CENT SEIZIÈME JOURNÉE.
Lundi 29 avril 1946.
Audience du matin.
Docteur Marx, vous avez la parole.
Monsieur le Président, Messieurs. Avant de poursuivre mon interrogatoire de l’accusé Streicher, je demande au Tribunal de me permettre de faire une déclaration : Monsieur Streicher, vendredi après-midi, a mentionné un incident de presse qui se rapportait à ma personne et à mon attitude professionnelle, A la suite de cet incident, j’avais décidé de faire une déclaration et insisté sur le fait qu’au moment dont il est question j’avais demandé au Tribunal de me protéger dans mon activité professionnelle, protection qui m’avait effectivement été accordée. J’avais alors employé l’expression « Zeitungsschreiber », mais seulement en faisant allusion au journaliste particulier qui avait rédigé l’article en question sur ma personne et mon activité d’avocat. En aucune façon, je n’avais l’intention d’exprimer ou je n’ai même jamais exprimé une attaque générale contre la presse. Je n’ai eu en aucune façon l’intention d’attaquer ou d’offenser dans leur honneur professionnel la presse et la corporation des journalistes, ceux notamment qui assistent à ces débats. Si je me suis permis de m’exprimer de la sorte, c’est qu’une déclaration a été faite par la radio, selon laquelle j’aurais, en ma qualité d’avocat, attaqué et dénigré la presse en général. Il va sans dire que je me rends compte de l’importance de la presse, je connais son rôle et je serais le dernier à vouloir minimiser la tâche extrêmement ardue de ses représentants et la responsabilité qui lui incombe.
Voilà pourquoi je demande la permission de prononcer ici, devant le Tribunal et en public, cette déclaration, et je prie les représentants de la presse de bien vouloir l’accepter dans l’esprit dans lequel elle est faite : je veux dire qu’il s’agit là de ma part de remarques particulières à l’adresse d’un certain journaliste, et qui ne visent pas la presse dans son ensemble. Voilà ce que je voulais dire.
Docteur Marx, le Tribunal avait interprété votre déclaration de l’autre jour dans le sens que vous avez indiqué aujourd’hui.
Oui. Avec la permission du Tribunal, je vais alors poursuivre mon interrogatoire du témoin.
Témoin, quel objet avez-vous poursuivi en prononçant vos discours et en écrivant vos articles du Stürmert
Mes discours et les articles que j’écrivais étaient destinés à éclairer l’opinion sur une question qui me paraissait essentielle. Je ne voulais pas exciter, je ne voulais pas provoquer, je voulais seulement éclairer.
Y a-t-il eu, à l’exception de votre hebdomadaire et notamment à partir de la prise du pouvoir par le Parti, d’autres publications traitant de la question juive dans un esprit hostile aux Juifs ?
Des publications antisémites ont paru en Allemagne depuis des siècles. C’est ainsi, par exemple, qu’on a saisi chez moi un livre dont l’auteur était le Dr Martin Luther ; ce dernier serait certainement aujourd’hui à ma place au banc des accusés si ce livre avait été versé au dossier du Procès. Dans ce livre, Les Juifs et leurs mensonges, le Dr Martin Luther écrit que les Juifs sont une race de serpents, qu’il faut brûler leurs synagogues, qu’il faut les anéantir...
Monsieur Streicher, là n’est pas ma question. Je vous demande de bien vouloir répondre à ma question comme je l’ai posée. Répondez par oui ou non.
Je voudrais élever une objection contre cette façon évasive de répondre par des discours. Il nous est impossible de continuer la discussion lorsque les réponses ne concernent pas les questions traitées. Par ces discours gratuits, Streicher a déjà présenté dans ces débats une attaque contre les États-Unis, dont la réfutation demandera un dossier important de preuves, si nous l’entreprenons. Il me semble absolument contre indiqué qu’un témoin fasse autre chose que répondre aux questions qui lui sont posées. Car nous devons éviter que soient évoquées, au cours de ce Procès, des questions absolument étrangères aux débats. Pour décider de la culpabilité ou de la non-culpabilité de Streicher, il ne servira de rien au Tribunal de considérer les points litigieux que Streicher a soulevés à notre encontre et que nous sommes facilement à même d’expliquer pour peu que nous y mettions le temps.
Il me semble opportun de donner un avertissement au témoin afin qu’il saisisse qu’il ait à répondre aux questions posées et à s’arrêter afin que nous puissions soulever les objections adéquates en temps utile.
Docteur Marx, pouvez-vous essayer, en posant vos questions, d’arrêter le témoin lorsqu’il s’écarte du sujet traité ?
Certainement, Monsieur le Président ; d’ailleurs j’étais précisément en train de...
