CENT SEIZIÈME JOURNÉE.
Lundi 29 avril 1946.
Audience de l’après-midi.
(L’accusé Julius Streicher est à la barre des témoins.)Monsieur le Président, je voudrais demander au Tribunal qu’il ait la bonté de consacrer une demi-heure à la discussion des documents de l’accusé Baldur von Schirach. Nous sommes prêts à éclaircir les points litigieux quand il plaira au Tribunal.
Oui.
Je vais vous poser quelques questions sur le rôle que vous avez joué au cours des différentes opérations entreprises contre les Juifs entre 1933 et 1939. Regardez d’abord le document M-6. Il est à la page 20 du livre de documents qui se trouve devant vous, et la page 22 du livre de documents qui est sous les yeux du Tribunal. C’est la pièce GB-170.
J’en appelle à vos remarques sur les lois de Nuremberg. Vous avez dit ce matin que vous croyiez que le problème juif était définitivement résolu par la promulgation de ces lois. Lisez maintenant le paragraphe du milieu de la page et qui commence par :
« Mais à ceux qui croient... »
« Mais à ceux qui croient que la question juive aurait été définitivement réglée et vidée pour l’Allemagne, grâce aux décrets de Nuremberg, qu’il soit dit : la lutte continue — le judaïsme mondial lui-même fait tout pour cela — et nous ne l’emporterons que si chaque citoyen est bien persuadé que son existence même est un jeu. La campagne de propagande entreprise par le Parti me semble plus nécessaire que jamais, même si beaucoup de nos affiliés considèrent ces choses comme n’étant plus actuelles et urgentes. »
Oui, j’ai écrit cela.
Que voulez-vous dire par ces mots : « La lutte continue », puisque vous aviez déjà résolu le problème juif en promulguant les lois de Nuremberg ?
J’ai déjà expliqué aujourd’hui que je voyais le problème juif résolu d’abord à l’intérieur d’un pays, puis sur le plan international. Donc, « la lutte continue » signifie que, dans l’union antisémitique internationale que j’avais créée et qui comptait des représentants de tous les pays, la question y était discutée, de savoir ce qui, sur le plan international, pouvait être fait en vue d’une solution définitive du problème.
Devons-nous donc comprendre par là que tout ce que vous avez dit et écrit après 1936 s’appliquait au problème international et n’avait rien à voir avec les Juifs en Allemagne ?
Oui, principalement international, bien entendu.
J’en viens maintenant à la moitié du paragraphe suivant :
« Les quinze années de propagande du Stürmer ont déjà amené au national-socialisme une armée d’un million d’initiés. » Est-ce bien cela ?
Oui, c’est exact.
Ainsi, vous disiez au Tribunal ce matin que, jusqu’en 1933 et même encore plus tard, le tirage de votre journal avait été très peu important. Est-il alors possible que votre travail de quinze années ait amené un million d’initiés au national-socialisme ?
J’ai dit aujourd’hui que, grâce à la réadaptation de la presse, trois mille quotidiens avaient été enjoints d’éclairer l’opinion sur les affaires juives ; par conséquent, pour la même tâche, il y avait trois mille quotidiens. Ensuite...
Bien. Vous n’avez pas besoin d’insister. Laissez-moi terminer ce paragraphe :
« Le travail futur du Stürmer contribuera à décider le dernier Allemand à se joindre corps et âme à ceux dont le but est de fouler aux pieds la tête du serpent judaïque. »
Un instant, laissez-moi vous interroger. Il ne s’agit nullement ici de problème international. Vous vous adressez donc là seulement au peuple allemand, n’est-ce pas ?
Dans cet article ? Évidemment. Et si cet article est lu à l’étranger, ses effets se produiront également à l’étranger. Mais la citation : « fouler aux pieds la tête du serpent » est une expression biblique.
Évoquons brièvement la destruction de la synagogue de Nuremberg le 10 août 1938 dont vous nous avez déjà parlé. Voyez à la page 41 du livre de documents qui est sous vos yeux. C’est la page 42 du livre de documents anglais, qui est sous les yeux du Tribunal.
Nous avons entendu vos explications sur la destruction de la synagogue. La Fränkische Tageszeitung du 11 août publie à ce sujet :
« A Nuremberg, on est en train de démolir la synagogue. Julius Streicher lui-même inaugure les travaux par un discours d’une heure et demie ». Avez-vous parlé une heure et demie, à la population de Nuremberg, de la valeur architectonique de la ville de Nuremberg, le 10 août 1938 ?
Dans le détail, je ne sais plus ce que j’ai pu dire, mais je me reporte à ce que vous avez retenu et à ce que vous tenez pour important. Nuremberg possédait une annexe du ministère de la Propagande. Son jeune chef tenait tous les jours des conférences de presse et il a dit aux rédacteurs que Streicher parlerait, que la synagogue serait détruite, et que cela devait être tenu secret.
Je vous ai demandé si pendant une heure et demie vous avez parlé des beautés architecturales de Nuremberg, et non contre les Juifs ? Est-ce un moyen dilatoire ?
Non, bien entendu. J’en ai parlé aussi.
Vous rappelez-vous qu’à la conférence de presse à laquelle vous venez de faire allusion — vous avez dû voir le document, c’est à la page 40 du livre de documents du Tribunal — il fut convenu que le sujet devait être traité d’une façon détaillée pour dépeindre comment la synagogue avait été détruite. Quel était le but poursuivi en décrivant de cette façon la destruction de la synagogue ?
Je n’étais qu’un orateur. Ce que vous mentionnez là, c’est au représentant du ministère de la Propagande, qu’il faut l’imputer. Mais je ne vous contredirais pas si vous étiez d’avis que, moi aussi, j’aurais été, bien entendu, partisan d’une destruction à grand spectacle si l’on m’avait consulté.
J’ai encore une question au sujet des démonstrations qui ont suivi en novembre de la même année. Monsieur le Président, c’est à la page 43 du livre de documents et à la page 42 du texte allemand. (A l’accusé.) Si je comprends bien, vous nous dites que vous n’étiez pas en faveur de ces démonstrations et qu’elles ont été faites à votre insu, tout au moins avant que vous en fussiez informé ?
Oui, c’est exact.
Je voudrais seulement vous rappeler ce que vous avez dit le lendemain, le 10 novembre. C’est un compte rendu de ce qui est arrivé :
« A Nuremberg et à Fürth, des démonstrations de la foule se sont produites contre la clique d’assassins juifs. Ces démonstrations se sont poursuivies jusqu’au matin. »
J’en viens maintenant à la fin du paragraphe : « Après minuit, l’excitation de la populace est arrivée à son paroxysme, et une grande foule s’est portée vers les synagogues de Nuremberg et de Fürth et a incendié ces deux bâtiments juifs où l’on avait prêché la fin du germanisme. »
Suit alors ce que vous avez dit. C’est à la page 44 du livre de documents, Votre Honneur :
« Dès le berceau, le Juif n’était pas instruit avec les textes qu’on nous enseignait, à nous, tels que : « Tu aimeras ton prochain comme « toi-même », ou : « Si tu es frappé sur la joue gauche, tends la joue « droite ». Non, on dit au Juif : « Avec le non-Juif, tu peux faire tout « ce que tu voudras ». On lui apprend même que le meurtre d’un non-Juif est un acte agréable à Dieu. Depuis vingt ans nous l’avons écrit dans le Stürmer, nous l’avons prêché dans le monde entier et nous avons permis à des millions de gens d’acquérir la notion de la vérité. »
Est-ce que cela semble vraiment démontrer que vous ayez désapprouvé les démonstrations qui se sont produites dans la nuit précédente ?
Je dois établir, tout d’abord, que le compte rendu que vous venez de lire en partie, émane de la Tages-zeitung. Il n’a donc pas été rédigé par moi et j’en décline la responsabilité. S’il y est dit que des gens se sont élevés contre la clique d’assassins, c’est sur l’ordre du ministre de la Propagande à Berlin. Vis-à-vis de l’étranger, ces actes ont été présentés comme une manifestation spontanée.
Ce n’est pas une réponse à ma question. Est-ce que ce passage, dont je viens de donner lecture, donnerait à penser que vous ayez blâmé les démonstrations qui ont eu lieu la nuit précédente, oui ou non ?
J’étais contre ces manifestations.
Je continue la lecture : « Mais nous savons qu’il y a encore parmi nous des gens qui ont pitié des Juifs, des gens qui ne sont pas dignes de vivre dans cette ville, qui ne sont pas dignes d’appartenir à ce peuple, auquel vous êtes fiers d’appartenir. »
Pourquoi eût-il été alors nécessaire que des gens eussent pitié des Juifs si vous et le Parti ne les aviez pas persécutés.
J’ai déjà mentionné ce matin que moi-même j’ai été forcé, après cette manifestation, de prendre position officiellement et de dire que l’on ne devait pas avoir tant de pitié. Je voulais simplement prouver par là qu’il ne s’agissait pas d’un soulèvement spontané du peuple. Par conséquent, cette citation ne parle pas contre moi, mais en ma faveur. Le peuple, comme moi-même, était opposé à cette manifestation, et je me vis réduit à, comment dirais-je, à ramener l’opinion publique à cette idée qu’elle ne devait pas considérer ces faits comme étant aussi graves.
Mais si vous et la population y étiez opposés, pourquoi avez-vous considéré comme un devoir de la faire changer d’opinion ? Pourquoi étiez-vous opposé, et pour quelle raison avez-vous alors essayé de dresser les gens contre les Juifs ?
Je ne comprends pas bien ce que vous voulez dire.
J’ai compris que vous étiez opposé à ces démonstrations, le peuple également, et que, pour cette raison, votre devoir avait été de tenter de soulever les gens, pour qu’ils approuvent les démonstrations qui déjà s’étaient produites.
Oui, aujourd’hui, on peut se dire peut-être, où était le devoir. Mais il faut se reporter à l’époque où cela se passait et songer au chaos qui régnait alors. Prendre une décision rapidement, comme aujourd’hui dans cette salle, par exemple, eût été chose impossible. Ce qui s’est passé alors, appartient maintenant au passé. J’y étais opposé, l’opinion publique également. Tout ce que l’on a pu écrire à ce sujet, le fut pour dés raisons tactiques.
Bien. Est-ce que vous étiez pour l’aryanisation des maisons et des affaires juives ? Étiez-vous pour ou contre cette mesure ?
J’ai déjà répondu explicitement aujourd’hui à cette question à propos de l’explication de mon collègue Holz du Parti. J’ai déjà mentionné — et je le répète — que mon représentant vînt me voir.
Un instant, je vous prie. Je ne veux pas de discours. Je vous ai posé une question à laquelle vous pouvez répondre par oui ou par non.
Étiez-vous favorable ou non à l’aryanisation des affaires et des établissements juifs ?
On ne peut répondre aussi rapidement par oui ou par non. J’ai éclairci cette question aujourd’hui et vous devez me permettre de m’expliquer pour éviter tout malentendu. Mon collègue du Parti...
Je ne vous laisserai pas répéter tout cela... Si vous n’êtes pas disposé à repondre à cette question, je passerai outre. Le Tribunal vous a entendu, et je poursuis.
Je veux bien répondre. Après que mon camarade du Parti...
Accusé...
Après que la venue de mes collègues du Parti...
Vous venez de vous refuser à répondre exactement à la question, une question à laquelle vous pouviez répondre par oui ou par non. Étiez-vous pour ou contre ? Vous pouvez répondre à cela et donner ensuite des explications.
Dans mon for intérieur, je n’étais pas pour l’aryanisation. Quand Holz répétait — était-ce une justification ? — que ces maisons devaient être démolies et qu’on pourrait peut-être en tirer les moyens de construire un immeuble pour le Gau, etc., je disais alors : « Bon, si vous pouvez le faire, alors faites-le ». J’ai déjà déclaré ce matin que c’était une négligence de ma part.
Un grand nombre d’affaires furent ainsi aryanisées à Nuremberg et en Franconie, n’est-ce pas ?
Oui.
Veuillez vous reporter au document D-835, qui devient GB-330 ? C’est un document original, une liste des biens juifs, à Nuremberg et à Fürth, qui ont été aryanisés. Avez-vous déjà vu cette liste ou une autre semblable auparavant ?
Non.
