CENT ONZIÈME JOURNÉE.
Jeudi 18 avril 1946.

Audience du matin.

LE PRÉSIDENT (Lord Justice Sir Geoffrey Lawrence)

Je vous en prie, Docteur Seidl.

Dr SEIDL (avocat de l’accusé Hans Frank)

Monsieur le Président, Messieurs, le 9 avril, m’écartant des règles posées par le Tribunal, j’ai demandé qu’on me permette de présenter d’abord les documents, d’appeler ensuite le témoin et d’interroger en troisième lieu l’accusé comme témoin. Je ne sais pas si le Tribunal est déjà en possession des livres de documents. Je me suis assuré que le livre de documents n° 1 était déjà traduit le 8 avril, les volumes II et III, le 11, et les volumes IV et V, quelques jours plus tard. Quant à moi, on ne m’a pas encore remis de livre de documents car le service intéressé n’a pas encore reçu l’autorisation de procéder au brochage de ces livres.

LE PRÉSIDENT

Je croyais avoir parlé de ce sujet, non hier mais avant-hier, et vous avez dit que vous étiez parfaitement prêt à continuer.

Dr SEIDL

On m’a dit que les livres de documents avaient été traduits et je pensais qu’il était évident qu’ils seraient également brochés. Or, hier, j’ai constaté qu’il n’en était rien. Ce n’est, en tout cas, pas ma faute.

LE PRÉSIDENT

Je ne voulais pas insinuer qu’il y eût une faute quelconque de votre part.

M. DODD

En premier lieu, nous n’avions pas grand-chose à régler avec le Dr Seidl et nous nous sommes mis d’accord avant-hier vers 6 heures du soir. Ensuite, le travail matériel a été préparé. Il y avait 500 pages qui n’étaient pas encore tout à fait terminées, et il se trouve que le personnel n’avait pas reçu l’autorisation de continuer, si bien qu’il y aura un certain retard.

LE PRÉSIDENT

Docteur Seidl, vous pouvez interroger votre témoin. Vous avez d’abord l’accusé lui-même à interroger et un certain nombre d’autres témoins.

Dr SEIDL

Oui.

LE PRÉSIDENT

Les documents seront certainement terminés d’ici là. Nous suspendrons ce soir l’audience à quatre heures et demie et d’ici la prochaine réunion du Tribunal, mardi matin, les autres documents seront sûrement prêts.

En ce qui concerne votre requête, le Tribunal l’a examinée et ne voit aucune raison de s’écarter de la procédure habituelle d’après laquelle l’accusé doit être cité en premier, si toutefois vous avez l’intention de le faire comparaître.

Dr SEIDL

Oui, j’ai bien l’intention d’interroger l’accusé ; pour écouter les débats, j’avais proposé qu’on entendît d’abord les autres témoins, afin que l’interrogatoire de l’accusé soit aussi bref que possible. Il se peut qu’il n’ait plus qu’à répondre à toute une série de questions simplement par « oui » ou par « non ». Une autre raison pour laquelle je considère que cette façon de procéder est efficace, est qu’un interrogatoire convenable ne m’est possible que si j’ai en même temps des livres de documents à ma disposition. Cette nécessité ne s’applique pas aux autres témoins. C’est pourquoi je prie le Tribunal de me permettre d’interroger d’abord les témoins qui se trouvent déjà dans la chambre des témoins.

LE PRÉSIDENT

Les documents sont tous ou presque tous, j’imagine, rédigés en allemand, et peuvent être présentés à l’accusé au cours de son interrogatoire. Le Tribunal estime, comme il l’a déjà dit, que la comparution de l’accusé en premier lieu, sert la rapidité des débats. Le Tribunal estime qu’il doit s’en tenir à la règle déjà appliquée.

Dr SEIDL

Très bien. Alors, avec la permission du Tribunal, je cite l’accusé Hans Frank à la barre des témoins.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous énoncer votre nom en entier ?

ACCUSÉ HANS FRANK

Hans Frank.

LE PRÉSIDENT

Veuillez répéter ce serment après moi : « Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien. »

(Le témoin répète le serment.)
LE PRÉSIDENT

Vous pouvez vous asseoir.

Dr SEIDL

Témoin, où et quand êtes-vous né ?

ACCUSÉ FRANK

Je suis né le 23 mai 1900, à Karlsruhe, dans le pays de Bade.

Dr SEIDL

Voulez-vous nous donner brièvement des indications concernant votre éducation ?

ACCUSÉ FRANK

En 1919, j’ai terminé mes études secondaires, et en 1926, j’ai passé mon doctorat en Droit, ce qui a terminé ma formation juridique.

Dr SEIDL

Quelle a été ensuite votre profession ?

ACCUSÉ FRANK

J’ai exercé diverses activités dans le monde judiciaire. J’ai été avocat, puis membre du corps enseignant d’une école supérieure et enfin, mon activité essentielle a été celle de conseiller juridique de Hitler et de la NSDAP.

Dr SEIDL

Depuis quand appartenez-vous à la NSDAP ?

ACCUSÉ FRANK

J’ai été membre du parti du Travail allemand, qui a précédé la NSDAP, dès 1919. Mais je n’ai pas adhéré à la NSDAP nouvellement créée à cette époque. J’y suis entré en 1923 à Munich, en tant que membre des SA. Je ne suis entré définitivement dans la NSDAP qu’en 1927.

Dr SEIDL

Avez-vous jamais été membre des SS ?

ACCUSÉ FRANK

Je n’ai jamais été membre des SS.

Dr SEIDL

Vous n’avez donc jamais eu le grade d’un SS-Obergruppenführer ou d’un général des SS ?

ACCUSÉ FRANK

Non.

Dr SEIDL

Même pas à titre honorifique ?

ACCUSÉ FRANK

Non.

Dr SEIDL

Vous étiez membre des SA. Quelles y étaient vos dernières fonctions ?

ACCUSÉ FRANK

J’étais Obergruppenführer SA à titre honorifique.

Dr SEIDL

Quels sont les différents postes que vous avez occupés dans la NSDAP et en quoi consistèrent vos activités ?

ACCUSÉ FRANK

En 1929, j’ai dirigé l’office juridique de la Direction suprême de la NSDAP. En cette qualité, j’ai été nommé en 1931 par Hitler, Reichsleiter de la NSDAP, poste que j’ai conservé jusqu’à mon rappel en 1942. Telles sont les principales fonctions que j’ai exercées dans le Parti.

Dr SEIDL

Jusqu’à la prise du pouvoir, vous vous êtes occupé de questions juridiques concernant le Parti ?

ACCUSÉ FRANK

Je m’occupais de questions juridiques dans l’intérêt d’Adolf Hitler, de la NSDAP et de ses membres, pendant les années difficiles de la lutte pour la victoire du Mouvement.

Dr SEIDL

Que pensiez-vous du concept d’un État contrôlé par un système légal ?

ACCUSÉ FRANK

Cette idée était exprimée dans l’article 19 du programme du Parti qui traitait du futur Droit coutumier allemand. En vue d’accélérer les débats, je m’abstiendrai de préciser mes idées en détail.

Un effort principal se porta sur la sauvegarde de la justice allemande et de son caractère essentiel : l’indépendance de la magistrature. J’estimais que, même dans un État totalitaire, si développé soit-il, le danger couru par la communauté et la menace qui pèse sur les droits de l’homme seraient diminués si les juges étaient indépendants de la direction de l’État. Pour moi, la question de l’État légal était, à tous égards, étroitement liée à celle de l’indépendance des tribunaux. La plupart de mes luttes et de mes discussions avec Hitler, Himmler et Bormann, furent au cours de ces années, particulièrement concentrées sur ce sujet. Ce n’est que lorsque l’indépendance du juge fut complètement abolie dans le Troisième Reich que je suspendis mon activité et considérai mes efforts comme vains.

Dr SEIDL

Vous étiez aussi membre du Reichstag ?

ACCUSÉ FRANK

Depuis 1930, j’étais membre du Reichstag.

Dr SEIDL

Quelles fonctions avez-vous remplies après 1933 ?

ACCUSÉ FRANK

Je fus d’abord ministre d’État de la Justice en Bavière et, après la dissolution des ministères de la Justice dans les différents États, je suis devenu ministre du Reich sans portefeuille.

En 1933, je devins président de l’Académie allemande de Droit que j’avais créée. Je fus aussi Reichsführer de l’Association des juristes nationaux-socialistes du Reich, qui devint plus tard le « Rechtswahrerbund ». En 1933 et 1934, je devins Commissaire du Reich à la Justice et en 1939, Gouverneur Général du Gouvernement Général de Cracovie.

Dr SEIDL

Quels étaient les buts de l’Académie allemande de Droit dont vous étiez le fondateur ?

ACCUSÉ FRANK

Ces buts sont fixés dans la loi du Reich sur l’Académie allemande de Droit.

Sa tâche essentielle était d’appliquer l’article 19 du programme du Parti, prescrivant d’amener le Droit allemand dans la ligne de notre culture nationale.

Dr SEIDL

Cette académie avait-elle des fonctions bien définies ou n’avait-elle qu’un rôle consultatif ?

ACCUSÉ FRANK

C’était le lieu de rencontre des juristes les plus éminents d’Allemagne, aussi bien dans le domaine du Droit théorique que du Droit appliqué. Dès le début, je n’ai attaché aucune importance à la question de savoir si ces juristes appartenaient au Parti ou non 90% n’en faisaient pas partie. Leur tâche consistait à préparer les lois et leur activité pouvait être comparée à celle d’un conseil consultatif travaillant auprès d’assemblées organisées. J’ai également eu l’idée de remplacer les commissions du Reichstag allemand, dont le rôle s’estompait, par ces conseils consultatifs de l’Académie allemande de Droit.

L’Académie a surtout collaboré à la confection des seules lois d’intérêt économique ou social parce que notre collaboration est devenue peu à peu impossible dans d’autres domaines, étant donné le développement du régime autoritaire.

Dr SEIDL

Si je vous comprends bien, le pouvoir judiciaire était exclusivement dans les mains du ministre de la Justice, et ce n’était pas vous ?