Accusé Streicher, vous avez entendu ce que nous avons dit. Vous devez comprendre que le Tribunal n’est pas disposé à tolérer vos longs discours, qui ne constituent pas des réponses aux questions qui vous sont posées.
Je vous poserai à nouveau la même question et je vous prie de me répondre d’abord par oui ou par non et, ensuite, de fournir une brève explication.
Y avait-il en Allemagne, à l’exception de votre hebdomadaire et surtout après la prise du pouvoir par le Parti, d’autres publications de presse traitant de la question juive dans un esprit hostile aux Juifs ?
Oui. Il y avait déjà, avant la prise du pouvoir par le Parti, dans tous les Gaue, des hebdomadaires antisémites et un quotidien, le Völkischer Beobachter, de Munich. De plus, il existait une série de publications n’agissant pas directement pour le Parti. Il y avait aussi toute une littérature antisémite. Après la prise du pouvoir, la presse quotidienne fut centralisée et le Parti se trouva alors à la tête d’environ 3.000 quotidiens, de nombreux hebdomadaires, et de toutes sortes de publications périodiques. Le Führer donna l’ordre que chaque journal publiât des articles instructifs sur la question juive. Les éclaircissements sur le problème antisémite acquirent donc, après la prise du pouvoir, une importance considérable dans la presse quotidienne, dans les hebdomadaires, périodiques et autres publications. Par conséquent, le Stürmer n’était pas seul à mener son activité informatrice. Mais je tiens à déclarer franchement que je revendique le mérite d’avoir traité la question dans le sens le plus national.
Les ordres nécessaires à cette campagne émanèrent-ils d’un service central, d’un genre de périodique national-socialiste, par exemple ?
Oui. Le ministère de la Propagande publiait un périodique de presse nationale-socialiste, dont chaque numéro contenait plusieurs articles se rapportant à la question juive. Pendant la guerre, le Führer lui-même donna l’ordre à la presse de multiplier encore les articles d’information sur la question juive.
Le Ministère Public vous reproche d’avoir contribué indirectement aux assassinats collectifs par l’incitation que vous avez déployée et, selon le procès-verbal du 10 janvier 1946, il vous est imputé la charge suivante : aucun Gouvernement au monde n’aurait pu entreprendre une telle politique d’extermination collective, sans être soutenu par un peuple consentant ; et vous seriez à l’origine de cet acquiescement général. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?
Je répondrai ainsi : exciter, signifie amener un homme à un état d’excitation tel, qu’il le pousse à commettre un acte dont il est irresponsable. Le Stürmer en est-il arrivé là, voilà la question. Bref, il s’agit de savoir ce qu’a publié le Stürmer. Vous en avez ici plusieurs volumes, mais il faudrait lire tous les numéros parus pendant vingt ans pour épuiser la question. Au cours de ces vingt années, j’ai publié des articles d’information sur le racisme, sur ce que les Juifs ont eux-mêmes écrit dans l’Ancien Testament, dans leur histoire, dans le Talmud. J’ai cité des extraits d’oeuvres historiques juives, celle du Dr Grätz, par exemple, et celle du savant juif Gutnot. Le Stürmer ne publia aucun article de fond, de ma plume ou de celle d’un de mes collaborateurs, dans lequel il n’y eût pas de citations extraites de l’histoire ancienne des Juifs, de l’Ancien Testament, ou d’ouvrages historiques juifs plus récents. Il est important de souligner que, dans tous ces articles, j’insiste sur le fait que d’éminents Juifs, des écrivains de poids, ont reconnu eux-mêmes ce que, pendant mes vingt années, comme écrivain et orateur, j’ai proclamé ouvertement. Par conséquent, permettez-moi d’ajouter que je suis convaincu que le contenu du Stürmer n’était pas un élément d’excitation en soi. Au cours de ces vingt ans, je n’ai jamais écrit : « Brûlez les maisons des Juifs ; assommez-les ». Jamais une telle provocation n’a paru dans le Stürmer. Une question se pose maintenant : peut-on prouver qu’une action quelconque ait été commise depuis le début de la parution du Stürmer, une action dont on pourrait dire qu’elle résultait d’une excitation. Je qualifierais une telle action de pogrom. C’est une attaque spontanée, où toute une partie de la population se soulève brusquement pour tuer d’autres gens. Au cours de ces vingt ans, aucun pogrom n’a eu lieu en Allemagne et, autant que je sache, aucun Juif n’a été tué, aucun assassinat n’a été commis dont on aurait pu dire que c’était le résultat d’une excitation au meurtre, œuvre d’un écrivain ou d’un orateur antisémite quelconque. Messieurs, nous sommes à Nuremberg. Or, on disait autrefois que nulle part en Allemagne les Juifs n’étaient autant en sûreté et à l’abri de tout sévice qu’à Nuremberg.