Eh bien, vous pouvez m’en croire, cette liste contient les adresses de quelque huit cents établissements à Nuremberg et à Fürth qui ont été confisqués aux Juifs et transmis à des aryens. Reconnaissez-vous qu’il y eut au moins huit cents maisons, dans votre propre ville, qui ont été aryanisées ?
Je n’en connais pas le détail, mais je dois constater une chose. Est-ce là un document officiel d’État ? J’ai déjà déclaré ce matin que mon camarade Holz avait commencé l’entreprise d’aryanisation ; puis Berlin a annulé cette procédure Plus tard, vint l’aryanisation par l’État. Là non plus, je n’ai eu aucune influence personnelle ; je n’ai donc rien à y voir. Cette aryanisation, cette expropriation des biens juifs ordonnée par Berlin
Vous avez mentionné ce matin que vous étiez abonné à un hebdomadaire appelé Israelitisches Wochenblatt, est-ce exact ?
Oui.
Depuis quand étiez-vous abonné à ce journal ?
Comment, s’il vous plaît ?
Depuis quand étiez-vous abonné à cet hebdomadaire ?
Je ne le sais pas.
Je n’ai aucun doute que vous puissiez dire au Tribunal la date approximative. Étiez-vous abonné à cet hebdomadaire sans interruption depuis 1933 ?
Oui. Je ne pense pas avoir lu chaque numéro, car j’ai beaucoup voyagé.
Mais vous le lisiez pourtant régulièrement ? Cela ressort de la requête de votre femme, par laquelle elle demande d’être citée comme témoin ?
Nous nous partagions, mes amis et moi, la lecture de cette feuille.
Puis-je admettre que vous et vos rédacteurs, vous avez, sinon chaque exemplaire, lu du moins l’hebdomadaire, régulièrement, depuis 1933 ? Est-ce à peu près la vérité ?
Il ne peut-être question d’une lecture régulière.
Est-il exact qu’un grand nombre d’exemplaires des éditions auxquelles vous étiez abonné, et que vous receviez chaque semaine, étaient lus soit par vous, soit par vos rédacteurs ?
Certainement.
Je désire, pour l’instant, passer à un autre sujet. Je tiens à me faire bien comprendre de vous.
Monsieur le Président, je voudrais attirer l’attention du Tribunal sur le fait que le document qui vient d’être remis :
« Recensement des biens et immeubles » porte la suscription « Bureau d’aryanisation de la propriété foncière de Nuremberg ». Cela ne peut signifier qu’une chose, c’est qu’il s’agit d’une pièce émanant du service officiel qui fut alors créé en vue du recensement de la propriété. Mais, en aucun cas, ce ne peut être un document prouvant qu’il s’agit des immeubles aryanisés alors par Holz après le 9 novembre.
J’admets qu’il peut en être ainsi.
C’est pourquoi je voudrais vous prier de bien vouloir procéder à une rectification.
Même s’il devait être faux de dire que ces biens avaient été aryanisés, il n’en est pas moins exact de dire que cette liste de biens a été composée par le bureau d’aryanisation de Nuremberg, en vue d’aryaniser ces immeubles plus tard. Cette allégation est-elle exacte ?
Non.
Je ne veux pas poursuivre cette discussion. Je tiens à exprimer très clairement ce que je vais vous dire maintenant. Je prétends que, dès 1939, vous vous êtes efforcé d’inciter le peuple allemand à l’assassinat de la race juive et que vous acceptiez le fait de son extermination. Comprenez-vous cela ?
Ce n’est pas vrai.
Je n’ai pas douté un seul instant que vous soutiendriez que ce n’est pas vrai. Je voulais que vous compreniez exactement où je voulais en venir.
Je tiens à ce que vous voyiez maintenant un volume d’extraits du Stürmer. Vous pouvez compulser les originaux, qui sont sous les yeux du Tribunal, si vous le désirez. Mais nous gagnerons du temps en utilisant les livres de documents. Voyez à la page 3-A. Les pages de ce livre sont toutes pourvues d’un A, afin de les distinguer facilement des chiffres du livre de documents original.
Tous ces documents ont-ils été déposés comme preuve ?
Aucun n’a encore été produit. J’ai pensé qu’il serait préférable de ne verser qu’à la fin les documents correspondants comme preuve, à moins que le Tribunal ou l’accusé n’en préfère des copies. Je vais les numéroter pendant les débats. (A l’accusé.) Voyez la page 3-A de ce volume. C’est le D-809, qui devient le GB-331 :
« Le problème juif n’est pas encore résolu. Et même quand le dernier Juif aura quitté l’Allemagne, il ne le sera pas encore. Il ne le sera vraiment que lorsque la juiverie mondiale aura été anéantie. »
Était-ce là le but que vous poursuiviez, en disant que vous travailliez à la solution du problème international : l’anéantissement de la juiverie mondiale ?
Cela dépend du sens que l’on veut donner au mot « Vernichtung ». L’article a été rédigé par mon ancien rédacteur en chef. Il écrit que le problème juif ne serait pas encore résolu par le départ du dernier Juif de l’Allemagne. Et s’il ajoute brusquement « qu’il ne sera résolu que lorsque les Juifs auront été anéantis » il peut avoir voulu dire : quand la puissance de la juiverie mondiale aura été anéantie. Mon camarade Holz non plus n’a jamais pensé à une exécution massive, ou même à la possibilité d’une telle exécution.
Le mot allemand employé est bien le mot « Vernichtet », n’est-ce pas ? Voyez votre exemplaire. « Vernichtet », cela signifie pourtant anéantir ?
Oui, aujourd’hui, quand on y réfléchit on peut lui donner ce sens, mais non à ce moment-là.
Nous n’allons pas perdre ainsi notre temps. Nous avons encore toute une liasse de documents à parcourir. Voyez la page suivante. C’est en janvier que vous avez écrit cela. Le document D-810 (GB-332), est d’avril 1939. Je vous renvoie aux deux dernières lignes. Cet article a été également rédigé par votre rédacteur :
« Peut-être qu’alors, leurs tombeaux proclameront que ce peuple de meurtriers et de criminels n’a eu que le sort qu’il méritait ».
Que voulez-vous dire par le mot « tombeaux » ? S’agit-il d’exclusion des affaires mondiales ?
J’ai lu cet article pour la première fois ce matin. C’est l’opinion d’un homme qui peut-être, a voulu jouer avec les mots d’une façon quelque peu prématurée. Mais, autant que je le connaisse, et autant que nous ayons parlé de la question juive, il n’a jamais été question d’exécutions massives à cette époque. C’était peut-être son vœu, je ne le sais pas ; mais cela a été écrit.
Bien. Passons maintenant au D-811 (GB-333), de mai 1939. Je cite les six dernières lignes :
« Il faut qu’une expédition punitive soit entreprise contre les Juifs en Russie » — C’était évidemment avant l’invasion de la Russie — « une expédition punitive, qui leur réserve le même sort que celui auquel doit s’attendre chaque meurtrier, chaque criminel : la sentence de mort, l’exécution. Il faut que les Juifs de Russie soient tués. Il faut qu’ils soient exterminés radicalement. Alors le monde verra que la fin des Juifs est aussi la fin du bolchevisme. »
Qui a écrit cet article ?
Cet article a été publié dans votre Stürmer. Nous pouvons facilement le retrouver si c’est nécessaire. Vous ne l’avez pas écrit, mais il a paru dans votre Stürmer et vous avez dit au Tribunal que vous acceptiez la responsabilité de tout ce qui a été écrit dans le Stürmer.
Je veux bien prendre cette responsabilité, mais je déclare qu’il s’agit, là aussi, d’une expression personnelle d’un homme qui, en mai 1933, ne pouvait même pas penser qu’avec rien — car nous n’avions pas de soldats — une campagne contre la Russie pouvait être envisagée. C’est là une image purement théorique, l’avis quelque peu outré d’un antisémite.
Je vous ai demandé simplement : cet article ne prône-t-il pas l’assassinat des Juifs ? Sinon, que prône-t-il ?
Il faudrait que l’on donnât lecture de l’article tout entier pour savoir quels motifs ont été invoqués pour justifier de telles assertions. Je demande que soit donnée lecture de l’article tout entier, afin de pouvoir en juger exactement.
Nous allons continuer sans perdre de temps, à moins que vous ne veuillez véritablement voir l’article en entier. Monsieur le Président, je puis peut-être verser au dossier ces documents comme preuves. Ainsi que Votre Honneur peut le constater, il s’agit ici d’extraits du Stürmer et...
Monsieur le Président, avec l’autorisation du Tribunal, je voudrais me permettre un certain nombre d’observations. Nous avons présentement affaire à une série d’extraits du Stürmer qui me sont présentés pour la première fois. Il s’agit en partie d’articles qui n’ont pas été rédigés par l’accusé lui même. Certains sont signés par Hiemer, d’autres par Holz, qui était particulièrement radical dans sa façon d’écrire ; certains passages sont cités qui ont été extraits de leur contexte. Pour cette raison, je voudrais demander qu’il me soit accordé la possibilité d’examiner ces extraits en collaboration avec l’accusé Streicher car, autrement, il pourrait avoir l’impression que sa défense en est rendue plus difficile et qu’il est dans l’impossibilité de pouvoir s’y préparer de façon pertinente.
Docteur Marx, vous aurez certainement l’occasion de contrôler les différents extraits et vous serez ainsi, en situation d’ajouter éventuellement des passages, qui rendront ces extraits plus compréhensibles. Je l’ai déjà déclaré aux avocats à plus d’une reprise.
Colonel Griffith-Jones, n’avez-vous pas des extraits écrits ou signés par l’accusé lui-même ?
Oui, Votre Honneur, avec votre permission, j’aurai à en discuter quelques-uns. Mais, afin d’éviter de les produire tous, je voulais proposer de les présenter tous et, si cela est nécessaire, indiquer plus tard les exemplaires au Tribunal, afin de gagner du temps.
Oui, naturellement.
Je vais donc présenter tout le dossier comme preuve, sans mentionner chacun d’eux en particulier.
Vous pourrez alors nous indiquer les numéros des pièces plus tard.
Si cela convient au Tribunal.
Oui.
Le Tribunal va constater en parcourant ce dossier, que de la première page qui porte, je crois, le chiffre 3-A, jusqu’à la page 25-A, il y a différents extraits qui ont été écrits soit par vous-même, soit par des membres de votre état-major entre janvier 1939 et janvier 1941. Voulez-vous maintenant prétendre, comme à vos interrogatoires, que vous n’avez jamais su que des Juifs furent exterminés par milliers et par millions dans les territoires de l’Est ? Ne l’avez-vous jamais su ?
Non.
Ce matin, lors de votre audition, alors que vous parliez de l’Israelitisches Wochenblatt, j’ai noté que vous avez dit ceci : « Parfois, dans ces journaux, il était fait allusion au fait que tout allait mal. Plus tard, à la fin de 1943, parut un article disant que des Juifs disparaissaient en masse, mais sans citer de chiffres et sans parler d’assassinats ». Voulez-vous vraiment prétendre que dans les exemplaires de l’Israelitisches Wochenblatt que vous lisiez avec vos rédacteurs, il n’y avait que des allusions aux disparitions, sans aucune mention de chiffres et d’assassinats ? Est-ce que vous voulez en persuader le Tribunal ?
Parfaitement, je m’en tiens à cette déclaration.
Alors, je vous prie de jeter un regard dans ce dossier qui contient des extraits de l’Israelitisches Wochenblatt, de juillet 1941 jusqu’à la fin de la guerre. Le Tribunal appréciera ce que dit réellement un fanatique de la vérité. (Le document est remis à l’accusé.)
Monsieur le Président, ce dossier porte un « B » afin d’être plus facilement reconnaissable. (A l’accusé.) Regardez à la première page. C’est un article du 11 Juillet 1941.
« Quelque 40.000 Juifs sont morts en Pologne au cours de la dernière année ; les hôpitaux sont encombrés. » Inutile de continuer à feuilleter, accusé, nous irons suffisamment vite. Est-ce que, par hasard, vous auriez lu cette phrase dans l’Israelitisches Wochenblatt du 11 juillet 1941 ?
Non.
