocat, au cours de sa plaidoirie finale.
Troisièmement, le Tribunal autorise les livres II et III et enfin,
Quatrièmement, il déclare que l’accusé Rosenberg sera appelé le premier et que tous les documents autorisés peuvent lui être présentés pendant son interrogatoire. C’est tout ce que j’avais à dire.
Avec l’autorisation du Tribunal, je citerai d’abord le témoin Höss.
Levez-vous. Voulez-vous énoncer votre nom ?
Rudolf Franz Ferdinand Höss.
Voulez-vous répéter ce serment après moi :
« Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète le serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Témoin, votre déposition est très importante. Vous êtes peut-être l’unique personne susceptible de jeter la lumière sur des questions jusqu’alors obscures et de nous dire quelles sont les personnes qui ont donne les ordres d’anéantissement de la population juive d’Europe, comment ces ordres ont été exécutés et jusqu’à quel point ces exécutions restaient secrètes.
Voulez-vous poser des questions au témoin, s’il vous plaît ?
De 1940 à 1943, vous avez commandé le camp d’Auschwitz ?
Oui.
A cette époque, des centaines de milliers d’êtres humains furent envoyés à la mort là-bas. Est-ce exact ?
Oui.
Est-il exact que vous ne pouvez donner le nombre exact des victimes car on vous avait interdit de les compter ?
Oui, c’est exact.
Est-il, en outre, exact que seul, un certain Eichmann en tenait une comptabilité ; c’était lui qui s’occupait de l’organisation et de la réunion de tous les détenus ?
C’est exact.
Eichmann vous a-t-il bien dit qu’au camp d’Auschwitz, plus de 2.000.000 de Juifs ont été anéantis ?
Oui, c’est exact.
Des hommes, des femmes et des enfants ?
Oui.
Avez-vous fait la grande guerre ?
Oui.
Et, en 1922, vous avez adhéré au Parti ?
Oui.
Étiez-vous membre des SS ?
Depuis 1934.
Est-il exact que, au cours de 1924, vous avez été condamné à une longue peine de détention en raison de votre participation à un prétendu meurtre de la Sainte Vehme ?
Oui.
Et, à la fin de 1934, vous fîtes votre apparition au camp de Dachau ?
Parfaitement.
Quelles y furent vos fonctions ?
Je fus d’abord chef de bloc. Ensuite, chef des rapports. Puis, je fus administrateur des biens des prisonniers.
Combien de temps y êtes-vous resté ?
Jusqu’en 1938.
Et après 1938 ? Quelles furent vos fonctions et où vous trouviez-vous ?
En 1938, je fus nommé au camp de concentration de Sachsenhausen, où je fus d’abord adjoint au commandant, puis chef des détenus.
A quelle époque avez-vous commandé le camp d’Auschwitz ?
De mai 1940 jusqu’au 1er décembre 1943.
Combien de détenus se trouvaient alors à Auschwitz ?
Il y en eut à une certaine époque 140.000 environ, hommes et femmes.
Est-il exact qu’en 1941 Himmler vous a convoqué à Berlin ? Donnez-nous un bref compte rendu de vos conversations avec lui.
Oui, au cours de l’été 1941, je fus personnellement convoqué par le Reichsführer SS Himmler qui me pria de venir à Berlin. Je ne puis vous répéter exactement les mots qu’il prononça, mais en voici le sens : « Le Führer a décidé la solution finale du problème juif. C’est à nous, SS, que revient l’exécution de ces ordres. Si nous ne le faisons pas maintenant, c’est le peuple juif qui, plus tard, anéantira le peuple allemand ». Auschwitz a été choisi dans ce but car c’est l’endroit le plus propice à la construction d’un camp d’internement.
Himmler vous a-t-il dit que tout cela devait être considéré comme « affaire secrète d’État » ?
Oui, il a insisté particulièrement sur ce point et m’a recommandé de ne pas en parler à mon supérieur direct, le Gruppenführer Glücks, cette conversation devant rester secrète. Je devais observer à ce sujet le plus grand silence vis-à-vis de tout le monde.
Que faisait Glücks, dont vous venez de parler ?
Le Gruppenführer Glücks était inspecteur des camps de concentration et dépendait directement du Reichsführer.
L’expression « affaire secrète d’État » signifie-t-elle que celui qui y faisait la moindre allusion risquait sa vie ?
Oui, cela signifiait qu’on ne pouvait en parler avec qui que ce soit et que l’on était responsable de toute fuite éventuelle.
Avez-vous communiqué ces renseignements à des tiers ? Avez-vous violé ces engagements ?
Jusqu’à fin 1942, non, jamais.
Pourquoi citez-vous cette date ? Est-ce qu’après cette époque vous avez parlé à des tiers et fait des communications à ce sujet ?
Fin 1942, ma femme entendit parler de certaines choses qui se passaient dans mon camp par le Gauleiter de Haute-Silésie, et me demanda ensuite si ce qu’on lui avait dit était exact. Je lui répondis affirmativement. C’est là, la seule infraction que j’aie commise. Autrement, je n’en ai soufflé mot à personne.
Quand avez-vous fait la connaissance d’Eichmann ?
Je l’ai connu environ quatre semaines après avoir reçu l’ordre du Reichsfùhrer. Il vint à Auschwitz afin de discuter avec moi de l’exécution des ordres donnés. Comme me l’avait dit le Reichsfùhrer au cours de l’entretien que j’eus avec lui, Eichmann avait été chargé de l’exécution de ces ordres et devait en discuter avec moi. C’est lui qui m’envoya toutes les instructions ultérieures.
Dites-nous brièvement s’il est exact que le camp d’Auschwitz était tout à fait isolé et quelles furent les mesures prises pour tenir secrète l’exécution des ordres que l’on vous transmettait.
Le camp d’Auschwitz se trouvait à trois kilomètres de la ville ; les environs immédiats, environ 20.000 arpents (Acker), avaient été évacués, de sorte que toute cette région n’était accessible qu’à des SS ou à des civils détenteurs de permis spéciaux, Le camp de Birkenau, où fut installé plus tard le camp d’extermination, était situé à deux kilomètres du camp d’Auschwitz. Les installations provisoires se trouvaient au milieu des bois et ne pouvaient être vues de nulle part. Cette région était interdite et même les membres des familles des SS ne possédant pas de permis spéciaux ne pouvaient y pénétrer. C’est ainsi qu’aucun être humain, en dehors des personnes mentionnées, n’était en mesure de pénétrer sur ce terrain.
Il y eut ensuite les transports par chemin de fer ? A quelle époque arrivèrent ces transports et combien de personnes contenait chacun d’entre eux ?
Pendant toute cette période qui a précédé 1944, il y eut certaines mesures prises dans différents pays, de sorte qu’on peut parler d’arrivées incessantes. Il s’agit d’une période de quatre à six semaines. Pendant ces quatre à six semaines, arrivaient tous les jours deux à trois trains contenant chacun environ 2.000 personnes et qui étaient tout d’abord amenés sur une voie de garage du côté de Birkenau. Les locomotives repartaient alors, les hommes de garde qui accompagnaient les transports devaient quitter immédiatement l’enceinte et les personnes que l’on avait amenées étaient prises en charge par les gardiens du camp. Elles étaient visitées par deux médecins SS qui devaient juger de leur aptitude au travail. Celles qui étaient capables de travailler partaient tout de suite à pied pour Auschwitz ou Birkenau, et celles qui n’en étaient pas capables étaient d’abord conduites à ces installations provisoires et, plus tard, aux fours crématoires qui venaient d’être construits.
Au cours du dernier interrogatoire que je vous ai fait subir, vous m’aviez dit qu’on avait désigné environ soixante hommes pour s’occuper des transports ; ils étaient également tenus au plus grand secret, selon les prescriptions qui vous avaient été données à vous-même précédemment. Pouvez-vous l’affirmer à nouveau aujourd’hui ?