Docteur Marx, ne vous semble-t-il pas que ce discours se prolonge un peu trop ?
Streicher, n’avez-vous pas développé suffisamment ce thème pour nous en donner une image suffisante ? Vous voulez dire : « Je n’ai pas commis de provocation amenant un groupe quelconque de gens à entreprendre une action spontanée contre les Juifs » ?
Puis-je faire une remarque à ce propos ? Il s’agit de l’accusation la plus lourde, la plus décisive, qui ait été formulée contre moi par le Ministère Public, et je prie encore le Tribunal de me permettre de me défendre objectivement. N’est-il pas d’une importance capitale pour moi de pouvoir prétendre que, précisément à Nuremberg, pas un seul assassinat, pas un seul pogrom, n’a eu lieu ? C’est pourtant là un fait.
Vous l’avez déjà dit. Avant de vous interrompre, j’avais déjà noté qu’aucun Juif n’avait jamais été tué, soit à Nuremberg, soit ailleurs, à la suite de provocations de votre part.
Témoin, nous en viendrons encore aux manifestations des 9 et 10 novembre 1938.
Oui, mais je voudrais encore ajouter quelque chose : le Ministère Public me reproche d’avoir contribué indirectement à la provocation, en vue d’assassinats collectifs, et c’est à ce sujet-là que je veux me défendre. Une chose a été établie aujourd’hui que je ne savais pas moi-même. J’ai eu connaissance ici du testament que le Führer a laissé et je pense que, quelques instants avant sa mort, le Führer a dit la vérité au monde dans ce testament. Il y déclare que les exécutions massives ont été faites sur son ordre et que ce furent des représailles. Ceci prouve que je n’ai pas pu participer aux événements invraisemblables qui se sont produits ici.
Avez-vous terminé ?
Certainement. Vous avez dit que le Ministère Public me reproche d’avoir contribué aux exécutions massives du fait qu’elles n’auraient pas pu avoir lieu si, derrière le Gouvernement ou ses dirigeants, il n’y avait pas eu un peuple conscient. Messieurs, une question se pose d’abord : « Le peuple allemand a-t-il vraiment su ce qui s’est produit pendant les années de guerre ? » Nous savons aujourd’hui...
Accusé, c’est un point qui prête à discussion, mais ce n’est pas un point sur lequel vous pouvez témoigner. Vous ne pouvez nous dire que ce que vous saviez vous-même.
Je faisais partie de ce peuple. Pendant la guerre, j’ai vécu isolé à la campagne ; pendant cinq ans, je n’ai pas quitté ma ferme. J’étais surveillé par la Gestapo. A partir de 1939, le Führer m’avait interdit de prendre la parole.
Monsieur Streicher, nous allons en parler tout à l’heure. J’ai enregistré votre réponse et maintenant je poursuis mes questions. Nous reviendrons plus tard sur ce sujet.
Mais je voudrais dire que je n’ai eu nulle occasion — c’est pourquoi j’en parle — de savoir ce qui se passait réellement. Ce ne fut qu’au cours de ma détention à Mondorf que j’appris pour la première fois les assassinats et exécutions massives qui avaient eu lieu, et je déclarai catégoriquement que si l’on m’avait dit que 2.000.000 ou 3.000.000 de gens avaient été tués, je ne l’aurais pas cru. Je n’aurais pas cru que, techniquement il fût possible de tuer tant de gens. D’autre part, étant donné l’attitude spirituelle même du Führer, telle que j’avais pu la connaître, je n’aurais pas pu croire que des exécutions massives de cette envergure eussent pu avoir lieu. J’ai terminé.
Le Ministère Public vous reproche en outre d’avoir soutenu le fait que la tâche des éducateurs du peuple consistait à l’encourager au meurtre et à l’empoisonner par la haine, et que vous vous étiez voué spécialement à cette tâche. Que répondez-vous à cela ?
C’est là une simple allégation ; nous n’avons pas élevé des assassins. Les articles que j’ai écrits ne pouvaient pas former des assassins. Il n’y eut pas d’assassinats, c’est donc bien la preuve que nous n’avons pas élevé des assassins. Ce qui s’est produit pendant la guerre — enfin, ce n’est pas moi qui ait élevé le Führer — on le doit aux ordres personnels qu’il a donnés de son propre chef.
Je poursuis. Le Ministère Public affirme d’autre part que les chefs des SS ou autres, tels que Himmler et Kaltenbrunner, n’auraient jamais eu de gens pour exécuter leurs ordres si vous n’aviez pas fait une telle propagande et développé l’éducation du peuple dans ce sens. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet ?