ACCUSÉ FRANK

Non, je n’étais pas ministre de la Justice du Reich ; d’ailleurs le ministre de la Justice du Reich, le Dr Gürtner, n’était compétent que pour les lois qui rentraient dans le cadre de son ministère. Le pouvoir législatif dans le Reich, conformément à la loi des pleins pouvoirs, appartenait au Führer et Chancelier du Reich, et au Gouvernement, pris collectivement. C’est pourquoi mon nom ne figure dans le Reichsgesetzblatt que sous une seule loi, celle qui concerne la réintroduction du service militaire obligatoire et j’en suis fier.

Dr SEIDL

Vous avez déclaré tout à l’heure que pendant les années 1933 et 1934, vous étiez ministre de la Justice en Bavière ?

ACCUSÉ FRANK

Oui.

Dr SEIDL

En cette qualité, n’avez-vous pas eu l’occasion d’exprimer votre opinion sur les camps de concentration et dans quelles circonstances ?

ACCUSÉ FRANK

J’appris la création du camp de concentration de Dachau grâce à un rapport qui m’avait été envoyé par le Parquet de Munich, à l’occasion de l’assassinat de l’avocat Dr Strauss. Les services du Parquet s’étaient plaints auprès de moi, après que je leur eus ordonné de poursuivre une enquête sur cet assassinat, que les SS avaient refusé de mettre le camp de Dachau à leur disposition. Là-dessus, j’ai demandé au gouverneur du Reich, le général von Epp, d’organiser une réunion au cours de laquelle je produisis les dossiers se rapportant à cet assassinat et démontrai que les SS ne pouvaient persister dans une pareille attitude. Je déclarai également que, jusqu’à présent, les représentants du Ministère Public allemand avaient toujours eu la possibilité de procéder à une enquête dans les cas où un décès pouvait faire supposer un crime, et que, jusqu’à ce jour, je n’avais jamais entendu dire qu’une entorse eût été faite à cette règle.

Puis je protestai contre cette méthode auprès du Dr Gürtner, ministre de la Justice du Reich. Je signalai que ces faits pouvaient être le point de départ d’une évolution qui risquait de compromettre dangereusement le système judiciaire.

Sur la demande de Himmler, Adolf Hitler intervint personnellement dans cette affaire et usa de son droit d’annuler les procédures légales. L’ordre fut donné de classer l’affaire. Je donnai ma démission de ministre de la Justice, mais elle ne fut pas acceptée.

Dr SEIDL

Quand êtes-vous devenu Gouverneur Général des territoires occupés en Pologne et où étiez-vous lorsque vous parvint la nouvelle de cette nomination ?

ACCUSÉ FRANK

Le 24 août 1939, je dus, comme officier de réserve, rejoindre mon régiment à Potsdam. Je m’occupai de l’instruction de ma compagnie, et le 17 septembre (peut-être le 16) je procédai aux derniers préparatifs avant le départ pour le front lorsque je reçus un coup de téléphone du train spécial du Führer m’ordonnant de me rendre immédiatement auprès de celui-ci.

Je me rendis le lendemain en Haute-Silésie où était alors stationné le train spécial du Führer, qui, au cours d’un entretien qui dura à peine dix minutes, me chargea de remplir les fonctions de Gouverneur civil des territoires occupés en Pologne. A cette époque, tous les territoires conquis en Pologne étaient sous le contrôle administratif suprême d’un chef militaire, le général von Rundstedt.

Vers la fin du mois de septembre, je fus attaché à l’État-Major du Général von Rundstedt en qualité de responsable des affaires administratives du Gouvernement militaire. Mais, peu de temps après, on se rendit compte que cette méthode était défectueuse. A dater du 26 octobre, on divisa le territoire polonais en deux parties : l’une fut incorporée au Reich allemand, l’autre devint le Gouvernement Général : et c’est ce même jour que me fut conféré le titre de Gouverneur Général.

Dr SEIDL

Vous avez parlé des différents postes que vous avez occupés pendant plusieurs années. Je vous demande maintenant : avez-vous, dans l’un quelconque de ces postes, que ce soit dans le cadre du Parti ou de celui de l’État, joué un rôle décisif dans les événements politiques des vingt dernières années ?

ACCUSÉ FRANK

Dans ma propre sphère, j’ai fait tout ce qu’on pouvait attendre d’un homme qui croit à la grandeur de son pays et qui est fanatisé par elle, pour provoquer la victoire d’Adolf Hitler et du national-socialisme. Je n’ai jamais participé aux importantes décisions politiques, car je n’ai jamais appartenu au cercle des collaborateurs les plus proches d’Adolf Hitler ; celui-ci ne m’a jamais consulté sur les questions de politique générale et je n’ai jamais participé à aucune des conférences où l’on discutait de tels problèmes. La preuve en est que pendant toute la période de 1933 à 1945, je n’ai été reçu personnellement par Adolf Hitler que six fois pour lui faire un rapport sur mes activités.

Dr SEIDL

Quelle part preniez-vous à la législation du Reich ?

ACCUSÉ FRANK

Je vous l’ai déjà dit, et je n’ai pas besoin de répondre une fois de plus.

Dr SEIDL

Avez-vous, en votre qualité de ministre du Reich, ou à titre de haut fonctionnaire de l’État ou du Parti, voulu cette guerre, ou désiré qu’une guerre soit déclarée, en violation des traités ?

ACCUSÉ FRANK

La guerre n’est pas une chose désirable. C’est une chose terrible ; nous l’avons vécue : nous n’en voulions pas, nous voulions la grandeur de l’Allemagne et le rétablissement de la liberté, du bien-être, de la santé et du bonheur de notre peuple. Mon rêve, et probablement celui de chacun de nous, était d’obtenir par des moyens pacifiques la révision du Traité de Versailles, révision qui était prévue par le Traité lui-même. Mais comme dans le monde des traités on n’écoute que la voix du plus fort, l’Allemagne devait devenir puissante avant de pouvoir négocier.

Voici comment, en gros, j’envisageais cette évolution : renforcement du Reich, rétablissement de sa souveraineté dans tous les domaines, nous libérant ainsi des chaînes intolérables imposées à notre peuple. C’est donc avec joie que je vis Adolf Hitler, par une admirable accession au pouvoir, unique dans l’histoire de l’Humanité, parvenir en 1938 à réaliser la plupart de ces desseins : de même, c’est avec tristesse, qu’en 1939, il m’apparut de plus en plus qu’Adolf Hitler semblait s’écarter de cette voie pour adopter d’autres méthodes.

LE PRÉSIDENT

Il me semble que cette question a déjà été traitée ici par les accusés Göring et Ribbentrop.

Dr SEIDL

Le témoin a maintenant terminé ses déclarations à ce sujet. Témoin, quelle part avez-vous prise aux événements de Pologne à partir de 1939 ?

ACCUSÉ FRANK

J’en porte la responsabilité ; et lorsque, le 30 avril 1945, Adolf Hitler mit fin à ses jours, je décidai de révéler au monde cette responsabilité, le plus clairement possible. Je n’ai pas détruit les quarante-trois volumes de mon journal qui traitent de ces événements et de la façon dont j’y ai participé, mais je les ai délibérément et volontairement remis aux officiers américains qui m’ont arrêté.

Dr SEIDL

Témoin, vous sentez-vous coupable d’avoir commis des crimes en violation des conventions internationales ou des crimes contre l’Humanité ?

LE PRÉSIDENT

C’est là une question qu’il appartient au Tribunal de trancher.

Dr SEIDL

Je l’écarterai donc. Témoin, qu’avez-vous à répondre aux charges portées contre vous dans l’Acte d’accusation ?

ACCUSÉ FRANK

A ce propos, je ne fais que prier le Tribunal de se prononcer sur mon degré de culpabilité à la fin des débats. Mais, je désirerais maintenant, du plus profond de moi-même, à la lumière de ces cinq mois de procès et après avoir jeté un dernier regard sur tant d’horreurs épouvantables, déclarer que je porte en moi un profond sentiment de culpabilité.

Dr SEIDL

Quels buts vous êtes-vous assigné lorsque vous avez pris les fonctions de Gouverneur Général ?

ACCUSÉ FRANK

Je ne savais rien. Au cours de ce Procès, j’ai entendu parler des Einsatzkommandos des SS. Dès ma nomination, et en raison de cette nomination, on a conféré à Himmler des pouvoirs spéciaux et la compétence que j’avais dans beaucoup de domaines très importants me fut enlevée. De nombreux services du Reich s’occupaient directement de l’économie, des questions sociales, de la monnaie, du ravitaillement. Tout ce que j’avais à faire était donc de voir si, au milieu du déchaînement de la guerre, on n’aurait pas pu établir un ordre qui eût permis aux hommes de vivre.

Ce que j’ai fait là-bas ne peut donc pas être jugé d’après les impressions du moment, mais comme un tout et nous aurons à y revenir. Mon but était sauvegarder la justice sans nuire à notre effort de guerre.

Dr SEIDL

Témoin, est-ce que la Police, et surtout la Police de sûreté et le SD, étaient sous vos ordres dans le Gouvernement Général ?

ACCUSÉ FRANK

Les chefs des SS et de la Police étaient en principe sous les ordres du Reichsführer SS Himmler. Les SS n’étaient pas sous mes ordres, et les instructions que j’aurais pu leur donner n’auraient pas été suivies. Le témoin Bühler pourra donner des détails à ce sujet.

L’organisation d’ensemble voulait que le chef des SS et de la Police fit partie de mes services, mais c’était une question de pure forme : de par son activité, il n’était qu’un agent du Reichsführer SS Himmler. Cette situation fut, dès novembre 1939, à l’origine de la première demande de démission que j’adressai à Adolf Hitler. Elle provoquait des difficultés toujours croissantes et malgré toutes mes tentatives pour obtenir le contrôle de ces affaires, la séparation alla en s’accentuant. Une administration qui n’a pas de pouvoirs de Police est impuissante et ce fait s’avérait de plus en plus nettement.

