CENT DIX-HUITIÈME JOURNÉE.
Mercredi 1er mai 1946.
Audience du matin.
Avant que se poursuive l’interrogatoire de l’accusé Schacht, j’annonce la décision du Tribunal concernant les demandes faites par le Dr Sauter au nom de l’accusé von Schirach.
La première demande au sujet de laquelle une objection a été soulevée est relative à un groupe de documents : n05 30, 31, 45, 68, 73, 101, 109, 124 et 133. La demande concernant ce groupe de documents est rejetée.
La seconde est une demande concernant le n° 118-A. Cette demande est accueillie et le document doit être traduit.
La sam30041946 zuivante concerne le n° 121. Elle est rejetée. En ce qui concerne les témoins, le Dr Sauter a retiré sa demande relative au témoin Marsalek ; quant aux autres demandes, le Tribunal accepte la citation de Uberreither comme témoin. C’est tout.
Hier, après la réponse du Dr Schacht, quand je lui ai demandé s’il se sentait déçu ou bien trompé par Hitler, j’ai omis de citer un extrait de document traitant du même sujet. Il s’agit du document n° 34, page 114 du texte anglais du livre de documents ; je cite :
« Le Dr Schacht était, même en 1935-1936, comme on le voit par de nombreux rapports, devenu l’homme qui, de bonne foi, avait mis sa force et son savoir à la disposition de Hitler, mais qui maintenant se sentait trompé par lui. Des nombreuses déclarations de Schacht, je n’en citerai qu’une seule : lors d’un dîner chez ma femme et moi-même, le Dr Schacht arriva manifestement préoccupé. Au cours du repas, il exprima soudainement ses sentiments, s’écriant dans un état de vive agitation en s’adressant à ma femme : « Chère Madame, nous sommes tombés entre les mains de criminels. Comment aurais-je jamais pu m’en douter ! »
Ce texte est la déclaration sous serment de Sehniewind. J’ai mentionné hier trois documents, à savoir : un discours prononcé par Schacht à Francfort-sur-le-Main sur « la Géographie et la Statistique », le 9 décembre 1936, un article de Schacht sur le problème colonial et un discours prononcé par lui à Kœnigsberg.
Je remets ces documents maintenant au Tribunal : le discours de Francfort sur « la Géographie et la Statistique » est le document Schacht-19, page 48 du livre de documents, page 54 du texte anglais ; l’exposé sur le problème colonial est le document n° 21, page 53 ; page 59 en anglais ; et le discours de Kœnigsberg, le n° 25 de mon livre de documents, page 44 en allemand, page 73 en anglais.
Dr Schacht, nous nous sommes arrêtés au milieu de 1934, c’est-à-dire peu de temps avant que vous ne deveniez ministre de l’Économie. Au moment de votre nomination à ces fonctions, vous étiez déjà au courant des événements du 30 juin 1934 et de leur légitimation par le Cabinet. N’aviez-vous pas de scrupules à faire partie de ce Cabinet, ou bien quelles furent les réflexions qui vous poussèrent à rejeter ces scrupules ?
S’il ne s’était agi que de ma quiétude et de ma commodité personnelles, il eût été très simple de ne pas accepter ces fonctions et de démissionner. Je me suis demandé ce que la politique allemande aurait à y gagner. Nous nous trouvions déjà à une époque où toute opposition publique et ouverte et toute critique vis-à-vis du Gouvernement hitlérien étaient devenues impossibles. On ne pouvait plus organiser de réunions publiques, ni fonder de sociétés ; la liberté de la presse n’existait plus, l’opposition politique, indispensable à tout gouvernement, était contrecarrée par la politique de terreur de Hitler. Il n’y avait qu’un moyen de critiquer ou même de faire de l’opposition et de prévenir des mesures graves et erronées du Gouvernement. Cette opposition ne pouvait exister qu’au sein même du Gouvernement,
Pénétré de cette vérité, je suis entré dans le Gouvernement et j’avais espéré qu’au cours des années, je trouverais un certain soutien parmi le peuple allemand. Il y avait encore une grande masse d’intellectuels : professeurs, savants, maîtres d’école dont je n’attendais pas qu’ils se soumissent simplement à un régime de coercition. Il y avait aussi beaucoup d’industriels, de chefs d’industrie, dont je ne pouvais pas supposer qu’ils s’inclinassent devant une politique de coercition incompatible avec une économie libre. J’avais espéré trouver un certain appui dans tous ces milieux, appui qui m’aurait permis d’avoir une influence de modération et de contrôle à l’intérieur même du Gouvernement.
Je suis entré dans le cabinet de Hitler, non pas en y adhérant avec ferveur, mais parce qu’il était nécessaire de continuer à travailler pour le peuple allemand et d’exercer une influence calmante à l’intérieur du Gouvernement.
Au cours des années, ne s’est-il pas développé une opposition à l’intérieur du Parti ?
J’aimerais, en répondant à cette question, déclarer qu’à l’intérieur du Parti, les éléments convenables étaient naturellement en grande majorité ; une grande partie de la population avait adhéré au Parti par bonne volonté, par un élan sain, inspiré par la situation dans laquelle se trouvait le peuple allemand. Dans le cas des SS par exemple, je voudrais dire qu’au début de ce mouvement, une masse d’hommes convenables avaient adhéré, car Himmler avait donné à cette organisation l’apparence de combattre pour une vie d’idéals. Je voudrais appeler votre attention sur le titre significatif d’un livre écrit par un SS : Créons des types convenables ; Schafft anständige Kerle. Mais, au cours des années, Hitler a su à l’intérieur du Parti et de ses organisations s’entourer de tous les mauvais éléments. Il a compris comment les unir à lui et cela sciemment, du fait qu’il exploitait chacune de leurs fautes petites ou graves, il utilisait tout ce que des hommes avaient à se faire pardonner afin de les attacher une fois pour toutes à sa personne.
J’ai parlé hier de beuveries comme faisant partie de l’idéologie nazie. Je ne l’ai pas fait pour diminuer qui que ce soit personnellement, mais pour une autre raison bien définie. Au cours d’événements ultérieurs, j’ai remarqué que même beaucoup de membres du Parti, pris dans les rêts de Hitler et qui se trouvaient dans des positions-clés s’inquiétaient peu à peu des suites éventuelles de l’injustice et des actes criminels que le régime les entraînait à commettre. J’avais la conviction que ces hommes, justement de ce fait, avaient recours à l’alcool et à divers stupéfiants afin de fuir devant leur conscience et que ce n’était que cette fuite qui leur permettait d’agir comme ils l’ont fait. Autrement, on ne pourrait pas s’expliquer le grand nombre de suicides qui se sont produits à la fin du régime.
Vous savez que vous êtes accusé d’avoir participé à une conspiration dont le but était de violer la paix. Avez-vous, à n’importe quel moment, eu des conversations secrètes, ou avez-vous eu connaissance de directives ou d’ordres secrets dirigés vers un tel but ?
En ce qui concerne ma personne, je puis dire que jamais je n’ai reçu d’ordres ou exécuté des instructions comportant une injustice. Jamais Hitler ne m’a demandé quelque chose dont il sut que je n’allais pas l’exécuter pour sa contradiction avec mes convictions morales ; mais jamais je n’ai observé ou remarqué qu’un des ministres, mes collègues ou qu’un des hommes en vue, n’appartenant pas au cercle étroit de Hitler car ceux-là, il ne m’était pas possible de les contrôler ou un de ceux que j’ai rencontrés, ait en aucune façon laissé transparaître une intention quelconque de commettre un crime de guerre. Au contraire, nous étions tous très contents lorsque Hitler faisait à nouveau un de ses grands discours dans lequel il ne déclarait pas seulement au monde, mais avant tout au peuple allemand qu’il ne désirait rien d’autre que la paix et le travail pacifique. Que là encore, Hitler ait trompé le monde, le peuple allemand et beaucoup de ses collaborateurs, ce sont de ces choses qu’hier déjà, j’ai mentionnées.
Avez-vous à un moment donné naturellement à l’exception de celui normalement attaché à vos fonctions prêté un autre serment, ou vous êtes-vous autrement lié au Parti ou à un autre organisme national-socialiste ?
Je n’ai prêté aucun serment, à l’exception de mon serment de fonctionnaire au Chef de l’État en tant que tel.
Entreteniez-vous des rapports privés intimes avec des nationaux-socialistes importants, Hitler ou Göring ?
Vous entendez par « intimes » des relations privées, amicales ou mondaines ?
Oui.
Je n’ai jamais eu de relations de ce genre avec Hitler. A de nombreuses reprises dans les premières années, il m’avait instamment prié de venir déjeuner avec lui à la chancellerie où il réunissait ses amis intimes. J’ai essayé de le faire deux fois. Je m’y suis rendu deux fois et je dois dire que non seulement le niveau des conversations et la courtisanerie abjecte vis-à-vis de Hitler m’ont repoussé, mais que toute cette société me répugnait et que je n’y suis plus jamais revenu. Jamais je n’ai rendu visite à Hitler à titre privé. J’ai assisté certes aux grandes réceptions où les ministres, le corps diplomatique, les hauts fonctionnaires, etc., paraissaient, mais des relations intimes ou mondaines, ou d’autres relations étroites de quelque autre nature n’ont jamais existé entre nous. Ceci s’applique aussi bien aux autres.
Naturellement, dans les premiers temps de nos rapports, nous nous rendions visite à l’occasion, mais toutes les prétendues réunions mondaines qui eurent lieu alors portaient un cachet plus ou moins officiel. De relations privées étroites, il ne peut nullement être question.
Cette réponse peut-elle s’appliquer à tous les autres nationaux-socialistes importants ?
A tous.
Quand, par exemple, avez-vous parlé pour la dernière fois aux personnes suivantes : à Bormann, d’abord ?
Je déduis du mot « d’abord » que vous voulez en citer d’autres ?
Oui, Himmler, Hess, Ley, Ribbentrop.