Oui, ces soixante hommes s’occupaient des détenus incapables de travailler. Ils étaient chargés de les amener à ces installations provisoires et plus tard à d’autres installations. Cette équipe comprenant dix chefs et sous-chefs, des médecins et du personnel sanitaire avait des instructions écrites et verbales leur imposant le plus grand secret sur tout ce qui se passait.
Un étranger à ce personnel, ayant vu arriver ces transports, pouvait-il, à divers indices, se rendre compte qu’il s’agissait de gens destinés à être anéantis, ou bien croyez-vous que le trafic important de matériel, les départs et les arrivées incessantes qui avaient lieu à Auschwitz l’en auraient empêché ?
Certainement, un observateur étranger à ces services ne pouvait avoir aucune idée de cela car, en dehors des trains destinés à l’extermination, arrivaient également des transports de détenus devant travailler dans le camp. En outre, de nombreux transports quittaient le camp, emmenant ou échangeant des travailleurs. Les trains eux-mêmes étaient fermés, c’est-à-dire que les portes des wagons de marchandises étaient verrouillées, si bien que, du dehors, on ne pouvait voir les gens qui étaient transportés. En outre, tous les jours, une centaine de wagons transportant du matériel et du ravitaillement entraient ou quittaient le camp où l’on fabriquait du matériel de guerre.
A l’arrivée des transports, les victimes devaient-elles déposer tout ce qu’elles possédaient, se déshabiller complètement, donner leurs bijoux, etc. ?
Oui.
Elles partaient ensuite immédiatement à la mort ?
Oui.
Je vous demande maintenant si, d’après vos renseignements, ces gens savaient ce qui les attendait ?
Pour la plupart d’entre eux, non, car nous avions pris des mesures pour empêcher d’éveiller ce soupçon chez eux. C’est ainsi que, partout, aux portes et aux murs, des écriteaux indiquaient un centre d’épouillage et de douches. Ils l’apprenaient par des détenus arrivés dans les transports précédents et employés comme aides.
Et la mort par intoxication se produisait alors en un temps de trois à quinze minutes à peu près, n’est-ce pas ?
Oui.
Vous m’avez dit en outre que, avant cette entrée définitive dans la mort, on étourdissait les victimes ?
D’après ma propre expérience et les renseignements des médecins, je sais que les victimes, suivant leur nombre et la température à laquelle on les exposait, perdaient connaissance ou mouraient en des temps très variables. La perte de la connaissance se produisait en quelques secondes ou en quelques minutes.
N’avez-vous jamais eu pitié de ces victimes en pensant à votre famille et à vos enfants ?
Oui, effectivement.
Et comment avez-vous pu commettre ces actes ?
Malgré les doutes qui me vinrent, il y avait une chose qui comptait par-dessus tout : c’était l’ordre que m’avait donné Himmler.
Himmler avait-il visité le camp et s’était-il rendu compte lui-même de la façon dont on exécutait les gens ?
Oui. En 1942, Himmler est venu visiter le camp et il a assisté à une exécution, depuis le début jusqu’à la fin.
En est-il de même pour Eichmann ?
Eichmann s’est rendu plusieurs fois à Auschwitz et savait très bien ce qui s’y passait.
L’accusé Kaltenbrunner a-t-il visité ce camp ?
Non.
Avez-vous parlé avec Kaltenbrunner de ces ordres que l’on vous avait donnés ?
Non, jamais. Je n’ai vu qu’une seule fois l’Obergruppenführer Kaltenbrunner.
Quand était-ce ?
C’était le lendemain de son anniversaire, en 1944.
Quelle situation occupiez-vous à cette époque-là ?
En 1944, j’étais chef des services E 1 bureau central de l’Économie et de l’Administration à Berlin (WVHA). J’étais chargé de l’inspection des camps de concentration à Oranienburg.
Et quel était l’objet de cette rencontre dont vous parlez ?
Il s’agissait d’un rapport émanant du camp de Mauthausen, sur les détenus sans identité et leur emploi dans l’industrie d’armement. Kaltenbrunner devait prendre une décision à leur sujet ; c’est pourquoi je suis allé le voir avec le rapport du commandant de Mauthausen. Mais il ne prit aucune décision et renvoya l’affaire à plus tard.
Voulez-vous nous préciser la situation géographique du camp de Mauthausen. Est-ce en Haute-Silésie ou dans le Gouvernement Général...
Mauthausen ?
Excusez-moi, je me suis trompé, il s’agit d’Auschwitz.
Auschwitz se trouve dans l’ancienne Pologne. Plus tard, après 1939, cette région fut incorporée à la province de Haute-Silésie.
Est-il exact que l’administration et le ravitaillement des camps incombaient uniquement au bureau principal de l’Économie et de l’Administration (WVHA) ?
Oui.
C’était un service complètement différent du RSHA ?
C’est exact.
Et vous avez été, de 1943 à la fin de la guerre, un des chefs de l’inspection au bureau de l’Économie et de l’Administration ?
C’est exact.
Voulez-vous dire par là que vous êtes au courant de tout ce qui s’est passé dans les camps de concentration, méthodes employées et traitements infligés aux prisonniers ?
Parfaitement.
En ce qui concerne le traitement infligé aux détenus, avez-vous eu connaissance de tortures ou de cruautés, ou de l’emploi de certaines méthodes ? Indiquez-moi ce que vous savez là-dessus avant et après 1939.
Jusqu’au début de la guerre en 1939, la situation dans les camps au point de vue ravitaillement et traitement des détenus était la même que celle de toutes les autres prisons ou maisons pénitentiaires du Reich. Les détenus étaient traités très sévèrement, mais aucun mauvais traitement ne leur était infligé de façon méthodique. Le Reichsführer a, à plusieurs reprises, donné des ordres pour que chaque SS qui frapperait un détenu soit puni, et ce fut le cas à plusieurs reprises.
Le ravitaillement et l’entretien étaient, à cette époque, les mêmes que ceux des détenus placés sous l’autorité de l’administration pénitentiaire allemande. Leur installation dans les camps au cours de ces années était parfaitement normale, car il n’y avait pas ces arrivages massifs qui eurent lieu au début et pendant la guerre. Lorsque la guerre commença et que les détenus politiques et les résistants des régions occupées arrivèrent à flots, les bâtiments existants n’y suffirent plus. Durant les premières années de la guerre, nous prîmes des mesures improvisées, mais la guerre nous l’interdit bientôt car le matériel était rare. De plus, les rations attribuées aux détenus furent considérablement réduites par les services de rationnement.
Il y avait donc un fait nouveau : le nombre des détenus ne fit que s’accroître et leur résistance aux épidémies de plus en plus menaçantes, diminua.
Si, plus tard, les détenus furent en si mauvais état, si des milliers d’entre eux furent découverts à la fin de la guerre, malades et amaigris, c’est parce qu’à chaque instant le Reichsführer nous rappelait son but et parce que le chef du bureau central de l’Économie et de l’Administration, l’Obergruppenführer Pohl, lors des réunions des chefs de camp, leur disait que chaque détenu devait être utilisé jusqu’à l’extrême limite de ses forces pour l’industrie de l’armement. Chaque commandant devait faire tout ce qu’il pouvait pour atteindre ce but. Notre but n’était pas d’avoir le plus de morts possible, mais le Reichsführer reprenait toujours son leit-motiv : utiliser toute la main-d’œuvre possible pour l’armement.
Il n’y a donc pas de doute : plus la guerre durait, plus nombreux étaient les internés maltraités et torturés.
Savez-vous si, lors de l’inspection de vos camps de concentration, il y a eu des plaintes, ou bien s’agit-il là d’excès plus ou moins importants ?
Les mauvais traitements et les tortures dont on a tant parlé et qu’ont racontés les détenus libérés par les Alliés n’étaient pas dus à l’application d’une méthode comme on veut bien le dire, mais étaient le fait d’excès de pouvoir de la part des chefs, des sous-chefs et des hommes de garde.
En avez-vous jamais eu connaissance ?
Lorsqu’on le savait, le coupable était destitué ou muté, de telle sorte que, même s’il n’était pas puni du fait du manque de preuves, il était affecté à un autre emploi et éloigné des détenus.