Je ne crois pas que les nationaux-socialistes que vous venez de nommer aient lu le Stürmer chaque semaine. Je ne crois pas que les hommes qui ont reçu des ordres du Führer de commettre de telles exécutions ou de transmettre de tels ordres aient été incités à cela par mon hebdomadaire. Il y avait le livre de Hitler, Mein Kampf, qui faisait moralement autorité. Je ne crois pas non plus que ce soit après la lecture de ce livre qu’ils aient exécuté de tels ordres. Sur la base de mes connaissances de ce qui se passait à l’intérieur du mouvement, je suis convaincu que lorsque le Führer donnait un ordre, tous obéissaient. Et je dis très franchement — peut-être le destin était-il bien intentionné à mon égard — que si le Führer m’avait donné cet ordre, je n’aurais pas pu me décider à entreprendre ces exécutions. Et je me verrais peut-être reprocher aujourd’hui des faits qui ne peuvent m’être imputés puisque le sort lui-même ne l’a pas voulu. Mais les circonstances étaient les suivantes : le Führer exerçait une telle influence que le peuple entier croyait en lui, et il avait une manière si extraordinaire, que quiconque recevait un ordre de lui était forcé d’agir.
C’est pourquoi je voudrais repousser toutes les choses fausses et injustes dont on croyait devoir me charger.
Que savez-vous de l’attitude générale d’Adolf Hitler vis-à-vis de la question juive ? Et, selon vous, quand Hitler est-il devenu un adversaire des Juifs ?
Avant même qu’Adolf Hitler ne fut connu du public, j’avais déjà moi-même rédigé des écrits antisémites ; mais ce n’est que par son livre Mein Kampf que j’ai appris à connaître les données historiques du problème juif. Hitler écrivit son livre à la prison de Landsberg ; tous ceux qui connaissent cet ouvrage savent que c’est, soit par des études de publications antisémites, soit par des expériences personnelles, que Hitler a dû acquérir toutes ses connaissances sur ce sujet, ce qui lui permit d’écrire ce livre en prison en si peu de temps. Autrement dit, Adolf Hitler lui-même a déclaré au monde qu’il était antisémite et qu’il connaissait profondément la question juive. Il m’a souvent dit, personnellement...
Docteur Marx, le livre Mein Kampf a été déposé et il est éloquent par lui-même.
Je réponds maintenant à votre question qui ne concerne pas cet ouvrage. Vous m’avez demandé si Adolf Hitler avait discuté avec moi du problème juif. Certainement. Adolf Hitler en revenait toujours au problème juif. A propos du bolchevisme, il serait maintenant opportun, tout en répondant à votre question, de se demander si Adolf Hitler voulait une guerre avec la Russie. Savait-il depuis longtemps, ou non, qu’elle éclaterait ? Adolf Hitler nous parlait de Staline comme d’un homme qu’il respectait, un homme d’action, mais qui était en réalité entouré de chefs juifs. Quant au bolchevisme...
Vous vous étendez de nouveau trop loin, Monsieur Streicher ; la question que je vous ai posée était précise et je vous prie donc de vous limiter dans vos réponses. Vous avez entendu l’objection du Tribunal et, dans l’intérêt de la suite rapide des débats, il faut vous restreindre dans les détails. Vous ne devez pas faire de discours.
Je pense, Monsieur le Président, que M. Justice Jackson a déjà fait remarquer de manière très pertinente et raisonnable que l’accusé Streicher se laisse tellement emporter par sa propre éloquence qu’il ne répond ni aux questions posées ni aux charges qui lui sont imputées. C’est pourquoi je voudrais, moi aussi, attirer l’attention du Tribunal là-dessus, en proposant que l’accusé s’abstienne de faire des discours et se limite à répondre brièvement aux accusations dont il est chargé.
Docteur Marx, pourriez-vous continuer et essayer de limiter les réponses du témoin aux questions qu’on lui pose ?
Certainement, Monsieur le Président.
En tant qu’accusé, puis-je encore prononcer quelques mots à ce propos, je vous prie ? La question...
Non, vous ne pouvez pas. Vous devez seulement répondre aux questions.
Question suivante : y a-t-il des raisons d’admettre que Hitler, lorsqu’il prit la décision d’exterminer tous les Juifs d’Europe, subissait une influence quelconque ? Quel a pu être le mobile de cette effroyable décision ?
Le Führer ne pouvait pas être influencé. Tel que je le connaissais, si quiconque était allé à lui et lui avait dit : « Il faut tuer les Juifs », il, l’aurait renvoyé, et si quiconque, pendant la guerre, lui avait déclaré : « J’ai appris que vous avez donné l’ordre d’exécuter des gens en masse », il l’aurait également fait taire. Je réponds donc à votre question en disant : le Führer ne se laissait pas influencer.