Je voudrais alors faire tout d’abord une remarque préliminaire : lorsque Hitler revint de Paris après la campagne de France, et il revint victorieusement en triomphateur, nous reçûmes tous, ministres, Reichsleiter et autres personnalités du Parti, secrétaires d’État et autres, l’ordre, de la Chancellerie du Reich, de nous trouver à la réception de Hitler à la gare d’Anhalt, afin de lui souhaiter la bienvenue. Comme je me trouvais à Berlin à cette époque, je ne pouvais me dérober à cet ordre sous aucun prétexte. Le conflit entre Hitler et moi-même existait déjà depuis longtemps, mais en 1940, c’eût été véritablement un affront de rester à la maison. C’est pour cela que je m’y suis rendu et que j’ai rencontré un grand nombre de chefs du Parti et de personnes dont je ne me souviens plus maintenant.
Excusez-moi de vous interrompre. J’ai une mauvaise mémoire pour les films et notamment pour les actualités, mais je crois me souvenir que cette réception a été projetée aux actualités et que vous étiez à peu près le seul civil ?
Je n’ai pas vu ce film, mais mes amis m’en ont parlé, justement en tenant compte du fait que je me trouvais là comme seul civil parmi tous ces uniformes chamarrés. Mais par ce film on pourrait constater qui était présent. De mon côté, j’ai cité cette réception parce qu’il est possible que j’aie salué bon nombre de personnes et que je me sois informé de leur santé, etc. Je me souviens également de m’y être rendu en compagnie de Rosenberg en voiture, car nous étions toujours deux par deux. Il y eut ensuite une réception à la chancellerie, à laquelle je n’ai pas assisté. Rosenberg s’y est rendu mais j’ai déclaré : « Non, cela ne me convient pas, je rentre à la maison. »
Je puis donc conclure que avez probablement vu des personnalités dirigeantes : Rosenberg, Frick, Frank, Schirach, Speer, Sauckel, Seyss-Inquart pour la dernière fois ce jour-là ?
Il est possible que tous y aient été. Je n’ai eu aucune conversation particulière sauf avec Hitler.
Vous avez parlé à Hitler à cette occasion ?
Oui, Hitler a commencé à me parler. Ce fut une des scènes les plus curieuses de ma vie. Nous étions tous en rang et Hitler, très rapidement passa devant chacun. En me voyant il vint avec un sourire triomphant, me tendit la main d’un geste amical que je n’avais pas observé chez lui depuis longtemps et me dit : « Eh bien, M. Schacht, qu’avez-vous à dire maintenant ? » Il s’attendait naturellement à ce que je lui exprime des félicitations ou de l’admiration et que j’admette m’être trompé dans mes pronostics au sujet de la guerre et du malheur de la guerre. Il connaissait d’ailleurs mes opinions à ce sujet. Il m’était très difficile d’éviter une telle réponse et je cherchai un moyen pour ne pas l’exprimer. Je lui ai alors répliqué : « Je ne puis vous dire qu’une seule chose : que Dieu vous protège. » C’est là ma seule conversation importante de ce jour. Je crois que je ne pouvais pas mieux garder les distances qu’en faisant une remarque comme celle-là sans importance et tout à fait neutre.
Mais peut-être désirez-vous que je passe aux autres, et avec cette seule exception, je vais vous dire quand je les ai rencontrés pour la dernière fois.
Himmler ?
Himmler, je crois que je lui ai parlé pour la dernière fois en 1936.
Hess ?
Quant à Hess évidemment j’exclus la prison je dois remonter à des années avant le début de la guerre.
Ley ?
Ley, pas depuis le début de la guerre.
Ribbentrop ?
J’ai rencontré Ribbentrop pour la dernière fois après mon renvoi de la Reichsbank, car je devais lui parler de mon projet de voyage aux Indes. Je crois que cela se passait en février 1939. Je ne l’ai pas rencontré depuis.
Rosenberg ?
Peut-être en dehors de cette réception de Hitler pas depuis 1936.
Frick ?
J’ai vu Frick peut-être pour la dernière fois en 1938.
Schirach ?
Schirach, je ne le connaissais même pas.
Speer ?
Je lui ai parlé pour la dernière fois je puis même le dire avec précision lorsque je me suis rendu à l’Exposition universelle de Paris en 1937.
Vous vous placez toujours naturellement avant votre captivité ?
Oui évidemment, car j’ai rencontré tous ces messieurs ici.
Sauckel ?
Je ne l’ai plus vu depuis le début de la guerre.
Seyss-Inquart ?
Je crois lui avoir parlé pour la dernière fois en 1936, au cours d’une visite que je faisais alors en Autriche à mon collègue de la Banque Nationale.
Kaltenbrunner ?
J’ai vu Kaltenbrunner ici, pour la première fois ; en prison.
Hitler, nous en reparlerons plus tard. Et Frank ?
Je l’ai peut-être rencontré en 1937 ou 1938.
Probablement lors du discours auquel vous avez fait allusion hier ?
Oui, probablement, peut-être même à une réception officielle, mais non pas depuis 1938.
Et les hommes influents de la Wehrmacht ? Keitel par exemple ?
Je n’avais aucun contact avec Keitel. Je l’ai peut-être vu à une réception mondaine, mais pas depuis 1938.
Jodl ?
Je n’ai fait sa connaissance qu’ici, en prison.
Dönitz ?
Je n’ai également fait sa connaissance qu’ici.
Raeder ?
Je connaissais M. Raeder depuis un certain temps. Au début, je crois, nous avons échangé des visites de famille ayant un caractère semi-officiel, mais toujours très amicales. Je crois que depuis 1938 je ne lui ai plus parlé et que je ne l’ai plus rencontré.
Brauchitsch ?
Je ne lui ai plus parlé depuis 1939... pardon, depuis 1938. Depuis l’affaire Fritsch je ne lui ai plus parlé.
Halder ?
J’ai vu Halder, comme vous le savez, lors du putsch d’automne en 1938 ; je ne l’ai pas vu depuis cette date.
Combien de fois avez-vous vu Hitler depuis votre démission du poste de Président de la Reichsbank, c’est-à-dire depuis janvier 1939 ?
Depuis janvier 1939, je l’ai revu une fois parce que je devais lui parler de mon activité future, et à cette occasion il me pria, comme j’avais toujours eu auparavant le désir de faire un voyage important, d’entreprendre maintenant ce voyage, afin d’éviter qu’on parle tellement de ma démission. Nous sommes tombés d’accord sur le voyage aux Indes. C’est à cette occasion que je vis pour la dernière fois Göring. Après mon retour en août, je ne l’ai plus revu. Vint la guerre et pendant la guerre je l’ai rencontré deux fois. Dois-je le raconter ?
Oui.
La première fois en février 1940. A ce moment des magazines et des hebdomadaires américains m’avaient demandé d’écrire des articles sur la conception allemande de la situation actuelle en général. En principe je me sentais d’accord, mais, puisque nous étions en guerre, je ne pouvais le faire, bien entendu, sans en parler au ministre des Affaires étrangères. Celui-ci me fit dire qu’il n’était pas opposé à la rédaction d’un article pour un hebdomadaire américain de ma part, mais qu’avant de l’envoyer, je devais le lui remettre afin qu’il soit censuré. Évidemment, cela ne me plaisait nullement et je n’y avais pas songé du tout. Par suite, je n’ai pas écrit cet article.
Toutefois, d’autres demandes parvinrent d’Amérique. Je me suis dit alors qu’il ne suffisait pas de parler au ministre des Affaires étrangères, qu’il faudrait que je parle à Hitler et c’est pourquoi je lui ai rendu visite. Il m’a reçu assez rapidement après ma demande d’audience. Je lui ai raconté tout d’abord ce qui s’était passé avec Ribbentrop et ensuite je lui ai dit que de tels articles pouvaient être très utiles et qu’il m’apparaissait important d’avoir en permanence quelqu’un en Amérique pour éclairer l’opinion publique par la presse, etc., sur l’Allemagne et les intérêts allemands.
Hitler fut profondément impressionné par cette idée et il me dit : « J’en parlerai au ministre des Affaires étrangères. »
Par la suite, rien n’est advenu. Plus tard, par l’entremise de mon co-accusé Funk, qui eut un entretien avec Ribbentrop, je fus mis en rapports avec lui à ce sujet. J’essayai d’obtenir tout au moins une réponse de Ribbentrop, par Funk, mais il répondit à ce dernier : « Il est encore trop tôt pour une telle mesure. » C’était la visite de 1940. En février 1941, j’ai vu de nouveau Hitler...
Excusez-moi de vous interrompre, afin qu’il n’y ait pas de malentendu. Si Hitler vous avait donné l’autorisation et que vous vous soyez rendu aux États-Unis, quelle eût été très brièvement votre activité ? Je ne voudrais pas qu’il y ait un malentendu.
Tout d’abord je ne m’étais pas proposé moi-même, mais j’avais parlé d’une façon générale ; mais naturellement, je m’y serais rendu volontiers, car je voyais une possibilité...
Le Tribunal ne pense pas qu’il soit très important de savoir ce qu’il aurait fait si quelque chose s’était passé qui en fait ne s’est pas passé.
Je voulais simplement éviter un malentendu. Je disais que des malentendus... Mais laissons cela. (A l’accusé.) Parlons maintenant de votre deuxième visite.
En février 1941, je me suis rendu encore une fois auprès de Hitler pour une affaire privée. Malheureusement l’année auparavant j’avais perdu ma femme et je désirais me remarier, et en tant que ministre sans portefeuille, ce que j’étais toujours, je devais en faire part au Chancelier du Reich et Chef de l’État. Je suis allé le voir dans ce but. Il n’y eut pas d’entretien politique du tout. Lorsque je sortis, il me rappela : « Vous aviez à un certain moment l’intention d’envoyer quelqu’un en Amérique. Je crois qu’il est trop tard maintenant. » Je lui répondis : « Naturellement, il est trop tard maintenant. » Ce fut la seule remarque d’un caractère politique. Tout le reste n’eut trait qu’à mon mariage. Depuis ce jour, je n’ai plus revu Hitler.
Quels étaient vos rapports avec Göring ?
Je n’ai pas vu non plus Göring depuis 1939.
J’en viens maintenant à un point cité à plusieurs reprises par le Ministère Public, à savoir l’effet publicitaire de votre participation aux journées du Parti. Puis-je vous rappeler ce que M. Justice Jackson a déjà dit dans son exposé introductif. Je traduis de l’anglais, car je n’ai pas de texte allemand :
« Est-ce que quelqu’un s’imagine que Hjalmar Schacht se trouvant au premier rang de la cérémonie à la journée du parti nazi en 1935, portant l’insigne du Parti, figurait dans ce film de propagande, uniquement dans le but de produire un effet artistique ? Ce grand penseur, prêtant son nom à ce piteux événement, lui a donné une allure respectable aux yeux de chaque Allemand hésitant. »
Voulez-vous me faire connaître votre position sur ce point ?