En ce qui concerne la discipline, l’organisation, les traitements et les ordres, les fonctionnaires de la Police dépendaient exclusivement de la Police allemande du Reich et n’avaient aucun rapport avec l’administration du Gouvernement Général. Les fonctionnaires des SS et de la Police ne se considéraient donc pas comme liés au Gouvernement Général dans les affairés de service et leur champ d’opérations ne portait pas le nom de : « Secteur policier du Gouvernement Général ». De plus, le chef des SS et de la Police ne portait pas le titre « chef des SS et de la Police du Gouvernement Général » ; son titre était « chef des SS et de la Police de l’Est ».

Je ne veux pas entrer dans d’autres détails à ce sujet.

Dr SEIDL

Témoin, les camps de concentration du Gouvernement Général étaient-ils sous vos ordres et aviez-vous à vous occuper de leur administration ?

ACCUSÉ FRANK

Les camps de concentration relevaient uniquement de la Police et n’avaient rien à voir avec l’administration. Les fonctionnaires de l’administration civile avaient reçu l’interdiction d’entrer dans les camps.

Dr SEIDL

Avez-vous jamais pénétré dans un camp de concentration ?

ACCUSÉ FRANK

En 1935, j’ai participé à une visite du camp de Dachau, visite qui avait été organisée à l’intention des Gauleiter. C’est la seule fois où je suis entré dans un camp de concentration.

Dr SEIDL

Témoin, en 1942, par décret du Führer, on a créé un secrétariat d’État à la sécurité dans le Gouvernement Général. C’était le 7 mai. Quelle était la raison de cette nouvelle institution ?

ACCUSÉ FRANK

La création de ce secrétariat d’État fut l’un des nombreux essais effectués pour résoudre le problème de la Police dans le Gouvernement Général. J’étais alors très satisfait de cette création-là parce que je croyais que nous avions trouvé le moyen de résoudre le problème. Je suis certain que ce système aurait bien fonctionné si Himmler et Krüger avaient adhéré au principe du décret, qui était la coopération et non la concurrence. Mais, peu de temps après, il devint patent que cette nouvelle tentative n’était qu’un simple camouflage et que les conditions antérieures continueraient à subsister.

Dr SEIDL

Le 3 juin 1942, sur la base de ce décret du Führer, un autre décret fut promulgué qui transférait les affaires officielles au secrétariat d’État à la Sécurité. Est-ce exact ?

ACCUSÉ FRANK

Je suppose que c’est exact ; ce document le confirme mais je ne me souviens pas des détails.

Dr SEIDL

J’interrogerai donc le témoin Bilfinger à ce sujet.

ACCUSÉ FRANK

Mais je voudrais ajouter quelque chose. A chaque fois que l’on parle ici des SS, on considère que les SS et la Police constituaient une seule et même organisation. J’aurais tort si je ne rectifiais pas cette fausse conception, j’ai, au cours de ces dernières années, connu dans les SS et surtout dans les Waffen SS et la Police, tant des soldats, honnêtes et droits, que lorsqu’on aborde ce problème sous l’angle des activités criminelles, on peut faire la même distinction que dans le cas des autres groupes sociaux. En prenant part aux événements politiques, les SS ne se sont pas conduits d’une façon plus criminelle. Le drame, c’était que le chef responsable, ainsi que de nombreux autres SS à qui on avait malheureusement donné des pouvoirs trop étendus, avaient été à même d’abuser de la loyale attitude si typique chez le soldat allemand.

Dr SEIDL

Une autre question : dans le décret instituant ce secrétariat d’État à la Sécurité, il était stipulé que le secrétaire d’État — qui, dans ce cas, était le chef des SS et de la Police — devait, avant de prendre des décisions importantes, demander votre approbation. Cela a-t-il été fait ?

ACCUSÉ FRANK

Non. On ne m’a jamais consulté et c’est la raison pour laquelle ma dernière tentative a été un échec.

Dr SEIDL

Le chef des SS et de la Police, et en particulier le SS-Obergruppenführer Krüger, a-t-il exécuté les ordres que vous aviez donnés ?

ACCUSÉ FRANK

Je vous prie de répéter la question ; je n’ai pas bien entendu. Docteur Seidl, veuillez parler moins fort.

Dr SEIDL

Le chef des SS et de la Police, Krüger, qui était en même temps secrétaire d’État à la Sécurité, exécutait-il les ordres que vous lui donniez en votre qualité de Gouverneur Général ?

ACCUSÉ FRANK

En aucun cas. A plusieurs reprises, et conformément à ce nouveau décret, j’ai donné des ordres. Ces ordres étaient censés être communiqués à Himmler, et comme il devait les approuver, ils n’étaient jamais exécutés. Le secrétaire d’État Bühler pourra citer un certain nombre de cas.

Dr SEIDL

Est-ce que le Reichsführer SS, chef de la Police allemande, obtenait toujours votre assentiment avant d’appliquer des mesures de police dans le Gouvernement Général ?

ACCUSÉ FRANK

Jamais.

Dr SEIDL

Le Ministère Public a présenté un document, L-37 (USA-506). Il s’agit d’une lettre adressée par le commandant de la Police de sécurité et du SD du district de Radom aux services locaux de Tornassov. On y lit :

« Le 28 juin 1944, le chef de la Police et des SS de l’Est a ordonné ce qui suit :

« Au cours des derniers mois, la sécurité est devenue si incertaine dans le Gouvernement Général que les mesures les plus sévères et les moyens les plus radicaux doivent être maintenant employés contre ces saboteurs et ces assassins étrangers.

« Le Reichsführer SS, en accord avec le Gouverneur Général, a ordonné que chaque fois qu’un Allemand sera victime d’un meurtre ou d’une tentative de meurtre, il faudra non seulement en arrêter les auteurs, mais encore exécuter tous les représentants mâles de leur famille et mettre les femmes âgées de plus de 16 ans dans un camp de concentration. »

ACCUSÉ FRANK

Comme je vous ai déjà dit tout à l’heure que Himmler ne me demandait jamais mon avis, j’ai déjà répondu à votre question. Dans ce cas particulier non plus, on ne m’a pas demandé mon assentiment.

Dr SEIDL

Témoin, étiez-vous au moins tenu au courant des ordres donnés par le Reichsführer SS, Himmler, ou les chefs des SS et de la Police de l’Est avant qu’ils ne fussent exécutés ?

ACCUSÉ FRANK

Non. Et la raison en était toujours la même. On me disait que comme les Polonais ne vivaient pas seulement dans le Gouvernement Général mais aussi dans les territoires incorporés au Reich, la lutte contre le mouvement de résistance polonais devait être uniformément organisée par un service central, dirigé par Heinrich Himmler.

Dr SEIDL

Témoin, quelle était votre compétence dans le domaine administratif ?

ACCUSÉ FRANK

Je crois qu’on abrégerait ces débats en demandant au témoin Bühler de faire une déposition à ce sujet ; Naturellement si le Tribunal le désire je répondrai à cette question maintenant.

Dans l’ensemble, je m’occupais du fonctionnement des services administratifs ordinaires : ravitaillement, culture, finances. sciences, etc.

Dr SEIDL

Y avait-il, dans le Gouvernement Général, une représentation des populations polonaise et ukrainienne ?

ACCUSÉ FRANK

Oui. La représentation des populations polonaise et ukrainienne était établie sur une base régionale, et je faisais la liaison entre les chefs des corps représentatifs des différentes régions au sein des « commissions auxiliaires ». Le comte Ronikier fut pendant de longues années à la tête du comité auxiliaire polonais, et le professeur Kubiowicz dirigeait le comité ukrainien. Tous mes services avaient reçu l’ordre, lorsqu’il s’agissait de questions d’intérêt général, de se mettre en rapports avec ces comités auxiliaires et ils s’y sont conformés. J’étais d’ailleurs moi-même en contact permanent avec ces deux organismes. On me présentait des réclamations et il y avait un libre échange de vues.

Les plaintes et les mémoires que j’adressais au Führer, étaient, la plupart du temps, basés sur les rapports de ces comités auxiliaires. Un second procédé qui permettait à la population de participer à l’administration du Gouvernement Général, était l’utilisation à l’échelon inférieur de cette administration d’éléments locaux. A la tête de dix ou vingt villages, il y avait ce qu’on appelait un « Wojt ». Ce mot polonais est celui qui correspond au mot allemand « Vogt ». C’était, pour ainsi dire, la plus petite unité administrative.

La troisième forme de participation de la population à l’administration, était l’utilisation d’environ 280.000 Polonais et Ukrainiens comme fonctionnaires des services publics du Gouvernement Général, y compris les postes et les chemins de fer.

Dr SEIDL

Quelle était la proportion de fonctionnaires allemands ?

ACCUSÉ FRANK

Elle était variable : le nombre des fonctionnaires allemands était très réduit. Il y eut des époques où dans tout le Gouvernement Général, dont la superficie était de 150.000 kilomètres carrés, c’est-à-dire la moitié de l’Italie, il n’y avait pas plus de 40.000 fonctionnaires allemands, soit en moyenne un fonctionnaire allemand pour six non allemands.

Dr SEIDL

Quels territoires administriez-vous, en qualité de Gouverneur Général ?

ACCUSÉ FRANK

La Pologne qui avait été conquise à la fois par l’Allemagne et l’Union Soviétique a été d’abord partagée entre ces deux pays.

Sur les 380.000 kilomètres carrés que compte la Pologne, 200.000 kilomètres environ allèrent à l’Union Soviétique, 170.000 ou 180.000 au Reich allemand.

Ne me demandez pas les chiffres exacts. Telle est à peu près la proportion.

La partie de la Pologne qui fut intégrée à l’Union Soviétique a immédiatement été traitée comme faisant partie du territoire de celle-ci. Les poteaux frontaliers à l’Est du Gouvernement Général étaient ceux de la frontière germano-russe de 1939. La partie qui revenait à l’Allemagne a été divisée ainsi : 90.000 kilomètres carrés formèrent le Gouvernement Général et le reste fut incorporé au Reich allemand.

LE PRÉSIDENT

Je ne pense pas qu’on ait reproché à l’accusé d’avoir eu une mauvaise administration. L’Accusation porte sur des crimes, et les détails sur l’administration du Gouvernement Général et de la partie intégrée au Reich ne nous intéressent nullement.