Alors, voyez la page 3, 3-B de novembre 1941 : « Les pires nouvelles nous arrivent de l’Ukraine. On déplore la mort de milliers de Juifs, parmi lesquels beaucoup de Juifs de Galicie, qui ont été chassés de Hongrie ».
Avez-vous lu cela ?
C’est possible ; on parle ici de milliers. Ce n’est encore aucune preuve que des millions ont été assassinés. Aucun détail ne mentionne comment ils ont fini.
Si c’est là toute l’explication que vous voulez donner, nous en resterons là. Passons maintenant à la page suivante, le 12 décembre 1941, soit un mois plus, tard :
« Selon les nouvelles parvenues de différents côtés, des milliers de Juifs (on parle même de nombreux milliers) ont été exécutés à Odessa, etc. Des nouvelles analogues nous parviennent de Kiev et d’autres villes russes. »
Avez-vous lu cela ?
Je n’en sais rien, et si je l’avais lu, cela ne changerait absolument rien. Ce n’est pas une preuve.
Mais vous avez pourtant dit au Tribunal que le journal ne contenait que des allusions à des disparitions ? Est-ce que cela ne prouve pas que vous ne disiez pas la vérité ? Si vous lisez maintenant ces extraits ?
Je demande alors la permission de dire ceci : dès que la guerre commença, nous n’avons plus reçu l’Israelittsches Wochenblatt. Pendant les dernières années, nous ne pouvions avoir cet Israelitisches Wochenblatt que par le canal de la Police, et c’est clandestinement que nous avons introduit en dernier lieu cet hebdomadaire juif en Allemagne. Un jour, nous avons demandé aux bureaux de Police de nous fournir des journaux étrangers y compris cet hebdomadaire. On nous a déclaré que ce n’était pas possible, mais nous y sommes pourtant parvenus. Je n’ai pas eu chaque numéro sous les yeux. Les exemplaires que j’ai lus ont été saisis dans ma ferme, et tout ce qui est souligné a été lu par moi ou par mon rédacteur en chef. Par conséquent, je ne puis pas, pour chaque notice, garantir avoir lu chaque article.
Je le conçois parfaitement, et c’est pourquoi nous en avons ici un grand nombre. Voyez : nous avons des extraits de presque chaque semaine ou de chaque mois pendant trois ans. Passons maintenant à la page 30-A du dossier A. Je tiens à ce que vous ayez sous les yeux ce que vous avez alors écrit vous-même, après avoir entendu dire ou lu, ou en tout cas après qu’eût paru l’Israelitisches Wochenblatt. C’est un éditorial de votre propre plume : « Si l’on veut en finir avec le danger de la reproduction de cette race maudite par Dieu, il n’y a qu’un moyen : c’est l’extermination de ce peuple, dont le père est le diable ». Est le mot que vous employez pour anéantissement, c’est bien « Ausrottung », n’est-ce pas ?
Je voudrais d’abord savoir si mon défenseur a connaissance de ce numéro et si la traduction est bien exacte ?
C’est sans importance ; il a des copies de toutes les éditions et il saura sauvegarder vos intérêts. Pour l’instant, nous vérifions simplement la véracité de votre témoignage. Pouvez-vous me dire ce que "Ausrottung" signifie ? Est-ce que cela veut dire assassinat de Juifs, ou quelle peut bien en être la signification ?
Cela dépend du contexte. Je demande donc qu’on veuille bien lire l’article d’un bout à l’autre.
S’il y a dans l’article la moindre chose qui puisse vous être favorable, votre avocat aura l’occasion de le lire et pourra le produire au Tribunal. Je peux vous donner l’assurance que, dans l’ensemble, vos autres articles ne plaident pas en votre faveur.
Lorsque cet article parut, les exécutions massives avaient commencé depuis longtemps.
Bien, ne nous attardons pas à cela. Voulez-vous prendre connaissance de votre dossier B : un dossier d’extraits de l’Israelitisches Wochenblatt ?
Je crois qu’il faudrait attirer son attention sur la date, à la page 30-A.
Je vous remercie, Monsieur le Président. (A l’accusé.) C’est le 25 décembre 1941. Prenez maintenant le cahier B. Vous y trouverez un grand nombre d’extraits, qui vont de la page A jusqu’à la page 21. Veuillez prendre la page 24 de ce volume B.
Page 24 ?
Oui, page 24. C’est un article qui a paru dans l’Israelitisches Wochenblatt du 27 novembre 1942. Je voudrais savoir si vous l’avez lu :
« Au congrès sioniste de Suisse, le représentant de la Jewish Agency à Genève a fait un rapport sur la situation du judaïsme européen. Le nombre des victimes se compte par millions. Si la situation actuelle se poursuit et que le programme allemand est mis à exécution, on peut compter que, au lieu des 6.000.000 à 7.000.000 de Juifs en Europe, il n’y en aura plus que 2.000.000. »
Puis, les trois dernières lignes : « Les Juifs présents ont été déportés pour la plupart plus à l’Est, vers la fameuse destination inconnue : à la fin de cet hiver, le nombre des victimes sera de 4.000.000 ». Est-ce là ce que vous appelez une simple allusion à la disparition des Juifs dans l’Est ?
Je ne peux pas me rappeler avoir jamais lu cela. Mais je dis que, si je l’avais lu, je ne l’aurais pas cru.
Reprenons le dossier A et l’article que vous avez écrit le 17 décembre 1942. Il est à la page 34-A. C’est un article signé avec les lettres « Str. ». Je présume donc qu’il a été écrit par vous.
« Le journal de Londres, le Times du 16 septembre 1942, a publié...
Je ne l’ai pas encore trouvé.
C’est à la page 34-A.
Un instant.
Aidez-le. Le titre en est : « Œil pour œil, dent pour dent ».
« Le quotidien de Londres, le Times du 16 septembre 1942, a publié une résolution qui a été approuvée à l’unanimité par le Comité des députés juifs britanniques. Cette résolution exprime la douleur et l’horreur de la communauté anglo-juive devant les atrocités indicibles commises par les Allemands, et par leurs alliés et vassaux, contre les Juifs d’Europe, qui avaient pour unique but d’exterminer de sang-froid l’ensemble de la population juive d’Europe. »
Vous avez certainement lu cet article du Times puisque vous le citiez ?
Parfaitement.
« Comme les Juifs de la communauté anglo-juive ont tout à coup l’oreille fine ! Lorsque la deuxième guerre mondiale a commencé, le Führer de la nation allemande a donné aux Juifs l’avertissement de ne pas précipiter le monde dans un bain de sang. Et depuis lors, le Führer allemand a prodigué ses avertissements et a prophétisé que la deuxième guerre mondiale, provoquée par la juiverie mondiale, devait nécessairement conduire à l’anéantissement des Juifs. Et aussi dans son dernier discours, le Führer rappelle ses prophéties. »
Vous avez bien écrit cela ?
Parfaitement. Il s’agit ici uniquement d’une citation. Je fais allusion à une prophétie du Führer dont personne ne pouvait savoir ce qu’elle signifiait véritablement.
Très bien. Si vous n’avez lu ni cela, ni l’ Israelitisches Wochenblatt, avez-vous du moins entendu parler de la déclaration des Nations Unies, qui a été transmise le 17 décembre 1942 ? Vous rappelez-vous en avoir entendu parler ? (Le document est remis au témoin.)
Il semble que vous ayez lu le Times et certains exemplaires de l’hebdomadaire juif. Peut-être avez-vous aussi entendu parler de cette déclaration, qui a été publiée simultanément à Londres, à Washington et à Moscou avec l’assentiment et le soutien de toutes les nations alliées et des dominions. Je vais vous la lire et voir si vous vous en souvenez :
« L’attention des Gouvernements belge, tchécoslovaque, grec, luxembourgeois, hollandais, norvégien, polonais, soviétique, anglais américain et yougoslave et également du Comité français de libération nationale, a été attirée sur de nombreux rapports provenant d’Europe, mentionnant que les autorités allemandes, non contentes de dénier aux personnes de race juive, dans tous les territoires où leur barbare domination s’est étendue, les droits humains les plus élémentaires, s’appliquent désormais à mettre en pratique l’intention si souvent répétée par Hitler, d’exterminer le peuple juif en Europe. De tous les pays occupés, les Juifs sont déportés, dans des conditions inouïes de terreur et de brutalité, vers l’Europe de l’Est. En Pologne, dont on a fait le principal abattoir nazi, les ghettos constitués par les intrus allemands sont systématiquement vidés de tout Juif, sauf des ouvriers qualifiés pour les industries de guerre. On n’entend jamais plus parler de ceux qui ont été emmenés. Ceux qui sont aptes au travail sont forcés de s’y plier dans des camps jusqu’à ce que mort s’ensuive. Les malades sont victimes des privations et de la famine, ou sont délibérément massacrés dans des exécutions en masse.
« Le nombre des victimes de ces cruautés sanglantes est évalué, à des centaines de milliers de femmes, d’hommes et d’enfants absolument innocents.
Les Gouvernements ci-dessus mentionnés et le Comité national français condamnent de la façon la plus énergique cette politique bestiale d’extermination de sang-froid. Ils déclarent que de tels événements ne peuvent que renforcer la résolution de tous les pays épris de liberté, de renverser la tyrannie barbare de Hitler. Ils confirment leur solennelle résolution d’affirmer que les responsables de ces crimes n’échapperont pas au châtiment et qu’ils persisteront à employer toutes les mesures propres à la réalisation de ce but. »
N’avez-vous jamais entendu parler de cette déclaration ?
Je ne sais pas. Même si j’en avais entendu parler, je dirais ceci au Tribunal : après la prise du pouvoir, la presse étrangère a publié tellement de récits d’atrocités, qui se sont avérés faux, que je n’aurais eu aucune raison d’accorder crédit à un document de ce genre. Il n’y est d’ailleurs nullement question que des millions de Juifs aient été assassinés.
Vous reconnaîtrez que cette réponse est en quelque sorte affirmative. Vous dites que vous n’aviez aucune raison de le croire ; mais l’hebdomadaire juif, auquel vous étiez abonné, disait exactement la même chose.
Voyez la page 26-B du dossier « B ». C’est la déclaration des Nations Unies du 17 décembre. Voyez ce que dit l’hebdomadaire juif du 17 décembre. Je cite le second paragraphe : « A cette époque, le Gouvernement polonais de Londres a déclaré que le nombre des Juifs exécutés s’élevait à 700.000. La radio de Berlin a déclaré que ce rapport n’était pas véridique, mais admit cependant qu’en Pologne « des Juifs devaient être exécutés », parce qu’ils commettaient des actes de sabotage ..
Le dernier paragraphe dit ensuite : « Jusqu’à la fin de septembre 1942, écrit le Daily Telegraph, 2.000.000 de Juifs ont péri en Allemagne et dans les pays occupés par l’Axe, et il est à craindre que le nombre des victimes soit doublé à la fin de l’année ».
Vous est-il arrivé, par hasard, de lire ces articles ?
Je ne me rappelle pas les avoir lus, et d’ailleurs, je ne les aurais pas crus.
Regardez : ce même journal donne encore un autre article, le 23 décembre, sur le même sujet ; un autre encore le 30 décembre, et un troisième le 8 janvier. Il écrit le 8 janvier :
« Le Gouvernement polonais de Londres a publié une nouvelle information suivant laquelle tous les renseignements concordent pour déclarer que sur 3.000.000 de Juifs, 1.000.000 ont péri. »
L’avez-vous lu ?
Je ne sais pas. Mais je dois repéter la même chose : je ne l’aurais pas cru.
Alors, nous allons voir ce que vous avez écrit le 28 janvier. Voyez à la page 35-A de votre propre dossier. Voyez ce que votre rédacteur en chef, Hiemer, le témoin que, autant que je sache, vous voulez faire citer, a dit tout d’abord :
« Mais le ghetto aussi qui a été rétabli aujourd’hui dans presque tous les pays européens, n’est qu’une solution provisoire. Car l’humanité, enfin sortie de sa torpeur, ne se contentera pas de résoudre la question du ghetto, mais aussi la question juive dans son ensemble. Un jour viendra où s’accomplira ce que les Juifs reclament aujourd’hui : la disparition du ghetto. Et, avec lui, du judaïsme. »
A quoi fait-il allusion, si ce n’est à l’anéantissement de la race juive ?
