CENT DOUZIÈME JOURNÉE.
Mardi 23 avril 1946.
Audience de l’après-midi.
Le Tribunal a appris avec le plus vif regret la nouvelle de la mort du Chief Justice Harlan F. Stone, président de la Cour suprême des États-Unis d’Amérique.
Sa disparition sera profondément ressentie en Amérique où il s’est montré un haut fonctionnaire de valeur. Mais il convient que ce Tribunal, où siègent les représentants des États-Unis, exprime sa sympathie au peuple américain à l’occasion de cette grande perte.
Après avoir été doyen de la Faculté de Droit à l’Université Columbia, il fut nommé Attorney Général des États-Unis en 1923 et, deux ans plus tard, juge adjoint à la Cour suprême des États-Unis. En 1941, il devint Chief Justice, et remplit ces hautes fonctions avec une habileté admirable et selon les traditions les plus élevées.
Le Tribunal désire que j’exprime sa sympathie à l’occasion de la grande perte que vient de subir le peuple américain.
M. Justice Jackson, Procureur Général américain et membre de cette Cour suprême présidée par le défunt, désirera peut-être ajouter quelque chose.
Ce n’est pas seulement, Messieurs, parce qu’il était le chef du système judiciaire des État-Unis que la nouvelle de la mort du juge Harlan F. Stone éveille un sentiment de tristesse dans chaque cœur américain de Nuremberg, mais parce qu’il était l’ami personnel de plusieurs d’entre nous.
Il avait une rare capacité d’amitié. Nul n’était si bon ni si prévenant pour les jeunes qui, de temps à autre, se présentaient à Washington et qui trouvaient en lui un guide un philosophe et un ami. Et je sais que je ne suis pas le seul à ressentir la perte d’un ami personnel ; les représentants américains du Tribunal, M. Biddle et M. Parker, éprouvent le même sentiment, et beaucoup de nos jeunes collaborateurs avaient avec lui des relations amicales à un point qu’il est difficile d’imaginer lorsqu’on ne l’a pas connu dans l’intimité.
Comme Attorney Général, il a pris la tête du Département de la Justice à une période extrêmement difficile. Il le marqua du sceau de son intégrité, qualité qui, nous le savons, est devenue traditionnelle au Département de la Justice. Comme juge à la Cour suprême, c’était un homme aux vues larges, à l’esprit ouvert, toujours disposé à entendre les arguments des deux parties, pour arriver à une décision empreinte de l’objectivité et du désintéressement caractéristiques du juge parfait. Il a présidé avec beaucoup de loyauté et de bonté à l’égard de ses collaborateurs et de ceux qui comparaissaient devant lui.
Un homme est mort qui, dans sa vie publique, a donné l’exemple de ces qualités solides que nous aimons à reconnaître comme celles du citoyen de la Nouvelle Angleterre. Voilà qui pourra consoler ses amis : il est mort de la mort qu’il aurait choisie, c’est-à-dire en pleine possession de ses facultés et dans l’exercice de ses fonctions.
Je suis très sensible au fait que le Tribunal ait estimé devoir faire état de ce décès et ainsi attirer notre attention au nom du barreau américain sur notre estime pour ses talents et son caractère.
Colonel Smirnov.
Monsieur le Président, avant d’aborder l’interrogatoire du témoin, je dois faire la déclaration suivante : au cours de l’interrogatoire par le Dr Seidl, celui-ci a déclaré que le document constitué par un appendice officiel au rapport du Gouvernement polonais était un faux. Cet appendice se rapporte aux pertes subies par la République polonaise, dans le domaine culturel. Le Ministère Public n’a pas l’intention d’entrer dans des discussions, mais il tient à souligner que ce document est officiel et qu’il considère la déclaration du témoin comme mensongère.
Témoin, avez-vous quelque chose à dire ?
Oui, j’allais dire qu’il s’agissait d’un document contenant une liste d’œuvres d’art.
Colonel Smirnov, ce document contient-il une liste d’œuvres d’art ?
Ce n’est pas ce que je voulais dire. Non, Monsieur le Président. C’est une liste des trésors culturels disparus. C’est une liste des bibliothèques et des pertes qu’elles ont subies au cours de l’occupation allemande en Pologne.
S’agit-il du document URSS-93 ? Est-ce celui auquel vous faites allusion ?
Oui, c’est une annexe au document URSS-93, le rapport officiel du Gouvernement polonais.
Oui, il y est question de certaines directives. C’est un document qui a été déposé ce matin.
Non, Monsieur le Président, c’est une liste des pertes subies. C’est une annexe officielle au rapport du Gouvernement polonais. Elle ne contient pas de directives, mais donne le chiffre des pertes subies par les bibliothèques publiques de Pologne.
Témoin, avez-vous quelque chose à déclarer là-dessus ?
Oui. Je ne crois pas que la description qui vient d’être donnée concorde avec ce à quoi je pensais. Le document que je conteste contient des directives sur la politique culturelle allemande dans le Gouvernement Général. Il n’est pas question d’œuvres d’art ni d’inventaires de bibliothèques.
J’ai cru comprendre que vous aviez dit ce matin que les directives qui, pensiez-vous, figuraient dans ce document, semblaient n’avoir jamais été données, ou en tout cas qu’elles vous étaient inconnues et que vous les considériez comme un faux ?
Oui, j’ai mis en doute la véracité du document.
Le Tribunal l’examinera.
Puis-je poser la question suivante ?
Oui.
Vous affirmez que, ni vous, ni l’administration du Gouvernement Général n’aviez de rapports étroits avec l’activité de la Police. Est-ce exact ?
Puis-je vous demander de répéter votre question ?
Vous affirmez que, ni vous ni l’administration du Gouvernement Général, n’aviez de rapports étroits avec l’activité de la Police ? Ai-je bien compris votre déclaration ?
Nous avions des rapports quotidiens avec la Police, mais il y avait entre elle et nous des divergences d’opinion. De plus, la Police n’était pas sous mes ordres. Son chef ne m’était subordonné en aucune manière.
La Police ne dépendait donc pas de vous ?
Non, je n’avais rien à voir avec elle.
Comment alors expliquer que vous ayez été le seul à entreprendre des négociations couronnées de succès avec la Police au sujet de la gestion des biens des Juifs exterminés dans les camps de concentration ? Vous souvenez-vous de ces négociations avec la Police ?
Je n’ai pas bien compris la question.
Je vous demande ceci : puisque-vous n’aviez aucun rapport avec la Police, comment expliquez-vous que vous seul ayez pu entreprendre avec elle des négociations couronnées de succès sur la gestion des biens des Juifs exterminés dans les camps de concentration ? Vous souvenez-vous de ces pourparlers ?
Je ne me rappelle pas avoir entamé de tels pourparlers. En tous cas, c’était l’administration qui, en vertu du Plan de quatre ans, était chargée de procéder à la confiscation des biens juifs.
Monsieur le Président, je demande l’autorisation de présenter le document qui nous a été transmis par le Ministère Public américain et qui porte le numéro PS-2819. C’est un ordre donné par la Direction économique du Gouvernement Général aux gouverneurs de Varsovie, de Radom, de Lublin et de Galicie. J’en cite le passage suivant :
« Objet : Transfert par les SS de la propriété mobilière juive au Gouvernement Général. Je vous informe par la présente que le 21 février 1944 il a été convenu, en présence de plusieurs chefs de service, entre le secrétaire d’État Bühler et le Chef suprême des SS et de la Police, l’Obergruppenführer Koppe, que la propriété mobilière juive qui se trouve ou se trouvera dans des dépôts, sera mise par les SS à la disposition du Gouvernement Général. J’ai donc ordonné que ce soit fait dans le plus bref délai. Les biens confisqués et mis à l’abri m’ont donc été remis par le chef de la Police de sûreté et du SD. Veuillez entrer en contact avec le chef local de la Police et des SS et vous entendre avec lui... »
Témoin, vous prétendez encore que vous n’aviez aucune relation avec la Police ?
J’étais quotidiennement en relations officielles avec la Police ; je ne veux pas le nier un seul instant ; mais je n’avais pas le droit de lui donner des ordres.
En tout cas, les biens des Juifs exterminés dans les camps de concentration de Pologne furent, à la suite de vos négociations, transférés dans les dépôts du Gouvernement Général.
Non, ce n’est pas exact. Ces biens n’étaient pas ceux des Juifs assassinés. C’étaient des biens juifs saisis par la Police, après avoir été confiés à l’administration par les voies légales.
La Police de sûreté et le SD pouvaient donc détenir les biens des Juifs qui n’avaient pas été assassinés ?
Pourquoi pas ? Dès le début, la Police a confisqué à son profit les biens juifs et se les est ainsi adjugés par la suite.
Y avait-il également dans le dépôt qui se trouvait à Auschwitz, rue Chopin, des biens appartenant à des Juifs qui n’étaient pas morts ?
Les dépôts qui sont mentionnés ici n’ont pas à être considérés comme des dépôts des camps de concentration, mais comme des entrepôts de marchandises.
Quels étaient les autres entrepôts de biens mobiliers juifs, en dehors de ceux des camps de concentration ?
Je ne sais pas comment les choses se passaient dans les camps de concentration. Je n’y ai jamais pénétré et je n’en ai jamais vu ; mais que la Police se soit emparée des biens mobiliers des Juifs, c’est une chose que le directeur des services, qui étaient sous mon autorité, m’a certainement dite.
Ma question est celle-ci : en 1944, alors que les usines de la mort fonctionnaient à plein rendement, à Maïdanek et à Auschwitz, quels étaient les autres entrepôts de biens mobiliers juifs, en dehors de ceux des camps de concentration ? Le savez-vous ?
Les Juifs étaient dépouillés de leurs biens sur place. Je n’ai jamais supposé qu’on pouvait trouver des biens juifs à l’intérieur des camps. Ceux-ci m’étaient inconnus. Je ne savais pas exactement où la Police avait entreposé ces biens, mais ces dépôts ont dû exister.
Je vous prie de porter votre attention sur la date du 21 février 1944 ? Y avait-il encore à ce moment-là des Juifs vivant en Pologne ou les ghettos juifs étaient-ils déjà vides.
Les ghettos juifs étaient vides, mais il y avait encore des Juifs. Je le sais, car on les employait d’une façon ou d’une autre dans les usines d’armement. Les biens juifs ne pouvaient être emmenés en dehors du territoire : ils ont dû rester quelque part dans le Gouvernement Général vraisemblablement dans le voisinage des ghettos ou des lieux où on avait procédé à l’évacuation des Juifs. Et, je le répète, ce télégramme ne concerne pas les dépôts des camps. Il y avait partout des dépôts de biens provenant des confiscations imposées aux Juifs transplantés.