Comment pouvez-vous expliquer le mauvais état de santé dans lequel les troupes alliées ont trouvé les détenus et dont les films faits par elles apportent la preuve ?
La situation catastrophique de la fin de la guerre eut pour cause les destructions des voies de chemin de fer, les bombardements quotidiens des usines. On ne pouvait plus assurer le ravitaillement régulier de ce grand nombre de détenus — à Auschwitz il y en eut 140.000 — même lorsque le chef de camp essayait, par des mesures improvisées, d’améliorer les choses, en particulier par la mise sur pied de colonnes de camions de ravitaillement, ou autres mesures semblables. Ce n’était plus possible. Le nombre des malades s’était accru dans des proportions énormes et il n’y avait presque plus de médicaments, ce qui favorisait les épidémies ; les détenus capables de travailler étaient utilisés de plus en plus. Le Reichsführer avait même donné l’ordre d’utiliser là où ils pouvaient travailler les gens malades. De sorte que, dans les camps de concentration, qui étaient encombrés de malades et de mourants, nous n’avions pas assez de locaux.
Regardez la carte qui est derrière vous ; les points rouges représentent des camps de concentration. Combien y en avait-il à la fin de la guerre ?
A la fin de la guerre, il y en avait encore treize. Tous les autres, qui sont indiqués ici, sont des camps de travail attenant aux usines de guerre. Les treize camps dont je parle, je viens de vous le dire, étaient les camps centraux d’une région. Par exemple, en Bavière, le camp de Dachau. En Autriche, Mauthausen. Tous les autres camps de travail dépendaient de ces camps principaux. Ces camps de concentration avaient à surveiller et à ravitailler les camps extérieurs, c’est-à-dire qu’ils devaient leur fournir du personnel, échanger les malades, s’occuper de l’habillement. Le ravitaillement fut, à partir de 1944, presque exclusivement l’affaire des industries d’armement elles-mêmes, et les détenus qui travaillaient devaient être nourris par les services qui les employaient.
Que savez-vous des prétendues expériences médicales pratiquées sur les détenus vivants ?
On en fit dans différents camps. Ainsi, à Auschwitz, les expériences de stérilisation du professeur Klaubert et du Dr Schumann. Des expériences furent faites ensuite sur des jumeaux par le Dr Mengele, médecin SS.
Connaissez-vous le Dr Rascher ?
Le Dr Rascher, médecin de l’Aviation, fit des expériences à Dachau avec des condamnés à mort, sur la résistance du corps humain au froid et aux hautes pressions atmosphériques.
Savez-vous si ces expériences étaient connues de la majorité des internés de ces camps ?
De telles expériences, comme toutes autres choses, étaient évidemment très secrètes, mais il n’était certainement pas possible d’éviter que dans un très grand camp, beaucoup de personnes n’en aient connaissance. Mais je ne sais pas si on l’a su en dehors du camp.
Vous m’avez dit également qu’il y a eu aussi des ordres d’exécution au camp d’Auschwitz ; que ces ordres, jusqu’à la guerre, furent très rares, mais qu’ils devinrent plus fréquents par la suite ?
Oui. Jusqu’au début de la guerre, il n’y eut que très peu d’exécutions, seulement dans certains cas extrêmes. Je me souviens qu’un jour, à Buchenwald, on a pendu des détenus qui avaient attaqué et assommé un SS.
Vous reconnaissez que pendant la guerre le nombre des exécutions augmenta d’une façon considérable ?
Oui, dès le début de la guerre.
Ces exécutions étaient-elles la conséquence de jugements de tribunaux allemands ?
Non, ces exécutions à l’intérieur des camps étaient la conséquence d’instructions du RSHA.
Quelle signature portaient les ordres d’exécution que vous avez eus entre les mains ? Est-il exact que, occasionnellement, des ordres d’exécution arrivèrent portant la signature de Kaltenbrunner ? Il ne s’agissait pas d’originaux mais de télétypes dont la signature était tapée à la machine ?
C’est exact. Nous n’avons jamais eu en mains les originaux des ordres d’exécution. Ceux-ci allaient ou bien à l’inspection des camps de concentration et étaient ensuite retransmis par télétype dans les différents camps, ou bien, dans les cas urgents, ils étaient transmis directement du RSHA aux camps intéressés. L’inspection en était ensuite informée. Ainsi, les camps ne recevaient jamais que des télétypes.
Prétendez-vous devant le Tribunal, qu’étant donné le nombre toujours croissant de tous les ordres d’exécution, ceux-ci portèrent jusqu’à la fin de la guerre la signature de Himmler ou celle de Müller ?
J’ai vu très peu de télétypes signés du Reichsführer et encore moins de l’accusé Kaltenbrunner. La plupart d’entre eux portaient la signature de Müller.
Est-ce ce Müller dont vous avez déjà parlé et avec lequel vous avez à maintes reprises discuté ?
Le Gruppenführer Müller était chef de l’Amt IV du RSHA et s’occupait de toutes les questions traitant de l’inspection des camps de concentration.
Voulez-vous dire qu’à la suite de cela vous avez rendu visite au chef de la Gestapo Müller supposant, d’après votre expérience de son activité passée qu’il s’agissait de la personne compétente en la matière.
C’est exact. J’ai traité avec le Gruppenführer Müller ce qui concernait les camps de concentration ; il était au courant et, la plupart du temps, il a pris immédiatement une décision.
Je vous demande encore une fois si vous avez examiné ces questions avec l’accusé Kaltenbrunner.
Non.
Êtes-vous au courant d’une évacuation éventuelle des camps de concentration vers la fin de la guerre et, si oui, qui en a donné l’ordre ?
Voici ce que j’en sais. Le Reichsführer SS avait, à l’origine, donné l’ordre d’abandonner le camp à l’ennemi en cas d’arrivée de ce dernier ou d’attaques aériennes. Ultérieurement, pour le cas Buchenwald qui a été rapporté au Führer... Non ce n’est pas cela. Au début de l’année 1945, lorsque divers camps se trouvèrent dans la zone d’opérations, le Reichsführer chargea les hauts fonctionnaires SS et de la Police de décider en cas d’urgence s’il fallait les évacuer ou les laisser à l’ennemi. Auschwitz et Gross-Rosen ont été évacués. Buchenwald devait l’être, puis le Reichsführer donna l’ordre de ne plus faire aucune évacuation. Seuls les détenus de marque ne devaient en aucun cas tomber aux mains des Alliés et devaient être transférés ailleurs. C’est ce qui se produisit pour Buchenwald. Lorsqu’il (ce camp) fut occupé, le Führer reçut un rapport disant que des détenus s’étaient emparés d’armes et avaient exécuté des pillages dans la ville de Weimar. Le Führer donna alors à Himmler l’ordre d’empêcher qu’à l’avenir les camps ne tombent aux mains de l’ennemi et de transférer au préalable les détenus dans d’autres camps. Ceci se passait très peu de temps avant la fin de la guerre, peu avant que le nord de l’Allemagne fût séparé du sud.
Voici le cas de Sachsenhausen : le chef de la Gestapo, le Gruppenführer Millier, m’appela au téléphone et me dit que le Reichsführer avait donné l’ordre d’évacuer le camp immédiatement. Je fis remarquer au Gruppenführer que Sachsenhausen ne pouvait plus l’être ; il aurait fallu envoyer les détenus dans quelques camps de travail rattachés à des entreprises susceptibles de tenir lieu d’hébergement qui se trouvaient dans la région et ceux qui restaient dans les bois, mais qu’il y aurait alors des milliers et des milliers de morts, et qu’il était absolument impossible de nourrir cette masse de gens. Le Gruppenführer me dit qu’il en parlerait à nouveau au Reichsführer et me rappela au bout d’une heure en me disant que ce dernier avait refusé et demandait aux commandants d’exécuter l’ordre immédiatement.
Ravensbruck devait aussi être évacué, mais ne put pas l’être. Dans quelle mesure les camps du sud de l’Allemagne ont été évacués ou non, je ne le sais pas, étant donné que mon inspection n’avait plus aucune liaison avec le sud de l’Allemagne.
