CENT DIX-HUITIÈME JOURNÉE.
Mercredi 1er mai 1946.
Audience de l’après-midi.
Plaise au Tribunal. Le Tribunal doit avoir sous les yeux une déclaration contenant nos objections à l’égard de certains documents, groupés en six catégories. Il trouvera en annexe un résumé en anglais des documents, indiquant brièvement le contenu de chacun d’entre eux.
En ce qui concerne le premier groupe, Votre Honneur, je souhaite effectuer deux suppressions : le n° 19 qui a été accordé au Dr Schacht, le n° 76 auquel, si je comprends bien, renonce le Dr Siemers.
Passons donc aux autres documents dans ce groupe : le n° 9 est une série de citations du livre de Lersner sur Versailles ; le n° 10 est une citation de l’écrivain allemand de gauche, Thomas Mann ; le n° 17 est l’Échec d’une Mission de Nevile Henderson.
Le n° 45 est une citation d’un livre de M. Churchill ; le n° 47 est un rapport sur une plainte de Lord Halifax au sujet d’un article du News Chronicle critiquant Hitler.
Le n° 66, Votre Honneur, est assez différent. Si le Tribunal veut bien prendre la peine de le regarder, c’est un rapport d’un juriste allemand, le Dr Mosler, autorité du Droit international, traitant de l’action en Norvège. Le Dr Siemers, a été, bien entendu, très franc avec moi et m’a dit qu’il lui serait agréable de mettre dans son livre de documents cette discussion qui à vrai dire, est de l’argumentation juridique. Tel n’est pas le but de ces livres de documents, mais nous avons pensé qu’il serait utile d’attirer l’attention du Tribunal sur cette question qu’il est seul à même de trancher. Le n° 76, Votre Honneur, est à supprimer. Les n03 93 à 96 sont des citations de journaux soviétiques ; le 101 est une citation de l’agence française de presse, Havas.
Les n° s 102 à 107 sont des ordres de moindre importance relatifs aux Pays-Bas. L’Accusation pense qu’ils n’ont pas de valeur probatoire.
Dans le deuxième groupe, il y a un certain nombre de documents que l’Accusation estime non pertinents.
Sir David, vous n’avez pas traité du n° 109, n’est-ce pas ?
Je m’excuse, Monsieur le Président, il se trouve plus bas. C’est une autre discussion juridique sur l’effet de la guerre, sur le statut de l’Islande ; c’est une citation d’une revue anglaise, le British Journal of Information in Public Law and International Law.
Très bien.
Le second groupe de documents, de l’avis du Ministère Public n’est pas pertinent.
Le n° 22 est un décret belge de 1937, traitant de l’évacuation éventuelle de la population civile en cas de guerre ; le n° 39 est un document français sur le Moyen-Orient.
Les n° s 63 et 64 sont deux discours, l’un de M. Emery et l’autre de M. Churchill, de décembre 1940, sur la Grèce, environ deux mois après le début de la campagne italienne contre la Grèce.
Le n° 71 est une directive non datée concernant l’étude des routes en Belgique qui ne nous semble pas présenter d’importance probatoire.
Le n° 76 est à rayer, il concerne l’Altmark.
Vous avez dit que le 76 est supprimé ?
Oui, Votre Honneur. Il concerne l’Altmark et fait double emploi avec le n° 71. — On aurait dû le supprimer ; c’est une erreur.
Le n° 99 est le compte rendu de la neuvième réunion du Conseil de Cabinet allié, du 27 avril 1940, qui traite d’une proposition de M. Paul Raynaud concernant les mines de Suède ; comme la campagne de Norvège est antérieure et que ce projet n’a pas été, bien entendu, exécuté en Norvège, il nous paraît ne pas avoir de rapport avec ce Procès.
Les n° s 102 à 107 se trouvent déjà traités dans le n° 1. Ce sont des mémoires de peu d’importance relatifs aux Pays-Bas.
Le n° 112 est un document français, dans lequel Paul Raynaud cite une déclaration de M. Churchill disant qu’il se battra jusqu’au bout. Cela ne semble pas non plus très important en 1946.
Le groupe suivant, Votre Honneur, comprend des documents qui avaient été rejetés par le Tribunal quand ils avaient été soumis par l’accusé Ribbentrop. Les deux premiers traitent du réarmement britannique ; les autres des Balkans et de la Grèce. Le Tribunal se souviendra sans doute de ces documents qu’il avait rejetés dans la demande de Ribbentrop.
Le quatrième groupe comprend d’autres documents de la même série que ceux qui ont été re jetés par le Tribunal dans le cas de Ribbentrop.
Nous nous opposons au cinquième groupe comme tendant à établir le tu quoque. Ce sont des documents français qui traitent de simples projets qui ont été esquissés mais n’ont jamais abouti et qui concernaient la destruction des champs pétrolifères du Moyen-Orient ou le blocus de la vallée du Danube. Ce sont des documents qui datent du printemps 1940 et qui traitent de projets à leur phase tout à fait préliminaire. Ces plans n’ont jamais été mis à exécution.
Le sixième groupe comprend des documents traitant de la Norvège qui ont été capturés après l’occupation de la France. Si je comprends bien l’argument du Dr Siemers, il n’est pas prétendu que ces documents aient été connus des accusés au moment de l’agression contre la Norvège, mais seulement que ceux-ci avaient d’autres informations. Nous n’avons pas élevé d’objections contre leurs propres informations et contre l’utilisation de ces documents pour corroborer les rapports de leurs agents.
Nous ne faisons pas d’objections contre le document 83 ; il concerne également des projets qui n’ont pas eu de suite. Toutefois, l’Accusation estime que la question la plus importante porte sur les faits qui étaient déjà connus des accusés avant le 9 avril 1940. Il paraît sans objet d’étudier toute une série de textes qui ne peuvent servir de preuve mais seulement de matière à discussion sur l’ensemble des connaissances prétendues des accusés.
J’ai essayé de traiter cette question le plus rapidement possible comme je l’avais promis au Tribunal, et j’espère avoir indiqué clairement nos objections.
Plaise au Tribunal. Il est particulièrement difficile de prendre position au sujet d’un si grand nombre de documents, alors que je sais que ces documents ne sont pas encore traduits et que leur contenu n’est pas connu des intéressés. Puis-je donc indiquer qu’il existe un certain danger à traiter ainsi de la question ? Il s’agit d’une partie essentielle de la Défense et ainsi en utilisant ces documents, je serai forcé, en voulant démontrer leur importance, d’appeler l’attention sur des passages que je n’aurai pas besoin de lire pour le procès-verbal, car au moment où mon livre de documents sera prêt, ils seront connus du Tribunal.
Je m’en tiens à l’ordre chronologique tracé par Sir David. Tout d’abord, le premier groupe, documents n° s 9 à 10. La note de Sir David que le Tribunal a sous les yeux mentionne que la production de ces documents est contraire à la décision du Tribunal du 29 mars. Puis-je répondre que cette opinion du Ministère Public est erronée ? La décision du Tribunal édictait qu’aucun document ne devait être présenté qui touchât à l’injustice du Traité de Versailles et à la tension qui en résulta. Ces documents ne traitent pas de l’injustice du Traité et de ses conséquences, mais servent uniquement à donner quelques exemples de l’opinion personnelle d’un homme tel que Noske qui était social-démocrate et qui certainement ne désirait pas mener des guerres d’agression.
Quelques autres développements, sous les n05 9 et 10, indiquent la position du Gouvernement et des classes dirigeantes à cette époque, en ce qui concerne la défense nationale et le danger d’attaque, par exemple de la part de la Pologne si la Wehrmacht était trop faible. Ce ne sont là que des faits.
Je déclare solennellement de pas vouloir citer des phrases pouvant donner lieu à une polémique. En outre, j’ai surtout besoin de ces documents comme base de ma plaidoirie.
Le document n° 17 est une citation très brève du livre de Henderson, Échec d’une Mission, paru en 1940. Je pense qu’il n’y aura aucune difficulté à traduire environ 15 lignes, si je désire m’en servir dans ma plaidoirie afin de démontrer que Henderson, qui connaissait très bien l’Allemagne, croyait encore en 1940, devoir reconnaître des côtés positifs et favorables au régime de l’époque. Je crois qu’ainsi on peut tirer la conclusion qu’il n’est pas possible d’exiger d’un chef militaire allemand qu’il soit plus sceptique que l’ambassadeur de Grande-Bretagne à l’époque.
Ensuite, le document n° 45 est, il est vrai, uniquement l’extrait d’un livre de Churchill, mais il traite d’un fait que justement je désire prouver, à savoir que bien des années avant la première guerre mondiale, un comité de défense d’empire existait. Dans l’index remis par Sir David, le mot « Reichsverteidigungsausschuss » est employé. J’en déduis que le Ministère Public qui l’a interprété comme signifiant : Comité de Défense du Reich a commis une erreur. Ce document montre la raison pour laquelle le Ministère Public a été amené à surestimer la valeur du Conseil de Défense du Reich, car il l’a comparé naturellement au Conseil britannique de Défense qui avait des pouvoirs bien plus étendus.
Le document n° 47, établit que l’ambassade d’Allemagne ayant signalé à Lord Halifax un article très sévère contre Hitler, paru dans le News Chronicle, celui-ci répondit qu’il n’était pas en mesure d’influencer le journal. Je voudrais seulement dire ce qui suit et je dois le faire dès maintenant : établir une comparaison avec la déclaration du Ministère Public selon laquelle l’amiral Raeder aurait quelque chose à voir avec le regrettable article du Völkischer Beobachter : « Churchill fait couler l’Athenia » Raeder n’avait pas plus à voir avec cet article que Lord Halifax avec celui du News Chronicle. Il était encore plus impuissant à cet égard que le Gouvernement anglais.