Les ghettos juifs étaient donc déjà vides ? Qu’arriva-t-il donc aux Juifs de Pologne ?
Lorsque leurs ghettos furent vidés, j’ai supposé qu’on les avaient transférés vers le nord-est de l’Europe. Le chef du RSHA m’a dit, au cours de la conférence de février 1942, que c’était là son intention.
Le 21 février 1944, le front passait par le Gouvernement Général. Comment aurait-on pu transférer les Juifs dans le nord-est ?
D’après la conférence, cela devait avoir lieu en 1942.
Le document est daté du 21 février 1944 ?
Oui.
Je passe à la question suivante : Le fait que les chefs de la Police assistaient à toutes les entrevues ménagées par le Gouverneur Général pour aborder uniquement des questions de Police, ne prouve-t-il pas qu’il existait des relations étroites entre les services administratifs du Gouverneur Général et la Gestapo ?
J’ai déjà dit, au début, que le Gouverneur Général pensait que la Police devait être sous ses ordres. C’est pourquoi il la convoquait constamment à ses réunions. Mais cela n’empêchait pas la Police de faire ce qu’elle voulait et d’employer ses propres méthodes.
Mais le Gouverneur Général n’a-t-il pas tenu des conférences pour traiter exclusivement et directement de problèmes de Police ?
De temps en temps, oui.
Dites-moi qui a été nommé à la place de Krüger lorsqu’il fut relevé de ses fonctions de chef de la Police ?
Si j’ai bonne mémoire, Krüger fut remplacé en novembre 1943 par l’Obergruppenführer Koppe dans son service de Cracovie.
Quelles furent vos relations personnelles avec Koppe ?
Du temps de Krüger, les relations avec la Police avaient toujours été hostiles, et chaque fois que l’administration avait formulé un vœu quelconque au sujet de la Police, Krüger l’avait repoussé. Après le départ de celui-ci, j’ai donc essayé d’établir des rapports de camaraderie avec son successeur afin de pouvoir influencer la Police et les méthodes qu’elle employait.
Répondez brièvement. Quelles furent vos relations personnelles avec Koppe ; furent-elles bonnes ou mauvaises ?
Elles revêtaient une certaine forme amicale.
Je voudrais vous montrer un passage du document PS-2233, que vous trouverez, Monsieur le Président, à la page 38 du texte anglais, paragraphe 2. C’est une déclaration faite par Frank à Himmler lors d’une conférence du 12 février 1944 à Posen :
« Après avoir échangé des salutations, le Reichsführer SS Himmler entra immédiatement en conversation avec moi et avec l’Obergruppenführer SS Koppe. Le Reichsführer me demanda comment je collaborais avec le nouveau secrétaire d’État à la sûreté, Koppe. Je lui dis, qu’à ma grande satisfaction, il y avait entre moi et Koppe, ainsi qu’entre celui-ci et le secrétaire d’État Dr Bühler, des relations extrêmement amicales. »
Cette déclaration correspond-elle à la réalité ?
A cette époque, Koppe ne se trouvait que depuis quelques semaines dans le Gouvernement Général. Cette déclaration confirme ce que j’ai dit au début, à savoir qu’après, le départ de Krüger, j’ai essayé d’entretenir avec Koppe des rapports de camaraderie dans le but d’acquérir une certaine influence sur la Police du Gouvernement Général. Il n’y a donc pas eu de conflit jusqu’à cette époque.
Et entre Koppe et vous-même, il y avait une collaboration très amicale ?
Je répète que mes relations avec Koppe étaient amicales. En dehors de cela, les problèmes que nous devions traiter nous réunissaient quotidiennement, comme, par exemple, celui des biens juifs, qu’il aurait été impossible d’aborder avec Krüger, qui considérait que tous les biens juifs appartenaient aux SS.
Lorsque Koppe assuma les fonctions de chef de la Police, se produisit-il un changement à l’égard de la population polonaise ? Les mesures de Police sont-elles devenues moins sévères ?
Je crois qu’elles sont devenues plus douces.
Je vous demande de regarder le compte rendu d’une conférence qui eut lieu à Cracovie, le 16 décembre 1943. Je demande qu’on transmette l’original au témoin. A propos, est-ce votre signature qui figure à la page 154 ?
Séance du Gouvernement du 16 décembre 1943 ? Oui, c’est ma signature.
Dites-moi, vous souvenez-vous d’Ohlenbusch ?
C’était le chef du service principal de la propagande.
Avait-il un rapport quelconque avec la Police ou l’Administration ?
Ohlenbusch participait aux conférences gouvernementales auxquelles la Police prenait également part.
Mais d’après ses fonctions, n’avait-il pas lui-même des rapports avec la Police ou non ?
En tant que fonctionnaire de l’État et chef d’une administration gouvernementale, il avait évidemment des relations officielles avec la Police.
Mais c’était un fonctionnaire de votre administration, qui était sous vos ordres ?
Bien entendu, oui. De par sa position officielle, il était sous mes ordres.
Je vous lirai un court extrait à la page 176. Les membres du Tribunal pourront le trouver à la page 33 de leur livre de documents, paragraphe 3 : c’est un discours d’Ohlenbusch :
« Il serait bon de savoir si, pour des raisons de commodités, on ne pourrait pas, dans la mesure du possible, procéder à une exécution immédiate dans le cas d’un attentat contre un Allemand. Peut-être pourrait-on également envisager à cet effet la création d’endroits spéciaux, puisqu’on a confirmé que la population polonaise affluait vers les lieux d’exécution accessibles à tout venant et emportait des morceaux de terre imprégnée de sang dans des récipients pour les placer dans les églises. » (Document PS-2233.) Ne considérez-vous pas cela comme une mesure policière ?
Dans ma traduction il n’est pas question de seaux de sang, mais de récipients. Je ne crois pas que l’on puisse transporter du sang dans des seaux.
Nous parlons ici des récipients dans lesquels on mettait la terre imbibée de sang. Ne croyez-vous pas que la création de lieux secrets d’exécution constituait une mesure qui intéressait exclusivement la Police ?
Je fus tout à fait de cet avis. C’est pourquoi je l’ai désapprouvé. Mais peut-être puis-je ajouter qu’au même moment, des passants allemands étaient quotidiennement assassinés dans le dos, à Varsovie et à Cracovie, sans aucun motif, et que cet état de choses était dû...
Je ne vous parle pas de cela, témoin. Ne trouvez-vous pas que cette question, qui a été débattue sur l’initiative d’Ohlenbusch, prouve clairement que même les petits fonctionnaires de l’administration civile s’ingéraient dans les affaires de la Police et avaient des rapports directs avec elle ?
Non, je ne l’affirmerais pas. Mais cela n’a pas été proposé comme une mesure policière, mais est simplement né de la menace qui pesait sur tous les Allemands à cette phase de l’occupation.
Cette question des lieux secrets d’exécution a-t-elle été soulevée par l’initiative d’Ohlenbusch ? Vous n’allez pas le nier ?
Je ne sais pas si cette question a été débattue. A mon avis, il n’y eut pas...
Vous avez devant vous le compte rendu dactylographié de cette conférence à laquelle vous assistiez ?
Oui, il y a des déclarations d’Ohlenbusch. Son nom est bien mentionné ici.
Je passe à la question suivante : à cette conférence, l’Obergruppenführer SS Koppe n’a-t-il pas pris la parole en ces termes je cite un court extrait que les membres du Tribunal pourront trouver à la page 34, au second paragraphe, et qui est à la page 180 de votre livre de documents (document PS-2288) :
« Pour punir l’attaque de la ligne de chemin de fer et le meurtre de deux fonctionnaires allemands, 150 terroristes polonais, d’une part, et 50 autres, d’autre part, ont été exécutés soit sur place, soit à proximité. Il faut se souvenir que l’exécution de 200 personnes en affecte près de 3.000 (les membres de leur famille). »
Cela ne prouve-t-il pas le fait qu’à l’arrivée de Koppe, on employa les mêmes mesures de répression sauvage à l’égard du peuple polonais ?
Les exécutions de ces 150 et 50 autres personnes dont il est question ici ne sont rien d’autre que des exécutions d’otages qui n’ont jamais eu ni l’approbation du Gouverneur Général, ni la mienne. Si cependant j’ai déclaré que, dans l’ensemble, le régime Koppe m’avait semblé plus clément je dois m’en tenir à ma déclaration.
Vous voulez dire par là que le système des otages n’a jamais eu votre approbation ni celle du Gouverneur Général ?
Ni mon approbation, ni celle du Gouverneur Général.
Voulez-vous regarder à la page 185 du document qui est en votre possession. Je cite :
« Le Gouverneur Général exprima à l’Obergruppenfuhrer SS Koppe sa gratitude et sa reconnaissance pour son travail fructueux et se déclara heureux de constater qu’un expert si qualifié se trouvât à la tête de la Police du Gouvernement Général. Il promit à Koppe la collaboration active de tous les services du Gouvernement Général et lui souhaita le succès dans son travail. »
Comment devons-nous interpréter cette déclaration à la lumière de votre réponse précédente ?
Cette déclaration du Gouverneur Général ne se rapporte pas à ces 200 personnes. Elle s’applique à l’ensemble des tâches accomplies par Koppe dans le Gouvernement Général. Et l’un des principes qui devaient diriger ce travail — et dont j’ai contribué à l’établissement — était la cessation des exécutions d’otages. Il est fort possible que dans le cas qui nous intéresse le principe n’ait pas été appliqué.
Veuillez attendre un instant. Vous venez de voir à la page 180 le rapport de Koppe sur les exécutions d’otages. Là-dessus, le Gouverneur Général a donné son approbation. Cela veut dire que c’est précisément cette activité qu’il a approuvée ?
Ce n’était pas là la seule déclaration de Koppe. L’approbation du Gouverneur Général s’appliquait à toutes ses déclarations et non pas à certains extraits.
Bien. Dans ce cas, il a aussi approuvé ce rapport ?
Mais je sais que le Gouverneur Général a fait pression avec moi sur Koppe pour faire cesser ces exécutions d’otages.
Veuillez me dire qui, lorsque Krüger était encore chef de la Police, a donné des ordres pour que l’on fusille un habitant du sexe masculin par chaque maison où était affichée l’annonce d’une fête nationale polonaise ?
Je l’ignore.
Je demande qu’on vous transmette le document correspondant. Il est à la page 1, paragraphe 7 du livre de documents : « Le Gouverneur Général a reçu le chef de district, le Dr Wächter, qui lui a rapporté que dans certaines régions on avait vu des affiches incendiaires à propos du 11 novembre (jour de l’indépendance polonaise). Le Gouverneur Général a ordonné que dans chaque maison comportant une affiche, un habitant du sexe masculin soit fusillé. Ces instructions doivent être exécutées par le chef de la Police. Par mesure de précaution, le Dr Wächter a pris 120 otages à Cracovie ».