On a prétendu ici, et c’est là ma dernière question, que l’accusé Kaltenbrunner aurait donné l’ordre de tuer les internés de Dachau et de deux autres camps, à la bombe ou au poison. Êtes-vous au courant d’une telle chose ? Sinon, croyez-vous qu’elle soit vraisemblable ?
Je n’ai jamais entendu dire quelque chose de pareil, je ne sais rien d’un ordre d’évacuation pour le sud de l’Allemagne et je considère comme impossible qu’on puisse anéantir un camp de cette façon.
Je n’ai plus d’autres questions à poser.
Les avocats désirent-ils poser des questions au témoin ?
Témoin, est-ce que la Police d’État, en tant qu’administration du Reich, a participé au massacre des Juifs à Auschwitz ?
Oui, puisque j’ai reçu tous mes ordres à ce sujet de l’Obersturmführer Eichmann.
L’administration des camps de concentration était-elle placée sous le contrôle du bureau de l’Administration et de l’Économie ?
Oui.
Vous avez dit précédemment que vous n’aviez rien à faire avec le RSHA ?
Non.
Je vous prie de spécifier encore une fois que la Police d’État, en tant que telle, n’avait rien à faire avec l’administration, le ravitaillement et le traitement des détenus. Mais que c’était exclusivement le travail du bureau de l’Administration et de l’Économie.
C’est exact, oui.
Comment expliquez-vous alors que vous étiez en relations avec Müller et que vous avez traité avec lui de questions relatives aux camps de concentration ?
Le RSHA et en particulier l’Amt IV avaient un pouvoir exécutif en ce qui concerne les ordres relatifs aux détenus, leur répartition dans les camps des catégories 1, 2, 3 ; les mesures de répression, les exécutions, l’hébergement des détenus spéciaux et tout ce qui en découlait passaient par le RSHA et en particulier l’Amt IV.
Quand ce service de l’Administration et de l’Économie a-t-il été créé ?
Le WVHA existait depuis 1933 sous différentes dénominations. L’inspection des camps de concentration ne dépendait de lui que depuis 1941.
En somme, dès le début, ces camps de concentration étaient sous les ordres de cette administration. C’est-à-dire des SS et non pas de la Police d’État ?
C’est exact.
Vous avez cité le nom du Dr Rascher tout à l’heure. Le connaissez-vous personnellement ?
Oui.
Savez-vous si le Dr Rascher, avant le début de son activité à Dachau, faisait partie des SS ?
Je n’en ai pas la moindre idée. Je l’ai vu plus tard en uniforme de médecin de l’Aviation et il parait qu’ensuite il entra dans les SS, mais je ne l’ai plus revu.
Je n’ai plus d’autres questions à poser au témoin. Merci.
Témoin, vous avez dit au début de votre déposition que le Reichsführer SS Himmler, lorsqu’il vous demanda de venir le voir, vous aurait dit que l’exécution de cet ordre du Führer devait être laissée aux SS. Qu’entendez-vous par SS ?
D’après les ordres du Reichsführer, il ne pouvait s’agir que des membres des SS qui gardaient les camps L’exécution de ces ordres ne visait que les membres des SS qui étaient les gardiens du camp et non pas les Waffen SS.
Combien de membres des SS y avait-il dans les camps et à quelles formations des SS appartenaient-ils ?
A la fin de la guerre, il y avait environ 35.000 SS et à mon avis environ 10.000 hommes de l’Armée, de l’Aviation et de la Marine affectés comme gardiens dans les camps de travail.
Quel était le travail de ces gardiens ? Autant que je le sache il était différent : il y avait d’abord la garde des détenus puis aussi l’administration, etc.
Oui, c’est en effet exact.
Oui. Combien y avait-il de gardiens pour mille détenus par exemple ?
Il est difficile de l’évaluer. J’estime que 10% du personnel de garde étaient destinés au service intérieur, à l’administration, à la surveillance des détenus à l’intérieur du camp, aux bureaux d’infirmerie, etc.
Par conséquent, 90% s’occupaient de la garde extérieure, occupaient les miradors et accompagnaient les détenus au travail ?
Oui.
Avez-vous vu ces gardiens se livrer à des exactions dans une plus ou moins large mesure ou bien celles-ci étaient-elles uniquement le fait des Kapos ?
S’il y a eu des mauvais traitements — moi-même je n’en ai jamais observé — je ne crois pas qu’ils furent le fait des gardiens, ou bien dans une très faible mesure, car les autorités dont dépendaient les camps avaient ordonné que les rapports entre SS et détenus soient réduits au minimum, le personnel de garde étant devenu au cours des années tellement mauvais qu’on ne pouvait plus avoir, vis-à-vis de lui, la même attitude qu’au début. Il y avait des milliers de gardiens sachant à peine l’allemand, originaires de tous les pays et engagés volontaires dans les SS, ou bien de vieilles classes de 50 à 60 ans n’ayant aucun intérêt au service, de sorte que le chef du camp devait faire très attention à ce que ces hommes observent strictement le règlement. Il est évident que les détenus ont subi de mauvais traitements, mais nous ne l’avons jamais toléré. En outre, il était impossible d’encadrer ces gens au travail seulement par des SS. C’est pourquoi il fallait partout les faire surveiller et diriger par d’autres détenus qui assumaient presque exclusivement l’administration du camp. Il y eut naturellement beaucoup d’excès commis. Ils étaient inévitables car la nuit il n’y avait presque aucun SS dans le camp. Ce n’est que dans certains cas précis que les SS pouvaient pénétrer dans les camps : les détenus se trouvaient donc plus ou moins à la merci de ces kapos.
Vous nous avez parlé d’un règlement s’appliquant aux gardiens, mais il y en avait également un pour les détenus ; il prévoyait des châtiments pour les détenus qui ne s’y conformaient point. Quelles étaient ces punitions ?
Tout d’abord, ils pouvaient être affectés à une compagnie disciplinaire où ils étaient soumis à un travail plus sévère, et étaient logés de façon plus rudimentaire. Ensuite, il y avait l’incarcération dans l’obscurité ; dans les cas graves, autre punition : on les mettait aux chaînes. Cette punition fut interdite en 1942 ou 1943 par le Führer. Il y avait encore une autre punition : se tenir debout à l’entrée du camp et enfin comme dernier moyen, la correction. Elle ne pouvait être ordonnée par le commandant qui pouvait seulement la proposer et il fallait, dans le cas des hommes, l’assentiment de l’inspecteur des camps de concentration : le Gruppenführer Schmidt, et pour les femmes, une décision du Reichsführer.
Vous savez sans doute qu’il existait deux camps disciplinaires pour les SS à Dachau et à Dantzig-Matzkau ; on les appelait également camps de concentration.
Parfaitement.
Les méthodes en usage dans ces camps étaient-elles différentes de celles pratiquées dans les autres camps de concentration ?
Oui. Ces camps ne dépendaient pas de l’inspection des camps de concentration mais d’une juridiction de Police SS. Je n’ai jamais inspecté ces deux camps.
Vous ignorez le règlement de ces camps ?
Oui je l’ignore.
Je n’ai plus de questions à poser.
Nous allons suspendre l’audience pendant dix minutes.
J’ai une question à poser au Tribunal. On a nommé un second avocat pour les SS ; est-il permis au second avocat de poser quelques questions ?
Non, le Tribunal a décidé, il y a longtemps, qu’un seul avocat serait entendu.
Je vous remercie.
Témoin, vous venez de dire que des gens appartenant à la Marine de guerre avaient été affectés à la garde des camps de concentration.
Oui.
S’agit-il de camps de concentration ou de camps de travailleurs ?
II s’agit de camps de travailleurs.
Entendez-vous, par camps de travailleurs, les baraquements installés autour des entreprises d’armement ?
Oui, lorsque les travailleurs ne sont pas logés dans les locaux mêmes de l’usine.
On m’a informé que les soldats affectés à la garde des camps de travailleurs avaient été versés dans les SS.