Le n° 66 concerne un exposé du spécialiste de Droit international, le Dr Mosler, au sujet de l’action en Norvège, et le Tribunal l’admettra sous une forme très réduite. Le Tribunal me concédera également que dans le cadre de ma défense de l’action en Norvège, je sois obligé de parler dans une large mesure des principes fondamentaux du Droit international, ce qui n’est pas tellement simple. Je ne vois pas d’inconvénient à traiter cela moi-même avec tous les détails voulus. L’idée maîtresse qui me guidait était, ainsi que le Tribunal l’a maintes fois demandé, de gagner du temps. Je crois que nous en gagnerons beaucoup si cet exposé m’est accordé et si je ne suis pas obligé de fournir de nombreuses citations, et le détail des auteurs afin de présenter les justifications juridiques exactes. Dans ce cas, je pourrai peut-être en une demi-heure, traiter de l’aspect juridique, tandis que sans cet exposé il me sera tout à fait impossible de traiter un tel problème en si peu de temps. Si le Ministère Public ne voit pas d’objection à ce que je prenne plus de temps, alors je ne m’oppose pas à ce que le document soit rejeté. Je n’aurai qu’à en tirer les conséquences.
Le n° 75 est barré. Donc, il m’est accordé par le Ministère Public.
Quant aux n° 93 à 96, il s’agit d’extraits de déclarations des journaux soviétiques, Isvestia et Pravda. Ces déclarations prouvent que tout au moins l’opinion soviétique au sujet de la légalité de l’action allemande en Norvège coïncidait à l’époque avec l’opinion allemande. Si le Tribunal croit que de brèves citations ne peuvent être acceptées en tant que documents, je n’insisterai pas trop, car dans la procédure actuelle, j’ai été obligé, en tout cas d’indiquer de quoi il s’agissait. Le Tribunal se rappellera que l’Allemagne et la Russie avaient alors des liens amicaux et que par suite l’opinion soviétique concernant un problème purement juridique doit être considéré comme ayant une importance certaine.
Ensuite le n° 101. Je vous prie de m’excuser, Sir David, mais si je ne me trompe, le Dr Braun a mentionné ce document il y a une heure et demie comme devant être rejeté. Très bien, je passe alors aux n° s 1 à 107. Il s’agit de l’action contre la Norvège, comme je l’ai déjà dit, d’un problème de Droit international. Ce problème est le suivant : Est-ce qu’un pays donné peut violer la neutralité d’un autre pays quand il peut être démontré qu’une autre nation belligérante a l’intention de violer elle-même cette neutralité ?
Lors de la présentation de mes preuves, j’exposerai que le Grand-Amiral Raeder en octobre 1939, a reçu beaucoup de renseignements indiquant que les Alliés avaient l’intention de prendre sous leur protection les eaux territoriales de la Norvège, c’est-à-dire qu’ils avaient l’intention de débarquer en Norvège pour y prendre des bases. Je reviendrai là-dessus avec les documents sur la Norvège, mais je désire dire dès maintenant qu’il est nécessaire de déclarer et d’établir que l’attitude juridique des Alliés à l’égard de la question d’une violation éventuelle de la neutralité d’un pays neutre, en 1939 et 1940, était exactement la même que l’attitude de l’accusé Raeder dans le cas de la Norvège à la même époque.
Il est donc nécessaire de ne pas traiter seulement de la Norvège, mais de démontrer qu’il s’agit d’une conception de principe qui peut être démontrée en se référant à des cas parallèles, à l’aide de ces documents.
Les cas parallèles sont : premièrement, l’exemple du projet des Alliés au sujet des Balkans et, deuxièmement celui des champs pétrolifères du Caucase.
Messieurs, loin de moi la pensée, comme Sir David l’a laissé souvent entendre, de me servir de ces documents pour une argumentation tu quoque, à savoir de démontrer que l’accusé aurait fait quelque chose que les Alliés avaient également fait ou projetaient de faire. Je ne me préoccupe que de juger les actes de l’accusé Raeder en me plaçant au point de vue du Droit. De tels faits ne peuvent être compris que si l’on met en lumière tout l’ensemble de la question. A mon avis, et je me réfère pour cela à l’opinion du Dr Mosler, document n° 66, ces faits ne peuvent faire l’objet d’une accusation. Il s’agit, Messieurs, du droit de conservation, tel qu’il est reconnu dans le Droit international et à ce propos, j’aimerais...
Nous ne voulons pas entrer dans des détails en ce moment-ci. Si vous dites quelles sont vos raisons, et que vous le dites brièvement nous pourrons considérer la question.
Je regrette beaucoup d’avoir à entrer dans ces détails, mais si l’objection du Ministère Public...
Le Tribunal ne tient pas à vous entendre dans le détail. J’ai dit que le Tribunal ne tenait pas à vous entendre dans le détail.
Alors, je prie tout simplement le Tribunal de tenir compte qu’il s’agit de principes de Droit international fixés par Kellogg lui-même en 1928, le droit d’auto-défense (the right of self-defense). C’est pour cela que je voudrais citer des documents qui prouvent que si les Alliés ont agi suivant ces principes, l’accusé Raeder l’a fait également.
J’en arrive au document n° 22. J’ai donné quelques explications de principe se rapportant à un grand nombre de documents afin de pouvoir m’y référer. Les documents n° s 22 et 39 sont couverts par ces explications.
En ce qui concerne les documents n° s 63 et 64, puis-je signaler qu’ils concernent la Grèce, ainsi que tout un groupe de 10 à 12 documents sur lesquels je passerai très rapidement en les traitant maintenant. En ce qui concerne la Grèce, la situation est la suivante : Je dois dire que je suis fortement surpris que le Ministère Public ait fait objection à ces 14 documents. Le Ministère Public dans le document C-12 (GB-226), reprochait à Raeder que le 30 décembre 1939, il eût ordonné et je cite : « que les navires de commerce grecs soient considérés, dans la zone interdite délimitée par les États-Unis et l’Angleterre, comme bateaux ennemis. » Le reproche serait justifié, si la Grèce ne s’était pas comportée de façon telle qu’elle ait forcé l’attitude de Raeder. Si l’on devait rayer les documents sur la Grèce dont il ressort que ce pays n’a pas strictement observé sa neutralité, alors je ne pourrais pas fournir de contre-preuve. Je ne pense pas qu’il soit dans l’intention du Ministère Public de limiter ainsi la présentation de mes preuves.
Ce sont tous des documents provenant de la même époque et qui démontrent que la Grèce a mis ses navires de commerce à la disposition de l’Angleterre, qui était en guerre avec l’Allemagne, les habitants pouvaient par conséquent être considérés comme ennemis.
J’aurais dû dire au Tribunal que je ne m’opposais pas aux documents n 53 et 54. Ils traitent effectivement de l’affrètement de bateaux grecs par le Gouvernement britannique.
Mais vous n’avez pas fait d’objections envers les documents n0 " 53 et 54 ?
Je voulais justement le préciser.
Il n’y a pas d’objection inscrite, Dr Siemers, vous traitez des h0 63 et 64, non des n05 53 et 54 ? Oh, je vous demande pardon, je vois que c’est plus loin. Veuillez annuler cela.
Il n’y a pas d’objection aux documents 53 et 54 ?
Non, pas d’objection. Votre Honneur, mon ami traitait de la flotte grecque.
Je m’excuse, j’avais mal entendu.
Vient ensuite le document n° 71. Ce qui a déjà été dit pour les documents n08 101 à 107, s’applique également à ce document.
Le n° 99 appartient, à vrai dire, au groupe 6 des documents norvégiens, et je voudrais m’y référer, dans leur ensemble en me reportant plus tard au n° 99. Tous ces documents concernent la Norvège et les intentions des Alliés à son égard. Ils traitent expressément de débarquement à Narvik, à Stavanger, à Bergen et de la nécessité absolue d’avoir à tout prix des points d’appuis norvégiens. Il y est question de ne pas laisser l’Allemagne continuer à obtenir des minerais de Suède. Ils traitent également de la Finlande. D’autres documents préconisent un plan analogue après la conclusion de la guerre russo-finlandaise.
Afin de prouver la pertinence je devrais citer certains documents, mais comme le Tribunal me déclare que je ne dois pas le faire, je le prie de se contenter de ces brèves indications. Les faits qui se trouvent dans ces documents sont parfaitement identiques aux nouvelles que le Grand-Amiral Raeder, de septembre 1939 à mars 1940, a reçues du service de renseignements de la Wehrmacht, dirigé par l’amiral Canaris. Ils sont conformes aux informations que Raeder a reçues de l’attaché naval à Oslo, le capitaine de corvette Schreiber, au cours de la même époque et à celles reçues de l’amiral Caris à la fin de décembre 1939. Les nouvelles reçues de ces trois sources ont incité l’amiral Raeder à signaler le grand danger qui résulterait du fait que la Norvège tombât entre les mains des Alliés entraînant la perte de la guerre pour l’Allemagne. Donc, réflexion purement stratégique : l’occupation de la Norvège n’a rien à voir contrairement aux affirmations du Ministère Public britannique, avec la gloire et le désir de conquérir, mais découlent de ces informations positives.
Je dois donc établir d’abord que : premièrement, l’amiral Raeder a reçu ces informations, et deuxièmement, que ces informations étaient fondées objectivement.
Docteur Siemers, vous traitez le document n° 99, n’est-ce pas ?
Oui, ceci se rapporte au n° 99 et à l’ensemble du sixième groupe.
Je ne sais pas ce que vous voulez dire par le sixième groupe ; le n° 99 fait partie du groupe B.
Le document n° 99 se trouve dans le groupe F. Il s’agit du groupe qualifié de sixième par Sir David ; le dernier de la page.
L’objection du Ministère Public à ce document portait sur le fait que c’était un document du 27 avril 1940, après que l’Allemagne eut envahi la Norvège. Vous n’en avez pas parlé.
Je désirais éviter de parler de chaque document en particulier, car je crois qu’il faut les traiter d’une façon générale, mais dans ce cas spécial...
Je ne vous demande pas de traiter séparément tous ces documents, je croyais que vous deviez traiter le n° 99. Si vous pouvez procéder par groupes, faites-le, je vous en prie, car en tout cas, vous prenez au Tribunal beaucoup de son temps.
