CENT DIX-NEUVIÈME JOURNÉE.
Jeudi 2 mai 1946.
Audience de l’après-midi.
Nous avons parlé précédemment du 20 juillet. Vous rappelez-vous une déclaration de Hitler à votre sujet, en ce qui concerne ce 20 juillet ?
L’accusé Speer était présent et m’en informa, lorsque Hitler transmit à son entourage mon ordre d’arrestation, le 22 juillet 1944. A cette occasion, il fit à mon sujet des déclarations très défavorables, disant que j’avais beaucoup gêné la réussite de son programme d’armement par mon attitude négative et qu’il aurait mieux fait de me faire fusiller dès avant la guerre.
J’en viendrai maintenant, pour terminer, à quelques questions récapitulatives et d’ordre général.
A l’intérieur de l’Allemagne et à l’étranger se sont fait entendre certaines opinions et le Ministère Public, en reconnaissant vos capacités intellectuelles ainsi que les services que vous avez rendus, laisse entendre qu’il est incompréhensible qu’un homme aussi intelligent que vous n’ait pas vu à temps ce qu’était vraiment Hitler et quelles étaient ses intentions. Voulez-vous vous expliquer à ce sujet ?
J’aurais beaucoup aimé faire la connaissance de ceux qui me jugent ainsi à une époque où cela pouvait encore être utile. Ce sont de ces gens qui, après coup, ont toujours su à l’avance ce qui devait se passer. Je ne puis que constater ceci : de 1920 jusqu’à la prise du pouvoir par Hitler, j’ai toujours essayé d’influencer l’Allemagne et l’étranger, dans un sens qui aurait évité l’apparition et l’arrivée au pouvoir d’un Hitler. J’ai conseillé à l’Allemagne de faire une politique d’économies financières : on ne m’a pas écouté. J’ai continuellement averti l’étranger de mener une politique économique donnant au peuple allemand une possibilité d’existence : on ne m’a pas écouté bien qu’on me considérât — comme il apparaît maintenant — comme un homme intelligent et clairvoyant. Hitler arriva au pouvoir parce qu’on n’avait pas écouté mes conseils ; le peuple s’est trouvé entraîné dans un désastre économique sans issue, et ni l’Allemagne...
Monsieur le Président, depuis deux jours nous sommes obligés d’écouter les déclarations diffuses de l’accusé Schacht et j’ai l’impression que les explications qu’il donne à l’heure actuelle ne correspondent pas de manière précise aux faits que l’Acte d’accusation lui reproche ; ce ne sont que des discours qui, me semble-t-il, ne font qu’allonger les débats.
Docteur Dix, le Tribunal est, à mon avis, pleinement informé du cas de l’accusé Schacht ; nous ne voulons pas l’empêcher de se défendre de manière complète ; mais nous aimerions que l’accusé, et vous-même, puissiez abréger le plus possible.
Votre Honneur, je pense que j’en aurai terminé à la suspension d’audience peut-être même avant. Mais je vous prie de considérer qu’on reproche à l’accusé d’avoir aidé à la prise du pouvoir ; la question est donc celle-ci : Comment se fait-il que...
Je ne disais pas que ce témoignage n’était pas recevable. Je vous demandais simplement d’aller le plus vite possible.
Continuez donc, Docteur Schacht, mais tenez compte du désir du Ministère Public soviétique, dans la mesure du possible.
Je serai le plus bref possible. Je n’entrerai pas dans les détails ; je constate simplement qu’à la suite de l’effondrement de 1918 et des stipulations malheureuses du Traité de Versailles, l’Allemagne s’est trouvée dans une situation très grave, que les partis démocratiques qui détenaient fermement le pouvoir à cette époque n’étaient pas capables de provoquer un changement de la situation, et que l’étranger ne vit pas quelle politique il lui fallait adopter vis-à-vis de l’Allemagne — je ne fais aucun reproche, je ne fais que constater — et qu’à la suite de cela, de cette détresse, Hitler obtînt au Reichstag une majorité telle qu’on n’en avait jamais connue de semblable depuis l’existence du Reich. Je demanderai donc à ceux qui me disent ce que j’aurais dû faire à cette époque, sans me l’avoir dit alors, et qui viennent me le dire aujourd’hui ce qu’ils auraient fait, eux. J’ai déclaré que j’étais opposé à un régime militaire, que je désirais éviter une guerre civile, et que du point de vue démocratique, je ne voyais qu’une seule solution : laisser le pouvoir à l’homme qui l’avait obtenu. J’ai dit, en outre, qu’à partir du moment où je fis cette constatation, j’ai tenté d’intervenir, non pas pour soutenir cet homme dans ses idées extrémistes, mais pour le freiner dans ces mêmes idées et pour le ramener, dans la mesure du possible, dans une ligne plus normale.
En ce qui concerne la période suivante, où vous avez reconnu le danger et où vous avez souffert vous-même des conditions insupportables de terreur et du silence imposé à l’opinion, il est, semble-t-il, permis de vous demander pourquoi vous n’avez pas émigré ?
S’il ne s’était agi que de mon sort personnel, rien n’eût été plus simple, d’autant plus que nous avons entendu dire tout à l’heure que cela m’aurait été proposé et rendu facile. Mais il ne s’agissait pas de moi. Depuis qu’en 1923 je m’étais consacré au bien public allemand, il s’agissait pour moi de l’existence de mon peuple, de mon pays. Je ne crois pas que jamais dans l’Histoire, des émigrés — je parle des émigrés volontaires, non pas des expulsés — aient en quoi que ce soit été utiles à leur pays. Ce ne fut pas le cas en 1792, lors de la Révolution française, ce ne fut pas le cas en 1917 lors de la Révolution russe, et ce ne fut pas le cas non plus de la Révolution nationale-socialiste que nous avons vécue. Écrire, au loin, dans quelque port sûr, des articles que personne ne lit au pays natal...
Docteur Dix, nous ne voulons pas un cours d’histoire.
Je crois que nous pouvons nous en tenir là ; l’accusé désirait simplement expliquer les raisons pour lesquelles il n’a pas émigré. (A l’accusé.) Vous avez été compris néanmoins.
Merci.
Au cours des débats, ou dans une lettre ou un poème, je ne sais plus très bien, il a été question de vos idées sur la possibilité d’une mort en martyr ; peut-être auriez-vous servi la cause de la paix ou du peuple allemand en allant plus loin encore que vous n’êtes allé, en vous sacrifiant...
Je crois que vous parlez d’une citation produite par un des représentants du Ministère Public américain, d’un texte dans lequel je parlais du silence de la mort.
C’est cela.
Si je m’étais sacrifié, cela n’aurait servi à rien, car les circonstances n’auraient jamais été connues. Ou bien j’aurais disparu dans une prison ou bien j’y serais mort et personne n’aurait jamais su si je vivais encore ou non. Ou bien, je serais mort d’un accident provoqué et, là encore, je n’aurais plus eu la possibilité de jouer les martyrs. Les martyrs ne peuvent avoir d’influence que lorsqu’ils sont connus du monde.
Puis-je retenir l’attention du Tribunal pendant un instant. On ne m’a pas autorisé hier à poser une question touchant l’attitude mondaine du corps diplomatique et l’influence de cette attitude sur des hommes tels que Schacht. La question que je désire poser maintenant n’est pas la même — car je ne la poserais pas — mais elle traite cependant...
L’objection que j’ai faite se rapportait au mot « attitude », car je ne vois pas comment des témoins peuvent déposer sur l’attitude d’un corps. Je crois avoir dit que l’on pouvait bien mentionner dans un témoignage le fait que le corps diplomatique fût présent au Congrès du Parti, mais que l’expression « attitude » était beaucoup trop générale. Quelle est la question que vous voulez poser maintenant ?
Il a été élevé hier une objection à la question que j’avais formulée ainsi : « Comment Schacht a-t-il été influencé par l’attitude générale du corps diplomatique ? » Cette question n’a pas été admise, et je n’insisterai pas. Mais, naturellement, je voudrais au préalable éclaircir ce point, car je ne désire pas donner l’impression de vouloir frauder, en essayant d’introduire une question qui pût être repoussée pour les mêmes raisons. D’un autre côté, il importe au plus haut point pour ma défense de montrer que des étrangers au jugement sûr avaient, vis-à-vis du régime, la même attitude que Schacht, alors qu’ils ne peuvent certes pas être accusés d’avoir voulu préparer une guerre d’agression. Enfin, et c’est là un des fondements de ma défense, je veux montrer que le travail des milieux d’opposition non seulement n’a pas été soutenu par l’étranger, mais au contraire qu’il en a été rendu plus difficile. Tel est le themum probandum qui importe pour moi, mais je vous en prie, Monsieur Schacht, ne répondez pas avant que le Tribunal ait donné son accord ; à ce sujet, je voulais...
Quelle est exactement la question ?
Oui, je vais la formuler. Je voulais, d’après mes notes relatives aux différents honneurs témoignés au régime nazi par l’étranger, aux visites officielles honorant le régime, tous événements qui ont déjà été mentionnés ici, exposer ces faits et demander à Schacht — et voici la question : quelle influence ces nombreux et importants témoignages de considération ont-ils eue sur le travail et les objectifs des conspirateurs ? Mais comme la question se trouve être du même ordre que celle qui m’a été refusée hier — et que je préfère me faire des objections moi-même, plutôt que de me les entendre faire — , je voulais d’abord soumettre la question au Tribunal et lui demander s’il veut bien l’admettre.
Docteur Dix, votre question est bien celle-ci :
« Quelles furent les suites, les conséquences de la reconnaissance du régime nazi par l’étranger sur le groupe de conspirateurs avec lequel l’accusé Schacht était en contact ? » C’est bien là votre question ? Le Tribunal estime que vous pouvez la poser.
Je ne parle pas de reconnaissance, au sens de la reconnaissance d’un gouvernement par les voies diplomatiques officielles, mais des honneurs, de la considération témoignés à ce gouvernement. Il y a là une difficulté de traduction et je ne voudrais pas qu’il y ait de malentendu... Peut-être pourrai-je d’abord exposer à l’accusé les différentes visites officielles que j’ai notées, afin qu’il puisse répondre. Puis-je le faire ?
Oui, les visites qui ont effectivement eu lieu.
Ma liste ne sera pas complète. (A l’accusé.) Je vous rappelle qu’en 1935 un député du Labour Party, Allan Hartwood...
Le Tribunal pense que vous devriez poser la question de façon générale, comme je vous l’ai dit, et non pas en entrant dans les détails de chaque visite ou du nombre de visites.
Votre Honneur, je désirerais également faire objection à ce que la question soit posée d’une manière générale, car il apparaît que les États-Unis n’ont pas de part à cette question. J’ai essayé de maintenir la politique européenne en dehors de cette affaire et ceci serait un précédent. Je ne voudrais pas me laisser entraîner dans de telles questions. Je tiens pour absolument étranger aux débats le fait que certains étrangers trompés par les apparences que Schacht aidait à maintenir n’aient pas commencé la guerre plus tôt. Cette question est absolument sans intérêt. Les États-Unis désirent tenir ces questions à l’écart des débats, car nous n’en n’aurions jamais fini si nous nous y laissions entraîner. Je pense que si M. Schacht veut faire porter la responsabilité de sa conduite par un étranger, il devrait le désigner nommément. Il a déjà dit que les représentants américains, M. Messersmith et M. Dodd, n’avaient rien à voir à l’affaire, parce qu’ils s’y sont toujours opposés. Nous arrivons petit à petit à une situation qu’il semble intolérable d’admettre devant ce Tribunal, et je ne peux absolument pas comprendre comment cela peut constituer une circonstance atténuante dans la défense de Schacht, que de prouver que des gouvernements étrangers ont été en relations avec l’Allemagne durant sa période de décadence.
Le Tribunal estime que la question est pertinente, mais qu’elle doit être posée d’une manière générale.
Je n’entrerai pas dans les détails, et je ferai remarquer dès l’abord que, sans épouser l’opinion américaine, il n’est pas non plus dans mon intention de faire de la politique étrangère ; d’ailleurs, ma question n’a pas de rapport avec la politique étrangère. (A l’accusé.) La question est donc la suivante : comment les honneurs rendus par l’étranger au régime nazi, de la façon que vous savez, ont-ils influencé le groupe de conspirateurs dont vous étiez ?
A partir de 1935 et environ jusqu’en 1938 inclus, d’innombrables hommes d’État de presque toutes les nations, y compris quelques têtes couronnées, sont venus rendre visite à Hitler à Berlin. Venant d’Amérique, il y avait par exemple le sous-secrétaire d’État Phillips...
