CENT VINGTIÈME JOURNÉE.
Vendredi 3 mai 1946.
Audience du matin.
Le Tribunal siégera en audience publique demain samedi à 10 heures et à midi en chambre du conseil.
Monsieur Justice Jackson et vous, accusé Schacht, vous êtes priés au nom des interprètes, de faire si possible des arrêts entre les questions ; et, si vous jugez nécessaire, étant donné les documents traités, de les lire en anglais ou de parler en anglais, veuillez marquer un temps d’arrêt suffisant afin que les interprètes qui traduisent de l’anglais dans une autre langue, puissent remplir leur mission. Est-ce clair ?
Je dois m’excuser constamment auprès des interprètes ; il est très difficile de surmonter de vieilles habitudes.
C’est en effet très difficile.
Docteur Schacht, je signale en passant que la photographie n° 10 qui vous a été montrée hier représente l’une des circonstances dans lesquelles vous avez porté l’insigne du Parti, n’est-ce pas ?
C’est possible.
Vous en êtes bien sûr, n’est-ce pas ?
Je ne puis pas distinguer exactement, mais c’est possible et cela prouverait alors que la photographie a été prise après janvier 1937.
C’est ce que je voulais établir. Et, en fait, elle a été prise après 1941, n’est-ce pas ? Bormann n’a pas eu de poste officiel important avant 1941, n’est-ce pas ?
Bormann ?
Oui, Bormann.
Je l’ignore.
Maintenant, si nous voulons en revenir au Plan de quatre ans qui commença en 1936, vous vous êtes opposé, autant que je sache, à la nomination de Göring comme commissaire à ce Plan et cela pour deux raisons : d’abord, parce que vous avez pensé que ce nouveau plan pourrait entrer en conflit avec vos propres fonctions et aussi parce que, s’il devait y avoir un Plan de quatre ans, vous ne pensiez pas que Göring serait capable d’en assurer la direction.
Je ne sais pas ce que vous voulez dire, par « opposé à ». Je n’étais pas du tout d’accord là-dessus et je considérais que le choix de Göring n’était pas judicieux pour un poste de commande dans le domaine de la politique économique.
En fait, vous avez fait de Göring un être extravagant en matière d’économie, n’est-ce pas ?
Oui ; comme il arrive au cours d’une discussion assez animée.
Ou au cours d’un interrogatoire ?
Des interrogatoires peuvent être animés aussi.
Göring, par la suite, commença effectivement à s’immiscer dans vos fonctions, n’est-ce pas ?
Il l’a essayé constamment, je crois.
Oui, et il y est parvenu ?
Je ne comprends pas ce que vous voulez dire par « he got away with it ».
C’est une expression américaine qui est difficile à comprendre ; elle signifie que Göring réussit.
En juillet 1937, il m’avait complètement relégué au second plan.
Oui, cela commença avec une proposition ou une mesure qu’il prit à propos de l’exploitation des mines ?
Oui.
Il a aussi fait un discours à quelques industriels, n’est-ce pas ?
Je suppose qu’il a fait plusieurs discours devant des industriels. Je ne sais pas auquel vous faites allusion, mais je suppose que vous voulez dire le discours du mois de décembre 1936.
Je mentionne l’entretien au cours duquel, comme vous nous l’avez dit au cours d’un interrogatoire, Göring avait réuni les industriels et fait sur l’économie des déclarations ridicules que vous avez dû réfuter.
Oui, c’était la réunion du 17 décembre 1936.
Et vous avez écrit à Göring en vous plaignant de ses mesures sur les mines ?
Je suppose que vous voulez parler de la lettre du 5 août ?
Oui, c’est cela ; c’est le document EC-497 (USA-775). Et dans cette lettre du mois d’août 1937, vous avez dit, si je vous cite exactement :
« Cependant, j’ai sans cesse insisté sur la nécessité d’accroître les exportations et j’ai travaillé dans ce but. La nécessité d’amener aussi rapidement que possible notre armement à un certain niveau devait provoquer au premier chef l’idée d’un afflux maximum de devises étrangères et, avec lui, la certitude d’un meilleur approvisionnement en matières premières, par le moyen de l’exportation ». Est-ce exact ?