Cela n’est exact qu’en partie. Une partie de ces hommes, je ne, connais pas les chiffres, a été affectée aux SS. Les autres furent renvoyés à leurs corps d’origine ou furent échangés. Il y avait des déplacements constants.
Je vous remercie.
Plaise au Tribunal. Je voudrais d’abord, au nom de nos Alliés britanniques, déposer sans les lire une série de documents concernant les Waffen SS. Ce sont des statistiques donnant le nombre des Waffen SS affectés à la garde des camps de concentration.
Je demande qu’on montre au témoin les pièces D-745 (a) et (b), D-746 (a) et (b), D-747, D-748, D-749 (b), D-750, l’une étant un affidavit de ce témoin.
(On remet les documents au témoin.)
Témoin, le document D-749 (b) qui vient de vous être transmis est bien l’une de vos dépositions ?
Oui.
Et vous connaissez le contenu des autres ?
Oui.
Et vous certifiez l’exactitude de ces chiffres ?
Oui.
Bien. Ces documents auront le numéro de dépôt USA-810. Témoin, lorsque vous étiez à Dachau et à Mauthausen, ces camps ont-ils parfois reçu la visite de hauts fonctionnaires nazis ?
Oui.
Pouvez-vous donner des noms au Tribunal ?
Je me souviens encore de 1935, lorsque tous les Gauleiter sous la conduite du Reichsführer Himmler ont visité Dachau. Je ne me souviens pas de tous les noms.
Vous souvenez-vous si un ministre a visité l’un de ces camps lorsque vous vous y trouviez ?
Voulez-vous parler de cette visite de 1935 ?
A un moment quelconque quand vous étiez dans un de ces camps.
Oui, en 1938, le ministre Frick vint à Sachsenhausen avec le chef du Gouvernement.
Vous souvenez-vous, de la visite d’autres ministres à un moment quelconque ?
Pas à Sachsenhausen, mais à Auschwitz, le ministre de la Justice.
Qui était-il ?
Thierack.
Et qui encore ? Vous souvenez-vous d’autres noms ?
Oui, mais je ne peux pas dire ces noms maintenant.
De qui s’agissait-il ?
J’ai donné les noms dans le procès-verbal mais je ne peux les redonner de mémoire.
Très bien. Vous avez dit que plusieurs ordres d’exécution avaient été signés par Müller ? Est-ce exact ?
Oui.
N’est-il pas exact que tous ces ordres d’exécution dont vous avez parlé ont été signés par...
Je vous demande pardon, Monsieur le Président... on a déposé des documents, et on interroge le témoin sur le contenu de ces documents. La Défense ne peut pas suivre puisqu’elle ignore ce qui se trouve dans ces documents. Je vous demande de nous permettre d’avoir connaissance de leur contenu.
N’a-t-on donné aux accusés aucune copie de ces documents ?
Si. Nous en avons des copies ici. Cinq copies allemandes ont été distribuées.
La chose peut être vérifiée.
Témoin, je vous demande, à propos des ordres d’exécution, s’il est exact que vous ayez dit qu’ils étaient signés par Müller. Me comprenez-vous ?
Oui.
Müller ne signait-il pas au nom de l’accusé Kaltenbrunner, chef du RSHA ? Ces ordres ne portaient-ils pas la mention « Par ordre » ?
Oui, cette mention figurait sur les exemplaires dont j’ai eu les originaux entre les mains. Lorsque j’étais à Oranienburg, ces ordres portaient la signature : « Par ordre : Müller ».
En d’autres termes, Müller signait simplement en sa qualité de représentant du chef du RSHA, Kaltenbrunner, n’est-ce pas ?
Je suppose.
Et, naturellement, vous savez que Müller, était subordonné au chef du RSHA, Kaltenbrunner ?
Oui.
Témoin, vous avez fait, à la demande du Ministère Public, une déposition sous la foi du serment ?
Oui.
Je demande qu’on montre au témoin le document PS-3868, que je dépose sous le numéro USA-819. (Le document est remis au témoin.) Vous avez librement signé cet affidavit, témoin ?
Parfaitement.
Et il représente la vérité à tous égards ?
Oui.
Messieurs, nous avons ce document en quatre langues. (Au témoin.) Vous nous avez déjà donné quelques explications sur des passages de cet affldavit. Pouvez-vous en suivre la lecture ? Est-ce que vous avez une copie de l’affidavit devant vous ?
Oui.
Je saute le premier paragraphe et commence au paragraphe 2 :
« Je me suis constamment occupé de l’administration des camps de concentration depuis 1934. J’ai été en fonctions à Dachau jusqu’en 1938, puis, comme adjoint à Sachsenhausen, depuis 1938 jusqu’au 1er mai 1940, date à laquelle je fus nommé commandant d’Auschwitz. Je dirigeai Auschwitz jusqu’au 1er décembre 1943 et estime que au moins 2.500.000 victimes y furent exécutées et exterminées par les gaz et le feu, et que, au moins un autre demi-million succomba à la faim et à la maladie, ce qui fait un total d’environ 3.000.000 de morts. Ce chiffre représente environ 70 ou 80% du nombre total des détenus d’Auschwitz, le reste ayant été sélectionné pour le travail forcé dans les industries des camps de concentration. Parmi ceux qui furent exécutés ou brûlés, il y avait à peu près 20.000 prisonniers de guerre russes (triés au préalable par la Gestapo dans les camps de prisonniers de guerre). Ceux-ci furent amenés à Auschwitz dans des convois de la Wehrmacht conduits par des officiers et des hommes de la Wehrmacht. Le restant du nombre total des victimes était composé de 100.000 Juifs allemands et un grand nombre de citoyens, pour la plupart Juifs, de Hollande, de France, de Belgique, de Pologne, de Hongrie, de Tchécoslovaquie, de Grèce ou d’autres pays. Nous exécutâmes environ 400.000 Juifs hongrois dans le seul camp d’Auschwitz, au cours de l’été 1944. »
Tout cela est-il vrai, témoin ?
Oui, c’est exact.
Je laisse maintenant les quelques premières lignes du paragraphe 3 et commence au milieu environ :
« Avant la formation du RSHA, c’était la Police secrète d’État (Gestapo) et la Sûreté (Kriminalpolizei) qui étaient les services responsables des arrestations et des internements en camps de concentration ainsi que des peines et des exécutions qui y étaient appliqués ou qui s’y déroulaient. Après la formation du RSHA, tout ceci fut subordonné, sans changement, à Heydrich, chef du RSHA, qui signait les ordres. Tant que Kaltenbrunner fut chef du RSHA, les ordres concernant les internements de protection, les déportations, l’application de peines et les exécutions ont été signés par Kaltenbrunner ou par le chef de la Gestapo Müller, en tant que représentant de Kaltenbrunner. »
Afin que tout soit bien net, la dernière date du paragraphe 2 est-elle 1943 ou 1944 ?
1944. Je crois.
Témoin, la date qui figure à la fin du paragraphe 2 est-elle exacte ? « Au cours de l’été 1944, 400.000 Juifs hongrois ont été exécutés. » Est-ce 1944 ou 1943 ?
1944. Une partie le fut à la fin de 1943. Je ne puis donner le chiffre exact ; la fin de ces exécutions eut lieu en automne 1944.
Bien.
« 4. Les exécutions massives par les gaz commencèrent au cours de l’été 1941 et continuèrent jusqu’à l’automne 1944. J’ai surveillé personnellement les exécutions à Auschwitz jusqu’au 1er décembre 1943 et sais, par mes fonctions d’inspecteur des camps de concentration au WVHA, que ces exécutions massives continuèrent comme je l’ai dit plus haut. Toutes les exécutions massives par les gaz eurent lieu sous les ordres directs, la surveillance et la responsabilité du RSHA. Je recevais directement du RSHA l’ordre de procéder à ces exécutions en masse. »
Ces déclarations sont-elles exactes, témoin ?
Oui.