Ne citez pas de noms.
Non, je ne l’ai fait que parce que les noms sont expressément cités ici... Cela ne se limite pas à l’Europe, et je n’ai nullement l’intention de faire des déclarations politiques, mais je dis simplement qu’il y eut tant de visites qui constituaient pour Hitler non seulement une reconnaissance, mais un honneur, que cet homme apparut aux yeux du peuple allemand comme un très grand homme. Je me souviens encore, je crois que c’était en 1925 à peu près, de la visite du roi d’Afghanistan, Amanullah, le premier étranger qui fut reçu et fêté à Berlin par le Gouvernement social-démocrate ; enfin, un étranger de marque venait nous rendre visite. Chez Hitler, à partir de 1935, les visites se précipitèrent et se succédèrent : Hitler allait de succès en succès en politique étrangère ce qui nous rendait bien plus difficile, à l’intérieur, la tâche d’éclairer le peuple allemand et nous rendait impossible de travailler dans cette voie.
Deux questions pour terminer. Vous avez entendu le Procureur Général britannique Shawcross, déclarer dans son exposé, que le moment aurait dû venir où les serviteurs de Hitler auraient dû lui refuser obéissance. Plaçons-nous donc sur le terrain de cette assertion, et je vous demanderai si vous êtes d’avis qu’en ce qui vous concerne vous avez satisfait à ce postulat du chef de la Délégation britannique ?
Je ne me pose pas seulement sur le terrain de ce postulat, mais je l’approuve de tout cœur. A partir du moment où je me suis rendu compte de la nocivité de Hitler, du danger qu’il représentait pour la paix mondiale, je me suis formellement détourné de lui, et non pas en secret, mais publiquement et en lui en faisant part personnellement.
Vous êtes donc d’avis qu’après avoir reconnu la vérité, vous avez fait tout ce qui était en votre pouvoir pour épargner à l’humanité le désastre de cette guerre et pour la terminer, une fois commencée ?
Je ne connais personne en Allemagne qui eût pu le faire plus que moi. J’ai donné des avertissements sur le danger des armements excessifs, j’ai combattu, et, si l’on veut, saboté ces armements par ma politique économique, dans la mesure de mes moyens. J’ai démissionné de mon poste de ministre de l’Économie, contre la volonté de Hitler. J’ai protesté auprès de Hitler et publiquement contre tous les empiétements du Parti. J’ai sans cesse averti et informé l’étranger. J’ai tenté de modifier la politique étrangère vis-à-vis de l’Allemagne, en développant la question de la politique coloniale, et de créer une atmosphère pacifique. J’ai coupé à Hitler les crédits...
Je crois que nous avons entendu dire cela plus d’une fois.
Oui.
Permettez-moi une phrase encore : je lui ai coupé les crédits et finalement j’ai essayé de l’éliminer.
Messieurs les juges, me voilà arrivé à la fin de l’exposé de mes preuves, pour le cas Schacht. Je ne demanderai plus qu’une seule chose : ces jours derniers, j’ai reçu un certain nombre de documents émanant d’hommes connus et qui connaissent Schacht ; parmi ces documents se trouvent également des affidavits que j’examinerai. Si je devais penser que l’un ou l’autre de ces affidavits puisse encore m’être utile, j’entrerais en rapports avec le Ministère Public et verrais avec lui s’il élève une objection à ce qu’ils soient traduits, afin que nous puissions nous adresser en commun au Tribunal, pour que, le cas échéant, il prenne acte ultérieurement de l’un ou l’autre de ces documents. Puis-je demander que ce droit me soit réservé ? A la fin de l’exposé des preuves, je reviendrai brièvement sur mes documents, dont la présentation n’a été faite qu’en partie.
Un autre avocat désire-t-il poser des questions ?
Je n’ai que quelques questions à poser au Dr Schacht. (A l’accusé.) Depuis quand connaissez-vous M. von Neurath, Docteur ?
Je ne puis donner l’année exacte, mais certainement depuis très longtemps, depuis de très, très nombreuses années.
Pendant quatre ans environ, vous avez été son collègue au Gouvernement en qualité de ministre. Aviez-vous, à cette époque, d’autres rapports avec lui, que les rapports officiels ?
Malheureusement pas assez, mais bien entendu, je le voyais de temps en temps. J’aurais bien voulu le voir plus souvent.
Mais vous vous êtes certainement fait une opinion de ses idées et de ses intentions politiques d’après vos conversations avec lui, ou d’après ce que vous entendiez dire sur lui ?
Je le connaissais parfaitement.
Et quelles étaient ses opinions ?
J’avais l’impression que M. von Neurath était en principe partisan d’une politique conservatrice mais qu’il était toujours accessible aux idées progressistes et qu’il désirait avant tout une collaboration pacifique internationale.
Estimez-vous possible, ou avez-vous quelques raisons de dire que le cas échéant, il aurait employé des moyens belliqueux ou qu’il les aurait envisagés, si l’entente pacifique qu’il désirait se révélait tout à fait impossible ?
Je crois, d’après les sentiments et la mentalité de Neurath, qu’il était opposé à toute politique de guerre.
Vous avez été témoin, alors qu’il dirigeait la politique étrangère allemande, de divers...
Docteur von Lüdinghausen, voulez-vous mettre vos écouteurs, je vous prie. Le Tribunal estime que ces questions ne sont pas pertinentes en raison de leur caractère trop général.
Avez-vous eu l’impression que M. von Neurath, après avoir atteint certains objectifs en particulier l’occupation de la Rhénanie...
Docteur von Lüdinghausen, ne posez pas au témoin de questions telles que : « Avez-vous eu telle impression ? » Vous pouvez lui demander ce qu’il a dit, ce qu’il a fait, par exemple « Qu’a fait M. von Neurath et qu’a-t-il dit ? »
Je ne poserai donc pas cette question. Voici la dernière ; (A l’accusé.) Vous savez que M. von Neurath a quitté, le 4 février 1938, son poste de ministre des Affaires étrangères ; qu’avez-vous pensé, vous-même et le milieu qui vous entourait, de ce retrait de M. von Neurath de la politique étrangère ? Quelle fut votre impression ?
Je crois que j’ai déjà dit au cours de mon interrogatoire que j’avais considéré le départ de M. von Neurath comme un mauvais signe et comme l’abandon de la politique d’entente extérieure pratiquée jusque là.
Je n’ai pas d’autres questions à poser.
La Défense désire-t-elle poser des questions ? Le Ministère Public désire-t-il contre-interroger ?
Peut-être pourrions-nous gagner du temps, Votre Honneur, si l’audience était suspendue maintenant. Je sais qu’il est un peu tôt pour cela, mais nous avons besoin de quelques instants pour préparer nos documents.
Certainement.
Plaise au Tribunal. Docteur Schacht, d’après le procès-verbal de votre déposition du 1er mai (Tome XII, page 469) vous auriez dit en 1938, à une certaine dame, au cours d’un dîner : « Chère Madame, nous sommes tombés entre les mains de criminels. Comment aurais-je pu le penser ? » Vous vous souvenez de ce témoignage ?
Ce n’est pas moi qui ai donné ce témoignage ; il s’agit là d’un affidavit qui a été lu ici par mon avocat. Mais c’est exact.
Je suis certain que vous désirez rendre service au Tribunal et nous dire quels étaient les criminels en question ?
Hitler et ses gens.
Dont vous étiez. Vous savez quels étaient ses collaborateurs ; je vous demande de nommer tous ceux que vous comptez parmi ces criminels. Hitler est mort, comme vous savez.
Monsieur Justice Jackson, il est pour moi très difficile de répondre complètement à cette question, parce que je ne sais pas qui faisait partie du cercle étroit des conspirateurs groupés autour de Hitler. L’accusé Göring nous a dit ici qu’il se comptait lui-même parmi les membres de ce groupe. Je compte encore dans ce groupe Himmler et Bormann ; mais qui, en dehors d’eux faisait partie de ce groupe restreint d’hommes de confiance, je n’en sais rien.
Vous n’en avez nommé que trois, ou plutôt je m’exprimerai autrement ; vous avez nommé quatre criminels ; trois sont morts et le quatrième, dont vous avez dit qu’il avait reconnu...
Je peux en ajouter un, si vous permettez. Je crois que le ministre von Ribbentrop a toujours été au courant des plans de Hitler ; je le suppose, je n’en sais rien, et je ne peux pas le prouver.
Qui comptiez-vous parmi ces criminels, quand vous parliez à cette dame ?
Je n’ai nommé personne ce soir-là.
Mais à qui pensiez-vous ? Vous n’accusiez certes pas vos propres collègues, les membres du Gouvernement dont vous faisiez partie sans avoir en tête des noms bien définis ?
Je viens précisément de prendre la liberté de vous mentionner ces noms.
Ce sont les seuls ?
Je ne peux pas le savoir, mais je pense qu’il y en avait d’autres. Ainsi j’y compterais sans hésitation, un homme comme Heydrich. Mais je ne peux pas savoir avec qui...
Heydrich est mort.
Je regrette que ces gens soient morts, j’aurais préféré qu’ils meurent d’une autre façon, mais...
Ce sont les seules personnes que vous comptiez dans ce groupe ?
Je n’ai pas de preuves que qui que ce soit d’autre ait été membre de cette conspiration, et je ne peux pas dire : « Tel ou tel fait prouve qu’il y a pris part. »
Docteur Schacht, au moment où les nazis ont pris le pouvoir, vous aviez des relations dans le monde entier et en votre qualité de grand banquier, vous jouissiez d’une grande considération en Allemagne et dans le monde.
Je ne sais pas si c’est le cas ; mais si c’est là votre avis, je ne veux pas vous contredire.
Vous l’admettiez, au moins ?
Je ne dis pas le contraire.
Et, autant que je sache, vous apparaissiez néanmoins en public en Allemagne, devant le peuple allemand, pour soutenir le régime nazi, à côté de personnages tels que Streicher et Bormann.
Monsieur Justice Jackson, je me suis permis de faire ressortir ici que jusqu’en juillet 1932, je n’ai en aucune façon, représenté officiellement Hitler ou le Parti et qu’au contraire, en Amérique par exemple, j’ai mis en garde contre Hitler, et qu’à cette époque-là, le nom de Bormann m’était inconnu et que le Stürmer de Streicher me répugnait tout autant que plus tard. Je n’ai jamais pensé avoir quoi que ce soit de commun avec M. Streicher.
Je ne le pensais pas non plus et c’est justement pourquoi je me demandais comment, après 1938, vous avez pu paraître en sa compagnie devant le peuple allemand à l’époque où le régime nazi affermissait son pouvoir. C’est bien ce que vous avez fait, n’est-ce pas ?
Qu’est-ce que j’ai fait, Monsieur Justice ?
Vous avez paru en public devant le peuple allemand en compagnie de Streicher et de Bormann, pour soutenir le programme nazi après la prise du pouvoir.
Je ne le crois pas, jamais je n’ai été vu en public avec Streicher ou avec Bormann ; tout au moins à cette époque. Il est possible que l’un ou l’autre ait assisté en même temps que moi à un congrès du Parti et qu’il se soit trouvé assis à côté de moi ; mais en tout cas en 1933, je n’ai été vu en public ni avec Bormann ni avec Streicher.
Je vais demander qu’on vous présente une photographie de la collection Hoffmann. Elle porte le numéro 10. Vous vous y reconnaissez sans difficulté ?
Oui.
Et à votre droite, c’est Bormann ?
Oui.
Et à côté de lui, le ministre du travail ?
Oui.
Et de l’autre côté, à côté de vous, c’est Hitler ?
Oui.
Et derrière lui Streicher ?
Je ne le reconnais pas ; je ne sais pas si c’est Streicher... peut-être.
Je vais déposer cette photographie comme preuve et cette identification sera peut-être suffisante. (A l’accusé.) Frick figure aussi sur cette photographie ?
Parfaitement.
Ce sera le document USA-829. (A l’accusé.) Je vais demander qu’on vous montre...
Monsieur Justice Jackson, quelle est la date de cette photographie ?
Elle ne porte aucune date ; le témoin pourra peut-être nous la donner.
Monsieur Justice, vous avez dit qu’en 1933, je m’étais montré en public avec Bormann et Streicher en tant que représentant du parti nazi ; aussi voudrais-je bien savoir où et quand cette photographie a été prise ; je ne peux pas l’identifier.
