CENT QUINZIÈME JOURNÉE.
Vendredi 26 avril 1946.

Audience de l’après-midi.

Dr DIX

Le représentant du Ministère Public soviétique vous a posé une question au sujet de l’AnschIuss de l’Autriche. On vous a interrompu pendant que vous répondiez à la question. Vous veniez de dire, textuellement : « Mais la forme... » ; je vous prie de compléter votre réponse maintenant.

TÉMOIN GISEVIUS

Je voulais dire que Schacht était certainement opposé à cette forme de l’AnschIuss.

Dr DIX

Encore une dernière question, relative à ce qu’on a appelé l’« incident » d’hier. Je m’en suis entretenu hier avec vous ;

je vous ai donné des indications sur la personnalité de mon collègue, le Dr Stahmer, vous laissant libre d’en faire usage à tout moment. Je vous demande maintenant de faire part de ces indications au Tribunal.

M. JUSTICE JACKSON

Puis-je faire une objection ? Je ne crois pas qu’il soit régulier, pour informer le Tribunal — si ce dernier a toutefois besoin de l’être — que le Dr Dix indique au témoin ce qu’il doit dire au Tribunal.

Je ne vois aucune objection à ce que le témoin rapporte au Tribunal ce qu’il sait de lui-même. Je m’oppose seulement à ce que le témoin soit invité à faire état de ce que le Dr Dix l’a autorisé à communiquer au Tribunal. Je pense que c’est une manière très irrégulière de tirer les choses au clair.

Dr DIX

Monsieur le Président, il n’en est pas ainsi. J’ai fait au Dr Gisevius une remarque au sujet du Dr Stahmer. C’est une affaire entre le témoin et moi. J’attache de l’importance à ce que le témoin rapporte ma remarque, mais c’est une affaire qu’il a observée lui-même. Je préfère faire confirmer par le témoin que j’ai procédé à cette explication. Je ne vois rien d’irrégulier à cette procédure. Je demande au Tribunal d’en décider ; sinon, je donnerai moi-même l’explication, mais je considère qu’il est préférable que le témoin rapporte ce que je lui ai dit hier, immédiatement après l’incident.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal estime que vous pouvez poser la question au témoin.

Dr DIX

J’ai déjà posé ma question, vous pouvez y répondre maintenant.

LE PRÉSIDENT

Je ne suis pas sûr de me rappeler exactement votre question, mais le Tribunal estime que vous pouvez la poser. Est-ce quelque chose dont le témoin ne nous a pas encore fait part, au sujet de cet incident, et qu’il désire dire maintenant ?

Dr DIX

La question a trait à une conversation entre le témoin et moi-même. (Au témoin.) Témoin, que vous ai-je dit hier ?

TÉMOIN GISEVIUS

Vous m’avez dit aussitôt après cet incident qu’à votre avis, votre confrère le Dr Stahmer ne désirait pas exercer sur moi une pression illégale, et que cette pression venait de l’accusé Göring.

Dr DIX

Je n’ai pas d’autre question à poser.

Dr SEIDL

Témoin, étiez-vous pendant la guerre...

LE PRÉSIDENT

Docteur Seidi, désirez-vous procéder à un nouvel interrogatoire ?

Dr SEIDL

Je désire seulement poser une question...

LE PRÉSIDENT

Je ne pensais pas au temps que vous prendriez, mais je me demandais si vous pouviez être autorisé à poser encore quelques questions. Continuez, Docteur Seidi.

Dr SEIDL

Témoin, avez-vous jamais, pendant la guerre, travaillé dans un service d’espionnage d’une puissance étrangère ?

TÉMOIN GISEVIUS

Jamais.

Dr SEIDL

Il n’est donc pas exact...

LE PRÉSIDENT

Vous ne pouvez pas poser cette question au témoin en contre-interrogatoire.

Dr SEIDL

Mais, Monsieur le Président, c’est une question relative à la véracité des déclarations de ce témoin. Si l’on découvrait que ce témoin qui est, ou tout au moins était, citoyen du Reich allemand, appartenait au service d’espionnage d’une puissance étrangère, ce fait serait significatif quant à la véracité de ses dires.

M. JUSTICE JACKSON

J’aimerais être entendu sur ce point. En premier lieu, je ne pense pas que ce témoin puisse être l’objet d’attaques quelconques. En second lieu, je fais remarquer que le fait que ce témoin ait combattu cette sorte d’organisation, ne prouve rien contre son crédit. Je pense que si l’on devait faire une objection au crédit à accorder à ce témoin, ce serait qu’il a prêté serment pour le compte de la Défense et non du Ministère Public. Cette attaque n’est pas opportune, n’est pas justifiée, et elle ne porte pas atteinte au crédit du témoin.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal vous autorise à poser la question, Docteur Seidl.

Dr SEIDL

Répondez, s’il vous plaît, à ma question, en vous souvenant de votre serment.

TÉMOIN GISEVIUS

Il n’est pas nécessaire que vous me rappeliez mon serment. J’ai dit que je n’avais jamais été au service d’une puissance étrangère. J’étais dans une affaire allemande propre et saine.

Dr SEIDL

Avez-vous reçu de l’argent, pendant la guerre, d’une puissance en guerre avec l’Allemagne ?

TÉMOIN GISEVIUS

Non.

Dr SEIDL

Savez-vous ce que signifient les trois lettres OSS ?

TÉMOIN GISEVIUS

Oui.

Dr SEIDL

Que signifient-elles ?

TÉMOIN GISEVIUS

Elles représentent le nom d’un service de renseignements américain.

Dr SEIDL

Étiez-vous en rapports avec cette organisation ?

TÉMOIN GISEVIUS

J’avais des rapports amicaux et politiques avec plusieurs membres de cette organisation.

Dr SEIDL

Je n’ai pas d’autres questions à poser au témoin.

LE PRÉSIDENT

J’espère que Messieurs les avocats se souviendront qu’ils ont déjà eu le loisir de contre-interroger ce témoin, et qu’ils ne feront pas...

Dr EGON KUBUSCHOK (avocat de l’accusé von Papen et du Gouvernement du Reich)

Ce n’est que le représentant du Ministère Public américain qui a mentionné le nom de M. von Papen. Je ne pouvais donc pas poser de questions plus tôt.

Témoin, en réponse à une question posée hier par le représentant du Ministère Public américain, vous avez nié que l’accusé von Papen ait jamais élevé une protestation quelconque. Vous avez d’ailleurs rectifié en disant que von Papen n’avait jamais adressé aucune déclaration écrite au ministère de l’Intérieur. A la page 133 de votre livre, vous faites remarquer qu’une des principales fonctions de l’accusé von Papen en sa qualité de vice-chancelier, consistait à transmettre les protestations et, qu’en général, il les adressait directement à Hindenburg et Göring.

TÉMOIN GISEVIUS

J’ai encore soulevé ce dernier point hier ou aujourd’hui. Je n’ai eu connaissance officiellement d’aucune protestation adressée, après le 30 juin 1934, par von Papen au ministre de la Police compétent. Je puis seulement dire que la position du ministre de la Police eût été considérablement affermie si une protestation de cette nature, décrivant le meurtre des plus proches collaborateurs de von Papen, avait atteint le ministère de l’Intérieur. Il n’aurait alors pas circulé des bruits sur le suicida ou la mort suspecte de Bose et de Jung.

Dr KUBUSCHOK

Ne croyez-vous pas qu’il est vraisemblable, lorsqu’on considère la position plutôt modeste et insignifiante de Frick, que l’on eût adressé des protestations à des fonctionnaires plus importants quand on en avait la possibilité.

TÉMOIN GISEVIUS

Lorsque les ministres considérèrent qu’ils ne pouvaient plus s’adresser qu’à l’autorité supérieure, c’est-à-dire au dictateur lui-même, ils supprimèrent de leur propre chef la compétence constitutionnelle des ministres du Reich et du Cabinet. Il aurait été significatif que M. von Papen eût alors utilisé la voie régulière.

Dr KUBUSCHOK

Vous ne contestez pas, d’après votre livre, que von Papen ait, pour d’autres affaires également, adressé de nombreuses protestations à ces autorités supérieures ?

TÉMOIN GISEVIUS

Non, il protesta fréquemment.