Il s’agit, pour le document n° 99, d’un rapport de la Conférence du Conseil suprême, c’est-à-dire de l’État-Major d’opérations de Grande-Bretagne et de France, du 27 avril 1940. Sans aucun doute, il s’agit d’un document rédigé après l’occupation de la Norvège, mais ce n’est qu’une objection de forme. Le document montre que les participants parlèrent d’événements antérieurs à l’occupation et que les plus grands chefs alliés y ont assisté : Chamberlain, Halifax, Churchill, Sir Samuel Hoare, Sir Alexander Cadogan et d’autres. Du côté français, il y avait Raynaud, Daladier, Gamelin, Darlan. Ils parlèrent des projets antérieurs, qui avaient échoué, je l’admets, par l’occupation allemande de la Norvège, mais aussi des mines de fer de la Suède, disant qu’elles auraient dû tomber entre leurs mains, se posant la question de savoir quelles mesures pourraient être prises pour empêcher l’Allemagne d’obtenir ces minerais et pour en détruire les stocks. Je crois par conséquent, bien que ce document émane d’une période ultérieure, que sa signification ne laisse pas d’être importante.
Voici ensuite le document n° 100 : réunion du Conseil supérieur français de la Défense nationale, du 9 avril 1940, consacrée au même problème : ce qui était projeté du côté allié et ce qui pouvait être envisagé maintenant, compte tenu du fait accompli de la part de l’Allemagne.
Les n° s 102 à 107 ont déjà été traités.
Le n° 110 appelle les mêmes observations que les documents n03 101 à 107.
Le n° 112 révèle que Churchill, dès le mois de mai 1940, s’attendait à une intervention de la part de l’Amérique. Je voulais le présenter en le rapprochant du reproche formulé contre l’amiral Raeder d’avoir tenté de déclencher, au printemps 1941, une guerre entre le Japon et l’Amérique. Ce document n’est pas aussi important pour moi que ces documents fondamentaux sur lesquels je me suis étendu plus longuement. Par suite, je m’en remets entièrement à l’appréciation du Tribunal et du Ministère Public.
Le groupe suivant comprend des documents rejetés lors du cas Ribbentrop. Puis-je dire à ce sujet que je n’ai pas eu l’occasion, à ce moment, de définir ma position au sujet de la pertinence de ces documents ? Je trouve donc qu’il suffit de déclarer brièvement qu’ils furent rejetés, que les charges contre Ribbentrop...
Nous avons déjà considéré avec soin les arguments et nous avons décidé que ces documents n’étaient pas recevables.
J’avais cru que la décision touchait seulement le cas Ribbentrop puisqu’on n’a pas discuté au cours des débats l’accusation relevée contre Raeder, accusation à l’appui de laquelle nous lisons dans le document C-152 que l’intéressé avait été l’initiateur de l’occupation totale de la Grèce. C’est un reproche qui n’a pas été fait à Ribbentrop, mais seulement à Raeder. Comment puis-je réfuter ce reproche si l’on m’interdit l’usage des documents ?
Docteur Siemers, le Tribunal connaît et les documents et les accusations contre Raeder ; il ne désire pas entendre d’autres arguments ; il prendra la question en considération.
Je prie le Tribunal de m’excuser mais dans ces conditions je me vois obligé de comparer et de voir si tous les documents ont fait l’objet d’une décision dans le cas de Ribbentrop. Mes notes, comme je l’ai déjà dit ce matin au Ministère Public, ne concordent pas avec les siennes. Éventuellement, si je ne puis le faire maintenant, puis-je après l’audience indiquer si ces documents sont ou non identiques à ceux de Ribbentrop ? C’est un fait que les documents dans le cas de Ribbentrop ne furent pas présentés en entier, donc le Tribunal ne les connaît pas intégralement. Je ne saurais dire si le Dr Horn a marqué les mêmes passages de documents que j’ai moi-même l’intention d’utiliser. Je ne sais qu’une seule chose, c’est que la plupart du temps, le Dr Horn n’a pas présenté tout le document, car il ne le présentait que par rapport au cas de son client.
Je suppose que vous avez soumis vos extraits à l’Accusation et l’Accusation nous dit que ces extraits sont les mêmes qui ont été refusés dans le cas de Ribbentrop.
Votre Honneur, nous n’avons eu qu’une liste de ces documents pour l’instant. Nous n’avons pas vu les extraits. (Brève suspension pour délibération du Ministère Public.)
Je m’excuse, j’ai parlé trop vite. Nous avons vu les extraits en allemand, et ils n’ont pas été traduits. Nous avons agi au mieux avec les textes allemands.
24 et 25 en tout cas, sont des discours en anglais.
Je m’excuse, Votre Honneur, vous avez raison. Ceux-là sont en anglais. Vous avez tout à fait raison, Votre Honneur.
Sir David, si je comprends bien ce qu’a dit le Dr Siemers, les passages proposés ne sont pas les mêmes que ceux qui ont été refusés dans le cas de Ribbentrop.
Votre Honneur, je n’ai pas contrôlé moi-même, mais le Commandant Barrington qui a revu les documents de Ribbentrop a parcouru ceux-ci, les a comparés et m’a donné ce qui forme le fonds de notre note. Je ne les ai pas lus, je ne peux pas dire à Votre Honneur que je les ai contrôlés moi-même.
Est-ce que le Dr Siemers nous dit que ce n’est pas exact ?
Si je comprends bien ce qu’il a dit, je crois qu’il ne savait pas si c’étaient les mêmes extraits.
Puis-je faire une remarque à ce sujet ? Je ne suis pas absolument certain de pouvoir préciser dans chaque cas quelles parties sont déjà contenues dans le Livre de documents Ribbentrop, mais je sais que ce ne sont pas les mêmes, et qu’elles ne concordent pas, car pour faciliter le travail du service de traduction, j’ai comparé les numéros et dans les rares cas où les textes étaient les mêmes, j’ai signalé à ce service, afin d’éviter une double traduction, que les passages étaient identiques ; malheureusement, une grande partie des extraits était différente, car le Dr Horn et Ribbentrop les avaient sélectionnés d’un tout autre point de vue.
Puis-je indiquer que les numéros du groupe D, cités ici comme documents Ribbentrop 29, 51, 56, 57, 60, 61, 62, malgré tous mes efforts, n’ont pas pu être trouvés dans le livre de documents de Ribbentrop. Dans la liste il n’est pas dit non plus quel numéro ils devraient avoir.
Votre Honneur, il n’est pas question de cela, mais ces documents sont de la même série que celle qui traite du même sujetGrèce et Balkanset dont les documents ont été rejetés par le Tribunal dans le cas de Ribbentrop.
Docteur Siemers, il serait préférable que vous parcouriez cet après-midi les documents de la série C pour voir si ce sont les mêmes qui ont été rejetés pour Ribbentrop et, si ce ne sont pas les mêmes, que vous indiquiez exactement en quoi ils diffèrent de ceux rejetés dans le cas de Ribbentrop, afin de montrer que ce sont des documents pertinents pour votre défense. Le Tribunal espère avoir ces détails pour cinq heures. Continuez, je vous prie, avec les autres.
Puis-je dire encore un mot au sujet de ce qu’a déclaré Sir David Maxwell-Fyfe, à propos du groupe D ? L’objection qui vise ces documents ne vient pas de ce qu’ils ont été mentionnés pour Ribbentrop mais seulement du fait qu’ils traitent du même sujet, la Grèce ; je ne peux répondre à cela qu’une chose : le Ministère Public a accusé Raeder en se servant du document C-152, d’avoir obtenu l’occupation de toute la Grèce. Je ne puis présenter les faits auxquels se réfère cette déclaration de trois lignes que si j’ai l’autorisation de produire quelques documents sur la Grèce, et si ces documents sur la Grèce ne me sont pas refusés pour le motif qu’ils ont été repoussés dans le cas de Ribbentrop.
J’en arrive au groupe E, débutant avec le n° 26. La même observation est valable pour ceux-ci et pour les documents dont je viens de parler, de 101 à 107. Les attaques projetées par les Alliés sur les territoires pétrolifères neutres de la Roumanie et du Caucase ont déjà été traitées au cours de ces débats. Le Tribunal se rappellera que j’ai déjà interrogé Göring sur des extraits du journal de Jodl relatifs à cette question et qu’il a fourni des renseignements au sujet des rapports parvenus en Allemagne. Ils se trouvent dans le procès-verbal du 18 mars, (Tome IX, pages 428 à 430). Cette déclaration ne porte que sur le côté subjectif : ce que l’Allemagne savait, et je dois prouver le côté objectif : le fait que ce qui a été effectivement préparé, correspondait réellement à ces renseignements subjectifs. Tel est l’objet de ces documents, n03 26, 30 à 32, 36, 37, 39, 40 à 44. Le n° 99 déjà traité auparavant paraît être cité deux fois ; les 101 et 110 également.
J’en viens au 6e groupe maintenant qui est prétendu non pertinent et concerne l’attaque contre la Norvège. J’ai déjà fait valoir mes raisons et je prie le Tribunal de ne pas me refuser l’utilisation de ces documents à aucun prix, sinon il me sera tout à fait impossible de fournir une preuve convenable sans tout redire moi-même. Je ne puis fournir de preuves pour une question si importante que si l’on m’accorde les documents, comme on l’a fait pour le Ministère Public. Si on me prive pratiquement de tous les documents traitant de cette question, je ne saurai plus comment la présenter. J’ose donc espérer que le Tribunal voudra bien venir à mon aide. Je demande cette aide surtout pour la raison suivante : quand j’ai indiqué pourquoi je désirais établir cette preuve, j’ai demandé ce consulter les dossiers de l’Amirauté britannique traitant des projets et préparations en Scandinavie. Sir David n’a pas fait d’objection à l’époque, mais il a dit qu’il devait s’adresser à l’Amirauté. Le Tribunal a décidé d’accéder à ma demande et a donné son accord. L’Amirauté a répondu (je crois que Sir David est d’accord pour que je lise la réponse qui a été mise à ma disposition)...