Je vous interrogeais sur la période qui suit 1933. Niez-vous que ceci soit une photographie...
Non, en aucune façon ; je me demande simplement à quelle époque elle a été prise. Je ne pense pas qu’elle se rapporte aux années 1933 ou 1934.
Quand était-ce, si vous voulez nous le dire ?
Je ne sais pas, je ne peux pas le déterminer.
Je vais vous montrer une autre photographie, deux autres, les numéros 3 et 4. Le numéro 3 vous montre marchant en compagnie du Dr Ley et d’autres personnages.
Oui.
Le numéro 4 vous montre entrant dans la salle et faisant le salut nazi.
Oui, oui.
Ley est bien l’homme qui a supprimé les syndicats en Allemagne ?
Parfaitement.
Ce sont indubitablement des photographies, n’est-ce pas ?
Bien entendu.
Je les dépose comme preuve sous le numéro 829. (A l’accusé.) Je vais vous montrer les photographies numéros 1, 2, 6 et 7. Regardons la photographie n° 1, vous rappelez-vous où cette photographie a été prise ?
Oui, un instant je vous prie — si c’est le numéro que j’ai ici — une minute — oui.
Où cette photographie a-t-elle été prise ?
Je crois que le numéro 1 est une photographie de la Chancellerie du Reich, si je ne me trompe pas.
Parmi les personnes figurant sur la photographie n° 1, il y a Frick...
Gürtner, Goebbels, Popitz, Schacht, Papen, Göring et d’autres, et Hitler au milieu.
Et Neurath, le reconnaissez-vous ?
Oui, je crois qu’il est immédiatement à la droite de Hitler, au fond.
Et Goebbels ?
Oui, je l’ai nommé.
Vous pouvez aussi reconnaître Funk, tout à fait à droite, il est en partie caché.
Qui ?
Funk, l’accusé Funk.
Non, c’est Göring.
Derrière Göring et derrière Neurath ?
Excusez-moi, c’est peut-être une autre photographie... Oh, je vous demande pardon, en effet c’est le numéro 2. Sur le numéro 2, je vois de gauche à droite : Popitz, Rust, Göring, Neurath, Hitler, Blomberg, Schacht, Gürtner, Krozigk, Elz von Rübenach et au fond, à droite, Funk.
Prenons la photographie n° 7. Qui reconnaissez-vous y figurant avec vous ?
Tout à fait à gauche, ma femme, décédée depuis. Ensuite le vice-président de la Reichsbank, Dreyse, Hitler et moi, puis l’aide de camp de Hitler ; quant au gros monsieur qui est à droite, je ne sais pas qui c’est. C’est une photographie qui a été prise lors de la pose de la première pierre du nouveau bâtiment de la Reichsbank en 1934. Derrière moi, immédiatement à gauche, c’est Blomberg.
Et la photographie n° 6 ?
Un instant. C’est la photographie sur laquelle on me voit marchant à côté de Hitler n’est-ce pas ? C’est Hitler arrivant avec moi pour la pose de la première pierre du nouveau bâtiment de la Reichsbank. Vous voyez derrière moi ou plutôt derrière Hitler, le conseiller Vocke qui doit déposer demain et quelques autres messieurs appartenant au conseil de la Reichsbank.
Je dépose les autres photographies, les numéro 1, 6 et 7 sous le même numéro. (A l’accusé.) Il s’ensuivrait donc, Docteur Schacht, qu’une bonne partie de vos compagnons actuels sont ceux qui ont débuté avec vous en 1933 et 1934.
Vous me posez une question ?
N’est-ce pas exact ?
Non. Si vous m’aviez photographié aussi souvent avec toutes mes autres connaissances, il y en aurait dix fois plus.
Dans votre déposition du 30 avril au matin (Tome XII, page 432) vous avez déclaré que c’est pour des raisons de principe que vous n’êtes pas devenu membre du Parti, parce que l’appartenance au Parti n’était pas compatible avec vos principes ?
C’est exact.
Vous avez également déclaré au cours de votre déposition du 30 avril après-midi (Tome XII, page 464 que de 1932 jusqu’au 30 janvier 1933...) je cite :
« Je n’ai pas, pendant toute cette période, écrit ou prononcé publiquement une parole en faveur de Hitler. »
Je crois que c’est exact si vous insistez sur « publiquement ».
Vous voulez souligner le mot « publiquement ».
Oui.
Je voudrais également vous demander ceci. Vous avez déclaré : « Je n’ai jamais contribué, par des conversations avec qui que ce soit d’influent, qu’il s’agisse de Hindenburg, de Meissner ou d’autres, à exercer aucune influence en faveur de Hitler. Je n’ai pris aucune part à la nomination de Hitler au poste de chancelier ». Est-ce exact ?
C’est exact.
Y a-t-il là des mots que nous devons souligner pour bien comprendre ?
Non. En ce qui concerne la nomination de Hitler au poste de chancelier, veuillez noter que j’ai parlé de personnages influents.
Bien. Je ne comprends pas exactement ce que vous voulez dire par là, mais je vous donnerai l’occasion de vous expliquer.
Oui, j’entends par « hommes influents » ces personnages qui pouvaient décider de la personne du chancelier. J’ai dit, bien entendu, que Hitler serait chancelier et devait le devenir et j’ai exprimé cette conviction dans des réunions privées.
L’avez-vous dit en public ?
Non, je ne l’ai dit que dans le milieu de mes amis, de mes relations d’affaires, etc.
Je voudrais vous citer maintenant une déclaration de von Papen : « En juillet ou en août 1932, alors que j’étais chancelier, Schacht vint me voir chez moi et me dit : « Voilà un homme très intelligent » — c’était en présence de ma femme et je ne l’ai jamais oublié — « donnez-lui votre place, donnez-la à Hitler. C’est le seul homme qui puisse sauver l’Allemagne ». Avez-vous dit cela, oui ou non ?
Je ne sais pas si j’ai dit que c’était le seul homme qui pût sauver l’Allemagne, mais je lui ai dit que Hitler deviendrait chancelier et qu’il le fallait, mais cela s’est passé dès le mois d’août ou de juillet 1932, après les élections de juillet, et n’a aucun rapport avec la nomination de Hitler dont la question ne se posa qu’après la chute du cabinet Schleicher au sujet duquel j’ai été interrogé ici.
Docteur Schacht, je vous ai demandé si vous n’aviez pas déclaré que vous n’aviez pris aucune part à la nomination de Hitler au poste de chancelier...
C’est exact.
...et il est dit ici que vous avez demandé à von Papen de lui céder la place.
Oui.
Et vous prétendez — je désirerais que vous disiez tout ce que vous voulez à ce sujet — que cela n’a pas aidé Hitler à devenir chancelier ?
Je ne sais pas si ce fut une aide pour Hitler. On m’a demandé au cours de ma déposition si, lors de l’élection de Hitler ou de la nomination de Hitler à la chancellerie en janvier 1933, j’avais exercé une influence quelconque. J’ai nommé Hindenburg, Meissner, etc., c’est-à-dire l’entourage de Hindenburg. Papen, depuis le début de novembre 1932, n’était plus chancelier ; il n’avait donc aucune influence sur ces questions et, au cours de ces semaines-là, je ne lui ai pas parlé du tout. En revanche, après les élections de 1932, j’ai dit : « II est inévitable qu’un homme qui a obtenu un tel nombre de voix au Reichstag prenne la direction politique ». Et je l’ai dit devant Papen.
Comprenons-nous bien. Lorsque vous avez vu que Hitler allait gagner, vous vous êtes rallié à lui ?
Non.
J’aimerais tirer au clair votre pensée. Vous ne vous êtes pas rallié à Hitler jusqu’au moment où il obtint au Reichstag plus de voix qu’aucun autre parti ?
Je ne me suis pas rallié à Hitler lorsque j’ai vu qu’il allait gagner la partie, mais lorsque j’ai été obligé de constater qu’il l’avait gagnée.
Bien ; j’admets cette rectification. Vous avez parlé de la lettre que vous avez adressée à Hitler le 29 août 1932...
Oui.
Lettre dans laquelle vous lui conseilliez de ne pas présenter un programme économique détaillé.
Oui.
Vous lui disiez qu’il n’existait pas de programme sur lequel 14.000.000 de personnes pussent tomber d’accord ?
Oui.
Et que la politique économique n’est pas un élément capable de consolider un parti ?
Oui.
Et vous avez ajouté : « Vous pouvez fermement compter sur mon aide » ?
Oui.
C’était après qu’il eût gagné la partie ?
Oui.
Et le 12...
...novembre.
Oui, je voulais justement parler du document EC-456 (USA-773). Donc, le 12 novembre 1932, vous lui avez écrit une lettre dans laquelle vous lui disiez entre autres : « Il n’y a pour moi aucun doute que le cours actuel des événements vous mène au poste de chancelier » ?
Oui.
« Il semble que nos tentatives pour obtenir à cet effet un certain nombre de signatures dans les milieux d’affaires n’aient pas été entièrement vaines. »
Oui.
Ainsi, vous avez recueilli des signatures dans ce but ?
Pas personnellement, mais j’y ai participé.
Vous avez donc aidé à les recueillir ?
Parfaitement.
C’était le document EC-456. Donc, en novembre 1932, un document fut présenté à la signature de nombreux industriels, et ce document avait pour objet essentiel de faire élire Hitler chancelier. Est-ce exact ?
Je ne me souviens plus de ce document, mais je pense que c’est celui-là.
Et des hommes comme Schacht, Schröder, Krupp et un grand nombre d’industriels l’ont signé, n’est-ce pas ?
C’est possible, oui.
Et ce document fut envoyé à von Hindenburg ?
Je n’en sais rien.
Il s’agissait bien d’aider Hitler à devenir chancelier ?
C’est possible.
Et il a été adressé au Président du Reich, n’est-ce pas ? C’est le document PS-3901 (USA-837).
Je ne l’ai pas vu, mais c’est probablement exact.
Donc, vous ne niez pas que cela se soit passé ?
Je suppose que c’est exact, je ne l’ai pas vu mais je n’en doute pas.
Puis, en novembre 1932, vous avez communiqué à Hitler les résultats de votre campagne pour obtenir des fonds électoraux. Est-ce exact ?
Je ne sais rien à ce sujet.
Je vais vous remettre ces faits en mémoire au moyen de votre propre déposition. Je vous rappellerai d’abord la déclaration dans laquelle vous avez dit que ce n’est pas vous qui aviez demandé ces fonds, mais Göring. Je vous demande si, le 9 octobre 1945, vous n’avez pas donné les réponses suivantes aux questions qui vous ont été posées sur les événements de février 1933 ?
Les événements de quoi ?
De février 1933.
Oui, merci beaucoup.
Revenons à 1933. Voici la question :
« Question
Avant que Hitler vous nommât président de la Reichsbank, vous souvenez-vous d’une réunion chez Göring ?
« Réponse
Oui, c’était une réunion à propos de questions financières. J’ai été interrogé plusieurs fois. déjà à ce propos.
« Question
Pouvez-vous m’en parler ?
« Réponse
Oui, volontiers. Hitler devait, comme vous vous en souvenez, se présenter aux élections le 5 mars. Il avait besoin d’argent en vue de sa campagne électorale. Il m’avait demandé de lui procurer cet argent et je l’ai fait. Göring réunit ces messieurs et je prononçai un discours — pas vraiment un discours, car c’est Hitler qui le prononça — je leur demandai d’inscrire leurs contributions et de donner leur signature pour les élections, ce qu’ils firent. Ils souscrivirent pour un total de 3.000.000 et répartirent cette somme entre eux.
« Question
Quelles furent les personnes qui souscrivirent ?
« Réponse
Je crois que tous étaient des banquiers et des industriels appartenant aux industries chimiques, du fer, des textiles, etc.
« Question
Toutes les industries étaient représentées ?
« Réponse
Oui, toutes les grosses industries.
« Question
Vous souvenez-vous de certains noms ?
« Réponse
Oui, certainement. Krupp était là, le vieux Gustav. Il se leva et remercia Hitler, plein d’enthousiasme. Il y avait encore Schnitzler, je crois que c’était lui, et Vögler, des Aciéries réunies. (A l’accusé.) Vous avez bien fait ces déclarations ?
Oui, certainement.
Et à cette réunion dont vous parlez — le document D-203 en constitue le procès-verbal — Göring a bien dit en substance :
« Les sacrifices demandés sembleraient bien plus légers à l’industrie si elle savait que les élections du 5 mars seront certainement les dernières pour les dix années à venir, probablement même pour un siècle. »
Vous avez entendu cela ?