Dr KUBUSCHOK

Hier, au cours de votre déposition générale, vous avez fait un portrait défavorable de von Papen. Ce portrait coïncide avec celui que vous en avez fait dans votre livre. Dans votre livre, vous entrez dans des détails sur lesquels vous basez votre conclusion. Étant donné que vous avez donné peu de place à l’accusé von Papen dans votre livre et que vous n’avez pas eu de rapports avec lui dans le service ou autrement, vous devez certainement vous appuyer sur des informations données par un tiers pour faire vos déclarations. Comme ces déclarations, en ce qui concerne von Papen, sont fausses, je vais y faire allusion brièvement.

Premièrement : vous partez du fait qu’en dépit des événements du 30 juin, von Papen n’a pas démissionné.

Au contraire, il est historiquement exact que von Papen, après l’interdiction de son discours de Marburg, avait donné sa démission, que des négociations entre Hitler et von Hindenburg avaient eu lieu à ce sujet, et que Hitler, immédiatement après la libération de von Papen le 3 juillet a, sur la demande réitérée de ce dernier, accepté cette démission, mais en se réservant de ne la rendre publique qu’ultérieurement, en dépit des réclamations de Papen.

Il est possible, témoin, que vous n’ayez pas connu exactement ces négociations privées.

TÉMOIN GISEVIUS

Il est tout à fait possible que je n’aie pas ’été au courant des événements intérieurs. Mais je voudrais insister sur le fait qu’un ministre ou vice-chancelier se doit d’affirmer publiquement son opinion. Je puis seulement déclarer, quoi qu’il ait dit à Hitler en privé, que Papen a toujours su, d’une manière magistrale, cacher au peuple allemand ses intentions de démission ou sa démission elle-même, et c’est le fait important.

Dr KUBUSCHOK

Savez-vous que, sur ce point, justement, l’accusé von Papen avait fait, quelques semaines auparavant, une expérience pénible lorsque, ayant exprimé librement son opinion dans le discours de Marburg, il en vit la publication interdite, et que tous ceux qui avaient diffusé ce discours furent condamnés.

TÉMOIN GISEVIUS

Je le sais, car nous avons été indignés que le vice-chancelier du Reich allemand se fut ainsi laissé réduire au silence. Je crois que le 30 juin n’aurait pas été aussi sanglant, surtout pour les civils, si le vice-chancelier von Papen avait alors prononcé un « non » énergique et catégorique.

Dr KUBUSCHOK

Je viens de dire, et vous n’en tenez pas compte dans votre réponse, que von Papen, à la suite de l’interdiction de son discours de Marburg, avait effectivement donné sa démission.

Deuxièmement : vous partez du fait que von Papen a participé à la séance du cabinet du 3 juillet, au cours de laquelle on vota la loi qui a donné aux mesures prises à la suite des événements du 30 juin, un caractère légal en les considérant comme des mesures de salut public. Savez-vous que von Papen n’assista pas à cette séance ; qu’il vint dès sa libération à la chancellerie pendant la séance, que Hitler lui demanda de sortir et de l’attendre dans l’antichambre ; que von Papen lui présenta, pour la seconde fois, sa démission qui fut acceptée, et qu’il quitta aussitôt la chancellerie, sans assister à la séance ?

LE PRÉSIDENT

J’ignore si le témoin est capable de suivre vos questions. Elles sont si longues et mentionnent tant de faits que tous les auditeurs, y compris le Tribunal, ne les suivent qu’avec difficulté.

Dr KUBUSCHOK

Le point crucial de ma question était que Papen n’a pas participé à la séance du cabinet du 3 juillet. Ma question...

LE PRÉSIDENT

Docteur Kubuschok, pourquoi n’avez-vous pas demandé directement au témoin s’il avait assisté à cette séance. Si c’était la question que vous vouliez poser, pourquoi ne l’avez-vous pas fait ?

Dr KUBUSCHOK

Je voulais demander si l’affirmation contraire que vous avez exposée dans votre livre ne doit pas être attribuée à une information erronée donnée par un tiers.

TÉMOIN GISEVIUS

On peut s’expliquer que par suite d’une information erronée, du silence de von Papen, ou de la nouvelle telle qu’elle est parvenue au peuple allemand, j’ai été, moi aussi, induit en erreur.

Dr KUBUSCHOK

Troisièmement : vous partez du fait que von Papen est allé plus tard voir Hindenburg et qu’alors il ne protesta pas avec assez de vigueur contre les mesures prises. Ignorez-vous que Papen essaya par tous les moyens d’atteindre Hindenburg, mais qu’on l’écarta et, qu’après le 30 juin, il ne put se rendre à Neudeck, dans la propriété de Hindenburg, qu’après la mort de ce dernier ? Doit-on attribuer l’affirmation contraire exposée dans votre livre à une information erronée ?

TÉMOIN GISEVIUS

Si vous me dites qu’en sa qualité de vice-chancelier du Reich il ne s’est pas rendu une seule fois chez le Président du Reich, bien qu’il assumât toujours ses fonctions, bien qu’il y eût des journalistes étrangers en Allemagne et un corps diplomatique, bien qu’il y eût suffisamment d’Allemands pour entendre et voir, si vous me dites tout cela, je connaîtrai alors l’attitude d’un vice-chancelier allemand.

Dr KUBUSCHOK

Mais, témoin, vous semblez oublier que pendant plusieurs semaines, il était démissionnaire et n’occupait plus ce poste.

Quatrièmement : vous partez de l’affirmation que von Papen prit part à la séance au cours de laquelle furent légalisées les mesures du 30 juin. Savez-vous que von Papen, malgré la demande de Hitler, n’a pas assisté à cette séance ? Avez-vous été mal informé sur ce point aussi ?

TÉMOIN GISEVIUS

Je crois que vous m’avez déjà posé cette question.

Dr KUBUSCHOK

Non, il ne s’agit pas de la même chose, ce n’est plus une séance du cabinet, c’est une séance du Reichstag.

TÉMOIN GISEVIUS

Oui, alors je dois être mal informé.

Dr KUBUSCHOK

Je vous remercie.

(Le Docteur Laternser vient au pupitre.)
GÉNÉRAL RUDËNKO

Monsieur le Président, il me semble que la Défense a eu toute possibilité d’interroger le témoin. La Défense veut procéder à un nouvel interrogatoire du témoin alors que le Ministère Public a terminé son contre-interrogatoire.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal estime qu’il peut régler lui-même les questions de procédure sans interruption de ce genre. Nous examinerons le cas du Dr Laternser quand il présentera sa requête aux fins de contre-interroger.

GÉNÉRAL RUDËNKO

Je comprends, Monsieur le Président. Je voulais simplement faire remarquer que nous nous efforçons d’écourter les débats dans la mesure du possible. Aussi, le Ministère Public souhaite-t-il que la Défense fasse des efforts dans le même sens.

Dr LATERNSER

Monsieur le Président, je voudrais poser au témoin plusieurs questions suscitées par le contre-interrogatoire qu’il a subi. Je pense que le Tribunal n’y verra pas d’objection.

LE PRÉSIDENT

Non, si ces questions ont été suscitées par le contre-interrogatoire.

Dr LATERNSER

Témoin, hier, répondant à une question du procureur américain, vous avez émis l’opinion qu’un putsch contre le régime n’eût été possible qu’en coopération avec les généraux, mais qu’en dépit de nombreux entretiens, vous n’aviez pas pu obtenir cette coopération. Je vous demande, témoin, avec quels généraux vous vous êtes entretenu des projets de putsch de votre groupe ?

LE PRÉSIDENT

Vous n’avez pas à vous occuper de tous les généraux de l’Armée allemande, mais seulement de ceux qui sont accusés de constituer un groupe criminel.

Dr LATERNSER

Oui.

LE PRÉSIDENT

Votre question doit porter sur ces derniers

Dr LATERNSER

Oui, Monsieur le Président. Maintenant, je demande la permission de décrire au témoin les groupes de l’OKW et de l’État-Major général, afin qu’il puisse répondre à mes questions.

LE PRÉSIDENT

Vous pouvez lui demander s’il était entré en contact avec des membres de l’État-Major général, accusés de constituer un groupe criminel. Vous savez quels sont ces généraux.

Dr LATERNSER

Oui. Je voudrais faire au témoin une remarque préliminaire, puis l’interroger dans le sens indiqué. Témoin...

LE PRÉSIDENT

Quelle est la question que vous voulez poser ?