Nous avons déjà lu cette réponse n’est-ce pas ? et nous vous l’avons transmise.
Je vous remercie. De cette réponse on peut déduire que ces dossiers ne seront pas produits, que je n’aurai pas l’approbation nécessaire, qu’en outre, certains faits importants pour ma démonstration sont admis par l’Amirauté britannique. Et cependant il m’est absolument impossible de fournir des preuves documentaires là-dessus. C’est pourquoi je vous prie de m’accorder tout au moins la possibilité de déposer les documents contenus dans les Livres blancs allemands. Ce sont des documents reconnus, comme exacts, ce sont des fac-similés de documents ; on peut toujours les vérifier et je crois que...
Docteur Siemers, nous traitons de votre demande de documents particuliers et non d’une discussion ou d’une critique d’ensemble de votre part. Nous vous entendons seulement en réponse à certaines objections faites au nom du Ministère Public britannique.
Votre Honneur, si je ne me trompeet sinon je demande à ce qu’on me reprenneSir David a pris une position générale pour ces documents F, c’est-à-dire pour un grand nombre, de 59 à 91 avec quelques omissions et n’a pas traité chaque document à part. Je dois redire toujours la même chose au sujet de chacun de ceux-ci, et j’ai tout simplement prié que l’on admette l’ensemble de ces documents, car je ne peux continuer sans ces preuves.
Vous ne parliez pas de ces documents. Vous mentionniez le fait que l’Amirauté britannique n’était pas prête à vous ouvrir ses archives. Ceci n’a rien à voir avec ces documents.
Je crois que j’ai été mal compris, Monsieur le Président. J’ai expliqué tout à l’heure pourquoi j’avais besoin de ces documents comme preuves au sujet de l’action en Norvège ; là-dessus, j’ai simplement ajouté : si on ne m’accorde pas ces documents, je ne puis présenter de preuves, elles me sont enlevées. Je prie le Tribunal de tenir compte du fait que les documents sur lesquels je comptais ne seront pas mis à ma disposition. Je ne sais pas pourquoi cette requête que je soumets au Tribunal et qui ne tend qu’à appuyer mes précédentes déclarations est mal interprétée.
C’est tout ce que vous avez à dire ?
J’en ai fini, Messieurs. Je veux ajouter que je n’ai nullement l’intention de lire tous ces documents ou d’y passer trop de temps, mais je sais que si on m’autorisait à les produire, les preuves seraient administrées beaucoup plus facilement, car il y a des groupes de textes qui démontrent le développement chronologique de certaines opérations et si j’avais les documents 5, le 6 ou le 7, je n’aurais pas besoin de les lire tous. Toutefois si on ne m’en accorde qu’un seul, je me trouve dans une situation particulièrement difficile et je dois exposer plus de détails que je n’aurais à le faire si je pouvais simplement me référer à ces documents.
Le Tribunal examinera cette question. Bien, Docteur Dix.
Nous en venons maintenant, d’une façon tout à fait générale, à la question de votre connaissance présumée des buts de guerre immédiats de Hitler. Vous avez déjà dit que Hitler ne vous avait jamais parlé de guerre. Avez-vous quelque chose à ajouter à cela ?
Non.
Vous avez également traité à la barre, de la question de la sincérité de ses assurances de paix ou de désarmement. Désirez-vous ajouter quelque chose ?
Non ; j’y croyais au début.
Qu’en était-il des autres membres du Cabinet ? Est-ce qu’ils vous ont parlé de buts de guerre ?
Jamais un de mes collègues du Cabinet du Reich n’a dit quoi que ce soit qui put permettre de penser que quelqu’un avait l’intention ou serait heureux que l’Allemagne commençât une guerre.
Nous en venons maintenant à votre propre opinion au sujet de la guerre. Vous en avez déjà donné une idée lorsque vous avez parlé de votre philosophie en tant que pacifiste. Je crois qu’il serait plus opportun que je cite brièvement de mon Livre de documents l’avis d’un tiers vous connaissant parfaitement bien. C’est l’ancien membre du directoire de la Reichsbank, M. Hülse. Il se trouve dans le Livre de documents Schacht C-37, page 160 du texte allemand et 168 du texte anglais. On lit dans cet affidavit, à partir du paragraphe 2 :
« Je me souviens de plusieurs entretiens occasionnels avec le Dr Schacht au cours des années 1935 à 1939 portant sur la guerre et l’armement ; il a toujours exprimé son horreur de la guerre et de tout comportement guerrier.
« Il était absolument d’avis qu’une guerre n’entraîne que des désagréments, même pour le vainqueur, et qu’une nouvelle guerre européenne serait avant tout un crime contre la culture et l’humanité. Il espérait pour l’Allemagne une longue période de paix dont elle avait besoin, bien plus que les autres pays, pour améliorer et fortifier sa situation économique instable.
« Au cours des réunions du Comité de Direction de la Reichsbank, et à l’occasion d’entretiens privés, le Dr Schacht n’a, à ma connaissance, jamais parlé en ce qui concerne l’Allemagne que de mesures défensives, et cela jusqu’au début de 1938. Je crois pouvoir me rappeler qu’il m’a dit, vers le milieu de l’année 1938, que les. provocations de Hitler envers l’Autriche et les Sudètes avaient été, du point de vue militaire, plus qu’inconsidérées. L’Allemagne n’avait cependant entrepris qu’un armement défensif, armement absolument insuffisant pour résister à l’attaque d’une grande puissance, attaque avec laquelle Hitler aurait dû compter. Il n’avait encore jamais entendu dire que la Wehrmacht fût adaptée ou équipée de façon quelconque pour une guerre offensive.
« Quand la guerre éclata et s’étendit de plus en plus, il a souvent déclaré qu’il s’était complètement trompé dans son appréciation de la personnalité de Hitler, qu’il avait longtemps espéré que celui-ci s’avérerait finalement un véritable homme d’État qui, fort des expériences de la guerre mondiale en éviterait une nouvelle à tout prix. »
Vous avez incidemment traité également de la question d’un Anschluss de l’Autriche. Voulez-vous parler de façon concrète de l’Anschluss qui a réellement eu lieu et notamment des formes dans lesquelles cet Anschluss se réalisa ?
Qu’un jour cet Anschluss aurait lieu, nous autres allemands, nous le savions parfaitement bien, aussi bien que les Autrichiens. En ce qui concerne les conversations politiques entre Hitler, Schuschnigg, et autres, j’ai été tout aussi peu informé que les autres ministres du Cabinet, à l’exception probablement de Göring et de Ribbentrop, ou peut-être d’un ou deux autres. L’Anschluss effectif, au mois de mars, fut une surprise pour nous ; je veux parler de la date, non pas du fait. Ce fut une surprise. Mes amis et moi-même, nous n’y étions sûrement pas préparés.
Et comment jugez-vous les circonstances de cet Anschluss ?
Je crois qu’au sujet de la forme il y aurait pas mal de choses à dire. Ce que nous avons entendu ici, et ce que je n’ai appris en partie qu’ici même, n’est pas très réjouissant, mais je crois que cela n’avait pas d’influence pratique sur le cours réel des événements ; c’était plutôt une démonstration vis-à-vis de l’étranger comme la marche en Rhénanie, mais les événements n’ont pas été influencés par ces faits. Je parle de l’entrée des troupes ; cette entrée était plutôt une réception solennelle.
Le Ministère public a indiqué qu’au mois de mars 1938, le rapport du schilling vis-à-vis du markpour le cas d’un Anschluss éventuel aurait été fixé par vous, et par ce moyen il tend à prouver que vous étiez au courant de cette action auparavant. Voulez-vous nous indiquer votre position à ce sujet ?
Le fait auquel le Ministère public fait allusion est un renseignement du lieutenant-colonel Wiedemann, du 11 après-midi à 3 heures. Je crois me rappelerje ne sais plus si c’était en personne ou par téléphone que quelqu’un, peut-être le lieutenant-colonel Wiedemann, s’est renseigné auprès de moi sur le point de savoir, dans l’hypothèse où des troupes allemandes feraient leur entrée en Autriche comment celles-ci pourraient disposer de moyens de paiement et s’il était nécessaire de prévoir une réglementation, ceci comme une simple question de politique monétaire. Je lui ai répondu, naturellement, qu’il faudrait payer tout ce que les troupes pourraient acheter et que le rapport, si l’on ne payait pas en schillings mais en mark, était d’un mark pour deux schillings. C’était le cours de l’époque. Il variait très peu et était ainsi reconnu.
Qu’on m’ait parlé de cela le 11, l’après-midi, prouve au mieux qu’auparavant je ne savais rien de cette affaire.
Le Ministère Public utilise comme charge contre vous, le fait que devant la Banque nationale autrichienne, après l’entrée des troupes, vous auriez employé une phraséologie purement nationale-socialiste démontrant que vous vous réjouissiez de l’Anschluss.
Peut-être pouvons-nous saisir cette occasion pour abréger et pour prendre position à l’égard du reproche répété du Ministère Public suivant lequel, dans des discours et diverses déclarations vous auriez employé un ton dont on aurait pu dire qu’il était imprégné de phraséologie nationale-socialiste. Cet argument a été utilisé contre vous. Voulez-vous prendre position à son sujet et justifier votre attitude ?
Si j’ai fait cela les premières années, je l’ai fait pour attirer l’attention des populations sur le programme national-socialiste original, qui était en parfait contraste avec l’attitude réelle des fonctionnaires du Parti. Je me suis toujours efforcé de prouver que les idées maîtresses que je professais en matière politique, concordaient avec les idées maîtresses du programme national-socialiste original, à savoir : égalité de droits pour tous, dignité de l’individu, respect pour l’Église, etc.
Dans les années qui ont suivi, j’ai à plusieurs reprises employé une phraséologie nationale-socialiste, car à partir de mon discours de Kœnigsberg, la contradiction entre mes opinions et celles de Hitler devint très évidente. Peu à peu j’eus la réputation d’être un ennemi du Parti, un homme ayant des opinions contraires au siennes. A partir de ce moment, non seulement la possibilité de ma collaboration, mais également celle de mon existence étaient en danger ; alors, quand je me rendis compte de la menace du Parti sur ma liberté, mon activité et ma vie, je saisis cette occasion pour montrer, par le moyen d’une phraséologie nationale-socialiste accentuée, que j’agissais dans le cadre traditionnel de la politique nationale-socialiste, et que mon attitude concordait parfaitement avec cette politique, ceci afin de me protéger de ces attaques.
