CENT HUITIÈME JOURNÉE.
Lundi 15 avril 1946.

Audience de l’après-midi.

LE PRÉSIDENT

Docteur Kauffmann, avez-vous terminé ?

Dr KAUFFMANN

Oui. L’interrogatoire de ce témoin termine mon intervention.

LE PRÉSIDENT

Un autre avocat désire-t-il poser des questions ?

Dr SAUTER

Monsieur le Président, j’ai quelques questions à poser qui, naturellement, n’intéressent absolument pas le cas Kaltenbrunner, mais qui intéressent le cas Funk qui sera étudié ultérieurement. Comme ce témoin ne comparaît qu’une seule fois, je suis bien obligé de lui poser maintenant ces questions qui, évidemment, seraient plus à leur place un peu plus tard.

Témoin, vous avez déclaré aujourd’hui que vous aviez été envoyé par les Affaires étrangères en Roumanie pour vous occuper de questions économiques. Est-il exact que vous étiez également chargé à cette même époque de représenter les intérêts économiques allemands en Grèce ?

TÉMOIN NEUBACHER

En automne 1942, en plus de ma mission en Roumanie, je reçus, avec un expert financier italien, le ministre d’Agostino, la mission de prendre des mesures destinées à éviter la ruine totale de la monnaie et de l’économie grecques.

Dr SAUTER

Témoin, votre formation vous prédisposait-elle à l’exercice de ces délicates fonctions ? Dites-nous rapidement quels postes vous avez occupés auparavant afin que nous nous rendions compte si vous étiez compétent en la matière. Mais, je vous en prie, soyez très bref.

TÉMOIN NEUBACHER

Je fus l’un des premiers chefs de l’économie autrichienne ; à 28 ans j’étais directeur et à 30 ans, directeur général de la Wiener Siediungsgeselischaft. A 33 ans, j’étais chef d’une grosse entreprise de construction. J’ai été fonctionnaire de la Banque nationale autrichienne, membre de la commission des douanes autrichiennes, membre du comité viennois de crédit pour la Russie, membre de la commission d’experts chargés d’examiner les questions soulevées par l’effondrement du crédit autrichien. J’ai acquis ainsi une pratique et une expérience appréciables en matière d’économie.

En outre, j’étais parfaitement au courant des questions économiques balkaniques car j’ai travaillé un certain temps à l’administration financière centrale de l’IG-Farben, à Berlin.

Dr SAUTER

Témoin, il y a quelques jours, lorsque je vous rendis visite en prison, je vous ai montré un rapport du Gouvernement royal grec adressé au Tribunal Militaire International et je vous ai demandé de me dire ce que vous en pensiez. Ce qui y est affirmé est-il exact ?

C’est le document URSS-379 (UK-82). Ce rapport semble imputer aux autorités allemandes et, en fin de compte, à Funk, la ruine de l’économie grecque et parle de pillage. Je vous demande, sans entrer dans les détails, de me dire en gros ce que vous en pensez.

LE PRÉSIDENT

Général Rudenko ?

GÉNÉRAL RUDENKO

Monsieur le Président, je voudrais faire la déclaration suivante : le rapport de la commission du Gouvernement grec a été présenté au Tribunal Militaire International par le Ministère Public soviétique, conformément aux exigences de l’article 21 du Statut. J’estime que la question posée à ce témoin par la Défense doit être écartée, car le témoin n’est pas à même de donner son avis sur un rapport gouvernemental grec. La Défense peut poser des questions sur des faits, mais doit s’en tenir là.

Dr SAUTER

Monsieur le Président, si on le désire, je puis examiner les faits, mais cela prendra plus de temps. Cependant, si le représentant du Ministère Public soviétique le désire, je suis parfaitement d’accord. Puis-je donc demander au témoin...

LE PRÉSIDENT

Attendez, Docteur Sauter. A quel sujet interrogez-vous le témoin sur ce rapport ?

Dr SAUTER

Dans ce rapport du Gouvernement grec déposé par le Ministère Public soviétique, on affirme, par exemple, que l’Allemagne, après avoir occupé la Grèce, l’a pillée et y a provoqué la famine en prélevant de grandes quantités de marchandises, lui a imposé des frais d’occupation disproportionnés et un change défavorable. En interrogeant ce témoin qui a séjourné longtemps en Grèce, à cette époque, comme spécialiste des questions économiques envoyé par le ministère des Affaires étrangères, je voudrais prouver d’abord que ces affirmations sont en partie fausses, que cet état de choses existait déjà au moment de l’entrée des troupes allemandes ; que ce ne sont pas les Allemands qui l’ont provoqué et que justement l’accusé Funk s’est toujours efforcé d’obtenir un change plus favorable pour la Grèce et a fait envoyer en Grèce des sommes d’or très importantes.

LE PRÉSIDENT

Ne pouvez-vous pas poser quelques questions pour montrer que le plan appliqué en Grèce par le témoin était en règle avec les lois internationales ? Cela suffirait, me semble-t-il.

Dr SAUTER

C’est ce que je voulais faire ; le témoin y serait d’ailleurs venu de lui-même.

Témoin, savez-vous quelle était l’attitude de la direction de l’économie allemande et notamment de l’accusé Funk vis-à-vis de la question de la dette grecque et du change dans ce pays ?

TÉMOIN NEUBACHER

En ce qui concerne les engagements financiers bilatéraux, j’ai eu un entretien avec le ministre von Schwerin-Krosigk, ministre des Finances du Reich. On avait envisagé de régler la question de ces demandes réciproques après la guerre, sur la base d’une unité monétaire commune.

Dr SAUTER

Comment se fait-il donc que l’on ait déjà abordé cette question pendant la guerre ?

TÉMOIN NEUBACHER

Je ne peux parler des événements économiques en Grèce d’après mon expérience personnelle qu’à partir d’octobre 1942. A cette époque, à mon arrivée à Athènes, le cours de la monnaie grecque s’était déjà effondré et la circulation monétaire avait augmenté de 3.000 %. L’économie grecque a souffert du fait qu’à côté de l’inflation croissante on fit des efforts pour introduire en Grèce un système planifié sur le modèle allemand. Les conséquences furent, naturellement, que les vendeurs de marchandises grecques qui furent payés ultérieurement subirent un dommage. D’autre part, les importateurs de marchandises allemandes qui payaient le Mark au cours de 60 au change officiel, le revendirent au cours d’environ 30.000 et firent des profits énormes.

Ce chaos, né de la tentative d’instauration d’une économie planifiée à l’allemande, ne put être évité qu’en légalisant le marché noir et en rétablissant le marché libre. Dans ce domaine, les deux experts des Puissances de l’Axe ont obtenu, dès octobre 1942, un succès extraordinaire. Au bout de deux semaines, tous les magasins et tous les marchés regorgèrent de marchandises et les prix alimentaires baissèrent de 20%, ceux des produits industriels de 10%. Malgré l’inflation croissante, ces succès purent être maintenus pendant quatre mois.

Dr SAUTER

Docteur Neubacher, est-il exact que l’accusé Funk, qui était à cette époque ministre de l’Économie du Reich, a demandé à maintes reprises au cours de conversations avec vous ou par lettres, que d’importantes quantités de marchandises soient exportées d’Allemagne vers la Grèce, malgré la pénurie de marchandises dont souffrait l’Allemagne à cette époque.

TÉMOIN NEUBACHER

J’avais exposé les difficultés de ma tâche à M. le ministre du Reich, Funk, et nous fûmes d’accord pour envoyer en Grèce le plus de marchandises possible et non pas uniquement des produits alimentaires. A cette époque, je me suis assuré 60.000 tonnes de produits alimentaires ainsi que des produits d’exportation allemands, car il est vain de tenter de freiner une inflation ou ses conséquences en ne s’attaquant qu’au problème des prix, s’il n’y a pas de produits disponibles. M. le ministre Funk, qui voulait aider à améliorer la situation en Grèce, a soutenu ce point de vue dans toute la mesure de ses moyens.

Dr SAUTER

Savez-vous, témoin, que l’accusé Funk, le transport Allemagne-Grèce étant devenu impossible, a tenté d’obtenir que ces marchandises soient acheminées vers la Grèce avec l’aide de navires neutres naviguant avec autorisation britannique, afin de combattre la famine menaçante ?

TÉMOIN NEUBACHER

Je crois que ce projet se situe entre 1941 et 1942, alors que je n’étais pas encore en Grèce. En 1943, il nous devint complètement impossible de naviguer dans les eaux grecques car tous les bateaux étaient torpillés et les convois ferroviaires toujours à la merci de sabotages et de mines. J’ai alors — avec l’aide de l’ambassadeur de Suède Alar qui dirigeait la section grecque du secours international — demandé l’autorisation britannique d’expédier en Grèce des produits alimentaires. Cette autorisation me fut accordée et, après la paralysie de nos convois, le bateau suédois Halaren quittait chaque mois Trieste ou Venise pour le Pirée, chargé de ravitaillement allemand destiné à la Grèce.

Dr SAUTER

L’ancien ministre de l’Économie, Funk, a-t-il participé de façon importante à toutes ces activités ?

TÉMOIN NEUBACHER

Le ministre de l’Économie Funk s’est occupé de façon active de la question grecque qui est unique dans l’histoire économique et il a soutenu mes efforts par tous les moyens.

Dr SAUTER

Témoin, savez-vous que l’accusé Funk voulait également réduire les frais d’occupation et qu’il aurait voulu faire imputer une grande partie de ces frais à l’Allemagne elle-même afin de ne pas trop charger la Grèce. Que savez-vous à ce sujet ?