Vous voulez dire, par conséquent qu’il prit sa décision à ce sujet absolument de son propre chef ?
Je viens de dire que cela émane de son testament même.
En août 1938, la principale synagogue de Nuremberg fut détruite ; cela s’est-il produit sur votre ordre ?
Oui. Dans mon Gau, il y avait environ quinze synagogues. A Nuremberg, une synagogue principale et une plus petite et, je crois également, quelques salles de prières. La synagogue principale se trouvait aux confins de la ville moyenâgeuse. Avant 1933, dans la période dite de combat, lorsque nous avions encore un autre Gouvernement, j’avais déjà déclaré publiquement à une réunion que c’était vraiment une honte que l’on eût construit une telle monstruosité d’architecture orientale dans la vieille ville. Après la prise du pouvoir, j’ai déclaré au bourgmestre qu’il devrait faire démolir cette synagogue en même temps que le Planétarium. Je signalerai qu’à la fin de la première guerre mondiale, au beau milieu des jardins publics, se dressait un planétarium, un hideux monument de briques. Je donnai l’ordre de le démolir aussi, en décrétant que la synagogue principale serait rasée. Si j’avais eu l’intention de priver les Juifs de leur synagogue comme lieu saint ou si j’avais voulu donner un signal général, alors j’aurais ordonné, dès la prise du pouvoir, de détruire toutes les synagogues dans mon Gau et j’aurais également pu faire disparaître toutes les synagogues de Nuremberg. Mais, il est évident qu’au printemps de 1938, seule la principale synagogue fut démolie ; celle de l’Essenweinstrasse, dans la ville neuve, est restée intacte. Je ne suis pour rien dans l’ordre enjoignant, en novembre de la même année, d’incendier les autres synagogues.
En d’autres termes, vous voulez dire que vous n’avez pas donné l’ordre de démolir cet édifice pour des raisons antisémites, mais simplement parce qu’il n’était pas conforme au style architectural de la ville ?
Oui, pour des raisons touchant l’architecture. Je voulais en présenter une photographie au Tribunal, mais n’ai pas pu l’obtenir.
Oui, nous avons une photographie.
Mais on n’y voit pas la synagogue. Je ne sais pas si le Tribunal désire examiner cette photographie, on y voit seulement les vieilles maisons, mais la façade de la synagogue donnant sur la place Hans Sachs n’est pas visible. Je ne sais pas si je puis déposer cette photographie devant le Tribunal.
Mais oui, certainement, la photographie peut être versée au dossier. Vous pouvez nous la soumettre.
Dans ce cas, je la présente comme preuve et je demande au Tribunal de bien vouloir l’accepter comme telle.
Quel sera son numéro de dépôt ?
Je ne puis vous l’indiquer pour l’instant, Monsieur le Président. Je me permettrai de vous la donner un peu plus tard et me bornerai simplement à déposer ce document. Je ne pouvais présenter cette pièce plus tôt, car elle ne m’était pas encore parvenue. Ce n’est qu’au cours de ces derniers jours. ..
Très bien, continuez.
Au moment de votre projet sur la synagogue principale, avez-vous consulté des spécialistes de l’Art ?
J’ai souvent eu l’occasion d’en parler avec des architectes. Tous, sans exception, me déclarèrent que le Conseil municipal qui avait permis la construction d’un pareil édifice devait être dépourvu de tout sens. On ne pouvait l’expliquer autrement. Ces déclarations n’étaient nullement faites contre la synagogue en tant que lieu saint, mais contre le fait qu’un pareil édifice se dressât dans ce quartier de la ville. Certains étrangers aussi, que je guidais — car, au moment des congrès du Parti, j’accompagnais souvent des Anglais et des Américains sur la place Hans Sachs et je ne me rappelle qu’un seul cas où, ayant posé la question : « Êtes-vous frappé par quelque chose ? », la personne me répondit : « Rien », — me disaient : « Comment se fait-il qu’on ait construit cet édifice au milieu de ces maisons moyenâgeuses ? » Je pourrais également présenter au Tribunal un ouvrage, écrit en 1877, qui se trouve à la bibliothèque de la prison, dans lequel un certain professeur Berneis, très connu, écrivait alors à l’auteur, Uhde, en Suisse, qu’il avait enfin vu la place Hans Sachs...
Cela suffit ainsi, Monsieur Streicher. Vous avez donc exprimé que vous pensiez pouvoir vous fier à l’opinion des architectes à cet égard ?
Parfaitement.
Au moment où la synagogue fut démolie, avez-vous prononcé un discours ?