Dr LATERNSER

Afin que le témoin puisse répondre à ma question dans les limites indiquées par le Tribunal, je voudrais lui donner quelques brèves indications sur les personnes qui constituaient ce groupe et lui demander ensuite celles d’entre elles qu’il a approchées pour essayer de les rallier au projet de putsch de son groupe. D’autre part...

LE PRÉSIDENT

Soyez bref.

Dr LATERNSER

Témoin, sont inclus dans le groupe de l’État-Major général et de l’OKW, les titulaires de certains postes pour la période allant de février 1938 à mai 1945. Ces postes sont les suivants : commandants en chef des différentes branches des Forces armées...

LE PRÉSIDENT

Vous n’allez pas passer en revue les 130 membres du groupe ?

Dr LATERNSER

Monsieur le Président, l’énumération se fait assez rapidement. Sinon, je ne peux pas limiter ma question comme le désire le Tribunal.

LE PRÉSIDENT

Je ne sais ce que vous voulez dire. Je vous demandais si vous aviez l’intention de passer en revue les 130 généraux ou officiers ?

Dr LATERNSER

Non, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Très bien, continuez.

Dr LATERNSER

Dans le groupe, sont inclus les titulaires de certains postes. En bref, tous ceux qui, pour la période qui s’étend de février 1938 à mai 1945, ont commandé en chef.

Je vous demande maintenant quels sont les généraux da ce groupe avec lesquels vous avez eu des entretiens ? Je fais allusion aux discussions que vous avez soutenues dans l’intention de les gagner à votre cause et de les amener à participer à un putsch.

TÉMOIN GISEVIUS

Vous voulez dire les commandants en chef de groupes d’armées ?

Dr LATERNSER

D’armées, de groupes d’armées, des subdivisions de la Wehrmacht, et les chefs d’États-Majors généraux des subdivisions de la Wehrmacht.

TÉMOIN GISEVIUS

J’ai déjà cité Halder, Brauchitsch.

Dr LATERNSER

Une question, témoin : avez-vous parlé au Feldmarschall von Brauchitsch de votre intention d’un putsch contre le régime ou contre la Gestapo ?

TÉMOIN GISEVIUS

Oui, je lui ai parlé des deux. Pour les deux, il a d’abord dit « oui », puis il a agi comme s’il avait répondu « non ». J’ai parlé avec Halder et Witzieben, avec Kluge également, que je connaissais depuis de longues années. Je ne sais pas à quelle époque il est entré dans le groupe dont vous parlez, mais je n’ai jamais perdu contact avec lui. Il se peut que j’aie parlé également à un ou deux autres personnages qui tombent dans cette catégorie.

Dr LATERNSER

Mais c’est toujours un événement que de parler avec un chef militaire important d’un projet de putsch ; et vous vous rappeleriez si vous vous en étiez entretenu avec, par exemple, un autre Feldmarschall ?

TÉMOIN GISEVIUS

Ce n’était pas un événement tellement important, Maître. Les maréchaux n’étaient pas des personnages si considérables dans le Troisième Reich.

LE PRÉSIDENT

Docteur Laternser, le fait qu’on ait pressenti ces généraux et qu’ils aient refusé de prendre part à un putsch n’est pas un crime au sens du Statut.

Dr LATERNSER

Monsieur le Président, j’ai établi hier que ce point est très important, car il exclurait l’idée d’un complot.

LE PRÉSIDENT

Docteur Laternser, je crains qu’il ne soit inutile de me dire qu’un point est très important. Je vous ai demandé en quoi il était pertinent de montrer que ces généraux ont discuté d’une révolte contre le régime. Je vous fais ressortir que ce n’est pas un crime aux termes du Statut.

Dr LATERNSER

Oui, mais cette circonstance réduit à néant l’accusation de complot retenue par le Ministère Public.

LE PRÉSIDENT

Mais exclut-elle la possibilité d’un complot en vue de déclencher une guerre d’agression ? Elle n’a aucun rapport avec cette dernière question.

Dr LATERNSER

Je n’ai pas bien compris.

LE PRÉSIDENT

La question d’une révolte contre le régime en Allemagne n’est pas, me semble-t-il, nécessairement liée à celle du complot en vue de mener une guerre d’agression ; par conséquent, toutes les preuves qui se rapportent à une révolte contre le régime en Allemagne ne sont pas pertinentes pour la question que vous avez à traiter.

Dr LATERNSER

Monsieur le Président, on admet l’idée d’un complot précisément en ce qui concerne les guerres d’agression. Mais cette notion de complot serait écartée si les hauts chefs militaires s’étaient tournés contre le régime d’une façon si radicale qu’ils aient discuté d’un putsch et l’aient exécuté.

LE PRÉSIDENT

Docteur Laternser, le Tribunal estime que la question que vous devez, à son avis, poser au témoin est celle de savoir quels étaient les généraux disposés à se joindre à un putsch. Vous pouvez poser cette question.

Dr LATERNSER

Monsieur le Président, afin de préciser dans quelle mesure le groupe tout entier était prêt à le faire, il me faut demander au témoin le nombre de personnes de ce groupe avec lesquelles il a eu des contacts et combien d’entre elles se déclarèrent prêtes à agir avec lui.

LE PRÉSIDENT

Je pense que vous pouvez le lui demander. Lui demandez-vous leur nombre ?

Dr LATERNSER

Monsieur le Président, c’est exactement la question que j’ai posée dès le début.

LE PRÉSIDENT

Je vous ai dit que vous pouviez la poser.

Dr LATERNSER

Oui, Monsieur le Président. Témoin, avec combien de personnes de ce groupe vous êtes-vous entretenu à ce sujet ?

TÉMOIN GISEVIUS

Au cours des années, il y en eu peut-être une douzaine, ou plusieurs douzaines ; mais je dois dire que parler à ces messieurs était l’affaire du Generaloberst Beck, d’Oster et de Canaris, plutôt que la mienne. Ce n’est donc pas moi qui pourrai vous donner les noms que vous désirez connaître. Mais je peux donner une réponse abrégée en disant qu’il n’y eut malheureusement que très peu de généraux importants dans le groupe incriminé, qui aient montré une volonté arrêtée de renverser le régime.

Dr LATERNSER

Témoin, c’est tout ce que je voulais savoir. Ainsi que vous l’avez déclaré tout à l’heure, vous avez parlé avec les maréchaux von Brauchitsch, von Witzieben et Halder ?

TÉMOIN GISEVIUS

Et Olbricht.

Dr LATERNSER

Oui, mais il n’appartenait pas à ce groupe. Vous avez effectivement parlé avec ces trois personnages, n’est-ce pas ?

TÉMOIN GISEVIUS

Avec Kluge également.

Dr LATERNSER

A propos du projet du putsch ?

TÉMOIN GISEVIUS

Oui, naturellement.

Dr LATERNSER

Et parmi ces quatre généraux que vous avez cités, seul, le Feldmarschall von Witzieben a accepté ?

TÉMOIN GISEVIUS

Non, sur le moment ils ont tous donné leur accord. Mais, seul, Witzieben a tenu parole.

Dr LATERNSER

Il a donc participé à ce putsch ?

TÉMOIN GISEVIUS

Oui.

Dr LATERNSER

Si j’ai bien compris, vous avez dit hier que le putsch du 20 juillet avait été mis sur pied essentiellement par la Wehrmacht, c’est-à-dire par les généraux et par les officiers de l’État-Major général, et qu’ils avaient l’intention de réduire au minimum le nombre des participants aux événements du 20 juillet ?

TÉMOIN GISEVIUS

Non, je n’ai pas dit exactement cela. J’ai voulu dire que dans un régime de terreur, un putsch ne peut ’être mené à bien que par des militaires ; à cet égard, il est exact de dire que ces quelques généraux qui y participèrent furent les protagonistes du putsch. Mais, le 20 juillet, les éléments forts se trouvaient dans le front des civils, de ces civils qui, depuis des années, combattaient pour les généraux et étaient sans cesse déçus par eux. C’est pourquoi les assurances et l’accord des généraux étant sans cesse remis en question, nous décidâmes, le 20 juillet, d’attendre cette fois que les généraux fussent entrés en action afin de ne pas donner de faux espoirs et des inquiétudes à tant de civils. Voilà le sens que je voulais donner à cette restriction.

Dr LATERNSER

Ainsi, l’unique putsch qui ait été exécuté, a été fait par les généraux et l’État-Major général ?

TÉMOIN GISEVIUS

Et par des civils.