Tout d’abord, je voudrais apporter quelques petites rectifications. En 1935, je n’avais pas d’insigne du Parti. En second lieu, les Allemands hésitants n’avaient plus d’importance en 1935, car le régime de Hitler était complètement affermi à cette époque. Il ne pouvait plus s’agir que d’Allemands abandonnant Hitler, et non plus d’Allemands venant vers lui. En outre, je crois que c’est un compliment de me citer comme éminent, représentatif et comme penseur, mais je crois que les raisons pour lesquelles j’ai fait partie du cabinet de Hitler ont été par moi clairement expliquées ici, si bien qu’il est inutile d’en reparler.
Pendant les premières années surtout, il m’était difficile de ne pas me rendre aux journées du Parti, car ces journées étaient la plus grande manifestation publicitaire du système de Hitler pour l’étranger, et non seulement ses ministres y participaient mais d’innombrables hôtes de marque.
Puis-je ajouter encore une phrase ?
Je me suis abstenu d’assister aux autres journées du Parti. Ainsi je n’ai même pas participé à cette journée citée par le Ministère public, en 1935. C’était justement celle où les lois de Nuremberg sur les Juifs furent décrétées. Je n’étais même pas à Nuremberg à cette époque. J’ai participé aux journées de 1933, de 1934, de 1936 ou de 1937, de 1936 je crois. J’ai été certainement absent des dernières. Quant à la dernière visite que j’ai mentionnée, je ne me suis rendu qu’à la journée réservée à la Wehrmacht.
Vous avez déjà cité les étrangers importants. Est-ce que le corps diplomatique et les chefs de mission étaient représentés ?
Je crois qu’à l’exception de l’ambassadeur de l’URSS et de celui des États-Unis, au cours des années, tous les autres diplomates influents ont assisté à la journée du Parti en grand nombre, en grande pompe et assis au premier rang.
Comment expliquait-on la présence, à cette journée, du corps diplomatique qui ne participe en principe qu’aux fonctions de l’État, alors qu’il ne s’agissait simplement que d’une affaire de Parti ? Comment expliquer cette participation ?
Plaise au Tribunal. Je crois devoir m’élever contre cette question. Ce n’est pas qu’elle m’embarrasse, mais le fait que le témoin explique la conduite des ambassadeurs étrangers me paraît n’avoir absolument aucune valeur probatoire. Ce qu’il pense des actions de ces ambassadeurs, du motif de leur présence à un congrès du Parti auquel il prêtait son concours ne me semble pas avoir une telle valeur.
Ce n’est pas que je conteste le fait qu’ils fussent présents, mais à moins qu’il n’ait des précisions à apporter et je ne proteste nullement contre les faits connus par ce témoin, ni contre ses opinions qu’il nous a longuement exposéesj’estime que lorsqu’il apprécie les actes des représentants étrangers, il dépasse la limite d’un témoignage pertinent.
Je voudrais faire une remarque à ce sujet.
Je crois, Dr Dix, qu’il vaut mieux que vous passiez.
Oui naturellement, mais je voudrais tout de même que l’on me permette de répondre brièvement à M. Justice Jackson, non pas parce que je veux me montrer entêté, mais parce que je crois qu’en répondant dès maintenant, on évitera des discussions ultérieures et des pertes de temps.
Je n’ai pas demandé au témoin son opinion. Naturellement M. Justice Jackson a raison en disant qu’il n’est pas appelé à donner cette opinion sur les coutumes du corps diplomatique, mais je lui ai demandé comment on s’expliquait ce fait à cette époque. Je crois que c’est important pour la raison suivante, et cela reviendra au cours de mon interrogatoire à différentes reprises ; c’est pour cela que je le dis dès maintenant : Dans toute la lutte d’opposition que lui et ses amis politiques ont menée, il importe de savoir qui les a soutenus, spirituellement ou moralement et qui a refusé de le faire. L’attitude des représentants officiels des pays étrangers pendant toute la période considérée joue un rôle très important pour apprécier les possibilités d’action de ce groupe d’opposition. On peut avoir une attitude protectrice ou bien neutre vis-à-vis de ce groupe, mais on peut aussi le combattre à l’étranger. Voilà la raison pour laquelle j’ai posé cette question, et je me crois obligé de tenir compte également de ce point de vue.
Dr Dix, je ne pense pas que l’objection de M. Justice Jackson portait sur le fait que les représentants diplomatiques se trouvaient là, mais elle portait sur les commentaires demandés par vous au témoin, sur les raisons de la présence de ces diplomates. Si tout ce que vous voulez établir, c’est leur présence, je ne crois pas que M. Jackson y fasse d’objections. Mais ce que l’accusé allait donner, c’était son opinion sur la raison pour laquelle les représentants diplomatiques étaient là.
Je crois qu’il est inutile que je réponde. Il a déjà déclaré qu’il ne désirait pas faire de déclaration à ce sujet. Si Votre Honneur le permet, je vais continuer. (A l’accusé.) A ce propos, vous aviez de façon privée ou officielle, avant et plus tard, de nombreuses relations avec des étrangers influents. Quel était leur point de vue, à ce moment du raffermissement du pouvoir national-socialiste et quelle fut l’influence de ce point de vue sur votre propre attitude et sur votre activité ?
Plaise au Tribunal. Je n’aime pas interrompre par des objections mais je ne peux pas voir comment le fait que des étrangers de marque aient pu être trompés par un régime qu’il illustrait de son nom et de son prestige pourrait disculper ou servir la cause de cet accusé. Il n’y a aucun doute qu’il y ait eu des étrangers comme Dahlerus qui se soient trouvés victimes d’illusions à l’égard d’un gouvernement dont l’accusé était un membre important et plutôt respectable. Mais il me semble que si nous entrons dans la question de l’attitude d’étrangers qui ne sont pas accusés ici nous risquons d’avoir des questions interminables. Ce genre de témoignage ne me semble pas pertinent. La question dont il s’agit ici, comme j’ai essayé de le signaler au Dr Dix, la seule chose qu’on reproche à cet accusé c’est d’avoir pris part à la conspiration pour lancer cette nation dans la guerre et pour exécuter les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité qui en découlent. Je ne vois pas comment l’attitude de certains étrangers pourrait disculper l’accusé de sa culpabilité ou aider le Tribunal à en décider. Bien entendu, je ne peux pas m’y opposer si ce fait doit aider le Tribunal, mais il m’est impossible d’en voir l’importance en ce moment.
Un instant. Docteur Dix, quelle était exactement la question que vous posiez en ce moment ? A quoi se rapportait-elle ?
J’ai demandé au témoin quelle était l’opinion d’étrangers influents qu’il rencontrait professionnellement ou extra-profes-sionnellement, au moment de l’avènement et de l’installation du régime national-socialiste, si ces étrangers repoussaient le régime, s’ils le regardaient d’une façon sympathique, bref comment ces étrangers ont influencé ses pensées personnelles. Puis-je de plus...
Je crois que vous savez, Dr Dix, que demander à un témoin quelle était l’attitude d’autres personnes est une question de forme beaucoup trop générale. Attitude... Que veut dire ce mot ? C’est beaucoup trop général et je ne comprends pas exactement ce que vous essayez de prouver.
Je vais préciser la question.
Comment, vous, Dr Schacht, avez-vous été influencé dans votre comportement et votre activité par les étrangers avec lesquels vous avez échangé des idées. (Au Tribunal.) C’est un fait intérieur, se passant dans le for intérieur du Dr Schacht, au sujet duquel lui seul peut faire des déclarations. Votre Honneur, très franchement je désire aborder le sujet qui importe à la Défense et qui forme le fond de cette question. Moi, défenseur, je déclare que ce groupe d’opposition dont Gisevius a déjà parlé et dont Schacht était un membre influent, non seulement n’a pas reçu de soutien de l’étranger, mais qu’on lui a rendu la lutte encore plus difficile. Ce n’est pas une critique à l’égard des gouvernements étrangers. Il n’y a pas de doute que ceux qui représentaient ces pays devaient adopter cette attitude en toute connaissance de cause, et pour le bien de leur pays, mais pour ce groupe d’opposition il était d’une importance capitale de savoir comment l’étranger se comportait à l’égard du régime, s’il l’honorait, s’il le soutenait par préférence ou, si par une grande réserve, dans la cadre des possibilités, il lui manifestait son hostilité et renforçait l’opposition de ce fait.
Tel est le thème qui, pour moi, avocat, est capital. Je l’ai exposé très ouvertement et je dis que, dans la mesure du possible, je lutterai pour obtenir gain de cause.
Dr Dix, le Tribunal a pesé l’argument que vous lui avez présenté et il pense que l’enquête sur ces faits est une perte de temps et qu’elle n’est pas pertinente ; il vous demande, par conséquent, de poursuivre l’interrogatoire de l’accusé.
Docteur Schacht, vous avez soutenu le réarmement par l’aide financière de la Reichsbank. Pourquoi l’avez-vous fait ?
Je trouvais que l’obtention de l’égalité politique de l’Allemagne avec les autres nations était une nécessité absolue et je suis toujours du même avis. Il importait pour cela, ou bien que le désarmement général promis par les Alliés eût lieu, ou bien, si l’on voulait obtenir l’égalité, que l’Allemagne réarmât de façon correspondante.
Est-ce que cette aide financière de la Reichsbank fut décidée par vous, ou par le Directoire de la Reichsbank ?
A la Reichsbank nous n’avons jamais appliqué la théorie du chef (Führerprinzip). J’ai refusé de l’introduire dans la direction de la Reichsbank ; la Reichsbank était dirigée, par un collège où tous les membres avaient le même droit de vote ; en cas de ballottage, la voix du Président était prépondérante. Le Président — n’avait pas d’autres droits dans ce collège.
Vous connaissez l’affidavit de l’ancien directeur de la Reichsbank, Puhl, et je vous pose cette question en tenant compte du contenu de cet affidavit qui est connu également du Tribunal. Est-ce que Puhl a contribué de la même façon, en fournissant l’aide financière de la Reichsbank pour le réarmement ?