Oui. Mais je ferais observer que le Ministère Public a présenté un compte rendu de la Tageszeitung, qui avait été écrit par un jeune rédacteur, et je déclare que cet article ne correspond pas textuellement aux paroles que j’ai prononcées.
J’en viens maintenant aux manifestations qui eurent lieu dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938. Qu’avez-vous à dire sur ces manifestations et quel fut votre rôle à cet égard ? S’agissait-il de démonstrations populaires spontanées ?
Tous les ans, les Gauleiter et les chefs SS et SA se réunissaient avec le Führer à Munich, à l’occasion de la journée historique du 9 novembre. Nous assistions donc le soir du 9 novembre de cette année-là à un banquet dans une salle de l’ancien Hôtel de Ville ; le Führer avait l’habitude de prononcer un bref discours à la fin du repas. Le 9 novembre 1938, je ne me sentais pas très bien. Je pris part au dîner, puis me retirai ; je rentrai chez moi à Nuremberg et me couchai. Vers minuit, on me réveilla. Mon chauffeur vint me dire que le chef SA von Obernitz désirait parler au Gauleiter. Je le reçus et il me dit : « Gauleiter, vous étiez déjà parti lorsque le ministre de la Propagande, le Dr Goebbels, prit la parole et nous déclara — je ne puis maintenant vous répéter ses paroles textuellement — Le conseiller de la légation, vom Rath, a été assassiné à Paris. C’est là le deuxième assassinat à l’étranger d’un national-socialiste éminent. Cet assassinat n’est pas un acte spontané du juif Grünspan, mais il s’agit là d’une action voulue par l’ensemble de la communauté juive. Il faut agir ». Je ne sais plus maintenant si Goebbels a parlé d’ordre du Führer, je me rappelle simplement que von Obernitz me déclara que Goebbels avait expliqué qu’il fallait mettre le feu aux synagogues. Je ne me souviens plus exactement, mais je crois qu’il me dit encore qu’on devait enfoncer les vitrines des magasins juifs et que des maisons devaient être démolies.
Là-dessus, je déclarai à Obernitz, car j’étais fort surpris :
« Obernitz, je trouve que c’est une mauvaise manœuvre que d’incendier les synagogues et il est maladroit en ce moment, de démolir les magasins juifs. Ces manifestations sont absolument hors de propos. Si on lâche ainsi la bride aux gens au milieu de la nuit, des faits peuvent se produire que nous n’aurons pas la possibilité de contrôler ». Je déclarai que j’estimais particulièrement maladroit d’incendier les synagogues, car à l’étranger et même en Allemagne, au sein du peuple allemand, pourrait surgir l’opinion que le national-socialisme entreprenait dorénavant une lutte contre la religion. Obemitz répondit : « C’est un ordre ». Alors, je lui dis :
« Obernitz, je ne veux prendre en la matière aucune espèce de responsabilité ». Obernitz s’en alla et les faits se produisirent.
Ce que j’ai déclaré ici sous la foi du serment, je l’ai déjà déclaré au cours de plusieurs interrogatoires, et mon chauffeur peut le confirmer, car il fut témoin de cet entretien nocturne. Lorsqu’il alla se coucher, il raconta à sa femme ce qu’il avait entendu chez moi, dans ma chambre.
Avez-vous terminé ?
Oui, mais vous m’avez encore posé une autre question...
Oui, s’agissait-il là d’une action violente et spontanée de la foule ?
Oui. Dans la presse nationale-socialiste, au lendemain de cette action, parut un article dans tous les journaux déclarant qu’un soulèvement spontané du peuple s’était produit pour venger l’assassinat de M. vom Rath. Berlin avait donc ordonné sciemment de faire une déclaration publique pour laisser entendre que la démonstration de 1938 avait été une action spontanée. Je pus constater à Nuremberg que ce ne fut pas du tout le cas, et il est à noter que l’indignation provoquée par ce qui s’était produit au cours de cette manifestation s’exprima aussi à Nuremberg et parmi les membres du Parti eux-mêmes.
Le Ministère Public a versé au dossier le texte d’un discours que j’ai prononcé le 10 novembre, qui constitue la meilleure preuve que le peuple était opposé à l’action en question. Étant donné l’atmosphère qui régnait à Nuremberg, je fus obligé de faire ce discours et de déclarer qu’il ne fallait pas éprouver tant de pitié pour les Juifs. Tel fut l’incident de novembre 1938. Peut-être serait-il important encore de me demander comment je pouvais repousser le principe de pareilles manifestations ?
Je croyais que vous l’aviez déjà expliqué. Très bien. Qui alors donna l’ordre de mettre le feu à la synagogue encore intacte de l’Essenweinstrasse ?