Dr SEIDL

Monsieur le Président, je n’ai posé cette question que pour montrer les difficultés que l’administration a dû surmonter dès le début dans ce territoire, car une région qui représentait naguère une unité économique se trouvait alors divisée en trois parties.

Témoin, je passe maintenant à la question suivante : n’avez-vous jamais fait exécuter des otages ?

ACCUSÉ FRANK

Mon journal contient les faits ; je n’ai personnellement jamais fait exécuter d’otages.

Dr SEIDL

N’avez-vous jamais participé à l’extermination des Juifs ?

ACCUSÉ FRANK

Je réponds « oui ». Car ayant vécu les cinq mois de ce Procès, et surtout après avoir entendu la déposition du témoin Höss, il me semble que ma conscience ne m’autorise pas à laisser retomber la responsabilité sur les seules personnes qui n’avaient qu’une influence de second ordre.

Je n’ai jamais créé moi-même de camps d’extermination pour les Juifs, et je n’ai pas davantage favorisé leur existence. Mais si Adolf Hitler a laissé peser sur son peuple cette responsabilité effroyable, je suis également coupable, car nous avons lutté contre les Juifs pendant des années : nous nous sommes laissés aller à des propos épouvantables et mon propre journal m’accuse. Ce n’est donc que mon devoir de répondre affirmativement à votre question. Mille ans passeront sans que soit effacée cette responsabilité de l’Allemagne.

Dr SEIDL

Témoin, quelles méthodes avez-vous employées pour le recrutement des travailleurs pour le Reich, lorsque vous étiez Gouverneur Général ?

ACCUSÉ FRANK

Cette politique ressort de mes décrets. Le Ministère Public m’en fera certainement grief, et je crois qu’on peut gagner du temps si je réponds à cette question plus tard, si le Tribunal le permet.

Dr SEIDL

Témoin, Hitler vous a-t-il donné des instructions sur la manière dont vous deviez exercer vos fonctions de Gouverneur Général ?

ACCUSÉ FRANK

Durant les dix minutes d’entretien qu’il m’a accordées dans son train spécial, Hitler m’a donné l’ordre de veiller à ce que tout se rétablisse quelque peu dans ces territoires qui étaient complètement dévastés, et dont les ponts étaient sautés, les chemins de fer immobilisés et la population affolée. Je devais m’efforcer que ce territoire devienne un facteur de l’amélioration de la terrible situation économique du Reich allemand.

Dr SEIDL

Adolf Hitler a-t-il soutenu votre activité de Gouverneur Général ?

ACCUSÉ FRANK

Toutes mes réclamations et tous mes rapports finissaient, malheureusement, dans sa corbeille à papier. Ce n’est pas pour rien que j’ai demandé ma démission quatorze fois. Ce n’est pas sans raison que j’ai essayé maintes fois de revenir comme officier dans mon brave régiment. Il était au fond de lui-même opposé aux juristes et, c’était là un des plus graves défauts de cet homme si grand par ailleurs. Il ne voulait pas reconnaître la responsabilité formelle et il appliquait malheureusement aussi ce principe à sa politique, comme j’ai pu le constater. Pour lui, tout juriste était un élément perturbateur dressé contre son pouvoir. Je puis dire qu’en approuvant les desseins de Himmler et de Bormann jusqu’à leur extrême limite, il a rendu impossible toute tentative de trouver une formule de gouvernement digne du nom allemand.

Dr SEIDL

Quels sont les services du Reich qui vous donnaient des instructions pour l’administration du Gouvernement Général ?

ACCUSÉ FRANK

En vue d’accélérer les débats, avec la permission du Tribunal, je demanderai que le témoin Bühler en donne une liste complète.

Dr SEIDL

Avez-vous jamais procédé au pillage d’œuvres d’art ?

ACCUSÉ FRANK

Une accusation qui touche à ma vie privée, et qui m’afflige le plus, est celle d’après laquelle je me serais enrichi avec les œuvres d’art des pays qui m’étaient confiés.

Je ne collectionnais pas de tableaux et, pendant la guerre, je n’aurais pas trouvé le temps de m’approprier des œuvres d’art. J’ai veillé à ce que toutes les œuvres d’art du pays dont j’avais la charge fussent officiellement classées. Cette opération a donné lieu à l’établissement d’un catalogue qui fut largement diffusé ; je me suis surtout assuré que ces trésors étaient restés jusqu’à la fin dans le pays.

Malgré ces mesures, des trésors artistiques ont quitté le Gouvernement Général. Une partie en a été enlevée avant l’établissement définitif de mon organisation administrative. L’expérience montre qu’on ne peut parler de responsabilité administrative avant que l’administration ait commencé à fonctionner, et ceci jusqu’au dernier échelon. C’est ainsi qu’à partir du 1er septembre 1939, date de la déclaration de guerre, jusqu’à la fin de l’année, je suis sûr que des œuvres d’art ont été volées sur une grande échelle, comme butin de guerre ou sous tout autre prétexte.

Au cours du recensement des œuvres d’art, Adolf Hitler a donné l’ordre d’enlever l’autel de Veit Stoss de l’église Sainte-Marie à Cracovie et de le transporter dans le Reich. C’est dans ce but qu’en septembre 1939 le maire de Nuremberg, Liebel, se rendit personnellement à Cracovie avec un groupe SS et en revint avec l’autel.

Un troisième exemple fut l’enlèvement par un délégué spécial des gravures de Dürer, à Lwow, avant que mon administration ait fonctionné dans cette ville.

En 1944, peu de temps avant la défaite, des œuvres d’art furent emmenées en Allemagne comme pièces de collection, telles celles qui furent apportées au château de Seichau en Silésie, par le professeur Kneisl. Une autre série d’œuvres d’art a été remise par moi personnellement aux Américains.

Dr SEIDL

Témoin, avez-vous créé des ghettos, c’est-à-dire des quartiers juifs dans le territoire du Gouvernement Général ?

ACCUSÉ FRANK

J’ai publié un décret pour l’établissement de quartiers d’habitation juifs. Je ne me rappelle plus la date. Mais en ce qui concerne les raisons et les nécessités de ce décret, je répondrai aux questions du Ministère Public.

Dr SEIDL

Avez-vous imposé aux Juifs le port d’insignes spéciaux ?

ACCUSÉ FRANK

Oui.

Dr SEIDL

Avez-vous introduit le travail forcé dans le Gouvernement Général ?

ACCUSÉ FRANK

J’ai institué le travail forcé et le service obligatoire du travail dans un de mes premiers décrets ; mais il ressort clairement des termes de tous ces décrets, que je pensais exclusivement à un service du travail destiné à réparer, à l’intérieur du pays, les dommages causés par la guerre, et à faire exécuter les travaux nécessaires à la vie même du pays, exactement comme dans le Reich.

Dr SEIDL

Avez-vous, comme le prétend le Ministère Public, pillé des bibliothèques dans le Gouvernement Général ?

ACCUSÉ FRANK

Je peux répondre très nettement « non » à cette question. La bibliothèque la plus grande et la plus précieuse que nous ayons trouvée, qui était celle de l’Université de Jagellon à Cracovie — et qui, Dieu merci, n’a pas été détruite — a été transférée par mes soins dans un nouveau bâtiment, et l’ensemble des ouvrages qu’elle contenait, y compris les plus anciens, a fait l’objet de soins attentifs.

Dr SEIDL

Témoin, est-ce vous qui avez fait procéder à la fermeture des universités dans le Gouvernement Général ?

ACCUSÉ FRANK

Lorsque nous arrivâmes, les universités étaient fermées pour cause de guerre. La réouverture en fut interdite par ordre de Hitler. Je suppléai aux besoins de la population polonaise et ukrainienne en organisant des cours universitaires pour les étudiants polonais et ukrainiens qui étaient en âge d’entrer à l’université, de façon telle qu’ils ne pussent faire l’objet de critiques de la part des autorités du Reich. Le fait qu’il y avait un besoin urgent de jeunes gens du pays formés dans les universités, et surtout de docteurs, de techniciens, de juristes, de professeurs, etc., explique facilement pourquoi les Polonais et les Ukrainiens avaient reçu l’autorisation de poursuivre des études, dans la mesure où les conditions de la guerre le permettaient.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal suspend l’audience pendant dix minutes.

(L’audience est suspendue.)
Dr SEIDL

Témoin, nous parlions des universités ; avez-vous, en qualité de Gouverneur Général, fermé les écoles secondaires ?

ACCUSÉ FRANK

Ma proposition tendant à faire rouvrir les écoles secondaires et les lycées, fut repoussée par Adolf Hitler. Mais nous avons résolu le problème en autorisant l’enseignement secondaire dans un grand nombre d’écoles privées.

Dr SEIDL

Maintenant, une question fondamentale. Le Ministère Public vous accuse d’avoir pillé le pays qui était sous votre autorité de Gouverneur Général. Qu’avez-vous à dire à cela ?

ACCUSÉ FRANK

Il est évident que par cette accusation, on fait allusion à tous les événements d’ordre économique qui se sont déroulés dans ce pays, en raison des accords passés entre le Reich allemand et le Gouvernement Général. Je voudrais souligner tout d’abord, que le Gouvernement Général avait au départ une balance commerciale révélant une situation économique déplorable. Ce pays avait environ 12.000.000 d’habitants. Le territoire du Gouvernement Général était la partie la moins féconde de l’ancienne Pologne. De plus, les frontières qui le séparaient tant de l’Union Soviétique que du Reich allemand avaient été tracées de telle façon que les éléments essentiels de la vie économique se trouvaient de l’autre côté. Ces deux frontières furent immédiatement fermées. Nous dûmes donc, dès le début, faire tout avec rien.