Dr LATERNSER

A la tête de ce groupe, ainsi que vous l’avez dit, se trouvait le Generaloberst Beck ?

TÉMOIN GISEVIUS

Oui.

Dr LATERNSER

Et ce dernier appartenait également au groupe accusé sous le nom d’État-Major général et Haut Commandement ?

Encore une question. Êtes-vous au courant des relations entre ces chefs supérieurs de l’Armée et le ministre des Finances Popitz qui aurait eu, lui aussi, un projet de putsch et qui, pour écarter Hitler, aurait négocié avec Himmier lui-même ? En savez-vous quelque chose ?

TÉMOIN GISEVIUS

Oui, c’est exact ; Popitz se donnait beaucoup de peine pour décider les généraux à préparer un attentat. Je regrette de ne l’avoir pas nommé plus tôt ; lui aussi était un de ceux qui, depuis 1938 ou 1939, faisaient tout pour renverser le régime.

Dr LATERNSER

Avez-vous un jour parlé de la question avec le ministre Popitz ?

TÉMOIN GISEVIUS

Oui, à plusieurs reprises.

Dr LATERNSER

Vous a-t-il dit avec quels chefs militaires il entretenait des relations dans ce but ?

TÉMOIN GISEVIUS

Je sais qu’il était en relations avec Beck, sans doute avec Witzieben et avec Halder. Il était en relations également avec Brauchitsch. La liste de ses déceptions n’est pas moins longue que la liste de nos déceptions à tous.

Dr LATERNSER

Vous a-t-il parlé lui-même d’une déception ?

TÉMOIN GISEVIUS

Oui. Il était amèrement déçu. Ces éternelles et amères déceptions étaient le thème de nos conversations, et c’était là qu’était la difficulté pour les civils.

Dr LATERNSER

N’y a-t-il pas eu d’autre possibilité de renverser le régime ?

TÉMOIN GISEVIUS

Non, depuis que, par la faute des généraux, il n’y avait plus en Allemagne de force constitutionnelle du autre et que les généraux incarnant la seule force armée de la nation se laissaient diriger par Hitler, il n’était pas possible d’organiser le combat autour d’un autre noyau. Je vous rappelle qu’après 1938, toute tentative de grève de la part de la gauche était considérée comme une mutinerie en temps de guerre, et je rappelle également les condamnations à mort qui ont frappé des centaines de civils, prononcées en application de la législation du temps de guerre.

Dr LATERNSER

Passons à autre chose. Quand...

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal estime que ce sujet a déjà été traité et n’est pas vraiment pertinent. Vous avez déjà contre-interrogé le témoin assez longuement et nous ne voulons pas entendre traiter ce sujet dans la suite du contre-interrogatoire.

Dr LATERNSER

Monsieur le Président, j’ai terminé tout de suite.

Témoin, quand avez-vous connu les circonstances exactes de la crise Fritsch ?

LE PRÉSIDENT

Je croyais vous avoir entendu dire que vous aviez terminé ?

Dr LATERNSER

Monsieur le Président, je me suis malheureusement mal fait comprendre. J’ai voulu dire que j’en avais terminé avec les questions sur le putsch. J’en arrive à un autre point, et je voudrais poser une question sur la crise Fritsch.

LE PRÉSIDENT

Quelle question ?

Dr LATERNSER

Je voudrais demander au témoin quand il a connu les circonstances exactes de la crise Fritsch, et s’il a communiqué ou fait communiquer ces renseignements aux chefs supérieurs des Forces armées.

LE PRÉSIDENT

La crise Fritsch n’a rien à voir avec les accusations portées contre le Haut Commandement. Les chefs d’accusation contre le Haut Commandement portent sur des crimes qualifiés dans le Statut, avec lesquels la crise Fritsch n’a aucun lien.

Dr LATERNSER

Je retire donc cette question. Témoin, vous avez aujourd’hui, au cours du contre-interrogatoire...

LE PRÉSIDENT

Qu’allez-vous demander maintenant ?

Dr LATERNSER

Monsieur le Président, je voudrais maintenant questionner le témoin sur des sujets qu’il a traités au cours de son interrogatoire par le Ministère Public américain et sur lesquels, je crois, quelques éclaircissements sont encore nécessaires.

LE PRÉSIDENT

Il ne s’agit pas de savoir si vous croyez ou non que ces questions sont nécessaires, mais si le Tribunal les estime nécessaires. C’est pourquoi le Tribunal voudrait savoir sur quels points vous voulez interroger le témoin.

Dr LATERNSER

Le témoin, au cours de ses déclarations d’aujourd’hui, a déclaré être en possession de documents sur les crimes commis en Pologne et en Russie. Je voulais lui demander qui a établi ces rapports et s’il connaît, en particulier, un rapport fondamental du général Blaskowitz, que ce dernier a rédigé lorsqu’il était Militàrbefehishaber en Pologne, pour le faire transmettre à ses chefs hiérarchiques. Ce serait d’une importance considérable. Le général Blaskowitz fait partie du groupe que je représente, et il ressort de ces faits, si je puis le prouver, que les membres de ce groupe se sont toujours élevés contre certaines cruautés quand celles-ci leur ont été rapportées. En conséquence, il me faut pouvoir prouver que ces rapports, qui avaient pour but de mettre fin à ces cruautés, doivent être atttribués également à des généraux qui faisaient partie du groupement incriminé.

M. JUSTICE JACKSON

Puis-je suggérer, Messieurs, qu’il me semble que l’avocat considère qu’il doit s’occuper des généraux en tant qu’individus. Nous nous occupons seulement du groupe. Si ce que dit l’avocat à propos du général Blaskowitz est exact, c’est un argument en faveur de celui-ci et je suis en droit de dire que le général Blaskowitz s’est opposé au complot nazi. Si ce fait est prouvé, il ne doit évidemment pas être condamné pour des actions auxquelles il s’est opposé.

Il me semble qu’on traite alors des cas individuels par suite d’une erreur qui consiste à croire que le moment est venu d’accumuler les charges contre chacun des généraux. Nous ne les mettons pas en accusation parce qu’ils ont ou non participé à un putsch ou à une affaire Fritsch. On ne se réfère à l’affaire de Fritsch que pour établir le moment où l’accusé Schacht a été convaincu que le but du régime nazi était de déclencher une guerre d’agression. On n’a parlé du putsch que parce que, dans sa défense, Schacht a déclaré avoir essayé d’organiser un putsch. Cela n’a rien à voir avec les accusations portées contre l’État-Major général. La plupart des membres de l’État-Major général qui ont pris part au putsch ont été pendus, et je ne vois pas quel intérêt peut présenter pour la défense des survivants qui sont accusés, le fait qu’il y ait eu ou non un putsch. Il semble que nous nous éloignons du sujet essentiel.

Dr LATERNSER

Monsieur le Président, il me faut prendre position et je vous prie de m’y autoriser. S’il ne m’est pas permis de parler de la conduite des membres de l’organisation et de poser des questions sur un point aussi important dont il ressort qu’ils ont lutté contre des cruautés, il ne m’est pas possible d’exposer au Tribunal l’attitude typique des chefs militaires. Il est absolument indispensable que je puisse éclaircir ces points, d’autant plus que je n’ai pas d’autres moyens de preuve, car je ne peux déclarer un groupement criminel que si, par exemple, la majorité des membres de ce groupe a commis des crimes. Il me faut pouvoir demander, dans ce cas, quelle a été l’attitude du général Blaskowitz sur le problème des cruautés en Pologne.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal se retire pour délibérer.

(L’audience est suspendue.)
LE PRÉSIDENT

Docteur Latemser, le Tribunal estime que les questions que vous avez posées ne sont que très peu pertinentes.

Le Tribunal ne peut pas vous autoriser à poursuivre le contre-interrogatoire car ce serait gaspiller son temps. Le Tribunal décide que vous pouvez poser votre question sous la forme suivante : le témoin a parlé de rapports qu’a reçus le groupe dont vous parlez, sur les atrocités commises à l’Est ; le Tribunal estime que vous pouvez lui demander qui a soumis ces rapports.

Dr LATERNSER

Témoin, je vous demanderai donc de bien vouloir répondre à la question suivante : de qui provenaient ces comptes rendus sur les assassinats en Pologne et en Russie ?