Je ne sais pas qui a donné cet ordre. Le SA Führer von Obernitz, je crois, mais je ne connais pas les détails.
Autre question : avez-vous manifesté publiquement votre hostilité à l’égard de ces brutalités ?
Parfaitement, dans le cercle restreint des chefs du Parti, j’ai déclaré ce que j’ai toujours dit ouvertement ; j’ai déclaré que c’était une fausse manœuvre. J’ai parlé à des avocats au cours d’une réunion, je ne sais pas si mon défenseur lui-même était présent ce jour-là ; je crois même que c’était en novembre 1938 que je déclarai à une réunion des juristes de Nuremberg que ce qui s’était produit ici, au cours de ces événements, était fort maladroit, d’une part, vis-à-vis du peuple et, d’autre part, vis-à-vis des autres pays. Je déclarai alors que tous ceux qui étaient au courant de la question juive comme je l’étais moi-même comprendraient que je considérais une pareille manifestation comme une faute. Je ne sais pas si on a rapporté la chose au Führer, mais dès novembre 1938, je ne fus plus Jamais convoqué au Deutscher Hof lorsque le Führer venait à Nuremberg. Je ne sais pas si ce fut cette raison, mais en tous cas j’ai critiqué ouvertement cette manifestation.
Le Ministère Public estime qu’en 1938 fut introduit un traitement plus rigoureux à l’égard des Juifs. Est-ce exact et comment l’expliquez-vous ?
Oui. En 1938, la question juive est entrée dans une phase nouvelle ; cette manifestation le prouve. Quant à moi, je puis seulement déclarer qu’il n’y eut aucune conférence préalable à ce sujet. Je pense que, impulsif comme il l’était, le Führer a décidé peut-être simplement, le 9 novembre, de dire au Dr Goebbels : « Dites aux organisations qu’il faut brûler les synagogues ». Ainsi que je l’ai dit, je n’ai assisté à aucune conférence de ce genre et je ne sais pas ce qui a précédé les événements qui ont eu lieu par la suite.
Le 12 novembre 1938, une ordonnance fut promulguée en vertu de laquelle les Juifs devaient être exclus de la vie économique du pays. Y a-t-il quelque rapport entre l’ordre donné pour la manifestation du 9 novembre et ce même décret du 12 novembre 1938 et ce dernier peut-il être imputé aux mêmes raisons ?
Oui, je puis seulement vous dire que j’ai la conviction qu’il y a un lien entre ces deux faits. Ces ordres, qui devaient avoir des répercussions si importantes sur toute la vie économique, venaient de Berlin. Il n’y eut aucune conférence à cet égard et je ne me souviens d’aucune réunion de Gauleiter pour
Si ce fait est mentionné ici, il doit être exact. Je ne me le rappelle pas.
Permettez - moi de rafraîchir votre mémoire sur ce que vous avez dit : « Sans votre travail préparatoire courageux, la grande tâche n’aurait pas été menée à bonne fin ». Ne faites-vous pas là de la propagande pour soutenir la politique du Gouvernement nazi ?
Voulez-vous répéter votre question ?
Je vous demande si, oui ou non, ce télégramme que vous avez envoyé à Conrad Henlein, et qui figure également dans votre journal sous la photographie de ce personnage, ne prouve pas le fait que vous faisiez de la propagande pour soutenir la politique étrangère des nazis ?
Je dois dire la même chose que tout à l’heure. C’est un télégramme de politesse et de remerciements. Pourquoi aurais-je fait de la propagande, puisque les accords de Munich avaient déjà été signés ?
Je vous demande si, au cours des années 1933 à 1944 ou 1945, vous avez fait tout ce qui était en votre pouvoir pour soutenir la politique du Gouvernement, aussi bien dans les domaines intérieur qu’extérieur.
Dans la mesure où cela m’était possible dans ma sphère d’activité, oui.
Je reviens à la question juive. Je me permets de vous rappeler le discours que vous avez prononcé le 1er avril 1933, c’est-à-dire le jour du boycottage. Monsieur le Président, vous trouverez le document dans votre livre de documents sous le numéro M-33, à la page 15.
Accusé, je vous donne le livre de documents. Si vous désirez jeter un coup d’œil sur l’original, vous pouvez le faire.
« Pendant quatorze ans, nous avons répété sur tous les tons : Peuple allemand, apprends à reconnaître ton véritable ennemi » et, pendant quatorze ans, les Philistins allemands écoutaient et déclaraient ensuite que nous prêchions la haine religieuse. Aujourd’hui, le peuple allemand s’est réveillé. Dans le monde entier il est question de l’éternelle juiverie. Jamais, depuis la création du monde, aucune nation n’a osé combattre cette race de sangsues et de vampires qui, pendant 1.000 ans, s’est répandue sur la surface du monde. »
Je passe ensuite à la dernière ligne du paragraphe suivant : « Il appartenait à notre mouvement de dénoncer le Juif étemel comme un grand meurtrier ».