La Galicie, le territoire qui représentait, au point de vue alimentaire, l’élément le plus important de la République polonaise, avait été attribuée à l’Union Soviétique ; la province de Posen appartenait au Reich allemand ainsi que les régions charbonnières et industrielles de la Haute-Silésie. La frontière avec l’Allemagne avait été tracée de telle façon que les usines métallurgiques de Czestochowa restaient dans le Gouvernement Général, tandis que les mines de fer qui se trouvaient à dix kilomètres de là, avaient été attribuées au Reich allemand. La ville de Lodz, le centre textile de la Pologne, l’avait été également, Varsovie, avec sa population de plusieurs millions d’âmes, devint une ville frontière, car la frontière allemande passait à quinze kilomètres de là, ce qui eut pour résultat que tout l’arrière-pays agricole ne put dépendre plus longtemps de la capitale. On pourrait citer un grand nombre de faits, mais cela nous mènerait probablement trop loin. Le première chose à faire était de remettre quelque peu l’économie en marche.

Au cours des premières semaines, la population de Varsovie ne put être ravitaillée que grâce au système allemand d’alimentation collective. Le Reich allemand livra à cette époque 600.000 tonnes de blé à titre de prêt, bien entendu, ce qui m’endetta gravement.

Je remis à flot les finances à l’aide des 20.000.000 de Zlotys qui m’avaient été avancés par le Reich. Nous partîmes d’une situation économique très pauvre en raison des dévastations causées par la guerre, et, au premier janvier 1944, le montant des comptes en banque de la population indigène avait atteint un total de 11.500.000.000 de Zlotys et nous avions réussi à améliorer quelque peu le ravitaillement de la population. De plus, les usines et les centres industriels avaient été reconstruits grâce à l’appui décisif des autorités du Reich ; c’est surtout au Reichsmarschall Göring et au ministre du Reich Speer que reviennent l’honneur d’avoir soutenu la renaissance de l’industrie de ce pays. On employa plus de 2.000.000 d’ouvriers largement rétribués, la récolte était passée à 1.600.000 tonnes en un an et le budget annuel, qui était de 20.000.000 de Zlotys en 1939, s’était élevé à 1.700.000.000 de Zlotys. Je ne présente ici qu’une esquisse pour donner une idée du développement général.

Dr SEIDL

Témoin, avez-vous, en votre qualité de Gouverneur Général, persécuté les Églises et la religion dans les territoires que vous administriez ?

ACCUSÉ FRANK

J’étais en rapports personnels et constants avec l’archevêque, aujourd’hui cardinal Sapieha à Cracovie. Il me confiait ses doléances et ses soucis, qui étaient nombreux.

J’ai moi-même soustrait l’évêque de Lublin des mains de Globocznik et lui sauvai la vie.

Dr SEIDL

Vous voulez dire le Gruppenführer SS Globocznik ?

ACCUSÉ FRANK

Oui. Mais en ce qui concerne la situation générale, je pourrais la résumer en citant la lettre que l’archevêque Sapieha m’adressa en 1942 et dans laquelle, d’après ses propres termes, il me remerciait de mes efforts infatigables pour protéger la vie de l’Église.

Nous reconstruisîmes les séminaires ; nous examinions chaque arrestation de prêtre, autant qu’il était humainement possible de le faire.

Le tragique incident au cours duquel deux assistants de l’archevêque Sapieha furent fusillés, incident qui a été évoqué par le Ministère Public, m’émut profondément. Je ne saurais en dire davantage : les églises étaient ouvertes, les séminaires instruisaient leurs élèves, les prêtres n’étaient nullement empêchés d’exercer leur ministère. Le couvent de Czestochowa était placé sous ma protection personnelle, ainsi que celui de l’ordre des Camalduliens. De grandes affiches placées aux abords de ces couvents indiquaient que j’en étais personnellement le protecteur.

Dr SEIDL

Témoin, quand avez-vous entendu parler pour la première fois du camp de concentration de Maïdanek ?

ACCUSÉ FRANK

C’est en 1944 que j’ai entendu pour la première fois le nom de Maïdanek, dans les communiqués étrangers. Mais pendant des années, des bruits contradictoires coururent sur le camp de Lublin, ou, pour parler d’une façon plus générale, le camp qui se trouvait dans cette région. Le gouverneur Zörner me dit, je crois que c’était en 1941, que les SS avaient l’intention d’établir un grand camp de concentration près de Lublin et avaient demandé de grandes quantités de matériaux de construction. Je donnai alors l’ordre au secrétaire d’État, Bühler, de faire une enquête immédiate à ce sujet, et on me répondit (ce que Himmler me confirma par écrit) qu’on était obligé de créer un vaste camp pour les besoins des SS, afin d’y fabriquer des vêtements, des chaussures et des sous-vêtements, dans de vastes ateliers que possédaient les SS. Ce camp fut appelé « Travaux SS » ou quelque chose d’analogue. Je dois dire maintenant que j’étais à même d’avoir des renseignements, tandis que les témoins qui ont été entendus jusqu’ici ont déclaré sous serment que dans l’entourage du Führer on ne savait rien de toutes ces choses.

Nous étions là-bas plus indépendants, et la radio étrangère ainsi que les journaux ennemis et neutres m’ont appris beaucoup de choses.

En réponse à mes questions réitérées sur le sort des Juifs déportés, on me répondait invariablement qu’ils devaient être envoyées dans l’Est, rassemblés et mis au travail. Mais tout cela suintait le mensonge et je persistai donc dans mes recherches sur les événements. Un rapport m’annonça un jour qu’il se passait quelque chose à Belcec, où je me rendis le lendemain. Globocznik me montra un fossé immense qu’il faisait creuser comme clôture de protection et sur lequel travaillaient des milliers d’ouvriers apparemment des Juifs. Je m’entretins avec quelques-uns d’entre eux, leur demandai d’où ils venaient, depuis combien de temps ils étaient là. Globocznik, me dit : « Ils travaillent ici maintenant ; ils viennent du Reich ou de France, et lorsqu’ils auront fini, on les enverra plus à l’Est ». Je cessai mon enquête dans cette région.

Cependant on ne pouvait faire taire les bruits qui couraient sur la façon, bien connue aujourd’hui du monde entier, dont étaient exécutés les Juifs. Lorsque j’exprimai le désir de visiter les ateliers SS des environs de Lublin, pour me faire une idée du travail qui y était fait, on me dit qu’il fallait une autorisation spéciale de Heinrich Himmler. Je la demandai à ce dernier qui me déclara qu’il me priait instamment de ne pas aller dans ce camp. Le temps passa. Le 7 février 1944, je réussis à être reçu personnellement par Adolf Hitler (je dois ajouter que pendant toute la durée de la guerre, il ne me reçut que trois fois).

En présence de Bormann, je lui dis : « Mon Führer, les rumeurs qui courent sur l’extermination des Juifs ne peuvent être apaisées. On les entend partout. On ne peut entrer nulle part. Je suis allé par surprise visiter le camp d’Auschwitz, mais on me dit qu’une épidémie y régnait et je fus détourné de ma route. Dites-moi, mon Führer, que s’y passe-t-il ? » et le Führer me dit : « Vous devez bien penser qu’on exécute les rebelles. En dehors de cela, je ne sais rien. Pourquoi n’en parlez-vous pas à Heinrich Himmler ? » Je répondis : « Oui, Himmler a fait à Cracovie un discours dans lequel il a, devant tous les fonctionnaires que j’avais convoqués, déclaré que les rumeurs sur l’extermination systématique des Juifs étaient absolument fausses, que les Juifs étaient simplement transportés vers l’Est ». Là-dessus le Führer répliqua : « Vous devez donc le croire ».

Quand, en 1944, j’appris par la presse étrangère les premiers détails sur ce qui se passait, je posai ma première question au SS-Obergruppenführer Koppe qui avait remplacé Krüger. « Nous sommes maintenant au courant » dis-je, « vous ne pouvez pas le nier ». Mais il me dit qu’il n’en savait rien et que c’était vraisemblablement une affaire entre Heinrich Himmler et les autorités du camp. « Mais », dis-je, « déjà en 1941, j’avais entendu parler de tels projets et j’en ai parlé ». Il me répondit alors que c’était mon affaire et qu’il ne pouvait s’en soucier.

Le camp de Maïdanek doit avoir été entièrement administré par les seuls SS, de la façon dont j’ai parlé et probablement comme l’a décrit le témoin Hess. Telles sont les seules explications que je puis donner.

Dr SEIDL

Vous ne connaissiez donc pas les conditions qui régnaient dans les camps de Treblinka, Auschwitz et autres ? Le camp de Treblinka était-il rattaché au camp de Maïdanek ou était-il séparé ?

ACCUSÉ FRANK

Je n’en sais rien : il semble que c’était un camp séparé. Auschwitz n’était pas dans le Gouvernement Général ; je ne suis jamais allé à aucun de ces trois camps.

Dr SEIDL

Témoin, le Ministère Public a présenté sous le numéro USA-275, le rapport du Brigadeführer SS Stroop sur la destruction du ghetto de Varsovie. Aviez-vous entendu parler de cette entreprise avant sa réalisation ? N’avez-vous jamais vu ce rapport ?

ACCUSÉ FRANK

J’ai été surpris lorsque le Procureur Général américain a dit dans son discours d’ouverture, en présentant des documents et des photographies sur la destruction du ghetto de Varsovie, que ce rapport m’avait été adressé, mais entre temps la question a été éclaircie. Ce rapport n’a jamais été rédigé pour moi et ne m’a jamais été envoyé sous cette forme. Et, Dieu merci, quelques témoins et quelques affidavits ont pu préciser ces derniers jours que la destruction du ghetto de Varsovie avait été effectuée sur ordre direct de Himmler, par-dessus toutes les autorités compétentes du Gouvernement Général. Lorsque, au cours de nos réunions, quelqu’un parlait de ce ghetto, on nous disait qu’il y avait eu une insurrection dans le ghetto de Varsovie et qu’on avait dû la mater avec l’artillerie. Les rapports faits à ce sujet ne m’ont jamais paru authentiques.

Dr SEIDL

Quelles mesures avez-vous prises pour assurer le ravitaillement de la population du Gouvernement Général ?

ACCUSÉ FRANK

De nombreuses mesures ont été prises pour rétablir l’agriculture, pour importer des machines, pour enseigner aux paysans les nouvelles méthodes, pour créer des sociétés coopératives, pour distribuer les semences.