M. Puhl a participé à toutes les décisions du directoire de la Reichsbank à ce sujet et ne s’y est pas une seule fois opposé.
Vous savez que la méthode employée pour cette aide financière de la Reichsbank consistait en l’escompte de traites dites Mefo. L’affidavit de Puhl, tout comme dans l’exposé du Ministère public, affirme que cette méthode aurait permis de tenir secrète l’ampleur du réarmement. Est-ce exact ?
Il ne peut être question de tenir le réarmement secret. Je vous signale certains extraits de documents que le Ministère public a présentés comme preuves. Je cite d’abord l’affidavit de George Messersmith, du 30 août 1945, PS-2395, page 3, ligne 19 : « Dès leur prise de pouvoir, les nazis commencèrent un programme de réarmement énorme ». Et, page 8 : « L’énorme programme de réarmement qui ne fut jamais un secret... » Donc, M. George Messersmith, qui se trouvait à Berlin à cette époque, connaissait parfaitement les questions ; il a dû certainement en informer aussi ses collègues.
Je poursuis la citation du document EC-461 : c’est le journal de l’ambassadeur Dodd ; on lit à la date du 19 septembre 1934 : (je cite en anglais, car je n’ai que le texte anglais sous la main). « Lorsque Schacht déclara que les Allemands ne réarmaient pas de façon tellement intensive, je dis en janvier et en février dernier que l’Allemagne avait acheté pour un million de dollars d’avions militaires de grande valeur à des fabricants américains et en avait effectué le règlement en or. »
Ceci est tiré d’un entretien que M. Dodd rapporte, entretien que j’eus avec lui en septembre 1934, où il indique que, dès janvier et février 1934, les avions militaires...
L’audience est suspendue.
Dr Dix, le Tribunal désirerait savoir combien de temps, à votre avis, l’interrogatoire de l’accusé doit durer encore. Vous avez déjà pris presque une journée entière ; le Tribunal pense que, étant donné les directives du Statut, l’interrogatoire de l’accusé devrait être terminé en une journée.
Votre Honneur, il y a deux choses que je ne fais pas volontiers : faire des prophéties qui ne s’accomplissent pas et des promesses que je ne peux pas tenir. A votre question je me permettrai de répondre que j’estime tout à fait impossible de terminer l’interrogatoire aujourd’hui. Je suis pleinement conscient des directives du Statut, mais, d’autre part, je vous prie de considérer que le Ministère Public utilise dans son accusation contre Schacht de nombreux témoignages de faits, directement ou indirectement pertinents et mon devoir est de prendre position vis-à-vis de ces preuves de l’Accusation une par une.
Je prie le Tribunal de mesurer strictement l’importance des questions que je pose. Si le Tribunal estime que je dois restreindre mon interrogatoire, je m’inclinerai, mais je crois avoir le droit et aussi le devoir de poser toutes les questions susceptibles de réfuter, le cas échéant, les accusations portées contre mon client. Je ne pourrai donc certainement pas finir aujourd’hui ; je vous serais reconnaissant de ne pas me contraindre à prophétiser ; j’espère que j’en aurai terminé demain, dans le courant de la journée, mais il est possible que toute cette journée soit prise encore. Je ne puis le dire exactement. Je ferai l’impossible pour ne poser que des questions pertinentes. Si le Tribunal estime que je ne le fais pas, je lui demanderai de me le dire et je m’inclinerai volontiers après avoir expliqué ma position.
Je crois que, dans ce cas-là, vous feriez mieux de continuer tout de suite ; en tous cas, si nous trouvons vos questions trop longues ou non pertinentes, vous vous le dirons.
Eh bien, Dr Schacht, nous parlions des traites Mefo comme d’un moyen propre à maintenir l’armement secret. Avez-vous quelque chose à ajouter sur cette question ?
Non, il n’y avait pas de lien entre les traites Mefo et le secret du réarmement, car en somme, il y avait une quantité de fournisseurs, grands et petits dans tout le pays et les traites Mefo allaient à tous ces fournisseurs pour les payer. Par conséquent, ceux-ci pouvaient être parfaitement au courant de ce qui se passait. D’autre part, ces traites circulaient dans le public au moins trois mois avant qu’elles ne fussent amenées à la Reichsbank. Les fournisseurs utilisaient ces traites Mefo et les escomptaient dans les banques ; ainsi toutes les banques étaient initiées au système. Je voudrais ajouter que toutes celles que la Reichsbank a accueillies figuraient sur le compte permanent de la Reichsbank.
De plus, je voudrais dire que le secret des dépenses de l’État et les frais d’armement sont une dépense de l’État étaient du ressort, non pas du Directeur de la Reichsbank, mais du ministre des Finances du Reich. Si le ministre des Finances ne révélait pas les garanties qu’il avait acceptées pour les traites Mefo c’était son affaire et non la mienne ; je n’en étais pas responsable. Le responsable était le ministre des Finances.
Quant à l’autre question, Votre Honneur, je me demande si elle est pertinente. Moi-même, j’estime qu’elle ne l’est pas pour ce Procès, mais elle a été soulevée par le Ministère Public. Voilà pourquoi je me considère comme ayant le devoir de donner au Dr Schacht l’occasion de se justifier.
Le Ministère Public estime que le financement des traites Mefo était très hasardeux sur le plan d’une politique financière saine ; on peut être de cet avis ou de l’avis contraire, mais à ce propos cette décision...
Posez la question, Dr Dix, posez-la.
Vous avez entendu de quoi il s’agit ?
Il va sans dire qu’en temps normal, dans des circonstances normales, des moyens tels que les traites Mefo ne seraient pas adoptés ; mais lorsque l’on se trouve dans une situation exceptionnelle, il a toujours été de coutume, et tous les experts recommandent cette politique, que la banque d’émission veille à avoir de l’argent à bon marché et des crédits, afin que l’économie puisse continuer à fonctionner.
Il va sans dire que les traites Mefo constituaient une opération tout à fait risquée, mais elle n’était pas absolument risquée si elle était liée à une politique financière normale et pour le prouver, je dis que si M. Hitler, après 1937, avait ’employé de l’argent bloqué pour rembourser les traites Mefo, la politique financière se serait poursuivie telle que je l’avais mise en route. Mais M. Hitler a préféré simplement refuser le paiement des traites Mefo et employer cet argent à un accroissement d’armement ; c’est là une chose que je ne pouvais pas prévoir : que quelqu’un ne tint pas sa parole dans une affaire purement financière.
Mais si le Reich avait remboursé ces traites, on aurait probablement manqué des moyens nécessaires à un armement ultérieur et le paiement de ces traites aurait ainsi arrêté l’armement. Est-ce là une conclusion exacte ?
C’était justement le but que je me proposais en terminant ainsi l’opération. J’ai dit : « Si les traites Mefo ne sont pas remboursées ce sera une preuve de mauvais vouloir ; on réarmera et cela ne doit pas être ».
Vous avez parlé précédemment du secret du réarmement à l’occasion d’autres questions. Avez-vous quelque chose à ajouter sur ce point ?
Je crois qu’il convient de se rendre compte que, d’une façon générale, les dépenses publiques ne sont pas du domaine du Président de la Reichsbank, que les dépenses et les recettes de l’État se trouvent sous le contrôle du ministre des Finances du Reich et que par conséquent, c’est à lui qu’incombe la responsabilité et la charge de publier des chiffres. La Reichsbank a toujours publié dans son bilan hebdomadaire tous les billets qu’elle possédait.
Est-ce là tout ce que vous aviez à faire observer sur le prétendu secret du réarmement ?
Oui.
Vous avez aussi expliqué incidemment que vous étiez, en principe, pour le réarmement ; avez-vous encore quelque chose à dire à ce sujet ?
Oui. J’ai à faire quelques remarques très importantes à ce sujet ; étant donné que cette question contient l’essentiel de l’accusation contre moi, je me permettrai d’y insister encore quelque peu.
J’ai toujours considéré qu’une Allemagne non armée au milieu de l’Europe, au milieu d’États fortement armés, constituait un danger pour la paix ; je remarquais que, non seulement ces États environnant l’Allemagne étaient armés, mais qu’ils réarmaient de façon continue. Deux États particulièrement qui n’existaient pas naguère, la Tchécoslovaquie et la Pologne, commençaient à armer ; l’Angleterre continuait à réarmer par rapport notamment à la situation de son armement naval en 1935.
D’autre part et je voudrais le dire à nouveau très brièvement j’étais d’avis qu’un pays non armé n’était pas en mesure de se défendre et par conséquent, ne pouvait faire entendre sa voix dans le concert des Nations. Le Premier ministre britannique, Baldwin, a dit un jour en 1935 :
« Un pays qui ne veut pas prendre des mesures de précaution en vue de sa propre défense n’aura jamais de puissance dans ce monde, ni sur le plan moral, ni sur le plan matériel. »
J’estime que l’inégalité de situation entre les puissances environnant l’Allemagne et l’Allemagne elle-même était un constant danger matériel et moral pour ce pays. J’attire l’attention sur le fait que l’Allemagne et il ne s’agit pas d’une critique mais d’une simple constatation s’est trouvée après le traité de Versailles, dans une situation de très grand désordre. Les conditions de vie en Europe étaient telles que par exemple, il existait entre la Russie et la Finlande, la Russie et la Pologne, une opposition latente ; il en était de même entre la Russie et la Roumanie à cause de la Bessarabie ; il y avait également un conflit latent entre la Roumanie et la Bulgarie d’une part au sujet de la Dobroudja, avec la Hongrie d’autre part à propos de Siebenbürgen, un autre entre la Serbie et la Hongrie, entre la Hongrie et presque tous ses voisins, entre la Bulgarie et la Grèce ; bref, toute l’Europe orientale se trouvait dans un état permanent de méfiance mutuelle et de conflits d’intérêts. De plus, dans toute une série de pays, régnaient les conflits intérieurs les plus graves. Je rappelle le conflit entre les Tchèques et les Slovaques, la guerre civile espagnole. Tout cela permet de comprendre que je tenais pour absolument nécessaire, dans le cas du déclenchement d’un conflit armé quelconque dans ce creuset bouillonnant, que l’Allemagne puisse préserver du moins son attitude de neutralité. Or, cela était absolument impossible avec une petite armée de 100.000 hommes. Il fallait que l’Allemagne possédât une armée d’importance raisonnable.