Vous souvenez-vous de cela ? Qui donc a introduit cette pratique criminelle de prise des otages ?
Pouvez-vous prétendre que j’assistais à cette conférence ?
Je vous demande de répondre à autre chose.
Je vous prie de répondre à ma question :
étais-je présent oui ou non ?
Je ne suis pas obligé de répondre à votre question ; c’est vous qui devez répondre à la mienne ; c’est moi qui interroge et non pas vous. Veuillez répondre à la question suivante : vous résidiez à Cracovie. Agissant sur les ordres de Frank, le Dr Wächter a arrêté 120 otages par mesure de précaution. Vous prétendez ignorer ces faits ?
J’ignore cette mesure ; j’ignore également que des otages aient été fusillés.
Je vous demande de répondre à la question suivante. J’ai cru comprendre, d’après ce que vous avez déclaré aujourd’hui, qu’il n’y a pas eu de famine en Pologne ?
C’est exact.
Je demande que l’on vous présente le discours prononcé par le secrétaire d’État Dr Bühler, c’est-à-dire vous-même, au cours d’une conférence de travail à Cracovie, le 31 mai 1943.
Je commence la citation :
« L’administration du Gouvernement Général s’est rendu compte depuis longtemps que l’insuffisance des rations attribuées aux personnes de nationalité non allemande ne tardera pas à avoir pour conséquence que la population devra se tirer d’affaire par ses propres moyens ou se révolter. Les difficultés du ravitaillement qui ont évidemment un effet néfaste sur le moral de la population, et la politique exagérément maladroite des salaires et des prix, ont poussé une partie de la population polonaise au désespoir. »
Avez-vous dit cela ?
J’ai entendu la première partie, mais pas la dernière phrase.
Veuillez examiner le texte. Vous y trouverez tout ce que je viens de lire : « ... ont poussé une partie de la population polonaise au désespoir. »
Voulez-vous me montrer l’endroit ? Ah ! Oui... j’ai fait ces déclarations et...
J’ai une autre question à vous poser. Ne croyez-vous pas que votre déclaration de 1943 démontre que vous avez porté aujourd’hui un faux témoignage devant le Tribunal ?
Non, non, j’ai voulu dire que la population se tirerait d’affaire toute seule. Lorsque par exemple un ouvrier s’absentait pendant trois jours du lieu de son travail pour partir en quête de nourriture, je considérais qu’il y avait là une démarche désespérée de sa part. Mais j’ai affirmé ce matin qu’il était difficile à la population de se procurer le ravitaillement nécessaire, mais que cela n’était pas impossible, ce qui m’a amené à déclarer qu’il n’y avait pas de famine dans le Gouvernement Général. Et je vous ferais remarquer que 80% de la population vivait à la campagne, de sorte que l’on n’aurait pu parler de grande famine que si le pays avait été complètement pillé, ce qui n’était pas le cas.
Vous disiez que, par suite du rationnement établi, une révolte était possible et que la faim poussait la population au désespoir. Cela ne prouve-t-il pas que la famine régnait dans le pays ?
Par « révolte », je voulais dire agitation et non pas insurrection armée. Il est évident que l’ordre et l’ardeur au travail souffraient de l’insuffisance de la ration alimentaire. J’ai expliqué ce matin pourquoi on ne pouvait pas assurer le ravitaillement de la population d’une façon convenable. D’autre part, il y avait un tel marché noir que même l’ouvrier pouvait, s’il avait du temps, se procurer des vivres. S’il n’avait pas le temps, il le prenait. Voilà pourquoi je disais que les ouvriers se tiraient d’affaire tout seuls.
Je vous prie de répondre à la question suivante. Les possibilités de s’instruire qui, d’après le plan de Frank et de Goebbels, étaient laissées aux Polonais, ne se bornaient-elles pas à leur montrer plus clairement la destinée désespérée de leur nation ?
On remarquait que des efforts étaient faits pour abaisser le niveau intellectuel du peuple polonais. Ces tendances émanaient de Himmler et de Berlin.
Dites-moi ce qui fut fait dans le domaine universitaire.
Les universités ont été fermées et n’ont pas été rouvertes ; cependant, des cours professionnels ont été organisés à Varsovie et à Lemberg, où l’enseignement universitaire était donné. Mais il faut dire que ces cours devaient être supprimés à la demande du Reich.
Peut-être reconnaîtriez-vous la signature de celui qui a promulgué le décret ordonnant la fermeture des universités ? Il s’agit d’un rapport officiel.
Le décret concernant la nomination des délégués universitaires fut signé par le Gouverneur Général, le 1er novembre 1940.
Veuillez me dire si les Seules écoles techniques sont restées ouvertes en Pologne ?
Les écoles techniques ne furent pas les seules à être rouvertes. Il y eut également des écoles de commerce, qui eurent un très grand succès. De plus, les écoles artisanales et les écoles primaires furent organisées sur une vaste échelle.
Autrement dit, seules subsistaient ces écoles pour artisans et employés de commerce de dernière catégorie ?
Je ne sais si les petits ou les gros commerçants fréquentaient ces écoles. De toute façon, les écoles commerciales étaient autorisées.
Sur l’initiative de qui le palais royal de Varsovie a-t-il été détruit ?
Je ne sais pas exactement. J’ai entendu dire un jour que le Führer avait exprimé le désir de faire détruire le palais royal de Varsovie, qui était déjà gravement endommagé.
Et sur l’ordre personnel de qui ce château royal de Varsovie a-t-il été détruit ?
Je ne sais pas si on l’a fait sauter.
Il a été détruit. Savez-vous sur l’ordre de qui ?
Je l’ignore.
La citation que je voudrais vous lire se trouve à la page 1 de la traduction que nous avons remise au Tribunal ; elle est très courte. Je la lis :
« Le Führer étudia la situation avec le Gouverneur Général, approuva l’activité qu’il déployait en Pologne, notamment la destruction du palais de Varsovie, et son intention de ne pas reconstruire la ville... »
N’est-il pas vrai que ce palais a été détruit sur l’ordre de Frank ?
Je ne sais même pas que ce château a été détruit. A ma connaissance, un projet de destruction avait été fait, mais on y renonça par la suite.
N’était-ce pas en votre présence que, le 21 avril 1940, l’accusé Frank a donné des ordres pour l’application de mesures de Police pendant le « recrutement de la main-d’œuvre » ?
Je voudrais voir le procès-verbal. Je ne peux pas me le rappeler. (Le document est remis au témoin.)
Le passage que je voudrais lire se trouve à la page 46 du livre de documents, au dernier paragraphe.
« Conférence avec le secrétaire d’État, Dr Bühler, le SS-Obergruppenführer Krüger et le Dr Frauendorfer, en présence du ministre du Reich, le Dr Seyss-Inquart. Sujet : déportation des ouvriers (en particulier des ouvriers agricoles) vers le Reich.
« Le Gouverneur Général déclara que toutes les mesures prises pour assurer l’appel... etc., ayant été infructueuses, il fallait en conclure que les ouvriers polonais se dérobaient à l’obligation de travailler, soit par malveillance, soit avec l’intention de nuire indirectement à l’Allemagne, en ne se mettant pas à sa disposition. Il demande donc au Dr Frauendorfer s’il y avait encore d’autres mesures que l’on n’aurait pas utilisées pour amener les Polonais à venir travailler volontairement. Le Dr Frauendorfer répondit par la négative. Le Gouverneur Général déclara avec force qu’il réclamait une décision finale. La question était désormais de savoir s’il ne fallait pas recourir à des mesures coercitives. »
N’y avait-il pas là un ordre à l’effet de prendre des mesures de contrainte pour le recrutement de la main-d’œuvre ?
Je ne veux pas contester cette déclaration après en avoir lu le procès-verbal ; elle fait partie des paroles prononcées par le Gouverneur Général qui, je crois, ne l’ont pas toutes été volontairement ; mais elle ne change en rien l’attitude que j’ai adoptée à l’égard de ces événements.
Veuillez répondre à la question suivante : n’assistiez-vous pas, le 18 août 1942, à une conférence entre Frank et Sauckel ? Et n’est-ce pas en votre présence que Frank annonça joyeusement à Sauckel qu’il avait envoyé un nouveau convoi de travailleurs vers l’Allemagne, avec l’aide de la Police ?
En présence de mes chefs de service compétents en matière de recrutement de la main-d’œuvre, j’eus une entrevue avec Sauckel avant sa visite chez le Gouverneur Général ; je ne me souviens pas si j’étais présent à l’entrevue qu’ils eurent tous les deux. Je serais heureux de lire le procès-verbal.
Veuillez présenter ce passage à l’accusé, je veux dire : au témoin. (Le document est remis au témoin.)
Je lirai deux citations très courtes aux pages 918 et 920. Le Dr Frank dit : « Je suis heureux de pouvoir informer officiellement que, jusqu’à ce jour, nous avons envoyé en Allemagne plus de 800.000 ouvriers. Il y a peu de temps, vous en avez demandé 140.000 autres. Je suis heureux de vous annoncer officiellement que, conformément à notre accord d’hier, 60% de ces nouveaux travailleurs seront envoyés vers le Reich à la fin du mois d’octobre et que les autres 40 % le seront avant la fin de l’année. »
Je passe ensuite à la page 120. Je n’en citerai qu’une seule phrase ; « En dehors de ces 140.000 ouvriers, vous pouvez compter que d’autres vous seront envoyés au cours de l’année à venir, car nous chargerons la Police de leur recrutement. »
Cela n’implique-t-il pas l’emploi de mesures draconiennes pour le recrutement de ces ouvriers ?
Je ne me rappelle pas avoir été présent à cette conférence. Je ne puis donc confirmer en aucune façon ce qui a été dit à ce propos.
Monsieur le Président, je n’ai plus de question à poser au témoin.
Docteur Seidl, voulez-vous interroger le témoin à nouveau ?
J’aurai encore quelques questions à lui poser. Je voudrais d’abord dissiper un malentendu qui semble s’être élevé. La question que j’ai posée à propos du document URSS-93, se référait uniquement à l’appendice 1, qui porte le titre : « La vie culturelle en Pologne ». Cet appendice concerne les directives sur la politique culturelle que l’administration du Gouvernement Général semblait avoir adoptée. Et j’ai cru comprendre que le témoin ne voulait répondre qu’à cette question sans aller se référer aux autres appendices comme, par exemple, à celui qui traite des œuvres d’art confisquées. Peut-être eût-il été préférable qu’il n’employât pas l’expression de « faux ». En tous cas, il voulait dire qu’il ne connaissait pas les directives en question.