C’était sa façon d’exprimer son opinion ; c’était là sa conviction. Cette conviction est aussi acceptable que ce qu’a pu écrire aux États-Unis, à la même époque, l’écrivain juif Erich Kauffmann, dans son propre livre.
Erich Kauffmann écrivait : « Les Allemands d’âge viril devraient être stérilisés et, par ce moyen, le peuple allemand devrait être anéanti ». C’est à cette même époque que Hiemer a écrit cet article, et je tiens à souligner ici que l’accusation des termes employés par le Stürmer n’est qu’une répercussion du livre d’Amérique. Les officiers qui m’ont interrogé savent bien, de même que mon défenseur, qu’à différentes reprises, je l’ai déjà exposé. Je l’ai prié d’apporter ce livre mentionné par le Völkischer Beobachter. Si, aux États-Unis, un écrivain comme Erich Kauffmann, proclame ouvertement que tous les Allemands d’âge viril doivent être stérilisés, afin d’éliminer le peuple allemand, alors je réponds : œil pour œil, dent pour dent. Il s’agit là d’une affaire théorique d’écrivains.
Bien, nous avons enregistré votre explication. Nous allons voir maintenant ce que vous avez à dire de votre propre article du même jour. Je cite le milieu du paragraphe suivant :
« Mais maintenant, dans la quatrième année de cette guerre, la juiverie mondiale, dans ses considérations rétrospectives, commence à comprendre que le sort des juifs sera consommé par le national-socialisme. »
Que voulez-vous dire par là ? Peut-être aurais-je dû commencer plus haut et lire depuis le commencement :
« Lorsque, au début de la seconde guerre mondiale, la communauté juive a recommencé à se manifester comme incendiaire, Adolf Hitler, du haut de la tribune du Reichstag, a annoncé au monde que cette guerre, déchaînée par la juiverie du monde entier, aurait pour conséquence le suicide de la juiverie. Cette prophétie fut le premier avertissement péremptoire. Elle fut accueillie avec mépris par les juifs, de même que tous les avertissements qui suivirent. »
Vous dites alors :
« Mais maintenant, dans la quatrième année de cette guerre, la juiverie mondiale, dans ses considérations rétrospectives, commence à comprendre que le sort des juifs sera consommé par le national-socialisme. »
Qu’avez-vous voulu dire par là ?
Pardon ?
Que voulez-vous dire par ces mots : « le sort des juifs sera consommé par le national-socialisme » ? Comment conceviez-vous que le national-socialisme devait consommer le sort du judaïsme ?
Le national-socialisme ne pouvait pas décider de leur sort, c’est-à-dire résoudre le problème, parce que c’est le Führer qui avait leur sort en main. Ce n’était pas une solution.
Lors d’un interrogatoire, j’ai souligné que moi, personnellement, qui voulais une solution totale, j’étais dès le début opposé à l’essai de résoudre la question juive par des pogroms. Si j’ai parlé du sort qui devait être réservé à la juiverie par le national-socialisme, je voulais dire par là qu’au delà du national-socialisme, le monde finirait par savoir et par discerner que le problème juif devait être résolu sur le plan international.
Poursuivons :
« Ce que le Führer du peuple allemand, au début de cette deuxième guerre mondiale, a proclamé comme prophétie à la face du monde, s’accomplit aujourd’hui avec une continuité inexorable. Le judaïsme qui, avec le sang des belligérants, espérait réaliser une affaire à l’échelle du monde, marche à pas de géant au devant de sa propre extermination. »
Vous employez de nouveau le. mot « Ausrottung ».
Cela signifie-t-il que « la consommation » à laquelle vous vous efforciez ardemment, est un avertissement adressé au monde au sujet du judaïsme ? Que voulez-vous dire par ces mots : « ... marche à pas de géant au devant de sa propre extermination ? » Que vouliez-vous dire par là ?
Il s’agissait là d’un avertissement que le Führer prophétisait. Personne ne pouvait y donner un sens exact. Nous avons cité cette prophétie non seulement dans cet article, mais dans dix autres, encore et toujours, la première datant de 1929. Aujourd’hui, nous savons ce que le Führer voulait dire. Nous ne le savions pas alors, et, je le reconnais ouvertement, par cette citation, nous voulions donner un avertissement au judaïsme : « Menace pour menace ».
Sous ce rapport, et pour ma défense, qu’on me permette de mentionner que l’écrivain Dr Emil Ludwig Kohn, émigré d’Allemagne en France, écrivait dans Le Fanal, en 1934 : « Hitler ne veut pas la guerre, mais il y sera contraint. Le dernier mot appartient à l’Angleterre. » Ainsi...
Nous ne parlons pas pour l’instant de la guerre. Nous parlons de l’extermination, des assassinats en masse des juifs par les nationaux-socialistes. C’est de cela qu’il est question.
Continuons la lecture :
« Lorsque, il y a vingt ans, Adolf Hitler se présenta au peuple allemand pour lui soumettre les revendications nationales-socialistes, il lui fit aussi la promesse, lourde de conséquences dans sa réalisation, de libérer le monde de son bourreau juif. Combien il est magnifique de savoir que ce grand homme, ce Führer, fait succéder l’action à la promesse. Elle sera la plus grandiose de toutes celles à jamais entreprises parmi les hommes. »
Prétendez-vous désormais n’avoir pas fait de propagande pour la politique de massacres projetée par le Gouvernement nazi ?
Nous aussi, nous avions la liberté de la presse, comme les démocraties, et chaque écrivain connaissait la prophétie qui devait peut-être se révéler plus tard comme un fait accompli et pouvait la commenter. J’ai agi de même.
Bien.
Mais pour ma défense, je tiens à dire, Monsieur le représentant du Ministère Public, que les guerres aussi peuvent être des massacres, avec leurs bombardements nocturnes, etc... S’il est prouvé que quelqu’un a dit que nous avions poussé Hitler à la guerre, je peux aussi bien dire qu’un homme qui sait que Hitler a été contraint de la faire, est, lui aussi, un assassin.
Avec la permission du Tribunal, je me vois obligé de vous interrompre encore. Nous n’agitons pas la question de savoir si Hitler a été obligé de faire la guerre, ou non. Laissons cela de côté. Nous voulons continuer et constater si vous disiez la vérité en prétendant qu’en écrivant cet article, vous ne saviez pas exactement ce qui se passait dans les territoires de l’Est.
Nous en sommes arrivés à janvier 1943. Je voudrais que vous voyiez encore un ou deux exemplaires de l’ Israelitisches Wochenblatt, et que vous disiez si vous vous souvenez de les avoir lus. Voyez la page 30-B, dans votre dossier B, l’édition du 26 février :
« Exchange rapporte avoir appris de l’entourage du Gouvernement Polonais de Londres, que Varsovie, Lemberg, Lodz et d’autres villes ont été « liquidées » et que dans les ghettos il n’y a plus âme qui vive. Les dernières constatations ont permis d’établir que, sur 2.800.000 juifs, 650.000 à peine avaient survécu. »
Écoutez-moi. Avez-vous lu cela ? Vous en souvenez-vous ?
Je ne le sais pas. Pendant des mois, six mois peut-être, nous n’avons pas reçu de numéros ; mais, même si je l’avais lu, je ne l’aurais pas cru.
Avez-vous cru Hitler ? Prenez maintenant la page 31-B. Les deux dernières lignes de l’ Israelitisches Wochenblatt du 5 mars 1943 disent ceci : « Hitler, dans sa proclamation du 24 février, a divulgué à nouveau que son but était l’extermination des juifs en Europe ».
Avez-vous cru votre Führer bien-aimé, lorsqu’il disait exactement la même chose que l’Israelitisches Wochenblatt, les Nations Unies et le Times Londres ?
Non. Je déclare ici que quiconque ayant connu comme moi le Führer, son âme et ses profonds sentiments, apprend ensuite par son testament qu’il a, en pleine possession de ses facultés, donné sciemment l’ordre de massacrer les juifs, se trouve en présence d’une énigme. Et je déclare ici...
Nous ne voulons vraiment pas entendre un long discours sur le Führer. Tournez la page et voyez ce qui est écrit le 26 mars 1943 : « Le rapport du Gouvernement polonais sur les mesures prises contre la population juive est reproduit dans la presse anglaise. Un passage dit ceci :
« Dans la ville de Vilna, 50.000 juifs ont été assassinés ; à Rovno, 14.000 ; à Lemberg, la moitié de la population juive. On donne « également beaucoup de détails sur l’emploi de gaz asphyxiants, comme à Cheln, de l’électricité à Belzec, sur les déportations de Varsovie, l’encerclement de pâtés de maisons et sur les attaques « à la mitrailleuse. »
Avez-vous lu cet article ?
Je ne sais pas. Mais que, bien entendu, il ait fallu recourir à des exécutions en cas de sabotages par les juifs, ou à d’autres occasions, il est bien évident que pendant une guerre, cela va de soi. Mais les chiffres qui ont été donnés sont tout simplement incroyables.
Oui. Je comprends que vous vous exprimiez maintenant de cette façon. Mais je ne comprends pas ce que vous vouliez dire ce matin, en prétendant que l’Israelitisches Wochenblatt n’avait parlé ni d’assassinats, ni donné de chiffres. Vous n’avez pas dit alors qu’ils étaient incroyables ; vous avez déclaré au Tribunal, sous la foi du serment, que cet hebdomadaire ne contenait rien d’autre que des allusions à des disparitions de Juifs et ne faisait nullement mention de chiffres. Que vouliez-vous dire par là ?
J’ai dit la vérité sous la foi du serment. Mais, évidemment, on ne peut tout se rappeler. A mon interrogatoire, j’ai déclaré me souvenir qu’il devait y avoir un numéro faisant allusion à la disparition des Juifs. Je crois avoir parlé de 1943, et cela doit être exact. Si, maintenant, on me lit des articles les uns après les autres, comment puis-je, même s’il devait être prouvé que je les ai lus, m’en souvenir ? Quant à avoir, sous la foi du serment, sciemment dit un mensonge, c’est ce qui ne saurait être exact.
Nous en viendrons tout à l’heure à l’article de 1943 que vous venez de mentionner. Mais nous allons voir, d’abord, si vous accordez quelque créance à votre propre état-major de rédacteurs.
Passez à la page 38-A, M-139 : le 6 mai, c’est-à-dire, comme par hasard, après la publication des trois derniers articles que nous venons de lire, qui furent publiés dans l’Israelitisches Wochenblatt au cours de deux à trois mois. Un ou deux mois plus tard, votre journal publie l’article suivant sous le titre : « Enfants du diable ».
« Le Stürmer a visité des ghettos de l’Est. »
« Le Stürmer a envoyé son reporter photographique dans différents ghettos de l’Est. Un homme du Stürmer connaît les Juifs, à fond, et il ne s’étonne pas facilement. Mais, ce que notre collaborateur a vu dans ces ghettos, fut, même pour lui, un événement unique. Il écrit : « Ce qui s’est présenté ici à mes yeux, et à mon appareil, « m’a donné la conviction que les Juifs ne sont pas des êtres « humains, mais des enfants du diable, un déchet du crime...
« On se prend la tête en se demandant comment il fut possible « que, durant des siècles, ce rebut de l’humanité put être considéré « par les non-juifs comme le peuple élu de Dieu. Cette race « satanique n’a véritablement aucun droit à l’existence... »
Vous avez entendu ce qui se passait dans les ghettos de l’Est en 1942 et en 1943. Est-ce que vous voulez vraiment faire croire au Tribunal que votre photographe est allé là avec son appareil et qu’il n’y a rien découvert, sur le chapitre des massacres ?
Parfaitement, sans cela, il nous en aurait rendu compte.
Le ghetto de Varsovie, vous vous en souvenez, fut exterminé, et en avril 1943, anéanti. Le photographe a dû être justement dans la région à cette époque, car l’article est du 6 mai, et il venait de rentrer. Croyez-vous donc que lui, qui est allé visiter les ghettos pour le Stürmer et pour l’excitateur Julius Streicher, n’ait pu découvrir ce qui se passait dans le ghetto de Varsovie, ou ailleurs ?
