CENT DIXIÈME JOURNÉE.
Mercredi 17 avril 1946.
Audience du matin.
(L’accusé Rosenberg est à la barre des témoins.)Peu avant la suspension d’audience, hier après-midi, le Tribunal a demandé où en était le livre de documents Frank, et alors que je déclarais au Tribunal que nous étions prêts à vous entendre, le Dr Seidl s’est rappelé une convention que nous avions conclue. Je n’y ai pas pensé hier. Je crois que nous nous sommes trompés tous les deux. La situation est celle-ci : nous sommes convenus hier soir à 6 heures, au sujet des livres de documents de Frank, qu’il n’y avait plus rien d’obscur.
Monsieur le Président, je voudrais faire une brève rectification. J’ai parlé hier de la demande d’un document concernant la création de l’Einsatzstab Rosenberg. Mon client m’a demandé, à plusieurs reprises, de produire ce document. Mais il est possible que je l’aie confondu avec d’autres que j’avais demandés et que je n’ai pas reçus. Je tenais simplement à mettre les choses au point.
Vous désirez simplement faire cette rectification orale ? Bon.
C’est cela.
Est-ce qu’un autre avocat désire interroger le témoin ?
Témoin, êtes-vous d’avis que ce que vous avez fait pour vous acquitter de vos fonctions, étant donné que vous étiez chargé par le Führer des buts spirituels de la NSDAP et des organismes affiliés, pensez-vous que ce que vous avez fait comme mandataire du Führer en vue de réaliser ces buts, ainsi que la réalisation du plan prévu pour la lutte spirituelle — comme on l’appelait — contre les Juifs, pensez-vous que ce que vous avez dit et écrit puisse être considéré comme l’esquisse officielle de l’activité du Parti et des groupes qui s’y rattachent ?
Si je puis me permettre de répondre à cette longue série de questions, je dirai ceci : mon service, en ce qui concerne l’éducation spirituelle, était, cela va de soi, en rapports constants avec le centre de formation des SS. Il a lu les manuels des SS, qui paraissaient sous forme de publications ; je les ai eues souvent en main durant des années et j’ai pu constater que dans ces publications il y avait quantité d’articles très précieux contenant des idées très convenables. C’était aussi la raison pour laquelle je n’ai jamais eu de difficultés avec les SS pendant toutes ces années.
En ce qui concerne la question juive, le but a été défini dans le programme de la NSDAP, et c’était là le seul texte officiel auquel se tint le Parti. Ce que j’ai dit et ce que d’autres ont écrit à ce sujet est considéré comme une justification. Beaucoup des motifs invoqués ont été acceptés. Mais en ce qui concerne le Führer et l’État, ces propositions n’avaient pas le caractère obligatoire.
Le but de votre lutte contre les Juifs était-il limité ? Aviez-vous pensé que les Juifs devaient être exclus des fonctions de l’État ou de l’Économie ou bien est-ce que vous avez imaginé, à priori, des mesures plus rigoureuses telles que l’extermination, par exemple ? Quel était votre but ?
Conformément au programme du Parti, mon but était le suivant : la direction de l’État allemand devait être changée ; elle ne devrait plus être ce qu’elle était notamment entre 1918 et 1933. C’était le but essentiel. A cette époque, il n’a jamais été parlé de l’exclusion des Juifs, pas même de l’Économie. Hier, j’ai fait allusion à deux de mes discours dont le texte imprimé est déposé ici, dans lesquels je disais qu’à l’issue de cette violente lutte politique il faudrait avoir recours à la censure ou à une révision. Autrefois également on a soulevé la question de favoriser l’émigration des Juifs d’Allemagne ; c’est juste. Plus tard, lorsque les choses ont empiré, je me suis à nouveau exprimé sur ce sujet. Je n’ai fait d’ailleurs que reproduire les idées, les propositions faites par d’importantes personnalités Israélites, de déporter des chômeurs allemands en Afrique, en Amérique du Sud et en Chine.
En conséquence, si l’on s’en tient à ce que vous avez exprimé hier et aujourd’hui, on pourrait distinguer trois séries de mesures à prendre contre les Juifs : tout d’abord, jusqu’en 1933, jusqu’à la prise du pouvoir, ce seraient les mesures à caractère de propagande ; deuxièmement, après 1933, les mesures concrétisées dans les lois contre les Juifs ; et, enfin, après la guerre, certaines mesures qui, indubitablement, peuvent être rangées dans la catégorie des crimes contre l’humanité. Êtes-vous d’accord avec cette subdivision ?
Oui, à peu près.
Dans ce cas, j’attire votre attention sur la seconde série : à savoir les mesures prises après la prise du pouvoir par la voie de la législation anti-juive. Avez-vous participé à ces mesures ?
Vous êtes l’avocat des SS, n’est-ce pas ?
Oui.
Qu’est-ce que vos questions ont à voir avec le cas des SS ?
Ceci : si le Parti, considéré comme un tout, avait en vue une législation anti-juive, les SS étaient liées également à ce but et n’envisageaient rien au delà, en tout cas au début. Je voulais constater à quel moment la législation et les mesures contre les Juifs sont devenues criminelles. Jusque-là, les SS non plus n’avaient, en aucune manière, pris de mesures criminelles contre eux.
Le témoin a déjà dit que le problème juif est contenu dans le programme du Parti. C’est tout ce que vous désirez, n’est-ce pas ?
Je voulais préciser : le fait que ce point était contenu dans le programme du Parti ne prouve pas encore qu’il ait été porté au programme comme un crime contre l’humanité. Au contraire, dans le programme du Parti, il n’y avait qu’une phrase générale, dont je ne peux pas encore croire qu’elle puisse représenter un crime contre l’humanité. Je dois encore ajouter...
C’est une question d’interprétation du programme du Parti. Il n’a pas à en témoigner. Il est déposé comme document. Le programme du Parti est contenu dans les documents écrits.
Mais à côté du programme du Parti il y a eu toute une série de décrets et de lois qui ont étendu ce programme, et la question...
Ce sont là aussi des documents que le Tribunal est appelé à interpréter, et non ce témoin.
La question est de savoir si le témoin peut dire dans quelles mesures les SS ont participé à l’exécution de ces prescriptions.
II peut témoigner sur les faits ; il n’a pas à commenter les lois ou à interpréter les documents. Si vous l’interrogez sur des faits, bien. Mais si vous lui demandez de témoigner sur le programme du Parti ou d’interpréter les décrets, ceci appartient uniquement au Tribunal.
Très bien. (Au témoin.) Dans vos ouvrages, vous avez présenté l’idée d’une union des Allemands pour former une Grande Allemagne. C’est contenu également dans le programme du Parti ?
Oui.
Avez-vous cru que ce ne pouvait être possible que par une préparation à la guerre ou par des moyens pacifiques ?
Au début de mes explications, j’ai renvoyé à une conférence tenue lors d’un Congrès international en 1932. La proposition que j’avais faite avait reçu l’approbation de Hitler, à savoir que ces quatre grandes Puissances devaient étudier l’ensemble des problèmes européens et, dans cette proposition, était incluse la renonciation à la politique coloniale allemande, à l’Alsace-Lorraine, au Tyrol du sud, de même que les revendications relatives aux...
Tout cela a déjà été exprimé par les accusés Göring et Ribbentrop, et nous avons déclaré ne plus vouloir les entendre. Cela n’a directement rien à voir avec les SS.
Alors, une dernière question : savez-vous que les SS poursuivaient, à l’égard des Juifs, d’autres buts secrets, totalement différents de ceux publiés officiellement ?
J’ai entendu cela ici.
Vous ne le saviez donc pas personnellement ?
Non.
Témoin, j’ai une seule question à vous poser : le Ministère Public a présenté le document PS-091 ; c’est une lettre que vous auriez adressée, en votre qualité de chef de l’Einsatzstab, à M. Seyss-Inquart, à ce moment-là Commissaire du Reich aux Pays-Bas, lettre dans laquelle vous demandiez la livraison de la bibliothèque de l’Institut social d’Amsterdam. Je ne sais si vous vous rappelez cette bibliothèque. Il s’agissait d’une importante bibliothèque contenant des ouvrages socialistes et marxistes. Le Ministère Public n’a pas produit la réponse de mon client. C’est pourquoi je suis obligé de vous demander si vous vous souvenez de cette affaire et quelle réponse Seyss-Inquart vous a faite ?
Je me rappelle très bien cette bibliothèque parce qu’on m’en a rendu compte. A ma connaissance, il s’agit de la création d’un centre intellectuel international à Amsterdam, où l’histoire des mouvement sociaux dans les différents pays, notamment, devait être rassemblée, afin de pouvoir, grâce à ce matériel documentaire, mener une lutte politique, un combat scientifique...
Bien, bien, nous allons faire vite. Vous savez ce dont il s’agit. Quelle réponse avez-vous reçue ? Seyss-Inquart a-t-il consenti à ce que cette bibliothèque fût transférée en Allemagne, ou a-t-il exigé qu’elle restât en Hollande ?
Nous avons d’abord décidé que cette bibliothèque resterait en Hollande et que les travaux de classement seraient effectués à Amsterdam (ce classement n’était pas fait encore). Il a été effectué au cours des années suivantes. Ce n’est qu’en 1944, lorsque l’invasion eût commencé ou qu’elle était imminente et que les attaques aériennes devenaient de plus en plus intenses dans cette région, qu’une partie en a été transportée en Silésie ; une autre partie n’a pu, à ma connaissance, être évacuée et est restée à Emden, et je crois que la troisième partie n’a pas été enlevée.
Est-il exact que Seyss-Inquart a empêché que cette bibliothèque ne soit enlevée aux travailleurs hollandais ?
Oui, c’est exact.
Le Ministère Public désire-t-il procéder à un contre-interrogatoire ?
Avant de commencer l’examen de certains points, je voudrais vous prier d’écrire votre nom, tant au crayon qu’à l’encre, sur ce papier. Veuillez écrire : « A. Rosenberg » et « Alfred Rosenberg » à l’encre et écrire en gros caractères l’initiale de Votre prénom. Maintenant, veuillez faire la même chose au crayon. Écrivez « A. Rosenberg », « Alfred Rosenberg », l’initiale de votre prénom et l’initiale de votre nom de famille. Veuillez écrire en gros caractères l’initiale de votre nom de famille.
Hier après-midi, lorsque vous avez été interrogé par votre avocat, vous avez déclaré devant le Tribunal que vous avez eu une conversation avec Himmler, le Reichsführer SS, au sujet des camps de concentration, et vous avez dit, si je me souviens, que ceci se passait en 1938. Est-ce exact ?
Oui. J’ai déclaré que je me suis entretenu une fois avec lui à ce sujet. Je ne sais si c’était en 1938 ; je ne peux donner la date exacte car je n’en ai pas pris note.
Très bien. Il vous a proposé de visiter tel ou tel camp, Dachau, ou n’importe quel autre, n’est-ce pas ?
Oui. Il m’a dit alors que je devrais aller voir Dachau.
Et vous avez décliné l’invitation, n’est-ce pas ?
Oui.
Et, si je vous ai bien compris, vous disiez que si vous agissiez ainsi, c’est que vous étiez convaincu qu’il ne vous montrerait certes pas ce qu’il y avait de répréhensible dans ce camp ?
Oui, c’est à peu près ce que j’ai supposé : s’il y avait vraiment quelque chose de répréhensible, je ne le verrais certainement pas.
Vous voulez donc dire que vous avez simplement supposé qu’il s’y commettait des actes répréhensibles. Vous ne les connaissiez pas ?
Je l’ai appris par la presse étrangère, et c’est là-dessus...
Quand en avez-vous entendu parler pour la première fois par la presse étrangère ?
C’était pendant les premiers mois de l’année 1933.
Et vous avez continué à lire régulièrement ce que disait la presse étrangère sur les camps de concentration, de 1933 à 1938 ?
Je ne lisais pas du tout la presse étrangère parce que, malheureusement, je ne parle pas l’anglais. Ce n’est que de temps à autre que j’ai eu quelques extraits de cette presse et dans la presse allemande également il y a été fait quelques allusions avec le simple commentaire que c’était inexact. Je me rappelle une déclaration du ministre Göring disant qu’il était inconcevable que de telles choses pussent être publiées.
Vous pensiez pourtant qu’il était exact que dans ce camp, des actes répréhensibles étaient commis que Himmler ne dévoilerait pas ?
Oui, j’admettais que, lors d’un tel processus révolutionnaire, il devait nécessairement se produire un certain nombre d’abus que, dans certains Gaue, il devait y avoir ça et là des frictions violentes et que le fait que des nationaux-socialistes avaient été assassinés dans les mois qui suivirent la prise du pouvoir devait entraîner vraisemblablement comme conséquences de sévères représailles.