Témoin, est-il exact que les travailleurs polonais qui furent envoyés dans le Reich, étaient en majeure partie des volontaires ?
Je me permets tout d’abord d’affirmer que je n’avais nullement l’intention d’accuser le Ministère Public d’avoir fait un faux. Je voulais simplement dire qu’il utilisait peut-être un faux, sans affirmer qu’il en était l’auteur.
En réponse à la question posée, je voudrais affirmer que, d’après mes observations, la plus grande partie de la main-d’œuvre qui a été recrutée dans le Gouvernement Général pour l’Allemagne, s’y est rendue volontairement.
Pour mémoire, je voudrais vous lire un court passage du journal de Frank sur la question du recrutement de la main-d’œuvre. Le 4 mars 1940, le Gouverneur Général prit la parole au cours d’une réunion des commandants des villes du district de Lublin, et déclara ce qui suit à propos du recrutement de la main-d’œuvre : « Je rejette le décret promulgué par Berlin sur les mesures de coercition et les menaces de punition. De telles mesures, qui attirent l’attention à l’étranger, devraient être évitées.
Aucun argument ne parle en faveur de la déportation obligatoire de ces gens. »
Cette conception reflète-t-elle les vues exactes du Gouverneur Général ?
Je n’ai pas assisté à cette réunion et n’ai pas entendu cette déclaration du Gouverneur Général ; mais elle doit être conforme aux instructions et aux principes préconisés par lui, que j’ai toujours observés et exécutés.
Avez-vous assisté à la réunion du 14 janvier 1941 ? Je vois que vous y étiez. Il s’agissait d’une conférence entre le secrétaire d’État Dr Bühler, le Dr Koppe et plusieurs autres. Je cite :
« Le Gouverneur Général s’oppose résolument à ce que l’on emploie la Police pour exécuter de telles mesures. C’est là une tâche qui ne relève pas de la Police. »
Est-il exact que le Gouverneur Général se soit opposé, à plusieurs reprises, à l’utilisation de la Police pour le recrutement de la main-d’œuvre ?
Ce ne fut pas la seule occasion. Il a souvent attaqué les délégués du Commissaire du Reich Sauckel au cours de réunions publiques, lorsqu’ils parlaient d’effectuer des rafles pour recruter des ouvriers ; mais je dois dire que le délégué de Sauckel déclarait toujours que ce n’était pas lui qui avait ordonné ces rafles.
La première citation que le représentant du Ministère Public vous a soumise était une note du 25 janvier 1943. Il vous a demandé si vous vous considériez comme un criminel de guerre. Je vais maintenant vous citer un autre passage de cette réunion à laquelle vous assistiez. A la page 7, on lit cette déclaration du Gouverneur Général : « Monsieur le secrétaire d’État Krüger, vous savez que vous ne pouvez exécuter les ordres du Reichsführer SS qu’après m’avoir consulté. Dans le cas présent, vous vous en êtes abstenu. Je tiens à vous en exprimer mon regret. D’après les ordres du Führer, les instructions données par le Reichsführer SS ne peuvent être exécutées dans le Gouvernement Général qu’après que j’ai donné mon accord. J’espère que c’est la dernière fois que vous commettez une telle négligence, car je ne voudrais pas importuner le Führer avec chaque cas particulier de ce genre. » (Document PS-2233.) Je saute une phrase et continue :
« Il ne nous est pas possible d’outrepasser les ordres du Führer, et il est hors de doute qu’en matière de Police et de Sûreté, les ordres donnés directement par le Reichsführer ne doivent pas être exécutés par-dessus la tête d’un homme qui a été nommé ici par le Führer ; autrement, ma présence serait absolument inutile » !
Je vous demande maintenant s’il est exact qu’il y avait fréquemment de tels conflits entre le Gouverneur Général et le Chef suprême des SS, Krüger, et que le Gouverneur Général y mettait fin en demandant une collaboration, afin de rendre possible, dans une certaine mesure, l’administration de ce territoire ?
C’est exact. Ces conflits étaient quotidiens.
Le Ministère Public vous a soumis également, sous le numéro URSS-335, le décret sur les juridictions d’exception, d’octobre 1943. Je vous demande quel était alors le degré de sécurité à l’intérieur du Gouvernement Général, et s’il aurait été possible d’être maître de la situation en appliquant la procédure pénale ordinaire ?
Docteur Seidl, cette question n’a-t-elle pas déjà été traitée abondamment au cours de l’interrogatoire ?
Je renonce une fois de plus à la réponse à cette question. Je pose maintenant une dernière question concernant les œuvres d’art.
Est-il exact qu’une partie des œuvres d’art qui ont été trouvées en Haute-Silésie, ait été transférée à la dernière résidence officielle du Gouverneur Général, à Neuhaus, pour y être mise en sûreté, et que celui-ci ait donné l’ordre de dresser une liste de ces objets et de l’envoyer au ministre du Reich Lammers ?
Le Gouverneur Général envoya un rapport au ministre du Reich Lammers sur le transfert des vingt œuvres d’art les plus remarquables parmi celles qui appartenaient à l’État polonais. J’assistai à la rédaction de ce rapport et je l’ai personnellement transmis au secrétaire d’État Kritzinger, à Berlin. Il y était déclaré que, pour éviter que ces œuvres d’art ne tombent aux mains des Russes, elles avaient été transportées de Seichau à Schliersee, et étaient laissées sous surveillance à la résidence officielle du Gouverneur Général.
Je n’ai plus de questions à poser au témoin.
Le témoin peut se retirer.
J’en ai maintenant terminé avec l’interrogatoire des témoins ; mais comme les livres de documents ne sont pas encore reliés, je demanderai l’autorisation de les présenter à un stade ultérieur des débats, peut-être après le cas de Frick.
Docteur Seidl, combien de livres comptez-vous présenter ?
Il y a cinq volumes, mais je ne les ai pas encore reçus.
Les documents qui y sont contenus ont-ils tous été autorisés ?
Il s’agit presque uniquement de documents qui ont déjà été présentés par le Ministère Public, avec lequel nous nous sommes mis d’accord à ce propos.
Bien ; dans ces conditions, nous n’avons pas besoin d’attendre les livres de documents, nous les examinerons lorsqu’ils nous seront présentés, et si vous désirez vous livrer à quelque commentaire, vous aurez tout le loisir de le faire.
Très bien.
Sans doute le ferez-vous dans votre plaidoirie finale. Vous dites que ce sont pour la plupart des documents qui ont déjà été versés, et il ne sera donc pas nécessaire que vous fassiez un commentaire préalable sur chacun d’entre eux ; cela vous sera possible au cours de vos explications finales.
Mais j’aurais aimé citer certains passages au cours de la présentation de mes preuves. C’est nécessaire, dans un but de synthèse, et il me serait impossible de le faire lors de ma plaidoirie finale. Je ne crois pas que cela nous ferait perdre trop de temps.
Très bien. Docteur Seidl, le Tribunal n’aurait pas grand intérêt à ce que vous commentiez les documents ultérieurement, lorsque vos témoins auront été entendus et quand d’autres témoins (déposant pour d’autres accusés) auront été cités entre temps. Le Tribunal pense donc qu’il serait préférable et plus pratique que vous fassiez vos commentaires sur les documents au moment de votre plaidoyer final.
Docteur Seidl, si j’ai bien compris, deux ou trois livres nous ont été communiqués ?
Il y en a cinq en tout. Il semble que trois d’entre eux n’aient pas encore été reliés.
Oui ; vous dites que, pour la plupart, ces documents ont déjà été déposés ?
Le journal de Frank, qui contient quarante-deux cahiers, a été présenté, mais le Ministère Public n’a cité que les passages qui lui semblaient propres à servir sa cause. C’est pourquoi j’estime qu’il est nécessaire que je rétablisse l’équilibre au cours de ma présentation de preuves. De même, je crois qu’il y a d’autres documents qui devraient être lus au Tribunal, tout au moins en partie, et je me limiterai bien entendu aux passages absolument nécessaires. Je proposerai au Tribunal de traiter la question comme elle le fut pour l’accusé von Ribbentrop, c’est-à-dire que je présenterai les documents au Tribunal au fur et à mesure. Il y a plusieurs discours de l’accusé Frank, des décrets et des instructions, deux affidavits, sur lesquels je pense qu’une opinion devrait être émise au cours de la présentation des preuves. Je pense également que les documents individuels devraient être numérotés. Jusqu’ici, un seul document a été présenté en faveur de l’accusé Frank, et c’est l’affidavit du Dr Bühler. Mais j’ai l’intention de porter toute une autre série de documents à l’attention du Tribunal, et j’aimerais reculer l’échéance de cette présentation, ne serait-ce que parce que le Tribunal n’a pas encore reçu les livres de documents reliés.
Quand ces autres livres seront-ils prêts ?
On m’a affirmé qu’ils seraient reliés ce soir.
Combien de temps pensez-vous qu’il vous faudra pour présenter ces documents ?
Je crois que deux heures me suffiront.
Le Tribunal suspend maintenant l’audience.
Docteur Seidl, le Tribunal aimerait que vous traitiez les documents maintenant, et dans la mesure où ils ont déjà été déposés et, à moins que vous désiriez vous référer à d’autres passages, il pense que vous n’avez seulement qu’à indiquer les documents et à les déposer, sauf si vous avez de fortes raisons pour vous référer à un document particulier. S’il s’agit de nouveaux documents, vous les déposerez et ferez brièvement les remarques que vous jugerez nécessaires. Mais le Tribunal espère que vous pourrez avoir fini cet après-midi. En ce qui concerne les autres livres, nous croyons savoir que vous avez vous-même tous les documents en allemand ; vous pourrez donc nous les présenter maintenant.
Monsieur le Président, suivant le désir du Ministère Public et, je crois, du Tribunal, j’ai considérablement diminué le volume primitif de mon livre de documents ; les cinq premiers livres de documents, tels que je les avais fait préparer, comportaient plus de 800 pages. La nouvelle documentation est beaucoup plus courte, mais je n’en ai pas encore reçu le texte allemand, de sorte que, pour l’instant, je ne suis pas en mesure de donner le nombre de pages au Tribunal, ni de coordonner ma pagination avec celle les traductions. Si je puis exprimer ici un désir, ce serait que l’on attende d’abord que les cinq livres de documents nous soient remis dans leur forme définitive, car il est probable que la pagination ne coïncidera pas comme nous le voudrions.
Le Tribunal pense qu’il serait préférable de commencer maintenant avec les trois premiers livres. Nous les avons également.
Si le Tribunal a les trois premiers livres, je vais commencer immédiatement.