Je peux seulement me rappeler que, tout de suite après la campagne de Pologne, un envoyé spécial, un collaborateur viennois, y est allé, a fait des films et a envoyé des comptes rendus de 1942. C’est pourquoi je voudrais savoir son nom, la signature, qui les a écrits. Je sais que le ghetto a été détruit ; je l’ai lu dans un article récapitulatif illustré, qui a été, je crois, publié par le ministère de la Propagande. Mais qu’un ghetto soit anéanti lors d’une insurrection, je tiens cela pour légal de mon point de vue. Quant à des massacres dans le ghetto de Varsovie, je n’en ai rien entendu dire.
Bien. Alors, voyons l’article auquel vous avez fait allusion. Ouvrez le livre de documents à la page 44-A. Monsieur le Président, c’est le même document qu’à la page 53 du livre de documents original. C’était le document PS-1965 (GB-176). Mais sur la page 44-A, la citation est un peu plus longue. (A l’accusé.) Je voudrais, pour la dernière fois, que vous constatiez si, oui ou non, vous dites la vérité, lorsque vous témoignez devant le Tribunal, que vous ne saviez pas ce qui se passait. Dans cet article, vous faites une citation du journal suisse l’ Israelitisches Wochenblatt du 27 août 1943. Monsieur le Président, vous trouverez la date au milieu du premier paragraphe. Je commence là où le journal juif suisse écrit :
« Les Juifs d’Europe, à l’exception de ceux d’Angleterre et des communautés juives de moindre importance dans quelques pays neutres, ont, pour ainsi dire disparu. Le réservoir juif de l’Est, qui était en état de pouvoir compenser le phénomène d’assimilation de l’Ouest, n’existe plus. » Là finit votre citation du journal suisse, et vous poursuivez :
« Ce n’est pas un mensonge juif. Il est réellement vrai que les Juifs ont pour ainsi dire disparu de l’Europe et que le réservoir de l’Est, dont l’épidémie juive a contaminé depuis des siècles les peuples européens, a cessé d’exister. Si le journal juif suisse veut prétendre que les juifs n’avaient pas fait entrer un tel développement en ligne de compte lorsqu’ils ont précipité les peuples dans la seconde guerre mondiale, on peut les en croire. Mais déjà au début de la guerre, le Führer du peuple allemand a prophétisé ce qui est maintenant accompli. Il a dit- que la seconde guerre mondiale engloutirait ceux qui l’avaient voulue. »
Voulez-vous réellement prétendre que, lorsque cet article fut écrit, vous n’aviez aucune idée de la façon dont il fallait interpréter ce mot « Verschwinden », cette disparition des juifs à l’Est ? Voulez-vous vraiment le faire croire au Tribunal ?
Parfaitement. Le mot disparaître ne signifie pourtant pas qu’ils ont été massacrés. Il s’agit ici d’une citation de l’Israelitisches Wochenblatt et d’une nouvelle application de la prophétie du Führer.
Jetez maintenant un coup d’œil sur l’article de la page 36-B, dont vous avez cité un passage. Je vous prierais de le lire avec moi. Nous allons le lire tous les deux. Le paragraphe de l’Israelitisches Wochenblatt que je veux citer renferme la citation que je viens de vous lire. Vous trouverez la même citation. Monsieur le Président, cela commence à la fin de la huitième ligne, en partant du bas. « Pour ainsi dire disparu... » êtes-vous, accusé ?
Je préférerais écouter.
Je pense qu’il vaut mieux que vous lisiez avec moi. Je vais vous aider autant que possible. Vous trouverez cela aux pages 44-A et 36-B. Je vais d’abord, encore une fois, donner lentement lecture de votre Stürmer :
« Les Juifs en Europe, à l’exception de ceux d’Angleterre et des communautés juives de moindre importance dans quelques pays neutres, ont, pour ainsi dire disparu. »
Et vous verrez que vous continuez la citation :
« Le réservoir juif de l’Est, qui était en état de pouvoir compenser le phénomène d’assimilation de l’Ouest, n’existe plus. » Et, dans le texte original, il est dit, en outre :
« 3.000.000 de morts, autant de déchus de leurs droits civiques, des milliers et des milliers dispersés dans le monde, le corps et le cœur brisés. »
Direz-vous toujours au Tribunal que, le 27 août ou lorsque vous avez lu cet article du 27 août, vous ne saviez pas que des juifs furent assassinés dans l’Est, et que vous n’aviez rien lu à ce sujet dans l’Israelitisches Wochenblatt ?
Que j’aie lu ou non que 3.000.000 de Juifs avaient été tués, je ne l’aurais pas cru, et c’est pourquoi j’ai omis de le citer. En tout cas, la censure allemande ne l’aurait pas laissé passer, ni permis de répandre ce qui n’était pas croyable.
Vous n’avez pas lu la fin de la ligne, n’est-ce pas ?
J’ai lu jusqu’à :
« le corps et le cœur brisés » ; c’est le résultat de l’« ordre nouveau » en Europe. (A l’accusé.) Vous dites : « C’est le résultat de l’ordre nouveau en Europe ».
Vous prétendez ne pas l’avoir cru : Vous avouez maintenant que vous avez dû le lire, n’est-ce pas ?
Oui.
Mais vous ne l’avez tout simplement pas cru, n’est-ce pas ?
Non.
Mais, même si vous ne l’avez pas cru, lorsque vous avez lu le journal plus ou moins régulièrement et lorsque votre photographe est allé dans les ghettos de l’Est, avez-vous considéré comme juste de continuer, d’une semaine à l’autre, à prôner l’extermination et l’assassinat des juifs ?
Ce n’est pas exact. Que d’une semaine à l’autre on ait poussé au meurtre, ce n’est pas vrai. Et je le répète encore, l’exagération voulue des termes était la réponse à la voix de l’Amérique, préconisant assassinats et massacres en Allemagne, œil pour œil, dent pour dent. Quant un juif, Erich Kauffmann, exige des massacres en Allemagne, je puis bien alors, comme écrivain, dire : « Bien, eux aussi doivent être anéantis ». C’est une affaire professionnelle, de journaliste. Car le massacre était depuis longtemps accompli sans que nous en eussions appris quoi que ce fût. Et je déclare ici que, si j’avais su ce qui se passait effectivement dans l’Est, je n’aurais certainement pas cité les éléments que j’ai cités là.
Mais, accusé, il a fallu que vous le sachiez, après avoir lu cet article, après avoir envoyé votre photographe, après la publication de la déclaration des Nations Unies, après les prophéties de Hitler qu’il a faites à plusieurs reprises, après que vous avez dit vous-même que ces prophéties s’étaient accomplies ? Dites-vous toujours que vous ne saviez rien7
Le photographe se tient à votre disposition, il est à Vienne. Je demande qu’on le fasse venir. Je déclare ici que ce photographe n’a jamais parlé de massacres et ne pouvait pas en parler.
Je crois qu’il est temps que nous suspendions l’audience.
Monsieur le Président, avec l’autorisition du Tribunal, je me permettrai, pour la clarté de l’exposé des faits, de mentionner ceci : le représentant du Ministère Public, M. le lieutenant-colonel Griffith-Jones, s’est référé au document de la page 38-A, le Stürmer du 6 mai 1943 ; ce doit être une erreur, étant donné qu’il s’agit ici du 6 mars 1943. Cette date est d’une grande importance, car si le reporter photographique du Stürmer a donné un compte rendu dans le Stürmer du 6 mars, il eût fallu qu’il visitât le ghetto de Varsovie avant cette date.
Pourquoi parlez-vous du 6 mars ? Le document que j’ai devant moi est du 6 mai.
Je crains que le texte du Dr Marx ne contienne une erreur. L’original que j’ai devant moi porte la date du 6 mai 1943.
Excusez-moi, je n’ai pas présente à la mémoire la date à laquelle a eu lieu la destruction du ghetto de Varsovie. Il s’agit du document PS-1061.
Je ne peux me souvenir pour le moment du numéro du document, mais la destruction eut lieu, sauf erreur, entre le 1er et le 23 avril.
Dans ce cas, mon intervention est sans objet et je vous prie de m’en excuser.
Nous venons de parler de l’édition de l’ Israelitisches Wochenblatt du 27 août, dont vous avez cité un extrait. Je vous renvoie à une autre édition de cette feuille. Ouvrez à la page 37-B ; c’est l’édition du 10 septembre 1943.
« Les statistiques produites par le comité de recrutement accusent la mort ou la déportation de 5.500.000 juifs sur les 8.000.000 que comptait l’Europe. Par suite des travaux forcés et des déportations, environ 3.000.000 d’entre eux ont péri. »
Je ne le sais pas. Et cela non plus, je ne l’aurais pas cru. Aujourd’hui encore je ne puis croire que 5.000.000 de juifs aient été tués. Du point de vue technique, je considère la chose comme impossible. Je n’y crois pas. Je n’en ai, jusqu’ici aucune preuve.
Il est pourtant évident pour vous qu’il y avait quantité de chiffres cités par l’Israelitisches Wochenblatt, au cours de la période que nous examinons en ce moment.
Pardon ?
Continuons. Je désire maintenant vous produire encore un ou deux de vos articles. Vous vous rappelez que j’ai prétendu que vous aviez poussé le peuple allemand au meurtre. Nous savons que vous avez lu dans l’ Israelitisches Wochenblatt au moins un article où il est fait mention d’assassinat. Je voudrais constater maintenant ce que vous avez publié dans votre propre journal, après cette date. Reportez-vous à la page 47-A. C’est un article de vous du 6 janvier 1944. Vous habitiez alors, depuis quelque temps, dans votre propriété.
« Faisant suite au soulèvement national-socialiste en Allemagne, une évolution s’est également produite en Europe, dont on peut attendre qu’elle libérera le continent une fois pour toutes du juif exploiteur et perturbateur de l’union entre les peuples, et qu’après une issue victorieuse de cette seconde guerre mondiale et s’inspirant de l’exemple allemand, elle provoquera également dans les autres continents l’anéantissement du bourreau juif dans le monde. »
Quel exemple la nation allemande a-t-elle donné aux autres nations du monde ? Qu’entendez-vous par « exemple » ?
Cet article montre le bien-fondé de ce que j’ai toujours avancé. J’ai parlé d’une solution de la question juive à l’échelle mondiale. J’étais persuadé que, si l’Allemagne avait été victorieuse dans cette guerre, si elle avait vaincu le bolchevisme, alors le monde entier aurait été unanime, tous les autres peuples seraient tombés d’accord en vue d’une solution internationale de la question juive. Et, si j’ai parlé ici d’anéantissement, il ne faut pas l’entendre comme massacre. C’est, comme je l’ai déjà dit, une façon de s’exprimer. Je tiens à souligner que je ne crois pas qu’Erich Kauffmann, lui, ait voulu réellement tuer les Allemands par stérilisation ; mais il l’a dit lui aussi, et nous avons parfois répliqué sur le même ton que celui qui nous parvenait de là-bas.
Mais vous ne nous avez toujours pas dit comment vous vous représentiez cette solution internationale pour laquelle vous interveniez et que vous nommiez « Ausrottung ». Si ce n’est pas l’assassinat, qu’est-ce que c’est donc ? Quelle est la solution ?
Mais j’ai déjà dit que j’avais créé une ligue antisémite ; c’est précisément au moyen de cette ligue que nous voulions, parmi les peuples, les nations, susciter des mouvements qui, devenus une réalité et agissant au-dessus des Gouvernements, auraient créé une possibilité internationale. De même qu’elle s’est manifestée ici au cours de ce Procès, je m’étais représenté la création d’un congrès international, qui aurait résolu le problème juif par la constitution d’un État juif, et qui aurait, de cette façon, anéanti la puissance des juifs parmi les peuples.
Votre réponse est donc que vous préconisiez la création d’un État juif. Tout le reste en découle ? Vous interveniez seulement pour un foyer, un « home » de la nation juive ? C’est de cela que vous parliez dans tous ces extraits dont nous venons de donner lecture ? C’est bien la solution que vous envisagiez ?
Je ne vois pas où vous voulez en venir par cette question. Mais oui, c’est cela la solution.
Bien, continuons donc.
Si vous prenez la page 48 du 24 février 1944, nous y lisons ceci :
« Mais quiconque fait ce que fait un juif, est une canaille, un criminel. Et celui qui, tel un perroquet, veut l’imiter, mérite le même sort, l’extermination, la mort ».
Allez-vous encore prétendre avoir eu en tête la création d’un État juif ?