Croyez-vous que ces attentats contre les nationaux-socialistes furent encore répétés en 1938 ?
Non. C’est surtout de 1943 et de 1944 que datent les informations concernant les assassinats de membres du Parti, de la Jeunesse hitlérienne et de la Police.
Le témoin veut dire sans doute 1933 et 1934, et non 1943 et 1944 ?
Je m’excuse, je voulais dire 1933 et 1934.
Mais, en tout cas, en 1938, vous étiez suffisamment informé pour être en état de conclure qu’il ne valait pas la peine d’inspecter les camps parce qu’il s’y passait des choses qui vous seraient dissimulées. C’est bien cela, n’est-ce pas ?
Non, mais j’ai dit ouvertement qu’il pouvait y avoir éventuellement des abus, et j’ai dit à Himmler qu’il savait certainement que de tels faits étaient communiqués par la presse étrangère et qu’il fallait se méfier. A moi personnellement, l’annonce d’une plainte ne m’a été faite qu’une seule fois.
Bien. Abordons maintenant une autre question. Vous avez dit hier également que votre livre Le Mythe du XX e siècle exprime votre opinion personnelle et que vous n’aviez pas l’intention d’exercer une influence profonde sur la politique gouvernementale. C’est bien là le sens de votre témoignage d’hier à propos de votre ouvrage ?
Je n’ai pas bien compris cet argument... J’ai écrit ce livre, après m’être livré à des études historiques approfondies et à d’autres recherches, en 1927 et en 1928. Il a été publié en octobre 1930, avec une préface qui indiquait qu’il s’agissait là d’une profession de foi personnelle et que l’organisation politique à laquelle j’appartenais ne pouvait en être rendue responsable.
Bien. Je vais vous faire remettre le document PS-3553. C’est, Monsieur le Président, le document USA-352. Il a déjà été produit comme preuve. (Au témoin.) Vous avez écrit une préface, une brève introduction pour cette édition de votre livre, que vous avez devant vous. Vous y dites, à l’occasion du cent cinquantième mille : « Le Mythe du XXe siècle a tracé désormais des sillons indélébiles dans la vie sentimentale du peuple allemand. De nombreuses éditions successives sont la preuve évidente qu’une révolution spirituelle atteint de plus en plus la grandeur d’un événement historique. Beaucoup de ce qui, dans mon livre, ne semblait être que des idées personnelles, est déjà devenu une réalité politique. Beaucoup d’autres arguments contribueront par la suite, je l’espère, à incarner dans les esprits cette nouvelle conception de l’existence. »
C’est bien ce que vous avez écrit, n’est-ce pas ?
Oui, et c’est parfaitement juste car ce livre de 700 pages ne renferme pas seulement les points qu’on me reproche ici, mais traite d’un grand nombre de problèmes, le problème de la paysannerie, celui des États mondiaux, le concept du socialisme, le problème des rapports entre le patronat et le prolétariat, une description de l’appréciation...
Un instant. Il n’est pas nécessaire de nous citer toute la table des matières. Je vous ai demandé simplement si vous avez écrit la préface ?
Oui, naturellement.
J’en arrive maintenant au programme bien connu du travail obligatoire. Je crois qu’aujourd’hui, pour qui a assisté à ce Procès, il est évident, naturellement aussi pour vous, qu’il y avait dans l’Est aussi bien que dans les territoires occupés de l’Ouest un programme de travaux obligatoires, travaux d’esclaves, qui fut exécuté. Cela correspond bien aux faits ?
Oui, il existe bien à ce sujet la loi du 21 mars stipulant que les travailleurs des régions occupées devaient être transférés en Allemagne. En Allemagne aussi il y avait une loi rendant le travail obligatoire.
Il n’y avait que deux services dans l’ancien État allemand qui pouvaient être regardés comme responsables de ce programme de travail obligatoire, soit partiellement, soit pour l’exécution totale, n’est-ce pas ? Deux autorités supérieures, au moins ?
Oui.
Et c’étaient votre propre ministère et l’office de l’accusé Sauckel. C’est pourtant bien simple. Est-ce exact, oui ou non ?
Il est exact que la mission a été confiée au Gauleiter Sauckel, avec le droit de m’adresser des instructions ainsi qu’à toutes les autorités supérieures du Reich. J’avais le devoir de faire connaître cette mission de mon mieux, à mon gré et selon mes directives, dans les territoires occupés de l’Est, et de la faire aboutir.
Avez-vous publié, par l’intermédiaire de votre ministère, les ordonnances relatives à l’application du travail obligatoire ? Avez-vous forcé les gens à abandonner leur foyer pour travailler en Allemagne pour l’État allemand ?
J’ai lutté environ neuf mois pour que cet appel aux ouvriers de l’Est fût réalisé par des engagements volontaires. Il ressort expressément de la mention que j’ai faite d’une conversation avec le Gauleiter Sauckel en 1943 que je me suis toujours efforcé d’y parvenir. J’ai même mentionné les millions de tracts, d’affiches et de brochures que j’ai fait distribuer dans le pays pour imposer cette méthode. Mais, lorsque j’ai su que les nombreux travailleurs allemands, appelés sous les armes, ne pouvaient être remplacés et que les réserves de armées allemandes étaient épuisées, je fus alors dans l’impossibilité de protester contre l’appel de certaines classes et aussi contre la nécessité de faire intervenir l’administration des Länder et de recourir à la gendarmerie. C’est ce qu’hier j’ai...
Vous avez donc essayé d’avoir des volontaires et, lorsque vous avez constaté qu’ils ne voulaient pas répondre à votre appel, alors vous avez employé la force. Est-ce exact ?
Qu’une coercition ait été employée, c’est exact, je ne le conteste pas. Là où un abus s’est produit — et il y a eu des abus terribles — j’ai fait tout mon possible pour en atténuer les effets ou même pour les empêcher.
Bon. Vous avez promulgué un ordre, provenant de votre ministère, au sujet du travail obligatoire, n’est-ce pas ?
Oui, au début a paru une loi générale pour le service obligatoire du travail.
C’est exact. C’était le 19 décembre 1941 ?
Il se peut que cette loi ait été promulguée à ce moment-là.
Vous pouvez me croire. C’est bien là la date de votre décret sur le travail obligatoire et sur le travail obligatoire dans les territoires occupés de l’Est. Je tiens à une affirmation bien claire.
Oui.
Et ce décret a été promulgué par vous en votre qualité de ministre pour les territoires occupés de l’Est ?
Oui.
Je vous fais passer maintenant le document PS-1.975 (USA-820), déjà versé au dossier comme preuve. Non, pardon, ce n’est pas encore fait, je le dépose maintenant.
Je n’attache pas autrement d’importance à ce document et je désire voir simplement confirmer que cette ordonnance est entrée en vigueur. Au paragraphe 1, chiffre 1, il est dit : « Tous les habitants des territoires occupés de l’Est sont soumis, dans la mesure de leur aptitude, au travail obligatoire public ». J’attire en outre votre attention sur le paragraphe 1, chiffre 3, où il est dit : « Des dispositions spéciales seront publiées pour les Juifs ».
C’était le 19 décembre 1941.
Le document qui m’est présenté est signé par le Commissaire du Reich pour l’Ukraine et se rapporte à une loi générale du ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est. Je demande qu’on me présente cette loi générale afin de pouvoir mieux juger des dispositions prises par le Commissaire du Reich en vue de son application.
Nous pouvons la mettre à votre disposition. Elle est extraite du Bulletin Officiel du ministère pour les territoires occupés de l’Est. Vous n’allez pourtant pas nier que vous avez publié ce décret et que les deux paragraphes que nous venons de vous lire y figurent.
Ce n’est certes pas contesté.
Bien. Si vous tenez à parcourir les autres paragraphes, je ferai en sorte que vous puissiez les consulter. Je peux cependant vous assurer dès maintenant qu’il ne s’agit pas d’un piège. Je me réfère maintenant à un autre document.
Permettez-moi de faire une remarque. Au-dessus du paragraphe 1, il est dit expressément : « Les inaptes à un travail normal sont soumis à l’obligation de travailler dans la mesure de leurs possibilités ». Leur état de santé a donc été pris en considération.
C’est ce que je viens de vous lire. Vous aviez un secrétaire d’État du nom d’Alfred Meyer, n’est-ce pas ?
Je ne vois rien qui se rattache à la législation concernant les Juifs. Il devrait figurer là un passage relatif aux instructions destinées aux Juifs, mais il ne s’y trouve pas.
Il est juste au-dessous de la phrase que vous venez de mentionner, deux paragraphes plus bas. Il y a un 3 entre parenthèses et alors : « Des dispositions spéciales seront publiées pour les Juifs ». Y êtes-vous ?
Oui, c’est une autre loi.
Bon. Je voulais simplement vous demander de vous convaincre que ce passage s’y trouve. Vous l’avez trouvé, nous pouvons continuer. Je vous ai demandé si vous aviez un secrétaire d’État du nom d’Alfred Meyer ?
Oui.
Je vous montre maintenant le document PS-580 (USA-821). C’est un décret de votre ministère pour les territoires occupés de l’Est, signé de votre secrétaire d’État permanent, Alfred Meyer. Il était adressé au Commissaire du Reich pour l’Est, Lohse, et au Commissaire pour l’Ukraine, Koch, dont nous avons entendu dire ici toutes sortes de choses. Je vous demande de me confirmer que cet ordre demande 270.000 ouvriers de l’industrie et 380.000 ouvriers agricoles. Veuillez vous reporter à la page 2 de la traduction anglaise, page 2 également de la version allemande, ligne 14 du texte anglais, et ligne 22 du texte allemand. Le paragraphe porte le numéro 6 et dit : « Les travailleurs seront recrutés. Il faut éviter le recrutement forcé pour des raisons politiques, le recrutement volontaire doit être sauvegardé. Au cas où il n’amènerait pas le résultat demandé et où il y aurait encore un excédent de travailleurs disponibles, on fera usage, en dernier ressort, et en accord avec le Haut Commissaire, de l’ordonnance du 19 décembre 1941 sur l’application du travail obligatoire aux territoires occupés de l’Est ». Cet ordre, signé par Meyer, de votre État-Major, est une instruction transmise aux commissaires du Reich des territoires occupés de l’Est, et est basé sur votre ordonnance du 19 décembre 1941 sur le travail obligatoire.
Monsieur le représentant du Ministère Public, vous avez lu l’introduction ; elle fait ressortir que mon représentant aussi a fait, d’une façon non équivoque, tous ses efforts pour éviter le recrutement forcé : au contraire, il doit... Comme il dit ici, il s’agit, ce faisant, de maintenir le recrutement volontaire. C’est une preuve, comme je l’ai déjà dit hier, que Meyer, qui était mon représentant permanent, s’est toujours efforcé, de la façon la plus énergique, d’agir dans ce sens. Dans les cas extrêmes, il ne s’agissait pas de recourir à des mesures arbitraires, mais d’appliquer dans les territoires occupés de l’Est une loi générale sur le service obligatoire, qui devait avoir pour effet d’éviter que des centaines de milliers de gens qui ne pouvaient ni travailler ni étudier traînassent dans les rues. Je voudrais également lire aussi la fin de ce paragraphe, qui dit ici :
« Des promesses, qui ne pourront être tenues, ne devront pas être faites ni verbalement ni par écrit. Les appels au moyen d’affiches, le recrutement par la presse et par la radio ne devront donc pas donner d’informations inexactes, afin d’éviter des déceptions parmi les travailleurs employés dans le Reich, ainsi que des répercussions sur le recrutement ultérieur dans les territoires occupés de l’Est ». J’estime qu’il est impossible d’avoir, en pleine guerre, une attitude plus loyale.
Très bien. J’espère que vous consentirez à reconnaître que, malgré vos objections et vos objurgations, que nous ne mettons pas en doute, vous n’en avez pas moins donné le droit à vos gens, dans les territoires occupés de l’Est, de recruter des hommes et de les obliger à travailler en Allemagne. Et vous avez mis cette mesure à exécution en vertu de votre propre ordonnance. C’est ce point que je voulais vous exposer clairement.
J’ai promulgué, à la fin de 1941, une loi portant sur l’obligation du travail dans le territoire du commissariat compétent, c’est-à-dire pour l’Ostland et l’Ukraine. Les obligations de ces travailleurs vis-à-vis du Reich sont survenues beaucoup plus tard et, en ce qui concerne le travail obligatoire en territoire occupé, il s’agissait là, à mon avis, d’une mesure indispensable, légale, pour éviter à la fois un recrutement désordonné et le chaos causé par des centaines de milliers de gens traînant dans les rues.