« 5. Le 1er décembre 1943, je devins chef de l’Amt I, du groupe D du WVHA, et étais responsable dans ce bureau de la coordination des questions à régler entre le RSHA et les camps de concentration qui dépendaient de l’administration du WVHA. Je remplis ces fonctions jusqu’à la fin de la guerre. Pohl, comme chef du WVHA et Kaltenbrunner, comme chef du RSHA, se consultaient souvent oralement et par écrit sur les questions soulevées par les camps de concentration. »
Vous nous avez déjà parlé du long rapport que vous avez transmis à Kaltenbrunner à Berlin. Je sauterai donc le reste du paragraphe 5.
« 6. La solution finale de la question juive signifiait l’extermination complète de tous les Juifs vivant en Europe. Je reçus l’ordre en juin 1941, de créer des installations d’extermination à Auschwitz. A ce moment, il y avait déjà trois autres camps d’extermination dans le Gouvernement Général : Beizek, Treblinka et Wolzek. Ces camps étaient dirigés par l’Einsatzkommando de la Police de sûreté et du SD. J’ai visité Treblinka pour voir comment se faisait cette extermination. Le commandant du camp de Treblinka me dit qu’il avait liquidé 80.000 Juifs au cours d’un semestre. Il s’occupait surtout de liquider les Juifs du ghetto de Varsovie. Il se servait de gaz monoxyde, et je ne crois pas que ce fut très efficace ; aussi, quand j’installai les bâtiments d’extermination à Auschwitz, je me servis de cyclon B qui était un acide prussique cristallisé que nous laissions tomber dans la chambre d’extermination- par une petite ouverture. Il fallait de trois à quinze minutes pour tuer les gens dans la chambre d’extermination suivant les conditions atmosphériques. Nous savions quand les gens étaient morts car ils s’arrêtaient de crier. D’habitude, nous attendions une demi-heure avant d’ouvrir les portes pour retirer les corps. Après que les morts avaient été retirés, nos commandos spéciaux prélevaient les bagues et extrayaient les dents en or des cadavres. »
Est-ce exact, témoin ?
Oui.
Que faisait-on de l’or des dents des cadavres, le savez-vous ?
Oui.
Pouvez-vous le dire au Tribunal ?
L’or était fondu et envoyé à la direction du service de santé SS à Berlin.
« 7. Un autre progrès sur Treblinka fut réalisé par la construction de chambres à gaz pouvant contenir 2.000 personnes, tandis qu’à Treblinka il y avait dix chambres à gaz ne pouvant contenir que 200 personnes chacune. La manière dont nous choisissions nos victimes était la suivante : nous avions deux médecins SS en service à Auschwitz chargés d’examiner les prisonniers qui arrivaient. On faisait défiler ces prisonniers devant un des médecins qui se prononçait immédiatement en les voyant passer. Ceux qui étaient capables de travailler étaient envoyés au camp. Les autres étaient envoyés immédiatement aux installations d’extermination. Les enfants en bas âge étaient invariablement exterminés car ils étaient incapables de travailler. Autre progrès : à Treblinka les victimes savaient presque toujours qu’elles devaient être exterminées, tandis qu’à Auschwitz nous essayâmes de les tromper en leur faisant croire qu’on allait les épouiller. Naturellement elles perçaient souvent nos véritables intentions et il s’ensuivait souvent des révoltes et des difficultés. Très souvent les femmes cachaient leurs enfants sous leurs vêtements, mais naturellement nous les trouvions et les envoyions à la mort.
« On nous demandait de garder le secret sur ces exterminations mais, naturellement, la puanteur fétide et écœurante des corps continuellement brûlés imprégnait toute la région, et tous les gens habitant les environs savaient que l’on procédait à des exterminations à Auschwitz. »
Est-ce que tout cela est exact, témoin ?
Oui.
Je sauterai les paragraphes 8 et 9 qui concernent les expériences médicales, car vous en avez déjà parlé :
« 10. Rudolf Mlidner a été chef de la Gestapo à Katowitz depuis mars 1941 jusqu’en septembre 1943 environ. A ce titre, il envoya souvent des prisonniers à Auschwitz pour y être internés ou exécutés. Il visita Auschwitz à plusieurs reprises. Le tribunal de la Gestapo, le SS-Standgericht qui jugeait des personnes accusées de crimes divers tels que tentative d’évasion de la part de prisonniers de guerre, etc. se réunissait souvent à Auschwitz et Mlidner assistait fréquemment au procès de ces gens qui, d’habitude, étaient exécutés à Auschwitz après leur condamnation. Je fis visiter les installations d’extermination d’Auschwitz à Mildner, et il s’y intéressa particulièrement car il devait envoyer des Juifs de son territoire à Auschwitz pour y être exécutés.
« Je comprends l’anglais, langue dans laquelle ce texte est rédigé. Les déclarations ci-dessus sont véridiques, je les ai faites volontairement et sans contrainte. Après avoir relu ma déclaration, je l’ai signée et certifiée à Nuremberg (Allemagne), le 5 avril 1946.
« Signé : Rudolf Höss. »
Je vous demande, témoin, si tout ce qu’on vous a lu est l’expression de la vérité ?
Oui.
Voilà qui termine mon contre-interrogatoire, à l’exception d’un document britannique, résumé des documents que j’ai déposés au début du contre-interrogatoire. Ce sera le document USA-810. C’est un résumé des premiers documents que j’ai déposés et qui concernent les Waffen SS.
Je crois, Monsieur le Président, que les Ministères Publics soviétique et français ont quelques questions concernant leurs pays respectifs qu’ils voudraient poser au témoin.
Général Rudenko, vous vous souviendrez que le Ministère Public a assuré au Tribunal, en ce qui concerne les témoins, qu’à l’exception d’un ou deux accusés individuels, il ne procédera qu’à un seul contre-interrogatoire ; depuis cette assurance, c’est la deuxième fois que le Ministère Public désire avoir plus d’un contre-interrogatoire.
Il est vrai, Monsieur le Président, que le Ministère Public a fait une déclaration en ce sens. Mais il s’est également réservé le droit d’agir autrement dans certains cas particuliers. Le Ministère Public représente quatre pays : il est donc indispensable que chaque Délégation ait le droit de poser certaines questions aux accusés lorsque leur pays est en jeu.
Pourriez-vous indiquer la nature des questions que le Ministère Public soviétique veut poser. Non pas les questions exactes, mais le sujet qu’elles concernent.
J’ai compris. Le colonel Pokrovsky, qui a l’intention de poser ces questions, va en faire part au Tribunal.
Je puis dire, Monsieur le Président, que nous sommes intéressés par une certaine quantité de questions concernant l’extermination de millions de citoyens soviétiques. Nous voudrions avoir quelques détails sur ces exterminations. Sur la demande de la Délégation française, je voudrais poser deux ou trois questions se rapportant à certains documents qui, dans le livre de documents français, ont été déposés sous le numéro F-709 (a). C’est tout ; mais ces questions ont une grande importance pour les Délégations soviétique et française.
Colonel Pokrovsky, le Tribunal vient de décider, avec l’assentiment du Ministère Public, que dans le cas des témoins il n’y aurait qu’un contre-interrogatoire. Il n’y a rien dans la Charte qui donne expressément le droit au Ministère Public de contre-interroger chacun d’eux et, d’autre part, l’article 18 ordonne au Tribunal de prendre des mesures strictes pour empêcher tout retard inutile dans la marche des débats. Le Tribunal estime que, dans le cas présent, le sujet a été épuisé et qu’il n’est pas nécessaire d’engager un autre contre-interrogatoire à ce propos.
Docteur Kauffmann, voulez-vous poser quelques questions au témoin ?
Je serai très bref.
Témoin, dans la déclaration sous serment qui vient d’être lue, vous dites dans le paragraphe 2 qu’au moins un autre million d’internés est mort à la suite des privations et des maladies. Je vous demande l’époque à laquelle ces faits se sont passés ? Est-ce à la fin de la guerre ou est-ce que ce fait a déjà été constaté par vous antérieurement ?