Parfaitement, cela n’a rien à voir avec nos grands desseins politiques. Si vous extrayez chaque allégation d’un écrivain, chaque assertion de la presse quotidienne, par exemple, et que vous vouliez en déduire un but politique, votre déduction sera fausse. Il faut distinguer entre un article de journal et un but politique d’envergure.
Bien, passons à la page suivante du 2 mars 1944.
« Il faut qu’une nuit éternelle s’étende sur la race criminelle des juifs, afin qu’un jour éternel vienne combler de joie l’humanité non juive qui s’éveille ». C’est donc dans une nuit éternelle que vous vouliez plonger cet état national juif ? Était-ce vraiment votre intention ?
C’est là un jeu de mots antisémite. Cela non plus n’a rien à voir avec le grand but politique.
C’est peut-être un jeu de mots antisémite, mais l’unique signification en est l’assassinat, n’est-ce pas ?
Non.
Voulez-vous prendre la page suivante, du 25 mai 1944. Je vous rappelle que tout cela fut écrit après que vous ayez dû lire de récit des meurtres dans l’ Israelitisches Wochenblatt. Je lis le deuxième paragraphe :
« Comment pouvons-nous maîtriser ce danger et ramener l’humanité à la guérison ? Exactement de la même façon que l’individu peut se préserver des maladies contagieuses en acceptant le combat contre les bacilles, de même le monde ne recouvrera la santé que lorsque le plus effroyable de tous les bacilles, le Juif, aura été supprimé. Cela ne sert à rien de combattre les symptômes de cette maladie mondiale, si l’on ne s’attaque pas à la racine du mal. Tôt ou tard, la maladie réapparaîtra. L’agent d’infection et de contamination, le bacille, aura fait le nécessaire. Mais si les peuples doivent guérir et demeurer sains à l’avenir, il faut alors que le bacille de la peste juive mondiale soit radicalement détruit ».
Que vouliez-vous dire par là ? Quand vous dites « radicalement détruit », voulez-vous dire qu’un État national juif devrait être créé ?
Certes. Entre une telle assertion dans un journal et le fait, ou la volonté d’accomplir le fait de l’assassinat, il y a une grande marge.
Passons maintenant au 10 août : « Mais si elle perd la bataille, alors la juiverie sombrera ! Alors la race sera éteinte ! Alors le judaïsme sera annihilé jusqu’au dernier homme ».
Devons-nous comprendre par ces mots : gratinez les juifs d’un État national juif ?
C’est là une vue d’avenir, je dirais, l’expression d’une vision prophétique. Mais ce n’est nullement l’injonction de tuer 5.000.000 de juifs. C’est l’expression d’une opinion, une question de foi, une affaire de conviction.
C’est la vision prophétique de ce que vous vouliez réellement n’est-ce pas, et des tendances que vous affichiez dans les quatre dernières années, depuis le début de la guerre, n’est-ce pas ?
Monsieur le représentant du Ministère Public, ce qui a pu être pensé et écrit il y a des années, lorsqu’on rédigeait un article à un moment donné, je ne peux plus le dire aujourd’hui. Mais je reconnais que, lorsque, à côté de moi sur ma table, provenant du front du judaïsme, quantité de professions de foi proclamaient que le peuple allemand devait être, anéanti, les villes bombardées sans épargner ni les femmes, ni les enfants, ni les vieillards, lorsqu’on a sur sa table de telles professions de foi, alors il peut se faire que, de la plume, s’échappe ce que j’ai écrit maintes fois.
Vous savez pourtant maintenant, même si vous ne croyez pas à ces chiffres, que des millions de juifs ont été assassinés depuis le début de la guerre. Le savez-vous ? Vous avez bien entendu des preuves n’est-ce pas ?
Je le crois...
Je veux seulement savoir si vous avez entendu ces preuves. Vous pouvez répondre par oui ou non. Mais je suppose que ce sera oui.
Oui, je dois dire que le seul document qui soit pour moi une preuve, c’est le testament du Führer. Il y déclare que les exécutions en masse ont eu lieu sur son ordre. Je le crois. Maintenant, je le crois.
Pouvez-vous imaginer qu’il eût été possible de procéder à l’exécution de 6.000.000 de juifs en 1921 ? Croyez-vous que la population allemande aurait toléré cela ? Croyez-vous qu’il eût été possible, sous un autre régime en 1921, de mener à bien l’assassinat de 6.000.000 de femmes, d’hommes et d’enfants de race juive ?
Si c’eût été possible ? Au su du peuple, non. Depuis 1937, M. le représentant du Ministère Public l’a déclaré lui-même ici, le Parti avait un contrôle absolu sur le peuple Si donc le peuple l’avait appris, d’après l’opinion de l’Accusation elle-même, il n’aurait rien pu tenter contre cette dictature, en vertu de ce contrôle. Mais le peuple n’a rien su. C’est là ma croyance, ma conviction.
Était-il donc possible, après vingt années de propagande et d’instigation à la haine, par vous et d’autres nazis, de massacrer des gens par de tels moyens ? Est-ce cela qui a rendu cette extermination possible ?
Je conteste qu’il y ait eu une provocation. On a simplement mis la chose en lumière et il est possible que parfois un mot dur soit tombé, comme réplique à d’autres. C’était une initiation, et non une instigation au meurtre. Et si nous voulons subsister dans l’Histoire, il faut que nous persistions à soutenir qu’aucun allemand n’a prôné l’assassinat, qu’il s’agisse d’un individu ou d’une collectivité.
Je n’ai pas envie de vous laisser discourir à nouveau sur l’histoire du peuple allemand. Je veux simplement vous rappeler ce que vous avez dit hier.
Adolf Hitler...
Je veux simplement vous rappeler ce que vous avez dit hier. Je lirai le procès-verbal. A cette époque, c’est-à-dire en 1923, vous parliez d’une question juive :
« A ce propos, je tiens à faire remarquer qu’aux yeux du public, seule la question religieuse a fait distinguer les juifs des autres. Envisager alors un problème juif, eût été considéré comme une absurdité. »
Cela provenait-il de ce qu’il n’y avait pas de problème juif et de ce que ce problème n’a vu le jour que grâce à vous et grâce au régime nazi ?
Mon but était d’ailleurs — je l’ai atteint en partie — d’obtenir que les lois, qui devaient interdire les rapports sexuels entre personnes de sang différent, aient véritablement force de loi, et que l’on sût, publiquement, que les juifs ne représentaient pas une religion, mais un peuple, une race. J’ai participé à l’établissement de ce principe. Mais les massacres n’étaient nullement une conséquence de cette initiation, ou, comme le dit le Ministère Public, d’une incitation au meurtre. Au contraire ces massacres étaient, peut-être parce qu’il s’était rendu compte qu’il ne pourrait vaincre, le dernier acte de désespoir d’un grand homme de l’Histoire.
Monsieur le Président, je n’ai pas d’autres questions à poser. Mais peut-être me sera-t-il permis de mettre un peu d’ordre dans les preuves et d’en donner les numéros au Tribunal. Si le Tribunal est d’accord, je voudrais désigner par un numéro unique les preuves que j’ai produites sans faire de citations et qui sont dans le même dossier que celles dont j’ai donné des extraits, et les remettre ensuite au greffier. Ce serait le plus simple.
Je crois que l’on peut ainsi procéder. S’ils sont dans le même dossier, vous pouvez donner le même numéro à une liasse de documents, mais à la condition qu’ils soient dans un dossier unique. Docteur Marx, désirez-vous encore interroger le témoin ?
Ce n’est plus nécessaire.
Alors, l’accusé peut reprendre sa place à son banc.
Docteur Marx, veuillez continuer vos explications.
Avec la permission du Tribunal, je propose de citer maintenant le témoin Fritz Herrwerth.
Veuillez préciser votre nom.
Fritz Herrwerth.
Répétez ce serment après moi : « Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ».
Vous pouvez vous asseoir.
Depuis quand connaissez-vous Streicher ?
Depuis le congrès du Parti de 1934.
Quand êtes-vous entré à son service et en quelle qualité ?
Le 15 octobre 1934 j’ai été placé à Nuremberg, non chez M. Streicher lui-même, mais au parc municipal automobile. Mais j’étais tout de même au service du Gauleiter Streicher .
Quand avez-vous quitté ce service ?
En août 1943.
Pour quelles raisons ?
A la suite d’une discussion personnelle, dont la responsabilité m’incombe entièrement.
Aviez-vous également d’autres tâches à remplir auprès de Streicher ?
Oui.
Lesquelles ?
Tout ce qui découlait de ma situation. J’eus également à effectuer, vers la fin, des travaux agricoles.
Vous étiez donc très souvent avec Streicher ?
Oui.
Et, par conséquent, vous avez connaissance des événements les plus importants de cette époque ?
Je ne sais ce que vous appelez événements importants. Il y a des choses auxquelles je n’étais pas initié, du moins je le suppose.
Je vous poserai des questions séparément.
Oui, je vous en prie.
L’accusé Streicher est inculpé d’avoir provoqué des actes de violences contre les juifs et d’y avoir participé. Connaissez-vous un cas de ce genre ?
Pas un seul.
Attendez la fin de ma question. Je vous dirai alors « fin de la question ».
Avez-vous conduit Streicher de Munich à Nuremberg le 9 novembre 1938 et quand encore ? Fin de la question.
C’était le 9 novembre, oui. Je ne sais pas exactement à quelle heure. M. Streicher est reparti plus tôt de Munich, ce devait être à peu près, autant que je m’en souvienne, vers 9 heures.
Streicher savait-il déjà, lors de ce retour de Munich à Nuremberg que, cette nuit-là, quelque chose devait être entrepris contre la population juive ?
Non, il n’en savait rien.
Est-ce que, dans la nuit du 9 novembre, vous avez été témoin d’un entretien qui eut lieu entre Streicher et le Führer SA von Obernitz ?
Oui.
Où cet entretien a-t-il eu lieu ?
Je suis obligé de réfléchir un peu avant de répondre à cette question. Je me trouvais généralement là ou en compagnie du maître d’hôtel à l’heure du coucher. Ce soir-là M. Streicher s’est couché plus tôt que d’habitude ; je ne sais pas pourquoi. Mon service était donc terminé. Je l’ai quitté et me suis rendu au mess de la Gauleitung, qui se trouve au sous-sol, Schlageterstrasse. J’ai joué aux cartes ; c’est alors que le SA-Obergruppenführer von Obernitz vint et m’adressa la parole en m’appelant Fritz, comme à l’ordinaire, et me dit qu’il devait parler d’urgence à Streicher. Je lui répondis que M. Streicher était déjà au lit. Il me dit alors de. le réveiller. Il en prenait la responsabilité ; il s’agissait d’une chose importante. En voiture, von Obernitz s’est rendu alors avec moi à l’appartement de M. Streicher, dont la chambre à coucher était au-dessus de mon habitation. J’en avais la clé et pouvais à tout moment y entrer. En chemin, j’ai pu constater que beaucoup d’hommes des SA parcouraient les rues ; j’en ai demandé la raison à M. von Obernitz ; il me dit que cette nuit-là il se passerait quelque chose. Les maisons des juifs devaient être démolies ; il ne m’a rien dit d’autre. J’ai accompagné M. von Obernitz jusqu’au lit de M. Streicher. Il a fait un rapport à M. Streicher sur ce qui se déroulait dans la nuit. Je ne me souviens plus des détails, mais je crois qu’il a dit que, cette nuit-là, les maisons juives devaient être démolies. M. Streicher était, si je puis m’exprimer ainsi, surpris ; il n’en savait rien. Il a dit textuellement à M. Obernitz — cela, je me le rappelle fort bien — : « C’est une fausse manœuvre et le problème juif ne peut être résolu de cette manière. Faites ce qu’on vous a ordonné de faire ; moi, je ne m’en mêle pas. S’il arrive quelque chose et que vous ayez besoin de moi, vous pourrez venir me chercher ». Je peux encore ajouter que M. von Obernitz a précisé que Hitler avait dit que les SA devaient bien chahuter un peu, et cela à titre de représailles pour ce qui s’était passé à Paris avec Ernst vom Rath. M. Streicher est resté couché et n’est pas sorti cette nuit-là.