Vous ne répondez pas à la question. Vous tergiversez devant le mot « oui » qui devrait être votre seule réponse.
Lorsque le service obligatoire du travail fut proclamé également pour le Reich, je suis intervenu en faveur de la méthode des volontaires. Mais cela ne put être maintenu longtemps. C’est pourquoi je fus amené à consentir, cela va de soi, que des lois obligatoires fussent également introduites. Je l’ai avoué hier trois fois, je ne l’ai pas nié.
Je sais que vous l’avez dit hier trois fois et ce matin encore. Nous en arrivons maintenant à votre propre document de défense RO-11. Je crois que c’est la lettre que vous avez écrite à Koch, le 14 décembre 1942. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de vous la montrer une fois de plus, vous l’avez vue hier. Dans ce document, vous vous référez expressément, vis-à-vis de Koch, à des actes au cours desquels des gens, qui faisaient la queue devant les théâtres, furent empoignés et emmenés de même que des spectateurs de cinémas et autres établissements de plaisir. Vous deviez pourtant être conscient de ce que ces faits étaient une conséquence de votre ordonnance sur le travail obligatoire, n’est-ce pas ? Vous avez prétendu y être opposé, mais vous saviez bien ce qui se passait.
Chaque loi peut entraîner des abus, mais dès que j’en étais avisé, j’intervenais aussitôt.
Bien. Pouvez-vous maintenant, tout bien considéré, prétendre, honnêtement et sincèrement, que votre ministère n’était pas, dans une large mesure, responsable de cet horrible programme d’expulsion de personnes de leurs foyers, pour aller travailler en Allemagne, ou bien vous reconnaissez-vous largement responsable du sort de ces centaines de milliers de gens originaires des territoires occupés de l’Est ?
J’assume, bien entendu, la responsabilité des lois que j’ai promulguées et des dispositions générales qui émanent de mon ministère. En ce qui concerne l’exécution de ces mesures, ce sont les autorités régionales qui sont responsables juridiquement et là où il y a eu des abus — elles étaient à quelque 1.500 kilomètres de moi — je me suis inquiété de chaque cas. On a beaucoup exagéré. Des abus se sont produits et je reconnais que des choses affreuses ont eu lieu. J’ai essayé d’intervenir et d’avoir recours à des sanctions : c’est pour cette raison que de nombreux fonctionnaires allemands ont été jugés et condamnés.
Laissons maintenant de côté le sort effroyable de ces pauvres gens et, à supposer que des actes de violence aient été moins nombreux, le fait que des gens ont été forcés de quitter leur patrie contre leur volonté subsiste. Je suppose que vous en assumez la responsabilité ?
Oui.
Et vous croyez aussi qu’un grand nombre d’entre eux...
J’en prends la responsabilité en raison d’une loi organique qui autorisait le Gauleiter Sauckel à me formuler des demandes que, conformément à cette loi, j’ai transmises aux territoires de l’Est.
Je désire vous rappeler brièvement, en rapport avec ce qui précède, que vous avez reconnu hier avoir consenti à ce que l’on déportât des enfants de 10, 12 et 14 ans pour les emmener en Allemagne. Et je crois que vous avez dit qu’au début cela vous avait ému et qu’ensuite, lorsque vous avez appris qu’ils étaient bien traités, vous vous étiez tranquillisé. Est-ce là une exacte reproduction de l’attitude que vous avez eue en appliquant vos mesures de force à l’égard de ces enfants venus de l’Est ?
Non, ce n’est pas exact. Je ne sais certes pas comment a été traduit le document que j’ai lu ; il en ressortait exactement le contraire, c’est-à-dire que je voulais empêcher qu’au cours d’une opération, il arrivât quelque chose qui, pour beaucoup d’enfants, aurait eu des conséquences très graves et que, sur la prière du groupe d’armées du Centre, qui avait d’ailleurs agi indépendamment de moi, j’ai eu alors l’obligation d’héberger ces enfants. A la condition, bien entendu, qu’ils soient parfaitement bien traités, grâce aux soins de leur propre mère, qu’ils aient des rapports avec leurs parents et qu’ils soient ultérieurement reconduits dans leur patrie. C’est exactement le contraire de ce que l’Accusation a tiré de ce document.
Je ne veux pas m’arrêter plus longtemps sur ce point. Je tiens seulement à vous rappeler que ce document, que vous avez vu et discuté hier, précise, entre autres choses, qu’en déportant les enfants hors des régions de l’Est, vous poursuiviez encore un autre but : celui d’anéantir le potentiel biologique de ces peuples de l’Est. A ce sujet, comme à d’autres, vous avez bien donné votre approbation, n’est-ce pas ?
Oui, l’Accusation en a déjà donné lecture. Mais, par la lecture du document entier, j’ai pu rectifier le premier point, qui n’est nullement péremptoire quant à mon approbation ou autorisation ; j’ai établi clairement que dans mon premier exposé je le repoussais catégoriquement. Ce n’est qu’après plus ample information, que j’ai instauré une méthode qui m’a valu les remerciements des femmes. Bien que le mérite ne m’en revienne pas, s’ils ont été bien traités, mais à la Jeunesse hitlérienne, à Dessau et ailleurs.
Si j’ai bien compris vos déclarations d’hier, vous vous êtes montré, sauf peut-être durant une courte période sur laquelle nous avons discuté, très bon et très humain envers tous les gens qui, dans les pays occupés de l’Est, étaient sous votre domination. Vous vouliez avoir une attitude amicale à leur égard, n’est-ce pas ?
Je ne voudrais nullement revendiquer pour moi de telles phrases à caractère sentimental. Je me suis uniquement appliqué, au fort de cette terrible guerre de l’Est qui a causé des assassinats perpétuels de fonctionnaires allemands et de gros propriétaires agricoles allemands, de pratiquer une politique de compréhension et d’amener ces gens à collaborer volontairement.
Je vais vous montrer le document PS-1058 (USA-147). (Le document est remis au témoin.) Le voici. C’est un extrait d’un discours que vous avez prononcé devant vos collaborateurs les plus intimes, le 20 juin 1941, la veille de l’attaque déclenchée contre l’Union Soviétique, auquel on s’est déjà référé une fois. Je vous renvoie au premier paragraphe, le seul sur cette page. Il est ainsi rédigé : « L’alimentation du peuple allemand, au cours de ces années, est sans aucun doute... »
A quelle page cela se trouve-t-il ?
A la première page ; il n’y a qu’une page. Vous avez le document en entier ? Vous vous y êtes référé hier, c’est la page 8, ligne 54. Vous devez vous en souvenir puisque vous en avez parlé hier. Vous avez dit qu’il s’agissait d’une improvisation. Le trouvez-vous à la page 8 ?
Oui, je l’ai trouvé.
Dans ce paragraphe, vous dites, entre autres choses — et je tiens à attirer votre attention là-dessus pour des raisons particulières — que la tâche de nourrir le peuple allemand vient en tête de toutes les revendications, et les territoires du sud et du nord du Caucase devront constituer une compensation pour l’alimentation du peuple allemand. Vous continuez en disant qu’il n’y avait aucune raison de nourrir les Russes avec les produits excédentaires des territoires de l’Est. Vous ajoutez :
« Nous savons que c’est une dure nécessité, qui échappe à toute sentimentalité. »
Puis, vous continuez :
« Une évacuation de grande envergure sera sans doute indispensable et les Russes se voient à la veille d’années très dures. »
Vous avez lu hier un passage que vous avez interprété à votre avantage. Est-ce que toutes les parties de ce discours étaient improvisées, ou seulement les passages qui semblent maintenant vous charger ?
J’ai prononcé tout ce discours en me servant d’un aide-mémoire, et ce paragraphe a été lu par le Ministère Public trois ou quatre fois au moins. Hier, en parlant de ce discours, j’ai fait moi-même allusion à cet alinéa. J’ai d’ailleurs ajouté que les cercles dirigeants du Plan de quatre ans m’avaient informé qu’on ne savait pas si, après la conquête de la région industrielle de Moscou, on pourrait maintenir l’industrie en totalité ; il est mentionné là, par exemple, « fabriques de wagons », qu’on serait obligé de se limiter à certaines industries centrales et que cela créerait un problème très difficile à résoudre quant au ravitaillement de ces territoires. Et ma remarque est relative au fait que l’on se verrait dans la nécessité d’évacuer tous ces chômeurs.
J’ai fait alors expressément allusion à un document — c’est-à-dire le premier document du ministère de l’Est — où, parmi sept points importants de l’administration civile, est traité le troisième point : le problème du ravitaillement de la population civile. Et dans le document même, j’ai insisté en disant qu’il fallait à tout prix éviter la famine et que la population devait être nourrie par des rations supplémentaires. Je crois qu’il eût été impossible, en raison des lois et des prescriptions, de faire davantage pendant cette période si dure. Mon attitude entière, tant intellectuelle que politique, ressort très clairement de ce que j’ai dit quant à l’extension de la liberté et de la culture ukrainiennes, sur le droit des Caucasiens à disposer librement d’eux-mêmes et aussi sur l’État russe et ses grandes...
Bon. Je ne désire pas que vous reveniez là-dessus encore une fois. Je vous comprends parfaitement et je crois que chacun, ici, est de mon avis. Je voulais simplement rappeler que vous avez déjà dit, quant à cette époque, qu’il y avait de dures nécessités et, pour les Russes, des années très difficiles en perspective. C’est tout. Si vous ne voulez pas admettre avoir accentué ces paroles avec la même gravité que vos autres déclarations, je ne vous y contraindrai pas.
Monsieur le représentant du Ministère Public, je crois qu’on ne peut avoir plus de prévoyance pour ce problème qu’en réfléchissant d’abord au moyen de s’en rendre maître. D’autres troupes d’occupation ont éprouvé les mêmes difficultés.
Bon. Je vais vous montrer maintenant le document PS-045 (USA-822).
Permettez-moi de dire encore un mot à propos de la traduction de ce passage. Il m’a été dit que ces mesures devaient être exécutées « sans aucun sentiment » ; dans l’original il est dit : « en dehors de tout sentiment ».
Bon, j’accepte cette interprétation ; ce passage ne nous causera plus aucune difficulté. Veuillez maintenant regarder ce document ; c’est un mémorandum trouvé dans vos archives ?
Oui.
Vous y avez fait, dans le deuxième paragraphe, l’exposé des soi-disant buts de la politique allemande, fixés par le Führer, surtout en Ukraine. D’après vos propres mots, ces buts sont les suivants : « Mise en valeur et exploitation des richesses du sol ; colonisation allemande dans certaines régions ; pas d’émancipation intellectuelle de la population, mais maintien de sa capacité de travail et, pour le reste, désintéressement total des événements intérieurs ».
Voyons un peu plus loin. Il me semble inutile de citer in extenso, car une grande partie en a déjà été mentionnée dans un autre document. Nous en venons à la douzième ligne de la fin du paragraphe et nous commençons à la ligne 14 :
« Par une observation constante de la situation générale dans les territoires occupés de l’Est, je suis arrivé à la conviction que la politique allemande peut avoir une opinion bien arrêtée, quelque peu péjorative aussi, des qualités des peuples conquis, mais que la mission des représentants politiques de l’Allemagne n’est pas de proclamer des mesures et des jugements qui, finalement, peuvent conduire les populations des pays conquis à un morne désespoir au lieu d’encourager le recrutement, tant souhaité, d’une main-d’œuvre productive. »
Et vous dites ensuite dans le paragraphe suivant :
« Si, en politique intérieure, nous devons proclamer vis-à-vis du peuple entier, et à l’opposé des autres, ouvertement et violemment notre volonté, par contre la direction politique, dans l’Est, doit observer le silence là où une sévérité rigoureuse est dictée par la politique allemande. Elle se doit de taire un jugement éventuellement défavorable sur les peuples conquis. Une habile politique allemande peut, certes, dans certaines circonstances, par l’octroi de facilités de peu d’importance pour elle, comme aussi par simple compréhension humaine, servir beaucoup mieux les intérêts allemands que par des brutalités irréfléchies. »
Cet exposé, dans votre mémorandum du 16 mars 1942, est-il vraiment l’honnête expression de vos vues ?