TÉMOIN GISEVIUS

Je connais un rapport rédigé par le général Blaskowitz dans les premiers mois de la campagne de Pologne sur la base d’informations reçues des services qui lui étaient subordonnés. En dehors de cela, de tels rapports, à ma connaissance, n’ont été réunis que par le groupe Canaris-Oster. Mais je ne voudrais pas affirmer que d’autres personnalités n’aient pu faire de tels rapports.

Dr LATERNSER

Quel était l’objet du rapport soumis par le Generaloberst von Blaskowitz ?

TÉMOIN GISEVIUS

Le General Oberst von Blaskowitz voulait...

LE PRÉSIDENT

Un rapport fait par un général ne prouve pa,s nécessairement que le groupe soit innocent ou criminel.

Dr LATERNSER

Monsieur le Président, c’est cependant un moyen de déterminer l’attitude du groupe.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal estime que le rapport d’un seul général ne prouve pas la criminalité ou l’innocence d’un groupe.

Dr LATERNSER

Monsieur le Président, m’autorise-t-on à poser la question ? J’ai demandé quel était le but de ce rapport ?

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal estime que la question relative

au contenu du rapport n’est pas admissible.

Dr LATERNSER

Je n’ai pas d’autres questions à poser.

LE PRÉSIDENT

Le témoin peut se retirer. (Le témoin quittte la barre.)

Docteur Pannenbecker, vous en avez ainsi terminé avec vos explications, n’est-ce pas ?

Dr PANNENBECKER

L’exposé du cas de l’accusé Frick est terminé sous réserve des réponses aux questionnaires qui ne sont pas encore parvenues.

LE PRÉSIDENT

Oui. Je donne la parole au Dr Marx, avocat de l’accusé Streicher.

Dr HANNS MARX (avocat de l’accusé Streicher)

Monsieur le Président, avec l’autorisation du Tribunal, j’appellerai l’accusé Julius

Streicher à la barre des témoins.

(L’accusé Julius Streicher vient à la barre.)
LE PRÉSIDENT

Voulez-vous décliner votre identité ?

ACCUSÉ JULIUS STREICHER

Julius Streicher.

LE PRÉSIDENT

Répétez après moi les paroles du serment :

« Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien. » (Le témoin répète le serment.)

Vous pouvez vous asseoir.

Dr MARX

Témoin, voulez-vous donner au Tribunal un bref aperçu de votre carrière.

ACCUSÉ STREICHER

Je prie le Tribunal de me permettre de faire à propos de ma défense, une courte déclaration. Premièrement...

LE PRÉSIDENT

Vous devez répondre aux questions qui vous sont posées.

ACCUSÉ STREICHER

Monsieur le Président, mon défenseur ne peut pas dire ce que je veux dire. Il ne peut pas le faire. Voici en quelques mots ce que je veux demander : mon défenseur n’a pas voulu ou n’a pas pu conduire ma défense comme je le désirais ; c’est ce que je voulais faire savoir au Tribunal.

LE PRÉSIDENT

Accusé, vous comprenez que le Tribunal ne veut pas perdre son temps à des questions inutiles. Cependant il n’a pas d’objection à ce que vous déclariez des choses importantes ou que vous le lisiez si c’est nécessaire. Il espère que vous serez aussi bref que possible.

ACCUSÉ STREICHER

Je ne donnerai que des faits, quatre faits.

Premièrement, le Statut qui règle les débats de ce Tribunal Militaire International, garantit aux accusés le droit de se défendre librement, selon la justice.

Deuxièmement, avant le début de ce Procès, les accusés ont reçu une liste contenant les noms des avocats parmi lesquels les accusés pouvaient choisir leur défenseur. Étant donné que l’avocat munichois que j’avais choisi en vue de ma défense n’a pas pu être mis à ma disposition, j’ai demandé au Tribunal de mettre à ma disposition le Dr Marx, ce qui s’est fait.

Troisièmement, lorsque je rencontrai pour la première fois mon défenseur, je lui dit qu’il devait s’attendre, étant mon défenseur, à être attaqué par l’opinion publique. Peu après, une attaque contre lui paraissait dans un journal communiste de la zone russe de Berlin. Le Tribunal Militaire International se vit dans l’obligation de réfuter cette attaque dans une déclaration publique et d’assurer mon avocat de sa protection.

Quatrièmement, malgré la déclaration du Tribunal Militaire International indiquant sans doute possible, que le Tribunal voulait que les accusés puissent se défendre librement, il y eut une nouvelle attaque, cette fois par la radio. Le speaker déclara : « Il se trouve parmi les défenseurs des nazis et des antisémites camouflés. » Il est évident qu’il s’agissait d’intimider les avocats. Ces attaques terroristes ont abouti au fait — telle est mon impression — que mon propre défenseur s’est refusé à faire état d’un grand nombre de preuves que je considérais comme importantes.

Cinquièmement, je constate donc qu’il ne m’a pas été possible de bénéficier devant ce Tribunal Militaire International, d’une défense sans entraves et par conséquent juste.

LE PRÉSIDENT

Vous pouvez être certain, que le Tribunal veillera à ce que soit présenté tout ce qui, à son avis, est pertinent ou essentiel pour votre cas, et à ce qu’on vous donne la possibilité de présenter au mieux votre défense.

ACCUSÉ STREICHER

Je vous remercie, Monsieur le Président. De ma vie...

Dr MARX

Monsieur le Président, voulez-vous me permettre de prendre position sur ce point. Messieurs, lorsqu’à un moment donné on m’a demandé d’assumer la défense de M. Streicher, il va sans dire que j’ai éprouvé des scrupules...

LE PRÉSIDENT

Docteur Marx, je ne crois pas qu’il soit nécessaire que vous donniez maintenant des explications personnelles. Il se peut que l’accusé ait une autre conception de sa propre défense. Je crois qu’il vaut mieux laisser l’accusé continuer sa défense lui-même.

Dr MARX

Je vous demande, néanmoins, Monsieur le Président, de me permettre de prendre la parole sur un point précis. Il s’agit de ceci : en qualité d’avocat et de défenseur d’un accusé, je dois me réserver le droit de déterminer comment je veux orienter ma défense. Si mon client estime que certains documents ou certains livres sont pertinents dans sa conception, et si l’avocat est d’avis qu’il n’en est rien, il y a alors évidemment une divergence de vues entre le défenseur et son client. Si M. Streicher estime que je ne suis pas compétent ou que je ne suis pas en mesure d’assurer sa défense, qu’il demande dans ce cas un autre défenseur. Je n’ignore pas qu’à cette phase des débats, il m’est très difficile de tirer la conclusion de cet incident et de demander à être déchargé de cette tâche. Je ne me sens absolument pas terrorisé par un journaliste quelconque, mais c’est une autre affaire si le client n’a plus confiance en son propre avocat. Voilà pourquoi je me vois obligé de demander au Tribunal de décider si, dans ces circonstances, je dois poursuivre ma tâche de défenseur.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal estime que la déclaration que vous venez de faire est conforme aux traditions de la profession d’avocat ; il croit cependant que les débats doivent se poursuivre et que vous devez continuer la présentation de vos explications.

Maintenant, accusé, voulez-vous continuer.