M. von Obernitz a-t-il mentionné que les synagogues devaient être incendiées ?
Je crois que oui. Mais, si mes souvenirs sont exacts, M. Streicher a également refusé de le faire, car la synagogue a été incendiée par les pompiers, et autant que je sache, sur l’ordre de M. von Obernitz.
D’où savez-vous cela ?
J’y étais.
Vous avez assisté au spectacle ?
Oui, j’étais à la synagogue cette nuit-là.
Qu’est-ce qui permettait de conclure que c’étaient les pompiers qui avaient allumé l’incendie ?
Je ne le sais pas, mais je l’ai vu. Ce sont les pompiers qui ont mis le feu.
Étiez-vous là lorsqu’on a allumé l’incendie, ou n’êtes-vous arrivé que lorsque le bâtiment brûlait déjà ?
Le bâtiment n’était pas encore en flammes, mais les pompiers étaient déjà là. C’est exact, je ne peux pas dire autre chose.
M. Streicher a-t-il dit quelque chose à ce moment-là ? A-t-il dit qu’il craignait une nouvelle vague d’indignation de la part de la presse mondiale, au cas où l’on mettrait le feu à la synagogue ? A-t-il dit que c’était pour cette raison qu’il s’y opposait ?
Je crois que oui, mais je ne puis plus le dire exactement. Mais, si mes souvenirs sont exacts, il en a été question.
Obernitz a-t-il précisé de qui il tenait cet ordre ?
Il a simplement rapporté que Hitler avait dit que les SA devaient chahuter un peu.
Est-il exact que vous, témoin, ayez. raconté à votre femme, cette nuit-là, l’entretien entre Obernitz et Streicher ?
Je ne crois pas en avoir dit quelque chose. Mais, en descendant du premier étage au rez-de-chaussée, dans mon appartement, j’ai dit à ma femme que, sans doute, je rentrerais plus tard, parce que cette nuit-là, l’action se corsait. Je lui ai dit brièvement ce qui se passait, mais ne lui ai pas parlé de cet entretien.
Plus tard, vous étiez au Pleikershof, lorsque Streicher a été obligé de s’y retirer, ou s’y est retiré volontairement ?
Oui.
Pouvez-vous vous rappeler un cas antérieur au cours duquel celle qui est devenue plus tard Madame Streicher, a parlé des événements de Magdebourg, tels qu’ils s’étaient déroulés la même nuit là-bas ?
Non, je n’en sais rien.
N’avez-vous pas dit à cette personne, à ce moment-là Madame Merkel, qu’il était préférable d’éviter d’en parler, parce que cela avait le don de mettre Streicher en colère ?
Je peux me rappeler que M. Streicher a dit que ce qu’il avait supposé à ce moment-là s’était avéré exact, et que, peu après cette nuit, il avait appris, je ne sais par qui, que, par exemple, le verre à vitres devrait de nouveau être acheté chez les Hollandais. M. Streicher a alors ajouté que c’était déjà là la première confirmation de la justesse de son opinion.
Docteur Marx, un instant s’il vous plaît.
Sir David, est-ce qu’il vous conviendrait, ainsi qu’à l’avocat de l’accusé von Schirach, que nous n’examinions les documents que demain matin à 9 h. 30 ?
Je vais m’en enquérir tout de suite, Monsieur le Président. Oui, l’avocat de von Schirach dit que cela lui convient.
Très bien, à 9 h. 30 demain matin.
Quelles observations avez-vous pu faire lors de votre séjour au Pleikershof, quant à l’attitude de Streicher à l’égard de la question juive ? Qu’en était-il avec l’Israelitisches Wochenblatt ?
Que désirez-vous savoir au sujet de l’Israelitisches Wochenblatt ? M. Streicher le recevait.
Régulièrement ?
Oui, je crois pouvoir le dire avec certitude. J’ai toujours vu de grandes piles d’exemplaires de l’Israelitisches Wochenblatt, arriver régulièrement.
M. Streicher prétend qu’il a eu de grandes difficultés, dans les premières années de la guerre, à obtenir ce journal et que la Police ne le lui remettait pas sans faire de difficultés.
Oui, c’est possible. Je ne sais pas de quelles années étaient ces journaux ni de quelle époque. Je les ai vus, mais il m’est difficile aujourd’hui de préciser de quand ils dataient.
Vous disiez qu’il y en avait des piles entières.
Oui, parfois, mais il y avait aussi d’autres journaux et des journaux suisses, l’Jsraelitisches Wochenblatt, etc. Il y en avait tellement qui traînaient. Mais je ne peux pas dire maintenant combien il y en avait.
Bien. M. Streicher s’est-il, par hasard, prononcé sur les événements à l’Est, ou sur ce qui se passait dans les camps dans l’Est ?
M. Streicher n’en savait absolument rien ; il ne pouvait donc pas en parler. C’est du moins ma conviction.
Vous êtes-vous entretenu avec lui à ce sujet ?
Mais, moi-même je ne savais rien.
Avez-vous eu connaissance d’une lettre dans laquelle le Reichsführer SS Himmler aurait adressé des reproches à Streicher parce qu’il traitait trop bien les prisonniers de guerre français ? M’avez-vous compris ?
Oui, je vous ai compris, mais il faut que je réfléchisse. Je sais bien que M. Streicher a dit quelque chose au sujet du traitement des prisonniers. Je sais que les Français ont été très bien traités. Mais je ne sais pas si c’était à cause d’une lettre de Himmler.
Vous voulez parler de la question du traitement ?
Non, je parle de la raison pour laquelle M. Streicher en a parié. Il a parlé de reproches à propos du bon traitement des Français, mais je ne sais pas s’il faisait allusion à une lettre de Himmler. Je ne pense pas qu’un seul Français ait pu se plaindre d’un mauvais traitement.
Vous n’étiez plus présent lorsque les Français sont partis ?
Non.
Avez-vous connaissance du fait que l’éditeur Fink vint dans le jardin de l’habitation de Streicher, et s’accusa d’avoir menti à la Police au sujet d’une affaire d’actions ?
Cette question doit être détaillée, Monsieur l’avocat, car je n’en sais pas tout, mais seulement une partie. Ce que je sais, c’est que le directeur Fink se tenait en larmes devant M. Streicher, qu’il a pleuré, qu’il s’est accusé d’être un misérable et un traître. Mais pour quelle raison, je n’en sais rien, car M. Streicher s’est éloigné avec lui. J’ai simplement vu que M. Fink avait pleuré et je l’ai entendu dire qu’il se sentait coupable.
Savez-vous qu’à de certains intervalles, Streicher faisait venir du camp de Dachau des membres du parti socialiste et du parti communiste ?
Oui.
Combien étaient-ils ?
Je ne sais pas, c’était toujours à l’occasion de Noël, il pouvait y avoir 100 à 150 personnes chaque année. Ils venaient de Dachau. M. Streicher leur faisait alors préparer un repas dans une salle réservée de l’Hôtel Deutscher Hof, et je crois aussi qu’il s’agissait de réunions de famille, c’est-à-dire que les anciens internés retrouvaient là les membres de leur famille. M. Streicher a fait également en sorte de leur obtenir à tous du travail, et s’est personnellement occupé d’eux.
S’est-il employé à trouver du travail pour ces prisonniers libérés ?
Oui.
Qu’en savez-vous ?
Je sais que trois hommes ont été embauchés à l’usine de motocyclettes « Marswerke » ; M. Streicher a chargé le fondé de pouvoir du Front du travail d’héberger ces gens et de leur trouver du travail.
Quelle a été l’attitude de Streicher lorsqu’il apprit que des membres du Parti s’appropriaient à vil prix des automobiles et des villas qui avaient appartenu à des Juifs ?
Je me rappelle bien que M. Streicher est venu de Berlin, mais je ne sais pas dans quelle mesure il était au courant de ces achats. En tout cas, lorsqu’il est revenu de Berlin, où M. Göring lui avait parlé de ces achats de maisons, M. Streicher, déjà à la gare de Nuremberg — je l’ai entendu moi-même — a déclaré que ces achats devaient être annulés immédiatement. Pour le reste, je ne connais qu’un cas d’achat de villa par un membre du Parti. Je ne sais pas s’il y en eut plusieurs.
Savez-vous si Streicher était surveillé par la Gestapo dans sa ferme, et s’il était interdit de lui rendre visite ?
En ce qui concerne la première question, je n’ai aucune preuve officielle de la présence d’agents secrets. Je ne peux pas le prétendre directement, mais on peut le supposer avec certitude. Je connais une femme qui prétend avoir été photographiée dans la forêt, alors qu’elle se rendait de la gare à la ferme. Quelle était donc la seconde question ? Voulez-vous me la répéter ?
Je vous ai demandé s’il était interdit de lui rendre visite ?
Oui. J’étais en ville avec plusieurs camarades du Parti et tous ceux que j’interrogeais me disaient : « On n’a pas le droit de sortir ». Et quand j’ai demandé qui avait décrété cette interdiction, alors, personne n’a voulu le dire. D’après ce que l’on savait, cet ordre aurait été émis par l’ancien représentant du Führer, M. Hess.
Savez-vous que Streicher, lorsqu’il apprenait que des actes de violence étaient envisagés contre des Juifs ou des adversaires politiques, les interdisait ?
Oui, du moins, d’après ses déclarations. Il disait chaque fois que c’était une mauvaise tactique.
Connaissez-vous le cas de quelqu’un qui se serait rendu coupable de telles violences et qui aurait été puni par lui ? Si vous ne le savez pas, dites que vous ne le savez pas.
Pour l’instant, je ne vois pas un cas de ce genre.
Savez-vous quelque chose au sujet de l’affaire des actions des usines Mars ?
Oui, par des récits de M. Streicher à l’époque. Je n’en ai pas été témoin personnellement, mais M. Streicher m’a raconté une fois la façon dont cette affaire s’était déroulée. Dois-je le raconter brièvement ?
Oui, mais très brièvement.
M. Streicher était à ce moment-là au bain de vapeur. Alors le directeur Fink et son adjoint König se sont rendus auprès de lui et lui ont offert ces actions. M. Streicher a dit :
« De quelles actions s’agit-il ? » On lui a répondu : « Ce sont des actions des usines Mars ». « Pour combien ? » « Pour 100.000 Mark ». « Combien coûtent les actions ? » « 5.000 Mark ». M. Streicher a alors demandé : « Pourquoi ces actions sont-elles si bon marché ? Et enfin, je crois que c’est Fink qui a répondu : « Parce que ce sont des actions juives ».
Celui qui connaît M. Streicher comme je le connais, sait bien que M. Streicher n’a jamais rien pris à un Juif. Il s’est toujours énergiquement élevé contre toute proposition de ce genre qu’on s’est permis de lui faire. C’est ainsi que s’est terminé ce débat. Mais soudain l’idée est venue au Gauleiter Streicher que cet argent lui permettrait de construire la troisième maison du Gau. En sortant, il a attiré l’attention de ces messieurs sur cette possibilité et ils se sont alors décidés à acheter ces actions. Mais M. Streicher leur a interdit d’utiliser de l’argent du Parti. Ces deux hommes en sont restés interdits. M. Streicher leur dit qu’il leur avancerait alors ces 5.000 Mark. De cette façon, l’affaire fut réglée.
J’ai assisté moi-même plus tard à une autre scène. C’était peut-être un an et demi après ce débat, à Munich, à l’issue duquel M. Streicher avait été congédié. C’est alors que la femme de l’Ober-gruppenführer Zühlen du NSKK s’est rendue auprès de moi et m’a demandé si je savais déjà que la Police eût reçu des ordres à Nuremberg pour faire une enquête sur le cas Streicher. J’ai répondu par la négative et j’ai ajouté : « Si vous voulez savoir quelque chose, venez à la ferme voir M. Streicher en personne, il vous donnera les éclaircissements nécessaires ». Environ quinze jours à trois semaines après, j’ai rencontré le directeur du Stürmer, Fischer, successeur de M. Fink. J’ai oublié de mentionner que les actions et les 5.000 Mark de M. Streicher avaient été réquisitionnés. Le directeur Fischer m’annonça que la banque fiduciaire lui avait téléphoné qu’elle avait opéré, au compte du Stürmer, le virement des 5.000 Mark que M. Streicher avait avancés pour l’achat des actions.