Par le plus grand des hasards, j’ai pu lire ici en prison un numéro du Daily Mail du mois d’avril 1937 où les conditions régnant en Europe sont décrites ; je voudrais avoir l’autorisation de citer une seule phrase, je l’ai ici. Je dois la citer en anglais ; ce passage ne relate pas l’opinion du Daily Mail, mais simplement les situations en Europe. Je cite : « Tous les observateurs sont d’accord pour estimer qu’il existe un péril continuel d’explosion et que les frontières insensées des traités de paix ne sauraient être indéfiniment maintenues. Ici aussi un non-interventionnisme rigoureux devrait être le point essentiel de la politique britannique. Quels intérêts vitaux avons-nous en Autriche, en Tchécoslovaquie, en Roumanie, en Lituanie ou en Pologne ? »
Cette phrase décrit simplement l’état de confusion de l’Europe à cette époque et fait ressortir la situation de l’Allemagne désarmée dans cette chaudière surchauffée, toujours prête à faire explosion. Je considérais cela comme un grave danger pour mon pays. On me demandera peut-être si je jugeais l’Allemagne menacée en quelque manière. Non, Messieurs les Juges, je ne jugeais pas l’Allemagne menacée directement d’une attaque ; je n’ai jamais été d’avis que la Russie pût attaquer l’Allemagne ; mais, nous avions assisté à l’occupation de la Ruhr en 1923 et tout ce passé ainsi que la situation actuelle me faisaient considérer comme une impérieuse obligation d’exiger pour l’Allemagne une égalité de droits et de soutenir une politique tendant à ce but. Je suppose que nous reviendrons encore sur les raisons du développement du réarmement et sur l’attitude de l’étranger à cet égard.
Que saviez-vous des tentatives effectuées alors en vue du désarmement des autres puissances ? Ceci a-t-il été d’un certain poids dans votre détermination ?
Je voudrais dire ce qui suit : je n’étais pas, au fond, pour le réarmement ; j’étais un partisan de l’égalité des droits pour l’Allemagne ; cette égalité pouvait être obtenue soit par le désarmement des autres, soit par notre réarmement. J’aurais préféré et je souhaitais le désarmement des autres, désarmement qui nous avait été promis, n’est-il pas vrai, et, par suite, j’ai fait tous mes efforts pendant les années suivantes pour éviter le réarmement avec la pensée d’obtenir en même temps le désarmement d’autres pays. Mais ce désarmement ne se produisit pas, bien que la Commission de désarmement de la SDN eût constaté, à plusieurs reprises, que l’Allemagne avait rempli ses engagements quant à son propre désarmement. Pour nous tous qui étions alors membres du Gouvernement dit national, et pour tous les Allemands qui prenaient part à la vie politique, ce fut un grand apaisement de voir, que pendant les premières années, Hitler insistait pour le désarmement et avait offert le désarmement. Après coup, naturellement, il est aisé de dire que cela aussi n’a été qu’un prétexte et un mensonge pour Hitler, mais ce prétexte et ce mensonge se seraient découverts très rapidement si l’étranger avait fait le moins du monde mine d’accepter ces offres.
Je me rappelle très bien les propos qui ont été tenus au ministre des Affaires étrangères de Grande-Bretagne, M. Eden, quand il se rendît en Allemagne au début de 1934, car j’étais présent à la réunion mondaine qui fut donnée à cette occasion. Au cours des entretiens, des propositions extrêmement concrètes sur des engagements de l’Allemagne en matière de désarmement, dans le cas où le désarmement des autres nations pourrait être réalisé, lui furent présentées. On promit à Eden que toutes les organisations paramilitaires, telles que les SA, les SS, la Jeunesse hitlérienne, etc. seraient dépouillées de tout leur caractère militaire si seulement on parvenait à accélérer par ce moyen le désarmement général.
Je pourrais produire ici toute une série de citations sur ces offres de désarmement, mais conformément au désir de M. le Président de ne pas retarder le cours des débats, je suis prêt à y renoncer. Il s’agit de toutes les déclarations très connues d’hommes d’État, de ministres, d’ambassadeurs, etc. Toutes ont le même but. Il s’agit là de personnalités étrangères et tous disent qu’il convient de tenir les promesses faites par les Alliés, c’est-à-dire de réaliser le désarmement.
Excusez-moi de vous interrompre ; je crois qu’il serait plus simple et plus rapide de demander au Tribunal de prendre acte de mon document n° 12, sans que je le lise (page 31 de l’édition anglaise). Il s’agit là, précisément de citations de Lord Cecil, du ministre des Affaires étrangères de Belgique, etc. Je n’ai pas besoin d’en donner lecture, la pièce est déposée. J’apprends qu’elle a déjà été présentée et nous pouvons nous y référer. Veuillez donc continuer.
J’en ai terminé avec mes explications. Hitler formula de nouvelles offres ; l’étranger n’a pas relevé une seule de ces propositions et par suite, il ne nous restait que l’autre solution : le réarmement. Ce réarmement préconisé par Hitler, je l’ai financé ; je prends la responsabilité de tout ce que j’ai pu faire à cet égard.
Est-ce que je vous comprends bien ? Peut-on déduire de votre déclaration qu’il y avait d’autres raisons en ce qui concerne votre aide au réarmement : que pour des raisons de tactique vous pensiez qu’en remettant en discussion le réarmement de l’Allemagne, le débat sur le désarmement des autres nations serait repris, alors qu’il paraissait pour ainsi dire en veilleuse ?
Si je le puis, je vais illustrer ce que j’ai dit par un exemple ; si deux parties ont conclu un contrat, que l’une d’elles ne s’en tienne pas aux termes du contrat, et que l’autre n’ait pas la possibilité de la contraindre à s’en tenir aux termes du contrat, il ne reste à cette dernière d’autre moyen que de ne pas respecter le contrat non plus. Voilà ce que l’Allemagne a fait, voilà ce que j’ai soutenu et je dois dire qu’à ce propos, j’avais attendu la réaction prévisible dans un cas semblable, lorsque l’autre participant au contrat dit : « Du moment que tu ne t’en tiens pas, toi non plus, aux termes du contrat, il faudra tout remettre en discussion. »
Je dois dire que j’ai été très déçu oui, c’est bien là le terme de constater qu’il n’y eut pas de réaction de la part des Alliés au réarmement de l’Allemagne, que rien ne s’ensuivit.
On a accueilli avec calme la nouvelle de cette infraction par l’Allemagne aux termes du Traité de Versailles, on s’est contenté d’une note de protestation mais on n’a pas fait le moindre geste pour reprendre la question du désarmement d’où, selon moi, dépendait l’autre. Au lieu de cela, on a laissé l’Allemagne réarmer en toute tranquillité, bien plus, l’accord naval avec la Grande-Bretagne a donné en fait à l’Allemagne, contrairement au Traité de Versailles, le droit de réarmer. On a envoyé des missions militaires en Allemagne pour voir ce réarmement ; on a assisté aux manœuvres militaires allemandes. Tout fut fait, mais on n’a rien tenté pour empêcher le réarmement de l’Allemagne.
Plaise au Tribunal. Je ne comprends pas où nous mènent tous ces détails. Nous avons admis que le réarmement, sauf lorsqu’il est lié à des desseins agressifs, n’a pas de rapport avec le Procès comme je l’ai dit au seuil des débats, les États-Unis ne tiennent pas à juger des questions de politique européenne qui ne sont d’ailleurs pas soumises au Tribunal pour qu’il en connaisse. Il s’agit uniquement ici de l’acte d’accusation qui vise l’armement en vue d’une agression. Je ne m’oppose pas à ce que l’accusé relate des faits concernant ses intentions agressives, mais le détail des négociations de la politique européenne et les griefs réciproques des gouvernements m’apparaissent très loin du champ de toute recherche possible et je ne pense pas qu’ils puissent aider à la solution du litige qui nous intéresse. Je crois que le Tribunal avait déjà pris une décision dans ce sens lors de l’interrogatoire de Göring, si je ne fais pas erreur.
A vrai dire, Docteur Dix, tout cela nous semble être de l’argumentation et ne pas constituer des preuves.
Je ne crois pas, Votre Honneur. Ce que M. Justice Jackson a dit est tout à fait exact : on reproche à Schacht d’avoir contribué à fomenter une guerre d’agression et cette contribution a soi-disant consisté à en organiser les moyens financiers.
Continuez, Docteur Dix. Essayez d’en terminer aussi vite que possible, voulez-vous ?
Vous étiez, en tout cas, arrivé à la fin de cette question.
Je voudrais mentionner ici un des motifs de l’aide apportée par le Dr Schacht au réarmement : l’espoir qu’il avait de voir rouvrir le débat sur le désarmement. Je voudrais à cet effet attirer votre attention sur le document Schacht-36, page 141 du livre de documents allemand et page 149 du texte anglais. Il s’agit d’un affidavit du gendre du Dr Schacht, Dr von Scherpenberg. On lit à la seconde page de cette déclaration (je voudrais vous en lire un seul alinéa, extrêmement bref, je peux même me borner à une seule phrase) :
« Il — c’est-à-dire le Dr Schacht — voyait le réarmement dans certaines limites, comme le seul moyen de rétablir l’équilibre disparu et d’inciter les autres puissances européennes à participer à une restriction de leur armement à laquelle elles avaient cherché à se dérober en infraction au Traité de Versailles. »
Voilà donc une déclaration de Scherpenberg au sujet d’une conversation que Schacht aurait tenue à un moment donné ; il ne s’agit pas d’une opinion ex-post facto, mais d’une allusion à un entretien que le témoin avait eu avec son beau-père à un moment donné. Il ne s’agit là que d’une remarque additionnelle. (A l’accusé.) Vous avez déjà parlé du réarmement de la Pologne et de la Tchécoslovaquie ; pourriez-vous nous dire si, à l’époque, vous aviez des données exactes sur l’état de l’armement de ces deux pays ?
Je sais simplement que la Russie a reconnu en 1935 qu’elle voulait amener ses forces du temps de paix à 960.000 hommes. Je savais qu’en Tchécoslovaquie, par exemple, la construction d’aérodromes figurait en tête du programme d’armement tchécoslovaque. Nous savions que la marine de guerre britannique allait se renforcer.