Oui.
Hier ou avant-hier, vous avez été interrogé sur le soutien que vous avez donné et sur la reconnaissance que Goebbels vous témoigna ; vous avez dit au Tribunal : « Ce n’est pas ma faute si Goebbels s’est trompé ». Vous vous souvenez de cela ?
Oui.
Je vous demande, à propos de cette déclaration sur le Dr Goebbels, si vous avez bien déclaré à l’officier américain qui vous interrogeait, le 17 octobre 1945, ce qui suit. C’est le document PS-3729 (USA-616).
« Question
Quand vous êtes-vous intéressé à coopérer avec Hitler ?
« Réponse
Je dirais aux environs des années 1931-1932.
« Question
Quand vous avez vu qu’il dirigeait un mouvement de masse qui prendrait vraisemblablement le pouvoir ?
« Réponse
C’est tout à fait exact ; ce mouvement ne cessait de prendre de l’importance.
« Question
Et avez-vous donné publiquement votre appui à Hitler pendant ces années-là ?
« Réponse
Je crois que j’ai fait une déclaration au mois de décembre 1930, en revenant d’Amérique, au parti populaire bavarois.
J’ai dit que tout gouvernement à venir serait placé devant l’alternative de résister à 25 % de socialistes ou à 20 % de nationaux-socialistes.
« Question
Ce que je voudrais savoir, pour être bref, c’est si vous avez contribué, par le prestige de votre nom, à aider Hitler à venir au pouvoir ?
« Réponse. — J’ai déclaré en public que je m’attendais à ce que Hitler prît le pouvoir et cela, je crois, en 1932 pour la première fois. « Question
Et vous savez, ou vous ne savez peut-être pas, que Goebbels, dans son journal, note avec beaucoup de satisfaction...
« Réponse
Oui.
« Question
... l’aide que vous lui avez donnée à ce moment-là ?
« Réponse
Oui, je le sais.
« Question
En novembre 1932 ?
« Réponse
Vous dites que ce livre s’appelle : Du Kaiserhof à la Chancellerie ?
« Question
C’est cela ; vous l’avez lu ?
« Réponse
Oui.
« Question
Et vous ne niez pas que Goebbels eût raison ?
« Réponse
Je crois qu’il avait l’impression d’avoir eu raison à l’époque. » (A l’accusé.) Vous avez bien fait ces déclarations ?
Je n’ai jamais douté que Goebbels fût sous cette impression ; j’ai simplement dit qu’il s’était trompé.
Donc, vous ne l’avez pas fait. Mais n’insistons pas sur ce point.
Vous avez cité avant-hier des extraits assez longs du journal de l’ambassadeur Dodd, n’est-ce pas ?
Oui.
Tirons ceci au clair : M. Dodd a toujours été hostile à tous les nazis ?
Parfaitement.
Il ne vous a donc pas encouragé à rester parmi eux ?
Oh non !
Vous avez déclaré, d’après ce que j’ai compris, que M. Dodd vous avait invité à vous rendre aux États-Unis et vous dites... je cite votre déposition du 30 avril après-midi (Tome XII, page 448) :
« Il vint encore une fois me voir » — ceci se passait en 1937 — « et m’adjura de partir avec lui ou, du moins, aussi vite que possible, et de venir habiter les États-Unis, où j’aurais été bien reçu.
Je crois qu’il ne m’aurait pas dit cela s’il n’avait pas eu pour moi un certain sentiment d’amitié. »
C’est bien ce que vous avez dit au Tribunal ?
Oui.
Je crois que vous avez voulu donner au Tribunal l’impression que M. Dodd avait une grande confiance en vous et vous témoignait beaucoup d’amitié.
C’était mon impression.
Avez-vous lu tout son journal ou vous êtes-vous contenté d’en lire des extraits ?
Je connais aussi le passage où il dit : « Vous feriez un très mauvais Américain », ou quelque chose de semblable.
Oui ; vous ne l’avez pas dit au Tribunal.
Il me semble que ce serait plutôt l’affaire du Ministère Public.
Bien, alors nous n’allons pas vous décevoir. Connaissez-vous le passage du 21 décembre 1937 où il parle d’un dîner auquel vous assistiez ? Il dit :
« Schacht parla de la défaite de l’Allemagne de 1918 et prétendit qu’elle était due uniquement au fait que Woodrow Wilson avait entraîné l’Amérique dans la guerre. Je répliquai que les Quatorze Points de Wilson constituaient la seule grande promesse de paix et de coopération internationale et que tous les pays, des deux côtés, s’étaient employés à les faire échouer.
« Ne croyez-vous pas », lui dis-je, « que Wilson, dans 50 ans, sera « considéré comme un des plus grands présidents que les Etats-Unis aient jamais eus ? » Schacht évita de répondre, se mit à parler de la guerre sino-japonaise et prit position contre l’alliance de l’Allemagne avec le Japon ; puis il montra le véritable visage de l’Allemagne... ».
Et il cite vos propres paroles :
« Si les États-Unis voulaient mettre fin à la guerre contre le Japon et laisser à l’Allemagne les mains libres en Europe, nous aurions la paix mondiale. »
Quelle est la question ?
Avez-vous dit cela ?
Je ne sais pas si j’ai dit cela, mais cela me semble être une déclaration très raisonnable. Je pense que c’est absolument exact à l’exception de...
Oui. J’aimerais que ce point soit tout à fait clair. Si je vous comprends bien, la paix serait possible si l’Allemagne avait les mains libres en Europe ?
Parfaitement. J’ajouterai simplement que l’on pouvait avoir différentes conceptions des moyens d’action de l’Allemagne. La mienne était pacifique.
Puis il continue en disant :
« Je ne répondis pas, non plus que les autres. Schacht pensait comme les chefs de l’Armée allemande en 1914, lorsqu’ils envahirent la Belgique, espérant conquérir la France en six semaines : c’est-à-dire dominer et annexer les petits pays limitrophes, surtout au Nord et à l’Est. »
Dois-je vous répondre ?
Avez-vous dit cela ?
Non, non.
Dodd a-t-il écrit cela à propos de votre conversation ?
Oui, mais je ne l’ai jamais dit.
Et vous...
Non, puis-je...
Quelle impression...
Non, puis-je répondre ?
Je vous pose la question suivante : quelle fut l’impression que tira de vos relations M. Dodd, que vous considérez comme un ami et un homme raisonnable ?
Je répondrai à cela ce que j’ai déjà dit, c’est-à-dire que M. Dodd a été la victime de nombreux malentendus. Il ne rapporte d’ailleurs pas mes paroles, mais dit simplement : « Schacht pensait... » C’était son point de vue, qu’il m’attribuait. Je n’ai jamais dit cela.
C’est ainsi que je l’avais compris. Mais c’est l’opinion d’un observateur que vous considérez comme amical ?
Un observateur amical qui se trompait constamment sur le sens de ce qu’on lui disait, comme l’a montré dans son livre l’ambassadeur Henderson.
Il se peut que Henderson ait mal compris, mais il n’est pas douteux que, dès son origine, il avait reconnu le danger du nazisme ?
Oui, mais il. m’a mal compris.
Lorsque vous avez demandé au ministre des Affaires étrangères, puis à Hitler, l’autorisation de vous rendre aux Etats-Unis ou d’y envoyer quelqu’un — ceci figure dans votre déposition du 1er mai au matin (Tome XII, page 476) — :
« ...Il me semblerait très important que nous ayons en permanence quelqu’un aux États-Unis qui puisse faire connaître les intérêts allemands à l’opinion publique, à la presse, etc. »
Avez-vous dit cela ?
Parfaitement.
Avez-vous vraiment dit cela à Hitler ?
Parfaitement.
Je voudrais maintenant attirer votre attention sur une lettre que vous avez adressé au Reichsmarschall. C’est le document PS-3700 :
« Au début de 1940, j’ai proposé au Führer de me rendre aux États-Unis afin d’essayer de ralentir l’assistance donnée par les États-Unis à l’Angleterre en matière d’armements et d’empêcher dans la mesure du possible que l’Amérique ne s’immisce plus avant dans cette guerre. »
Je vous demande laquelle de ces déclarations est exacte ?
Les deux.
Les deux ?... Donc, hier, quand vous avez rendu compte au Tribunal de cette conversation, vous n’avez pas dit tout ce que vous vous proposiez de faire aux États-Unis ?
Non, certainement pas. Par exemple, je voulais essayer d’obtenir du président qu’il intervînt en faveur de la paix, mais je ne l’ai pas dit ici.
Vous avez aussi déclaré hier qu’on ne vous avait jamais parlé de l’étendue et de la rapidité du rearmement, et de la manière dont il se faisait. Vous en souvenez-vous ?
Oui.
Et bien que vous n’eussiez aucune précision, vous avez déclaré qu’il était trop important ?
J’avais l’impression qu’il fallait aller doucement.
Permettez-moi de vous rappeler une déclaration du général von Blomberg à propos de l’année 1937 :
« Réponse
A cette époque, la reconstitution de la nouvelle Wehrmacht était à peu près terminée.
« Question
Quand ? En 1937 ?
« Réponse
Je crois que c’était en 1937.
« Question
Était-ce un plan qui avait été discuté avec le Dr Schacht, en considération du financement et de l’importance à donner à la Wehrmacht ?
« Réponse
Oui. Schacht connaissait très bien le plan de réorganisation de la Wehrmacht, car nous lui donnions chaque année des renseignements sur l’organisation des nouvelles formations pour lesquelles nous avions dépensé de l’argent. Je me souviens qu’en 1937 eut lieu un échange de vues destiné à déterminer les dépenses courantes de la Wehrmacht, après épuisement des crédits importants alloués à la reconstitution proprement dite.
« Question
Ceci veut dire que vous donniez à Schacht un état précis des dépenses annuelles nécessaires à la création de nouvelles unités, de nouvelles installations militaires et ainsi de suite, ainsi que des dépenses courantes de la Wehrmacht ?
« Réponse
Exactement.
« Question
Lorsque vous dites qu’en 1937 le plan était réalisé, voulez-vous dire dans son ensemble ?
« Réponse
Oui, dans son ensemble. »
Une autre question. Je saute deux ou trois questions qui ne sont pas pertinentes.
« Question
Puisque vous dites que Schacht connaissait ces chiffres, comment en était-il informé ?
« Réponse
Les demandes de fonds étaient faites à Schacht par écrit.
« Question
Cela veut dire qu’en raison des fonds que Schacht fournissait pour le réarmement, il était informé du nombre de divisions, de chars, etc., que l’on pouvait équiper au moyen de ces sommes ?
« Réponse
Je ne crois pas que nous ayons donné le détail des sommes nécessaires à l’achat de chaque tank, par exemple ; mais nous faisions savoir quels étaient les besoins de chaque arme, Marine ou Aviation par exemple, et ensuite ce que coûteraient la mise sur pied de nouvelles formations et les opérations courantes. Le Dr Schacht pouvait donc observer chaque année l’augmentation de volume de la Wehrmacht, qui résultait des fonds qu’il lui procurait. C’est certain. »
Je vous demande si vous mettez en doute les déclarations du général von Blomberg, telles que je vous les ai lues ?
Je dois malheureusement dire que tout cela m’est parfaitement inconnu. Je voudrais demander, puisque l’on doit entendre demain la déposition d’un membre du Conseil de la Reichsbank, le conseiller Vocke ; que cette question lui soit posée ; car il ne s’agissait pas de m’informer, moi, mais bien le Conseil de la Reichsbank. Tout ce que je savais, le Conseil de la Reichsbank le savait aussi, bien entendu.
Docteur Schacht, il m’est indifférent, du point de vue de l’Accusation, de savoir si vous étiez ou non au courant. Je ne vous pose cette question que pour savoir dans quelle mesure nous pouvons nous fier à vos déclarations.
Oui, je comprends.
Donc, et pour dissiper tout malentendu, vous mettez en doute la véracité des déclarations de von Blomberg lorsqu’il dit qu’il vous communiquait ces faits par écrit ?
Oui, je regrette, mais je suis obligé de les contester ; sa mémoire n’est manifestement pas bonne sur ce point.
Vous avez dit hier ou avant-hier que le « Nouveau Plan » n’avait rien à voir avec le programme d’armement, n’est-ce pas ?
Rien de particulier avec le programme d’armement.
Ah, rien de particulier ?