Oui, ce document est exact. Il m’a été présenté aussi lors de l’instruction préalable. Il en résulte que, malgré ma certitude que le Führer n’acceptait pas mes larges propositions, je luttais pour ces propositions. Il s’ensuit, en outre, que je suis intervenu personnellement auprès de lui, pour que quelques petits bourgeois turbulents ne se permettent pas, dans l’Est, des discours méprisants à l’égard d’autres peuples qu’ils ne pouvaient juger que superficiellement sur leur aspect misérable. Je ne pouvais pas attendre, de la part des milliers d’hommes qui y arrivaient, qu’ils manifestassent de la sympathie ou de l’antipathie mais ce que je pouvais exiger d’eux c’était, si leur jugement était défavorable, qu’ils le gardent pour eux et qu’ils se conduisent convenablement. Et, pour terminer, je voudrais ajouter encore quelque chose qui est expressément concluant. Il est dit dans le dernier paragraphe :
« Je prie le Führer de prendre une décision sur cette notice et sur ce projet de décret. » Malheureusement, ce projet n’est pas joint au document. Je crois qu’on en aurait conclu bien des choses.
Bien. Passons maintenant au R-36 (USA-699). Vous avez déjà vu ce document, je suppose ? (Le document est remis au témoin.)
Oui, je l’ai vu.
C’est là une notice qui a été rédigée par l’un de vos collaborateurs, le Dr Markull, et qui vous a été remise le 19 août 1942 par un autre de vos principaux collaborateurs, le Dr Leibbrandt. Lisez-la avec moi, pendant que je donne lecture des paragraphes séparément. Les premières lignes datent du 5 septembre 1942 et sont adressées à : « Monsieur le ministre ». Il est dit ensuite que, dans l’annexe, une notice vous est jointe avec les commentaires du Dr Markull, relatifs à son attitude au. sujet de la lettre de Bormann du 23 juillet.
Avant que nous commencions la lecture, j’attire votre attention sur un point : vous avez dit hier que vous aviez des divergences d’opinion avec Bormann sur différentes questions. Est-ce exact ?
J’ai dit...
Répondez à la question. Avez-vous dit cela hier ?
Je n’étais pas d’accord avec Bormann sur des questions décisives. J’ai déclaré qu’au cours des années passées, j’ai été tellement assiégé que, de temps à autre, j’ai été obligé de donner des apaisements. Toute ma politique consistait à...
Bien. Examinons maintenant la notice à vous adressée, relative à la lettre de Bormann du 23 juillet 1942 :
« Le 23 juillet 1942, le Reichsleiter Bormann a envoyé au ministre, une lettre reproduisant en huit paragraphes les principes que celui-ci devait appliquer dans les territoires occupés de l’Est. »
Plus loin, il est dit que vous auriez, « dans un message au Führer, du 11 août 1942, exposé en détail jusqu’à quel point ces principes sont déjà appliqués ou posés comme base de la politique poursuivie ». Le paragraphe suivant dit :
« Quiconque prend connaissance de cette correspondance est frappé tout d’abord par l’accord complet des conceptions. Au ministre, deux points ont paru être d’une importance toute spéciale : le premier concerne la garantie de la domination allemande contre la poussée slave ; le deuxième, la nécessité absolue de simplifier l’administration. Il s’agit ici en réalité de questions décisives, qui devront faire l’objet d’un examen plus approfondi. »
Ensuite : « Pour le reste, le ministre » — c’est vous — « non seulement n’élève aucune objection contre les principes ou même les formules de Bormann, mais il s’en inspire pour baser sa réponse à Bormann et s’efforce au contraire de justifier leur réalisation. Lorsque, cependant, lors d’une conférence de chefs de services, le capitaine Zimmermann donna communication de la lettre de Bormann, elle provoqua de graves soucis, tant à cause de sa teneur qu’en raison de l’orientation future de notre politique de l’Est. »
Puis, il est dit : « Pour examiner la justification de ces soucis, le mieux est de partir d’une fiction, qui montre clairement la situation telle qu’elle est ».
Au numéro 1, Markull écrit :
« Supposons que la lettre de Bormann parvienne aux commissaires du Reich comme décret ministériel. Comme le ministre » — c’est encore vous — « a apparemment les mêmes vues, cette supposition n’est nullement gratuite. Puisque l’Ostland est un cas spécial et qu’au surplus, l’Ukraine devrait être ou devrait devenir le plus important territoire, c’est ce qui doit prévaloir, vu les conditions qui régnent dans cette région. »
Puis, il est dit plus loin :
« Les conséquences d’un tel décret ministériel apparaissent le plus clairement à ceux dont le devoir est le mettre en pratique. »
Et il poursuit :
« Imaginons que la phraséologie employée par Bormann soit traduite dans le langage d’un employé de l’administration civile allemande, et vous aurez à peu près le point de vue suivant :
« Les Slaves doivent travailler pour nous. Dans la mesure où nous n’avons pas besoin d’eux, ils peuvent mourir. La vaccination obligatoire et les services sanitaires allemands sont donc superflus. La fécondité des Slaves est indésirable ; plus ils useront de moyens anti-conceptionnels ou plus ils pratiqueront l’avortement, mieux cela vaudra. L’instruction est dangereuse, il suffit qu’ils sachent compter jusqu’à cent. Tout au plus une formation, susceptible de nous procurer des manoeuvres utilisables, est-elle admise. Tout intellectuel est un ennemi futur. La religion, nous la leur laisserons comme moyen de diversion. Quant à la subsistance, ils n’auront que le strict nécessaire. Nous sommes les maîtres, nous venons les premiers. »
Il est dit ensuite :
« Ces phrases ne sont nullement exagérées ; au contraire, elles correspondent, mot pour mot, à l’esprit et à la lettre du message de Bormann. Là, déjà, la question se pose de savoir si un tel résultat est désirable dans l’intérêt du Reich. Il n’est pas douteux que cette conception sera connue du peuple ukrainien. Des opinions semblables sont déjà répandues aujourd’hui. »
Continuons, et passons au paragraphe suivant, le numéro 2 :
« Il n’est d’ailleurs pas nécessaire de recourir à l’interprétation donnée au numéro 1. Les conceptions ci-dessus mentionnées de notre rêve dans l’Est sont déjà maintenant une réalité vivante.
« Le Commissaire du Reich pour l’Ukraine a, dans trois discours successifs, exposé son opinion sur le peuple ukrainien. »
Puis, il cite les discours déjà connus du Tribunal. Dans le paragraphe suivant, il est dit que :
« Tout visiteur et tout collaborateur de l’administration civile peut s’en rendre compte de ses propres yeux », et que cela montre clairement « combien le terrain est préparé pour la lettre de Bormann ».
Puis il mentionne quelques tournures de phrases que l’on pouvait entendre prononcer, comme par exemple :
« Tout bien considéré, nous sommes vraiment ici parmi des nègres... La population est malpropre et paresseuse... » etc. Il dit ensuite :
« On pourrait encore ajouter que, par exemple, le Kreisleiter Knuth, que le Gauleiter conserve auprès de lui malgré les très graves accusations dont son intégrité administrative a été l’objet, a déclaré, dans des conversations à propos de Kiev, que cette ville devrait être dépeuplée et cela grâce à des épidémies. Le mieux serait encore que l’excédent de la population mourût d’inanition. »
Continuons, paragraphe 3 :
« Tout de même, parmi les commissaires de districts, il y en a au moins 80% qui sont opposés aux conceptions exprimées plus haut. Au cours de nombreuses conférences avec les commissaires généraux, ils ont souligné que la population devait être traitée convenablement et avec compréhension. »
Des déclarations, qui seraient en contradiction avec la politique mentionnée, conduiraient à une catastrophe. Et Markull poursuit alors :
« La conception fausse d’une domination de maîtres est de nature à faire se relâcher la discipline de nos administrateurs. »
Je ne veux pas tout lire ici, vous le lirez certainement vous-même. J’en arrive maintenant au très significatif paragraphe 5 :
« Quoi qu’il en soit, il n’en est pas moins nécessaire d’examiner si une concordance de la politique pratiquée jusqu’ici avec la lettre de Bormann, serait d’autant plus susceptible d’être constatée, que les décrets et instructions mentionnés, émanant du ministère, devraient être simplement interprétés du point de vue tactique alors qu’au fond, les conceptions sont identiques. De même, la réponse du ministre » — c’est toujours vous — « du 11 août, ne pourrait certes que donner la même orientation. »
Et il déclare ensuite :
« ... que le ministre » — c’est vous — « sait très bien qu’on ne peut réorganiser un continent aussi important que le continent russe avec des tactiques politiques et en faisant miroiter une prétendue libération, mais au contraire et uniquement, par une véritable conception d’homme d’État. »
Et il conclut en disant que « la seule interprétation tactique de la politique ministérielle » se condamne elle-même en raison de son inconséquence :
« Il aurait alors mieux valu ne parler jamais de libération, car aucun théâtre n’avait l’autorisation d’ouvrir, pas d’écoles techniques, pas d’institutions universitaires en état de pouvoir travailler. »
Pour en terminer, je vais donner lecture du paragraphe 6, également significatif, et que je me permets de résumer. Il y est dit que la lettre de Bormann, qui provient du Quartier Général, ne peut être manifestement considérée comme un décret ministériel, parce qu’il désavouerait toute la politique jusqu’alors poursuivie par le ministre, c’est-à-dire vous.
Et, comme suite à ce qui précède, Markull ajoute :
« Il faut souligner une fois encore la concordance frappante des conceptions de Koch avec les instructions de la lettre de Bormann. »
Et, à peu près au milieu du paragraphe, il ajoute que c’est à vous qu’il appartient de prendre une décision quant à cette question et, eu égard à différentes difficultés, il suggère et propose certaines réflexions qui pourraient être utiles.
Nous en arrivons finalement au deuxième paragraphe du chiffre II :
« Sans vouloir opposer la moindre critique aux dispositions du Reichsleiter Bormann, il est cependant nécessaire de souligner que les termes de sa lettre ne font pas toujours ressortir l’importance de l’intervention envisagée. Des tournures de phrases comme :
« Un commerce actif de moyens anti-conceptionnels devrait, de « préférence, ne pas être accolé au nom du Führer ». De même, la brutalité de quelques expressions « la vaccination de la population « non-allemande n’entre nullement en considération... et ne semble « pas devoir être compatible avec la rigueur des questions historiques actuelles. »
Et pour en terminer, je vais lire le paragraphe III. Markull y dit ceci :
« Les déclarations ci-dessus exprimées peuvent sembler très dures. Elles sont cependant dictées par le souci du devoir. »
Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de donner lecture du dernier paragraphe. Il s’agit simplement de la philosophie politique, réalisée de façon grandiose par l’allié japonais dans ses nouveaux territoires.
Vous souvenez-vous de ce rapport du Dr Markull qui vous a été présenté par votre collaborateur Leibbrandt ? Vous pouvez répondre par oui ou par non.
Oui, c’est un rapport du Dr Leibbrandt et je voudrais déclarer à ce sujet...
Avant que vous ne commenciez — je vous en donne l’occasion tout de suite, je ne voudrais pas vous couper la parole pendant vos explications, je ne veux même pas l’essayer — je désire encore vous poser des questions sur un ou deux points. Si, après cela, vous voulez donner des éclaircissements à ce sujet ou sur d’autres, le Tribunal y consentira certainement.
Vous aviez donc répondu à cette lettre de Bormann, n’est-ce pas ?
Oui, c’est exact.
Et vous étiez bien d’accord avec ces, disons, choquantes propositions ? Oui ou non ?
J’ai écrit une lettre d’apaisements pour provoquer une interruption et me soustraire à la continuelle pression qui m’accablait, et j’anticipe en disant tout de suite que mon activité et les décrets que j’ai publiés après cette lettre n’ont nullement signifié une modification de mon attitude ; au contraire, mes décrets portaient sur la réorganisation de l’instruction publique, la poursuite des mesures de santé publique, sur lesquels je reviendrai par la suite.
Vous avez écrit cette lettre au Führer et non à Bormann, n’est-ce pas ? C’est bien au Führer que votre réponse était adressée ?
Oui, j’ai écrit cette lettre au Führer.
Oui, et vous apaisiez de même le Führer, n’est-ce pas, en ruminant de telles phrases, comme celles contenues dans cette lettre, qui préconisent l’emploi de préservatifs et de médicaments abortifs ?
Non, en outre...
Attendez que j’aie terminé. Je disais que, dans votre lettre au Führer, vous avez réitéré ces horribles et dégoûtantes suggestions de Bormann, n’est-ce pas ? Vous les avez répétées à Hitler ?
J’ai écrit une lettre au Führer, mais je ne me suis pas servi du texte même employé par Bormann. J’ai mentionné, comme apaisement, que je ne faisais pas davantage que ce qui pouvait et devait être fait. J’avais à me défendre contre une imputation du Quartier Général, à laquelle je m’attendais, parce que je faisais plus pour ces peuples de l’Est que pour le peuple allemand, que je demandais plus de médecins pour eux qu’il n’y en avait pour les malades allemands, et que j’exigeais que l’on fît pour moi, ministre allemand de l’Est, au profit de ces populations, plus que les médecins allemands ne pouvaient faire pour la population allemande. Les choses allèrent si loin que Koch me reprocha finalement de favoriser une politique d’immigration. Telle est la raison pour laquelle surgit, peu de temps après, cette question litigieuse qui fut rapportée au Führer.