TÉMOIN NEUBACHER

Je connais trop peu les détails de cette affaire ; tout ceci s’est passé à Berlin, mais j’ai exposé à M. le ministre de l’Économie du Reich, Funk, la situation en Grèce et je sais qu’il s’est basé sur mes rapports pour ses propres interventions. Il savait parfaitement bien que le problème économique grec était extrêmement difficile à résoudre du fait de la guerre et du blocus, et qu’il fallait tout entreprendre pour éviter l’effondrement total de l’économie et de la monnaie. Il a toujours agi dans ce sens.

Dr SAUTER

Témoin, l’accusé Funk a-t-il toujours essayé de réduire la valeur de la monnaie grecque, la drachme, ou, au contraire, s’est-il efforcé de maintenir cette valeur afin d’éviter une famine catastrophique. Voulez-vous dire brièvement ce que vous en pensez ?

TÉMOIN NEUBACHER

Le ministre du Reich, Funk, a toujours eu cette dernière attitude. Il l’a prouvé en augmentant les exportations vers la Grèce et, en accord avec le Plan de quatre ans, il a consenti le sacrifice le plus lourd pour l’Allemagne, à savoir : envoyer en Grèce une grande quantité d’or pour retarder l’inflation.

Dr SAUTER

Vous dites « une grande quantité d’or ». En Allemagne, comme vous le savez, nous n’avions pendant la guerre que très peu d’or. Pouvez-vous nous dire quelle quantité d’or l’accusé Funk a envoyée en Grèce afin d’éviter la destruction de la monnaie grecque et la catastrophe. Quelle était cette quantité ?

TÉMOIN NEUBACHER

Au total, si je m’en souviens bien, on a envoyé en Grèce et en Albanie, 1.300.000 livres d’or.

Dr SAUTER

1.300.000 livres d’or ?

TÉMOIN NEUBACHER

Plus de 1.000.000 à Athènes, si mes souvenirs sont exacts.

Dr SAUTER

Une dernière question, témoin. Est-il exact que ces efforts de l’économie allemande furent rendus inutiles par les agissements de certains commerçants grecs ? Pour citer un exemple : des usines allemandes auraient vendu à des commerçants grecs des moteurs 60 drachmes et ces commerçants les auraient revendus à l’Armée allemande 60.000 drachmes. Ce sont des cas que vous avez constatés vous-même et qui ont fait l’objet de certains de vos rapports à l’accusé Funk. C’est pourquoi je vous demande de me les confirmer.

TÉMOIN NEUBACHER

C’est bien exact, mais je dois constater que les commerçants grecs étaient obligés d’agir ainsi par suite de l’inflation et du marché noir. Le peuple grec est bien trop intelligent pour se laisser surprendre par l’inflation. Chaque enfant là-bas est commerçant. C’est pourquoi le seul moyen d’éviter cette spéculation évidente, qui n’a en soi rien d’immoral, était de faire du marché noir un marché libre et d’y laisser régner la concurrence. C’est ainsi que tout cessa.

Dr SAUTER

Cette transformation du marché noir en marché libre, problème qui a joué un rôle en France aussi, a été résolu par vous en accord avec Funk ?

TÉMOIN NEUBACHER

Oui. A la fin d’octobre 1942, j’ai entrepris cette expérience avec mon collègue italien d’Agostino.

Dr SAUTER

Je vous remercie, témoin. Monsieur le Président, je n’ai plus de questions à poser.

Dr STEINBAUER

Monsieur le Président, Messieurs, je poserai au témoin des questions relatives à l’Anschluss.

Témoin, vous avez parlé de votre activité économique, n’aviez-vous pas une activité politique ?

TÉMOIN NEUBACHER

Oui, en tant que président du Volksbund austro-allemand.

Dr STEINBAUER

Quels étaient les buts de ce Volksbund austro-allemand. ?

TÉMOIN NEUBACHER

C’était une institution qui n’avait aucune attache avec un parti ou une Église. Elle avait comme but la révision de la clause du Traité de Versailles, interdisant le rattachement à l’Allemagne et la réalisation de ce rattachement de façon pacifique au moyen d’un plébiscite. Tous les partis étaient officiellement représentés auprès de la direction de cette association, à l’exclusion du parti national-socialiste et du parti communiste. L’organisation allemande du même nom était dirigée par le président du Reichstag social-démocrate Paul Lobe.

Dr STEINBAUER

J’ai ici une liste du comité directeur en 1926. Vous y figurez comme président et comme représentant du conseiller d’État Paul Speiser. Le trésorier en est le Dr Arthur Seyss-Inquart, puis on y voit un certain Dr Benedikt Kautski, un certain Georg Stern, président de l’association des banquiers, et un certain Dr Stolper. Est ce exact ?

TÉMOIN NEUBACHER

Oui.

Dr STEINBAUER

Pourquoi ces hommes de partis et de confessions si différents militaient ils en faveur de l’Anschluss à une telle époque ?

TÉMOIN NEUBACHER

Après les traités de Versailles et de Saint Germain, il y eut en Autriche un mouvement très important visant à la réunion à l’Allemagne de ce pays qui vivait au milieu d’énormes difficultés économiques. Adhérèrent à ce mouvement des hommes de tous les partis et de toutes les confessions, comme vous avez pu le voir d’après la composition du comité que vous venez de nommer.

Dr STEINBAUER

Savez-vous, témoin, comment on envisageait en 1918 la situation de Vienne dans le cadre d’une réunion de l’Autriche au Reich ?

TÉMOIN NEUBACHER

Je n’ai aucune idée de la façon dont on pensait résoudre les difficultés techniques, mais je sais que les Autrichiens, conscients de l’importance historique de leur ville, étaient d’accord pour faire de celle-ci une seconde capitale de l’Allemagne.

LE PRÉSIDENT

Je regrette, mais le Tribunal ne s’intéresse pas à la question de savoir si l’Anschluss était désirable ou non, s’il était juste ou non. Il s’occupe de savoir s’il a été réalisé par la violence et la plus grande partie de cette déposition ne semble pas pertinente sur ce point.

Dr STEINBAUER

Monsieur le Président, je dois malheureusement dire que je suis d’un avis différent. J’estime — et cela ne concerne pas seulement l’accusé Seyss-Inquart mais aussi les autres accusés qui ont participé à l’Anschluss : Göring, Ribbentrop, von Papen et Neurath — qu’il est très important de savoir dans quelles conditions économiques, politiques et culturelles se trouvait l’Autriche lorsque ces hommes ont milité en faveur de l’Anschluss. D’où j’estime qu’il est important de se faire une vue d’ensemble des choses. Je me suis permis, dans mon livre de documents, de faire un bref exposé historique afin de montrer toutes les thèses.

Témoin, en 1938, vous êtes devenu maire de la ville de Vienne ?

TÉMOIN NEUBACHER

C’était après l’Anschluss.

Dr STEINBAUER

Seyss-Inquart était à cette époque Reichsstatthalter du Gau de Vienne, c’est-à-dire pour l’Autriche. Est-ce exact ?

TÉMOIN NEUBACHER

Je devins bourgmestre de Vienne alors que Seyss-Inquart était Chancelier d’Autriche, le 13 mars 1938 au matin. Seyss-Inquart était à ce moment Chancelier fédéral.

Dr STEINBAUER

Très bien. Combien de temps êtes-vous resté bourgmestre de Vienne ?

TÉMOIN NEUBACHER

D’après le droit autrichien, jusqu’en février 1939. A ce moment, le Gauleiter Bürckel devint Gauleiter et Reichsstatthalter de Vienne et, en même temps, Chef suprême de l’administration communale. Donc...

Dr STEINBAUER

Je vous remercie. Comment se présentait la situation avec Seyss-Inquart d’un côté et Bùrckel, commissaire à l’unification du Reich, de l’autre ?

TÉMOIN NEUBACHER

Les rapports étaient notoirement mauvais. Bürckel ne se souciait pas des compétences du Reichsleiter Seyss-Inquart. Il passait au-dessus de lui et gouvernait en employant tous les moyens de délation, d’intrigue et de provocation pour essayer de se débarrasser de Seyss-Inquart, et il y réussit.

Dr STEINBAUER

Je vous remercie, je n’ai pas d’autres questions à poser.

LE PRÉSIDENT

Le Ministère Public désire-t-il poser des questions au témoin ?

COLONEL AMEN

Non.

LE PRÉSIDENT

Pas de questions ?

COLONEL AMEN

Non.

LE PRÉSIDENT

Le témoin peut se retirer.

(Le témoin se retire.)
Dr KAUFFMANN

Il reste encore six questionnaires. J’espère pouvoir les déposer dès que je les aurai reçus. Je dois me réserver le droit, pour compléter la requête écrite que j’ai adressée il y a deux jours, de demander la comparution de l’un ou l’autre des témoins pris parmi ceux qui figurent dans les affidavits que le Ministère Public a déposés.

LE PRÉSIDENT

Vous voulez contre-interroger un témoin dont le Ministère Public a soumis un affidavit ?

Dr KAUFFMANN

Oui.

LE PRÉSIDENT

Très bien. Parlez-vous de ces affidavits qui ont déjà été déposés ?

Dr KAUFFMANN

Oui, pour la première fois il y a deux jours.

LE PRÉSIDENT

Bien. Le Tribunal pense qu’il faudra que vous vous décidiez vite si vous voulez contre-interroger ces témoins.