ACCUSÉ STREICHER

Je suis né le 12 février 1885 dans un petit village de Souabe bavaroise. Je suis le dernier de neuf enfants. Mon père était instituteur, et j’ai été moi aussi instituteur. Après avoir passé quelques années en qualité d’instituteur dans mon village natal en Souabe bavaroise, je fus nommé en 1909 à l’école municipale de Nuremberg, où j’eus l’occasion d’entrer en contact avec les familles des enfants d’ouvriers des banlieues et je pus ainsi constater les contrastes sociaux ; ces constatations m’ont amené en 1911 à faire de la politique. Je devins membre du parti démocrate. En 1912, j’ai parlé au nom du parti démocrate au cours de la campagne électorale pour les élections au Reichstag. L’automobile qui était mise à ma disposition avait été payée par la banque Kohn. Je tiens à dire que j’ai eu alors beaucoup d’occasions de fréquenter des Juifs, à l’intérieur même du parti démocrate. Il fallait vraiment que je fusse prédestiné pour devenir plus tard un écrivain et un orateur raciste. Puis vint la guerre mondiale. Je fus moi aussi mobilisé comme caporal dans un régiment d’infanterie. Je devins officier dans un groupe de mitrailleuses. Je revins au pays avec deux croix de Fer, l’Ordre bavarois et la croix du Mérite autrichien, pour faits de bravoure. Lorsque je fus rentré au pays, je ne désirais pas reprendre mon activité politique. Mon seul désir était de me retirer et de remplir mes fonctions d’instituteur. Mais alors je vis en Allemagne les affiches rouge sang de la révolution et je me trouvai pour la première fois au milieu des masses agitées de cette époque. Au cours d’une réunion je demandai la parole après l’orateur. J’étais inconnu, mais une voix intérieure m’avait poussé sur l’estrade et je parlai. J’entrai dans la discussion et je parlai des récents événements en Allemagne. Lors de la révolution de novembre 1918, les Juifs et leurs amis s’étaient emparés du pouvoir politique. Il y avait des Juifs au Gouvernement du Reich et même dans tous les Gouvernements des pays. Dans ma petite patrie, la Bavière, le président du Conseil était un Juif polonais, un certain Eisner-Kosmanovsky. La réaction de la bourgeoisie allemande se manifesta par la création d’une association, le « Schutz und Trutzbund ». Dans toutes les grandes villes d’Allemagne furent créés des groupes locaux du « Schutz und Trutzbund ». Le destin voulut que j’assistasse une autre fois à une réunion où je pris la parole comme contradicteur. Un citoyen s’approcha de moi et me demanda de me rendre au Kultur-Verein, dans la « salle dorée », pour entendre ce qu’on avait à dire.

C’est ainsi, Messieurs, que j’entrai dans la voie qui m’a conduit jusqu’ici. C’est le destin qui a fait de moi l’homme qu’une propagande internationale croyait avoir fait elle-même. On m’a traité de chien sanglant, de tsar sanglant de Franconie. On a porté atteinte à mon honneur. On a payé 300 Mark un criminel, qui devait prêter serment dans cette salle même, pour déclarer m’avoir vu pendant la guerre, alors que j’étais officier en France, violer une Madame Duquesne, femme d’un instituteur d’Athis près de Péronne. Il fallut deux ans pour qu’une trahison dévoilât la vérité. Ici dans cette salle, Messieurs, on a présenté le reçu de ces 300 Mark. Pour 300 Mark, on a voulu m’enlever mon honneur ! Je mentionne cette affaire, Messieurs, parce que mon cas est spécial, et si l’on veut le juger selon la justice, je dois pouvoir faire à l’occasion une remarque comme celle-là. Puis-je encore ajouter, Messieurs, que ce n’est pas par hasard que la première question que m’a posée l’officier soviétique qui m’a interrogé a été celle-ci : « Avez-vous commis des attentats à la pudeur ? »

Messieurs, j’ai indiqué de quelle façon providentielle je suis entré dans le « Schutz und Trutzbund » pour indiquer la voie au peuple. J’ai dit quelles étaient alors les circonstances en Allemagne. Il était par conséquent tout naturel que je n’aille plus dans les centres révolutionnaires pour participer aux discussions. Je me sentais appelé à faire mes propres réunions et je pris la parole, je puis le dire, pendant quinze ans, presque tous les vendredis, devant 5.000 à 6.000 personnes. Pendant vingt ans, je le reconnais ouvertement, j’ai pris la parole dans les plus grandes villes d’Allemagne, parfois devant des assemblées réunies dans des stades ou sur des places publiques devant 150.000 à 200.000 personnes. Je l’ai fait pendant vingt ans et je déclare ici : je n’ai pas été payé par le Parti. Le Ministère Public ne peut pas, même en faisant une proclamation, amener dans cette salle quelqu’un qui puisse prouver que j’étais payé. J’avais un traitement modeste qu’on m’avait encore laissé après que j’eusse été relevé de mes fonctions en 1924. Néanmoins, je suis le seul Gauleiter du mouvement qui n’ait jamais reçu un sou. Que plus tard mon activité d’écrivain m’ait nourri, moi et mes collaborateurs, c’était tout naturel.

Maintenant, Messieurs, en 1921 — je reviens à cette époque — je me rendis à Munich. J’étais curieux. Quelqu’un m’avait dit : « Vous devriez entendre un jour Adolf Hitler. » Là, le destin intervient encore. On ne peut comprendre ce drame que si l’on perçoit les ondes supérieures qui ne sont pas encore amorties. Je me rendis donc à Munich au Bùrgerbràukeller. Hitler parla. Je ne le connaissais que de nom. Je n’avais encore jamais vu cet homme. J’étais là, un inconnu parmi des inconnus. Je vis cet homme après un discours de trois heures, peu avant minuit, baigné de sueur, rayonnant. Un de mes voisins croyait voir une auréole autour de cette tête ; et moi j’éprouvais quelque chose d’indéfinissable. Messieurs, c’était un spectacle qu’on ne voyait pas tous les jours. Lorsqu’il eut terminé son discours, une voix intérieure m’ordonna de me lever. Je me rendis sur l’estrade. Quand Adolf Hitler en descendit, j’allai à lui et lui dis mon nom. Le Ministère Public a présenté au Tribunal un document qui rappelle ce moment. Adolf Hitler a écrit dans son livre Mein Kampf que j’avais dû vraiment faire un effort sur moi-même pour remettre entre ses mains ce mouvement que j’avais créé à Nuremberg.

Je mentionne cela parce que le Ministère Public a cru devoir présenter ce détail qui est contenu dans le livre de Hitler, Mein Kampf, pour en faire état contre moi. Oui, j’en suis fier ; je me suis contraint et j’ai remis moi-même entre les mains de Hitler le mouvement que j’avais créé en Franconie. Grâce à ce mouvement franconien, le mouvement qu’Adolf Hitler avait fondé à Munich et dans le sud de la Bavière put jeter un pont vers l’Allemagne du Nord. C’était aussi mon œuvre.

En 1923, je pris part à la première révolution nationale. C’est-à-dire à la tentative de révolution. L’Histoire en parle comme du putsch de Hitler. Adolf Hitler m’avait fait demander de venir à Munich. Je me rendis à Munich et je pris part à la réunion au cours de laquelle Adolf Hitler avait conclu un accord solennel avec les représentants de la bourgeoisie pour se rendre en Allemagne du Nord et mettre fin au chaos.

Je suivis le défilé jusqu’à la Feldherrnhalle. Je fus arrêté et conduit comme Adolf Hitler, Rudolf Hess, etc., à Landsberg sur le Lech. Quelques mois plus tard, le bloc raciste me présenta à la députation au Landtag de Bavière, et je fus élu en 1924.

En 1925, quand le mouvement eût été autorisé à nouveau et que Hitler eût été libéré, je devins Gauleiter de Franconie. En 1933, je devins député au Reichstag. En 1933 ou 1934, je reçus moi aussi le titre honorifique de SA-Gruppenfûhrer.

En février 1940, je fus mis en congé pendant cinq ans, jusqu’à la fin de la guerre.

Je restai dans ma ferme.

A la fin avril, je me rendis en Bavière méridionale, en direction du Tyrol. Je voulais me suicider. Survint un événement sur lequel je n’insisterai pas. Mais je puis dire que j’ai déclaré à des amis :

« Pendant vingt ans j’ai professé ma doctrine devant l’opinion mondiale ; je ne veux pas finir par un suicide. Je veux poursuivre mon chemin quel qu’il soit, jusqu’au bout, comme un fanatique de la vérité ». Fanatique de la vérité, oui ; puis-je faire ici la remarque suivante : c’est sciemment que j’ai donné à mon journal de combat le Stùrmer, le sous-titre suivant : « Hebdomadaire de lutte pour la vérité ». Je n’ignorais pas que je ne pouvais pas posséder la vérité tout entière, mais je suis conscient que les convictions que j’ai exprimées étaient vraies dans la proportion de 80 à 90%.

Dr MARX

Témoin, pourquoi avez-vous été relevé de vos fonctions d’instituteur ? Vous êtes-vous rendu coupable d’un délit quelconque ou d’attentats à la pudeur ?

ACCUSÉ STREICHER

Je crois avoir répondu à cette question. Chacun sait que je n’aurais pas pu participer à la vie publique et exercer cette profession si j’avais commis un crime. C’est inexact. J’ai été licencié parce que la majorité des partis au Landtag de Bavière, exigea en octobre 1923, après le putsch de Hitler, que je fusse licencié. Voilà quels ont été mes attentats à la pudeur, Messieurs.