Est-il exact que, pendant quatorze ans, vous avez répété en Allemagne : « Peuple allemand, apprends à reconnaître ton véritable ennemi » ?
Tout d’abord, je constate que le document que vous m’avez fait remettre n’a rien à voir avec la question. Vous avez présenté ici un article...
On vous demande s’il est exact que, pendant quatorze ans, vous avez répété en Allemagne : « Peuple allemand, apprends à reconnaître ton véritable ennemi » ?
Oui.
Et, ce faisant, est-il exact que vous prêchiez la haine religieuse ?
Non.
Voulez-vous regarder...
Puis-je me permettre de faire une déclaration à propos de cette réponse ? Dans mon hebdomadaire, le Stürmer, j’ai répété à plusieurs reprises que je considérais la juiverie non comme une communauté religieuse, mais comme une race, un peuple.
Et pensez-vous qu’en qualifiant ce peuple de « sangsues et vampires », ce n’est pas là prêcher la haine ?
Je vous demande pardon, je n’ai pas bien compris.
Peu importe que vous les appeliez race ou nation. Mais le 1er avril 1933, vous avez déclaré que c’était une nation de « sangsues et de vampires ». N’était-ce pas là prêcher la haine ?
C’est l’expression d’une opinion que l’on peut démontrer sur la base de faits historiques.
Comprenez-moi bien : je ne vous demande pas si c’était un fait ou non. Je vous demande si vous considérez que c’était là prêcher la haine ?
Non, ce n’est pas prêcher la haine. C’est une constatation de fait.
Voulez - vous bien vous reporter deux pages plus loin dans le document M-33, au paragraphe 4, avant la fin de l’extrait. C’est à la page 17 du livre de documents : « Tant que je serai à la tête de cette lutte, elle sera menée de façon si absolue que le Juif éternel n’en tirera aucune joie ».
J’ai écrit cela ; c’est exact.
Et vous étiez un de ceux qui continuiez à être à la tête de cette lutte ?
Je suis bien trop modeste pour faire une pareille affirmation, mais je prétends avoir toujours exprimé mes opinions clairement et sans ambages.
Pourquoi avez-vous dit qu’aussi longtemps que vous seriez à la tête de la lutte, les Juifs n’en tireraient aucune joie ?
Car je me considérais comme un homme que le sort avait destiné à éclairer le peuple sur la question juive.
Et l’éclaircissement est-il synonyme de persécution ? Éclairer signifie persécuter ?
Je n’ai pas bien compris ce que vous avez dit.
Par éclairer vous voulez dire persécuter ? Est-ce pour cela que le Juif ne devait en tirer aucune joie ?
Je demande qu’on répète la question.
Je vous la répéterai autant de fois que vous le désirerez. Par « éclairer », vous voulez dire « persécuter » ? Me comprenez-vous ?
Éclairer une personne, c’est lui enseigner ce qu’elle ne sait pas.
Inutile d’insister. Savez-vous que le boycottage de 1933 fut le point de départ des événements qui suivirent : les Juifs furent privés du droit de vote, chassés de toute fonction publique et exclus de leurs professions. Des manifestations furent organisées contre eux en 1938, puis ils furent condamnés à une amende de 1.000.000.000 de Mark et contraints de porter une étoile jaune. Ils eurent des banques spéciales, on confisqua leurs maisons et leurs entreprises. C’est ce que vous appelez éclairer les gens ?
Cela n’a rien à faire avec ce que j’ai dit et écrit. Je n’ai jamais donné d’ordres ; je ne faisais pas les lois ; on ne me consultait pas sur leur préparation. Je n’avais rien à faire avec ces lois et règlements.
Mais vous y applaudissiez ; vous insultiez les Juifs et demandiez que l’on continuât à les poursuivre. N’est-ce pas un fait ?
Je demande que l’on me montre une loi à laquelle j’aurais applaudi.
Vous avez dit hier au Tribunal que vous étiez responsable des lois de Nuremberg, dont vous prêchiez la mise en vigueur depuis -des années. Est-ce vrai ?
Les lois de Nuremberg ? Ce n’est pas moi qui les ai faites. Je n’ai pas été consulté au préalable et je ne les ai pas signées. Je déclare ici que ces lois sont les mêmes que celles que possède le peuple juif. C’est la plus grande et la plus importante loi qu’un État moderne ait jamais promulguée pour sa protection.
Je crois qu’il est temps de lever l’audience.