Dr KAUFFMANN

Certainement. Je voulais déjà en faire la demande, mais le Tribunal m’a dit de la faire par écrit.

LE PRÉSIDENT

Je comprends.

Dr KAUFFMANN

Autrement, j’en ai terminé. Je vous remercie.

LE PRÉSIDENT

Très bien, je vous remercie. Sir David, le Dr Dix voudrait éclaircir la question de ses documents concernant l’accusé Schacht. Pensez-vous que cela prendra beaucoup de temps ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je pourrais consulter M. Dodd. Je ne pense pas que cela prenne beaucoup de temps, mais je voudrais d’abord m’en assurer, si Votre Honneur me le permet.

LE PRÉSIDENT

Qu’en pense le Docteur Dix ?

Dr DIX

Je ne crois pas que cela dure très longtemps, un quart d’heure, peut-être ; mais je répondrai au Ministère Public et la durée de mon exposé dépendra de la durée de celui du Ministère Public.

LE PRÉSIDENT

Très bien. Il me semble qu’il est préférable de commencer maintenant, sinon nous devrons nous fixer une certaine durée et nous ne savons pas combien de temps cela durera. Si nous réglons cette question maintenant, ce ne sera pas très long et le Dr Thoma pourra continuer ensuite.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Mon collègue, M. Dodd, pense que cela prendra à peu près une demi-heure.

LE PRÉSIDENT

Docteur Thoma, vous n’y voyez pas d’objections ?

Dr THOMA

Non.

M. DODD

Monsieur le Président, j’ai devant moi une table des matières apportée par le Dr Dix à propos de l’accusé Schacht. Je voudrais d’abord examiner les documents contre lesquels nous élevons des objections.

LE PRÉSIDENT

Je ne suis pas sûr d’avoir cette liste devant moi. Pouvez-vous nous en donner une copie ?

M. DODD

Je n’en ai qu’une copie que m’a donnée le Dr Dix.

LE PRÉSIDENT

Une autre copie en a-t-elle été fournie au Tribunal ?

M. DODD

Je ne crois pas. Je ne le sais pas.

LE PRÉSIDENT

Vous pourriez peut-être indiquer quels sont les documents et en donner les numéros en les déposant.

M. DODD

Voici les quatre premiers. Le premier est un livre de Sir Nevile Henderson portant le titre : Échec d’une mission ; le deuxième aussi est un extrait de ce livre, ainsi. que le troisième. Nous élevons des objections contre tous ces documents parce qu’ils ne représentent que l’opinion de Sir Nevile Henderson et ne rapportent pas des faits historiques. Le quatrième est un extrait d’un livre écrit par Karl Bopp sur le Dr Schacht. Nous élevons les mêmes objections contre lui. Le document n° 5 est un extrait du livre de M. Sumner Welles : L’époque de la décision. Nous élevons la même objection : ce n’est que l’opinion de M. Sumner Welles et, quelle qu’en soit la valeur, elle ne trouve pas place ici. Le numéro 6 est un extrait du livre du vicomte Rothermere qui a déjà été examiné par le Tribunal à propos de l’accusé Göring. On avait déclaré à ce moment qu’il n’apportait que l’opinion de l’auteur et n’intéressait pas le Tribunal. Le septième document est l’affidavit de Messersmith qui a été présenté par le Ministère Public. Naturellement, nous n’élevons pas d’objections. Le huitième document émane aussi du Ministère Public. Pas d’objections. Contre le document 9 non plus. Le dixième document est un affidavit ou une déclaration de feu le Feldmarschall von Blomberg. Pas d’objections. Aucune objection non plus contre les documents 11, 12 et 13. Le numéro 14 est le journal de l’ambassadeur Dodd ; nous voudrions seulement avoir les dates ou les pages du journal, mais ce n’est pas là une véritable objection. Nous n’élevons pas d’objections pour les documents numérotés de 14 à 18.

LE PRÉSIDENT

Je crois, Monsieur Dodd, qu’il s’agit de savoir quels sont les passages qui doivent être traduits ?

M. DODD

Oui, nous n’élevons des objections maintenant que pour épargner du travail aux traducteurs.

LE PRÉSIDENT

Bien. Passez au numéro 18.

M. DODD

Le document 18 comprend trois parties : a, b, c, déclarations de Paul-Boncour, Briand et Lord Cecil. Ce sont des déclarations concernant le droit de l’Allemagne à réarmer. Nous élevons des objections parce que ce ne sont pas des déclarations émanant de membres officiels des deux Gouvernements. D’autre part, les sources ne sont pas données. C’est là l’opinion de ces personnages après qu’ils eurent quitté leurs fonctions.

Je passe maintenant au document 33. C’est un discours du Dr Schacht prononcé en 1937. La seule question que nous posons est la suivante ; en existe-t-il un original ou non ? Nous ne l’avons pas encore découvert. Nous ne contestons pas la valeur de ce document.

Document 34 : discours d’Adolf Hitler. Il est très court, mais je n’en vois pas l’importance. Il ne se rapporte à aucune des questions qui nous intéressent ici. A moins que le Dr Dix ne nous fasse la lumière sur ce point, nous ne l’acceptons pas.

LE PRÉSIDENT

Quelle est la teneur de ce discours, Monsieur Dodd ?

M. DODD

Le réarmement en général. Il n’y a rien qui se rapporte à Schacht ou à un chef d’accusation. C’est une déclaration d’ordre général sur le réarmement.

Nous élevons des objections contre le document 37, lettre du Dr Schacht à M. Léon Fraser. Nous voudrions savoir si on peut en obtenir l’original ; si oui, nous n’avons pas d’objections.

Document 38 : article d’un journal de Zurich sur les idées du Dr Schacht. Nous ferons quelques objections. Tout d’abord l’auteur n’est pas connu et, de plus, il s’agit d’un article de journal sans intérêt ici.

Document 39 : c’est une lettre d’un certain Richard Morton adressée au contentieux de la Trésorerie britannique (Soliciter of the Treasury) qui’ fut transmise au Secrétaire général. Nous considérons ce document comme irrecevable. Il s’agit de l’opinion de Morton et d’une aide apportée par Schacht à Morton. Nous proposons, si le Dr Schacht et son avocat le Dr Dix pensent que Morton a un témoignage à présenter, de lui envoyer un questionnaire. Morton est à Londres et ce procédé nous semble préférable car cette lettre ne rentre pas dans le cadre d’un interrogatoire.

Nous en arrivons au document 49. C’est la correspondance échangée entre l’éditeur du journal de l’ambassadeur Dodd et Sir Nevile Henderson. Elle est rapportée dans le volume comprenant le journal de Dodd. Je ne vois pas très bien l’intérêt de cette correspondance et quels éléments nouveaux elle peut apporter.

LE PRÉSIDENT

Est-ce long ?

M. DODD

Pas très long. Je suis un peu embarrassé en ce qui concerne les derniers documents, de 54 à 61. Nous savons seulement que le document 54 est constitué par des extraits du témoignage de Göring devant ce Tribunal, trois extraits du témoignage de Göring et quatre extraits des explications du lieutenant Brady Bryson à propos de Schacht. A mon avis, toute traduction est inutile ; il suffit de les mentionner. Ils figurent déjà au procès-verbal et je me demande quelles sont les intentions du Dr Dix. Naturellement, je n’élève aucune objection si l’on en fait un usage licite.

LE PRÉSIDENT

Ces extraits sont-ils longs ?

M. DODD

Je ne sais, Monsieur le Président, je ne les ai pas sous la main.

Voilà ce que nous pensons des demandes de l’avocat du Dr Schacht. Je ne suis pas entré dans les détails, mais je suis prêt à répondre à toute question éventuelle.

LE PRÉSIDENT

Bien. Le Dr Dix a maintenant la parole.

Dr DIX

En ce qui concerne les documents 1 à 6, j’admets que M. Dodd a raison et qu’il s’agit là plutôt d’une question d’argumentation que de preuves matérielles : Schacht répond à l’Accusation en démontrant que des personnalités étrangères avaient la même opinion que lui sur le réarmement et il se réfère à l’opinion d’hommes politiques étrangers. Moi-même, dans ma plaidoirie finale, je citerai ces passages à l’appui de mes dires. Lorsque M. Dodd prétend que c’est moins une preuve qu’un argument, il a raison, mais nous ne discutons pas maintenant de savoir ce que les règles de la procédure que nous suivons autorisent à déposer, mais nous discutons ou plutôt nous examinons ce qui doit être traduit afin que si Schacht, au moment de son interrogatoire, cite ces documents ou si dans ma plaidoirie j’y fais allusion, le Tribunal soit à même de suivre ces citations. Nous avons, de plus, constaté que le Tribunal — et c’est très compréhensible — aime avoir des traductions des documents qu’on présente, afin qu’il puisse en suivre la lecture.

En ce qui concerne ces documents 1 à 6 — et cela est également applicable et je le dis tout de suite, pour le document 18 — je ne discute pas pour les faire admettre en tant que preuves mais pour en recommander la traduction afin qu’en cas de citation ils puissent être soumis au Tribunal ; c’est une pure question d’opportunité : ceci s’applique aux documents 1 à 6 et à tous ceux qui portent le numéro 18.

LE PRÉSIDENT

Mais, Docteur Dix, le Tribunal n’a pas décidé que les notes du vicomte Rothermere et le discours ou le livre de Paul Boncour ne doivent pas être déposés et que l’on ne doit pas s’y référer ?