Vous avez doncpour vous rappeler la déclaration de Gisevius au sujet d’un mot de Gördeleremployé les méthodes de Talleyrand ?
Je ne connais pas particulièrement les méthodes de Talleyrand, mais en tout cas je me suis camouflé.
A ce propos, puis-je lire brièvement un passage de l’affidavit de Schniewind qui a été cité à plusieurs reprises, document Schacht n° 34. J’en ai souvent indiqué la page, il s’agit de la page 118 du texte allemand ; 126 du texte anglais. Schniewind dit :
« Si Schacht avait par ailleurs, à l’occasion, fait des déclarations orales ou écrites qui pouvaient laisser conclure à une identification plus poussée avec le régime de Hitler, ces propos nous étaient naturellement connus, mais presque chaque employé de la Reichs-bank et du Ministère de l’Économie du Reidi, et surtout naturellement ses collaborateurs les plus intimes, connaissaient ses pensées réelles.
« A plusieurs reprises, nous avons demandé au Dr Schacht s’il n’était pas allé trop loin dans ses déclarations. Il nous a toujours répondu qu’il était attaqué si fortement par le Parti et par les SS qu’il ne pouvait se camoufler que par des déclarations ronflantes. »
Puis-je ajouter que Schniewind était un haut fonctionnaire du ministère de l’Économie du Reich. Il a donc travaillé sous les ordres directs de Schacht.
En outre, le Ministère Public s’est référé à un affidavit de Tilly, d’après lequel vous auriez reconnu avoir été au courant des intentions agressives de Hitler. Désirez-vous vous expliquer là-dessus ?
L’affidavit du major britannique Tilly est parfaitement correct. Je lui ai dit à l’instruction, qu’en 1938, au cours des événements concernant Fritsch, et par la suite, j’avais eu la conviction que Hitler en tout cas n’éviterait pas une guerre mais qu’il nourrissait même des intentions belliqueuses. En me reportant en arrière, je me suis rappelé certaines déclarations de Hitler, et demandé pourquoi celui-ci, au cours des années, avait acquis la conviction qu’une guerre était inévitable. Et alors, comme justification, j’ai dit au major Tilly que mon impression rétrospective était que Hitler se trouvait dans le rôle de tout dictateur qui ne se défait pas de ses pouvoirs à temps, qui doit s’entourer d’une certaine auréole victorieuse vis-à-vis de son peuple, et que c’était là très probablement le développement des pensées de Hitler.
C’est la même explication que celle donnée par le prince Metternich au sujet de Napoléon ?
Oui.
Vous aviez déjà remarqué que le premier soupçon vous était venu lors de l’affaire Fritsch. Nous ne voulons pas répéter cela, car le témoin Gisevius l’a déjà exposé en détail au Tribunal. En ce qui concerne l’affaire Fritsch, je vous prie de borner vos déclarations à ce qui ne figure pas dans la déclaration de Gisevius ou qui est en contradiction avec cette déclaration. Si cela doit prendre beaucoup de temps, ce que j’ignore, je Suggérerai de faire l’interruption maintenant si le Tribunal le désire.
Je n’ai qu’une brève remarque à formuler.
Alors répondez brièvement à la question.
Oui, s’il peut le faire brièvement, qu’il réponde maintenant.
Je voudrais simplement ajouter, ce qui suit : La description de l’affaire Fritsch que Gisevius a donnée est à ma connaissance, et d’après ce que j’ai vécu personnellement, parfaitement correcte dans tous les détails. Je n’ai rien à ajouter, je n’ai qu’à la confirmer, mais je voudrais faire état d’un discours de Hitler au Reichstag, en date du 20 février 1938, qui contient une remarque qui m’avait frappé déjà à cette époque. Hitler déclare je cite ce discours d’après les Dokumente der Deutschen Politik qui ont été produits ici :
« Les changements apportés, le 4 février, dans le Cabinet du Reich et dans l’administration militaire à la suite des affaires Blomberg et Fritsch avaient pour but de renforcer notre puissance militaire le plus rapidement possible, renforcements dont les événements actuels montrent la sagesse. »
Cette réflexion a confirmé mon idée qu’un changement de politique pacifique en politique belliqueuse s’opérait ouvertement de la part de Hitler, et je voulais ne pas omettre d’indiquer cela, afin de compléter l’image donnée par Gisevius.
C’est le document n° 28 de notre livre, page 81 du texte anglais, page 74 du texte allemand. Ce passage est donc cité maintenant.
Très bien. Le Tribunal va suspendre l’audience pendant dix minutes.
Il a été question ici de nombreuses réunions où Hitler aurait exprimé des vues belliqueuses. Avez-vous assisté à ces réunions ?
Je n’ai assisté à aucune.
Comme vous nous l’avez déjà dit, vous avez été, sur bien des points, d’un avis contraire à celui de Hitler et du Parti. Est-ce que vous avez eu l’occasion d’exprimer cet avis, ou vous êtes-vous toujours conformé aux instructions de Hitler ? Est-ce que vous pouvez parler particulièrement de votre attitude critique, en ce qui concerne la question juive, celles des Églises, de la Gestapo, des francs-maçons, etc.
Je voudrais tout d’abord dire ceci : Hitler ne m’a jamais donné un ordre ou une directive qui fût contraire à mes vues. Je n’ai jamais fait quoi que ce soit qui fût contraire à ma conscience. Dès le début, même vis-à-vis de Hitler personnellement, et non seulement dans le cercle de mes amis et dans les autres cercles du Parti, mais vis-à-vis de l’opinion publique, j’ai exprimé ouvertement ma conviction sur toutes les questions que vous venez de traiter. J’ai déjà dit ici même, que dès après l’épuration du Parti, du 30 juin 1934, j’ai fait observer à Hitler l’illégalité de ses actions. Pour la suite, je me réfère à un document qui malheureusement n’a été produit ici par le Ministère Public que pour moitié. Il s’agit d’un rapport écrit que j’ai remis personnellement à Hitler, le 3 mai 1935. Je me rappelle cette date très exactement, parce qu’elle se place au cours d’un voyage d’essai du Lloyd Steamer Scharnhorst, où je me trouvais avec Hitler. Ce jour-là, je lui ai remis deux mémorandums, ces deux mémorandums n’en formaient à vrai dire qu’un. Il traitait dans une première partie de mon intention d’arrêter les collectes incessantes d’argent des diverses organisations du Parti. Je voulais les stopper parce qu’il me semblait que l’argent ne devait pas être utilisé pour des buts de parti, pour des installations, des constructions, etc., mais que nous en avions besoin, pour les dépenses de l’État qui devaient être payées et parmi lesquelles se trouvaient, cela va sans dire, les dépenses du réarmement.
La deuxième partie de ce document traitait des questions culturelles. La Défense et moi-même nous sommes efforcés d’obtenir du Ministère Public cette dernière partie, étant donné qu’il avait déposé la première en preuve. Il ne nous a pas été possible de l’obtenir ; voilà pourquoi je dois me borner à en donner ici le contenu.
Je dois dire au préalable, que je ne pouvais présenter à Hitler mes réserves quant à la politique culturelle de Hitler et du Parti que lorsqu’un motif de mon ressort me donnait une justification légitime qui me permit de le faire. Si j’ai fait ces représentations, c’est avec le prétexte que ma politique de commerce extérieur serait gravement compromise par la politique inhumaine, arbitraire sur le plan de la culture et du droit, entreprise par Hitler. J’ai insisté tout particulièrement sur l’hostilité grandissante de l’Église ; j’ai également insisté sur le traitement illégal des Juifs et encore et surtout sur l’illégalité absolue et le despotisme du régime de la Gestapo tout entier. Je me rappelle avoir fait allusion à l’acte anglais de l’Habeas Corpus qui protège les droits de l’individu depuis des siècles et j’ai eu l’occasion d’exprimer que la violence de la Gestapo était quelque chose qui nous rendrait méprisables à la face du monde. J’ai dit cela textuellement.
Aussitôt, à bord du Scharnhorst, Hitler lut les deux parties de ce mémorandum, il me convoqua aussitôt après, et essaya de m’apaiser avec des explications semblables à celles qu’il m’avait déjà données en juillet 1934, disant qu’il s’agissait de symptômes passagers du développement révolutionnaire, et que par la suite cela allait se calmer et disparaître.
Toutefois, les événements du mois de juillet 1934 m’avaient rendu méfiant, et ses explications ne m’apaisèrent pas.
Quelques semaines plus tard, le 18 août 1935, je fis une visite à la Foire de l’Est à Kœnigsberg ; j’en profitai pour mentionner à nouveau ces faits, au cours d’une allocution prononcée là-bas, j’y ai exprimé en toute exactitude, les mêmes réserves que j’avais faites à Hitler personnellement à bord du Scharnhorst.
Je n’ai pas seulement traité ici de la question juive, de celle des églises, du despotisme, mais aussi du traitement des francs-maçons et je citerai seulement quelques phrases de ce discours avec la permission du Tribunal. Je serai bref, je parle de gens et je cite...
Un instant. Monsieur le Président, c’est le discours de Kœnigsberg que j’ai déposé devant le Tribunal ce matin comme pièce à conviction.