Nous allons éclaircir ce point, car je ne désire pas qu’il y ait malentendu. Niez-vous avoir répété, presque mot pour mot, les termes de la lettre de Bormann ?
Je n’ai pas ici le texte de la lettre.
Oui, mais vous avez le rapport de Markull qui dit que le ministre n’élève aucune objection contre les principes de Bormann, ni même contre sa façon de les formuler. Aucun de vos collaborateurs n’aurait certainement osé vous adresser un rapport de ce genre s’il n’avait pas exactement concordé avec vos propres vues.
J’ai toujours vu d’un bon œil que mes collaborateurs fissent preuve de courage en me faisant connaître leur opinion, même lorsqu’elle était contraire à ce que je leur avais demandé. Le Dr Leibbrandt vint me voir, très soucieux, et me dit :
« Monsieur le ministre, cela ne correspond pourtant pas à ce que nous avons conçu dans notre programme de travail ». Je lui ai dit :
« Tranquillisez-vous, Dr Leibbrandt, j’ai écrit une déclaration pour apaiser les esprits. Rien n’est changé et j’en parlerai plus tard personnellement au Führer ».
Ainsi donc, votre collaborateur n’avait aucune crainte de vous soumettre la rédaction d’une lettre dans laquelle vous vous déclariez d’accord, mot pour mot, avec Bormann ? Je ne vous chercherai pas querelle à ce sujet. Je n’en demande pas plus comme témoignage devant le Tribunal ; cela correspond d’ailleurs au fait que, dans votre réponse, vous avez répété ces phrases mot pour mot.
Ce n’est pas exact ; au contraire, le rédacteur... Je veux dire que, lorsque le Dr Leibbrandt m’eut remis ce mémoire, je l’ai parcouru rapidement et je me suis dit :
« Voilà un monsieur bien craintif, qui croit que moi, au cours de cette controverse, et tant que je le pourrai, je ferai autre chose que ce que je considère comme juste de faire ». Mais j’ai ici affaire à une controverse pénible et je maintiens mon attitude qui, par les documents dont j’ai donné lecture hier et qui remontent à trois ans, est amplement justifiée.
Puis-je maintenant exposer mon opinion quant à ce document ?
Qui vous efforciez-vous d’apaiser : Hitler, Bormann, ou tous les deux ?
Premièrement, j’ai tout d’abord approuvé mon collaborateur, le Dr Leibbrandt, dans ce sens que des décrets ministériels de ce genre ne seraient jamais pris par moi. En second lieu, j’ai publié une ordonnance scolaire pour l’Ukraine, préconisant la création d’une école primaire avec quatre classes ; la création d’écoles techniques et d’écoles techniques supérieures.
Un instant. Ce n’est pas une réponse à la question. Vous avez dit que vous aviez écrit une lettre d’apaisements. La question était celle-ci : qui vous efforciez-vous d’apaiser : Hitler, Bormann, ou tous les deux ?
Oui, les deux.
Monsieur le Président, vous conviendrait-il de suspendre l’audience maintenant ?
Oui.
Monsieur le Président, j’ai dit hier que les livres de documents pour Frank étaient déjà traduits. Mais on s’est aperçu — je viens de le constater — que les livres de documents ne sont pas encore brochés, et cela parce que le service compétent n’a pas encore reçu l’autorisation d’un autre service compétent. Je demande donc au Tribunal de bien vouloir décider que ces livres soient brochés car, autrement, la traduction n’a aucun sens.
Bien.
Je ne savais pas qu’il y avait du retard. Je vais pourtant faire en sorte, autant que cela est en notre pouvoir, pour que vous ayez les livres dans le plus bref délai.
Puis-je m’exprimer au sujet de ce document ? Ce mémorandum est issu, comme je l’ai déclaré au début, d’une fiction de décret ministériel possible. Il emploie manifestement des termes dont Bormann s’est servi dans sa lettre, mais mon exposé adressé au Führer ne peut pas contenir ces termes ; au contraire, il lui aura donné des apaisements tels, par exemple, que, dans les territoires occupés, je ne fais pas ce qui m’est reproché, à savoir, négliger les intérêts de la santé publique allemande, mais que je me vante, par mon administration, de créer de grands organismes de santé, d’éducation, etc. et que je devrais plutôt, désormais, absolument simplifier. Que Bormann ait employé ces expressions, c’est malheureusement ce qui caractérise la façon dont il aimait s’exprimer, ce dont nous avons pu nous convaincre, au cours des dernières années, plus qu’il ne le fallait. J’ajouterai brièvement que lui-même déclarait que le ministre était intervenu pour mettre les choses au point. Mais je tiens à souligner un point important : c’est que ces vues, émises par Bormann, furent poursuivies par un certain entourage personnel de Koch, et c’est justement contre cet entourage, qu’au cours de ces années tragiques, toute mon activité s’est heurtée, avant tout en ce qui concerne l’instruction de l’autre corps des chefs d’administration, et ceci peut être déduit du point 3, où il est dit : « Parmi les commissaires, il y en a au moins 80% qui sont contre les conceptions exprimées ».
Je crois que nous connaissons tous cela. Si vous voulez donner des explications à ce sujet, vous pouvez le faire.
Oui. Page 4, il est dit que la majorité des officiers d’administration placent tout leur espoir en la personne du ministre — donc en ma personne — et je me suis toujours efforcé de répondre à l’espoir de mon corps d’administrateurs, que je me suis appliqué à instruire par mes décrets, parce que ces milliers d’hommes ne pouvaient pas connaître ces vastes territoires de l’Est. Ces milliers d’hommes, dans la lutte contre le bolchévisme, n’avaient pas toujours une conception exacte de l’état de choses qui régnait dans ces régions. C’est pourquoi je me permets de souligner concrètement, que le rédacteur dit que le décret du ministre, du 17 mars 1942, accentue encore ses instructions antérieures. Le décret du 13 mai 1942 réfute l’opinion selon laquelle les Ukrainiens ne seraient pas un peuple, et s’élève contre un faux point de vue de domination. Il s’agit donc de deux décrets, que je n’ai pas reçus, qui sont déposés ici. De plus, le rédacteur constate, comme vous le dites à juste titre, Monsieur le représentant du Ministère Public, que le ministre — donc moi — savait parfaitement qu’il fallait traiter un tel continent tout autrement que par les méthodes proposées, ou de la façon dont les choses s’y sont passées. En conséquence de cette attitude, je constate objectivement ceci : après cet échange de lettres entre Koch et Bormann, j’ai commencé la création régulière d’une administration scolaire en Ukraine par une ordonnance très étudiée. Deuxièmement, j’ai encouragé l’achèvement de...
Cela ne m’intéresse pas. Un instant.
Il faut pourtant que je réponde à ces accusations.
Ce n’est pas une réponse, ce n’est pas une explication du document, Votre Honneur. Il se lance à nouveau dans un de ses longs discours sur son activité après réception du document, après rédaction de la lettre. Et je demande qu’on lui rappelle qu’il a à répondre à la question et qu’il n’a pas à fournir d’explications quant à son activité administrative en Ukraine. Je considère tout cela comme étant de peu d’importance.
J’ai parlé personnellement au Führer après cette affaire, et je lui ai dit — ce décret du mois de mai 1943 se trouve aussi dans mes dossiers — qu’il était impossible de faire œuvre utile à l’Est étant donné les façons de parler de Koch et de son entourage.
Qu’il y ait une lettre de vous dans votre dossier ou non, votre avocat peut en tout cas vous interroger à nouveau après le contre-interrogatoire. Mais dans un contre-interrogatoire, vous ne pouvez pas donner de longues explications et il faut répondre aux questions par oui ou par non. Au cas où des explications sont indispensables, il faut vous résumer très brièvement. Vous avez déjà mis beaucoup de temps à expliquer ce document.
Quand avez-vous fait la connaissance de Koch ?
Erich Koch ?
Oui.
Environ en 1927 ou 1928...
Donc, vous le connaissez, semble-t-il, depuis de longues années ?
Je l’ai vu rarement, mais en tant que Gauleiter, je lui ai parlé quelquefois.
Quand est-il devenu Gauleiter ?
Je crois qu’il est devenu Gauleiter de Prusse Orientale en 1928, mais je ne puis le dire avec précision.
Cela suffit. Je voulais seulement une date approximative. Avez-vous eu beaucoup affaire à lui depuis sa nomination de Gauleiter jusqu’à, disons 1940 ?
Au temps de notre combat pour le Parti, je n’ai pratiquement pas eu affaire à lui. Plus tard, après 1933, j’ai eu l’occasion de lui parler quelquefois.
Je suppose, en tout cas, que sa réputation auprès de ses amis et connaissances vous était bien connue ?
J’ai considéré Koch comme ayant un tempérament très impulsif, très hésitant, difficile à fixer et pour cette raison, il n’était pas possible de se fier à lui pour l’accomplissement d’une action de longue durée.
Je conclus, d’après votre réponse, qu’un tempérament de ce genre, avant que Koch ne devînt Gauleiter du Reich pour l’Ukraine, vous était inconnu, et que vous ne saviez rien des actes abominables qu’il a commis en cette qualité, n’est-ce pas ?
Non, et...
C’est déjà une réponse, il n’est pas nécessaire de l’expliquer.
Je savais même que Koch avait affiché une opinion opposée et qu’il avait déclaré que la jeunesse de l’Est et la jeunesse allemande ne faisaient plus qu’un. Il l’a même écrit autrefois.
Je suppose donc que vous avez été surpris lorsque cet homme s’est montré tel qu’il était, n’est-ce pas ?
Oui, cela ne s’est manifesté que graduellement. Qu’un tel tempérament se révélât de la sorte, c’est ce que personne n’aurait pu prévoir. Et les choses n’en seraient pas venues à un tel point s’il n’avait pas été soutenu d’autre part.
Vous ne le connaissiez pas comme tel, mais vous supposiez plutôt qu’il avait besoin d’être incité par d’autres ?
Évidemment, cela y a contribué.
Je vous fais passer maintenant le document PS-1019 (USA-823). Avant d’en tenir compte, je tiens à mettre en évidence que Koch est bien l’homme que vous tenez pour responsable, pour une grande part, des atrocités qui se sont produites en Ukraine sous votre administration, n’est-ce pas ? Il ne subsiste à cet égard aucun doute, c’est bien ce que vous avez prétendu hier toute la journée ?
Oui.
Monsieur Dodd, ne pourriez-vous parler un peu moins vite ?
Oui, Votre Honneur. (Au témoin.) Examinez ce document, c’est un mémorandum relatif à vos propositions quant à la composition du personnel destiné aux commissariats de l’Est, ainsi qu’à la centrale politique de Berlin. Il a été rédigé le 7 avril 1941. Je suppose que c’était quelques jours après que Hitler se fut concerté avec vous sur votre nomination à l’Est, tout au plus quatre ou cinq jours plus tard. C’est bien, cela ? Veuillez répondre à la question.
Oui.
Dans ce mémorandum, vous recommandez le Gauleiter Lohse, et nous savons d’après les documents et l’ensemble des preuves qu’il a été nommé. Cela correspond bien à la réalité ?
Oui.
Bien, passons à la page suivante du texte anglais ; il s’agit du paragraphe qui commence par ces mots :
« Il faut, en outre, ajouter que la nécessité éventuelle s’imposera, d’occuper militairement non seulement Leningrad, mais aussi Moscou. Cette occupation aura un tout autre caractère que dans les provinces baltiques, en Ukraine et au Caucase. Elle tendra à neutraliser toute résistance russe et bolchevique et nécessitera une personnalité rigoureusement impitoyable, aussi bien de la part de la représentation militaire que de la direction politique éventuelle. Les tâches qui en découleront n’ont pas besoin d’être précisées maintenant. Au cas où une administration militaire permanente ne serait pas prévue, le soussigné recommande comme Commissaire du Reich à Moscou, le Gauleiter de Prusse Orientale, Erich Koch. »
Avez-vous proposé Koch en raison de sa « personnalité rigoureusement impitoyable », pour ce poste en avril 1941 ? Oui ou non ?
Oui.
Un instant. Vous avez beaucoup parlé hier. Donnez m’en aussi l’occasion aujourd’hui. C’est le même homme, dont il n’y a qu’une minute, vous avez prétendu ne connaître la brutalité notoire que lorsqu’il eut commis ces atrocités en Ukraine. Il est pourtant tout à fait évident que cela vous était connu, déjà en avril 1941. Est-ce exact ? Que pouvez-vous répondre à cela ?