Est-ce que vous avez renoncé par la suite à votre espoir d’un désarmement général ?
Bien au contraire. Au cours de conversations avec des étrangers, j’ai saisi chaque occasion de déclarer que le but restait toujours le désarmement. Nous considérions que notre réarmement était un poids économique très désagréable. Je me rappelle un entretien que j’ai eu avec l’ambassadeur américain Davies. Il en est question dans un document qui a été déposé devant le Tribunal. L’ambassadeur Davies en parle dans ce document. Il s’agit d’une citation de son livre Mission a Moscou, à la date du 20 juin 1937. L’auteur écrit qu’il a eu une conversation avec moi au cours de laquelle il a parlé notamment de la question du désarmement. Je voudrais simplement citer une seule phrase, je n’ai pas le numéro du document Votre Honneur, mais le document a été déposé.
C’est le document Schacht, n° 18, texte allemand page 43 ; texte anglais, page 49.
Je lis en anglais, parce que je n’ai que le texte anglais. Davies écrit :
« Lorsque j’exposai la suggestion du Président Roosevelt, tendant à limiter les armements aux armes défensives qu’un homme est capable de porter sur ses épaules, Schacht faillit sauter hors de sa chaise d’enthousiasme. »
Il résulte, par conséquent, de cette remarque de l’ambassadeur Davies, que je saluai avec joie cette nouvelle tentative et l’espoir d’une initiative de désarmement imminent découlant de cette proposition du Président Roosevelt.
Dans le même livre, peu de jours après, le 26 juin 1937, dans une lettre adressée au Président des États-Unis, Davies rend compte de l’entretien qu’il a eu avec moi, et je cite encore un très bref alinéa. Je dois à nouveau le faire en anglais :
« Je lui ai déclaré » (c’est-à-dire à Schacht) « que le Président, au cours de conversations avec moi, avait analysé la situation de l’Europe, qu’il avait considéré qu’une solution pourrait être trouvée, grâce à un accord entre les peuples de l’Europe, en vue de réduire les armements jusqu’à une base militaire strictement défensive, et cela grâce à l’élimination de l’aviation, des tanks et de l’équipement lourd, en somme, réduire l’armement aux seules armes qu’un homme peut porter sur le dos, et ce, grâce à un accord entre les nations sur l’observation adéquate de cet accord, grâce au contrôle d’un état neutre.
« A cette idée, Schacht sauta littéralement de joie. Il dit : « C’est « exactement la solution qu’il faut. Dans sa simplicité, elle porte la « marque d’un grand génie. » Son enthousiasme était extraordinaire. »
Jusqu’à quel point vouliez-vous donc réarmer ?
Jusqu’à ce que nous soyons sur un pied d’égalité avec chacun des pays voisins.
Est-ce que Hitler vous a fait part de projets de réarmement plus importants ? Ou en avez-vous entendu parler ?
Il ne m’en a jamais parlé. Je n’ai pas davantage entendu dire par d’autres personnes qu’il ait fait des remarques sur ses intentions futures.
Est-ce que vous aviez des idées sur le rythme et sur l’ampleur de ce réarmement ?
Non, je n’ai jamais rien appris à ce sujet.
Est-ce que vous vous étiez imposé des limites quant à l’aide financière que vous accordiez ou bien étiez-vous prêt à financer le réarmement dans des proportions illimitées ?
Non, je n’étais pas prêt à fournir de l’argent d’une façon illimitée car il ne s’agissait pas d’une aide mais d’un crédit à rembourser. Les limites de ces crédits étaient de deux sortes : d’une part, la Reichsbank conservait vis-à-vis de l’administration des finances de l’État une indépendance totale. Elle était l’autorité suprême de l’État pour autant que l’octroi de crédits était en jeu. Le directoire de la Reichsbank était libre d’accorder des crédits ou de les refuser s’il estimait que c’était juste, et comme j’étais absolument certain de sa politique, car tous ces messieurs étaient absolument d’accord avec moi en matière de politique financière et bancaire, j’ai vu là la première possibilité de freiner en cas de nécessité. La seconde limitation résidait dans un accord que le ministre des Finances, le Gouvernement et, bien entendu, Hitler avaient conclu, en vue de rembourser les traites Mefo, lorsqu’elles seraient venues à expiration. Au bout de cinq années, elles étaient remboursables. J’ai déjà dit que si ce remboursement avait eu lieu, les moyens financiers du réarmement auraient été certainement diminués. C’est là que se trouvait la seconde possibilité de limiter le réarmement.
Je vous demanderai de donner au Tribunal des chiffres. Avec quels chiffres opériez-vous à ce moment-là ?
Nous avions jusqu’au...
Nous ne désirons pas entrer en controverses à propos des chiffres du réarmement. Il semble que les détails concernant les dollars, les cents, les Reichsmark ne nous importent pas. Tout ceci est très compliqué et nous ne nous occupons pas de la question de savoir si cela coûtait beaucoup ou non ; ce qui nous intéresse, c’est le but de ce réarmement, et je ne vois pas que les statistiques que vous donnez aient rien à voir avec tout cela.
Docteur Dix, nous voudrions savoir de quels chiffres vous parlez.
Je voulais savoir quelles sommes Schacht, en sa qualité de Président de la Reichsbank était prêt à mettre à la disposition du réarmement. Cette question est certainement pertinente, car si ces sommes ne s’élèvent pas au-dessus des chiffres correspondant à un réarmement défensif éventuel, l’étendue de cette aide financière sera une preuve évidente des intentions que Schacht poursuivait.
C’est justement ce que M. Justice Jackson considère comme important, c’est-à-dire le point de savoir s’il a préparé une guerre d’agression, s’il n’a financé que la possibilité d’une guerre défensive et s’il ne mettait à la disposition du réarmement que des sommes qui n’auraient pu mettre l’Allemagne en mesure de mener une guerre offensive. Ce serait dans cette hypothèse la réfutation de l’accusation portée contre mon client. Je crois que l’on ne saurait douter de la pertinence de la question que j’ai posée.
Est-ce que vous donnez à entendre que si l’accusé Schacht avait mis à la disposition du Reich, disons 100 millions ou un chiffre quelconque, ce serait dans un but défensif et que, s’il avait donné 150 millions ce ne serait plus pour de tels buts ? Est-ce qu’il s’agit simplement d’une somme ?
Non, ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Je veux dire que si l’on arrive à prouver ici qu’il n’a mis à la disposition du Gouvernement et du réarmement que 9 millions, et ensuite à contre-cœur 12 millions, nous pourrions prouver qu’il n’a jamais voulu, avec ces sommes-là préparer une guerre offensive.
Il s’agit seulement de la somme ?
Simplement de l’importance de la somme.
Cela peut être déclaré très brièvement mais quant aux détails financiers...
En ce qui concerne les détails financiers, je suis absolument de cet avis, nous en parlons depuis trop longtemps. Je voulais demander simplement : quelle est la somme que vous vouliez donner... C’est à ce moment-là que le Ministère Public a formulé ses réserves, d’où discussion. Puis-je poser la question ?
Oui.
(A l’accusé.) Quelle somme vouliez-vous accorder ?
Je voulais accorder aussi peu que possible, cependant ma contribution était décisive. Je ne citerai qu’un seul chiffre : Jusqu’au 31 mars 1938, j’ai accordé des crédits d’un montant total de 12 milliards de Reichsmark. Je rappelle avoir précisé cela au cours de mes interrogatoires par le Ministère Public anglais. Il s’agit d’un tiers de la somme qui a été employée pour le réarmement. Après cette date, et sans que la Reichsbank ait à intervenir, à partir du 1er avril 1938, les frais de réarmement, tels qu’ils figurent au budget de l’année, ont comporté 11 milliards et l’année suivante, 20 milliards et demi, mais là, pas un pfennig ne vint de la Reichsbank.
C’était, après votre démission, n’est-ce pas ?
C’était après que j’eus refusé les crédits. Maintenant, pour le procès-verbal, j’ai dû commettre un lapsus tout à l’heure, j’ai dit millions au lieu de milliards mais il est évident que j’ai dû faire erreur. Il s’agit de milliards.
Dr Schacht, le Ministère Public déclare que le 19 février 1935 le ministère des Finances reçut le pouvoir d’emprunter des sommes illimitées qui auraient été demandées par Hitler.
Une fois de plus, le Ministère Public n’a pas dit les choses exactement. Le Président de la Reichsbank n’était pas responsable de la conduite du ministre des Finances. Je crois que le Président de la Fédéral Reserve Bank de New-York ne saurait être rendu responsable de ce que ferait le Secrétaire du Trésor à Washington.
On déclare d’autre part que les dettes du Reich se seraient élevées du triple pendant que vous étiez Président de la Reichsbank.
On aurait pu aussi bien me reprocher que pendant que j’étais en service, le taux des naissances s’est également élevé, cela n’a rien à voir avec mon activité. Je n’ai aucune responsabilité pour ce genre de choses.
Vous n’en étiez pas responsable pour la même raison ?
Non, bien entendu, je n’en suis pas responsable.
Je pense que la même chose vaut pour l’assertion du Ministère public disant qu’au mois de mars 1938, vous aviez vous-même élaboré un nouveau programme financier ?
Bien au contraire, je me suis refusé à m’occuper en quoi que ce soit du financement de l’armement. Le programme financier a été préparé par un secrétaire d’État au ministère des Finances et cela se voyait.
Une partie de votre politique financière en matière économique vous a été reprochée, à savoir d’avoir préparé ce qu’on appelait le « Nouveau Plan ». Qu’est-ce que c’était que ce nouveau plan ?
Je voudrais dire que le « Nouveau Plan » n’a rien à voir avec le réarmement. L’Allemagne, après le Traité de Versailles, se trouvait dans une situation de misère économique dans laquelle spécialement l’exportation...
Votre Honneur, si le Tribunal estime que le Nouveau Plan dans l’ensemble n’a rien à voir avec la préparation de la guerre et du réarmement, alors la question que je pose n’est pas pertinente, et je suis prêt à la retirer, mais je la pose simplement parce qu’elle a été évoquée dans l’argumentation du Ministère Public.