Non, je veux dire, bien entendu... Il a été expressément demandé au Tribunal si je devais ou non parler ici du « Nouveau Plan », et le Tribunal a décidé que la question serait traitée au cours de votre contre-interrogatoire. Je donnerai volontiers des informations sur le « Nouveau Plan » avant que...
Docteur Schacht, vous ne voyez aucun inconvénient à répondre à mes questions ?
Certainement pas.
Je reviendrai donc sur la réponse que vous avez donnée — non pas celle que vous n’avez pas été autorisé à donner — au cours de votre déposition du 1er mai au matin (Tome XII, page 493) :
« Question
Une partie de la politique que vous avez faite en tant que ministre de l’Économie, dans le cadre de l’accusation de la préparation à la guerre, constituait le « Nouveau Plan ». Qu’était-ce que ce Plan ?
« Réponse
Je dirai tout d’abord que le « Nouveau Plan » n’avait rien à voir avec le réarmement ».
Et vous vous disposiez à faire une déclaration sur le « Nouveau Plan », déclaration que le Tribunal n’a pas voulu entendre. Je vous pose maintenant cette question : dans votre discours du 29 novembre 1938 sur le « Miracle financier », n’avez-vous pas, après avoir cité beaucoup de chiffres, dit ce qui suit :
« Ces chiffres montrent dans quelle mesure le « Nouveau Plan » a contribué à l’exécution du programme d’armement ainsi qu’à la consolidation de notre ravitaillement. »
Avez-vous dit cela ?
Parfaitement.
C’est le document EC-611 (USA-622). J’ai compris, d’après votre témoignage, que vous disiez n’avoir rien eu à faire, au point de vue personnel, avec Hitler ou avec les autres nazis, que vous refusiez leurs invitations à déjeuner à la chancellerie et qu’une des principales raisons de cette attitude était la servilité dont les autres faisaient preuve à l’égard de Hitler. Avez-vous dit cela ?
Oui.
Je vais vous citer un passage de votre discours. C’est le document EC-501. C’est votre discours d’ouverture à l’occasion de l’anniversaire du Führer. C’était d’ailleurs un discours public, n’est-ce pas ?
Je ne sais pas, je ne m’en souviens pas.
Vous avez prononcé pour l’anniversaire du Führer, le 21 avril 1937, un discours qui parut dans les journaux ?
Peut-être.
« Nous nous sommes réunis ici pour nous rappeler avec respect et affection l’homme à qui le peuple allemand, il y a plus de quatre ans, a confié la direction de ses destinées. »
Puis, après quelques autres remarques, vous dites :
« Avec la passion infinie d’un cœur chaleureux et l’instinct infaillible d’un homme d’État né, Adolf Hitler, au cours d’un combat poursuivi pendant quatorze ans avec une logique inébranlable, a gagné l’âme du peuple allemand. »
Cela faisait-il partie de votre discours public qui a été publié par la suite ?
Je pense que la citation que vous venez de faire est tout à fait exacte et je ne pense pas que personne, le jour de l’anniversaire du chef de l’État, puisse dire quelque chose de bien différent.
Puis-je, Monsieur Justice Jackson, vous adresser une demande : vous vous êtes tout à fait écarté de la question du « Nouveau Plan » alors que le Tribunal attendait cette question et avait signalé qu’elle serait discutée pendant votre contre-interrogatoire. Puis-je demander, si vous n’y revenez pas, afin que mon avocat puisse aborder cette question au cours du second interrogatoire ?
Je ne vous ai pas demandé ce qu’était le « Nouveau Plan ». Je vous ai demandé si votre déclaration suivant laquelle ce Plan n’avait rien à voir avec l’armement était exacte ou non. Mais si votre avocat veut vous interroger à ce sujet, le Tribunal en décidera.
Vous avez cité aujourd’hui la lettre de Hitler du 19 février 1939, lettre par laquelle vous avez été destitué de votre poste de président de la Reichsbank, mais vous n’avez pas cité la dernière phrase qui dit, si je me souviens bien : « Je suis heureux de pouvoir désormais utiliser vos services de ministre du Reich pour l’accomplissement de nouvelles tâches ». Cette citation est bien exacte ?
Je rappellerai la déposition du témoin Gisevius qui a déjà dit que Hitler ne laissait jamais paraître les désaccords entre ses collaborateurs et lui, mais qu’au contraire il essayait toujours de donner au monde une image différente de la réalité. Pas une seule fois, après janvier 1939, Hitler ne m’a demandé mon avis ou fait appel à ma collaboration.
Quelqu’un d’autre vous l’a-t-il demandée ?
Non. J’ai cité hier les occasions où j’ai été consulté. C’était au sujet de la Belgique et au sujet du journal Das Reich. Je crois que c’est tout.
Et vous n’avez exercé aucune fonction relative à la Belgique ?
Non.
Je citerai votre lettre du 17 octobre 1940, adressée au ministre de l’Économie, document EC-504, (USA-830). A ce moment-là, vous n’étiez plus président de la Reichsbank, n’est-ce pas ?
En effet, je n’étais plus que ministre sans portefeuille.
Afin d’éviter que dans les pays occupés de l’Ouest les banques allemandes travaillent en concurrence ou même en opposition, vous avez confié à la Deutsche Bank la mission de préparer une coopération économique plus étroite avec la Hollande et chargé la Dresdner Bank de la même mission pour la Belgique. Puis, vous décrivez la situation et dites :
« Afin d’éviter cette difficulté, vous avez, Monsieur le ministre, donné votre accord pour que le soussigné, se rendant au désir de ces deux banques, prononce sur ce point une déclaration d’arbitrage. J’ai donc discuté la situation avec les deux banques et j’ai pu constater, au cours de la conversation, que les institutions financières belges ou hollandaises ne manifestaient pour le moment aucun empressement à s’engager d’une manière générale avec leurs collègues allemands. »
Vous souvenez-vous de cela ?
Oui, je m’en souviens maintenant que vous me l’avez lu. Puis-je m’expliquer, ou quelle était votre question ?
Je voulais seulement savoir si vous vous en souveniez.
Je vous prie alors de me permettre de m’expliquer. Il s’agit de...
Si vous pensez que cela nécessite une explication...
J’en suis persuadé, mais c’est au Tribunal d’en décider. Si je puis parler, voici : il s’agit d’une rivalité entre deux grandes banques, et ces deux grandes banques s’étaient adressées à moi, en ma qualité d’ancien banquier et de président de la Reichsbank, en me demandant de me prononcer sur leur différend, ce que je fis. Je ne vois pas ce que cela peut avoir à faire avec une participation officielle à l’administration belge.
Et votre intervention avait pour but d’éviter dans les pays occupés des malentendus entre les milieux bancaires de ces pays et les banques allemandes ?
Certainement. Ils voulaient collaborer en paix.
Bien que vous ayez dit au Tribunal que vous étiez tout à fait opposé à ce que les Allemands s’y soient installés ?
Bien entendu, mais puisqu’ils y étaient, j’ai parlé en faveur de la paix.
Krupp von Bohlen, lui aussi, s’est adressé à vous au sujet d’une collecte connue sous le nom de « Hitler Spende » ?
Non.
Jamais ?
Jamais.
Mais il est très malheureux que votre nom ait été mêlé à...
Oui, oui, je connais cette lettre.
Vous n’avez jamais reçu une telle lettre ?
Si, je connais cette lettre, mais je n’ai pas été chargé de trouver ces fonds.
Pourtant vous y avez contribué ?
Non.
Y avez-vous participé ?
Moi, personnellement ? Certainement pas. Je ne sais pas du tout ce que vous me reprochez.
Je croyais que vous aviez eu connaissance de cette lettre de Krupp von Bohlen.
Oui, mais je vous demande : de quoi m’accusez-vous ? Posez-moi la question.
Avez-vous rassemblé des fonds ou avez-vous aidé Krupp von Bohlen, au mois de mai 1933, à constituer le fonds de la « Hitler Spende » ?
Non.
Comment avez-vous répondu à la lettre de Krupp von Bohlen qui vous demandait de le faire ?
Voudriez-vous me rappeler ce que Krupp m’écrivait à l’époque ?
Avez-vous trouvé la lettre du 29 mai ?
Un instant, je la lis rapidement. Puis-je répondre ? De ce...
D’abord, avez-vous reçu cette lettre ?
Bien entendu.
Alors dites-nous ce qui s’est passé.
Dans cette lettre, M. Krupp me faisait savoir que l’industrie et les autres milieux économiques, l’agriculture, etc., avaient l’intention d’organiser un secours commun (Hitler Spende) pour grouper en une collecte unique les souscriptions effrénées organisées par le Parti dans tous les coins du pays, et qui n’inspiraient que peu de confiance. Il me communiquait cela et me disait également dans cette lettre qu’un conseil d’administration serait nommé pour cette « Hitler Spende ». Je ferai remarquer que je n’ai jamais ni assisté ni appartenu à ce conseil. Il me disait, en outre, que les représentants des banques, à savoir le Dr Fischer et le Dr Mosler, se mettraient en rapport avec moi à ce sujet et me mettraient au courant de la question. Voilà tout ce que contient cette lettre.
Je dépose cette lettre sous le numéro USA-831. (A l’accusé.) Voulez-vous regarder la lettre suivante, datée du 30 mai 1933, qui mentionne que ces messieurs ont eu l’occasion de vous parler de ces questions ?
Un instant, s’il vous plaît ; je crois que la lettre n’est pas dans le dossier... Non, elle n’y est pas.
Je vous demande de lire d’abord la lettre du 29 mai. Il y en a une du 29 mai et une autre du 30 mai. Celle du 29 mai n’a pas été traduite.
Je vois, un instant ; je lis.
Cette lettre ne m’est jamais parvenue. Elle est d’ailleurs biffée et n’a vraisemblablement jamais été envoyée ; il y eut en effet entre Krupp et moi un entretien dont parle Krupp dans une lettre du lendemain, c’est-à-dire du 30 mai ; la lettre débute ainsi : « Ainsi que j’ai eu l’occasion de vous en faire part brièvement hier avec le Dr Köttgen... » C’est évidemment d’une conversation qu’il veut parler.
Et vous avez dit également : « Vous avez bien voulu accepter de vous faire indiquer par le Dr Otto Christian Fischer et le Dr Mosler... tous les détails et en particulier dans quelle mesure les banques publiques peuvent participer à cette œuvre ».
Non, Monsieur Justice Jackson, cela n’est pas dans cette lettre ; voulez-vous avoir la bonté de lire la lettre du 29 mai ? Où est-il indiqué que j’en aie parlé au Dr Fischer ou que je doive en parler au Dr Mosler ? Où voyez-vous cela ?
Vous niez avoir reçu la lettre du 29 ?
Oui.
Vous ne l’avez jamais reçue ?
Non.
Vous niez avoir eu avec Krupp une conversation portant sur cette lettre ?
Non... Un instant, laissez-moi repondre tranquillement. Je désire simplement ne pas laisser passer une accusation sans la relever.
Je n’ai reçu cette lettre ni le 29 mai ni plus tard. Cette lettre a été remplacée par un entretien verbal. L’objet de cette conversation est mentionné dans la lettre du 30 mai que je viens de lire et que j’ai reçue. Vous venez de prétendre que j’avais promis à M. Krupp von Bohlen de parler au Dr Fischer et au Dr Mosler. Cela n’est pas mentionné dans la lettre.
Mais cela ne figure-t-il pas dans le mémorandum qui — comme vous dites — a été remplacé par une conversation ? C’est cela que je vous demande.
Oui, mais en tout cas je n’ai pas promis de parler à ces messieurs.
Avez-vous autre chose à dire à ce propos ?
Non, cela suffit.
Je crois que vous avez déclaré hier que vous aviez fait une déclaration publique contre la politique de terreur du régime et vous en avez donné pour preuve votre discours de Kœnigsberg ?
Oui.
Malheureusement, Docteur Schacht, vous vous êtes arrêté au moment où je commençais à m’y intéresser.
Oui, c’est en général comme cela.
Après avoir dit qu’il y a des personnes qui gouvernaient l’Allemagne... Je vais lire le passage que vous avez cité, car c’est important à cause...
Oui, citez le tout.
Oui. Voici : « Ce sont des gens qui s’en vont héroïquement répandre de la peinture la nuit sur les vitrines, qui mettent au pilori comme traître à son peuple tout Allemand qui fait un achat dans un magasin juif, qui traitent de canailles tous les anciens francs-maçons et qui, en combattant, encore qu’avec raison, les pasteurs et les prêtres qui font de la politique, sont incapables de faire la différence entre la religion et son mauvais usage. Le but qu’ils visent est généralement juste et bon... »
C’est bien ce que vous avez cité ?