« ...de gens qui nuitamment se mettent à barbouiller « héroïquement » des devantures, qui considèrent tout Allemand achetant dans des magasins juifs comme un traître à son peuple, qui déclarent que tous les anciens francs-maçons sont des vauriens et qui mènent la guerre contre des prêtres et des pasteurs, qui font de la politique et qui ne peuvent faire la différence entre la religion et le mauvais usage de la chaire. »
Je cite une autre phrase :
« Aujourd’hui comme hier, d’après la légalité et selon les déclarations faites par l’adjoint du Fuhrer, le ministre de l’Intérieur du Reich, le ministre de l’Éducation et de la Propagande du Reich, sans parler du ministre du Commerce, les magasins juifs ont le droit d’exercer leur activité commerciale. »
Et une dernière phrase :
« Personne en Allemagne n’est dépourvu de son droit. D’après l’article 4 du programme national-socialiste, le Juif ne saurait être ni citoyen, ni ressortissant national, mais l’article 5 du programme du Parti prévoit pourtant pour lui une législation, c’est-à-dire qu’il n’a pas le droit d’être soumis à l’arbitraire, mais il doit être soumis à la loi. »
J’ai observé et exprimé cette même attitude à toutes les occasions qui se sont présentées.
Dr Schacht, est-ce que le régime a laissé passer ce discours sans plus ?
Il est bon que vous me le rappeliez car à propos du discours de M. von Papen à Marburg, mentionné dans le témoignage de M. Gisevius, la même question a été posée. Étant donné que mes discours n’étaient pas soumis au préalable à la censure il va sans dire que je ne l’aurais pas admis ce discours-là passa par le plus grand des hasards, si je puis dire, par la radio allemande.
Le ministre de la Propagande, Goebbels, eut son attention attirée par lui et il interdit aussitôt d’en faire reproduire le texte dans la presse. Par conséquent, ce discours a été transmis par la radio allemande mais n’a paru dans aucun journal.
Heureusement, étant donné que la Reichsbank disposait d’une imprimerie qui lui était propre, et qui bien entendu n’était pas astreinte à la censure, j’ai fait imprimer mon discours à l’imprimerie de la Reichsbank en 250.000 exemplaires. Il a été diffusé à travers toutes les succursales de la Reichsbank dans le pays, et c’est ainsi que la population tout entière a pu en prendre connaissance.
Je vous en prie, vous vouliez poursuivre ?
Oui, je voulais poursuivre en disant qu’à toutes les occasions qui se présentaient, occasions que je recherchais à proprement parler, je revenais sans cesse sur ce point. Je voudrais simplement mentionner deux faits ici : Ce matin déjà, j’ai fait allusion à la lettre écrite par moi le 24 décembre 1935 au ministre de la Guerre du Reich et je ne voudrais plus maintenant qu’ajouter une citation et appeler sur elle votre attention : « Le traitement économique et juridique des Juifs, le mouvement contre les églises de certaines organisations du Parti et le despotisme légal qui s’attache à la Gestapo rendent difficile notre programme d’armement. »
D’un procès-verbal du petit Conseil de Cabinet en date du 12 mai 1936 qui a été versé aux débats par le Ministère Public se dégage la même attitude ; ce procès-verbal dit textuellement, je cite :
« Le Dr Schacht a de nouveau répété à plusieurs reprises qu’il fallait mener une politique culturelle et juridique n’allant pas à rencontre de l’économie. »
Je parlais toujours en tant que ministre de l’Économie, et je reliais mon argumentation au travail des services du Ministère. Et comme dernier exemple, à côté de bien d’autres que je ne suis pas à même de présenter aujourd’hui, je cite une allocution prononcée par moi au cours d’une fête d’apprentis dans le cadre de la Chambre artisanale berlinoise, le 11 mai 1937 :
« Aucune communauté et encore moins aucun État ne peut prospérer s’il n’est pas basé sur la légalité, l’ordre et le droit. »
Et une autre phrase :
« Voilà pourquoi vous devez non seulement observer vous-mêmes le droit et la loi, mais encore vous élever contre l’injustice, l’illégalité, partout où vous les rencontrez. »
Ainsi, parce que cette attitude était connue, non seulement dans le cercle intime de mes amis, mais par toutes les occasions de ma vie publique, le chef du Département III du Service de Sécurité, le témoin Ohlendorf, m’a désigné ici même comme un ennemi du Parti, tout au moins depuis l’année 1937-1938. Et je crois que le Chef du département de l’Intérieur du même service était aussi au courant, car c’est à lui qu’il incombait de combattre les adversaires politiques de l’intérieur.
Je fais remarquer que le procès-verbal du Conseil de Cabinet du 12 mai 1936 se trouve dans mon livre de documents n° 20, page 51 du texte allemand, page 57 du texte anglais. Et le discours de Schacht à la Chambre de Commerce et d’industrie du 12 mai 1937...
Vous voulez dire à la Chambre artisanale.
J’y reviendrai tout à l’heure quand j’aurai la référence exacte. Je poursuis au sujet de votre participation au Congrès du Parti et voudrais vous demander si vous avez participé à d’autres réunions du Parti ?
Je n’ai jamais, que je sache, pris part à d’autres réunions du Parti.
Le Ministère Public vous accuse en substance d’avoir usé de votre influence personnelle et de vos étroites relations avec le Führer pour les buts exposés. Est-ce qu’en toute conscience vous avez exercé une influence quelconque sur le Führer ?
En ce qui me concerne personnellement, malheureusement, je n’ai jamais eu d’influence sur l’activité ni sur les décisions du Führer ; j’ai eu une influence uniquement dans la mesure où il n’osait pas s’immiscer dans ma politique financière et économique. D’autre part, il a été beaucoup question de l’absence de toute possibilité d’influence sur Hitler, de la part de tous les témoins ici ; ils en ont tant parlé que je ne voudrais pas prendre le temps du Tribunal en insistant encore là-dessus.
Ce que vous venez de dire vaut surtout pour la question de savoir quelle était l’influence du Cabinet du Reich, des dernières séances de ce Cabinet, etc. Beaucoup de témoins ont déjà fait des dépositions à ce sujet. Avez-vous quelque chose de nouveau à dire ?
Je ne puis qu’ajouter d’une façon générale, que le Cabinet du Reich n’exerçait pas la moindre influence sur Hitler et qu’à partir de novembre 1937, comme on l’a dit ici, il n’y a pas eu de réunions de ce Cabinet. Le Cabinet du Reich constituait un groupement sans aucun lien entre ses membres, et se composait uniquement de ministres chargés de différents services, mais sans que ce fût un Conseil proprement dit.
Je désire ajouter que le discours tenu à la Chambre artisanale porte le n° 30 ; page 89 du texte anglais, 82 du texte allemand. (A l’accusé) Parlez-moi de l’armement ; qui avait compétence et droit de décision pour l’ampleur du réarmement ?
Je n’ai aucune donnée à ce sujet, mais je ne doute pas qu’ici, seule comptait la volonté de Hitler.
Vous n’aviez donc d’autre influence que celle du bailleur de fonds ?
Tant que j’ai administré ces services et dans mon ressort, je n’ai rien fait dont je ne puisse prendre personnellement toute la responsabilité.
Est-ce que vis-à-vis des personnalités étrangères représentatives, vous avez eu l’occasion de parler de votre manque d’influence sur Hitler ?
Je me rappelle à ce propos une conversation avec l’ambassadeur Bullitt en novembre 1937. Cet entretien avec l’ambassadeur Bullitt, on y a déjà fait allusion à un autre propos, et le mémorandum de cet ambassadeur est déposé comme preuve par l’Accusation. Je ne ferai allusion dans ce document qu’à une phrase qui se rapporte à moi. Je cite :
« Lui c’est-à-dire Schacht a commencé ces déclarations par ces mots, qu’aujourd’hui lui-même était entièrement sans influence sur l’homme c’est-à-dire sur Hitler. Il semblait se considérer comme « liquidé » politiquement et avoir fort peu de respect pour l’homme en question. »
Cela a été dit en novembre 1937, mais je voudrais vous prier de pouvoir ajouter encore, en ce qui concerne ma position et toute mon activité dans la direction des destinées publiques de l’Allemagne que mes amis étrangers, comme je l’ai déjà dit, ont été constamment au courant de tout cela, et cela pourra probablement être prouvé dans la suite, par l’un ou l’autre exemple.
J’ai déposé ce matin le document Schacht 22 ; page 64 du texte anglais. (A l’accusé). Maintenant, quelques questions particulières à propos de votre qualité de ministre de l’Économie. Vous avez déjà parlé de l’acquisition de matières premières étrangères, vous avez cité certains documents, est-ce que d’après vous on ne pouvait pas remplacer ces matières premières par des produits venus de l’intérieur de l’Allemagne ?
Une partie des matières premières pouvait certainement être remplacée par des productions intérieures. Nous avons appris à créer toute une série de succédanés que nous ignorions auparavant...
Soyez bref.
A créer synthétiquement des succédanés de matières premières, mais une grande partie de ces matières premières n’était pas remplaçable et ne pouvait nous parvenir qu’au moyen du commerce extérieur.
Et quel était votre point de vue en ce qui concerne l’autarcie ?
En ce qui concerne l’autarcie, je pensais que si, moyennant des frais raisonnables, c’est-à-dire sans dépenses excessives qui eussent représenté le gaspillage de la fortune publique et de la main-d’œuvre allemande, on avait pu produire certains succédanés en Allemagne, on devait le faire, mais que d’autre part, le maintien du commerce extérieur était une nécessité absolue d’un point de vue économique ; bien plus, c’était une nécessité encore plus grande pour des raisons d’échanges intellectuels internationaux, et pour la vie en commun des peuples. J’ai toujours considéré l’isolement des peuples les uns des autres comme une grave erreur et j’ai considéré en premier lieu le commerce et les affaires comme un des moyens d’arriver à une vie en commun sur le plan international.
Qui était le représentant de l’idée d’autarcie à l’intérieur du Gouvernement du Reich ?
Dans la mesure où je puis le dire, cette idée d’autarcie qui s’est exprimée ensuite dans le Plan de Quatre ans, a toujours été celle de Hitler seul. Après la création d’une direction du Plan de quatre ans et la nomination de Göring à cette direction, celui-ci a également suivi cette voie, bien entendu.
Est-ce que vous avez exposé vos points de vue à Hitler et à Gôring ?
Je crois l’avoir fait à toutes les occasions ; cela ressort du procès-verbal.