Je me réfère au livre I. Le premier document de la page 1 est le décret du Führer et Chancelier du Reich, sur l’administration des territoires polonais occupés, en date du 12 octobre 1939. Ce décret expose en détail les pouvoirs du Gouverneur Général ; dans les paragraphes 5 et 6 figurent quelques-unes des limites qui furent imposées à son autorité et dont les témoins, Dr Lammers et Bühler, ont déjà parlé. Ce document porte le numéro PS-2537 et sera le document Frank n° 2.
Je passe à la page 3 du livre de documents. On y trouve le décret du Führer sur la création d’un secrétariat d’État à la Sécurité dans le Gouvernement Général, en date du 7 mai 1942. J’en cite le paragraphe 2 :
« Le secrétaire d’État à la Sécurité est en même temps représentant du Reichsführer SS en sa qualité de Commissaire du Reich au renforcement du germanisme. »
Je cite, page 4, le paragraphe 4 :
« Le Reichsführer SS et chef de la Police allemande peut donner au secrétaire d’État à la Sécurité des ordres directs pour tout ce qui concerne la sûreté et le renforcement du germanisme. » Ce document sera le document Frank n° 3.
Après ce décret du Führer du 7 mai 1942, vient le décret conférant les pouvoirs du secrétaire d’État à la Sécurité du 23 juin 1942. Je ne sais pas si ce décret est déjà compris dans le volume. 11 semble qu’ayant été ajouté plus tard, il n’ait pas encore été traduit.
Quelle en est la date ?
23 juin 1942.
Nous en avons un du 27 mai 1942.
Ce décret n’a, semble-t-il, pas encore été traduit, étant donné qu’il a été ajouté par la suite. Je le joindrai plus tard à ce livre de documents ; ce sera le document Frank n° 4. On lit dans le paragraphe 1 : « Les pouvoirs de l’administration de la Police, mentionnés dans les annexes A et B, sont transférés au secrétaire d’État à la Sécurité ». Dans l’annexe A, les domaines de la compétence de la Police apparaissent sous 26 rubriques et, dans l’annexe B, sous 21 rubriques.
Je passe maintenant à la page 5 du livre de documents I. C’est le décret du Führer sur la nomination des fonctionnaires et la fixation de leur statut dans le Gouvernement Général, du 20 mai 1942. Je cite le paragraphe 2 : « Le ressort de la compétence du Gouverneur Général ne comprend pas, aux termes de ce décret, les fonctionnaires relevant du Reichsführer SS et chef de la Police allemande au sein du ministère de l’Intérieur du Reich, pas plus que ceux appartenant au service des douanes frontalières ». Ce sera le document Frank n° 4 bis.
Je passe à la page 6 du livre de documents, où se trouve le décret du Führer et Chancelier du Reich sur le renforcement du germanisme, du 7 octobre 1939. (Document PS-686, USA-305.)
Le document suivant est une lettre du maréchal Göring, adressée au chef de la Police de sûreté et du SD, en juillet 1941.
Monsieur le Président, je suggère qu’un numéro d’ordre soit donné chaque fois, afin que nous puissions suivre plus facilement et que nous sachions où les retrouver. Les deux derniers n’ont pas été numérotés.
Le dernier était Frank n° 5 ?
Non. Le numéro 5 était celui du 27 mai 1942.
Nous ne le savions pas ; l’orateur n’a pas donné de numéro. Veuillez m’excuser.
Il peut ne pas l’avoir dit, mais je l’ai trouvé moi-même. Docteur Seidl, voulez-vous faire attention et dire chaque fois le numéro que vous donnez aux documents que vous déposez.
Vous parlez donc maintenant de la lettre du 31 juillet 1941.
Oui, cette lettre a déjà un numéro USA, à savoir le numéro 509.
Très bien. Attendez une seconde, je me suis peut-être trompé. En effet, Monsieur Dodd, c’est la raison pour laquelle le Dr Seidl n’a pas donné de numéro ; il y avait déjà un numéro USA : le 305. Je me suis trompé. Ce n’était pas le document Frank n° 5 ; il n’est arrivé qu’au numéro 4. Le suivant est USA-509.
Oui, PS-710 (USA-509). Je passe à la page 10 du livre de documents. C’est un ordre, une directive de l’OKW sur le « Cas Barbarossa », document PS-447 (USA-135). Je cite le paragraphe 2 :
« On n’a pas l’intention de déclarer zones militaires ni la Prusse Orientale, ni le Gouvernement Général. D’autre part, le Commandant en chef de l’Armée a le droit, sur la base des décrets non publiés du Führer, des 19 et 21 octobre 1939, de décider des mesures qui sont nécessaires à l’accomplissement de sa mission militaire et à la sécurité des troupes. »
Je passe à la page 11 du document où se trouvent des instructions, datant du 27 mars 1942, pour l’exécution du décret du Führer concernant le plénipotentiaire général à l’emploi de la main-d’œuvre. Je me réfère au paragraphe 4 :
« Le plénipotentiaire général à l’emploi de la main-d’œuvre dispose pour l’accomplissement de sa tâche, du droit que le Führer m’a délégué de donner des instructions aux autorités suprêmes du Reich et à leurs services, aussi bien qu’aux organisations du Parti et à ses formations affiliées, au Protecteur du Reich, au Gouverneur Général, aux commandants militaires, et aux chefs des administrations civiles. » Ce document sera le document Frank n° 5.
Le document suivant figure à la page 12. C’est un décret du Führer sur le plénipotentiaire général à l’emploi de la main-d’œuvre, du 21 mars 1942 ; il portera le numéro Frank-6. On peut y voir que ce plénipotentiaire avait également le droit de donner des ordres dans le Gouvernement Général.
Le document de la page 13 du livre de documents traite aussi de l’autorité de ce personnage ; c’est déjà le numéro PS-3352 (USA-206).
Le document de la page 15 est une lettre du professeur Dr Kubiowicz, président du comité principal ukrainien, adressée à l’accusé, Dr Frank. Il porte le numéro PS-1526 (USA-178), et j’en lis la première phrase pour montrer quelles étaient les relations entre Frank et l’auteur de cette lettre : « Conformément à votre désir, je vous envoie cette lettre dans laquelle j’aimerais vous signaler les excès et les incidents pénibles qui créent une situation particulièrement difficile pour la population ukrainienne du Gouvernement Général.
Je passe à la page 16 du livre de documents. C’est un extrait du document PS-1061 (USA-275), qui est le rapport du SS-Brigadeführer Stroop sur la destruction du ghetto de Varsovie. Je lis le second paragraphe de la section II, qui fait ressortir que l’ordre émanait directement du Reichsführer SS Himmler :
« En janvier 1943, à l’occasion de sa visite à Varsovie, le Reichsführer SS donna au chef des SS et de la Police de Varsovie, l’ordre de transférer à Lublin les usines d’armement et autres entreprises travaillant pour la défense nationale, qui se trouvaient dans le ghetto, avec la main-d’œuvre et les machines. »
A la page 16 du livre de documents, se trouve l’affidavit que le Ministère Public présenta lors du contre-interrogatoire de l’accusé Kaltenbrunner.
Il me semble qu’il y a ici une erreur. Le document mentionné par le Dr Seidl ne concerne pas le ghetto de Varsovie. C’est un document émanant du chef de la Police et des SS de Galicie, à propos de la solution de la question juive dans ce pays.
Il ne concerne pas Varsovie. J’aimerais que cette question fût élucidée.
Le document de la page 16 est le rapport du Brigadeführer SS Stroop, qui a déjà été présenté sous le numéro USA-275. Le rapport du chef des SS, Katzmann, sur la solution du problème juif en Galicie, dont parle le procureur russe, se trouve à la page 17 du livre de documents, c’est-à-dire à la page suivante. On a vraisemblablement négligé d’insérer la page 16 dans le livre de documents qui a été préparé pour le Ministère Public russe. Après ce rapport (USA-275), du Brigadeführer SS Stroop, nous devrions intercaler à la page 16-A, son affidavit qui a été présenté au cours du contre-interrogatoire de l’accusé Kaltenbrunner, sous le numéro USA-804. C’est le document PS-3841, que je n’ai pu insérer dans le livre de documents car le Ministère Public l’a présenté après que j’eus donné ce livre à la traduction.
A la page 16-B, on devrait intercaler un autre document qui a également été présenté pendant le contre-interrogatoire du Dr Kaltenbrunner. C’est l’affidavit de Karl Kaleske, qui porte le numéro PS-3840 (USA-803).
J’en arrive maintenant au rapport dont parlait le procureur soviétique et qui traite de la solution du problème juif en Galicie. Il se trouve à la page 17 du livre de documents. Ce rapport porte les numéros USA-277 et L-18. Je cite mot à mot les pages 4 et 5 :
« Après que l’on eut découvert que les Juifs réussissaient de plus en plus à se rendre indispensables à leurs employeurs, en leur procurant des marchandises rares, on se rendit compte qu’il était nécessaire de prendre des mesures tout à fait draconiennes. »
Je passe au paragraphe 2 :
« Comme l’administration n’était pas à même de dominer ce chaos et qu’elle s’était révélée trop faible pour le faire, toute la question de l’utilisation de la main-d’œuvre juive fut tout simplement prise en charge par le chef des SS et de la Police. Les bureaux de placement juifs, employant des centaines d’israélites, furent dissous. Tous les certificats de travail délivrés par les usines ou les bureaux furent déclarés nuls, et les cartes données aux Juifs par les bureaux de placement furent de nouveau validées par l’apposition du cachet des services de la Police. »
Je passe à la page 19 du livre de documents. Elle concerne la lettre adressée par le ministre du Reich et chef de la Chancellerie du Reich, au Reichsführer SS et chef de la Police allemande Himmler, le 17 avril 1943. Ce document porte les numéros PS-2220 et USA-175. Je cite :
« Au cours de notre conférence du 27 mars dernier, nous avions convenu de préparer des mémorandums écrits sur la situation dans le Gouvernement Général, qui devaient servir de base à un rapport au Führer.
« Les pièces réunies dans ce but par l’Obergruppenführer SS Krüger vous ont déjà été présentées directement. Grâce à ces pièces, j’ai fait préparer un rapport qui en résume les principaux points, les classe rationnellement, et conclut par des indications sur les mesures à prendre.
« Le rapport a été supervisé et approuvé par l’Obergruppenführer Krüger. Je vous en adresse ci-joint un exemplaire.
Signé : Dr Lammers. »
Je passe à la page 20 du livre de documents et je cite :
« Secret. Situation dans le Gouvernement Général. L’administration allemande du Gouvernement Général doit accomplir les tâches suivantes :
« 1. Augmenter la production agricole dans le but d’assurer la nourriture du peuple allemand et prélever le plus possible sur les récoltes, donner des rations suffisantes à la population indigène employée à des travaux essentiels pour l’effort de guerre, et affecter le reste à l’Armée ou l’envoyer en Allemagne. »
Je saute les lignes suivantes et je passe au paragraphe B où Krüger et son adjoint critiquent les mesures prises par le Gouverneur Général.