Je le suppose.
Et vous avez également déclaré, je crois : « J’ai affirmé cette opinion sur la situation économique, telle que je l’ai expliquée ci-dessus, dès le début de ma collaboration ». C’est aussi exact, n’est-ce pas ?
Oui, certainement.
Ces deux déclarations étaient vraies, n’est-ce pas ?
Oui.
Et vous avez conclu en vous adressant à Göring :
« Je vous demande de croire, mon cher Premier ministre, qu’il n’est pas dans mon intention de faire d’une façon quelconque obstacle à votre politique. Je n’émets pas de jugement non plus sur la question de savoir si mon point de vue, qui est différent du vôtre, est exact ou non. Je suis plein de compréhension pour votre activité ; je crois, cependant, que dans un état totalitaire, il est absolument impossible de conduire une politique économique divisée contre elle-même ». C’est exact, n’est-ce pas ?
Oui.
Et telle était la base sur laquelle Göring et vous n’étiez pas d’accord quant à la politique à suivre.
Je ne comprends pas ce que vous voulez dire par politique. Qu’entendez-vous par là ? La manière dont on conduisait les affaires ?
Oui.
Toute abstraction faite d’autres divergences que nous avions.
Les autres divergences de vues étaient personnelles ; Göring et vous ne vous entendiez pas.
Au contraire, jusqu’alors nous étions en très bons termes l’un avec l’autre.
Vraiment ?
Oui.
Le début de vos différends avec Göring fut donc la lutte pour savoir qui de vous dirigerait les préparatifs de guerre ?
Non.
Alors...
Je dois vous contredire d’une façon absolue. Les divergences...
Voulez-vous ajouter quelque chose là-dessus ?
Les divergences qui ont amené ma démission venaient de ce que Göring désirait dominer toute la politique économique, dont je devais endosser la responsabilité. J’étais d’avis que celui qui prend la responsabilité devait également commander, car, il est normal que quiconque commande assume également la responsabilité. Voilà la raison formelle pour laquelle j’ai demandé à reprendre ma liberté.
Bien ; maintenant, je reprends votre interrogatoire du 16 octobre 1945, document USA-636, et je vous demande si vous n’avez pas fait la déclaration suivante. Je cite :
« Après que Göring eut pris en mains le Plan de quatre ans — je dois dire qu’il assumait déjà le contrôle des devises depuis avril 1936 — il essaya toujours, plus encore après le Plan de quatre ans en septembre 1936, d’obtenir le contrôle de la direction de toute l’économie ; l’un des objectifs de notre lutte était de savoir lequel deviendrait commissaire à l’économie en cas de guerre ; il essaya de me prendre le poste, étant par trop soucieux d’avoir tout le monde sous son autorité. Tant que j’ai occupé le poste de ministre de l’Économie, je m’y suis toujours opposé... »
Vous avez bien fait ces déclarations, n’est-ce pas ?
Je pense que c’est exact.
Puis, vous avez décrit votre dernière visite chez lui, après que Luther, pendant deux mois, eut essayé de vous réunir tous deux.
Il y a une erreur ; il s’agit de Hitler et non pas de Luther.
Très bien. Vous l’avez décrit de la manière suivante :
« J’ai eu une dernière conversation avec Göring à la fin de laquelle il me dit : « Mais, je dois avoir le droit de vous donner « des ordres » ; je lui répondis : « Non, pas à moi, mais à mon « successeur. » Je n’ai jamais reçu d’ordres de Göring et je n’en aurais jamais accepté parce que c’était un sot en matière d’économie tandis que j’étais, en tout cas, au courant de la question. »
« Question
Bien, je comprends que c’était une affaire personnelle qui a progressivement atteint un point culminant entre Göring et vous. C’est bien clair ?