Dr SEIDL

Le témoin Bühler en parlera ultérieurement.

ACCUSÉ FRANK

De plus, le Reich nous a grandement aidé à cet égard. Il a dépensé des millions de Mark pour envoyer des semences, des experts agricoles, du bétail, des machines, etc.

Dr SEIDL

Témoin, vous avez dit ce que vous avez fait dans l’intérêt du bien-être de la population du Gouvernement Général. Mais le Ministère Public a présenté contre vous une série de déclarations tirées de votre propre journal et qui semblent contredire ce que vous venez de dire. Comment expliquez-vous cette contradiction ?

ACCUSÉ FRANK

Il faut considérer mon journal dans son ensemble. Vous ne pouvez pas prendre les quarante-trois volumes, en choisir des phrases séparées, et les interpréter en dehors de leur contexte. Je veux déclarer ici que je n’ai pas l’intention de jouer sur les mots. Ce fut une période sauvage et orageuse, remplie de passions et lorsqu’un pays est en feu et livre un combat à mort, on peut facilement utiliser de pareilles expressions.

Quelques-unes sont effroyables et je dois dire que j’ai été moi-même bouleversé par certains mots que j’avais pu employer.

Dr SEIDL

Sous le numéro USA-297, le Ministère Public a présenté un document qui contient le compte rendu d’un entretien que vous avez vraisemblablement eu en 1939 ou 1940 avec un officier de l’administration supérieure de l’Est. Je vais vous communiquer ce document et je voudrais que vous me disiez si son contenu est conforme à ce que vous avez dit. Vous trouverez cela au bas de la page 1, au second alinéa.

ACCUSÉ FRANK

Il s’agit là du résumé d’un discours...

LE PRÉSIDENT

Quel est le numéro ?

Dr SEIDL

Docteur Frank, quel est le numéro ?

ACCUSÉ FRANK

297, je crois.

Dr SEIDL

Non. Sur la couverture, s’il vous plaît.

ACCUSÉ FRANK

Sur la couverture, il y a 344. Je vous rends ce document. Je vous prie de me poser des questions sur des phrases isolées ; il m’est impossible d’en lire tout le contenu.

Dr SEIDL

Il s’agit du numéro 297, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Oui. C’est le document USA-297 (EC-344, 16 et 17). Est-ce cela ?

Dr SEIDL

Parfaitement, c’est exact.

On y lit ce qui suit : « Au cours du premier entretien que le chef du Service central eut avec le ministre du Reich, Frank, le 3 octobre 1939 à Posen, ce dernier expliqua la tâche qui lui avait été confiée par le Führer et les principes politiques et économiques d’après lesquels il avait l’intention d’administrer la Pologne. Il fallait se livrer à une exploitation impitoyable du pays, recruter de la main-d’œuvre pour le Reich », et ainsi de suite. Je viens de résumer ce document, Monsieur le Président.

ACCUSÉ FRANK

Je suis sûr que je n’ai jamais prononcé de telles paroles.

Dr SEIDL

Mais vous n’allez pas dire que vous n’avez jamais conféré avec ces hommes ?

ACCUSÉ FRANK

Je ne m’en souviens pas du tout. De plus, les faits me paraissent plus importants, que les on-dit de cette époque.

Dr SEIDL

Est-il exact que vos activités de Gouverneur Général, ainsi que de nombreux excès de la Police et du SD, ont été provoqués par les bandes de guérillas ?

ACCUSÉ FRANK

On peut dire qu’il s’agit du mouvement de résistance dont l’activité commença dès le premier jour : il était soutenu par nos ennemis et constitua le problème le plus difficile que j’eus à aborder pendant toutes ces années. Car ce mouvement de résistance fournissait constamment à la Police et aux SS des prétextes ou des excuses pour toutes les mesures qui, du point de vue d’une administration ordonnée, étaient fort regrettables. En fait, le mouvement de résistance — je ne parlerai pas d’activité de guérillas, car si un peuple conquis organise un mouvement de résistance actif, c’est après tout une chose respectable — employait des méthodes qui dépassaient les limites d’un soulèvement héroïque. Des femmes et des enfants allemands étaient massacrés dans les circonstances les plus effroyables. Des fonctionnaires allemands étaient assassinés ; des trains déraillaient, les récoltes étaient détruites et toutes les mesures prises pour la renaissance du pays étaient systématiquement sabotées. C’est à la lumière de ces incidents qui se produisaient tous les jours sans relâche, pendant toute la période de mon activité, qu’il faut juger les événements de ce pays. Voilà tout ce que j’ai à dire à ce sujet.

Dr SEIDL

En 1944, une révolte éclata à Varsovie sous la direction du général Bor. Quelle part avez-vous prise à la répression, vous-même et l’administration du Gouvernement Général ?

ACCUSÉ FRANK

Cette révolte éclata lorsque l’Armée soviétique fut parvenue à environ trente kilomètres de Varsovie, sur la rive orientale de la Vistule. Ce fut une sorte d’entreprise combinée ; ce fut aussi, me semble-t-il, une entreprise nationale polonaise, car les Polonais voulurent, au tout dernier moment, libérer eux-mêmes leur capitale et n’en pas être redevables aux armées russes. Ils pensaient probablement à la manière dont, à Paris, la résistance avait libéré la capitale avant même l’arrivée des Alliés.

L’entreprise fut de nature exclusivement militaire ; on nomma comme Chef suprême des troupes allemandes destinées à réprimer cette insurrection, le général von dem Bach-Zelewski. L’administration civile ne prit donc nulle part au combat. Son rôle commença après la capitulation du général Bor, lorsque d’horribles ordres de vengeance nous parvinrent du Reich. Un jour, je reçus une lettre dans laquelle Hitler me demandait de déporter toute la population de Varsovie dans des camps de concentration allemands. Il fallut une lutte de trois semaines, dont je sortis victorieux, pour le dissuader de cette folie et pour obtenir que la population fugitive de Varsovie, qui n’avait pas participé à la révolte, soit éparpillée à travers le Gouvernement Général.

Au cours de cette insurrection, malheureusement, la ville avait été gravement endommagée ; tout ce qui avait été reconstruit pendant ces années fut détruit par les flammes en quelques semaines.

Au reste, pour nous faire gagner du temps, le secrétaire d’État Bühler sera mieux placé pour vous donner des détails.

Dr SEIDL

Témoin, on vous reproche également d’avoir supprimé la vie culturelle de la population du Gouvernement Général, en particulier en matière de théâtre, de radio, et de cinéma. Qu’avez-vous à dire à cela ?

ACCUSÉ FRANK

Le Gouvernement Général était à l’image de tous les pays occupés ; point n’est besoin de s’éloigner beaucoup de cette salle d’audience pour voir ce qu’est la vie culturelle dans un pays occupé.

Il y avait des émissions en langue polonaise sous contrôle allemand, une presse polonaise également contrôlée par les Allemands, et un système scolaire polonais, composé d’écoles primaires et secondaires, dans lesquelles 80.000 instituteurs donnaient leur enseignement sous le contrôle du Gouvernement Général. Les théâtres polonais avaient été, dans la mesure du possible, rouverts dans les grandes villes et là où on avait créé des théâtres allemands, nous nous étions assurés qu’il y avait également des théâtres polonais. Après la proclamation de la guerre totale en août 1944, un absurde état de choses fut créé : le théâtre allemand de Cracovie fut fermé parce que tous les théâtres allemands l’avaient également été, tandis que les théâtres polonais restèrent ouverts.

Je sélectionnai moi-même des compositeurs et des virtuoses, d’un groupe composé de musiciens les plus éminents de la Pologne, que je découvris en 1939, et fondai l’orchestre philharmonique du Gouvernement Général, qui donna des concerts jusqu’à la fin et joua un rôle important dans la vie culturelle de la Pologne.

Je créai un musée Chopin à Cracovie et je fis venir de l’Europe entière des objets ayant appartenu à Chopin.

Je pense que cela suffit.

Dr SEIDL

Témoin, vous niez donc avoir pris des mesures visant à exterminer la culture polonaise et ukrainienne ?

ACCUSÉ FRANK

On ne peut pas exterminer la culture. Même si j’avais pris des mesures dans ce sens, cela aurait été une pure folie.

Dr SEIDL

Est-il exact que vous ayez fait tout ce qui était en votre pouvoir pour améliorer l’état de santé de la population et pour éviter les épidémies ?

ACCUSÉ FRANK

Le secrétaire d’État Bühler pourra confirmer ceci en détail. J’affirme que l’on a fait tout ce qui était humainement possible.

Dr SEIDL

Témoin, le Ministère Public a, sous le numéro URSS-223, présenté un extrait de votre journal qui traite du compte rendu de la séance de la Police du 30 mai 1940 et nous trouvons aux pages 33 à 38...

ACCUSÉ FRANK (interrompant.)

A moins que le Tribunal ne l’ordonne, il est inutile de lire cela.

Dr SEIDL

Je voulais simplement lire une phrase qui se rapporte aux professeurs de Cracovie ; apparemment, si cet écrit est exact, vous avez dit...

ACCUSÉ FRANK

Puis-je dire dès maintenant quelque chose au sujet des professeurs de Cracovie ?

Dr SEIDL

Oui.

ACCUSÉ FRANK

Le 7 novembre 1939, je vins à Cracovie. Le 5 novembre, avant mon arrivée, les SS et la Police, comme je l’ai su plus tard, avaient convoqué les professeurs de Cracovie à une réunion. Ils les arrêtèrent et les envoyèrent tous, y compris de vénérables vieux professeurs, dans un camp de concentration, à Oranienburg, je crois. Je trouvai ce rapport à mon arrivée et malgré tout ce qui peut-être écrit à ce propos dans mon journal, je tiens à affirmer — sous la foi du serment — que je fis des efforts incessants pour faire libérer, en mars 1940, tous les professeurs que je pus encore atteindre. Voilà tout ce que j’ai à dire à ce sujet.

Dr SEIDL

A cette même séance de la Police, du 30 mai 1940, on s’occupa aussi de « l’action AB », c’est-à-dire l’action extraordinaire de pacification.