Dr MARX

Vous savez que vous tombez sous le coup de deux chefs d’accusation. Premièrement, vous êtes accusé d’avoir participé au complot qui avait pour but de déclencher une guerre ou des guerres d’agression, de rompre des engagements et des traités et auparavant même, d’avoir commis des crimes contre l’Humanité, et deuxièmement, vous êtes accusé de crimes contre l’Humanité.

En ce qui concerne le premier point, je voudrais vous poser un certain nombre de questions. Avez-vous jamais eu des conversations avec Adolf Hitler ou avez-vous jamais pris part à des conférences réunissant d’autres chefs de l’État ou du Parti au cours desquelles aurait été discutée la question d’une guerre d’agression ?

ACCUSÉ STREICHER

Je peux répondre immédiatement non. Mais je voudrais que l’on m’autorisât à fournir une brève explication. En 1921, comme je l’ai déjà dit, je me suis rendu à Munich et en public, sur l’estrade, j’ai remis entre les mains du Fuhrer mon mouvement tout entier ; plus tard je lui ai écrit une lettre à ce sujet, mais je n’ai pas eu d’autres pourparlers ni avec Hitler ni avec une personnalité quelconque. Je retournai à Nuremberg et continuai à parler. Je n’ai pas assisté à la proclamation du programme du Parti. Cette proclamation se fit ouvertement et ce complot a été si public que des adversaires politiques de notre mouvement ont pu se livrer à des tentatives terroristes.

Je résume donc : il n’y a jamais eu de conférence secrète où l’on ait prêté serment ou décidé quoi que ce soit que l’opinion publique n’ai pu connaître. Il y avait le programme du Parti. Il avait été remis à la Police, en vertu de la loi sur les associations. Le Parti était consigné comme les autres sur le registre des associations. Par conséquent, il n’y a pas eu alors le moindre complot.

Dr MARX

Un des points les plus importants du programme du Parti était, n’est-il pas vrai, le slogan « se libérer de Versailles » ? Quelles étaient vos idées sur la façon dont on pourrait éliminer le Diktat de Versailles ?

ACCUSÉ STREICHER

Je serai très bref à ce sujet. Je crois que le Tribunal sait depuis longtemps ce qu’il en est. Évidemment, on trouve dans tous les peuples des traîtres comme celui que nous avons vu aujourd’hui même, et aussi une masse de gens honnêtes. Et ce sont ces honnêtes gens qui, après la guerre mondiale, étaient pénétrés du slogan « se libérer de Versailles ».

M. JUSTICE JACKSON

Plaise au Tribunal. Je crois devoir faire objection à cette forme de procédure. Ce témoin n’a pas le droit d’appeler « traître » un autre témoin. On ne lui a posé aucune question à laquelle il puisse donner cette réponse et je demande que le Tribunal lui adresse un avertissement sans équivoque et lui ordonne de se limiter à répondre aux questions selon la procédure régulière.

LE PRÉSIDENT (au témoin)

Veuillez respecter ces observations.

ACCUSÉ STREICHER

Je m’excuse auprès du Tribunal. Cela m’a échappé.

LE PRÉSIDENT

Oui. Je n’avais pas entendu moi-même la remarque que vous avez faite ; mais elle se rapportait au témoin qui vient de déposer et vous n’aviez aucun droit de l’appeler traître ou de faire des commentaires sur son témoignage.

Dr MARX

Monsieur Streicher, vous voudrez bien vous abstenir de pareilles observations.

Adolf Hitler parlait toujours, aux anniversaires du Parti, d’une communauté de conjurés. Que pouvez-vous dire là-dessus ?

ACCUSÉ STREICHER

« Communauté de conjurés » cela voulait dire que Hitler était convaincu que ses anciens partisans lui étaient profondément liés en esprit, dans leurs sentiments et dans leur fidélité politique. C’était une conjuration par les idées et les sentiments.

Dr MARX

Ne pouvait-on pas en conclure qu’il existait un complot ?

ACCUSÉ STREICHER

Dans ce cas, Hitler aurait dit : « Nous sommes une communauté de conspirateurs ».

Dr MARX

Y avait-il entre vous et les autres accusés une communauté quelconque que l’on pût qualifier de « conjuration » et aviez-vous des relations plus étroites avec l’un de vos co-accusés ?.

ACCUSÉ STREICHER

Dans la mesure où ce sont des vieux camarades du Parti, nous avons une communauté de conceptions. Nous nous sommes rencontrés à des réunions de Gauleiter. Il est possible que l’un soit venu parler dans la capitale du Gau, où j’ai pu le voir. Quant aux ministres du Reich, je n’ai eu qu’ici l’honneur de faire leur connaissance. Je n’ai connu qu’ici également ces Messieurs de l’Armée. Far conséquent il n’y avait pas entre nous de communauté politique, de communauté d’action.

Dr MARX

Comment envisageait-on, dans les débuts du Parti, la solution de la question juive ?

ACCUSÉ STREICHER

Dans les débuts du Parti, on ne parlait absolument pas de résoudre la question juive, de même qu’il n’était pas question non plus de la façon dont on pourrait abolir le Diktat de Versailles. Il faut se représenter le chaos qui régnait alors en Allemagne. Si un Adolf Hitler avait dit à ce moment-là aux membres de son Parti :

« En 1933, je commencerai à susciter une guerre », on l’aurait cru fou. L’Allemagne n’avait plus d’armes ; l’Armée de 100.000 hommes n’avait que quelques canons d’infanterie ; l’idée de prophétiser une guerre ne venait pas à l’esprit et parler d’une question juive, alors que l’opinion ne voyait chez les Juifs qu’une différence de religion, eût été une absurdité. Par conséquent, je puis dire qu’avant 1933 il n’a jamais été question d’une solution de la question juive. Je n’ai jamais entendu Hitler en parler ; et ici même il n’y a personne dont je puisse dire que je l’aie jamais entendu prononcer un mot sur cette question. »

Dr MARX

On prétend que vous avez entretenu des relations particulièrement étroites avec Hitler et que vous auriez exercé une influence appréciable sur les décisions de cet homme. Je voudrais donc vous demander de définir vos rapports avec Adolf Hitler.

ACCUSÉ STREICHER

Quiconque a eu l’occasion de connaître de près Hitler sait combien ce que je dis est exact. Quiconque croyait pouvoir se frayer une voie pour devenir un jour un ami personnel de Hitler, se faisait des illusions. Adolf Hitler était un être exceptionnel à tous égards et je crois pouvoir dire qu’il n’avait pas de relations d’amitié avec d’autres hommes, au moins d’amitié intime. Il était difficile de s’approcher d’Adolf Hitler et celui qui voulait le faire ne le pouvait que par une action énergique. Puisque vous me le demandez — je sais à quoi tend cette question — je peux répondre ceci : avant 1933, Adolf Hitler n’avait pas confiance en moi, bien que j’eusse spontanément remis tout mon mouvement entre ses mains. Il envoya après quelque temps, le futur maréchal Hermann Göring à Nuremberg. C’était alors un jeune Führer des SA, je crois ; il venait examiner si c’était moi ou mes dénonciateurs qui avaient raison. Ce n’est pas une accusation, mais une simple constatation. Peu après, il envoya encore un enquêteur puis un troisième. Ainsi, jusqu’en 1923, Adolf Hitler n’eut pas confiance en moi. Puis ce fut le putsch de Munich. Après minuit, comme la plupart des gens l’avaient abandonné, je vins à lui et lui dis qu’il fallait maintenant éclairer l’opinion en attendant le grand jour prochain. Il me regarda alors en ouvrant de grands yeux et me dit : « Voulez-vous le faire ». Je répondis : « Je le ferai ».

Il est possible que le Ministère Public ait le document en mains. Après minuit, il écrivit sur un morceau de papier : « Streicher est chargé de l’ensemble de l’organisation ». Cela devait avoir lieu le lendemain, le 11 novembre. Ce jour-là, je dirigeai ouvertement la propagande et cela encore une heure avant le défilé à la Feldherm-halle. Quand je revins, tout était prêt. En avant, le drapeau qui devint plus tard la Blutfahne. Je me joignis au second groupe et nous défilâmes à travers la ville vers la Feldherrnhalle. Lorsque je vis devant la Feldherrnhalle les fusils braqués et que je sus qu’on allait tirer, je m’avançai à dix mètres devant mon drapeau et je marchai sur les fusils. Puis ce fut le bain de sang et nous fûmes arrêtés.