« Réponse
Oui. »
Est-ce exact ?
Certainement.
Puis le magistrat instructeur continue ainsi : « Question
Examinons un instant les devoirs de la charge et voyons ce qu’il essayait de vous enlever. Si j’ai tort, veuillez rectifier. La première était la préparation d’une mobilisation, l’autre la prise en charge effective de cette mobilisation. Cette fonction n’avait pas d’autre sens. Si bien que, si vous avez résisté, c’est parce que vous ne vouliez pas qu’on vous retirât le droit de diriger les mesures de mobilisation et, en second lieu, le droit de contrôle en cas de guerre.
« Réponse
C’est exact. »
C’est bien ce que vous avez déclaré ?
Monsieur Justice Jackson, vous confondez les événements et les époques. Les divergences avec Göring sur le poste de plénipotentiaire à l’Économie de guerre correspondent à l’hiver 1936-1937 et ce soi-disant dernier entretien avec Göring que vous venez de citer a eu lieu en novembre 1937. En janvier 1937, je crois, je me suis déclaré immédiatement prêt à transmettre le poste de plénipotentiaire à l’Économie de guerre à Göring. C’est ce qui ressort d’une note du journal de Jodl qui a été cité ici à plusieurs reprises déjà.
A cette époque, le ministère de la Guerre, notamment Blom-berg, a demandé que je reste dans mes fonctions de plénipotentiaire à l’Économie de guerre, attendu que j’étais ministre de l’Économie et que je détenais ces fonctions depuis longtemps. A ce sujet, correspond toute une correspondance qui, je pense, a déjà été présentée par vos soins au Tribunal.
C’est bien. D’ailleurs, je crois que les dates sont mentionnées dans votre témoignage. Je ne m’occupe pas tant pour le moment des dates, mais des fonctions qui ont motivé votre querelle et que vous avez décrites dans votre interrogatoire. Les questions et les réponses que j’ai lues sont exactes, n’est-ce pas ? Et ce sont bien les réponses que vous avez faites à ce moment-là ?
Oui, mais je ne puis dire qu’une seule chose. Si vous me questionnez sur ces différentes époques, cela donne une image déformée si vous ne les séparez pas. Vous ne pouvez mettre sur le même pied les événements de janvier et ceux de novembre et me demander s’il y a quelque chose d’exact. Cela ne l’est pas.
Eh bien, voyons s’il y a quelque chose d’inexact dans la mesure où il est possible que quelque chose soit inexact. Quand a eu lieu votre dernière conversation avec Göring, au cours de laquelle vous lui avez dit de donner des ordres à votre successeur, mais pas à vous-même ?
En novembre 1937.
La question des devoirs de la fonction n’a rien à voir avec l’époque, n’est-ce pas ? C’est-à-dire que la question du poste de plénipotentiaire à l’Économie de guerre était la raison du désaccord entre Göring et vous. Je vais, pour qu’il n’y ait aucun malentendu, vous relire cette question et votre réponse ; je ne me préoccupe pas de la chronologie des événements mais seulement de la manière dont vous décrivez la fonction. Je relis :
« Question
Examinons un instant les devoirs de la charge et voyons ce qu’il essayait de vous enlever. Il n’y a que deux possibilités, comme on me l’a expliqué. Si j’ai tort, veuillez rectifier. La première, était la préparation d’une mobilisation, l’autre la prise en charge effective de cette mobilisation. Cette fonction n’avait pas d’autre sens. Si bien que, si vous avez résisté, c’est parce que vous ne vouliez pas qu’on vous retirât le droit de diriger les mesures de mobilisation, et, en second lieu, le droit de contrôle en cas de guerre. »
Et vous avez répondu : « C’est exact » ; n’est-ce pas ?
Cette différence...
Voulez-vous me dire d’abord si vous avez donné en fait cette réponse à cette question ?
Le procès-verbal est exact. Et maintenant, je voudrais dire...
Bien.
Je vous demande maintenant de me laisser m’exprimer.
Bien, continuez vos explications.