Oui.
Continuons : « Le but qu’ils visent est généralement juste et bon. Il n’y a pas de place dans le Troisième Reich pour les sociétés secrètes, même si elles sont inoffensives. Les prêtres et les prédicateurs doivent s’occuper des âmes et ne pas se mêler de politique ; les Juifs devront admettre que leur influence chez nous a cessé une fois pour toutes ».
Cela faisait aussi partie de votre discours, n’est-ce pas ?
Parfaitement.
Et vous avez déclaré dans ce discours que, pour le « problème juif », comme vous l’appeliez, une législation était à l’étude et qu’il fallait l’attendre ?
Oui, c’est ce que j’espérais.
Vous en aviez bien reçu l’assurance ?
Pardon ? Oui, telle était l’intention de Hitler, et ce que je pus déduire de mon entretien avec lui.
Et vous saviez que les lois sur les Juifs étaient en préparation ?
Pas celles qui furent promulguées plus tard, mais j’avais toujours insisté auprès de Hitler pour qu’il donnât une protection légale aux Juifs ; j’aurais bien voulu l’obtenir et je pensais y parvenir. Mais à la place nous eûmes les lois raciales de novembre ou de septembre, oui, de novembre 1935.
J’ai cité un extrait du document EC-433 (USA-832). Vous prétendez que les lois que vous aviez prévues et promises étaient des lois pour la protection des Juifs ?
Parfaitement.
Nous en reparlerons plus tard. Vous avez indiqué au Tribunal les raisons qui, dites-vous, étaient des raisons de principe, pour lesquelles vous n’êtes pas devenu membre du Parti.
Oui.
Vous avez dit cela hier au Tribunal : vous vous en souvenez ?
Oui.
N’avez-vous pas déclaré au Ministère Public américain que vous aviez demandé à Hitler si vous deviez entrer au Parti et qu’à votre grand soulagement Hitler vous répondit que non ?
Oui, je voulais m’assurer, avant d’entreprendre avec lui quelque collaboration que ce fût, s’il me demanderait de devenir membre du Parti. Il déclina cette proposition et j’en fus très soulagé.
Ainsi, vous êtes resté en dehors du Parti avec le consentement et l’approbation de Hitler ?
Mais, bien entendu. Je crois que cela constitue une preuve de plus pour établir que je n’ai jamais été membre du Parti.
Mais vous n’en avez pas parlé devant le Tribunal au moment où vous avez dit que Hitler y avait consenti ?
Non ; je pensais que le Tribunal me croirait de toute façon.
Lorsque vous avez reçu l’insigne d’or du Parti, vous avez déclaré que c’était le plus grand honneur que pût conférer le Troisième Reich, n’est-ce pas ?
Oui, c’est ce que j’ai dit.
Et si vous ne le portiez pas tous les jours, vous le faisiez toutefois pour les occasions officielles, n’est-ce pas ?
Oui, cela me donnait de grandes facilités pour voyager dans les trains, pour commander des voitures et ainsi de suite.
De 1933 à 1942 vous avez donné une contribution de 1.000 Reichsmark par an au parti nazi ?
Non ; oui ; pardon, de 1937 à 1942.
N’avez-vous pas dit à l’interrogatoire que c’était de 1933 à 1942 ?
Non, c’est une erreur. C’est à partir de 1937, après avoir reçu la Swastika. C’est manifestement un malentendu. Après l’avoir reçue je me suis dit : « C’est raisonnable. Donnons à ces gens 1.000 Reichsmark par an, ce sera fini ».
Pendant dix ans, près de dix ans, vous avez accepté et détenu divers postes officiels sous ce régime, n’est-ce pas ?
Du 17 mars 1933 au 21 janvier 1943.
Et, si je vous comprends bien, pendant cette période, ou du moins pendant une partie de cette période, Hitler vous a dupé, et, pendant toute cette période, vous avez dupé Hitler ?
Non, non, pas du tout.
Je vous ai mal compris, alors ?
Oui.
Bien. Alors...
Je crois que dans les premières années, du moins, je n’ai pas dupé Hitler ; non seulement je le crois, mais j’en suis sûr. Je n’ai commencé qu’en 1938. Jusque-là, je lui avais toujours honnêtement donné mon opinion, sans le tromper, bien au contraire.
Que dire alors de votre déclaration selon laquelle vous êtes entré dans son Gouvernement afin de freiner son programme ? Le lui avez-vous dit ?
Non, je m’en serais bien gardé ; il ne m’aurait jamais permis d’y entrer. Mais je ne l’ai pas trompé sur ce point-là.
Savait-il que vous aviez pour but, en devenant membre du Gouvernement, de saboter son programme ?
Je n’ai pas dit que je voulais saboter son programme, mais que je voulais le faire rentrer dans la bonne voie.
Vous avez dit cependant que vous vouliez le freiner ; c’est bien l’expression que vous avez employée ?
Certainement.
Ce qui veut dire ralentir, n’est-ce pas ?
Parfaitement.
Et lui désirait accélérer, n’est-ce pas ?
Oui, peut-être.
Et vous avez pris bien soin de ne jamais lui faire savoir que vous étiez devenu membre de son Gouvernement dans le but de ralentir son programme de réarmement ?
Je n’avais tout de même pas besoin de lui dire ce que je pensais. Je ne l’ai pas dupé. Je ne lui ai rien dit d’inexact. Je ne pouvais tout de même pas lui dire ce que je pensais et ce que je voulais dans mon for intérieur. Il ne me le disait pas non plus. Vous ne le dites pas non plus à vos adversaires politiques. Je n’ai jamais dupé Hitler, sauf à partir de 1938.
Je ne vous interroge pas sur votre adversaire politique ; je vous interroge sur l’homme dans le Gouvernement duquel vous êtes entré.
Oui.
On ne dit rien à son adversaire, mais est-il d’usage en Allemagne d’entrer dans un Gouvernement avec l’intention de détruire le programme de son chef ?
Je viens de vous faire remarquer que le terme « détruire » n’est pas celui qui convient, Monsieur Justice. Je n’avais pas l’intention de le détruire, mais de le freiner ; et c’est fréquent, car c’est ainsi que sont formés tous les Gouvernements de coalition. Quand vous entrez dans une coalition, vous vous entendez sur certaines questions avec les partis voisins et vous vous efforcez de contrecarrer par votre influence certains des désirs de votre adversaire. Ce n’est pas une tromperie, c’est tout simplement une tentative de compromis.
Vous prétendez donc que vous êtes entré dans une coalition ?
Certainement ; c’est ce que j’ai exposé clairement et avec de nombreux détails.
Vous avez employé aujourd’hui le mot sabotage en décrivant vos activités relatives au programme de réarmement ; c’est bien exact ?
Oui, c’est ce que j’ai fait à partir de, disons 1936 ; mais Hitler l’avait bien remarqué. Ce n’était donc pas une tromperie.
Vous prenez une part de responsabilité, je suppose, dans le fait que l’Allemagne ait perdu la guerre ?
Voilà une question très étonnante. Vous me pardonnerez de répondre que je n’en prends pas la responsabilité. Étant donné que je n’ai aucune responsabilité dans le déclenchement de cette guerre, je ne peux pas être responsable du fait qu’elle ait été perdue : je ne voulais pas de guerre.
Quand avez-vous eu pour la première fois des doutes sur Hitler, en tant qu’homme, sur sa bonne foi ?
Je me suis exprimé à ce propos avec tant de détails tout au long de mon interrogatoire qu’il ne me semble pas que je doive le répéter.
Est-il arrivé... Je vais vous poser la question de la même façon que dans votre interrogatoire qui est un peu plus clair. On lit dans votre déposition :
« En 1934, il tua, ou fit tuer beaucoup de personnes sans aucun motif légal. Quelques jours plus tard, au Reichstag, il déclara qu’il était le Juge Suprême de l’Allemagne ; il ne l’était certainement pas et, pour la première fois, je me sentis choqué par ses conceptions qui me semblaient absolument immorales et inhumaines. »
Est-ce exact ?
C’est ce que j’ai déjà expliqué ici hier ou avant-hier, exactement.
Je voudrais préciser ces dates, Docteur Schacht. Vous comprenez que nous ne poursuivons pas exactement les mêmes buts dans ce Procès.
Non, non, je le sais.
Vous avez aussi reçu par Gisevius des renseignements complets sur l’activité de la Gestapo en 1934 et en 1935. C’est bien ce qu’il a déclaré au cours de son témoignage ?
Non, il n’a pas dit cela. Il a dit qu’il était au courant de ces questions. Il ne m’a pas tout raconté ; mais j’ai déjà reconnu ce matin qu’il m’avait fait part de certaines choses et que j’en avais tiré mes propres conclusions. Dès 1935, au début de mai, j’en avais parlé à Hitler.
Vous étiez au courant du terrorisme de la Gestapo, de l’incendie du Reichstag...
L’incendie du Reichstag ?
... les mauvais prétextes de l’épuration...
Un instant, je vous prie, que je puisse en parler dans l’ordre. Pour l’incendie du Reichstag, ce n’est que des années après que j’en ai eu l’explication, et cela par feu le comte Helldorf, dont Gisevius a également parlé ici.
Vous voulez dire que Gisevius ne vous en a jamais parlé ?
Je crois que c’est Helldorf qui m’en a parlé, peut-être était-ce Gisevius ; mais je pense que c’est Helldorf. En tout cas, ce n’est qu’après 1935 que j’en ai eu l’explication. Jusqu’à ce moment, je n’avais pas cru la chose possible.
Vous n’avez pas mis en doute la parole de Gisevius lorsqu’il vous raconta, en 1934 et 1935, les faits sur lesquels il a déposé ici ?
Un instant. Il me l’a dit soit en 1934, soit en 1935, mais pas en 1934 et en 1935, et s’il me l’a raconté — si c’est bien cela qu’il a dit — je suppose que c’est exact.
Vous étiez donc au courant de la persécution des Églises et de la dissolution des syndicats ?
La dissolution des syndicats avait eu lieu dès mai 1933.
Et vous étiez au courant de tout cela ?
Je ne savais pas tout, mais seulement ce qui était connu. J’en savais exactement autant que tous les Allemands et les syndicats eux-mêmes.
C’était pourtant une des raisons pour lesquelles vous-même et d’autres industriels avez versé une contribution au parti nazi ?
Mais non, mais non, il n’en a jamais été question.
Vous prétendez que des réunions d’industriels eurent lieu et que jamais une chose aussi importante pour l’industrie que l’abolition des syndicats n’y fut mentionnée ?
Je n’en sais rien. Voulez-vous, je vous prie, me rappeler quelque chose de précis ?
La confiscation des biens... l’envoi en camp de concentration des dirigeants des syndicats.
J’en ai entendu parler. Un moment. Je ne sais pas quels sont ceux qui ont été envoyés en camp dé concentration. Quant à la confiscation des biens, j’étais au courant, puisqu’elle a été annoncée officiellement. Mais quel rapport les réunions d’industriels ont eu avec ces faits, si j’ai bien compris votre question ; je n’en sais absolument rien.
Vous étiez également au courant depuis très longtemps de la persécution des Juifs ?
J’ai expliqué très exactement hier ce que je savais de la persécution des Juifs, quel a été mon comportement en la matière et comment, tout le temps que j’ai été ministre, j’ai tout fait pour éviter ces choses-là.
J’ai entendu vos déclarations d’ordre général, mais je voudrais avoir un peu plus de détails. N’avez-vous pas, au cours de votre interrogatoire du 17 octobre 1945, déclaré ce qui suit :
« Réponse
Les nationaux-socialistes avaient l’intention, et cela figurait dans leur programme, de ne conserver qu’un pourcentage plus restreint de Juifs dans les services du Gouvernement et les activités culturelles et j’étais d’accord avec eux sur ce point. »
Parfaitement.
« Question
Vous aviez bien lu Mein Kampf, n’est-ce pas ?
« Réponse
Oui.
« Question
Et vous connaissiez le point de vue de Hitler sur la question juive ?
« Réponse
Oui. »
C’est bien ce que vous avez déclaré ?
Parfaitement.
« Question
Lorsque vous étiez ministre du Reich, des lois ont été promulguées interdisant à tous les avocats juifs, par exemple, de plaider devant les tribunaux.
« Réponse
Oui, c’est bien ce que j’ai dit.