Docteur Marx, ne croyez-vous pas que l’on s’éternise sur des détails inutiles ?
Oui.
Je serai plus bref. L’homme de cette société fiduciaire a dit que ces 5.000 Mark étaient débloqués, parce que l’innocence de M. Streicher était prouvée.
Vous avez assisté à la session de la Cour suprême du Parti ?
Oui.
Qu’a dit Fink ? Ne s’est-il pas accusé à nouveau d’avoir dit un mensonge ?
Je n’étais pas présent à l’interrogatoire de M. Fink.
Bien. J e vais encore vous demander si vous avez assisté à l’incident de Munich, au restaurant du Künstlerhaus, au cours duquel un homme a insulté Streicher. Donnez-nous des détails sur ce qui s’est passé.
M. Streicher quittait le restaurant après le repas. Je ne me souviens plus exactement en détail, de ce qui a été dit, mais je m’efforcerai de le décrire aussi bien que possible. M. Streicher quittait le restaurant et à ce moment-là, un homme l’a interpellé d’une manière vraiment irrespectueuse. Il a néanmoins continué vers la sortie, muet de surprise, demandant à ceux qui l’accompagnaient et à moi-même, si nous connaissions cet homme. Personne ne le connaissait. Là-dessus, M. Streicher a prié son fils Lothar de rentrer dans le restaurant et de lui demander comment il avait pu se permettre de se conduire de cette façon. Lothar Streicher est ressorti, et a dit que cet homme, encore une fois, s’était comporté de la même façon.
Je vous prie d’être plus bref. Vous n’avez qu’à nous dire la façon dont tout cela s’est passé, et ensuite ce qui vous a amenés, vous et aussi M. Streicher, à vous battre avec cet homme.
M. Streicher a demandé qu’on lui donnât une chambre et c’est dans cette chambre qu’il a demandé à cet homme de lui rendre compte de son attitude. Là encore, cet homme a répondu de façon impertinente et Lothar Streicher en est venu aux coups. Puisque nous en étions arrivés là et que c’était un homme très vigoureux, nous avons tous fini par nous rendre maîtres de lui.
J’ai terminé l’interrogatoire de ce témoin, Monsieur le Président.
Est-ce qu’un autre avocat désire poser des questions au témoin ? Un représentant du Ministère Public désire-t’il un contre-interrogatoire ?
Le témoin peut se retirer.
Je prie alors le Tribunal de bien vouloir faire venir le témoin Wurzbacher, s’il est là. Il n’est pas là ? Wurzbacher, Hiemer ?
sMadame Streicher est là.
Le témoin Wurzbacher n’est-il pas là ?
Il n’était pas encore là tout à l’heure, il n’a pas été appelé.
Quels sont les témoins que vous voulez entendre, Docteur Marx ?
L’épouse de l’accusé pourrait être appelée.
Très bien, faites-là venir.
Le témoin Strobel est là maintenant.
Le Dr Marx désire qu’on fasse venir Madame Streicher.
Excusez-moi, Monsieur le Président, si la comparution de Madame Streicher doit présenter quelque difficulté, alors le témoin...
Voulez-vous préciser votre nom ?
Adèle Streicher, née Tappe.
Voulez-vous répéter ce serment après moi. « Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient, que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ».
Vous pouvez vous asseoir.
Vous êtes née Tappe, à Magdebourg ?
Oui.
Étiez-vous membre de la NSDAP ou de l’organisation des femmes nationales-socialistes ?
Non.
Quand êtes-vous devenue secrétaire de M. Streicher, et pendant combien de temps avez-vous exercé cette activité ?
Le 7 juin 1940, je suis devenue la secrétaire de Julius Streicher, et j’ai exercé cette activité jusqu’à la fin de la guerre.
Donc, pendant ce temps, vous êtes demeurée constamment dans sa ferme ?
Oui. J’étais constamment auprès de lui.
Étiez-vous également chargée de toute la correspondance de M. Streicher ?
Oui.
En quoi consistait essentiellement cette correspondance ?
Il s’agissait surtout de lettres adressées à ses fils et aux membres de sa famille.
De quoi s’est occupé M. Streicher pendant cette période de cinq ans ?
M. Streicher, s’est surtout occupé de travaux manuels, c’est-à-dire de travaux agricoles et horticoles. De temps à autre, il écrivait des articles pour le Stürmer.
A-t-il quitté sa propriété au cours de ces cinq années ? A-t-il été absent pendant un temps assez long ?
Pendant les premières années de la guerre, Julius Streicher n’a pas du tout quitté la ferme et plus tard, il s’est absenté de temps à autre pour rendre visite à des voisins. La durée maximum de son absence n’excédait jamais une journée entière et il ne s’est jamais absenté la nuit.
Savez-vous qu’il était interdit à des membres du Parti de rendre visite à Streicher ?
Oui. Il y a eu une telle interdiction.
Comment le savez-vous ?
Par des conversations et, lors d’une visite du Dr Goebbels, j’ai entendu Julius Streicher lui dire :
« Comment Docteur, vous osez venir ici, ne savez-vous pas qu’il existe une interdiction de la direction du Parti de me rendre visite ? »
Quand eurent lieu les visites du Dr Ley et du Dr Goebbels ?
Le Dr Ley est venu le 7 juin 1944. La visite du Dr Goebbels a eu lieu le 4 juin 1944.
Décrivez le caractère de ces visites et le sujet de ces conversations.
Ces deux visites avaient plutôt un caractère non officiel. Le Dr Ley s’est surtout enquis de la santé de Julius Streicher. Les questions politiques n’ont pas été abordées. Ley a dit simplement : « Streicher, le Führer vous attend. »
Et qu’a répondu Streicher ?
Julius Streicher lui a répondu qu’il s’était habitué à sa solitude et qu’il se sentait heureux comme paysan. Que Ley voulût bien dire au Führer que, lui, Streicher, n’avait pas de désirs.
Lors de la visite du Dr Goebbels, le sujet de conversation porta surtout sur la raison du retrait des fonctions de Gauleiter de Streicher. Le Dr Goebbels a défendu l’opinion selon laquelle Julius Streicher devait revenir dans les milieux des vieux fonctionnaires du Parti. Mais lui aussi reçut la même réponse : « Dites au Führer que je n’ai pas de désirs ».
Étiez-vous toujours présente lors de ces entretiens ?
Oui.
Est-ce que le problème juif n’a pas aussi été le sujet de ces conversations ?
Non, on n’a pas parlé de la question juive.
N’a-t-on pas parlé non plus des événements dans les territoires de l’Est ou dans les camps de concentration ?
Non. On n’en a pas parlé du tout.
Streicher ne s’est-il pas entretenu avec vous des idées qu’il exprimait dans les articles du Stürmer et ne vous a-t-il pas exposé sa conception d’une solution du problème juif ?
De toutes les conversations que j’ai eues avec Streicher, j’ai pu conclure avec certitude qu’il n’avait jamais pensé résoudre la question juive par des mesures de violence, mais qu’il prétendait au contraire provoquer une émigration des Juifs hors d’Europe et leur établissement ailleurs.
Est-ce que M. Streicher, était en correspondance avec des personnalités dirigeantes du Parti ou de l’État ?
Non, il n’avait pas de relations, ni personnelles, ni épistolaires.
Je vous citerai maintenant un certain nombre de noms, et vous me direz si Streicher a eu des rapports avec eux : Himmler, Heydrich, Bormann ou d’autres personnalités dirigeantes de la Police ou des SS, ou de la Gestapo ?
Non, avec aucune de ces personnalités, à l’exception d’une lettre de Himmier.
Quel a été le motif de cette lettre ?
Dans la lettre de M. Himmler, celui-ci se plaignait de ce que les prisonniers de guerre français employés sur nos terres fussent trop bien traités.
Comment étaient donc traités les prisonniers de guerre et les travailleurs civils étrangers dans cette propriété ?
Il y avait huit prisonniers de guerre français, une Polonaise et une jeune fille Slovène. Tous étaient bien traités et très humainement. Chaque coup de main que leur demandait Julius Streicher personnellement, tout travail confié par lui-même, fut par lui spécialement récompensé au moyen de tabac, de pâtisserie, de fruits et même de primes en argent. Au cours de ces années s’étaient même établi des relations si cordiales que lorsqu’ils prirent congé, ils déclarèrent, les larmes aux yeux, qu’ils se proposaient de rendre visite à Julius Streicher après la guerre avec leurs familles.
M. Streicher n’a-t-il pas eu, finalement, connaissance de ce qui se passait à l’Est et qui lui eût paru vraisemblable ?
Je crois que c’est en 1944 qu’il en a entendu parler par les journaux suisses. Mais nous n’en avons jamais eu connaissance officiellement.
Mais on prétend qu’il en aurait déjà eu connaissance avant ?
Non.
Vous n’en saviez rien ?
Je ne sais que ce que nous ont appris les journaux suisses.
Bien. Au cours d’une conversation, vous avez dit un jour que, dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938, à Magdebourg, vous aviez assisté à des démonstrations contre les Juifs, ce qui vous avait fait concevoir un dégoût prononcé pour toutes ces méthodes. Est-ce vrai ?
Oui. J’ai raconté que j’étais présente lorsque cette action a été menée à Magdebourg et que j’en avais été bouleversée. Cette conversation a irrité Julius Streicher et il m’a dit : « De telles sottises ont été commises aussi à Nuremberg ». Ce n’était plus de l’antisémitisme, mais une stupidité incommensurable.
Est-il exact que M. Streicher ne se soit intéressé que très peu aux questions financières de sa maison d’éditions et qu’il s’en remettait toujours à son directeur ?
Julius Streicher ne s’est jamais occupé de questions pécuniaires, ni chez lui, ni dans sa maison d’éditions. Il arrivait souvent que ces messieurs de la maison d’éditions, lorsqu’ils voulaient lui faire leur rapport sur le bilan annuel, étaient très désappointés quand Julius Streicher leur disait : « Laissez-moi tranquille avec vos affaires. Il y va de bien d’autres choses que d’argent ».
Mais alors, avec quoi subveniez-vous aux besoins du ménage ?
Je recevais 1.000 Mark par mois de la maison d’éditions, ce qui me permettait de subvenir aux frais du ménage, même de faire des cadeaux, etc.
Avez-vous eu connaissance qu’il ait acheté des actions, obtenues à la suite d’une pression malhonnête exercée sur un banquier juif ?
C’est absolument impossible. Je considère comme totalement impossible qu’il ait acquis des actions de cette manière. Je ne sais même pas comment une action est faite.
Ne vous en a-t-il pas parlé ?
J’ai seulement entendu dire qu’il n’avait jamais reçu d’actions.
Comment se fait-il qu’en avril 1945 vous soyez parvenue à épouser l’accusé ? Avez-vous compris la question ?
Julius Streicher voulait participer à la lutte à Nuremberg. Je voulais l’accompagner et c’est pourquoi il m’a donné son nom au préalable. Nous voulions mourir ensemble.
Vous avez alors quitté le Pleikershof avec lui, et où vous êtes-vous rendus ?
Au début, nous voulions aller à Nuremberg, mais cela nous a été refusé de peur de soulever des difficultés de compétence. Nous sommes allés à Munich. De là, on nous a envoyés à Passau. De là à Berchtesgaden, et de Berchtesgaden à Kitzbühl.
Comment se fait-il que cette intention de vous donner la mort ensemble n’ait pas été réalisée. Qu’est-ce qui vous a incités à changer d’avis ?
Une conversation avec trois jeunes soldats.
Sur quoi portait-elle ? J’en ai bientôt terminé, Monsieur le Président.
Je ne crois pas qu’il faille aborder cette question, Docteur Marx.
Alors j’y renoncerai. Seulement une question : est-il exact que M. Streicher a donné pleins pouvoirs au directeur de sa maison d’éditions, ce qui permettait à celui-ci de disposer des fonds comme il l’entendait ?
Oui, Julius Streicher a dressé cette procuration générale par écrit et accordé son entière confiance à son directeur, sans restriction aucune.
Monsieur le Président, je n’ai pas d’autre question à poser.
Est-ce qu’un autre avocat désire interroger le témoin ?
Le Ministère Public désire-t-il poser des questions ?
Non.
Le témoin peut se retirer. Le Tribunal lève l’audience jusqu’à demain matin 9h30.