Avant de vous poser les questions qui s’y rapportent, je voudrais vous donner lecture de deux passages de votre journal. L’un est daté du 16 mai 1940, et après y avoir décrit la situation exceptionnellement tendue qui régnait alors et insisté sur la nécessité d’une action pacificatrice, vous déclarez ce qui suit : « Il faut éviter toute action arbitraire ; dans tous les cas, la sauvegarde de l’autorité du Führer et du Reich doit être mise au premier plan ». Je saute quelques phrases et cite la dernière : « L’action est prévue pour le 15 juin ».

Le 12 juillet, une conférence eut lieu avec le conseiller ministériel Wille, chef du département de la Justice et là, vous avez dit textuellement : « A propos du sort réservé aux criminels politiques arrêtés au cours de l’action AB, une conférence se tiendra avec le secrétaire d’État Dr Bühler, l’Obergruppenführer Krüger, le Brigadeführer Streckenbach et le conseiller ministériel Wille ».

Que se passa-t-il au cours de l’action AB ?

ACCUSÉ FRANK

Je ne puis rien ajouter ni retrancher au contenu du journal : la situation était extrêmement tendue ; mois après mois, les tentatives d’assassinats se multipliaient. L’appui donné par le reste du monde au mouvement de résistance pour saper tous les efforts que nous avions faits pour pacifier le pays, avait réussi à un degré alarmant. C’est ce qui conduisit à cette action générale de pacification, qui fut entreprise non seulement dans le Gouvernement Général, mais dans toutes les autres régions, et fut ordonné par le Führer lui-même. Mes efforts consistèrent à limiter le champ d’action, à assouplir les méthodes de cette entreprise ; j’y ai réussi. Par ailleurs, je voudrais signaler que je manifestai clairement mon intention d’utiliser mon droit de grâce dans chaque cas individuel ; dans ce but, je voulais que les condamnations à mort décidées par la Police et les SS soient présentées à une commission à laquelle j’avais conféré le droit de grâce. C’est également, je crois, ce qui ressort du journal.

Dr SEIDL

Le témoin Bühler sait probablement quelque chose à ce sujet.

ACCUSÉ FRANK

Néanmoins, je voudrais dire que les méthodes qui ont été alors appliquées constituaient une faute impardonnable.

Dr SEIDL

Témoin, avez-vous jamais reconnu le principe introduit par les SD et les SS, de la responsabilité des parents ?

ACCUSÉ FRANK

Non au contraire. Lorsque je reçus les premiers rapports à ce sujet, j’envoyai une lettre de réclamation au ministre du Reich, Lammers, à propos du développement de cette loi.

Dr SEIDL

Le chef de la Police à l’Est était l’Obergruppenführer Krüger. Quand fut-il révoqué et à quelle occasion ?

ACCUSÉ FRANK

Nos relations étaient demeurées très tendues. Il était partisan d’un régime policier, et une seule solution aurait pu mettre fin à cet état de choses, mon départ, ou le sien. Au dernier moment, grâce à l’intervention de Kaltenbrunner, si j’ai bonne mémoire, et de Bach-Zelewski, ce remarquable personnage fut renvoyé.

Dr SEIDL

Le Ministère Public a dit incidemment qu’il s’agissait d’une question de lutte personnelle pour le pouvoir. Est-il exact, au contraire, qu’il s’agit ici d’une différence d’opinions ?

ACCUSÉ FRANK

Bien entendu, c’était une lutte pour le pouvoir. Je voulais établir un pouvoir dans le sens des mémorandums que j’adressais au Führer et je dus combattre toute violence : d’où des différences de vues.

Dr SEIDL

Le successeur du SS-Gruppenführer Krüger a été le SS-Gruppenführer Koppe. Son attitude a-t-elle différente ?

ACCUSÉ FRANK

Oui, j’en ai eu l’impression ; et je pense particulièrement à lui lorsque je dis qu’il y avait dans les SS, des hommes convenables, qui avaient le sens du bien.

Dr SEIDL

Y avait-il une police polonaise ou ukrainienne dans le Gouvernement Général ?

ACCUSÉ FRANK

Oui, il y avait 25.000 Polonais dans la Police de sûreté et la Police criminelle, ainsi qu’environ 5.000 policiers ukrainiens. Ils dépendaient aussi de la Police allemande.

Dr SEIDL

Témoin, j’en viens maintenant à une des questions les plus importantes. En 1942, à Berlin, à Vienne, à Heidelberg et à Munich, vous avez prononcé des discours devant de vastes auditoires. Quel en était le but, et quelles en furent les conséquences ?

ACCUSÉ FRANK

On peut lire ces discours. Ils constituent la dernière tentative que je fis pour convaincre Hitler, en lui montrant l’immense réaction du peuple allemand, que la règle de Droit était immortelle. J’ai déclaré alors qu’un État qui faisait abstraction des droits de l’homme ne pouvait pas subsister longtemps. J’ai dit aussi beaucoup d’autres choses de même nature. Après avoir été mis en surveillance par la Police de Munich pendant plusieurs jours, je fus relevé de toutes mes fonctions à l’intérieur du Parti. Comme il s’agissait d’une affaire de politique intérieure du Reich, je m’abstiendrai d’en dire plus à ce sujet.

Dr SEIDL

Est-il exact qu’à la suite de cet incident vous ayez donné votre démission ? Et quelle fut la réponse ?

ACCUSÉ FRANK

J’étais pour ainsi dire, en état de démission permanente, et on me répondait toujours que, pour des raisons de politique étrangère, il n’était pas possible qu’on acceptât ma démission.

Dr SEIDL

Je m’étais proposé de vous lire un certain nombre de citations de votre journal qui ont été présentées par le Ministère Public. Mais, compte tenu du fait que celui-ci peut y procéder au cours du contre-interrogatoire, j’y renonce pour gagner du temps. Je n’ai plus de questions à poser au témoin.

LE PRÉSIDENT

Un autre avocat désire-t-il poser des questions ?

Le Ministère Public désire-t-il procéder à un contre-interrogatoire ?

COLONEL L. N. SMIRNOV (Avocat Général soviétique)

Accusé, je voudrais savoir exactement quel était votre statut légal et quelles étaient les fonctions que vous remplissiez dans le système de gouvernement fasciste ? Répondez-moi, je vous prie. Quand avez-vous été nommé au poste de Gouverneur Général de la Pologne occupée ? Quel était votre supérieur immédiat ?

ACCUSÉ FRANK

La date de ma nomination est le 26 octobre 1939. Du moins, c’est ce jour-là que l’ordonnance sur la création d’un Gouverneur Général devint effective.

COLONEL SMIRNOV

Vous rappelez-vous que, par un ordre de Hitler du 12 octobre 1939, vous étiez immédiatement subordonné à celui-ci ?

ACCUSÉ FRANK

Je n’ai pas entendu la première partie de la phrase. Que disiez-vous ?

COLONEL SMIRNOV

Vous rappelez-vous l’ordre de Hitler vous nommant Gouverneur Général de la Pologne ? Il était daté du 12 octobre 1939.

ACCUSÉ FRANK

Non, ce ne fut pas effectif, car l’ordonnance entra en vigueur le 26 octobre 1939 et se trouve dans le Reichsgesetzblatt. Auparavant, j’étais chef de l’administration avec le général von Rundstedt, comme je l’ai déjà dit.

COLONEL SMIRNOV

D’après cet ordre de Hitler, vous lui étiez directement subordonné. Vous rappelez-vous le paragraphe 3, article 1 de cet ordre ?

ACCUSÉ FRANK

Les chefs de l’administration des territoires occupés étaient directement sous les ordres du Führer. Je puis, à litre documentaire, signaler qu’il est dit au paragraphe 3 : « Le Gouverneur Général m’est directement subordonné ».

Mais le paragraphe 9 stipule :

« Cette ordonnance entrera en vigueur dès que j’aurai destitué le chef de l’Armée de ses fonctions d’administrateur militaire », et cette destitution, c’est-à-dire la mise en vigueur de cette ordonnance, n’eut lieu que le 26 octobre.

COLONEL SMIRNOV

Je suis entièrement d’accord avec vous et les renseignements contenus dans le livre V du Gouvernement Général nous indiquent que vos souvenirs sont exacts.

Vous souvenez-vous de ce livre ?

ACCUSÉ FRANK

L’ordonnance y est certainement contenue.

COLONEL SMIRNOV

Lorsque cet ordre entra en vigueur, à qui étiez-vous directement subordonné ?

ACCUSÉ FRANK

Que dois-je lire ? Il y a plusieurs phrases ici. Que voulez-vous ? A laquelle voulez-vous que je réponde ?

COLONEL SMIRNOV

Le livre V dit que cet ordre est entré en vigueur le 26 octobre. A qui étiez-vous directement subordonné auparavant ? Existait-il déjà ou non un ordre de Hitler ?

ACCUSÉ FRANK

Non, il n’existait qu’une ordonnance de base sur la nomination du Gouverneur Général. C’est celle-ci.

COLONEL SMIRNOV

Il n’y eut pas d’ordres ultérieurs ?

ACCUSÉ FRANK

Si. Par exemple...

COLONEL SMIRNOV

Oui, je comprends, mais n’y eut-il pas un autre décret précisant le système administratif ?

ACCUSÉ FRANK

Je vous fais remarquer qu’il vaudrait mieux lire la page A-100 de votre livre, où se trouve le texte exact de l’ordonnance du Führer.

COLONEL SMIRNOV

Oui, c’est exact.

ACCUSÉ FRANK

On lit au paragraphe 9 : « Ce décret entrera en vigueur... » etc., et la date est bien le 26 octobre.

COLONEL SMIRNOV

Oui. Ce qui veut dire qu’après le 26 octobre, vous êtes devenu en tant que Gouverneur Général, le subordonné direct de Hitler ?

ACCUSÉ FRANK

Oui.

COLONEL SMIRNOV

Peut-être pouvez-vous vous rappeler quand et par qui vous fut attribuée la tâche d’exécuter le Plan de quatre ans en Pologne occupée ?