Non, cela se rapporte aux dernières années de la guerre, depuis la fin de 1942.
Au paragraphe 3... Avez-vous encore la déclaration ?
Non.
Puis-je demander qu’on remette à nouveau la déclaration au témoin ? (Le document est remis au témoin.)
A la fin du paragraphe 3, vous déclarez que les ordres concernant l’internement de protection, les déportations, punitions, exécutions spéciales, étaient signées par Kaltenbrunner ou par Müller, chef de la Gestapo en tant que représentant de Kaltenbrunner. Voulez-vous créer ainsi une contradiction avec ce que vous avez dit tout à l’heure ?
Non, cela se complète puisque j’ai toujours indiqué que je n’ai vu que très peu d’exemplaires munis de la signature de Kaltenbrunner ; la plupart étaient signés de Müller.
Paragraphe 4, vous déclarez :
« Toutes les exécutions massives par les gaz eurent lieu sous les ordres directs, la surveillance et la responsabilité du RSHA. Je recevais directement du RSHA tous les ordres de procéder à ces exécutions. »
Votre témoignage de tout à l’heure devant ce Tribunal avait pour objet de démontrer que toute cette action vous était directement ordonnée par Himmler en passant par Eichmann qui en était personnellement chargé. Est-ce que vous maintenez cela ?
Oui.
Voulez-vous, par cette dernière phrase du paragraphe 4, créer une contradiction avec ce que vous avez déclaré tout à l’heure ?
Non, en relation avec les exécutions massives et le RSHA, je parle toujours de l’Obersturmbannführer Eichmann.
A la fin du paragraphe 7, vous déclarez — je ne veux pas lire textuellement — que malgré le secret, la population des régions avoisinantes devait se rendre compte qu’on procédait à des exterminations d’hommes. Je vous demande : est-ce qu’auparavant, avant le début de cette action spéciale d’extermination, on n’avait pas entrepris de faire normalement disparaître des cadavres à Auschwitz ?
Oui. Alors que les fours crématoires n’étaient pas encore construits, nous avions une grande quantité de cadavres qui ne pouvaient être brûlés dans le four crématoire provisoire. Nous les brûlions directement ou encore les mettions dans des fosses communes et les brûlions ultérieurement tous ensemble. Cela avant que les exécutions massives de Juifs ne commencent.
Est-ce que vous seriez d’accord avec moi si je disais que, d’après ce qui est décrit ici, on ne pouvait s’apercevoir qu’il s’agissait d’exterminations de Juifs ?
Je pense qu’on ne pouvait pas en tirer cette conclusion. La population...
Quelle était la question ?
Ma question était la suivante : est-ce qu’on pouvait déduire des faits décrits au paragraphe 7 qu’il s’agissait de l’extermination des Juifs ? Cette question précède la réponse du témoin, et c’est ma dernière question.
La dernière phrase du paragraphe 7 se rapporte à la puanteur écœurante des cadavres. Je ne vois pas le rapport.
Je demandais si, de ce fait, la population pouvait déduire qu’il s’agissait d’extermination de Juifs.
Cette question est par trop naïve. La population ne pouvait pas savoir qui on exterminait.
Oui, cela suffit. D’ailleurs je ne pose pas d’autres questions.
Messieurs, j’ajouterai quelques questions, étant donné que le témoin a déclaré, lors de son interrogatoire, que l’accusé Frick avait visité les camps de concentration de Sachsenhausen et d’Oranienbourg en 1938.
Témoin, est-ce que, lors d’une visite à cette époque, 1937-1938, à Oranienbourg, on pouvait constater des atrocités ?
Non.
Pourquoi non ?
Parce qu’à cette époque on ne pouvait pas parler d’atrocités.
Est-il exact qu’à cette époque il régnait au camp de concentration d’Oranienbourg un ordre parfait et qu’on y exécutait des travaux afin de mettre le pays en valeur ?
C’est exact, mais on y travaillait surtout dans des ateliers de travail du bois.
Pouvez-vous nous donner des détails sur ce qui fut montré à cette époque lors d’une telle visite officielle ?
Oui, la visite se déroula à travers le camp proprement dit : on visita les baraquements, la cuisine, l’hôpital, l’infirmerie et enfin tous les bâtiments de service et les lieux de travail des détenus.
Est-ce qu’à cette époque les baraquements étaient déjà surpeuplés, ainsi que les infirmeries ?
Non, il y avait un nombre normal de détenus par baraque.
Quel était l’aspect de ces baraquements ?
A cette époque, les baraquements avaient le même aspect qu’un cantonnement de soldats sur un terrain de service. Les détenus avaient encore des draps et bénéficiaient de toutes les mesures d’hygiène nécessaires. Tout était parfaitement en ordre à cette époque.
Merci, je n’ai pas d’autres questions à poser.
Quel était le nombre des camps de travail à cette époque ?
Je n’en connais pas le nombre exact, mais je crois qu’il y en avait de tout temps environ 900.
Combien d’internés y avait-il dans ces 900 camps ?
Je ne puis pas non plus le dire ; cela variait de 100 à 10.000 détenus. Je ne puis indiquer le nombre exact de détenus dans ces camps de travail.
De quelle administration dépendaient ces camps de travail ? De quel service ?
Les camps de travail dépendaient du WVHA en ce qui concerne la direction, la garde, l’habillement. Le ravitaillement et l’organisation du travail dépendaient des usines employant les détenus.
Et à la fin de la guerre, les conditions de vie dans ces camps de travail étaient-elles semblables aux conditions de vie dans les camps de concentration, telles que vous les avez décrites plus haut ?
Oui, car il n’y avait plus la possibilité d’évacuer les détenus malades vers les camps de concentration proprement dits ; c’est pour cela que la mortalité était très élevée.
Le témoin peut se retirer. (Le témoin se retire.)
En avez-vous terminé, Docteur Kauffmann ?
Je fais comparaître encore un témoin, avec l’autorisation du Tribunal, le témoin Neubacher. (Le témoin s’approche de la barre.)
Quel est votre nom complet ?
Hermann Neubacher.
Répétez ce serment après moi : « Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète le serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Témoin, quelles fonctions avez-vous assumées avant et pendant la guerre ?
Pendant la guerre, j’ai occupé pendant cinq années des postes diplomatiques à l’étranger ; auparavant, c’est-à-dire avant la guerre, j’étais maire de Vienne.
Connaissez-vous l’accusé Kaltenbrunner ?
Je le connais.
Et depuis quand le connaissez-vous ?
J’ai fait la connaissance de Kaltenbrunner en 1934 lors de ce qu’on a appelé l’action de pacification entreprise par l’ingénieur Reinthaler, en Autriche. Je l’ai revu après l’Anschluss.
En 1943, Kaltenbrunner fut nommé chef du RSHA. Le savez-vous ?
Je le sais.
Savez-vous si Kaltenbrunner a pris ses fonctions de plein gré ?
Kaltenbrunner me raconta — je crois à la fin de 1943 — qu’il ne désirait pas assumer ces fonctions, qu’il avait refusé trois fois, mais finalement qu’on lui en avait donné l’ordre formel. Il ajouta qu’on lui avait promis qu’il pourrait démissionner après la guerre.
Avez-vous pu observer comment l’accusé s’est acquitté de ses fonctions de chef du RSHA ?
Lorsque je me rendais pour raison de service au bureau principal, j’avais souvent avec lui des entretiens sur l’étranger et la politique étrangère.
Savez-vous que la Gestapo dépendait du RSHA ?
Oui.
Vous connaissez l’accusé, je vous demande donc : avait-il des dispositions particulières pour l’exercice de fonctions policières ?
Je connais Kaltenbrunner et puis vous dire qu’il n’avait aucune aptitude spéciale à exercer ces fonctions. En 1941 il voulait encore quitter la Police.
Sur quoi vous basez-vous pour déclarer ceci ?
J’étais à cette époque chargé des questions économiques en Roumanie. Kaltenbrunner me fit savoir qu’il n’aimait pas la carrière policière, qu’il n’y comprenait rien et qu’il s’intéressait aux questions de politique étrangère...