Maintenant, je désire spécifier que cette divergence de vues entre Göring et moi n’a absolument rien à voir avec la conversation du mois de novembre et qu’il n’y avait pas même une divergence d’opinions entre Göring et moi. Cette divergence dont vous venez de relire le compte rendu date environ du mois de janvier 1937, et ce n’était pas du tout une divergence d’opinions entre Göring et moi, car j’ai dit immédiatement : « Prenez le poste de plénipotentiaire à l’Économie de guerre et donnez-le à Göring ». Le ministre de la Guerre, M. von Blomberg, a protesté là-contre, mais pas moi, car j’étais très heureux de me défaire de ces fonctions au profit de Göring.
Y a-t-il quelque écrit, à ce propos, Docteur Schacht ?
Vos propres documents, que vous avez produits ici. Je voudrais que mon avocat les recherchât et qu’il les produisît ici lorsqu’il m’interrogera à nouveau. C’est le Ministère Public qui les a déposés.
N’est-ce pas un fait que votre controverse avec Göring avait le caractère d’une lutte personnelle entre vous et lui, sur la question du contrôle, mais n’était pas basée sur la question de l’armement ? Vous vouliez, tous deux, réarmer aussi rapidement que possible.
Je ne désire pas jouer sur les mots Monsieur Justice Jackson, pour savoir si mon différend avec Göring était personnel ou non. J’ai eu des divergences de vues avec Göring et, si vous me demandez si c’était à cause de l’armement, de sa rapidité ou de sa portée, je dirai que sur ces points nous avons eu de sérieuses différences d’opinions. Je n’ai jamais nié que je désirais réarmer pour obtenir l’égalité de l’Allemagne. Je ne désirais pas dépasser ce stade ; Göring lui, désirait le dépasser ; c’est là une divergence que rien ne peut changer.
Je ne désire pas jouer sur les mots. Si vous dites que, lorsque je parle de conflit personnel, je joue avec les mots, vous m’obligez à entrer dans les détails de ce que vous nous avez dit sur Göring.
N’est-il pas exact que vous avez fait au commandant Tilley la déclaration suivante :
« J’ai décrit Hitler comme un caractère amoral, mais je ne puis envisager Göring que comme un être immoral et criminel ; doué au départ d’une certaine bonhomie qu’il savait bien utiliser pour sa popularité, c’est l’être le plus égocentrique qu’on puisse se représenter. Le pouvoir politique n’était pour lui que le moyen de s’enrichir personnellement et d’avoir une vie personnelle agréable. Le succès des autres le remplissait d’envie. Sa cupidité ne connaissait pas de limites ; sa prédilection pour les pierres précieuses, l’or et les bijoux était inimaginable. Il ne connaissait pas de camaraderie ; ce n’est que dans la mesure où quelqu’un pouvait lui être utile qu’il se montrait un ami pour lui, mais seulement superficiellement.
« Les connaissances de Göring dans tous les domaines nécessaires à un homme de Gouvernement étaient nulles et particulièrement en matière d’économie. Il n’avait pas la moindre notion de toutes les questions économiques dont Hitler l’avait chargé, en automne 1936, quoiqu’il érigeât un appareil administratif monstrueux et abusât de ses pouvoirs de dictateur de l’économie suivant les règles de l’art.
« Dans son comportement personnel, il était si théâtral qu’on ne pouvait le comparer qu’à Néron. Une personne qui prit le thé avec sa seconde femme rapporta qu’il apparut vêtu d’une sorte de toge romaine avec des sandales garnies de joyaux, les doigts couverts d’innombrables bagues et de pierres. Son visage était maquillé et il avait du rouge aux lèvres. »
Avez-vous fait cette déclaration au commandant Tilley ?
Oui.
Oui, et vous dites que vous n’aviez pas de différends personnels avec Göring ?
Monsieur Justice Jackson, je vous prie encore une fois de ne pas confondre les époques. Je n’ai appris toutes ces choses que plus tard et non pas au moment dont vous parlez, c’est-à-dire en 1936.