« Question
Etiez-vous d’accord avec ces mesures ?
« Réponse
Oui. »
Est-ce cela que vous avez dit ?
Oui.
Et vous étiez d’accord sur l’exclusion...
J’ai toujours été d’accord sur ce principe.
Vous étiez aussi d’accord sur le principe de l’exclusion des Juifs de tous les postes de fonctionnaires, n’est-ce pas ?
Non, je tiens à dire ici expressément...
Bien...
Puis-je achever ?
Oui.
En ce qui concerne l’influence croissante qui prenaient les Juifs dans les questions de Gouvernement, de droit et de culture, j’ai toujours déclaré que cette influence n’était, à mon avis, favorable ni aux intérêts de l’Allemagne et du peuple allemand — l’Allemagne étant un État chrétien basé sur une idéologie chrétienne — ni aux intérêts des Juifs, car elle alimentait l’animosité contre eux. C’est pourquoi j’ai toujours été en faveur de certaines restrictions d’une limitation du nombre des Juifs dans ces domaines, pas nécessairement d’après le pourcentage de la population, mais malgré tout suivant un certain pourcentage.
Revenons à votre interrogatoire. Les réponses faites au cours des interrogatoires sont beaucoup plus brèves que celles que l’on obtient au Tribunal en présence de la presse, si vous me permettez de le dire.
N’avez-vous pas donné les réponses suivantes ?
« Question
En ce qui concerne les fonctionnaires, on mit en vigueur une clause « aryenne ». Étiez-vous d’accord avec cette législation ?
« Réponse
Avec les mêmes restrictions.
« Question
Avez-vous jamais exprimé, au cours d’une séance du cabinet ou ailleurs, le souhait de voir appliquer ces restrictions dont vous parlez ?
« Réponse
Je ne crois pas : c’était inutile.
« Question
Vous voulez dire inutile de le faire ?
« Réponse
Oui.
« Question
Je croyais vous avoir entendu dire que la raison pour laquelle vous étiez resté au Gouvernement était votre espoir d’influencer la politique.
« Réponse
Parfaitement.
« Question
Vous ne considériez pas cela comme assez important pour prendre position ?
« Réponse
Pas assez important pour risquer une rupture.
« Question
Une rupture ?
« Réponse
Une rupture, c’est cela. »
Puis, on vous a demandé ceci : « Question
Vous avez certainement signé une loi interdisant de donner l’autorisation aux Juifs de s’occuper de devises étrangères ? »
Vous en souvenez-vous ?
Oui.
« Réponse
Oui c’est possible.
« Question
Vous approuviez cela ?
« Réponse. — Je ne me souviens pas des détails de cette question. « Question
II ne s’agit pas de détails, il s’agit de la discrimination.
« Réponse
Certainement.
« Question
Vous avez bien dit cela ?
« Réponse
Oui, certainement. »
Vous approuviez cette législation, oui ou non ?
Est-ce une question que vous me posez maintenant ou une partie de l’interrogatoire ?
C’est une question que je vous pose.
Oui, je l’approuvais. Parfaitement.
Vous l’approuviez. Vous n’avez pas dit cela au cours de votre interrogatoire.
Vous voyez comme c’est difficile.
Quand on vous a demandé si vous l’approuviez, vous avez répondu :
« Je ne l’approuvais pas, mais j’étais obligé de signer. »
« Question
Vous êtes le seul à l’avoir signée ; vous étiez le ministre de l’Économie ?
« Réponse
Oui.
« Question
Et c’est manifestement une loi qui émanait de votre ministère ?
« Réponse
Oui.
Est-ce exact ?
Oui, je le suppose. Voyez-vous, dans ces questions, il y a des différences de degré. J’ai exposé ici les principes de ma politique, mais le point auquel sont parvenues des lois isolées est une question de politique ; aujourd’hui on peut l’apprécier diversement.
Vous avez également appuyé et signé une loi interdisant d’admettre les Juifs aux examens de conseillers économiques des syndicats, par exemple.
C’est possible, je ne me souviens pas, mais c’est vraisemblablement exact.
Vous avez également approuvé une loi qui punissait de la peine de mort les sujets allemands qui transféraient ou laissaient à l’étranger des biens allemands.
Oui.
Et vous saviez, bien entendu, que ceci affectait particulièrement les Juifs qui se rendaient à l’étranger.
J’espère que les Juifs n’ont pas fraudé plus que les chrétiens.
Donc, la peine de mort pour les sujets allemands qui transféraient des biens allemands à l’étranger : telle était votre conception d’une législation équitable ?
Je ne comprends pas ; ma conception ?
Oui.
C’était une idée du ministre des Finances et j’ai signé avec lui.
La question que l’on vous a posée ensuite était la suivante : « Votre conscience ne désapprouvait pas cette mesure ? » Et vous avez répondu : « Oui. Jusqu’à un certain point ; mais cela n’était pas assez important pour risquer une rupture ».
Parfaitement.
La question suivante : « Autrement dit, vous aviez un autre but, un but beaucoup plus important ? »
Parfaitement.
« Question
Quel était donc ce but, Docteur Schacht ? » — Je continue à lire, pour gagner du temps.
Oh, pardon.
« Réponse
J’avais pour but de rester au pouvoir et d’aider à accomplir ce programme d’une façon raisonnable, dans l’ordre.
« Question
C’est-à-dire restaurer l’économie allemande ?
« Réponse
C’est exact.
« Question
Et exécuter complètement le programme d’armement ?
« Réponse
Pour obtenir l’égalité des droits entre les États, l’égalité politique pour l’Allemagne.
« Question
Au moyen de l’armement, comme vous l’avez dit vous-même ?
« Réponse
Au moyen de l’armement également. »
Tout cela est exact et je suis toujours du même avis.
Oui. La question du réarmement était donc tellement importante que vous ne vouliez pas risquer une rupture au sujet des Juifs ?
Pas la question de l’armement, mais la question de l’égalité des droits pour l’Allemagne.
Bien. Mais, comme je viens de vous le demander, au moyen de l’armement ; vous l’avez dit vous-même.
Et je vous dis : au moyen de l’armement également. C’était l’un des moyens.
Oui. Et ce fut, en fin de compte, le seul qui fut utilisé plus tard, n’est-ce pas ?
Non, ce n’est pas le seul. Il y en eut d’autres.
Nous y arriverons en temps voulu. N’est-ce pas un fait que vous avez également approuvé la loi démettant de leurs fonctions tous les fonctionnaires et notaires juifs ?
C’est possible.
Et vous avez également écrit à Blomberg le 24 décembre 1935 en lui indiquant vos motifs, n’est-ce pas ? Vous avez dit ceci :
« Le traitement infligé aux Juifs sur le plan économique et juridique, les tendances anticléricales des certaines organisations du Parti et l’arbitraire légal pratiqué dans l’entourage de la Gestapo sont préjudiciables à notre tâche de réarmement. Cette tâche pourrait, pour le moins être allégée considérablement si l’on appliquait des méthodes plus raisonnables, sans sacrifier en aucune manière le but visé. »
Vous avez écrit cela, n’est-ce pas ?
Oui, en effet ; je l’ai cité moi-même hier.
Donc, en ce qui concerne le programme de réarmement, vous y avez participé à trois titres différents ?
Je ne sais pas ce que vous voulez dire, mais je vous en prie, continuez.
Je vais vous expliquer. Vous étiez d’abord plénipotentiaire à l’Économie de guerre ?
Oui.
C’était, au début, un service secret ?
Oui.
Vous étiez président de la Reichsbank : c’était une fonction financière.
Oui.
Et vous étiez ministre de l’Économie, et disposiez ainsi du contrôle du ministère sur les questions économiques en général.
Ce mot « contrôle » est un terme si général que je ne peux pas y consentir sans restrictions ; mais j’étais ministre de l’Économie.
Considérons d’abord votre situation de plénipotentiaire à l’Économie de guerre. Au cours de votre témoignage, vous avez déclaré que ce poste avait été créé dans deux buts : a) préparation à la guerre ; b) contrôle de l’économie en cas de guerre. Est-ce exact ?
C’est-à-dire établissement d’un plan pour le cas où une guerre aurait lieu et direction de l’Économie en cas de guerre ; c’est-à-dire en cas de guerre possible : une période préparatoire et une période prévue pour l’avenir en cas de guerre.
Et, aux questions qu’on vous a posées sur votre activité, vous avez donné la réponse suivante : « De même que le chef d’État-Major prévoit la mobilisation sur le plan militaire... », de même, vous y étiez impliqué au point de vue économique.
Oui.
Vous avez répondu : « Certainement ».
Et votre poste de plénipotentiaire à l’Économie de guerre était placé sur le même plan que celui de ministre de la Guerre ?
Exactement.
Comme vous nous l’avez dit, les responsables, en cas de guerre, étaient d’abord le ministre de la Guerre et le chef de l’État-Major général de la Wehrmacht, puis, deuxièmement, à égalité, le Dr Schacht en tant que plénipotentiaire à l’Économie. Est-ce exact ?
Je le suppose, oui.
Et au mois de janvier 1937, vous écriviez ceci :
« J’ai été chargé de préparer l’économie de guerre, en partant du principe que notre organisation économique de guerre doit être établie dès le temps de paix de telle façon, qu’en cas de besoin, notre organisation du temps de paix puisse être directement convertie en économie de guerre, sans qu’il soit besoin de le faire une fois la guerre déclarée. »
Je suppose que c’est exact.
Et qui était votre adjoint à ce poste ? Wohlthat ?
Wohlthat, je crois.
Voilà pour vos fonctions de plénipotentiaire à l’Économie de guerre. Passons à votre activité de président de la Reichsbank.
Vous avez bien déclaré que l’objectif principal de la politique allemande en 1935 était l’exécution du programme de réarmement ?
Sans aucun doute.
Il n’est pas douteux que vous avez volontairement accepté la responsabilité de découvrir des moyens financiers et économiques.
Cela ne fait aucun doute.
Vous étiez à la tête de l’administration financière et économique destinée à développer l’industrie d’armement de l’Allemagne ?
Non.
N’est-ce pas ce que vous étiez ?
Absolument pas.
Je vous ai peut-être mal compris ; je cite :
« Question
« En ce qui concerne ce développement... » — je me réfère à votre interrogatoire du 16 octobre 1945, document USA-636, page 44 — « en ce qui concerne ce développement de l’industrie de l’armement, vous en étiez l’administrateur sur le plan économique et financier ». Vous avez acquiescé d’un signe de tête.
Pardon ?
Vous avez acquiescé d’un signe de tête.
Oui.
« Vous êtes devenu... » Je vais vous poser la question entière une nouvelle fois, afin que vous compreniez. « En ce qui concerne ce développement de l’industrie de l’armement, vous en étiez l’administrateur sur le plan économique et financier ». Le procès-verbal déclare que vous avez approuvé d’un signe de tête.
La question suivante était : « A ce titre, vous avez pris différentes mesures. Voudriez-vous nous exposer en détail quelles sont les mesures les plus importantes que vous avez prises en vue du réarmement, d’abord à l’intérieur du pays et ensuite à l’égard des nations étrangères.
« Réponse
A l’intérieur, j’ai essayé de rassembler tout l’argent disponible pour financer les traites Mefo. A l’extérieur, j’ai essayé de maintenir dans la mesure du possible le commerce avec l’étranger. » Avez-vous fait ces réponses et sont-elles exactes ?
Je suis sûr que vous avez raison.
Et en maintenant le commerce extérieur vous aviez pour but de trouver assez de devises étrangères pour vous permettre d’importer les matières premières nécessaires au programme de réarmement. Est-ce exact ?
C’est la question qui m’a été posée. La réponse suit. Voulez-vous la lire également.
Et, quelle est maintenant votre réponse ?
Je répondrai aujourd’hui que cela n’était pas le but unique.
Pas le but unique ?
Exactement.
Mais c’était le but principal ?
Non, absolument pas.
Quel était alors l’autre but ?
Maintenir l’Allemagne en vie, assurer du travail à l’Allemagne, fournir à l’Allemagne un ravitaillement suffisant.
Quelle était votre but principal ?
Nourrir l’Allemagne et faire travailler les industries d’exportation.
J’aimerais, à propos de vos buts, relire avec vous un ou deux de ces documents, et en particulier le document PS-1168 du 3 mai 1935.
Oui.
Il porte pour titre : « Financement de l’armement », USA-37.