Une question incidente : vous vous rappellerez peut-être que Göring s’est exclamé ici : « Je voudrais demander où étaient les négateurs, les hommes qui disaient « non » en Allemagne. » Est-ce que vous acceptez ce titre d’honneur de « négateur » ? Je vous rappelle en particulier votre lettre à Göring, datée de novembre 1942.
A partir du moment où je n’ai plus été en mesure de faire quelque chose qui soit en accord avec ma conscience, j’ai toujours dit « non ». Et quant aux nombreuses exactions, aux excès du Parti, je ne les ai pas soufferts en silence ; chaque fois que j’ai pu je me suis exprimé contre ces excès, dans le privé, officiellement et ouvertement ; à cela, j’ai opposé un « non ». Je me suis opposé à la politique, je me suis opposé à un réarmement excessif, je me suis opposé à la guerre ; j’ai fait des démarches pour empêcher la guerre. Je ne connais personne à qui ce titre d’honneur de négateur pourrait être attribué, sinon à moi.
Est-ce que vous n’avez pas prêté serment à Hitler ?
Je n’ai pas prêté serment à un certain M. Adolf Hitler, j’ai prêté serment à Adolf Hitler en tant que Chef de l’État, du peuple allemand et de la même façon je n’ai pas prêté serment au Kaiser ou à M. le Président Ebert ou à M. le Président Hindenburg, si ce n’est en leur qualité de Chef de l’État. Je n’ai pas prêté serment à Adolf Hitler autrement. Le serment que j’ai prêté au Chef d’État allemand ne valant pas pour la personne de ce chef d’État, mais pour ce qu’il représentait, c’est-à-dire pour le peuple allemand.
Je voudrais encore ajouter un mot à ce propos ; je ne tiens jamais un serment de fidélité à un parjure et Hitler s’est avéré un parjure cent pour cent.
Göring a insisté à propos du Plan de quatre ans, ses origines, sa préparation, ses divergences techniques avec vous. Il a dit les conclusions que vous aviez tirées de ces oppositions. Nous voulons être bref ; avez-vous quelque chose à ajouter à ce propos ? Avez-vous à ajouter aux déclarations de Gôring dans la mesure où vous vous êtes écarté de lui ?
Non, je dois dire que Göring a énoncé les faits d’une façon absolument correcte. Je ne vois pas autre chose à dire, à moins que vous n’en jugiez autrement.
Quand Hitler reconnut-il, d’après vous, que vous constituiez un obstacle à un armement rapide et important ? Reconnut-il la valeur de vos arguments économiques ? Se déclara-t-il ou non, content de votre politique ?
A cette époque, en 1936, lorsque le Plan de quatre ans fut introduit en septembre, il ne m’a pas été possible de reconnaître quelle était la pensée intime de Hitler vis-à-vis de moi dans ces questions de politique économique.
Je remarque que sa méfiance générale à mon égard était un fait certain depuis mon discours de Kœnigsberg au mois d’août 1935, mais quant à son attitude vis-à-vis de ma politique économique, je ne pouvais pas encore la voir exactement en 1936.
Le fait que je n’aie pas eu la moindre part aux travaux préparatoires du Plan de quatre ans, mais qu’il ait été pour moi une surprise lorsque j’en ai appris l’existence au Congrès du Parti et celui qu’à ma vive surprise Hermann Göring ait été nommé chef de ce Plan et non pas le ministre de l’Économie ce que j’ai également appris au Congrès en septembre 1936 m’ont permis de conclure qu’en ce qui concernait le domaine de la politique économique et ses relations avec toute la question de l’armement, Hitler n’avait pas pour moi le degré d’entière confiance qu’il jugeait devoir éprouver pour le détenteur de ce poste. Mais par la suite, ici en prison, mon co-accusé Speer m’a montré un mémorandum datant du mois d’août 1936, qu’il avait reçu de Hitler au moment de la prise de possession de son poste de ministre, et qui traite en détail, chose étrange, du Plan de quatre ans et de mon activité.
Au mois d’août 1936 par conséquent, Hitler a dicté personnellement ce mémorandum dont j’ai eu connaissance ici en captivité, par l’intermédiaire du ministre Speer qui est mon co-accusé et qui me l’a montré ; je pense que vous me permettrez de donner lecture de certains de ses passages.
Je voudrais fournir une explication au Tribunal, à propos de ce mémorandum. Il y a environ trois semaines, nous en avons reçu l’original du commandant du camp Dustbin, grâce à l’obligeance du Ministère Public. Nous l’avons donné à traduire pour pouvoir le déposer devant le Tribunal. La traduction n’en étant pas terminée, je produirai ce document avec un nouveau numéro dès que ce sera possible.
Est-ce qu’une requête a été présentée au sujet de ce document ?
Non, aucune requête n’a été présentée jusqu’ici.
De quel mémorandum s’agit-il ? Qui l’a rédigé ?
C’est un mémorandum de Hitler, de l’année 1936. Il en existe trois copies, dont l’une se trouvait au camp Dustbin. Cette copie ne nous est parvenue qu’il y a quinze jours ou trois semaines, après la discussion de nos livres de documents avec le Ministère Public. J’avais l’intention de déposer ce document mais malheureusement cela ne m’est pas possible, car la traduction n’en est pas encore terminée ; on a d’ailleurs dit à un de mes collègues, le professeur Kraus, qu’elle avait été retardée par une erreur de destination.
Faites continuer l’accusé, et vous pourrez présenter et déposer le document plus tard.
Bien. L’accusé a une copie et il pourra donner lecture, brièvement de passages importants.
Je citerai rapidement quelques passages. Dans ce mémorandum, Hitler dit notamment ; je cite textuellement :
« Il n’appartient pas aux institutions économiques d’État de se casser la tête sur les méthodes de production. Cela n’a rien à voir avec le ministère de l’Économie. »
Le ministère de l’Économie était placé sous ma direction ; il s’agit donc d’une remarque contre moi. Autre citation :
« Il est nécessaire d’augmenter la production du fer allemand et cela d’une façon substantielle. Le prétexte que nous ne sommes pas en mesure de tirer du minerai allemand qui ne contient du fer qu’à 26% le même fer bon marché que nous obtenons du minerai suédois qui en possède 45% est sans importance et l’idée que tous les hauts-fourneaux allemands devraient être transformés est une futilité. En tout cas, ceci ne concerne en aucune façon le ministère de l’Économie. »
J’avais expliqué, comme il ressort de ce mémorandum, qu’avec du minerai à 26 % on supporte des dépenses trois fois plus élevées que pour tirer du fer d’un minerai à 45 %, que les installations devaient être absolument différentes et beaucoup plus coûteuses que pour l’obtention du minerai à 45%. Mais Hitler déclara que cela ne concernait en aucune façon le ministère de l’Économie, ce qui veut dire, M. Schacht.
Voici une dernière citation très brève : « Je voudrais insister à ce propos sur le fait qu’en cette tâche, seule est possible une mobilisation économique et non un étranglement des usines de guerre. »
Cette citation est également dirigée contre ma politique.
Nous en arrivons maintenant à l’époque des divergences avec Hermann Göring et de la tension avec Hitler à propos de votre activité de ministre de l’Économie. Qu’en était-il à cette époque de votre idée d’abandonner le ministère que vous occupiez ? Quelles possibilités aviez-vous de démissionner ?
Ne répétez, pas les déclarations du Dr Lammers et d’autres témoins sur l’impossibilité de démissionner d’un ministère ; je voudrais seulement savoir ce que vous avez fait à cet égard dans votre cas particulier.
J’ai essayé d’abord de poursuivre ma politique économique, bien que Göring eût, naturellement essayé avec le Plan de quatre ans, de résoudre personnellement le problème économique ; mais, j’ai profité de l’immixtion de Göring dans le domaine de ma compétence au ministère de l’Économie, pour obtenir ma libération de ce département ; ceci se passait au début d’août 1937.
J’ai exposé très brièvement mes intentions à Hitler en disant que, si je devais avoir la responsabilité de la politique économique, je voulais également en avoir le commandement, mais que si je n’avais pas ce commandement je ne désirais ni supporter une responsabilité ni en accepter aucune. La lutte pour ma démission, que j’ai conduite parfois avec des moyens très brutaux, a duré environ deux mois et demi, jusqu’au jour où j’ai pu décider Hitler à me l’accorder s’il ne voulait provoquer un conflit, plus violent et pénible qu’il n’était déjà.
Voulez-vous dire par « moyens brutaux » une certaine « grève assise » ? A ce sujet, je désire soumettre au Tribunal sous le n° Schacht-40, un affidavit figurant dans le troisième volume de mon livre de documents et émanant d’un collaborateur du Dr Schacht au ministère de l’Économie, le Dr Asmis. Cette déclaration se trouve page 180 de l’édition anglaise. Je voudrais en citer un bref passage :
« Mais, étant donné que cette lutte a été sans succès, Schacht, en automne 1937, c’est-à-dire bien longtemps avant le début de la guerre en a tiré les conséquences, et a mené une lutte en vue de son licenciement de sa qualité de ministre de l’Économie. Mais une démission normale, ne pouvait évidemment pas lui être accordée car, pour des raisons compréhensibles de prestige, le Parti tenait à son nom. C’est ainsi que pendant plusieurs semaines il se tint à l’écart du ministère ; il fit la « grève assise » comme on l’a dit en matière de plaisanterie et se borna à assurer son service à la Reichs-bank. »
Docteur Dix, est-il nécessaire de discuter sur ces détails ? On ne conteste pas tout cela ; ce que l’on essaye de savoir, c’est pourquoi il a continué à être ministre. Le Ministère Public a fourni des preuves à cet égard et au sujet du conflit qui opposait Göring et Schacht. Pourquoi discutez-vous de ces détails au sujet de la « grève assise » ? A quoi bon ? Cela n’intéresse pas le Tribunal.
Il n’est pas resté ministre à cette époque, il est parti.
Je croyais qu’il était resté ministre jusqu’en 1943.
Sans portefeuille, oui, naturellement.