« L’administration allemande du Gouvernement Général a failli, dans une très large mesure, aux tâches indiquées sous la rubrique « A ». Même s’il a été possible en 1942 de livrer à la Wehrmacht et au Reich une fraction relativement assez élevée de produits agricoles, soit plus de 90%, et de répondre d’une façon généralement satisfaisante aux demandes de main-d’œuvre pour le Reich, il faut toutefois considérer deux choses : d’abord, ces livraisons n’ont pas été effectuées avant 1942. C’est ainsi qu’auparavant il n’avait été livré à l’Année que 40.000 tonnes de céréales panifiables. Deuxièmement et surtout, on a omis de créer, pour l’exécution de ces prestations, ces conditions de caractère économique, politique et administratif, qui sont indispensables si l’on veut éviter que ces prestations ne mènent à un ébranlement général de la situation qui pourrait provoquer le chaos dans tous les domaines. Cet échec de l’administration allemande s’explique, d’une part, par le système administratif et gouvernemental allemand dans le Gouvernement Général, personnifié par le Gouverneur Général lui-même et, d’autre part, par les principes boiteux qui dirigent le règlement de toutes les questions décisives qui se posent dans le Gouvernement Général.
« 2. L’esprit de l’administration allemande dans le Gouvernement Général. Dès le début, les efforts du Gouverneur Général tendirent à faire du Gouvernement Général un État qui, entièrement indépendant du Reich, aurait mené son existence propre. »
Je passe maintenant à la page 22 du rapport, et je cite, au paragraphe 3 :
« 3. Le traitement de la population indigène ne peut être satisfaisant que si la direction administrative et économique est propre et ordonnée. C’est uniquement à cette condition qu’il est possible, d’une part, de traiter avec fermeté et au besoin avec sévérité la population polonaise et, d’autre part, de se montrer magnanime à son égard, en la satisfaisant par l’octroi de certaines libertés d’ordre culturel en particulier. A défaut de cette condition, la sévérité ne peut que renforcer le mouvement de résistance, et la prise de demi-mesures ne peut que porter atteinte au prestige allemand. Il ressort de ce qui précède que cette condition fait défaut. Au lieu de s’efforcer de la créer, le Gouverneur Général inaugure une politique d’encouragement de la vie culturelle individuelle de la population polonaise, qui dépasse déjà d’elle-même le but visé, et qui, étant donné les circonstances actuelles et eu égard à notre situation militaire durant l’hiver dernier, ne peut être interprétée que comme une faiblesse et ne saurait atteindre qu’un but contraire à celui envisagé.
« 4. Rapports entre la population polono-ukrainienne et les ressortissants allemands, dans le Gouvernement Général.
« Les cas sont nombreux dans lesquels l’administration allemande a fait passer, dans le Gouvernement Général, les intérêts de la population d’origine allemande après ceux des Polonais et des Ruthènes, dans le but de gagner ces derniers à sa cause. On prétendait que les individus de race allemande venus d’ailleurs ne devaient pas être installés immédiatement comme colons mais que, pour la durée de la guerre, ils seraient seulement employés comme travailleurs agricoles. Jusqu’à présent, aucune base juridique n’a été formulée pour la confiscation des biens polonais. Aucun frein n’a été mis aux mauvais traitements infligés par leurs employeurs polonais aux travailleurs de race allemande. On a toléré que des citoyens allemands ou de race allemande soient soignés, à grands frais et de façon défectueuse, par des médecins polonais dans des hôpitaux polonais. Dans les villes d’eaux allemandes du Gouvernement Général, l’hébergement des enfants allemands du Reich, évacués des territoires menacés par les bombardements, et des combattants de Stalingrad, se heurta à toutes sortes de difficultés, cependant que des étrangers faisaient des séjours de convalescence dans ces villes.
« Les grands projets de colonisation dans le district de Lublin en faveur des individus de race allemande, auraient pu être exécutés avec moins de heurts, si le Commissaire du Reich au renforcement du germanisme avait trouvé auprès de l’administration l’aide et la coopération nécessaires. »
Je passe à la page 24 et cite le passage marqué C. « Le système administratif, personnifié par le Gouverneur Général, et l’échec effectif de toute l’administration allemande dans les domaines les plus divers et les plus importants, ont non seulement ébranlé la confiance et l’ardeur au travail de la population du pays, mais ont également provoqué le phénomène suivant : les Polonais qui, au cours de leur histoire, avaient toujours été divisés, ont réalisé une unité nationale grâce à leur hostilité commune à l’égard des Allemands. Dans ce milieu fictif, manquent les fondations réelles sur la seule base desquelles les réalisations que le Reich attendait du Gouvernement Général et les buts qu’il voulait lui voir atteindre auraient pu être menés à bien. La non-exécution des tâches qui avaient été confiées à l’administration, comme par exemple le renforcement du germanisme, aboutit à un état de choses qui rendit nécessaire la prise en charge de ces fonctions par d’autres organes administratifs. (Commissaire du Reich au renforcement du germanisme et Police). »
Je passe maintenant à la page 27 du livre de documents. C’est le rapport du Gouverneur Général au Führer, du 19 juin 1943 auquel on a fait plusieurs fois allusion. C’est le document PS-437 (USA-610) ; jusqu’ici le Ministère Public a seulement cité les pages 10 et 11, et ce sont les points du mémorandum où les critiques du Gouverneur Général sont les plus violentes.
Parlez-vous du compte rendu qui commence à la page 20 ?
Je parle du compte rendu qui commence à la page 27. Nous en avons déjà fini avec le compte rendu qui commence à la page 20.
Bien. Quel numéro avez-vous donné au document de la page 20 ?
Le compte rendu de la page 20 fait intégralement partie de la lettre qui commence à la page 19 et qui porte déjà le numéro USA-175.
Oui. Parfaitement.
J’en arrive maintenant au document qui se trouve à la page 27. C’est un mémorandum qui a déjà été mentionné par différents témoins et a été soumis sous le numéro PS-437 (USA-610), par le Ministère Public. Celui-ci n’en a présenté que les pages 10 et 11, qui sont les pages 36 et 37 du livre de documents, c’est-à-dire les passages où sont condamnés les crimes de la Police et au sujet desquels le Gouverneur Général s’est plaint au Führer. Je n’ai pas l’intention de lire tout le mémorandum mais je veux passer à la page 27 du compte rendu, qui est la page 53 du livre de documents. Je cite la section 2 :
« La suppression presque complète des possibilités de participation à la vie culturelle a provoqué jusque dans les classes inférieures du peuple polonais un grand mécontentement. Les classes moyennes et supérieures sont avides de savoir. L’expérience montre que l’activité culturelle entraînerait une désaffection à l’égard des questions politiques à l’ordre du jour. A la propagande allemande, les Polonais objectent fréquemment que la restriction forcée de l’activité culturelle par les autorités allemandes empêche l’établissement de tout contraste avec l’absence de culture bolchevique, mais montre également que le degré de la culture polonaise tombe au-dessous de celui de la culture soviétique...
« 3. Sur le même plan, on trouve la fermeture des écoles supérieures, des lycées et des écoles secondaires. Le but délibéré en est, sans aucun doute, l’abaissement du niveau culturel polonais. La réalisation de ce but, eu égard aux nécessités de la guerre, ne semble pas toujours servir les intérêts allemands. Au fur et à mesure que la guerre se poursuit, il est de l’intérêt des Allemands de prévoir leur remplacement dans les diverses branches de la science par les étrangers. Mais ce qui est bien plus important, c’est le fait que la paralysie de l’enseignement et la suppression sévère de l’activité culturelle favorisent le développement d’une communauté nationale polonaise, conspirant contre l’Allemagne sous la direction de l’Intelligentsia ». Ce qui, au cours de l’histoire du peuple polonais et même durant les premières années de la domination allemande, n’était pas possible à réaliser, à savoir la formation d’une communauté nationale tendant, dans la bonne comme dans la mauvaise fortune, vers un but unique, menace maintenant de devenir lentement mais sûrement une réalité, grâce aux mesures allemandes. Devant la résistance croissante des Polonais, la direction allemande ne peut négliger ce processus de concentration des diverses couches de la population polonaise. La direction allemande devrait aussi favoriser la sélection des classes par certaines concessions culturelles et pouvoir autant que possible dresser les différentes classes les unes contre les autres.
« 4. Le recrutement de la main-d’œuvre et les méthodes employées à cet effet ont, souvent sous la pression inéluctable des circonstances et sous l’influence d’une agitation bolchevique bien entretenue, provoqué un fort sentiment de haine parmi toutes les classes sociales. Les ouvriers gagnés par elles se livrent souvent et résolument à une résistance positive et même à un sabotage actif. Une amélioration des méthodes de recrutement ainsi qu’un effort soutenu pour refréner les excès qui sont encore commis dans le traitement des travailleurs polonais dans le Reich, et enfin une assistance, si maigre soit-elle, aux membres de leurs familles, provoqueraient un relèvement du moral, qui se traduirait par un désir accru de travailler et une augmentation de la production, favorables aux intérêts allemands. »
« 5. Au début de la guerre, l’administration allemande s’est installée en écartant l’élément polonais de toutes les situations importantes. Le personnel allemand disponible a toujours été quantitativement et qualitativement insuffisant. En outre, l’an dernier, des employés allemands ont dû, en grand nombre, rejoindre l’Armée pour compenser les pertes subies. Déjà, on a dû recruter par la force, un nombre croissant d’ouvriers non allemands. Un changement radical du traitement des Polonais mettrait l’administration à même d’en inciter un grand nombre à collaborer, tout en prenant les précautions nécessaires. Sinon l’administration, eu égard aux effectifs actuels du personnel, et sans parler des futurs transferts, ne peut continuer à fonctionner. De plus, la participation croissante des Polonais contribuerait à relever le moral. Outre les transformations positives indiquées dans ces propositions, un certain nombre de méthodes employées jusqu’alors dans le traitement des Polonais devraient être modifiées ou complètement abandonnées, du moins pendant la durée du conflit européen.