Ce n’est pas exact, ce n’est pas dans ce texte. J’ai déclaré que je connaissais des articles de Koch, parus en 1933 ou 1934, dans lesquels il a exprimé une prédilection particulière pour la Russie. Je connaissais Koch comme une personnalité agissant avec initiative en Prusse Orientale et je devais m’attendre à ce que dans le centre, à Moscou et aux environs, les pires difficultés nous fussent imposées, car là se trouvait le centre de gravité du bolchévisme, et c’est là que se manifesterait en tout cas la résistance la plus acharnée. En outre, je ne voulais avoir Koch ni à l’Est, ni en Ukraine, parce que je ne prévoyais pas devoir y craindre des difficultés de ce genre. Koch professait d’une part une grande admiration pour tout ce qui était russe, et, d’autre part, il était homme à déployer de l’initiative en matière économique. Et enfin, je savais qu’il était soutenu, de telle sorte qu’un poste quelconque lui était réservé dans l’Est, aussi bien par le Führer que par le maréchal Göring.
Alors, comme vous cherchiez un homme dépourvu de tout scrupule, c’est Koch que vous avez proposé, déjà en avril 1941.
Cette expression suppose ici l’initiative et naturellement aussi l’opinion qu’il combattrait impitoyablement la résistance communiste. Mais elle ne doit pas être interprétée comme signifiant l’oppression d’un peuple étranger, ou l’anéantissement de cultures étrangères.
La vérité, c’est que, eu égard à l’Ukraine vous poursuiviez quelque intention, et que vous aviez quelqu’un d’autre en vue pour ce poste. Mais Koch était pour vous un mauvais acteur, et vous vouliez le voir engagé dans une autre partie de la Russie, n’est-ce pas ?
Non, comme on peut s’en rendre compte par ce document, je voulais avoir en Ukraine le secrétaire d’État Backe ou mon chef d’état-major Schickedanz. Backe, parce qu’il était un Allemand du Caucase, il parlait russe, connaissait tout le territoire Sud et aurait vraisemblablement pu y faire du très bon travail. On ne me l’accorda pas ; et l’on m’imposa Koch, et cela, je dois le dire, malgré mes protestations personnelles, à la séance du 16 juillet 1941.
Si telle est votre réponse, je ne poserai pas d’autres questions à ce sujet. En ce qui concerne votre attitude envers les Juifs, vous avez, dans votre discours de Francfort en 1938, suggéré qu’ils devaient tous quitter l’Allemagne et l’Europe. N’est-ce pas exact ?
Cette tournure de phrase a été employée.
Vous n’avez qu’à répondre oui ou non. Avez-vous dit cela dans votre discours de Francfort, en 1938 ou non ?
Je ne peux répondre par oui ou non à une citation inexacte.
Je ne crois pas qu’il y ait là quelque chose à expliquer. Je vous demande simplement si vous avez dit cela dans votre discours de Francfort ?
En substance, c’est exact.
Dans votre discours, au Congrès du Parti, auquel vous avez fait allusion hier, vous avez dit que vous aviez employé de dures paroles envers les Juifs. Vous vous êtes prononcé alors, comme je le présume, contre leur admission à certaines professions et à certains postes. Est-ce exact ?
J’ai dit hier que, dans mes deux discours, j’étais intervenu pour une solution chevaleresque et pour la parité et j’ai dit qu’on ne devait pas, de l’étranger, nous reprocher la discrimination du peuple juif, tant que l’étranger préconise celle de notre peuple...
Bien. N’avez-vous jamais parlé de l’extermination des Juifs ?
Je n’ai, en général, pas parlé d’extermination dans le vrai sens du mot. Il faut choisir ses mots. Le mot extermination a été également employé par le Premier Ministre britannique...
Nous reviendrons plus tard à ce mot. Dites-nous simplement si vous l’avez jamais employé, ou non. Vous l’avez prononcé, n’est-ce pas ?
Dans aucun discours, dans ce sens, je n’ai...
Je veux dire le sens. N’avez-vous jamais parlé avec quelqu’un de l’extermination des Juifs comme mesure politique ou de parti ?
Lors d’une conférence chez le Führer au sujet d’un discours projeté — qui ne fut pas d’ailleurs tenu — cette question fut ouvertement agitée dans ce sens que, la guerre ayant éclaté, cette menace, qui avait été exprimée, ne devait plus être prononcée. Ce discours n’a pas été non plus tenu.
Quand vouliez-vous donc faire ce discours ? A quelle date environ ?
En décembre 1941.
Et vous avez alors ajouté à votre discours des remarques sur l’extermination des Juifs, n’est-ce pas ? Oui ou non ?
J’ai déjà dit que ce mot n’avait pas le sens que vous lui supposez.
Nous reviendrons sur sa signification. Je veux simplement savoir si vous avez utilisé le terme « extermination des Juifs » dans le discours que vous étiez prêt à faire au Sportpalast en décembre 194l ? Vous pouvez, à cela, répondre simplement.
C’est possible, je ne m’en souviens pas, je n’ai même pas relu le texte de ce projet. De quelle façon cela a-t-il été exprimé, c’est ce que je ne peux plus dire.
Alors, nous pourrons peut-être vous y aider. Je vous fais parvenir le document PS-1517 (USA-824). C’est une annotation de vous-même sur votre entretien du 14 décembre 1941. Il ressort nettement du premier paragraphe que vous et Hitler vous êtes concertés sur un discours que vous deviez faire au Sportpalast à Berlin. Dans le deuxième paragraphe se trouvent ces mots :
« Quant à la question des Juifs, j’ai dit que, la situation ayant évolué, les commentaires sur les Juifs de New-York devaient être quelque peu modifiés. J’étais d’avis de ne pas parler d’extermination. Le Führer approuva cette attitude et dit que, nous ayant imposé la guerre et provoqué la dévastation, il ne fallait pas s’étonner qu’ils en subissent les premiers les conséquences. »
Vous dites qu’en ce qui concerne la signification de ce mot, vous aviez quelque difficulté. Je vous questionne maintenant sur le sens du mot « Ausrottung ». Connaissez-vous le dictionnaire standard allemand-anglais de Cassell ? Je suppose que vous le connaissez. Ce mot vous est-il connu, en avez-vous entendu parler ?
Non.
Alors, cela vous intéressera sûrement. Voulez-vous donner lecture au Tribunal de la définition du mot « Ausrottung » ?
Je n’ai pas besoin d’un dictionnaire étranger pour dire ce que signifie en allemand le mot « Ausrottung » qui a beaucoup d’acceptions. On peut extirper une idée, on peut anéantir un système économique, on peut détruire un ordre social et finalement, on peut, certes, exterminer une communauté. Telles sont les multiples interprétations possibles de ce mot. Je n’ai pas besoin, pour cela, de dictionnaire anglais-allemand. Les traductions d’allemand en anglais sont si souvent fausses. Et ce, dans le dernier document que vous m’avez montré, notamment, où j’ai entendu de nouveau la traduction du mot « Herrenrasse ». Dans le document, il n’est nullement question de « Herrenrasse », mais, au contraire d’un faux « Herrenmenschentum », d’une fausse domination de maîtres. Il semble que tout soit traduit ici de façon analogue.
Cela ne m’intéresse pas. Nous voulons simplement préciser la signification du mot « Ausrottung ». Vous êtes bien d’accord avec moi que « Ausrotten » signifie « balayer » ou « abattre ». C’est l’expression que vous avez utilisée dans votre discussion avec Hitler.
J’ai entendu ici, de nouveau, d’autres traductions, qui ont amené de nouveaux termes allemands de sorte que je n’ai pas pu constater ce que vous avez voulu par là exprimer en anglais.
Est-ce que votre apparente incapacité de vous mettre d’accord avec moi sur ce mot est vraiment sérieuse ? Ou voulez-vous gagner du temps ? Ne savez-vous pas qu’il y a, dans cette salle d’audience, beaucoup de gens qui parlent allemand et qui savent très bien ce que signifient des expressions telles que « fortwischen » (balayer) et « aus der Welt schaffen » (supprimer de ce monde) ?
Cela signifie surmonter, d’abord, et l’application ne vise pas les individus, mais des personnes juridiques, de précises traditions historiques. D’ailleurs, de l’autre côté, on a payé le peuple allemand de la même monnaie, et nous n’avons jamais cru qu’il fallait en déduire que 60.000.000 d’Allemands devaient être fusillés.
Je tiens à vous rappeler que ce discours dans lequel vous avez utilisé ce mot « Ausrottung », a été rédigé environ six mois après que Himmler eut donné à Höss, qui a été entendu ici comme témoin, l’ordre de commencer à exterminer les Juifs. Cela correspond bien aux faits, n’est-ce pas ?
Non ce n’est pas exact. Car Adolf Hitler, dans son discours du Reichstag, a dit que, si une nouvelle guerre mondiale devait commencer par les attaques des émigrants soutenus, la conséquence en serait une destruction et une extermination. Et cela a été considéré comme une conséquence et comme une menace politique ; et moi-même, avant la déclaration de la guerre de l’Amérique, j’ai voulu manifestement utiliser aussi une menace politique analogue et, cette guerre ayant éclaté, j’ai dit publiquement que, puisque les choses en étaient arrivées là, il ne servait à rien d’en parler.
C’est un fait pourtant, qu’alors, comme par la suite, les Juifs furent exterminés dans les territoires occupés de l’Est, n’est-ce pas ?
A propos du texte, permettez-moi de dire ceci : là aussi il est question de l’extermination du « judaïsme ». Entre judaïsme et Juifs, il y a pourtant une différence.
Je viens de vous demander si, à cette époque, comme aussi plus tard, des Juifs avaient été effectivement exterminés dans les territoires occupés de l’Est qui relevaient de votre administration. Veuillez répondre par oui ou non ?
Oui, j’ai cité hier un document à ce sujet.
Oui, et vous avez dit alors au Tribunal, ou plutôt vous avez essayé de lui faire croire, que cela avait été accompli par la Police, sans que votre personne y fût impliquée, n’est-ce pas ?
J’ai entendu dire par un témoin, qu’un commissaire y aurait participé à Wilno et par un autre témoin, j’ai appris que dans d’autres villes, la nouvelle s’est répandue que la Police l’accomplirait. Et dans le document 1184 j’ai relevé qu’un commissaire de district avait protesté contre cette « cochonnerie ».
Le Dr Leibbrandt était sous vos ordres. Il dirigeait la section II de votre ministère des régions occupées, n’est-ce pas ?
Pendant un certain temps, oui.
Je veux vous faire présenter pour la deuxième fois le document PS-3663 (USA-825). (Le document est remis au témoin.) Ce document, comme vous le voyez, se compose de trois parties. La première page est une lettre du Dr Leibbrandt, sur papier à en-tête du « ministre du Reich pour les territoires de l’Est » et est datée du 31 octobre 1941, c’est-à-dire quelques jours seulement avant votre conversation avec le Führer sur votre discours. Elle est adressée au « Reichskommissar Ostland à Riga ». C’était Lohse, que vous aviez proposé pour ce poste. La lettre dit :
« Le service central de la sécurité du Reich élève des plaintes au sujet de l’interdiction du commissaire à l’Est de procéder à l’exécution des Juifs à Libau. Je demande un rapport concernant cette question par retour du courrier. Par ordre : signé Dr Leibbrandt. »
Si vous tournez la page suivante, vous avez la réponse. Avez-vous l’original ?
Oui.
La réponse est à la page suivante, avec la date :
« Riga, 15 novembre 1941. A M. le ministre des territoires occupés de l’Est. Objet : Exécution de Juifs. Référence : décret. » On semble se référer à la lettre de Leibbrandt, du 31 octobre 1941. Il est dit ensuite ;
« J’ai interdit les sauvages exécutions de Juifs à Libau, parce que, de la façon dont il était procédé, elles n’étaient pas justifiables. Je vous prie de me faire savoir si votre demande du 31 octobre doit être interprétée de telle façon qu’il faille liquider tous les Juifs à l’Est. Et cela doit-il avoir lieu sans tenir compte ni de l’âge, ni du sexe, ni des intérêts économiques (pour la Wehrmacht, par exemple, en raison des spécialistes des usines travaillant pour l’armement) ? »
En outre, dans un autre manuscrit, nous lisons cette notice :
« Il va de soi qu’un nettoyage de l’Est des Juifs s’impose d’urgence. Son exécution doit cependant s’adapter aux nécessités de l’économie de guerre. »
Puis il est dit plus loin :
« Ni parmi les ordonnances relatives à la question des Juifs, contenues dans le dossier « Brun », ni dans d’autres décrets, je n’ai pu, jusqu’ici, trouver de telles instructions. »
Au-dessous figure la lettre « L », pour « Lohse », n’est-ce pas ? Regardez maintenant le document PS-3666 (USA-826).