« L’exposé suivant a pour point de départ le fait que la réalisation du programme de l’armement, son rythme et son étendue, sont la tâche de la politique allemande, et que, tout doit être subordonné à cet objectif, dans la mesure où le fait de négliger d’autres problèmes ne mettrait pas en péril la réalisation de cette tâche principale. »
Avez-vous écrit cela ?
Je l’ai non seulement écrit, mais remis personnellement à Hitler. C’est là un des deux documents jumeaux dont l’un a déjà été déposé ici comme preuve et examiné en détail par le Ministère Public ; je n’ai pas reçu le second document.
J’ai déjà déclaré ici, quand j’ai été interrogé par mon avocat, que je voulais arrêter les collectes et les demandes d’argent pour le Parti que l’on imposait de tous côtés au peuple allemand, car il m’était extrêmement difficile d’arriver à obtenir de l’argent pour l’armement, pour les traites Mefo, etc. Je ne pouvais, bien entendu, obtenir cela de Hitler qu’en lui disant que c’était dans l’intérêt de l’armement. Si je lui avais dit que c’était, par exemple...
Oui, mais...
Non, je vous prie de me laisser terminer. Si je lui avais dit que c’était pour construire des théâtres, par exemple, cela n’aurait fait aucune impression sur lui. Mais en lui disant : « Il faut que cela soit fait, sinon nous ne pourrons pas armer », je touchais son point faible et c’est pourquoi je le lui ai dit. Voilà ce que j’ai déclaré et expliqué à mon avocat au cours de mon interrogatoire.
Et vous n’appeliez pas cela le tromper ?
Je n’appellerai pas cela le tromper mais le guider.
Le guider sans lui dévoiler les vrais motifs qui vous poussaient, à tout le moins.
Je pense que l’on obtient beaucoup plus de résultats en guidant quelqu’un sans lui donner les véritables motifs qu’en les lui donnant.
Je vous remercie de cet exposé de votre philosophie, Docteur Schacht. Je vous suis très obligé. Vous avez dressé de nombreux plans : l’un pour le contrôle des devises, des avoirs étrangers bloqués et... les traites Mefo étaient un de vos moyens principaux de financement, n’est-ce pas ?
Parfaitement.
Je n’ai pas besoin de détails sur les traites Mefo, mais j’aimerais cependant vous demander ceci : n’avez-vous pas déclaré, au cours de votre interrogatoire du 16 octobre 1945 (USA-636), ce qui suit :
« Question
Je vais vous poser des questions précises : Au moment où vous avez émis les traites Mefo, par exemple, vous n’aviez pas d’autres disponibilités pour financer l’armement ?
« Réponse
C’est exact.
« Question
C’est-à-dire par des moyens budgétaires normaux.
« Réponse
Pas assez.
« Question
Vous étiez, de plus, limité à ce moment-là par les statuts de la Reichsbank qui ne vous permettaient pas, et de loin, d’accorder un crédit suffisant pour le programme d’armement ?
« Réponse
C’est exact.
« Question
Et vous avez cependant trouvé une solution ?
« Réponse
Parfaitement.
« Question
Et cette solution que vous avez trouvée consistait à donner à la Reichsbank les moyens de faire une avance au Gouvernement par une voie détournée, alors que, normalement et légalement, elle ne pouvait pas le faire ?
« Réponse
C’est exact. »
Est-ce exact ?
C’est ce que j’ai répondu.
On vous a posé ensuite les questions suivantes :
« Question
Si je comprends bien, c’est principalement ce qui a été fait en Allemagne pour l’industrie d’armement, pour l’économie intérieure, déjà saine par elle-même, et pour la Wehrmacht ainsi qu’aux efforts que vous avez faits depuis 1934 jusqu’au printemps 1938, date où cessa le financement Mefo, qu’est dû, pour la plus grande part, le succès de tout ce programme.
« Réponse
Je ne sais pas si ce sont là les raisons du succès, mais j’y ai contribué pour une grande part. »
Parfaitement.
Le 17 octobre 1945, on vous a posé la question suivante :
« Question
En d’autres termes, vous ne prétendez pas que vous soyez, dans une large mesure, responsable du réarmement de l’Armée allemande.
« Réponse
Oh non, je n’ai jamais fait cela.
« Question
Je suppose que vous en avez toujours été fier ?
« Réponse
Je ne dirais pas fier, mais content ». Maintenez-vous votre position ?
Je voudrais répondre ceci : les traites Mefo représentaient un système de financement qui normalement n’aurait jamais dû être employé. Je me suis exprimé avec précision à ce sujet lorsque j’ai été interrogé par mon avocat. Mais d’autre part, je puis dire que cette question fut examinée avec attention par tous les juristes de la Reichsbank et qu’au moyen de ce « subterfuge », comme vous dites, on trouva une solution « légalement » acceptable.
Je n’ai pas dit cela, c’est vous qui l’avez dit.
Non, non, je veux parler de ma propre réponse, que vous venez de citer. Je vous demande pardon. Donc, la question a été examinée du point de vue juridique et nous avons pensé que cela irait. D’ailleurs, je suis, aujourd’hui encore, heureux d’avoir contribué à l’armement. J’aurais simplement désiré que Hitler en fît un autre usage.
A l’occasion de votre soixantième anniversaire, le ministre de la Guerre, Blomberg, vous a dit : « Sans votre aide, cher Monsieur Schacht, cet armement n’aurait pas pu avoir lieu ». N’a-t-il pas dit cela ?
Oui, ce sont de ces politesses que l’on échange en de telles occasions. Mais il y a là-dedans une bonne part de vérité. Je n’ai jamais prétendu le contraire.
C’est bien ce qu’il me semble. Lorsque, finalement, vous avez fait certaines propositions en vue de faire cesser ou de ralentir l’armement, c’était, si je comprends bien, sans savoir quel en était le niveau ?
Oui.
Vous ne pouviez le déterminer qu’au moyen des circonstances financières ?
Mais non.
Comment donc, alors ?
J’avais, bien entendu, une vue d’ensemble sur ces questions, parce que le général Thomas m’en parlait toujours. Mais, ce que croit le général von Blomberg, à savoir qu’il m’ait donné des détails précis, je ne m’en souviens pas. En revanche, j’étais évidemment, d’une manière générale, toujours au courant des progrès approximatifs de l’armement et c’est ce qui m’a poussé à dire : « Doucement ». Les circonstances générales n’ont d’ailleurs fait que me fortifier dans mon opinion.
Examinons les raisons que vous donnez dans le document EC-286 ; je le dépose sous le numéro USA-833 :
« C’est pourquoi je suis d’avis que nous devons augmenter nos exportations par tous les moyens, en réduisant temporairement l’armement ; je souligne le mot « temporairement »... »
Réduisant.
« Réduisant », oui, « temporairement ».
Oui.
Je souligne « temporairement » et vous soulignez « réduisant »...
Oh non, je suis d’accord avec vous.
« ...et qu’en ce qui concerne le Plan de quatre ans, nous ne devons résoudre immédiatement que les problèmes qui nous semblent les plus urgents. Parmi eux se trouvent le problème des carburants, celui du caoutchouc synthétique, celui du développement des ressources nationales en minerais, dans la mesure où ces recherches ne nécessiteront pas une trop grande quantité de matières premières qui seraient ainsi soustraites à l’exportation. En revanche, toutes les autres mesures prévues par le Plan de quatre ans devront être différées pour le moment. Je suis persuadé qu’une telle politique augmenterait à tel point le volume de nos exportations qu’il serait possible de remédier dans une certaine mesure à l’épuisement de nos stocks et que nous pourrions envisager, dans un avenir relativement rapproché, le retour à un armement intensifié au moyen de ces matières premières. Je ne suis pas en mesure de dire jusqu’à quel point une suspension temporaire des armements comporterait également des avantages militaires. Je peux néanmoins supposer que ce répit serait non seulement avantageux pour l’instruction des hommes et des officiers — qui reste encore à faire — mais qu’il pourrait être l’occasion d’étudier les résultats techniques de l’armement tel qu’il a été fait jusqu’à présent, et d’en perfectionner le côté technique ».
Vous avez bien écrit cela à Göring ?
C’est tout à fait possible. Je ne me souviens plus de cette lettre ; mais elle semble en effet émaner de moi.
Et vous indiquiez très exactement à Göring vos véritables opinions ?
Non, je crois que c’était simplement une lettre tactique ; je pense que je voulais essayer de restreindre un peu les armements. Si je lui avais conseillé d’arrêter l’armement, Göring m’aurait probablement dénoncé auprès du Führer, et c’est pourquoi je lui ai dit : « Arrêtons l’armement temporairement ». J’insiste donc aussi sur « temporairement ». C’était une mesure tactique destinée à convaincre Göring que ce n’était qu’un arrêt provisoire.
Vous n’avez donc fait à vos collègues du Gouvernement que des déclarations tactiques qui ne correspondaient pas à votre véritable opinion ?
C’était nécessaire au plus haut degré.
Quand cela a-t-il cessé d’être nécessaire, Docteur Schacht ?
Cessé ?
Oui, quand cela a-t-il cessé d’être nécessaire ?
Je crois qu’il serait plus utile de demander quand cela a commencé à être nécessaire.
Oui, alors ?
Je ne l’ai pas fait au cours des premières années, bien entendu, mais plus tard, d’une façon bien plus importante, je pourrais dire permanente.
Et maintenant, cela a-t-il cessé ?
Je n’ai plus de collègues et ici, devant ce Tribunal, je n’ai plus à dire que la vérité.
Le 24 décembre 1935, vous écriviez — c’est le document EC-293 (USA-834) — ce qui suit :
« Si à l’heure actuelle s’impose en outre la nécessité d’un armement renforcé, je n’ai, bien entendu, pas la moindre intention de renier ou de modifier la position que j’ai prise depuis des années, avant et après la prise du pouvoir, en faveur d’un armement aussi puissant que possible ; mais il est de mon devoir de signaler les limitations économiques que comporte cette politique. »
Oui, c’est excellent.
Et c’est également vrai ?
Certainement.
Puis, en 1936, vint le Plan de quatre ans.
Oui.
Vous ne voyiez pas d’un bon œil la nomination de Göring à ce poste ?
Je ne le considérais pas comme compétent. D’autre part, cela constituait le début d’une politique qui était dirigée contre la mienne, car je savais parfaitement que commencerait alors l’armement à outrance, alors que j’étais pour un armement modéré.
Pourquoi dites-vous que la nomination de Göring allait entraîner un armement à outrance ? Pouvez-vous me citer quoi que ce soit qu’ait dit Göring en faveur du réarmement et qui aille plus loin que ce que vous avez dit vous-même.
Oh oui !
Voulez-vous le faire ?
Oui. Je crois que si vous lisez les comptes rendus de 1936, de ce que l’on appelait le « petit Conseil des ministres », que vous avez déposés, vous-même, et surtout ceux de 1933, vous constaterez immédiatement qu’on y a insisté sur la nécessité d’un armement plus poussé. Ceux de novembre par exemple, ou octobre 1936, je crois.
Mais tout cela n’apparaît-il pas également dans tous les documents que vous avez rédigés vous-même ?
Non.
Vous dites que vos déclarations à ce sujet étaient d’ordre tactique ?
Non, permettez : j’ai dit « armement dans la limite de ce qui, au point de vue économique était possible et raisonnable » ; Göring, pour aller à l’extrême, voulait dépasser ces limites.
C’est exactement ce que je voulais dire. La divergence entre Göring et vous, au sujet du réarmement, portait sur ce point : que peut supporter l’économie allemande ?
Non, je disais que l’essentiel était que l’Allemagne vive et ait un commerce extérieur et que, dans ce cadre, nous pouvions réarmer. Mais que l’Allemagne augmente son armement, simplement pour réarmer et se ruine économiquement, c’était impossible.
C’était donc bien là qu’était la différence entre Göring et vous : ce que pouvait supporter l’économie allemande. N’est-ce pas ?
Non, elle portait sur l’armement, sur l’étendue de l’armement. Car il se trouve, Monsieur Justice, que ce qu’a fait Göring, c’est l’économie allemande qui en a porté le poids. La seule question est de savoir si c’était raisonnable ou non. Si je puis m’exprimer tout à fait brutalement, je jugeais que la politique économique de Göring était déraisonnable, qu’elle représentait un accroissement de charges pour le peuple allemand, alors qu’à mon avis, l’armement ne devait pas aller plus loin et qu’au contraire le niveau de vie normal du peuple allemand devait être celui du temps de paix.
L’audience est suspendue.