« 1° J’ai déjà exposé dans des rapports spéciaux que l’évacuation et la confiscation des propriétés agricoles avaient nui considérablement et d’une façon irréparable à la production agricole. Le dommage moral provoqué par de telles mesures n’est pas le moindre. La saisie d’une partie importante des grandes propriétés foncières polonaises a naturellement aigri les milieux atteints par cette mesure, qui avaient toujours été contre le bolchevisme. Mais en raison de leur petit nombre et de leur isolement complet de la masse du peuple, leur attitude hostile a cependant beaucoup moins d’importance que celle du gros de la population, composé surtout de petits paysans. L’expulsion des paysans polonais de la zone comprise dans le plan de défense, rendue absolument nécessaire pour des raisons politiques et militaires, a déjà eu une influence défavorable sur l’opinion et l’attitude de nombreux paysans. Cette expulsion se limitait cependant à un territoire bien défini. Elle fut exécutée à la suite de préparatifs soigneux auxquels procédèrent les services gouvernementaux, pour éviter les rigueurs inutiles. L’expulsion de paysans polonais du district de Lublin, jugée nécessaire par le Commissaire du Reich au renforcement du germanisme, pour y installer des éléments allemands, fut beaucoup plus sérieuse. En outre, comme je l’ai déjà fait savoir par ailleurs, elle fut exécutée à une allure et avec des méthodes qui créèrent un mécontentement énorme parmi la population. Des familles furent séparées dans un très court délai. Les personnes en état de travailler furent déportées dans le Reich tandis que les vieillards et les enfants étaient dirigés sur les ghettos juifs vacants. Ces faits se sont produits au cours de l’hiver 1942-1943 et ont provoqué d’importantes pertes parmi la population, surtout chez ces vieillards et ces enfants. Cette dépossession consistait en une expropriation totale des biens meubles et immeubles des paysans. La population entière commença à croire que c’était là le début d’une déportation massive des Polonais du territoire du Gouvernement Général. Tout le monde avait l’impression que les Polonais subiraient le même sort que les Juifs. L’évacuation du district de Lublin fut pour les agitateurs communistes une occasion excellente d’empoisonner efficacement et avec l’adresse qui les caractérise, le moral de la population de tout le Gouvernement Général et même des territoires annexés de l’Est. Il arriva donc que d’importantes parties de la population des territoires destinés à être évacués (et même de ceux qui ne l’étaient pas) ont fui dans les bois et ont grossi sensiblement les rangs des partisans. La sécurité en fut grandement compromise. Ces gens poussés au désespoir furent incités par d’habiles agents à saboter méthodiquement la production agricole et industrielle.
« 2° L’allusion au massacre de Katyn montre que la garantie de la sécurité individuelle constitue une condition indispensable pour amener la population polonaise à combattre le bolchevisme. Le manque de protection contre les arrestations et les exécutions apparemment arbitraires, fournissent un bon prétexte aux slogans de la propagande communiste. Les exécutions publiques de femmes, d’enfants et de vieillards, qui ont eu lieu à plusieurs reprises, à l’insu et contre la volonté du Gouvernement, doivent cesser à tout prix, sauf, bien entendu, lorsqu’il s’agit d’exécutions publiques de bandits et de partisans. Dans le cas des punitions collectives, qui frappent presque toujours les personnes innocentes et indifférentes en matière politique, les conséquences psychologiques néfastes ne sauraient être prises trop au sérieux. Les graves mesures punitives et les exécutions ne devraient avoir lieu qu’après un jugement répondant tout au moins aux conceptions les plus élémentaires de la justice et devraient être accompagnées de la publication de la sentence. Une procédure, si simple, si insuffisante et si improvisée soit-elle, évite ou minimise les effets peu favorables d’une mesure punitive que la population considère comme purement arbitraire, et désarme l’agitation bolchevique qui proclame que ces mesures allemandes ne sont que le prélude d’événements futurs. De plus, les châtiments collectifs, qui atteignent surtout des innocents ou tout au plus des personnes agissant sous la contrainte ou par désespoir, ne sont pas tout à fait considérés comme un signe de la force du pouvoir, dont la population attend qu’il frappe directement les terroristes, la libérant ainsi de l’insécurité qui pèse sur elle. »
Je passe maintenant à la page 37 du rapport et je cite le paragraphe 3 :
« 3. Outre les conditions nécessaires au retour au calme dans le Gouvernement Général, telles qu’elles sont indiquées en 1 et 2, il faut également garantir la sécurité et la propriété de la population non agricole dans la mesure où les nécessités impérieuses de la guerre ne s’y opposent pas. Les expropriations et les confiscations sans indemnisation dans les domaines industriel, commercial, artisanal et privé ne devraient pas avoir lieu lorsque le propriétaire ou le possesseur intéressé n’a pas commis de délit contre l’autorité allemande. Si la prise en charge d’entreprises industrielles, de maisons de commerce ou de biens réels, était nécessaire à la conduite de la guerre, on devrait agir dans chaque cas sans sévérité, et en accordant une juste indemnité. Par une telle action, on favoriserait ainsi l’initiative des hommes d’affaires polonais, et on éviterait qu’un préjudice fût porté aux intérêts de l’économie de guerre allemande.
« 4. Dans tout effort tendant à influencer l’opinion polonaise, on ne sous-estimera pas l’influence importante de l’Église catholique. Je ne méconnais pas le fait que l’Église catholique s’est toujours faite la championne des partisans d’une Pologne politiquement indépendante. De nombreux ecclésiastiques ont encore fait sentir cette influence même après l’occupation allemande. Des centaines d’arrestations ont été opérées. De nombreux prêtres ont été envoyés dans des camps de concentration et même fusillés. Mais pour gagner la sympathie des Polonais il faut, à défaut de collaboration, donner un statut légal à l’Église. Aujourd’hui, précisément, sous l’impression du crime de Katyn, elle peut sans aucun doute être gagnée à l’idée d’un renforcement de la lutte contre le bolchevisme, car l’Église s’opposera toujours à un régime bolchevique dans la région de la Vistule, ne serait-ce que par instinct de conservation. Mais dans ce but, il faut à l’avenir s’abstenir de prendre des mesures contre son activité et son patrimoine, dans la mesure où ils ne contrecarrent pas l’effort de guerre. Beaucoup de mal a été fait très récemment par la fermeture des monastères, des institutions charitables et des établissements ecclésiastiques... »
Je pensais que vos extraits allaient être brefs. Vous venez de lire de la page 53 à la page 65.
Monsieur le Président, ce document est le seul de cette nature que je possède et comme le Ministère Public n’en a cité intégralement que les passages que l’accusé Frank a lui-même sévèrement critiqués, j’estime qu’il est maintenant de mon devoir d’en lire un certain nombre d’autres afin de donner une image parfaitement correcte des véritables intentions de l’accusé. Je ne vais encore en citer que quelques lignes, et je passerai à un autre document.
J’avais espéré qu’un ou deux extraits de ce document auraient suffi à montrer les buts de l’accusé Frank.
Je passe au document suivant, Monsieur le Président. Il se trouve à la page 68 et c’est l’affidavit du témoin Dr Bühler, à qui je l’ai présenté aujourd’hui : c’est le document Frank n° 1.
A la page 70 se trouve le document L-49 (USA-473). Si je m’en souviens bien, il a été lu entièrement par le Ministère Public et je demanderai au Tribunal d’en prendre également acte pour la défense du Dr Frank. A la page 72 du livre de documents, se trouve un affidavit de l’ex-Kreishauptmann Dr Albrecht. Pour être exact, je dois déclarer que ce n’est pas vraiment un affidavit au sens réel du mot. C’est seulement une lettre que le Kreishauptmann Dr Albrecht m’a envoyée par l’intermédiaire du Secrétaire Général du Tribunal. J’ai alors renvoyé la lettre pour la faire certifier par le témoin : mais je dois dire que cette déclaration sous serment ne m’est pas encore parvenue, de sorte que ce document n’aura pour l’instant que la valeur probatoire d’une lettre. C’est pourquoi je demande au Tribunal de décider s’il peut accepter ce document sous cette forme.
Je crois que le Tribunal a étudié la question avant même que vous n’en ayez fait la demande. Il acceptera le document pour ce qu’il vaut. Si vous avez le document sous forme d’affidavit, vous pouvez sans aucun doute le présenter.
Oui. Ce sera le document Frank n° 7. Je renonce à la lecture des premiers points et je passe directement à la page 74 du livre de documents et cite le paragraphe 4 : « La lutte menée par le Dr Frank contre l’exploitation et la négligence du Gouvernement Général au profit du Reich. Conflit avec Berlin. La première entrevue avec le Dr Frank eut lieu peu de temps après la création du Gouvernement Général en automne 1939 dans la capitale polonaise du district de Radom. Les chefs des dix Kreis de ce district devaient faire un rapport sur la situation de la population de leur circonscription administrative, sur les problèmes d’une reconstruction aussi rapide et efficace que possible ainsi que sur l’ensemble de la vie administrative et économique.
« On fut frappé du profond souci et des connaissances détaillées dont fit preuve le Dr Frank à propos du territoire qui lui était confié. Elles se traduisirent dans sa demande de considérer ou de traiter le Gouvernement Général non pas comme un objet d’exploitation ou comme un contrée sauvage, mais comme un centre civilisé concentré sur les arrières du front allemand et aux portes du Reich, formant un trait d’union entre les deux. C’est pourquoi tous les habitants loyaux de ce pays devaient avoir droit à la protection totale de l’administration allemande en tant que citoyens du Gouvernement Général. Il demanda que les efforts constants de toutes les autorités et de tous les organismes économiques fussent tendus dans ce but, et que des inspecteurs fussent créés qui seraient supervisés par lui personnellement au cours de voyages d’inspection, avec la collaboration de services centraux spécialisés. C’est ainsi, par exemple, que les deux circonscriptions que j’administrais furent contrôlées par lui personnellement trois fois en quatre ans.
« En face des exigences des services centraux de Berlin, qui croyaient qu’il était possible d’importer du Gouvernement Général dans le Reich plus qu’on ne le faisait, le Dr Frank affirme vigoureusement l’autonomie politique du Gouvernement Général en tant qu’« État voisin du Reich », son indépendance propre, comme étant directement et uniquement subordonnée à l’autorité supérieure de l’État et non pas au Gouvernement du Reich. De même, il nous ordonna de ne répondre en aucun cas à des requêtes qui auraient pu nous être adressées, sur la base de relations personnelles, par les autorités qui nous avaient délégués, ou par les ministres intéressés. Si, ce faisant, nous entrions en conflit avec le loyalisme que le Reich attendait de nous, nous devions lui en rendre compte. Cette ferme attitude du Dr Frank lui attira l’inimitié des cercles gouvernementaux berlinois et le Gouvernement Général reçut le sobriquet de « Frankreich ». Une campagne de calomnie fut déclenchée dans le Reich contre lui et l’ensemble de l’administration du Gouvernement Général, des maladresses regrettables et des faiblesses humaines isolées furent généralisées et amplifiées, tandis que l’on cherchait à amoindrir les réalisations constructives ».
Je demanderai au Tribunal de prendre simplement acte des sections 5 et 6, et citerai la section 7.