Sur ce document il y a bien l’initiale « L » n’est-ce pas ?
Oui.
Et l’accusé reconnaît que c’est l’initiale de Lohse, n’est-ce pas ?
Je ne crois pas que ce soit Lohse. Je ne connais pas les initiales de Lohse, je ne sais pas.
C’est bien. C’est...
Cela peut aussi bien vouloir dire Leibbrandt, je n’en sais rien.
Ainsi, vous ne voulez pas reconnaître que cette seconde lettre venait de Lohse et que c’est son initiale ?
Je ne peux pas le dire.
C’est bien.
Je ne peux pas le dire, car habituellement les lettres sont envoyées partout tapées à la machine. Cette note, accolée à la lettre, ne m’est pas très compréhensible. Elle signifie cependant, en somme, qu’on a protesté contre des mesures, une fois publiées, prises par la Police, et qu’en vertu d’une ordonnance...
Nous reviendrons sur sa signification tout à l’heure. Nous parlons maintenant de cet « L ». Pouvez-vous aussi retrouver, n’importe où, un « R » écrit à la main, un « R » majuscule ?
Oui, il y a là un « L ».
Oui, un « R » ?
Oui, il y a deux « R ».
Avez-vous écrit ces initiales ?
Non.
C’est votre initiale, n’est-ce pas ?
Je ne peux pas déchiffrer cela comme étant mon « R ».
Vous prétendez que ce ne sont pas vos « R ». C’est ce qu’il faut élucider. Vous devriez pourtant reconnaître votre propre signature quand vous la voyez quelque part ?
Je ne fais jamais un « R » aussi pointu, en haut. Veuillez comparer avec mon manuscrit.
C’est ce que nous ferons, ne vous inquiétez pas. Je voulais simplement vous demander si c’était bien votre initiale, ou non ?
Je ne puis pas l’identifier comme étant mon initiale.
Vous voulez dire que ce n’est pas votre initiale ?
Oui.
Bien. Je vous renvoie donc au document PS-3666 qui se rapporte aussi à ces deux autres documents. C’est également une lettre écrite sur papier à en-tête du ministre des territoires occupés de l’Est, datée du 18 décembre 1941. « Objet : question juive. Référence : Réponse à la lettre du 15 novembre 194l ». C’est donc une réponse à la lettre signée « L », demandant si les exécutions de Juifs devaient être considérées comme étant basées sur des instructions politiques de principe. La réponse est celle-ci :
« Il faudrait, par des discussions verbales, régler clairement la question des Juifs et laisser absolument de côté les considérations économiques de peu d’importance. Pour le reste, prière de régler toute question nouvelle directement avec le Commandant en chef des SS et de la Police. Par ordre : signé Bräutigam. »
Avez-vous eu déjà connaissance de cette lettre ?
Non, je ne l’ai pas vue. Pas que je sache. J’y vois encore un « R » avec une pointe dans le haut. Je ne puis non plus l’identifier comme étant mon « R ».
Ainsi, vous ne pouvez identifier cette lettre comme étant votre initiale ?
Je ne le puis déjà pour cette simple raison que cette lettre, signée de Bräutigam, provenant du ministère de l’Est, est adressée à l’« 0stland ». Et les notes du haut ont été signées par un bureau qui en est le destinataire.
Monsieur le Président, me permettez-vous d’attirer votre attention sur une erreur qui vient d’être commise ? Cet « R » ne fait qu’un avec un « K », ce qui, visiblement, veut dire :
« Reichskommissar ».
Il n’est pas question du « R » en haut de la page, mais de la lettre manuscrite.
Mais il résulte, de façon non équivoque, de cet « R », qu’il s’agit bien ici du destinataire : « Reçue le 22 décembre. R. » Elle provient du ministère de l’« 0stland ». Donc cette note émane d’un homme domicilié à Riga, et c’est le même « R » que vous trouvez aussi sur l’autre document.
Qui a été votre commissaire pour l’« 0stland" » ?
Lohse.
Son nom ne commence pas par « R », n’est-ce pas ?
Certes, mais il est visible que cette lettre a été signée dans son service.
Puis-je, là encore, venir en aide au Tribunal ? Dans cette note écrite à la main, avec « L », il y a en outre, à gauche, « WV. 1.12.4l », ce qui signifie « Wiederwarlage » (présenté à nouveau) et, dans le bas, vient alors « Vorgelegt 1.12. R. » Cela a dû avoir lieu à la chancellerie du Commissaire du Reich. C’est un premier projet et c’est pour cette raison qu’il n’a signé qu’en mettant la première lettre de son nom.
Nous ne pouvons accepter cette explication comme une preuve suffisante. La question de savoir de quelle initiale il s’agit est remise à plus tard.
Que signifient ces mots en haut : « Le ministre du Reich des territoires occupés de l’Est » ?
C’est le papier sur lequel cette lettre est écrite. Toute la lettre a été écrite à la main au verso de la première lettre. Les deux pièces ont été trouvées dans le bureau de cet accusé à Berlin. (Au témoin.) Je vous renvoie à un autre document, n° 36.
Je soutiens énergiquement que cet « R » a été tracé par le destinataire, à qui la lettre était adressée.
Bien. Nous y reviendrons. Document n° 36. Je vous fais présenter le document PS-3428 (USA-827).
Voulez-vous répéter les numéros ?
Je vous demande pardon. C’était le numéro PS-3428 qui devient USA-827. (Au témoin.) C’est une lettre écrite de Minsk, en territoire occupé, le 31 juillet 1942, par Kube, qui était aussi un de vos subordonnés, n’est-ce pas ? Veuillez répondre, je vous prie.
Oui, et elle est adressée à Lohse.
Commissaire du Reich pour l’Ostland, n’est-ce pas ?
Oui, c’est exact.
Examinons ce document :
« Objet : Lutte contre les partisans et actions contre les Juifs dans le district général de la Ruthénie blanche.
« Au cours de toutes les rencontres avec les partisans en Ruthénie blanche, il a été établi que le judaïsme, aussi bien dans l’ancien secteur polonais que, etc... est le principal instigateur du mouvement des partisans. Pour cette raison, les règles à suivre vis-à-vis du judaïsme en Ruthénie blanche constituent une affaire politique primordiale... »
Puis, une ou deux phrases plus loin :
« Au cours de discussions très poussées avec le SS-Brigadeführer Zenner et l’excellent chef du SD, le SS-Obersturmbannführer Dr Strauch, nous avons liquidé en Ruthénie blanche, en l’espace de dix semaines, environ 55.000 Juifs. Dans le territoire de Minsk-campagne, le judaïsme est totalement extirpé, sans nuire au recrutement des travailleurs. Dans la région de Lida, en majorité polonaise, 16.000 Juifs, et à Slomin 8.000, etc. ont été « liquidés ». Par un empiétement, déjà mentionné, sur le territoire de l’arrière de notre armée, les préparatifs faits en vue du nettoyage de la région de Glebokie ont été gênés. Nos arrières, sans prendre contact avec moi, ont liquidé 10.000 Juifs dont l’élimination était de toute façon prévue par nous. A Minsk-ville, le 28 et le 29 juillet, environ 10.000 Juifs ont été liquidés, dont 6.500 Juifs russes — en majorité des vieillards, des femmes et des enfants — le reste se composait de Juifs inaptes au travail et qui, originaires pour la plupart de Vienne, de Brünn, de Brême et de Berlin, avaient été, par ordre du Führer, envoyés à Minsk.
« La région de Sluzk, également, a été allégée de plusieurs milliers de Juifs. Il en a été de même pour Nowogrodek et Wilejka. Des mesures radicales sont imminentes à Baranowitschi et à Hanze-witschi. A Baranowitschi seulement vivent encore environ 10.000 Juifs, dont 9.000 seront liquidés le mois prochain. »
Et, plus loin :
« A Minsk-ville, il reste 2.600 Juifs venant d’Allemagne. En outre, les 6.000 Juifs et Juives qui sont restés pendant les opérations auprès des unités qui les utilisaient comme main-d’œuvre, sont encore en vie. Minsk comptera toujours, aussi à l’avenir, le plus fort contingent, car l’agglomération des usines d’armement et les tâches imposées aux chemins de fer l’exigent pour le moment. Dans toutes les autres régions, le nombre de Juifs aptes au travail obligatoire est fixé, par le SD et par moi, à 800 au plus, si possible à 500. »
Ce document s’étend ensuite davantage sur la situation des Juifs et, à mon avis, il n’est pas nécessaire de donner lecture de tout le reste. Mais je tiens à attirer votre attention sur le dernier paragraphe, et surtout sur la dernière phrase :
« Je suis entièrement d’accord avec le chef du SD en Ruthénie blanche pour que soit liquidé tout transport de Juifs qui n’aurait été ni commandé ni annoncé par nos autorités supérieures et ce, afin d’éviter de nouvelles perturbations en Ruthénie blanche. »
J’ai oublié une phrase ou deux que je voulais lire : « Le mieux, pour moi et pour la sûreté, serait, après avoir donné satisfaction aux exigences économiques de la Wehrmacht, d’en finir une fois pour toutes avec le judaïsme dans le district. C’est provisoirement qu’il faut encore tenir compte des besoins indispensables de la Wehrmacht qui consistent essentiellement en main-d’œuvre juive. »
Je dois vous dire tout de suite que ce document a été découvert également dans vos bureaux de Berlin. C’est une lettre...
Il me paraît très invraisemblable qu’il ait été découvert dans mon bureau à Berlin. S’il en a été ainsi, cela résulterait tout au plus de ce que le « Reichskommissar fur das Ostland » avait apporté tous ses dossiers à Berlin, dans des caisses. Le document n’a jamais été dans mon bureau et il ne m’a jamais été présenté. Il y figure le cachet du « Reichskommissar für das Ostland » et non celui du « Reichsminister fur das besetzte Ostgebiet ». J’ai déclaré hier que j’avais eu connaissance de certains cas isolés, lors des opérations en cours et que, personnellement, j’avais reçu ce rapport de Sluzk, que j’avais chargé immédiatement le Gauleiter Meyer de protester auprès de Heydrich et d’ordonner une enquête. Et cela présuppose que le Gauleiter Meyer n’a jamais connu ni accepté une opération d’une telle envergure, sur l’ordre d’une autorité centrale.
Je voudrais simplement attirer votre attention sur l’étrange coïncidence de ces événements et sur le fait que deux de vos plus proches collaborateurs aient agi en liaison, de cette façon, en 1942, et cela à votre insu.
N’avez-vous pas déclaré hier devant le Tribunal que vous étiez d’avis que la plupart, ou tout au moins une grande partie des désagréments infligés aux Juifs de l’Est avaient été causés par la population locale ? Vous rappelez-vous avoir dit cela hier ?
Je n’ai justement pas reçu cette traduction.
Je vous ai demandé si ce n’est pas un fait que vous avez déclaré hier, devant le Tribunal, qu’une grande partie des désagréments infligés aux Juifs dans l’Est étaient imputables à la population locale de ces régions ?
Oui, cela m’a été, au début, communiqué par des personnalités qui en revenaient et qui ont précisé que, non par les autorités locales, mais des fractions de la population... et je connaissais certes, autrefois, l’état d’esprit dans l’Est, et je pouvais très bien me rendre compte que cela correspondait aux faits relatés.
J’ai déclaré, en second lieu, avoir été informé qu’en dehors de la destruction de différents autres nids de résistance et de centres de sabotages, un grand nombre de Juifs furent fusillés par la Police, et j’ai alors cité le cas de Sluzk.
Je crois que vous admettez que votre Koch a commis toutes sortes de méfaits effroyables en Ukraine. Je ne comprends donc pas pourquoi vous contestez la participation de Lohse et de Kube à l’exécution ou à la liquidation des Juifs, ni pourquoi vous niez que Bräutigam, un membre important de votre État-Major, et Leibbrandt, autre membre important de votre État-Major, aient su à quoi s’en tenir quant au programme. Il y avait donc au moins cinq de vos gens, et non des moindres, qui exerçaient leur activité dans ce sens.
Je voudrais constater qu’une ordonnance du commissaire pour l’Ostland...
Voulez-vous répondre d’abord à la question ? Reconnaissez-vous que ces cinq personnes au moins ont accompli l’extermination des Juifs ?