Je n’ai pas dit « ministre avec portefeuille » mais « ministre. »
Oui, évidemment mais il y a une différence. J’aurai à y revenir par la suite. Je voulais dire ministre en activité ; c’est un malentendu. De toute façon, j’en ai fini avec cette question. Je voulais simplement montrer combien il était difficile de démissionner. (A l’accusé.) Revenons maintenant à la façon dont vous avez obtenu votre liberté. Avez-vous ou non quelque chose à ajouter aux déclarations du Dr Lammers ?
Je crois qu’il serait bon que je fasse part au Tribunal d’une information ; il s’agit d’une communication qui m’a été faite ici en prison par l’accusé Speer qui a été témoin de la discussion entre Hitler et moi, au cours de la conférence décisive où j’ai obtenu ma démission. Si le Tribunal le permet, je lui donnerai lecture de cette communication qui tient en deux ou trois phrases. M. Speer m’a dît ceci : « Je me trouvais sur la terrasse du Berghof à l’Obersalzberg et j’attendais de pouvoir présenter mes projets d’urbanisme. C’était au cours de l’été 1937 et Schacht arrivait au Berghof. Sur la terrasse... »
Speer est présent dans cette salle. Je ne sais pas si un accusé peut témoigner au sujet d’un autre accusé ; il semble que ce soit très commode de produire un témoignage sans possibilité de contre-interrogatoire, mais j’estime que cela n’a pas de valeur probatoire et j’élève des objections contre cette méthode. L’accusé Speer est dans la salle ; il pourra prêter serment et témoigner. Il est présent et disponible.
Quel était l’objet delà conversation ?
L’objet de cet entretien concerne l’accusé Schacht. Il s’agit d’un propos de Hitler sur Schacht. Ce n’est pas une question qui concerne l’accusé Speer, c’est pourquoi je la considérais comme opportune et je pensais que, étant donné qu’il s’agissait de lui, Schacht pouvait faire une déclaration. Il est évident que je trouve préférable qu’il ne donne pas lecture de ce que Speer lui a écrit, mais qu’il raconte simplement au Tribunal l’entrevue Hitler-Schacht et qu’il dise ensuite : « Je l’ai appris par Speer ». J’ai l’impression que cette façon d’agir est la meilleure.
Très bien, Docteur Dix. Alors, dans ce cas-là ne lisez pas, mais racontez ce qui s’est passé.
Il me semble que cette façon de procéder soit encore plus sujette à critique ; si nous devons avoir le témoignage de Speer, que ce soit le sien et non pas une répétition de la conversation entre deux accusés. Si Speer a fait une déclaration écrite, cette déclaration pourra nous être soumise, suivant la procédure normale. C’est le second document que nous n’aurons pas eu le privilège de voir avant qu’il soit utilisé ici. Il me semble que si c’est un document signé par Speerce que je ne crois pas nous pouvons le voir et nous pourrons peut-être l’utiliser ; si c’est une conversation, je préférerais la version de Speer.
Puis-je ajouter quelque chose ? Cette question de procédure ne me paraît pas fondamentale ; on peut la discuter lorsqu’on en viendra au cas de Speer. Je ne sais pas si Speer sera appelé en qualité de témoin, probablement que oui ; évidemment je m’en remets à la décision du Tribunal ; j’aurais mieux aimé qu’on en discute maintenant, mais je rappelle que ce n’est pas une question capitale pour moi.
Le Tribunal permet ce témoignage, Docteur Dix. Alors sans le lire, décrivez l’incident.
Speer a entendu avec les autres personnes présentes, la conversation qui eut lieu sur la terrasse ; la discussion se poursuivait très bruyamment ; à la fin de la conversation, Hitler...
Un moment... Très bien, Docteur Dix, continuez.
A la fin de cet entretien, Hitler est sorti sur la terrasse et a dit à son entourage et notamment à Speer, qu’il venait d’avoir une discussion très dure avec Schacht, qu’il ne pouvait pas collaborer avec lui car Schacht dérangeait ses plans financiers. C’est tout.
Après votre démission de ministre de l’Économie, vous êtes devenu Président de la Reichsbank ? Avez-vous été sollicité par Hitler ou par le ministre des Finances en qualité de président de la Banque et vous a-t-on demandé des crédits ?
Après que la Reichsbank eut cessé les crédits, le 31 mars 1938, il va sans dire que les demandes d’argent de la part du ministre des Finances devinrent plus pressantes. A la fin de l’année, il n’était même pas à même de tirer de sa propre caisse les émoluments de ses fonctionnaires. Il vint donc me voir et me pria de lui accorder un crédit à titre exceptionnel. Selon ses statuts et son règlement, la Reichsbank avait le droit et jusqu’à un certain point, l’obligation d’accorder au Reich un crédit de 400 millions par an. Le ministre des Finances du Reich les avait obtenus, mais il demandait des crédits supplémentaires. La Reichsbank lui refusa et le ministre des Finances du Reich fut obligé de s’adresser à des banques privées ; c’est ainsi qu’il parvint à obtenir un crédit de quelques centaines de millions de Mark par le concours de toutes les grandes banques. Mais la Reichsbank n’a pas participé à l’octroi de ces crédits.
Dr DIX. Si vous avez refusé ces crédits, en tant que Président de la Reichsbank, il est évident qu’il ne restait plus que la planche à billets. Est-ce que Hitler ou quelqu’un d’autre ne vous a jamais proposé de faire fonctionner la planche à billets ?
Après les événements de 1938, je me suis encore rendu en décembre à Londres, pour une conférence sur le financement ordonné de l’émigration juive en provenance d’Allemagne, financement que j’avais moi-même suggéré. J’ai eu alors l’occasion de parler au Premier Ministre Chamberlain. J’arrivai le 2 janvier 1939 au Berghof à Berchtesgaden pour rendre compte à Hitler de ces faits.
A cette occasion, nous avons discuté, bien entendu, des besoins financiers du Reich. Je refusai tous crédits à l’État, maintenant comme par le passé, et j’attirai l’attention du Führer sur les grosses difficultés de la situation financière qui nécessitait ou qui aurait dû nécessiter, une réduction des dépenses de l’État et par conséquent aussi des dépenses en armement. Je soulignai en particulier qu’au début de décembre, le premier acompte de ce qu’on avait appelé l’amende juive, les paiements à effectuer par les Juifs en guise de représailles à la suite de l’assassinat de M. vom Rath à Paris et qui représentaient un montant de 250 millions de Mark somme qui avait été encaissée au début de décembre n’avait pas été versée entièrement en espèces, mais que le ministre des Finances du Reich avait été forcé d’accepter une grande partie de cette amende en nature, « in kind », comme on dit en anglais. Il était impossible d’avoir assez d’argent liquide pour ce versement. Hitler me répondit :
« Ces biens peuvent être négociés ; on peut émettre des billets en contrepartie. »
« J’ai réfléchi avec beaucoup de soin à notre politique financière à venir et lorsque je rentrerai à Berlin dans quelques jours, dit Hitler, je vous parlerai de mes plans en présence du ministre des Finances. » Je compris aussitôt que Hitler avait maintenant l’intention de faire fonctionner la planche à billets pour couvrir ses dépenses, avec ou sans la couverture nécessaire, mais en tout cas contre certaines valeurs. Le danger de l’inflation était donc imminent, et comme je reconnus aussitôt que c’était là que je devais mettre un frein, je répondis que la Reichsbank adresserait à Hitler un mémorandum en vue de cette conférence commune avec le ministre des Finances, mémorandum dans lequel serait exposée la position de la Reichsbank vis-à-vis de ces problèmes.
Après cela, je rentrai à Berlin informer mes collègues de la direction de la Reichsbank ; nous constatâmes à notre grande satisfaction, que nous avions là l’occasion de nous dissocier définitivement de cette sorte de politique. Le mémorandum que le directoire de la Reichsbank adressa alors à Hitler est daté du 7 janvier. Je crois que le Ministère Public l’a également déposé.
Pour caractériser ce que le directoire de la Reichsbank a exposé à Hitler en ce qui concerne les dépenses ultérieures de l’État et en particulier les dépenses concernant le désarmement, je demande l’autorisation de citer deux phrases très brèves de ce mémorandum :
« La monnaie est menacée d’une manière décisive par les dépenses effrénées de l’État et l’inflation constante de ces dépenses s’oppose à l’établissement d’un budget normal et ordonné malgré l’augmentation des impôts ; elle mène l’État au bord de l’abîme, et partant, amène le bouleversement, démolit le prestige de la banque d’émission et met en danger la circulation fiduciaire.
Et plus loin : « Si, pendant les deux grandes opérations de politique étrangère, en Autriche et dans le pays des Sudètes, une augmentation des dépenses publiques était nécessaire, le fait qu’après leur achèvement, une limitation des dépenses ne s’est pas manifestée, mais que tout indique au contraire qu’un nouvel accroissement est prévisible, nous oblige à attirer l’attention sur les conséquences monétaires qui en découlent. Les soussignés, directeurs de la Reichsbank sont prêts à coopérer de toute leur énergie aux buts élevés qui ont été fixés, mais ils déclarent que maintenant il faut à tout prix s’arrêter. »
Dr DIX.Ce document a déjà été présenté par le Ministère Public sous le numéro EC-369 ; je le présente maintenant sous le numéro 24 de notre livre de documents, page 70 du texte anglais, 63 du texte allemand. A propos de ce document, je poserai encore plusieurs questions à Schacht par la suite, mais je crains qu’aujourd’hui nous n’en ayons plus le temps.
Il vaudrait mieux que vous le lisiez demain si c’est absolument nécessaire, mais croyez-vous que ce soit très important ?
Oui.
Docteur Siemers ?
Oui, Monsieur le Président,
Pouvez-vous nous dire si vos extraits sont les mêmes que les extraits qui ont été refusés dans le cas de l’accusé Ribbentrop ?
J’ai établi la comparaison et je vais la soumettre au Tribunal par écrit. Certains documents sont identiques ; d’autres ne concordent pas, d’autres manquent. Je l’ai précisé dans ce mémoire.
Merci. L’audience est levée.