« 7. Le Dr Frank, adversaire des actes de violence commis contre la population indigène et en particulier adversaire des SS.
« Outre l’exploitation et l’appauvrissement du Gouvernement Général, l’accusation d’avoir asservi la population indigène et de l’avoir déportée dans le Reich, ainsi que celle d’avoir commis diverses atrocités (ainsi qu’elles ont été mentionnées dans les comptes rendus du Procès des criminels de guerre de Nuremberg), ont été prises au sérieux. En ce qui concerne les atrocités, la responsabilité n’en incombe pas au Dr Frank, mais en partie aux nombreux agitateurs et provocateurs non allemands qui, au fur et à mesure que l’effort de guerre devenait plus pénible, renforçaient leur action clandestine, et surtout à l’ex-secrétaire d’État à la Sécurité dans le Gouvernement Général, le SS-Obergruppenführer Krüger et à ses services. Mes observations à ce sujet sont restreintes en raison du secret gardé par ces services.
« D’autre part, le Dr Frank se montra si prévenant vis-à-vis de la population polonaise que ses compatriotes lui en tinrent souvent rigueur. Il avait vu juste en défendant les intérêts de la population polonaise. La preuve en est, par exemple, qu’à peine un an et demi plus tard, après la défaite du peuple polonais au cours d’une campagne de dix-huit jours, la concentration dans la région polonaise des troupes allemandes marchant contre la Russie s’effectua sans incidents notables : les chemins de fer de l’Est purent transporter des troupes, avec du personnel polonais, jusque dans des lieux très éloignés sans que ces transports fussent retardés par des actes de sabotage. »
Je cite le dernier paragraphe de la page 79 :
« Cette attitude humaine du Dr Frank, qui lui gagna l’estime et la sympathie de larges fractions de la population, provoqua d’autre part de graves conflits avec les SS, qui avaient pris comme base de leurs actes et de leurs pensées ce mot de Himmler : « Ils ne doivent pas nous aimer, ils doivent nous craindre ». Par moments, cela finissait par une rupture complète. Je me rappelle encore très bien qu’au cours d’une visite officielle qu’il fit au cours de l’été 1943 à Stanislav, chef-lieu de la région des Carpates, Frank se plaignit amèrement, pendant une promenade qu’il fit avec ma femme et moi à Jaremtsch sur le Pruth, des actes arbitraires des SS qui contrecarraient souvent la ligne de conduite qu’il avait adoptée en matière politique. Il appela alors les SS la « Peste Noire », et comme il remarquait notre étonnement d’entendre de sa bouche une pareille critique, il déclara que si, par exemple, ma femme et moi étions arrêtés à tort, à n’importe quel moment du jour où de la nuit, par les services de la Gestapo et disparaissions avec des chances de ne jamais revenir, sans avoir la possibilité de nous défendre en justice, il n’y aurait rien à faire. Peu de temps après, il fit à Heidelberg, devant les étudiants, un discours très écouté et très applaudi, sur la nécessité de créer à nouveau un État allemand constitutionnel répondant réellement aux besoins ancestraux des Allemands. Comme je l’ai appris de source autorisée — je ne me souviens malheureusement plus laquelle — lorsqu’il voulut répéter son discours à Berlin, il reçut du Führer Chancelier du Reich, à l’instigation de Himmler, l’interdiction de prendre la parole pendant trois mois. La lutte menée par le Dr Frank contre les méthodes brutales des SS, provoqua chez lui une dépression nerveuse et il dut prendre un congé de convalescence prolongé. D’après mes souvenirs, cela se passait au cours de l’hiver 1943-1944. »
Je demande au Tribunal de prendre acte de la section 8, et je passe à la page 84 du livre de documents. C’est un affidavit du SS-Obergruppenführer Erich von dem Bach-Zelewski, du 21 février 1946. Cet affidavit sera le document Frank h0 8.
Ce témoin n’a-t-il pas déposé ?
Le témoin a été interrogé ici par le Ministère Public, et j’ai alors demandé la possibilité de l’interroger à nouveau ou d’utiliser un affidavit. Le 8 mars 1946, le Tribunal a décidé, si je me souviens bien, que je pourrais utiliser un affidavit du témoin, mais que le Ministère Public serait libre, s’il le désirait, de procéder à un nouvel interrogatoire du témoin.
Très bien.
Je lirai les déclarations du témoin à propos de cette affaire :
« 1. En 1943, en raison de l’infiltration de groupes de partisans russes dans le Gouvernement Général, par la rivière Bug, Himmler déclara le Gouvernement Général « territoire de lutte contre les partisans ». Ce fut donc mon devoir de chef des unités anti-partisanes de parcourir le Gouvernement Général pour recueillir des renseignements, acquérir de l’expérience et faire des rapports et des propositions sur la lutte contre les partisans.
« Dans les instructions générales que Himmler me donna, il considérait le Gouverneur Général Dr Frank comme un traître à sa patrie, qui conspirait avec les Polonais. Il voulait prochainement exposer son cas au Führer. Je me souviens encore de deux des griefs que Himmler faisait à Frank :
« a) Lors d’une réunion de juristes sur le territoire du vieux Reich, Frank aurait déclaré qu’il « préférait un mauvais État constitutionnel à l’État policier le mieux dirigé ».
« b) Au cours d’un discours prononcé devant une délégation polonaise, Frank aurait désavoué certaines mesures prises par Himmler, et aurait, devant les Polonais, rabaissé ceux qui étaient chargés de les appliquer en les traitant de personnalités militantes.
« 2. Après avoir, au cours d’une tournée, obtenu des renseignements sur la situation dans le Gouvernement Général, j’allai à Cracovie pour voir le chef de la Police et des SS, Krüger, et le Gouverneur Général Frank. Krüger parla très défavorablement de Frank et blâma sa politique chancelante et instable à l’égard des Polonais. Il réclama des mesures plus sévères et plus impitoyables et déclara qu’il ne serait pas tranquille tant qu’on n’aurait pas chassé le traître Frank. J’ai eu l’impression, lors des déclarations de Krüger, que des motifs personnels influençaient également son attitude et qu’il aurait aimé devenir lui-même Gouverneur Général.
« J’eus ensuite une longue conversation avec le Dr Frank et lui fis part de mes impressions : il parla longuement d’une nouvelle politique en Pologne, tendant à apaiser les Polonais par l’octroi de concessions. En parfait accord avec mes impressions personnelles, le Dr Frank considérait que la crise du Gouvernement Général était due aux facteurs suivants :
« a) Le déplacement impitoyable des populations exécuté en plein milieu de la guerre et en particulier les déplacements effectués sans motif ni sans but, par le chef des SS et de la Police à Lublin, Globocznik.
« b) Les rations alimentaires insuffisantes accordées à la population du Gouvernement Général.
« Le Dr Frank désignait Krüger et Globocznik comme des ennemis déclarés de toute politique de réconciliation et disait qu’il était absolument indispensable de les rappeler.
« Je promis mon appui au Dr Frank, convaincu que s’il échouait, son successeur ne pourrait être qu’une personnalité encore plus impitoyable et moins tolérante. Après m’être assuré de la plus entière discrétion, je dis à Frank que je partageais son point de vue sur Krüger et Globocznik. Le Dr Frank, lui, savait par contre que Himmler le haïssait et machinait sa destitution auprès de Hitler. Dans ces conditions, toute demande de Frank, visant à faire partir Krüger et Globocznik, aurait non seulement été rejetée, mais aurait renforcé encore la position de ceux-ci. Frank devait me laisser carte blanche ; je pourrais alors lui promettre que tous deux seraient renvoyés dans le plus bref délai. Le Dr Frank donna son accord et je profitai des fautes militaires commises par Krüger et Globocznik pour obtenir leur renvoi par Himmler.
« 3. L’insurrection de Varsovie de 1944...
Je dois vous faire remarquer que vous avez dit que vous resteriez seulement deux heures sur ces cinq volumes. Vous venez de passer une heure sur un seul volume, et vous lisez pratiquement tout le contenu des documents. Ce n’est pas dans les vues du Tribunal. On vous a dit que vous pouviez faire de brefs commentaires, pour montrer le lien qui unit les documents et celui qui les relie à l’ensemble des preuves. Ce n’est pas du tout ce que vous faites.
Je demande donc au Tribunal de prendre acte du paragraphe 3 de l’affidavit de von dem Bach-Zelewski. Le paragraphe 3 traite de l’insurrection de Varsovie de 1944 et de la question de savoir si le Gouverneur Général a pris part à sa répression. Je passe maintenant à la page 92.
En fait, l’Acte d’accusation mentionne-t-il la répression de l’insurrection de Varsovie en 1944 ?
Il n’y a rien dans l’Acte d’accusation même, au sujet du rôle joué par le Gouverneur Général dans la répression de cette révolte. Cependant, le Ministère Public soviétique a présenté un télégramme, dont on n’est pas sûr qu’il ait été envoyé, mais qui implique cependant l’accusé Frank dans la révolte de Varsovie. Je n’approfondirai pas la question. Je passe à la page 92 du livre de documents. C’est un affidavit du témoin Wilhelm Ernst, von Palezieux, dont le Tribunal a accepté qu’il soit interrogé. Mais le Tribunal m’a fait savoir qu’au lieu d’un interrogatoire je pouvais présenter un affidavit. Je cite seulement les deux principaux paragraphes :
« Les œuvres d’art entreposées depuis le printemps 1943 dans le château de Cracovie y étaient sous contrôle officiel et légal. Le Dr Frank m’en a toujours parlé comme d’une propriété d’État du Gouvernement Général. Des catalogues en avaient déjà été dressés avant mon arrivée en Pologne ; une liste des œuvres les plus précieuses avait été imprimée sous forme de catalogue avec descriptions et déclarations d’origine, sur l’ordre du Gouvernement Général. »
Vous relisez maintenant tout l’affidavit. Nous ne voulons...
Monsieur le Président, j’ai supposé que dans le cas où un témoin ne comparaît pas à la barre, il est admis que son interrogatoire ou son affidavit soit lu, sinon le contenu de son témoignage ne pourrait être versé au procès-verbal.
Cette règle avait pour but de mettre à la disposition des accusés et de leurs avocats le document en allemand. C’est pourquoi on procédait à la lecture des documents. Le Tribunal va maintenant suspendre l’audience, mais je veux attirer votre attention sur le fait que vous devez écouter la présentation de vos preuves. Nous avons déjà passé plus d’une heure sur un livre et nous en avons encore quatre à traiter : la lecture de tous ces longs passages ne vous apporte aucun avantage, car nous avons encore plusieurs semaines d’audience. Il ne vous est nécessaire que de donner les déclarations qui rendent le document intelligible et de les relier aux preuves orales que les témoins apportent ici. L’audience est levée.