Dr DIX

Je ne me souviens que d’une décision du Tribunal interdisant d’aborder la question de l’injustice ou de l’équité du Traité de Versailles ; nous agirons conformément à cette décision, mais ces passages ne traiteront pas de ce sujet et ni Schacht, ni moi-même ne le désirons.

Je veux donner un exemple : l’Accusation a interprété certaines idées de Schacht pour montrer qu’il a désiré et soutenu l’agression ; Schacht veut contester cette accusation en disant que telle ou telle éminente personnalité étrangère avait la même opinion et que, par conséquent, il ne pouvait lui-même projeter une agression allemande. Je ne veux que donner un exemple et non faire une conférence sur le caractère inique ou non du Traité de Versailles et je ne veux pas faire d’exposé que l’on n’écouterait pas. Puis-je continuer ? J’arrive au document 18. Je viens juste d’entendre les assertions de M. Dodd et je dois y répondre rapidement. Il faut que je rassemble mes papiers. Si M. Dodd ne trouve pas les sources du document 18 ainsi que des documents 1 à 6, c’est qu’il n’a que la table des matières ; les documents eux-mêmes indiquent les sources.

Je passe maintenant au numéro 37 : c’est une lettre de Schacht à un certain Fraser ; j’ai écouté M. Dodd et je crois avoir compris qu’il n’a pas d’objection à formuler mais qu’il a seulement besoin de savoir où se trouve l’original : Fraser, qui est mort, était président de la First National Bank et l’original de cette lettre, s’il existe encore, doit se trouver dans les papiers de M. Fraser, auxquels je n’ai pas accès.

Un instant, Monsieur le Président : Schacht me dit qu’il en a une copie signée de sa main même ; elle avait été déposée en Suisse pendant la guerre en raison de son contenu et cette copie signée de Schacht est à notre disposition ; elle est à l’origine de la copie du livre de documents et le professeur Kraus en a certifié la conformité ; je crois donc que nous avons donné satisfaction à propos de son identification. C’est le numéro 37.

Un instant, je vous prie. J’ai noté que le document n° 34 n’indiquait pas de source. C’est la même chose que pour le cas précédent. Dans le livre de documents, la source est indiquée ; c’est l’ouvrage Documente der Deutschen Politik, collection dont on s’est servi bien souvent. Maintenant, on a fait des objections contre...

LE PRÉSIDENT

Docteur Dix, l’objection élevée contre le numéro 34 ne consiste pas à prétendre qu’on ne pouvait en avoir l’original, mais que c’est un discours de Hitler sur le réarmement qui ne paraît pas pertinent.

Dr DIX

Merci, Monsieur le Président. En effet, M. Dodd ne pouvait en voir l’importance ; il n’y a que Schacht qui puisse la reconnaître car lui seul en a suivi le développement interne. Ce discours de Hitler contient un passage qui a éveillé une inquiétude croissante dans l’esprit de Schacht devant le fait qu’une telle politique ne menât à une agression et même que cette agression ne fût voulue par Hitler. C’est ce passage du discours de Hitler du 20 février 1938 qui éveilla cette suspicion ; en ce qui concerne toute l’attitude de Schacht en face de la politique amorcée par Hitler en 1933, la solidarité dont Schacht a fait preuve vis-à-vis de cette politique jusqu’au point crucial marqué par le début d’une certaine méfiance et jusqu’à l’opposition qu’il y a manifestée et qu’il a poursuivie par la préparation du Putsch, cette évolution de l’attitude intérieure de Schacht dans laquelle ce discours joue un grand rôle est de première importance.

J’en arrive au document 38 qui est un article des Basler Nachrichten, preuve à mon avis parfaitement admissible. En tout cas, je combattrai jusqu’à ma dernière cartouche pour qu’on l’admette. Sujet : avant la guerre, combat contre la guerre. Pendant la guerre, tentatives pour provoquer une paix rapide et pour restreindre l’étendue de cette guerre. En 1941, c’est-à-dire avant l’entrée de la Russie dans la guerre et avant l’entrée en guerre des États-Unis, Schacht eut une conversation avec un économiste américain, conversation dont il ne s’est souvenu que lorsqu’un ami lui envoya l’article des Basler Nachrichten, du 14 janvier 1946. II déclara alors : « Naturellement, maintenant je m’en souviens. J’ai eu une conversation de ce genre au printemps 1941 avec un économiste américain ». Il en a oublié le nom mais cette conversation montre les efforts qu’il fit en 1941 également pour éviter tout développement nouveau de la guerre, pour faire des plans et établir des contacts avec les États-Unis et l’entourage du Président Roosevelt.

Nous n’avons pas d’autre preuve de l’existence de cette conversation et nous ne pouvons convoquer ce professeur, puisque Schacht a oublié son nom, mais c’est ce professeur lui-même qui, anonymement, parle dans ce numéro de journal du 14 janvier 1946.

LE PRÉSIDENT

Quelle est la nature de la conversation qui, d’après vous, est rapportée dans ce journal ?

Dr DIX

C’est un assez long article : peut-être vais-je en souligner un ou deux points afin que le Tribunal puisse se rendre compte. Le professeur insiste sur les critiques sévères que fit Schacht du système national-socialiste ; il ajoute que Schacht montra les dangers du maintien d’un tel système conduisant à la suppression de toute activité intellectuelle et il ajoute que cette guerre était complètement insensée et que même si l’Allemagne la gagnait elle serait sans profit ; il a exposé à ce professeur qu’il fallait tout faire pour arrêter la guerre car alors le gouvernement pourrait rendre à un monde remis en ordre les libertés perdues, grâce à l’établissement d’une paix équitable.

Il fallait tenter d’établir ce contact entre les nations, spécialement par l’entremise de personnalités américaines, avant que la Russie et les Etats Unis ne prennent par à la guerre.

Il exprimât le regret- je m’excuse - il cita Roosevelt, et son entourage comme étant seul capable de réaliser cette entreprise si délicate et si difficile.

Dans la lettre que j’ai citée auparavant, adressée à Fraser, Schacht fait la même tentative car Fraser appartenait à ce milieu qui avait ses entrées dans l’entourage de Roosevelt. C’est un dernier effort tenté auprès de Roosevelt, en qui il avait placé sa confiance, pour faire la paix avant qu’il ne soit trop tard.

Étant donné qu’on reproche à Schacht d’avoir contribué à une guerre d’agression, une telle attitude est naturellement d’une grande importance et c’est pourquoi je pense que le Tribunal doit m’autoriser à présenter cet article comme preuve. Nous ne pouvons admettre que ce professeur ait menti. Il serait évidemment possible d’essayer d’obtenir de ce journal suisse, le nom de ce professeur mais je ne crois pas que ce journal donne son nom sans l’avoir consulté. C’est là la question et nous pouvons rencontrer de sérieuses difficultés. L’expérience nous montre que ce que le professeur a rapporté dans ce journal est vrai, pourquoi ne dirait-il pas maintenant la vérité ? De plus, c’est un homme très en vue et c’est pourquoi je pense que cette preuve a la même valeur qu’un affidavit et je vous demande à nouveau, Monsieur le Président, de me permettre de verser ce document au dossier, non seulement pour qu’il soit traduit mais aussi pour qu’il soit admis comme preuve. C’est le document 38.

Pour Morton, je suis tout à fait d’avis de lui envoyer un questionnaire, mais je crains que ce ne soit une démarche superflue car je veux seulement prouver par là que Lord Montagu Norman est retourné en Angleterre en 1939 après une session du BIZ... Ce Morton est un honorable citoyen de Francfort qui a émigré par la suite et a déclaré que Schacht se trouvait dans une position dangereuse en raison de son attitude politique ; c’est le fait que je veux établir par cette lettre et il est nettement déterminé dans cette lettre. Cette lettre de Morton ne m’est pas adressée, ni à Schacht ; elle a été adressée au chef du contentieux de la Trésorerie et de là, elle est parvenue au Ministère Public ici qui a eu l’amabilité de nous en communiquer le contenu. Il ne me paraît pas nécessaire de citer Morton comme témoin, ce serait trop compliqué et j’accepte volontiers de lui envoyer un questionnaire, mais je crois que ce serait beaucoup plus simple de citer deux très courts passages de cette lettre. Néanmoins, je suis naturellement tout prêt à envoyer un questionnaire à Londres. C’est le document 39.

"En ce qui concerne le numéro 49, c’est une correspondance échangée entre Sir Nevile Henderson et l’éditeur du journal de l’ambassadeur Dodd, actuellement décédé. Ce document a été cité par le Ministère Public contre Schacht à plusieurs reprises. Je considère cette correspondance comme très importante en ce qui concerne la valeur des dires de M. Dodd. Dès maintenant, et afin qu’il n’y ait aucun doute, je veux souligner que nous sommes loin de vouloir attaquer la personnalité de l’ambassadeur Dodd que M. Schacht et moi-même connaissions personnellement ; nous avons toujours été convaincus d’avoir affaire à un parfait honnête homme. Mais le Tribunal sait que ce livre a été édité par ses enfants après sa mort ; ils se sont servis de quelques notes prises rapidement et des erreurs ont pu se glisser dans la rédaction, je dirai même des fautes très importantes ; ces faits peuvent être prouvés par la correspondance entre Sir Nevile Henderson et l’éditeur du journal, correspondance qui montre que M. Dodd et Schacht se sont plusieurs fois rencontrés ; or ces entretiens ont été faussement rapportés. On ne peut pas donner de meilleures preuves pour montrer le peu de crédit qui doit être accordé à ce journal, étant bien entendu qu’il ne s’agit pas de mettre en doute la véracité des dires de M. Dodd. En conséquence, afin de pouvoir contrôler la valeur de ce témoignage qui fut présenté par le Ministère Public et de n’y attacher que celle qu’il mérite, je demande l’admission de ce document.