Oui, qu’ils aient été au courant d’un certain nombre de liquidations de Juifs, je l’avoue, et ils me l’ont dit, sinon eux, du moins je l’ai appris d’autre part. Mais je tiens à déclarer que, conformément aux lois du Reich, le commissaire pour l’Ostland avait promulgué une ordonnance selon laquelle la communauté juive, qui nous était naturellement hostile, devait être concentrée dans certains quartiers de la ville, et j’ai encore entendu dire jusqu’à la fin que, dans les villes, les ghettos juifs exécutaient des travaux dans une large mesure. Et, pour compléter, je voudrais ajouter un autre fait dont j’ai eu connaissance, à savoir qu’un commissaire de district...
Vous n’avez pas besoin d’ajouter quoi que ce soit. Vous avez répondu à la question et votre réponse est explicite. Je n’ai pas besoin...
Ce que je voulais ajouter justifie encore une partie de ma réponse, un cas concret : un commissaire, en Ukraine, a été accusé, devant le Tribunal, d’avoir, dans une commune juive, proféré des menaces de chantage puis d’avoir pillé et envoyé des vêtements, des fourrures en Allemagne. Il a été traduit en justice, condamné à mort et fusillé.
C’est très intéressant, mais je ne tiens pas cela comme une déclaration nécessaire à votre réponse. Veuillez essayer de vous limiter aux réponses. Je voudrais en finir en quelques minutes.
C’est vous aussi, naturellement — ainsi que vous en avez témoigné hier devant le Tribunal — qui avez écrit la lettre suggérant l’exécution immédiate de 100 Juifs en France, bien que vous ayez prétendu que c’était là un jugement faux, ou injuste, ou quelque chose de semblable. Est-ce exact ?
J’ai donné hier mes explications à ce sujet.
Je le sais, mais je voudrais en parler aujourd’hui encore quelques minutes.
Avez-vous dit hier que ce n’était pas exact, que ce n’était pas juste ? Oui ou non ? N’avez-vous pas déclaré cela hier devant le Tribunal ?
Alors il faut citer textuellement, si vous voulez avoir de moi un oui ou un non.
Je vous pose la question une deuxième fois : avez-vous témoigné hier devant le Tribunal que votre proposition, dans cette lettre, dans le document PS-001, était fausse et injuste ? C’est une question pourtant simple, et vous pouvez y répondre.
J’ai déclaré que c’était humainement injuste.
C’était un assassinat. Était-ce un projet de meurtre, oui ou non ?
Non. J’ai considéré ces exécutions d’otages, publiées officiellement par la Wehrmacht, comme un fait généralement admis en état de guerre exceptionnel, et ces exécutions d’otages ont été publiées par la presse. Il me fallait donc admettre que, selon le droit des gens, et en état de guerre exceptionnel, cela pouvait être regardé comme une représaille reconnue comme licite, et c’est la raison pour laquelle je ne peux admettre...
Est-ce que vous pensiez alors en philosophe bienveillant, ou en soldat ? Dans quel état d’esprit avez-vous écrit cette lettre PS-001, en qualité de prédicateur philosophique sur votre conception du monde et sur la culture, ou comme membre de la Wehrmacht ?
Ainsi que le document le démontre, j’ai dit qu’une campagne de sabotages et d’assassinats de soldats allemands était menée, qui empoisonnait pour toujours les relations futures entre l’Allemagne et la France, que, moi aussi, je m’efforçais d’établir. C’est pour cette raison que cette lettre, que je regrette en tant qu’homme, a été écrite.
Cela vient un peu tard, ne croyez-vous pas ? Vous étiez bien présent à l’audience, lorsque le témoin Höss a déposé ?
Oui, je l’ai entendu.
Vous avez donc écouté cet épouvantable récit de 2.000.000 ou 3.000.000 d’assassinats de personnes, juives pour la plupart, qu’il a fait à la barre des témoins ?
Oui.
Bien que chaque cas n’ait pas été exposé ici en détail, vous pouvez donc croire que c’était exact, et si vous voulez le contester, vous êtes libre de le faire, et nous le prouverons plus tard. Vous savez que Höss a lu vos livres et vos discours ?
J’ignore si Höss a lu mes livres antisémites. Des livres antisémites, il en existe depuis 2.000 ans.
Vous avez offert votre démission de ministre du Reich des territoires occupés de l’Est en octobre 1944.
En octobre 1944.
C’était peu de chose, ce que vous vouliez quitter à cette époque, n’est-ce pas ? Les Allemands étaient pratiquement déjà repoussés de Russie, c’est un fait. Le 12 octobre 1944, la Wehrmacht était déjà pratiquement chassée de Russie. Elle battait en retraite, n’est-ce pas ?
Oui, il s’agissait pour moi d’assumer de nouvelles tâches du traitement politico psychologique de plusieurs millions de travailleurs de l’Ostland dans le Reich. Il s’agissait, en outre, des réfugiés qui venaient de l’Ostland et de l’Ukraine, et de la liquidation des affaires économiques. Et, surtout même à cette époque, j’avais encore l’espoir qu’en tout cas, la chance pouvait tourner en notre faveur à l’Est.
Tout le monde en Allemagne, presque tout le monde un tant soit peu informé, savait déjà que la guerre était perdue en octobre 1944 ou non ? Vous saviez, en octobre 1944, que la guerre était perdue ?
Non, je ne le savais pas.
Non ?
Non.
J’accepte cette réponse. C’est tout. Je n’ai plus de questions à poser.
Docteur Thoma, voulez-vous interroger le témoin encore une fois ? (Pas de réponse.)
Général Rudenko, avez-vous encore quelques questions complémentaires à poser ?
Oui, j’ai quelques questions à poser sur l’activité de l’accusé dans les territoires occupés.
Bien, général.
Accusé Rosenberg, quand avez-vous, personnellement et directement, pris part aux préparatifs d’attaque contre l’Union Soviétique ?
Je n’y ai pris part en aucune façon.
Est-ce que votre nomination du 20 avril 1941 comme chargé des affaires des territoires occupés de l’Est n’était pas en connexion directe avec le plan d’attaque de l’Allemagne contre l’Union Soviétique ?
Ce n’était plus à un plan que j’ai participé, mais c’était la suite d’une décision déjà prise, et au sujet de laquelle je n’avais pas été appelé à titre consultatif, mais au contraire informé qu’une décision avait été prise et que des ordres militaires étaient donnés. Je n’ai donc rien... car je dois, autant que possible, répondre à la question par oui ou non. J’ai donc, aux termes de la convention, à répondre : non.
Vous ne contestez donc pas que c’était en avril 1941.
Vous avez là la preuve que j’ai reçu une mission.
Par cette nomination, Hitler vous a conféré de très grands pouvoirs. Vous collaboriez avec les plus hautes autorités du Reich ; vous receviez d’elles des informations et vous les convoquiez en assemblées. Vous collaboriez en particulier avec Göring, avec le ministre de l’Économie et avec Keitel. Pouvez-vous me le confirmer ? Veuillez répondre très brièvement.
J’ai donc de nouveau à répondre à trois questions. La première : si j’avais reçu de grands pouvoirs. Je n’avais reçu aucun pouvoir ; donc : non. Deuxième question : si j’ai eu des conversations. Je réponds : oui, car il va de soi que j’ai eu, avec les autorités supérieures prévues pour l’Est, des conversations ainsi que mon devoir me l’imposait, conformément à ma mission.
Répondez brièvement à la question suivante : immédiatement après votre désignation du 20 avril 1941, avez-vous eu une conférence avec le chef de l’OKW ?
Oui, j’ai fait une visite au Feldmarschall Keitel.
Avez-vous eu, en relation avec votre nomination, une conversation avec Brauchitsch et Raeder, relative à la solution des problèmes de l’Est ?
Autant que je me souvienne, je n’ai pas eu d’entretien avec Brauchitsch ni avec l’amiral Raeder à cette époque.
Avez-vous eu des rapports avec l’accusé Funk, qui avait nommé le Dr Schlotterer son remplaçant permanent ?
Le ministre Funk a été, bien entendu, informé de ma mission et il a nommé le Dr Schlotterer agent de liaison.
Vous êtes-vous entretenu avec le général Thomas, avec le secrétaire d’État Komer, avec le secrétaire d’État Backe et le directeur ministériel Riecke pour l’exploitation économique des régions de l’Est ?
Je ne crois pas avoir parlé à Thomas. J’ai fait la connaissance des autres fonctionnaires successivement. J’ai fait venir plus tard Riecke, de l’État-Major économique de l’Est, comme agent de liaison au ministère. J’ai sûrement rencontré Backe plusieurs fois ultérieurement, comme c’était normal, au cours des années. Quant au général Thomas, je ne sais pas si j’ai fait sa connaissance personnellement, tout au plus brièvement.
Bien. Je vous présente alors des documents dans lesquels vous en parlez vous-même. Vous avez eu des entretiens avec le ministre des Affaires étrangères, à la suite desquels l’accusé Ribbentrop nomma Grosskopf, agent de liaison permanent à votre ministère et nomma, par contre, le Dr Bräutigam représentant de la section politique. C’est bien cela ?
C’est exact, car le ministre des Affaires étrangères fut informé brièvement, et pour le chargé d’affaires, l’ancien consul général Grosskopf...
Avez-vous reçu les représentants responsables de la propagande, Fritsche, Schmidt, Glasmeier et autres ?
Oui, c’est bien possible. J’ai fait la connaissance de la plupart de ces messieurs pour la première fois à cette époque. Il était normal que, chargé de cette mission, je dusse me renseigner.
Avez-vous négocié avec le chef d’État-Major des SA pour qu’il mette à votre disposition les meilleurs dirigeants des SA ?
Naturellement, j’ai également parlé aussi avec le chef d’État-Major des SA de collaborateurs éventuels en vue d’une éventuelle occupation des territoires de l’Est.
En résumé, vous ne voudrez donc pas nier qu’il existait un centre de liaison pour les préparatifs à réaliser en vue de’ l’agression contre l’Union Soviétique ?
Sous cette forme, non. Car la totalité des tâches concernant le conflit avec l’Union Soviétique étaient réparties militairement. Elles consistaient, pour Göring, en préparatifs relevant de l’économie ; elles furent, comme on s’en rendit compte plus tard, nettement définies pour la Police. J’avais été gratifié d’un centre de liaison politique, pour pouvoir discuter des problèmes politiques de l’Est et faire aux différents services des recommandations sur cette éventuelle administration politique et sur la direction à donner à cette politique. C’est ce que j’ai fait en substance, comme je l’ai exposé dans mon discours du 20 juin.
Bien. Un mois et demi avant la traîtresse agression de l’Allemagne contre l’Union Soviétique, vous avez élaboré les instructions destinées à tous les Reichskommissare pour les régions occupées de l’Est. Voulez-vous le nier ?
Je l’ai déjà mentionné hier. Moi-même et mes collaborateurs avons de suite, et selon notre devoir, travaillé à quelques plans provisoires. Ces projets, déposés ici, ou qui m’ont été présentés jusqu’ici, n’ont pas été envoyés sous cette forme.
Je reviendrai encore sur cette question plus tard. Dans le rapport que vous avez transmis à Hitler, le 28 juin 1941, sur vos travaux préparatoires en vue des questions relatives aux territoires de l’Est, vous avez dit qu’avec l’amiral Canaris vous aviez eu des entretiens au cours desquels vous avez demandé à Canaris de vous choisir, dans un but de contre-espionnage, des agents qui, outre vos propres travaux, pourraient aussi être utilisés du point de vue politique. Est-ce exact ?
Non, ce n’est pas exact. J’ai entendu dire, au contraire, que l’amiral Canaris avait affecté, à cet effet, un groupe d’Ukrainiens et de ressortissants d’autres peuples, qu’il s’agisse de sabotage ou de tout autre travail. Il est venu me voir une fois et je l’ai prié de ne pas s’immiscer dans les travaux de préparation politique ; il y a consenti.
Vous ne niez donc pas votre rencontre avec Canaris ?
La rencontre, non.
Et non plus la conversation au cours de laquelle, pour vous aider dans les enquêtes de contre-espionnage, vous l’avez prié de vous choisir certains individus. Le contestez-vous ?
Oui, cela je le nie. Mais je ne nie pas que, bien entendu, si Canaris avait un renseignement politique intéressant, important, il n’eût pas été opportun de sa part de m’en donner connaissance à l’occasion. Je n’ai eu aucun service de renseignements ni de contre-espionnage. Je n’ai d’ailleurs pas, ces années-là...
Nous vous présenterons le document. Monsieur le Président, peut-être pourrions-nous lever l’audience maintenant, car j’ai encore toute une série de questions à poser à l’accusé.
Bien.