Si vous dites, et l’accusé vient justement de le dire que le Nouveau Plan n’avait rien à voir avec le réarmement. il me semble que vous pourriez laisser cette question pour le contre-interrogatoire et la soulever à nouveau au cours de votre réplique s’il y a lieu. (A l’accusé.) Par conséquent, je ne poserai pas non plus la question des échanges parce que je pense que le Ministère Public vous en parlera peut-être au cours de son contre-interrogatoire. Je ne vois pas en quoi cela se rapporte aux débats.
Vous avez déjà dit que vous vous étiez efforcé d’annuler le traité de Versailles par des négociations pacifiques ou, en tout cas, de le modifier. Est-ce qu’il existait encore à cette époque, d’après vos souvenirs, des moyens pacifiques de régler cette question du traité de Versailles ?
A mon avis, il n’y avait que des moyens pacifiques. C’était un crime que de vouloir modifier le traité de Versailles par une nouvelle guerre.
On vous oppose maintenant le fait que la prétendue préparation à la guerre bien qu’elle ne fut qu’une contre-mesure vis-à-vis du réarmement général et non la préparation d’une guerre agressive, n’en était pas moins un réarmement et comme tel constituait en soi- une infraction au Traité de Versailles. Je suppose qu’au moment où vous étiez décidé à financer le réarmement, vous agissiez tout de même en vertu de considérations morales et juridiques. Quelles étaient-elles ?
Je crois avoir répondu tout à l’heure à cette question. Je n’ai rien à ajouter à cet égard.
Bien. Croyez-vous que cette attitude, à votre connaissance, c’est-à-dire cette attitude de pacifiste, de quelqu’un qui est opposé à l’extension d’un espace vital quelconque en Europe était connue à l’étranger ?
Tant que j’ai été Président de la Reichsbank, c’est-à-dire à partir du mois de mars 1933 (je parle uniquement de l’époque hitlérienne bien entendu), mes amis à l’étranger, mes relations ont été parfaitement au courant de ma façon de penser. J’avais beaucoup d’amis et de relations à l’étranger, non seulement par profession, mais aussi autrement. Chaque mois, à Baie, nous nous réunissions au siège de la Banque Internationale. Tous les Présidents des banques d’émission des grandes nations et de quelques pays neutres étaient présents, et au cours de toutes ces réunions, je m’employais à expliquer à ces messieurs, de la façon la plus claire, la situation qui régnait en Allemagne.
Peut-être puis-je parler ici de mes conversations avec des personnalités étrangères. Lorsqu’on n’a plus le droit de parler avec des étrangers, on ne peut évidemment plus s’entendre avec eux.
Ces ordres ridicules d’éviter les contacts avec les étrangers, sont absolument inopportuns, et si, ici, le témoin Gisevius a cru devoir défendre ses camarades morts, qui étaient également mes camarades, contre le reproche de la haute trahison, je désire déclarer que cela était absolument inutile. Jamais les membres de notre groupe n’ont trahi un intérêt allemand ; bien au contraire, ils ont tous lutté pour ces intérêts et je n’en veux d’autre preuve que cet exemple : Après la conquête de Paris, les dossiers du quai d’Orsay furent saisis et étudiés avec attention par des fonctionnaires du ministère allemand des Affaires étrangères. Il va sans dire qu’ils étaient spécialement intéressés à la recherche des preuves de l’existence de milieux défaitistes allemands dont les membres auraient pu jeter le masque à l’étranger. Tous les dossiers qui traitaient de ma personne, et l’on y trouve notamment le compte rendu de nombreuses conversations que j’ai pu avoir avec des Français, ont été examinés à ce moment-là, par les Affaires étrangères allemandes, à mon insu, et un beau jour, je crois que c’était en 1941, j’ai reçu une lettre d’un professeur allemand qui avait pris part à ces examens ordonnés par le ministère des Affaires étrangères. Je voudrais dire le nom de ce professeur pour qu’il puisse témoigner le cas échéant ; il s’agit d’un professeur de science financière et d’économie politique, le professeur Stùckenbech d’Erlangen. Il m’écrivait que dans cette enquête...
Docteur Dix, le Tribunal, ne voit pas comment ces questions sont en rapport avec ce qui nous intéresse ici. En tout cas, si l’accusé déclare qu’il n’a en aucune façon travaillé contre l’intérêt de l’Allemagne, cela suffit entièrement. Nous n’avons pas besoin de tous les détails. Je ne vois pas en quoi ils servent le Procès.
Je crois, Votre Honneur, que ce n’est pas là ce que veut faire ressortir mon client. Il tient surtout à ce que l’on sache qu’à l’étranger, des personnes dignes de foi le connaissaient et savaient qu’il était un homme pacifique et qu’il ne songeait pas à préparer une agression, même à la période du réarmement.
Docteur Dix, je le sais, il l’a dit il y a cinq minutes.
Je ne pense pas que le cas de ce professeur soit particulièrement important, mais nous en arrivons à un point particulièrement intéressant. Il s’agit de ce que l’ambassadeur Davies a dit de sa conversation avec le commissaire aux Affaires étrangères de l’Union des Républiques Soviétiques, Litvinof. Le compte rendu de ces conversations se trouve au document Schacht n° 18 de mon livre de documents, texte allemand page 43, page 49 du texte britannique. Je me permets de lire un alinéa et je poserai brièvement au Dr Schacht la question de savoir si cette déclaration de Davies correspond à ses souvenirs. Il s’agit d’un rapport de Davies d’un extrait de son livre Mission à Moscou ; rapport au Secrétaire du Département d’État, pages 108 et 109.
« Comme convenu, j’ai rendu visite au Commissaire aux Affaires étrangères, Litvinov, pour lui présenter mes devoirs avant mon départ aux États-Unis. Je lui ai dit alors que la situation de l’Europe semblait simple dans ses traits essentiels et qu’il était difficile de comprendre pourquoi les hommes d’État européens ne pouvaient se mettre d’accord pour que l’Angleterre, la France, l’Allemagne, l’Italie et la Russie acceptent de garantir l’intégrité territoriale de l’Europe, et par des traités de commerce ravitaillent l’Allemagne en matières premières, lui donnant ainsi la possibilité de vivre. Cela apaiserait les peuples de l’Europe et le monde, et les libérerait du poids énorme des armements et de la crainte d’une guerre catastrophique.
« La réponse immédiate de Litvinov fut la suivante : « Croyez-vous que Hitler se déclarerait jamais d’accord sur un projet « semblable ? » J’ai dit alors que je n’en savais rien, mais qu’à mon avis, il existait en Allemagne un cercle considérable d’hommes influents et responsables auxquels ces idées étaient accessibles. Litvinov, c’est-à-dire le Commissaire aux Affaires étrangères lui-même, répondit que c’était une voie à suivre et que Schacht était un homme de cette sorte, mais qu’il ne croyait pas, néanmoins, qu’il puisse réussir à prévaloir sur Hitler et sur les forces politiques et militaires qui dominaient l’Allemagne à ce moment. »
Et maintenant, je vous demande : vous rappelez-vous cette conversation avec Davies ?
Non, je crois que c’est une erreur. Je n’ai pas eu de conversation avec Davies à ce moment. C’est un compte rendu de Davies au Secrétaire du Département d’État que j’ignorais.
Oui, vous avez tout à fait raison ; le Ministère Public a déclaré à plusieurs reprises que votre connaissance des intentions belliqueuses de Hitler devait résulter de votre situation de plénipotentiaire pour l’économie de guerre et de membre du cabinet économique du Reich. A ce propos, Göring a déjà parlé de cela d’une façon détaillée. Est-ce que vous avez quelque chose à ajouter aux déclarations de Göring ?
Je crois que le témoin Lammers en a également parlé longuement, mais de mon côté, je voudrais établir que le premier Conseil de Défense du Reich en 1935 n’était autre chose qu’une légalisation de la situation que l’on trouvait en Allemagne avant 1933, c’est-à-dire d’un service qui réunissait des ministres chargés de s’occuper des questions administratives et économiques qui pouvaient surgir au cas d’une menace de guerre contre l’Allemagne.
Combien de fois avez-vous été en rapports avec le ministre de la Guerre et avec le plénipotentiaire pour l’administration ?
Jamais. Ce célèbre triumvirat, ce collège de trois, cette pierre angulaire de la préparation de la guerre, comme dit le Ministère Public, jamais ce triumvirat ne s’est réuni, et si c’était bien la pierre angulaire de cette préparation, il n’est pas étonnant que nous ayons perdu la guerre.
D’autre part, le Ministère public s’est référé à un rapport du ministre de la Guerre sur une réunion du Conseil de Défense du Reich, en 1934. Il s’agit du document EC-128, (USA-623). Avez-vous quelque chose de particulier à ajouter à ce propos ?
Je voudrais être autorisé à lire deux phrases. On lit dans ce rapport, au sujet de la première guerre mondiale et des expériences de 1914-1918 : (je suis obligé de le citer en anglais, parce que je n’ai que le texte anglais ici.)
« A cette époque, nous avons pu étendre nos sources de matières premières et de production vers l’Ouest : Longwy, Briey, Anvers, Tourcoing, Roubaix (textiles), et vers l’Est (Lodz), le Sud-Est (mines en Serbie et en Turquie, huiles minérales en Roumanie.) Aujourd’hui, nous devons compter avec la possibilité d’être refoulés dans notre pays et par là de nous voir privés des matières premières et des industries extrêmement importantes de l’Est et de l’Ouest. »
Je crois que le simple fait que quiconque voulant préparer une guerre d’agression devait compter en septembre 1934 qu’il aurait à se protéger contre une éventualité telle que celle-ci, constitue la meilleure preuve qu’il ne pouvait être question d’une semblable guerre.
A ce propos et sur le thème « efforts pacifiques » vous pourriez peut-être dire au Tribunal en quoi consistaient vos efforts pacifiques en vue d’atténuer ou même d’annuler les stipulations du traité de Versailles relatives aux réparations ?
Dès le début de l’établissement du montant des réparations vers 1921, j’ai lutté contre cette exigence insensée, en soutenant que l’exécution de ces réparations entraînerait le monde entier dans un chaos économique. Il n’est pas possible qu’au cours d’une génération, on paye 120 milliards de Reichsmark ou à peu près 2 milliards annuellement ; comme à cette époque...
Soyons brefs, ne parlez pas d’économie nationale mais seulement de vos efforts pacifiques.