En ce qui concerne les documents 54 à 61, il m’est tout à fait égal qu’ils ne soient pas traduits ; je ne voulais qu’épargner du travail au Tribunal, mais Schacht sera interrogé par moi-même à propos de cette déposition de Gôring. Si le Tribunal croit pouvoir s’en passer, ou s’il ne désire pas les entendre, ou les voir seulement au procès-verbal, il n’est pas nécessaire de traduire ces passages.

Ainsi, il ne reste plus que les affidavits. M. Dodd n’en a pas parlé, mais je crois que le Tribunal sait que j’en ai parlé avec Sir David en audience publique, ainsi que de la question des témoins, et je crois que les affidavits sont déjà admis. Il reste naturellement au Ministère Public le droit, après avoir pris connaissance de leur contenu, de poser des questions ou d’appeler le témoin pour un contre-interrogatoire. Nous nous sommes contentés des affidavits, mais si le Ministère Public désire que les témoins comparaissent, la Défense est tout à fait d’accord.

LE PRÉSIDENT

Nous allons suspendre l’audience.

(L’audience est suspendue.)
LE PRÉSIDENT

Je vais d’abord m’occuper des documents concernant l’accusé Schacht.

Les documents suivants seront traduits : numéros 7, 8, 9, 14, 18, 33, 34, 37, 38, 39 et 49. Quant aux documents 54 à 61, ils figurent déjà au procès-verbal et ne seront pas traduits ; mais nous demandons au Dr Dix d’en donner les références dans son livre de documents. Les documents de 1 à 6 ne seront pas traduits. Naturellement, les documents dont je n’ai pas parlé seront traduits.

Maintenant, Docteur Thoma ?

Dr THOMA

Monsieur le Président, je m’occupe tout d’abord des documents qui m’ont été accordés ce matin, extraits des ouvrages de Rosenberg : Tradition et temps présents, Écrits et Discours, Sang et Honneur, Naissance de l’idée Le Mythe du XX e siècle. Je veux me servir de ces documents pour prouver que l’accusé n’a pas participé au complot contre la Paix et à la préparation psychologique de la guerre d’agression. Ce sont des passages de discours prononcés par l’accusé devant des diplomates, des étudiants, des juristes ; passages qui montrent maintenant qu’il combattit pour la Paix sociale, et surtout qu’il ne voulait pas que les divergences d’opinions amènent une tension internationale. Il a parlé avec mépris de la propagande antireligieuse, il a défendu la liberté de conscience et cherché à atteindre une solution raisonnable du problème juif, même en accordant certains avantages aux Juifs ; il a apporté en la matière de la clarté et de la justice. Je demande au Tribunal que ces discours soient déposés et je lui demande la permission de citer l’accusé Rosenberg à la barre.

(L’accusé s’approche de la barre.)
LE PRÉSIDENT

Quel est votre nom complet ?

ACCUSE ROSENBERG

Alfred Rosenberg.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous répéter ce serment après moi :

« Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien. »

(Le témoin répète le serment.)
Dr THOMA

M. Rosenberg, voulez-vous, s’il vous plaît, donner au Tribunal une vue d’ensemble de vos activités.

LE PRÉSIDENT

Docteur Thoma, avez-vous donné les numéros de vos documents ?

Dr THOMA

Oui. Ceci est le document Rosenberg-7 (a).

LE PRÉSIDENT

Quand vous citez un de ces documents, je vous prie d’en donner le numéro.

Dr THOMA

Oui, Monsieur le Président. (Au témoin.) Voulez-vous donner un aperçu de votre curriculum vitae ?

LE PRÉSIDENT

Pour le procès-verbal, je pense que vous devriez lire la liste des documents dont vous vous servirez avec leur numéro. Avez-vous donné une liste des documents que vous voulez déposer comme preuve ?

Dr THOMA

Oui.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous les lire pour qu’ils figurent au procès-verbal ?

Dr THOMA

RO-7, Le Mythe du XXe siècle.

LE PRÉSIDENT

Oui.

Dr THOMA

Document RO-7, Le Mythe du XX e siècle ; RO-7 (a), Naissance de l’idée ; RO-7 (b), Sang et Honneur ; RO-7 (c), Tradition et temps présents ; RO-7 (d), Écrits et Discours ; RO-8, Völkischer Beobachter, mars et septembre 1933.

LE PRÉSIDENT

Celui-ci a été rejeté par le Tribunal ; 7 (e) et 8 n’ont pas été admis.

Dr THOMA

Je n’ai pas cité le 7 (e), Monsieur le Président, mais RO-8.

LE PRÉSIDENT

Mais vous avez cité le 8.

Dr THOMA

Oui.

LE PRÉSIDENT

RO-8 a été refusé.

Dr THOMA

Très bien. Monsieur Rosenberg, je vous prie de nous donner une courte biographie de vous-même.

ACCUSÉ ROSENBERG

Je suis né le 12 janvier 1893 à Rêvai en Estonie. Après être sorti de l’Oberrealschule, j’ai commencé à l’automne 1910 des études d’architecture à l’école supérieure technique de Riga. En 1915, lorsque le front germano-russe se rapprocha, l’école fut évacuée à Moscou avec professeurs et étudiants et j’ai poursuivi mes études dans la capitale russe. J’obtins, fin janvier ou début février 1918, le diplôme d’ingénieur architecte et je retournai dans mon pays. Lorsque les troupes allemandes entrèrent à Rêvai, je m’engageai volontairement dans l’Armée allemande mais, faute de recommandations, je ne fus pas accepté car j’étais habitant d’un pays occupé. Soucieux de mon avenir, je ne voulais pas rester entre deux grands États et j’essayai de passer en Allemagne. Pour les Allemands de la Baltique, quelle que fût leur loyauté à l’égard de l’État russe, la culture allemande était -une sorte de patrie spirituelle, et ce que j’avais vu et vécu en Russie m’amena à faire tout ce qui était en mon pouvoir pour empêcher le glissement politique de l’Allemagne vers le bolchévisme. Je croyais qu’en Allemagne, étant donné la structure si sensible de l’Empire allemand, ce mouvement aurait été une immense catastrophe.

A la fin de novembre 1918, je pus aller à Berlin et, de là, à Munich. Je pensais réellement reprendre ma profession d’architecte, mais au lieu de cela je rencontrai à Munich des personnalités qui pensaient comme moi et je devins collaborateur d’un hebdomadaire qui avait été fondé à cette époque à Munich. J’ai travaillé à cette revue depuis janvier 1918 et, depuis cette époque, j’ai toujours été journaliste. C’est à Munich que j’assistai à l’évolution du mouvement politique jusqu’à la république en 1919 et jusqu’à sa chute.

Dr THOMA

Vous avez dit que l’Allemagne était votre patrie spirituelle. Voulez-vous dire au Tribunal quelles études et quels maîtres vous ont orienté vers l’Allemagne ?

ACCUSÉ ROSENBERG

En plus de l’intérêt que j’ai porté dès ma jeunesse à l’art et à la peinture, j’ai également étudié la philosophie et me suis senti très près de Gœthe, Herder et Fichte. Ils ont été le point de départ de mon évolution spirituelle. En même temps, j’étais sensible aux idées sociales de Dickens, de Carlyle et de l’Américain Emerson. A Riga, j’ai poursuivi ces études de front avec Kant et Schopenhauer évidemment et, par-dessus tout, j’étais attiré par la philosophie indienne et les courants de pensées qui s’y rattachent. Plus tard, naturellement, j’étudiai les historiens et philosophes européens et, finalement, à Munich, je suivis de près les nouvelles recherches historiques.

Dr THOMA

Vous avez parlé de la « forme de l’idée ». Avez-vous subi là l’influence de Gœthe ?

ACCUSÉ ROSENBERG

Oui, il est bien évident que l’idée de considérer le monde comme quelque chose de cohérent est de Gœthe.

LE PRÉSIDENT

Docteur Thoma, si vous interrogez l’accusé sur des questions philosophiques, le Tribunal désire que vous vous borniez à sa philosophie et que vous ne vous perdiez pas dans ses origines et ses sources.

Dr THOMA

A la suite de quelles circonstances avez-vous adhéré à Munich à la NSDAP et avez-vous adopté les idées de Hitler ?

ACCUSÉ ROSENBERG

En mai 1919, l’éditeur de la revue dont j’ai parlé reçut la visite d’un certain Anton Drexier, qui se présenta comme le président d’un nouveau parti ouvrier allemand. Il déclara que ses idées étaient conformes à celles que défendait cette revue. C’est depuis cette visite que je fus en relations avec un petit groupe d’ouvriers allemands qui s’était formé à Munich. J’y ai rencontré Adolf Hitler en automne 1919.

Dr THOMA

Quand vous êtes-vous joint à Hitler ?