J’en ai presque terminé.

J’en viens maintenant au cœur de l’affaire. A Landsberg, Adolf Hitler me dit devant ses co-détenus qu’il n’oublierait jamais cet acte ; ainsi, parce que j’avais pris part à cette marche sur la Feldherrnhalle, à la tête du défilé, Adolf Hitler s’était senti plus attiré vers moi que vers un autre. L’amitié était née de l’action.

Dr MARX

Avez-vous fini ?

ACCUSÉ STREICHER

Oui.

Dr MARX

Hitler vous a-t-il jamais appelé en consultation pour des affaires importantes ?

ACCUSÉ STREICHER

Je n’ai été avec Adolf Hitler, c’est-à-dire je n’ai vu Adolf Hitler, que dans des congrès de Gauleiter. Nous étions alors à table cinq, dix personnes ou davantage. Je me rappelle l’avoir vu une fois seul à seul, à la Maison Brune à Munich lorsqu’elle fut terminée, mais la conversation que nous avons eue ne portait pas sur la politique. Toutes les conversations que j’ai eues avec Adolf Hitler soit à Nuremberg, soit à Munich, se déroulèrent toujours dans le cercle des camarades du Parti.

Dr MARX

J’en viens maintenant à l’époque de 1933. Le 1er avril 1933, il y eut dans le Reich allemand une journée de boycottage de la population juive. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ? Quel rôle avez-vous joué ?

ACCUSÉ STREICHER

Quelques jours avant le 1er avril, on m’appela à la Maison Brune à Munich. Adolf Hitler me fit part de ce que je savais d’ailleurs déjà : la presse étrangère était haineusement montée contre l’Allemagne nouvelle. Bien qu’il ne fût que Chancelier, bien que Hindenburg fût encore Président du Reich, bien que le Parlement subsistât encore, la presse étrangère avait aussitôt commencé une campagne très violente contre l’Allemagne.

Le Führer me dit que le drapeau du Reich, le signe de notre souveraineté, était insulté à l’étranger, et que nous devions maintenant dire à la juiverie mondiale : « Jusqu’ici, mais pas plus loin ». Il fallait que nous leur montrions que nous ne pouvions pas en tolérer davantage. Il me dit alors qu’une journée de boycottage était prévue pour le 1er avril et qu’il souhaitait me charger de cette affaire. Peut-être est-il important de préciser : Adolf Hitler pensait que, pendant cette journée de boycottage, il serait bon de se servir de mon nom. Plus tard, cela ne s’est jamais plus produit. J’acceptai donc de diriger cette journée de boycottage des magasins juifs et je publiai un avertissement que le Tribunal a, je crois, dans ses dossiers. J’ordonnai donc qu’on ne s’attaquât pas à la personne des Juifs, et qu’on plaçât une sentinelle devant chaque propriété juive, c’est-à-dire devant tous les magasins juifs et que nous serions rendus responsables des dommages matériels. En un mot, je promulguai une ordonnance que l’on n’aurait pas attendue de moi ; les autres membres du Parti eux-mêmes ne s’y attendaient pas, je l’admets ouvertement. Il est établi que la journée de boycottage se déroula sans accroc, à part quelques détails insignifiants. Je ne crois pas qu’il y ait ici un Juif qui puisse affirmer le contraire. La journée de boycottage fut une action disciplinée. Ce ne fut pas une manifestation d’attaque, mais de défense.

Dr MARX

N’a-t-on pas créé alors un comité composé de personnalités éminentes, de membres dirigeants du Parti et ce comité n’est-il jamais entré en activité ?

ACCUSÉ STREICHER

Pour ce comité, il s’est passé la même chose que pour le Conseil de cabinet à Berlin, il ne s’est jamais réuni et les membres du comité ne se sont pas vus et ne se connaissent pas tous.

Dr MARX

Les membres du comité ?

ACCUSÉ STREICHER

Le comité de boycottage, dont la création fut annoncée par Goebbels dans les journaux de Berlin mais ce n’était qu’une information de presse ! J’en ai Jparlé un jour au téléphone avec Goebbels, quand il m’appela à Munich pour me demander comment les choses s’étaient passées. Je lui répondis que tout s’était passé sans incident. Mais ce comité ne s’est jamais réuni ;

il n’existait que pour l’extérieur ; il ne devait avoir qu’un rôle représentatif, pour donner de l’importance à l’affaire.

Dr MARX

Témoin, tout à l’heure, vous avez fait un lapsus à propos de l’affaire de Munich en 1923. Vous vouliez bien dire le 9 novembre ? 9 novembre 1923. Qu’avez-vous dit ?

ACCUSÉ STREICHER

Je ne le sais plus.

Dr MARX

Il s’agissait bien du 9 novembre 1923 ?

ACCUSÉ STREICHER

Oui, du 9 novembre 1923.

Dr MARX

En 1935 au congrès du Parti à Nuremberg les « lois raciales » ont été promulguées. Lors de la préparation de ce projet de loi, avez-vous été appelé en consultation et avez-vous participé d’une façon quelconque à l’élaboration de ces lois ?

ACCUSÉ STREICHER

Oui, je crois y avoir participé en ce sens que, depuis des années, j’écrivais qu’il fallait empêcher à l’avenir tout mélange de sang allemand et de sang juif. J’ai écrit des articles dans ce sens et j’ai toujours répété que nous devions prendre la race juive, ou le peuple juif, pour modèle. J’ai toujours répété dans mes articles que les Juifs devaient être considérés comme un modèle par les autres races, car ils se sont donné une loi raciale, la loi de Moïse, qui dit : « Si vous allez dans un pays étranger, vous ne devez pas prendre de femmes étrangères ». Et ceci, Messieurs, est d’une importance considérable pour juger les lois de Nuremberg. Ce sont ces lois juives qui ont été prises pour modèle. Quand, des siècles plus tard, le législateur juif Esra constata que, malgré cela, beaucoup de Juifs avaient épousé des femmes non juives, ces unions furent rompues. Ce fut l’origine de la juiverie qui, grâce à ses lois raciales, a subsisté pendant des siècles, tandis que toutes les autres races et toutes les autres civilisations ont été anéanties.

Dr MARX

Monsieur Streicher, vous sortez un peu du sujet. Je vous ai demandé si vous aviez assisté à la préparation et à la discussion du projet de loi ou si vous aviez été surpris par la proclamation de ces lois.

ACCUSÉ STREICHER

J’ai eu l’honnêteté de dire que je croyais y avoir contribué indirectement. Maintenant continuez.

Dr MARX

Mais n’avez-vous pas participé à l’élaboration de la loi elle-même ?

ACCUSÉ STREICHER

Non. En 1935, au congrès du Parti à Nuremberg, nous avons été appelés dans la salle sans savoir ce qui allait se passer ; du moins, je n’en avais aucune idée ; et les lois raciales ont été proclamées. C’est là que j’entendis parler pour la première fois de ces lois. Je crois qu’il en était de même pour la plupart de mes co-accusés qui assistaient au congrès, à l’exception de Hess. Nous n’avons appris qu’au congrès du Parti l’existence de ces lois. Je n’y ai pas travaillé directement. J’avoue d’ailleurs que j’ai été fort humilié de n’avoir pas été appelé à participer à la discussion de ces lois.

Dr MARX

On croyait par conséquent pouvoir se passer de votre aide. Considériez-vous que cette législation de 1935 devait constituer la solution définitive de la question juive de la part de l’État ?

ACCUSÉ STREICHER

Oui, avec certaines réserves. J’étais convaincu que par la réalisation du programme du Parti, cette question juive était maintenant résolue. En 1848, les Juifs étaient devenus citoyens allemands. Ce droit de citoyenneté leur était enlevé par la loi. L’union sexuelle était interdite. Pour moi, la question juive était ainsi résolue en Allemagne. Mais je croyais qu’il devait y avoir encore une solution internationale, que des conférences auraient lieu entre États pour étudier le problème dans le sens du sionisme qui réclamait la création d’un État juif.

Dr MARX

Qu’avez-vous à dire sur les manifestations contre la population juive de la nuit du 9 au 10 novembre 1938 et quel a été votre rôle dans cette affaire ?

LE PRÉSIDENT

Docteur Marx, il est cinq heures ; si vous voulez traiter à fond cette question, il vaut mieux que nous reprenions l’audience lundi matin.

(L’audience sera reprise le 29 avril à 10 heures.)