Docteur Kauffmann, le Tribunal estime que cette déposition ne concerne pas les preuves attendues. Qu’il aimât ou non ses fonctions n’enlève rien au fait qu’il les exerça.
On a fait de Kaltenbrunner le successeur de Heydrich. Est-ce absolument exact ?
Ce n’est pas exact ; je le sais car...
Ce n’est qu’une opinion personnelle. C’est l’opinion du témoin et elle ne peut affecter la position de Kaltenbrunner. Le témoin ne peut nous dire si on l’appelait le successeur de Heydrich ou un deuxième Heydrich.
Le Ministère Public a déclaré avec un accent péjoratif que Kaltenbrunner était le. successeur du tristement fameux Heydrich. Or comme le témoin les connaît tous les deux...
Le témoin a déjà dit qu’en effet il était le successeur de Heydrich. Vous pouvez lui demander s’il était un second Heydrich.
Voulez-vous, s’il vous plaît, nous dire, témoin, si on pouvait le désigner comme un second Heydrich ?
Himmler lui-même a déclaré...
Le Tribunal estime que cette question est sans importance.
Je comprends ; j’en viens à la question suivante : savez-vous pourquoi Himmler a précisément choisi Kaltenbrunner ?
Himmler m’a dit...
Docteur Kauffmann, le Tribunal ne pense pas que ce témoin puisse dire ce que pensait Himmler. Himmler l’a nommé.
Le témoin, autant que je Sache, citera un entretien avec Himmler, dont on peut déduire que Himmler a choisi Kaltenbrunner parce qu’il ne le craignait nullement. Le Ministère Public a affirmé exactement le contraire. Cet homme sait, de par la bouche de Himmler, que cette allégation du Ministère Public est fausse.
Le Tribunal estime que si Himmler a parlé au témoin de la nomination de Kaltenbrunner, vous pouvez demander à ce témoin ce que Himmler en pensait.
Commencez, témoin.
Lors d’une entrevue avec Himmler, lorsque je me trouvais dans son bureau, devant le masque mortuaire de Heydrich, au Quartier Général, Himmler me dit que la mort de cet homme était une perte irréparable et qu’après Heydrich personne n’était capable de diriger cet énorme service. Seul son créateur en était capable. A ma question : « Et Kaltenbrunner ? », il répondit : « Naturellement cela vous intéresse en tant qu’Autrichien ; Kaltenbrunner aura besoin de se familiariser avec ce travail. Il travaille beaucoup maintenant à des affaires qui vous intéressent, le service des renseignements à l’étranger ». Voici ce que Himmler m’a dit.
Savez-vous que Kaltenbrunner, peu après avoir pris possession de son poste en 1943, s’est efforcé d’engager des négociations avec l’étranger, car il estimait que la situation militaire était sans espoir ?
Je sais d’après différents entretiens que Kaltenbrunner recherchait toujours une entrevue avec l’ennemi. Il était convaincu que l’on ne pouvait sortir de cette guerre en bonne position sans de grands événements en politique étrangère. Je n’ai pas parlé en détail de cette question avec lui. En Allemagne, quiconque émettait dans le privé un doute sur la victoire allemande était condamné à mort.
Est-ce que Kaltenbrunner vous a soutenu dans vos efforts en Serbie pour adoucir la politique de terreur ?
Oui, l’aide de Kaltenbrunner en cette affaire a été très appréciable. Les services de Police allemands savaient par moi et par Kaltenbrunner que ce dernier, en tant que chef du service d’espionnage à l’étranger, soutenait sans restriction ma politique dans les territoires du Sud-Est. C’est ainsi que j’ai pu avoir une influence sur les services de Police ; l’appui de Kaltenbrunner m’était précieux dans mes efforts avec l’aide d’officiers compréhensifs, pour écarter le système de la responsabilité collective et des représailles qui existait jusqu’alors.
Connaissez-vous les opinions de Kaltenbrunner à propos de la question juive ?
Je n’ai parlé qu’une seule fois et très brièvement de cette question avec Kaltenbrunner. Lorsque les bruits d’une action massive et systématique s’amplifièrent, je demandai à Kaltenbrunner : « Qu’y a-t-il de vrai là-dedans ? ». Kaltenbrunner me déclara brièvement que c’était une action spéciale qui ne dépendait pas de lui. Il se défendit devant moi d’y être pour quelque chose et, plus tard, je crois que c’était au début ou à la fin de 1944, il m’informa que le traitement de la question juive avait évolué, et il avait le ton satisfait d’un homme content d’avoir obtenu un succès.
Kaltenbrunner est dépeint comme un homme très ambitieux. Savez-vous quelle était sa façon de vivre ?
La vie de Kaltenbrunner était simple... Il n’a pas acquis de fortune...
Le Ministère Public n’en a pas fait un ambitieux. Il n’y a aucune charge en ce sens contre, lui.
« Cruel, assoiffé de pouvoir », ces deux mots ont été employés.
Mais être « assoiffé de pouvoir » et « cruel » c’est tout à fait différent.
Oui, je sais, je parle simplement du premier terme.
Je voudrais bien savoir où se trouvent ces deux expressions.
L’Acte d’accusation contient les deux mots : « Assoiffé de pouvoir et cruel ».
Ce n’est certainement pas dans l’Acte d’accusation et nous ne nous souvenons pas non plus que de tels termes aient été employés dans les exposés du Ministère Public.
Si cela n’avait pas été je ne l’aurais pas mentionné. Dans l’Acte d’accusation il y a une page intitulée :
« Résumé et conclusion » ; il y est dit :
« Comme tous les autres nazis, Kaltenbrunner était avide de pouvoir et, pour plus de sûreté, il écrivait son nom avec du sang. C’est un nom qui demeurera un symbole de cruauté... »
Mais que lisez-vous là ?
Je lis l’Acte d’accusation, dernière page, sous le titre : « Résumé et conclusion. »
Je crois que je puis donner une explication. Ce que lit l’avocat est tiré de mon dossier d’audience qui n’a jamais été déposé devant le Tribunal, mais a été transmis à la Défense.
Si on ne maintient pas cette accusation, je ne poserai pas d’autres questions. J’en viens au point suivant : savez-vous si Kaltenbrunner avait donné l’ordre d’évacuer les camps de concentration ?
Non.
D’après vos observations et vos expériences personnelles, Kaltenbrunner a-t-il, en tant que chef de service, fait l’impossible pour adoucir ou éviter les mesures inhumaines qui avaient été prises ?
Je dois attirer l’attention sur le fait que je suis resté pendant cinq années à l’étranger et qu’en ce qui concerne le développement des événements en Allemagne il ne m’a pas été permis de faire beaucoup d’observations. Tel que j’ai connu Kaltenbrunner, je ne doute pas qu’il ait eu l’illusion de pouvoir y changer quelque chose. Mais il ne le pouvait pas.
J’en viens à la dernière question : savez-vous qu’il a enfreint une mesure de Police en voulant faire libérer en Serbie deux prélats orthodoxes ?
Oui, je le sais, il s’agit de...
Qu’est-ce que cela a à voir avec l’affaire Kaltenbrunner ?
On l’accuse d’avoir persécuté les Églises dans toute sa politique. Le Ministère Public lui adresse le reproche exprès d’avoir persécuté les Églises dans le but d’anéantir le christianisme, et cela se trouve, je puis l’affirmer avec certitude cette fois-ci, dans le procès-verbal, et c’est à cela que je fais allusion.
Mais la réponse à votre question n’infirme pas cette accusation.
Si un accusé s’est efforcé d’exterminer l’Église, il ne prendra pas de mesures en contradiction flagrante avec ce but. Voilà ce que ce témoin pourra dire.
En ce qui concerne les Églises ou les individus ?
Les individus en tant que représentants de l’Église naturellement. On ne peut pas séparer l’objet des personnes.
Le Tribunal pense que la question est irrecevable.
Je vous remercie. J’en ai fini avec l’interrogatoire de ce témoin.
Le Tribunal suspend l’audience.