ACCUSÉ FRANK

Par Göring.

COLONEL SMIRNOV

Par conséquent, vous étiez le plénipotentiaire de Göring pour exécuter le Plan de quatre ans en Pologne ?

ACCUSÉ FRANK

L’histoire de cette mission est retracée très brièvement. Les activités des différents plénipotentiaires au Plan de quatre ans dans le Gouvernement Général étaient telles que je devais beaucoup m’en occuper. Je me suis adressé au Reichsmarshall et l’ai prié de me nommer responsable du Plan de quatre ans. C’était en janvier...

COLONEL SMIRNOV

Non, c’était en décembre.

ACCUSÉ FRANK

Oui. D’après ce décret, c’était plus tard.

COLONEL SMIRNOV

Par conséquent, en décembre 1939, vous étiez devenu le plénipotentiaire de Göring pour le Plan de quatre ans.

ACCUSÉ FRANK

De Göring, oui. J’étais le plénipotentiaire pour le Plan de quatre ans.

COLONEL SMIRNOV

Peut-être vous rappellerez-vous que le 1er octobre 1939 a paru le premier décret concernant l’administration du Gouvernement Général ?

ACCUSÉ FRANK

Oui, il se trouve ici.

COLONEL SMIRNOV

Peut-être vous rappelez-vous le paragraphe 3 de ce décret, ainsi conçu : « La sphère d’activité du secrétaire d’État à la Sûreté sera déterminée par le Gouverneur Général, en accord avec le Reichsführer SS », et ceci est le passage qui m’intéresse, « avec le chef de la Police ». Cela ne confirme-t-il pas le paragraphe 3, dans la mesure où, le jour de votre nomination au poste de Gouverneur Général, vous avez pris en mains la Police et les SS et assumé par conséquent la responsabilité de leurs actes ?

ACCUSÉ FRANK

Non. Je réponds positivement « non » à cette question, mais je voudrais m’expliquer à ce sujet.

COLONEL SMIRNOV

Que m’importe, accusé...

LE PRÉSIDENT

Laissez-lui donner son explication.

Accusé, vous pouvez vous expliquer.

ACCUSÉ FRANK

Je serai bref. Il existe un vieil axiome juridique d’après lequel « personne ne peut transférer à autrui plus de droits qu’il n’en possède lui-même ». Ce que j’ai dit ici, c’est l’idéal que je m’étais proposé. Chacun doit admettre qu’il est logique et naturel que la Police soit subordonnée au chef de l’administration. Le Führer, qui seul pouvait en décider, n’a pas donné d’ordres à cet égard, je n’avais pas l’autorité nécessaire pour faire appliquer cette ordonnance, que j’avais si soigneusement rédigée. Voilà ce que je voulais dire.

COLONEL SMIRNOV

Dois-je conclure que ce paragraphe 3 représentait pour vous un idéal que vous avez cherché à atteindre, sans pouvoir y arriver ?

ACCUSÉ FRANK

Sans pouvoir y parvenir. La preuve en est que, plus tard, on reconnut qu’il était nécessaire de nommer un secrétaire d’État spécial à la Sûreté, dans un dernier effort pour résoudre le problème.

COLONEL SMIRNOV

Peut-être vous souviendrez-vous qu’en avril 1942, des négociations spéciales eurent lieu entre Himmler et vous ?

ACCUSÉ FRANK

Oui, naturellement. Je ne sais pas sur quoi vous vous basez pour poser cette question. Je me suis toujours efforcé...

COLONEL SMIRNOV

Pour confirmer ces faits, je peux me reporter à votre journal. Peut-être vous souviendrez-vous que vous vous êtes mis d’accord avec Himmler à la suite de ces entretiens ?

ACCUSÉ FRANK

Oui. Un accord a été réalisé.

COLONEL SMIRNOV

Pour vous rafraîchir la mémoire, je vais vous faire remettre le volume correspondant de votre journal afin que vous en ayez le texte devant vous.

ACCUSÉ FRANK

Oui, je suis prêt.

COLONEL SMIRNOV

Je me réfère au paragraphe 2 de cet accord.

LE PRÉSIDENT

Où puis-je le trouver ? Est-ce à la date du 21 avril 1942 ?

COLONEL SMIRNOV

Parfaitement, c’est exact.

LE PRÉSIDENT

Très bien. J’y suis.

COLONEL SMIRNOV

C’est le document URSS-223. Il est traduit en anglais et va vous être transmis.

LE PRÉSIDENT

Oui, je crois que nous l’avons maintenant, nous avons trouvé l’endroit.

COLONEL SMIRNOV

C’est à la page 18 du texte anglais. Je vous demanderai de vous souvenir du contenu de ce paragraphe :

« Le chef de la Police et des SS (le secrétaire d’État) dépend immédiatement du Gouverneur Général, et si celui-ci est absent, de son représentant ». Cela ne veut-il pas dire que Himmler approuvait votre « idéal » d’après lequel la Police devait vous être subordonnée ?

ACCUSÉ FRANK

Assurément. Ce jour-là j’étais satisfait, mais peu de jours après tout avait changé.

Je puis seulement dire que j’ai continué mes efforts, mais qu’il fut malheureusement impossible d’obtenir des résultats. Vous verrez au paragraphe 3 que le Reichsführer SS avait, d’après l’ordonnance du Führer, le droit de donner des ordres au secrétaire d’État. Vous voyez que Himmler s’était réservé le droit de donner des ordres directement à Krüger : Puis vient la question de l’accord...

COLONEL SMIRNOV

C’est exact. Mais alors je vous demanderai de vous référer à une autre partie du document...

ACCUSÉ FRANK

Puis-je dire encore que cet accord n’a jamais été réalisé, mais qu’il fut publié dans le Reichsgesetzblatt sous la forme d’un décret du Führer. Malheureusement, je ne me rappelle pas la date, mais vous pouvez trouver le décret réglant les questions de sécurité dans le Gouvernement Général ; c’est le seul document faisant autorité. Dans ce cas encore, il est fait allusion au « décret du Führer attendu » ; cet accord n’était que le projet de ce qui devait figurer dans le décret du Führer.

COLONEL SMIRNOV

Oui, c’est précisément à cela que je voulais en venir. Vous convenez que cette décision était un ordre du Führer ?

ACCUSÉ FRANK

Je ne puis le dire sur-le-champ. J’aimerais pouvoir vous répondre après avoir lu les termes du décret du Führer.

COLONEL SMIRNOV

Bien, Monsieur le Président, cet ordre se trouve également dans votre livre de documents.

ACCUSÉ FRANK

Je n’ai pas le document : il me semble que l’essentiel de cet accord a été inséré dans ce décret avec quelques changements. Mais on m’a enlevé le livre et je ne puis faire de comparaison.

LE PRÉSIDENT

Le livre va vous être remis.

ACCUSÉ FRANK

Oui, des modifications très importantes ont malheureusement été apportées à ce texte.

COLONEL SMIRNOV

Je vous demande de vous reporter au troisième paragraphe du décret de Hitler du 7 mai 1942. Il y est dit que le secrétaire d’État à la Sûreté se trouve directement subordonné au Gouverneur Général. Cela n’est-il pas une confirmation du fait que la Police du Gouvernement Général était placée directement sous vos ordres ?

ACCUSÉ FRANK

Il n’en est rien. La Police ne m’était pas subordonnée, même en vertu de ce décret, mais seulement le secrétaire d’État à la Sûreté.

Si vous lisez le paragraphe 4, vous verrez surgir de nouvelles difficultés. Le décret d’Adolf Hitler a naturellement été préparé en mon absence. Hitler ne m’a pas consulté, car j’aurais protesté ; de toute façon, son application était impossible. Le paragraphe 4 dit que le Reichsführer SS et chef de la Police allemande donnait directement des instructions au secrétaire d’État à la Sécurité dans le domaine de la sécurité et du renforcement du germanisme. Si vous comparez ces données avec l’accord original qui figurait auparavant dans mon journal, vous constaterez que cette question du commissaire au renforcement du germanisme est l’une des plus importantes sur laquelle Hitler ait changé d’avis. Ce titre embrasse la question juive et celle de la colonisation.

COLONEL SMIRNOV

Il me semble, accusé, que vous n’avez pris en considération qu’un aspect de la question et que vous en avez donné une interprétation unilatérale. Permettez-moi de vous rappeler le quatrième paragraphe qui est ainsi rédigé :

« Le secrétaire d’État » — il s’agit de Krüger — « doit obtenir l’accord du Gouverneur Général pour l’exécution des ordres du Reichsführer SS, chef de la Police allemande ». Permettez-moi de passer au paragraphe 5 ou Hitler dit :

« En cas de divergence de vues entre le Gouverneur Général et le Reichsführer SS, chef de la Police allemande, ma décision doit être sollicitée par l’intermédiaire du ministre du Reich, chef de la Chancellerie du Reich. »

Ce paragraphe ne témoigne-t-il pas des pouvoirs considérables qui vous furent accordés à l’égard des chefs de la Police et des SS du Gouvernement Général et de votre responsabilité des actes commis par ces organisations ?

ACCUSÉ FRANK

Le texte de l’ordonnance tend en effet à l’établir, mais les faits démontrent le contraire. Je crois que nous en parlerons en détail. Je prétends que cette nouvelle tentative faite pour obtenir une influence sur les SS et la Police a également échoué.

COLONEL SMIRNOV

Permettez-moi alors de vous demander de qui émanait cette tentative ? Probablement de Hitler qui a signé cette directive ? Krüger était-il plus puissant que lui ?

ACCUSÉ FRANK

La question ne me paraît pas très compréhensible. Vous voulez dire que Krüger alla contre le décret du Führer ? Bien sûr, mais cela n’a rien à voir avec le pouvoir. Himmler considéra cela comme une énorme concession à me faire. Je tiens à vous demander de vous reporter à un mémorandum de l’été 1942, peu après la promulgation de ce décret du Führer.

COLONEL SMIRNOV

Je vous poserai maintenant la question suivante...

LE PRÉSIDENT

Nous allons suspendre l’audience.

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.)