C’est entendu. Je ne parlerai pas d’économie nationale. J’ai lutté contre le principe des réparations, j’ai réussi à convaincre l’opinion officielle de presque tous les pays de l’absurdité de ce projet, et je crois que cela a permis au chancelier Papen, en juillet 1932 si je ne me trompe, de mettre sa signature au bas du Traité de Lausanne, grâce auquel les réparations étaient réduites de jure a une somme flottante de 3 milliards, et de facto complètement annulées.
Est-ce que vos tentatives pacifiques ont été également portées dans d’autres domaines ? Vous avez déjà mentionné les négociations de Paris concernant la question coloniale. Avez-vous quelque chose à ajouter à ce sujet ?
Je ne me rappelle pas ce que j’ai dit mais je crois que j’ai parlé de ces négociations suffisamment en détail pour n’avoir pas à répéter mon récit.
Le Consul général des États-Unis à Berlin, dont il a déjà été question, George Messersmith a déclaré dans son affidavit n° EC-451 (USA-626) auquel s’est référé le Ministère Public, que le régime national-socialiste n’aurait pas été en mesure de se maintenir au pouvoir et de forger sa machine de guerre si votre activité ne l’y avait pas aidé. A la fin de son exposé, le Ministère public a fait sienne cette déclaration de Messersmith. Je voudrais par conséquent que vous preniez position à son égard.
Je ne sais pas si cette opinion personnelle de M. Messersmith, dénuée de tout fondement, a une valeur probatoire quelconque.
Je voudrais néanmoins y opposer quelques chiffres. Tout à l’heure, j’ai mentionné que jusqu’au 31 mars 1938, la Reichsbank avait accordé 12.000.000.000, soit, pour la première année fiscale environ 2.250.000.000 et pour les trois années suivantes 3.250.000.000 par an. Vous avez interrogé mon co-accusé Keitel au cours de sa déposition sur le montant des dépenses d’armement pour ces années. Il a donné les chiffres suivants : Budget 1935-1936.......... 5.000.000.000
Budget 1936-1937.......... 7.000.000.000
Budget 1938-1939.......... 9.000.000.000
A cette date a cessé tout financement de la part de la Reichsbank. Malgré tout, l’année suivante, sans aide quelconque de la part de la Reichsbank, le budget du réarmement s’est élevé à 11.000.000.000, l’année suivante à 20.500.000.000.
Il semble, par conséquent, que même sans le génie financier de M. Schacht, il a été impossible de réunir l’argent nécessaire ; de quelle façon ? C’est une autre question.
J’ai présenté ces chiffres à l’accusé Keitel. Je crois que le Tribunal n’avait pas le document à cette époque. Il est maintenant disponible et porte le n° 7-Schacht ; page 15 du texte allemand et page 21 du texte anglais. Il va sans dire que Keitel ne pouvait parler que de la première rubrique, c’est-à-dire de l’ensemble des dépenses, mais il y a également une seconde et une troisième rubrique dans ce compte. Ce sont les calculs effectués par Schacht au sujet des dépenses qui ont été faites avec l’aide de la Reichsbank d’une part et sans son aide d’autre part.
Je n’ai pas l’intention d’entrer dans les détails. Je souhaite simplement que vous m’autorisiez à demander à Schacht si les chiffres qui se trouvent dans la colonne 2 et dans la colonne 3 et qui ont été établis par lui sont exacts.
Ces chiffres sont absolument exacts. Je les ai devant moi. Ils permettent de constater que dans la première année, après que la Reichsbank eut interrompu ses paiements, 11.000.000.000 en tout, ont été dépensés, dont 5.125.000.000 sans l’aide de la Reichsbank.
Vous avez déclaré au Tribunal jusqu’à maintenant que vous aviez lutté activement contre un dangereux réarmement en serrant les cordons de la bourse. Est-ce que vous vous êtes également opposé à ce réarmement excessif, par d’autres moyens, par exemple, par des conférences ?
A de nombreuses reprises, j’ai pris la parole non seulement devant des économistes et des professeurs, mais aussi à la demande du ministre de la Guerre devant des officiers supérieurs. Dans toutes mes conférences, constamment, j’ai fait allusion aux limitations financières et économiques qui s’opposaient à un réarmement de l’Allemagne et j’ai mis en garde contre un réarmement excessif.
Quand avez-vous eu l’impression que l’ampleur du réarmement allemand était exagérée ?
Il est difficile de préciser une date. A partir de l’année 1935, je me suis continuellement efforcé de ralentir le rythme de l’armement. Hitler avait dit un jour que jusqu’au printemps 1936, ce rythme serait le même, devait être maintenu. J’ai ici cette déclaration. Je m’y suis tenu, dans la mesure du possible, cela va sans dire, bien qu’à partir de la seconde moitié de 1933, j’aie freiné constamment. Mais après 1935 je me suis dit que puisque le Führer lui-même avait dit « jusqu’au printemps 1936 », ce rythme ne serait plus nécessaire par la suite. Cela résulte du document PS-1301 où se trouvent citées les déclarations que j’ai faites, et que j’ai communiquées au Conseil des ministres restreint ; Göring s’est opposé à moi au cours de cette réunion mais je maintiens naturellement ce que j’ai dit à ce moment-là.
Par la suite, j’ai constamment demandé au ministre de la Guerre d’agir pour ralentir la cadence du réarmement, ne fut-ce que dans l’intérêt général de l’économie, parce que je voulais que l’économie pût fonctionner en vue de l’exportation. Une preuve de mon insistance auprès du ministre de la Guerre est contenue dans la lettre que je lui écrivis le 24 décembre 1935 quand je vis s’achever la période visée par Hitler et alors que je m’efforçais déjà de freiner. Cette lettre a déjà été présentée par le Ministère Public sous le n° EC-293. Elle se trouve à la page 25 du texte anglais de ce document. Je demande la permission de citer brièvement toutes mes citations sont très brèves un passage de la lettre que j’ai écrite au ministre de la guerre du Reich. Je cite :
« Je déduis de votre lettre du 29 novembre (suivent les références) que la Wehrmacht semble avoir besoin de plomb et de cuivre et cela dans des proportions doubles de la consommation actuelle. Il s’agit là de besoins courants ; les chiffres ne comprennent pas les besoins futurs. Vous attendez de moi que je vous fournisse les devises étrangères nécessaires à ces achats et je dois vous répondre respectueusement que je n’ai pas la possibilité de le faire dans les circonstances actuelles. »
En d’autres termes, Blomberg me demande de mettre à sa disposition des matières premières, au moyen de devises étrangères, et je lui dis carrément que c’est absolument impossible.
On dit plus loin, et voici qui s’applique à la limitation du 1er avril :
« Au cours de toutes les conversations avec le Führer et Chancelier du Reich, de même qu’avec les départements militaires dirigeants, j’ai exprimé ma conviction qu’il serait possible de fournir jusqu’au 1er avril 1936, les devises et les matières premières nécessaires pour un réarmement de l’importance actuelle.
« Bien que par notre politique culturelle autant que par notre politique agricole, répudiées par le monde entier, nos relations soient devenues très difficiles avec l’étranger et le demeurent, j’espère tout de même arriver à faire valoir mon programme primitif. »
Cela signifiait que j’espérais pouvoir m’en tenir à mon programme jusqu’au 1er avril mais pas après.
Est-il exact que le ministre des Transports, M. Dorpmüller, voulait contracter un emprunt pour les chemins de fer ? Quelle a été votre attitude comme président de la Reichsbank au sujet de cet emprunt ?
Au cours d’une conférence entre le Führer Dorpmüller et moi-même, au sujet de cet emprunt pour les chemins de fer et dans laquelle le Führer soutint énergiquement le point de vue de Dorpmüller, j’ai refusé cet emprunt carrément, et de fait il ne l’a pas obtenu.
On a parlé ici d’une réunion du Conseil de Cabinet restreint, tenue sous la présidence de Göring, le 27 mai 1936. Le Ministère Public estime qu’il ressort de cette réunion du Cabinet une intention de mener une guerre d’agression. Avez-vous eu connaissance de ce Conseil de quelque manière ?
A quelle date ?
Le 27 mai 1936.
Non, j’ai assisté à ce Conseil et je ne trouve rien dans tout le document qui puisse révéler un projet de guerre d’agression. J’ai examiné très attentivement ce document.
A votre charge, on a déposé un compte rendu de l’ambassadeur Bullitt, L-151 (USA-70) daté du 23 novembre 1937. Vous avez entendu le Ministère Public tirer également de ce rapport des conclusions sur les intentions agressives de Hitler. Voulez-vous vous expliquer à ce sujet ?
Je ne vois dans ce rapport, aucun élément qui puisse faire déduire que Hitler voulait une guerre agressive. Je n’ai fait allusion qu’à l’intention de Hitler de créer un Anschuss de l’Autriche si possible et de donner l’autonomie aux Allemands des Sudètes. Il ne s’agit dans aucun de ces cas de guerre d’agression.
M. Bullitt dit d’autre part à mon sujet dans son rapport sur cet entretien :
« Ensuite Schacht se mit à parler de la nécessité absolue de faire quelque chose pour assurer la paix en Europe. »
Le mémorandum sur cette conversation se trouve également dans mon livre de documents et porte le n° 22, page 64 du texte anglais et page 57 du texte allemand.
Nous devons maintenant nous occuper plus en détail de votre connaissance supposée des intentions belliqueuses de Hitler. D’abord, sur un plan général, Hitler, a-t-il jamais, d’après ce que vous savez...
Monsieur le Président, j’ai demandé au Dr Dix s’il n’avait pas d’objection à ce que vous m’autorisiez à introduire une question nouvelle. Il s’agit des documents de Raeder. J’ai eu un entretien avec le Dr Siemers ; il y a encore certaines questions importantes à régler et nous serions reconnaissants au Tribunal de bien vouloir nous entendre cet après-midi si possible, car la section des traducteurs attend les documents de Raeder pour les traduire.
Combien de temps cela prendra-t-il Sir David ?
Pas plus d’une demi-heure, Monsieur le Président.
Si la section de traduction attend, peut-être vaudrait-il mieux s’occuper de cette question à deux heures.
Oui, Monsieur le Président.
Si vous dites que cela durera une demi-heure, il n’est guère probable que cela prenne plus de temps, n’est-ce pas ?
Je ne le crois vraiment pas.
Alors, nous nous en occuperons à deux heures et maintenant nous allons suspendre l’audience.