ACCUSÉ ROSENBERG

J’ai eu à ce moment mon premier entretien avec Hitler et je fus frappé par la manière compréhensive et large dont il envisageait le problème européen. Il me dit que l’Europe d’aujourd’hui subissait la crise sociale et politique la plus aiguë qu’elle ait vue depuis la chute de l’Empire romain, que des foyers d’agitation existaient partout et qu’il essayait de rendre la santé à l’Allemagne à la lumière de cette conception. J’ai entendu Hitler parler de cela à de petites réunions de 40 à 50 personnes et je croyais que si quelqu’un avait le droit à la parole, c’était bien un soldat qui avait accompli silencieusement son devoir de combattant pendant quatre ans et demi.

A la fin de 1919, je suis entré au Parti, pas avant Hitler, comme on l’a prétendu ici, mais plus tard. Je reçus le numéro 625 ; je n’ai pas participé à l’élaboration du programme mais j’étais présent quand ce programme fut lu publiquement par Hitler et proclamé le 24 février 1920.

Dr THOMA

Vous avez alors donné une justification juridique de ce programme et vous vouliez vous occuper de certains problèmes sociaux en rapport avec cette crise. Quelle solution pensiez-vous y apporter ?

ACCUSÉ ROSENBERG

En réponse à différentes questions concernant les vingt-cinq points du programme, j’écrivis, à la fin de 1922, un commentaire dont certains passages ont été déposés devant le Tribunal. Voici en peu de mots l’attitude que nous avions adoptée.

L’évolution technique du XIXe siècle a eu certaines conséquences sociales et intellectuelles. Le rationalisme et l’économie devinrent les maîtres de la vie, engendrèrent l’État industriel, sorte d’internationalisme des affaires avec toutes ses séquelles et éloignèrent de plus en plus l’homme de sa nature et de son histoire. Au début du siècle, de nombreuses forces tentèrent de s’opposer à cette évolution unilatérale et de reconquérir la Patrie et l’Histoire. Ce sont les mouvement de jeunesse de cette époque qui remirent en honneur la tradition, les chants populaires, le passé dont on ne peut faire table rase et les créations artistiques. De nombreux écrivains, dont le professeur Schulze-Naumburg, donnèrent une expression à ces diverses tendances et le national-socialisme, conscient de ce qu’il faisait, tenta de donner une forme moderne à ce mouvement qui se contentait jusqu’alors de rêver sur le passé. Il s’inspira des efforts du mouvement social de Stoecker et du parti national de Schönerer en Autriche, sans pour cela les prendre pour exemple ; je crois ’d’ailleurs que la formule « national-socialisme » vient du pays des Sudètes ; c’est ce nom qu’a choisi le petit parti ouvrier allemand.

Nous étions tous conscients de la signification profonde de ce mot « national-socialisme » et, si l’on me le permet, je ferai remarquer qu’au cours de trois mois de débats, l’Accusation nous a reproché bien des choses abominables mais n’a pas parlé une seule fois du national-socialisme.

A cette époque, l’Allemagne était divisée en deux camps ennemis qui se partageaient des millions d’honnêtes gens, et le problème consistait pour nous à trouver un commun dénominateur, premier jalon de l’unité nationale, à déceler les facteurs de division. Étroitement unis dans notre volonté d’aboutir, nous avons expliqué à maintes reprises comment, même du point de vue du prolétaire, la lutte des classes, réalité sociale et politique était cependant, lorsqu’on en fait un postulat doctrinal et un mot d’ordre permanent, un facteur de division nationale. Cet obstacle à l’apaisement social, cette lutte sociale pourrai-je même dire, constituait le second fait décisif, interdisant tout compromis. Le prolétariat avait raison et était dans son droit lorsqu’il réclamait la justice sociale. Du point de vue bourgeois, nous pouvions affirmer que la morgue de certains réactionnaires privilégiés avait de désastreuses conséquences ; deuxièmement, que la représentation des intérêts nationaux ne devait pas être le monopole héréditaire de certaines classes, mais qu’au contraire, le véritable rôle de la bourgeoisie consistait à contribuer à l’unité nationale et à une équitable représentation de la nation. Pour Adolf Hitler, le mot d’ordre était donc...

LE PRÉSIDENT

Docteur Thoma, voulez-vous essayer de circonscrire la déposition de l’accusé aux faits qui lui sont reprochés. On ne reproche pas aux accusés d’avoir tenté le relèvement de l’Allemagne ; mais d’avoir fait de ce relèvement la condition d’une agression contre d’autres races et d’autres peuples.

Dr THOMA

A mon avis, il est cependant essentiel dans le cas Rosenberg de connaître les idées qui ont déterminé ses actions, mais je pose maintenant la question suivante : Etiez-vous convaincu que ces questions de socialisme, de travail et de capital se posaient en partie sur le plan international, et pourquoi avez-vous fait de ce combat contre la démocratie une affaire internationale ?

M. DODD

Monsieur le Président, il me semble que cet interrogatoire se poursuit sur le même plan. Je tiens à dire qu’aucun membre du Ministère Public n’attaque l’accusé pour ses idées. Nous sommes tous, par principe, adversaires du délit d’opinion et, je le dis avec conviction, le Tribunal est certainement de cet avis.

Nous estimons donc qu’il n’est nullement nécessaire d’étudier en détail la philosophie de l’accusé.

Dr THOMA

Si je pose cette question à l’accusé c’est que je crois qu’on lui a reproché d’avoir combattu la démocratie.

LE PRÉSIDENT

Quelle est cette question ?

Dr THOMA

Pourquoi le national-socialisme et l’accusé lui-même ont-ils combattu la démocratie ?

LE PRÉSIDENT

Je ne pense pas que cela intéresse notre sujet. Il s’agit de savoir s’il s’est servi du national-socialisme pour commettre des infractions au droit des gens.

Dr THOMA

Monsieur le Président, il faut bien examiner les éléments dont le faisceau forme le concept du national-socialisme. Le national-socialisme, aux termes de l’accusation, était une lutte contre la démocratie ; il a mis l’accent sur le nationalisme et sur le militarisme. C’est maintenant le moment d’examiner les raisons de ce militarisme, de voir pourquoi tel fait s’est produit et s’il s’est produit. Pour découvrir les éléments constituant le National Socialisme, il faut bien en faire une analyse.

LE PRÉSIDENT

Le National Socialisme a déjà été expliqué au tribunal qui ne met pas en cause l’instauration en Allemagne du principe du Chef. La question n’est pas la. S’il n’avait été qu’un principe de politique intérieure, il n’y aurait pas d’accusation. Les raisons de cette mise en accusation c’est que, s’appuyant sur le national-socialisme, on s’est livré à des agressions et on a commis les autres crimes que nous connaissons.

Dr THOMA

On a, je crois, considéré la guerre d’agression comme une phase du combat contre la démocratie en partant des principes nationaux et militaristes.

LE PRÉSIDENT

Démocratie en dehors de l’Allemagne et non pas en Allemagne.

Dr THOMA

Je voudrais alors demander à l’accusé comment il répondra à l’accusation suivante : le national-socialisme a prôné la « race des seigneurs ».

ACCUSÉ ROSENBERG

Je sais que ce problème est la charnière de l’accusation et je comprends que, vu l’importance des terribles événements actuels, on en cherche involontairement les causes dans le passé et spécialement dans cette théorie dite de la « race des seigneurs ».

Cependant, si l’on veut porter un jugement sur tout cela, il est de première importance de savoir dans quelle situation nous nous trouvions.

Je n’ai jamais entendu employer l’expression « race des seigneurs » aussi souvent que dans cette salle d’audience. Je ne l’ai ni écrite, ni prononcée ; en relisant mes papiers, je ne l’ai pas trouvée. Je n’ai parlé qu’une seule fois d’une « Humanité dirigeante » mentionnée par Homère, et j’ai un jour cité un écrivain anglais qui, retraçant la vie de Lord Kitchener, déclara que ce dernier s’était révélé être un « chef ». J’ai rencontré ensuite les mots « race des seigneurs » sous la plume de l’Américain Madison Grant, spécialiste de l’étude des races, et de l’ethnologue français Lapouge.

Je dois avouer, et j’insiste sur ce fait, que le mot « Herrenmenschen » (caste dirigeante), que j’ai entendu prononcer par des fonctionnaires lorsque j’étais ministre pour les territoires de l’Est, m’a désagréablement frappé. Je pourrais peut-être donner quelques détails sur cette question de l’Est et dire comment j’ai réagi en entendant de telles paroles. En principe, j’étais convaincu que l’étude des races n’était pas une invention du national-socialisme, mais une découverte biologique venant après quatre siècles de recherches faites en Europe ; que les lois de l’hérédité, découvertes vers 1860 et remises en honneur quelque dix ans plus tard, jetaient dans l’histoire de l’Humanité une lumière qu’aucune des autres théories n’avait pu nous donner.

LE PRÉSIDENT

Docteur Thoma, l’accusé revient encore aux origines de ses idées. Nous n’avons à nous occuper ici que de ce qu’il a dit et écrit et de l’usage qu’il en a fait, et non pas de savoir si ces idées existaient il y a 400 ans, ou autres choses de ce genre.

Dr THOMA

L’accusé parlait de la question des races et je saisirai cette occasion pour m’occuper du problème juif qui en découle. J’aimerais poser à l’accusé les questions suivantes. Comment en êtes-vous venu...

GÉNÉRAL RUDENKO

Monsieur le Président, mon collègue M. Dodd a déjà fait remarquer que l’Accusation reproche à l’accusé des faits concrets : guerre d’agression et atrocités. Je suppose que la façon la plus correcte de poursuivre l’interrogatoire serait que le Dr Thoma posât des questions concrètes se rapportant aux accusations qui sont portées contre l’accusé. Je crois que le Tribunal n’a pas l’intention d’entendre un cours sur la théorie des races, sur le national-socialisme ou autres idéologies.

Dr THOMA

Monsieur le Président, je poserai ces questions précises, mais il faut bien permettre à l’accusé d’exposer ses idées puisque l’idéologie et la philosophie nationales-socialistes ont été traitées de criminelles. (Au témoin.) Il serait en effet préférable, Monsieur Rosenberg, que vous soyez un peu plus bref. A votre avis, la question juive n’aurait été résolue en Europe que le jour où le dernier Juif aurait quitté le continent européen. Vous avez dit qu’il n’était pas de grande importance d’échelonner un tel programme sur cinq, dix ou vingt ans ; que ce n’était qu’une question de transport, et vous estimiez profitable de soumettre ce problème à un comité international. Comment en êtes-vous arrivé à cette conviction, comment voyiez-vous la question résolue si le dernier Juif quittait l’Europe ?

ACCUSÉ ROSENBERG

J’essaierai de me conformer au désir du Tribunal et de ne pas exposer trop longuement l’évolution de mes idées. Cette conviction, acquise par l’étude de l’Histoire, ne découle pas de la lecture d’ouvrages antisémites, mais de celle des historiens juifs eux-mêmes. Il me semblait qu’après l’émancipation généreuse des mouvements nationaux du XIXe siècle, le peuple juif, lui aussi, se reprenait à méditer sur ses traditions et ses particularismes, et qu’il se détachait de plus en plus consciemment des peuples au sein desquels il avait trouvé refuge. Ce problème avait été traité au cours de nombreux congrès internationaux, et l’un des plus intelligents parmi les dirigeants juifs européens, Buber, déclara qu’il fallait retourner en Asie, où le peuple juif retrouverait son sol et les racines de sa race.

Si j’ai adopté une attitude politique plus sévère, c’est que les observations que j’ai pu faire en Russie et les événements qui se sont déroulés en Allemagne m’ont paru confirmer cette incompatibilité. Je ne pouvais pas concevoir que des soldats allemands revenant du front s’entendissent dire par un professeur d’université juif que leurs camarades étaient tombés au champ du déshonneur. Je ne pouvais concevoir que ce manque de pudeur allât si loin, et s’il s’était agi d’un seul cas on aurait pu parler de défaillance. Au cours de ces quatorze années, une autre volonté s’est affirmée ouvertement.

Dr THOMA

Monsieur Rosenberg, parlons d’autre chose. Ne croyez-vous pas que certaines déclarations de presse du côté national-socialiste, ont amené des répliques de l’autre côté, creusant ainsi le fossé ?

ACCUSÉ ROSENBERG

Les autres déclarations qui parurent constamment au cours de ces quatorze années ont commencé avant le national-socialisme. La Räterepublik de Munich et de Hongrie existait bien avant le national-socialisme.

Dr THOMA

Monsieur Rosenberg, comment expliquez-vous le fait que, pendant la première guerre mondiale, 12.000 soldats juifs moururent au front ?

ACCUSÉ ROSENBERG

Je savais bien que les Juifs allemands avaient acquis quelque chose du milieu dans lequel ils vivaient et que ceci rendait cette évolution tragique, et qu’il fallait évidemment faire montre de compréhension ; mais ces cas particuliers ne comptaient pas dans l’ensemble de la vie politique et sociale, d’autant plus que les organismes compétents de ce qu’on appelait les partis démocratiques proposaient une émigration vers les colonies françaises, en Argentine et en Chine. Des Juifs haut placés et le président du parti démocrate proposèrent à trois reprises, devant le chômage croissant, la déportation d’Allemands en Afrique et en Asie et finalement on chassa de Pologne en quatorze ans autant d’Allemands qu’il y avait de Juifs en Allemagne sans que la Société des Nations ait entrepris la moindre démarche contre cette infraction au Pacte sur les minorités.

Dr THOMA

Monsieur Rosenberg, vous étiez le chef du service de politique étrangère du Parti ? En quoi consistaient vos fonctions ?

ACCUSÉ ROSENBERG

Le service de politique étrangère fut créé en avril 1933, après que le Parti eut pris le pouvoir. Beaucoup d’étrangers vinrent en Allemagne pour se renseigner sur les origines et la nature du mouvement national-socialiste et c’est pour constituer une sorte de bureau central du Parti que le Führer me chargea de ce service. Il s’agissait de recevoir les étrangers qui s’y intéressaient et de les diriger vers les différents organismes du Parti, s’ils voulaient se renseigner plus spécialement sur l’un d’eux, Front du travail, Jeunesse, Secours d’hiver, etc. Deuxièmement, il était également intéressant d’examiner les diverses propositions que l’on nous faisait ; dans le domaine du commerce extérieur elles étaient fréquentes, et au cas où elles avaient quelque valeur, nous lés transmettions aux autorités compétentes.

De plus, nous suivions la presse étrangère afin de constituer des dossiers susceptibles de servir à des recherches ultérieures et pour informer la direction du Parti de l’opinion publique à l’étranger. On m’a reproché, entre autres, d’avoir écrit quelques articles dans la presse de Hearst. A la demande du groupe industriel Hearst, j’ai publié en 1933 et 1934, cinq ou six articles, mais j’ai rompu toutes relations avec Hearst après lui avoir parlé pendant vingt minutes à Nauheim. J’ai seulement appris que la publication de mes articles causa de grandes difficultés au Konzern Hearst.

Dr THOMA

En votre qualité de chef du service de politique étrangère, avez-vous fait des démarches politiques officielles ?

ACCUSÉ ROSENBERG

Les documents présentés ici, Ps-003, PS-004 et PS-007, concernant le service de politique étrangère ; je pourrais donner au tribunal un bref résumé de l’activité de cet organisme.

Dr THOMA

Mais je voudrais que vous parliez des démarches que vous avez entreprises en tant que chef du service de politique étrangère dans le but de hâter l’entente entre les nations européennes.

ACCUSÉ ROSENBERG

Adolf Hitler, au cours d’une réunion qui eu lieu, je crois, à B’Anberg, en 1927, déclarât qu’il était persuadé qu’au moins quelques nations — l’Angleterre et l’Italie surtout — n’avaient aucun intérêt à ce que l’Europe centrale disparût. Depuis cette époque, je me suis efforcé dans la même conviction, de trouver, aidé d’amis personnels, un terrain d’entente et j’ai eu de nombreuses conversations avec des officiers de l’État-Major britannique de l’Armée de l’air. Sur leur invitation, je me rendis en 1931 à Londres et y ai rencontré, à titre tout à fait privé, de nombreuses personnalités anglaises

Au cours d’une réunion de l’Académie royale de Rome consacrée au thème « L’Europe », j’eus l’occasion de faire une conférence dans laquelle j’ai constaté que quatre pays, l’Angleterre, la France, l’Allemagne et l’Italie avaient dirigé l’évolution qu’ont vue les siècles derniers, et j’ai déclaré que ces quatre pays devaient déterminer quels étaient leurs intérêts vitaux, puis côte à côte, assurer la défense de notre vieux continent européen et de sa tradition si précieuse. Je voyais dans la racine nationale de notre culture européenne un germe de richesse historique et politique. On a publié des extraits de cette conférence et une partie a été traduite avec l’assentiment du Tribunal.

Le dernier jour de cette session, l’ambassadeur britannique en Italie, Sir Rennell Rodd, vint me voir et me dit qu’il avait déclaré à Mussolini qu’il venait de quitter : « C’est M. Rosenberg qui a prononcé les paroles les plus importantes de cette conférence ».

Dr THOMA

Monsieur Rosenberg, puis-je vous demander d’être plus bref.

ACCUSÉ ROSENBERG

En mai 1933, j’étais de nouveau à Londres envoyé par Hitler et je rendis visite à un certain nombre de ministres anglais dont les noms sont sans importance ici. J’essayai à nouveau d’expliquer l’évolution subite dont l’Allemagne était le théâtre et qui n’était pas comprise. Quelques incidents montrèrent que l’on restait sur la défensive, mais cela ne m’empêcha pas de prendre contact sur le plan personnel avec de nombreuses personnalités anglaises et de les inviter plus tard en Allemagne. Je n’avais aucune instruction dans ce sens.

LE PRÉSIDENT

Pourquoi, ne demandez-vous pas à l’accusé quelles auraient été les modalités de cette entente au lieu de continuer à en parler dans l’abstrait ?

Dr THOMA

Monsieur le Président, j’ai posé cette question à l’accusé parce qu’il avait travaillé à un rapprochement avec l’Angleterre. On lui reproche...

LE PRÉSIDENT

Mais de quoi s’agit-il ?

Dr THOMA

Nous nous occupions du fait que l’accusé alla à Londres...

LE PRÉSIDENT

Je ne veux pas que vous me le disiez, mais que vous le demandiez à l’accusé.

Dr THOMA

Je lui ai déjà demandé, Monsieur le Président. On reproche à l’accusé d’avoir pris part à l’entreprise norvégienne et d’avoir poussé à la violation de la neutralité norvégienne. (Au témoin.) Comment avez-vous connu Quisling, Monsieur Rosenberg ?

ACCUSÉ ROSENBERG

J’ai rencontré Quisling en 1933, lorsqu’il me rendit visite et j’eus avec lui une discussion de vingt minutes. Un de mes collaborateurs qui s’intéressait à la culture Scandinave et avait écrit à ce sujet plusieurs ouvrages, est, resté en relations avec lui. Je ne l’ai plus revu pendant six ans et je ne me suis jamais occupé de la politique norvégienne ni du mouvement de Quisling. En juin 1939, alors que la tension s’accentuait en Europe, il me rendit visite et me fit part de ses soucis sur la situation de la Norvège en cas de conflit. Il craignait qu’elle ne pût rester neutre et qu’elle fût envahie au nord par les troupes soviétiques et au sud par les Alliés. Mon chef de cabinet a noté tout cela et l’a transmis régulièrement au Dr Lammers.

Dr THOMA

Quand était-ce ?

ACCUSÉ ROSENBERG

Cela a dû se passer en juin 1939. Quisling demanda à un de ses collaborateurs de s’occuper du rapprochement germano-norvégien et, en plus, créa dans son parti un organisme d’information du mouvement national-socialiste. Au début d’août, je crois, vingt-cinq Norvégiens vinrent au centre d’instruction et repartirent ensuite.

Dr THOMA

Quelle instruction reçurent-ils et comment ?

ACCUSÉ ROSENBERG

Je ne les ai pas vus et ne leur ai pas parlé ; mais on leur enseigna l’art de la propagande et on leur montra ce que le Parti avait fait en Allemagne dans ce domaine. Là, nous leur avons été utiles. Après le déclenchement de la guerre, ou un peu avant, je ne sais plus exactement, un ami de Quisling, Hagelin, vint me voir brusquement et me fit part des mêmes craintes que Quisling. Au début de la guerre, ce collaborateur de Quisling donna toutes sortes de détails sur l’activité des Alliés en Norvège et finalement, en décembre 1939, Quisling vint à Berlin et déclara qu’il en savait assez pour affirmer que la neutralité du Gouvernement norvégien était toute d’apparence et qu’en réalité on s’était déjà à peu près mis d’accord pour le jour où elle devrait officiellement disparaître. Quisling avait été autrefois ministre de la Guerre en Norvège et il devait savoir ce qu’il disait ; j’ai donc cru de mon devoir de demander au Führer de l’écouter. Le Führer l’a reçu deux fois et, accompagné de Hagelin, Quisling rendit également visite à l’État-Major de la Marine qu’il mit au courant de toutes ces choses. J’ai parlé depuis avec Raeder qui, lui aussi, avait recommandé au Führer de recevoir Quisling.

Dr THOMA

Personnellement, vous avez seulement transmis les rapports que Quisling vous donnait ?

ACCUSÉ ROSENBERG

Oui. Je voudrais insister sur le fait que Quisling ne me rendit pas visite en raison de mon activité, car je ne me suis pas occupé de ces affaires politiques pendant six ans. Je considérais de mon devoir de transmettre au Führer ces informations qui, si elles étaient exactes, signifiaient pour l’Allemagne une menace sur le terrain militaire, ainsi que des renseignements que me fournit Quisling sur ses projets de renversement politique en Norvège, pour lesquels il aurait voulu le soutien de l’Allemagne... A cette époque... L’Accusation a décrit cette évolution d’une façon bien plus précise que je ne pourrais le faire moi-même. Dans le document PS-004, mon chef de cabinet, environ deux mois après l’invasion de la Norvège, a fait un résumé de ces événements.

Dr THOMA

Je voudrais attirer l’attention du Tribunal sur ce document. Ce compte rendu fut fait sous l’impression encore fraîche du succès de l’entreprise norvégienne, et décrit sans équivoque les mesures prises par Quisling, son apparition a Lubeck, ses communiqués, son retour et les informations constantes qu’il donna à Rosenberg sur les récents événements de Norvège.

LE PRÉSIDENT

Quel document est-ce ?

Dr THOMA

PS-004 (GB-140), livre de documents 2, page 113.

LE PRÉSIDENT

Quelle page s’il vous plaît ?

Dr THOMA

Je crois que le numéro est au bas, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

De quel livre s’agit-il ?

Dr THOMA

Mon livre de documents n° 2, page 113, volume 2 ; traduction anglaise, page 72.

LE PRÉSIDENT

Voyons, maintenant, quelle est votre question ?

Dr THOMA

Je voudrais me rapporter à la page 1 qui contient la phrase suivante :

« Avant la réunion de la Société nordique de Lubeck, Quisling était à Berlin où il fut reçu par le Reichsleiter Rosenberg. »

C’était en juin 1939 (document PS-007).

A la page suivante, est mentionnée une conférence faite à Berlin dans le quartier de Dahlem, puis une réapparition de Quisling à Berlin en décembre 1939, pour apporter des informations. C’était les 14 et 15 décembre et Rosenberg, comme il devait le faire, transmit au Führer les informations que lui avait transmises Quisling. Cependant, en dehors de cela, il n’a rien fait. Parallèlement, et par une tout autre voie, Raeder en fut également informé. Avez-vous quelque chose à ajouter concernant -ce document PS-004 ?

ACCUSÉ ROSENBERG

Oui, je voudrais bien voir le document. (Le document est présenté au témoin.) Page 5 de ce document PS-004 il est déclaré que Hagelin, collaborateur de Quisling en rapports fréquents avec les milieux gouvernementaux norvégiens, possédait des instructions du Gouvernement norvégien au sujet de livraisons d’armes par l’Allemagne. Par exemple, après l’affaire de l’Altmarfc, torpillage d’un bateau allemand dans les eaux territoriales norvégiennes ; il entendit une discussion avec les représentants norvégiens du Storthing sur le fait que la position réservée qu’avait adoptée la Norvège était la seule possible.

De plus, le 20 mars (la page 7, au centre de la’ page) : « Le 20 mars, après avoir assisté aux négociations sur les livraisons allemandes de matériel antiaérien, il fit un rapport sur l’activité croissante des Alliés en Norvège, activité que tolérait le Gouvernement Nygardsvold. Les Alliés commençaient déjà, d’après ce rapport, à visiter les ports norvégiens, les possibilités de débarquement qu’ils offraient et les possibilités de transport. L’officier qui en était chargé, le commandant français Kermarec ou quelque chose d’approchant — je l’ai vu écrit également Keramac — eut une conversation confidentielle avec le colonel Sundlo, commandant le port de Narvik, partisan de Quisling, et l’informa de l’intention des Alliés de débarquer des troupes motorisées à Stavanger, Trondheim, et peut-être aussi à Kirkenes, et d’occuper l’aéroport de Sola près de Stavanger.

« Un peu plus loin », dit Hagelin, et je cite « il fit remarquer dans son compte rendu du 26 mars, que le discours du ministre des Affaires étrangères norvégien, Koht, sur la neutralité norvégienne et ses protestations ne furent prises au sérieux ni à Londres par les Anglais, ni en Norvège par les Norvégiens, car il était bien connu que le Gouvernement n’avait pas l’intention de prendre sérieusement position contre l’Angleterre. »

Dr THOMA

C’est le compte rendu que vous fit Quisling ?

ACCUSÉ ROSENBERG

Oui. Ce sont les comptes rendus que Quisling avait chargé Hagelin de faire. Je voudrais ajouter de plus, qu’à la suite de la réception de Quisling par le Führer, celui-ci me dit avoir confié la question à l’OKW, qui devait d’étudier sur le plan militaire, et me demanda de ne plus en parler.

Je voudrais faire remarquer également que le document PS-004 montre que le Führer tenait à ce que tout le nord de la Scandinavie restât neutre et qu’il ne changerait d’attitude que le jour où cette neutralité aurait été menacée par quelqu’un d’autre. Dans la période qui suivit, un de mes collaborateurs reçut du Führer l’ordre de maintenir les relations avec Quisling à Oslo et de soutenir la propagande germanophile comme contrepoids aux autres propagandes. Il reçut dans ce but une certaine somme des Affaires étrangères et revint avec des informations sur les intentions de Quisling. J’ai appris plus tard que ce collaborateur avait recueilli quelques informations militaires alors qu’il était dans l’Armée et qu’il transmit après l’entreprise norvégienne.

Dr THOMA

Soyez plus bref, s’il vous plaît, Monsieur Rosenberg.

ACCUSÉ ROSENBERG

Le Führer ne me dit jamais comment il comptait mener cette entreprise à bien ni même s’il l’avait réellement décidée. Je l’ai appris le 9 avril par les journaux. Ce jour-là, je vis le Führer ; quelques semaines plus tard, il me convoqua et me dit qu’il y avait été contraint par certains avertissements, dont les documents ont, par la suite, révélé l’exactitude et il est absolument vrai que lorsque les derniers bateaux allemands entrèrent dans le fjord de Trondheim, ils durent déjà repousser une attaque des premiers navires britanniques qui arrivaient.

Dr THOMA

Je n’ai à ce propos plus qu’une question à poser : avez-vous assisté à des discussions de politique étrangère ou militaires avec Hitler, en votre qualité de chef du bureau de politique étrangère.

ACCUSÉ ROSENBERG

Le Führer faisait une distinction stricte entre la politique étrangère officielle et les initiatives qui pouvaient provenir d’ici ou de là. Je crois, et je pense que tous les documents le prouvent, qu’il ne me permit jamais de prendre part à aucune discussion sur des projets d’ordre militaire.

Dr THOMA

Vous n’avez jamais été appelé à assister aux discussions qui ont précédé les attaques contre l’Autriche, la Tchécoslovaquie, la Pologne, la Russie, etc. ?

Je crois, Monsieur le Président, qu’il est temps de lever l’audience.

(L’audience sera reprise le 16 avril 1946 à 10 heures.)