Contestez-vous le témoignage de Gisevius attestant, qu’en 1935, il vous a parlé de la complicité de Göring dans l’ensemble de l’organisation de la Gestapo ?
Mais j’ai affirmé ici que je connaissais les camps de la Gestapo que Göring avait instaurés et j’ai déclaré que je m’y étais opposé. Je ne conteste nullement cela.
Mais votre amitié pour lui a continué en dépit de cette divergence ?
Je n’ai jamais eu de liens d’amitié avec Göring.
Bien...
Je ne pouvais tout de même pas refuser de collaborer avec lui, surtout aussi longtemps que j’ai ignoré l’homme qu’il était réellement.
Bien. Passons aux relations étrangères au sujet desquelles vous vous êtes plaint considérablement ici. Je crois que vous avez déclaré, qu’en 1937, lorsque vous dirigiez tout le réarmement, vous n’envisagiez aucune guerre ? Est-ce exact ?
Non, ce que vous dites là n’est pas exact, Monsieur Justice. En 1937, je n’ai pas tout fait pour réarmer, mais à partir de 1935, depuis la fin de 1935, j’ai tout fait pour freiner le réarmement.
Bien. Je m’en tiens à votre interrogatoire du 16 octobre 1945, et vous demande si vous avez ainsi répondu aux questions posées :
« Question
Je vous demanderai donc quelle sorte de guerre vous envisagiez en 1937 ?
« Réponse
Je n’ai jamais envisagé de guerre ; nous aurions pu être attaqués, mais je ne m’y attendais pas moi-même.
« Question
Vous ne vous y attendiez pas ; vous attendiez-vous à une possibilité de mobilisation et de concentration des forces économiques, en cas de guerre ?
« Réponse
En cas d’attaque contre l’Allemagne, certainement.
« Question
Maintenant, revenons un instant à 1937. Pouvez-vous dire de quelle sorte d’attaque vous vous préoccupiez ?
« Réponse
Je ne sais pas.
« Question
Avez-vous réfléchi là-dessus à ce moment-là ?
« Réponse
Non, jamais.
« Question
Avez-vous songé alors que la possibilité d’une guerre en 1937 était tellement éloignée qu’elle paraissait négligeable ?
« Réponse
Oui.
« Question
Vraiment.
« Réponse
Oui. » (Document PS-3728). Avez-vous bien fait ces réponses ?
J’ai fait devant le Tribunal les mêmes déclarations qu’on trouve dans cet interrogatoire.
Vous avez déclaré que vous avez essayé de faire dévier les plans de Hitler qui consistaient à s’étendre vers l’Est et d’attirer son attention sur les colonies ?
Oui.
Quelles colonies ? Vous ne l’avez pas spécifié.
Nos colonies.
Oui, et où se trouvaient-elles ?
Je suppose que vous le savez aussi bien que moi.
Vous témoignez, Docteur Schacht, et je veux apprendre ce que vous avez déclaré à Hitler et non ce que je sais.
Ce que j’ai dit à Hitler ? Je lui ai dit que nous allions essayer de recouvrer une partie des colonies qui nous appartenaient, et dont on nous avait enlevé l’administration, afin de pouvoir y travailler.
Quelles colonies ?
J’ai pensé surtout à des colonies africaines.
Et ces colonies africaines, vous les considériez comme essentielles à votre plan pour l’avenir de l’Allemagne ?
Non pas ces colonies en particulier, mais l’activité coloniale en général, et naturellement, au début, je ne pouvais que limiter nos désirs aux colonies qui nous appartenaient.
Et comme vous le dites, ces colonies africaines étaient votre propriété ?
Ce n’est pas moi qui les nomme ainsi, mais le Traité de Versailles qui les appelle « notre propriété ».
Nommez-les comme bon vous semble. En tout cas, vous vouliez ces colonies dont vous parliez ?
Oui.
Vous considériez que la possession et l’exploitation de colonies étaient nécessaires au sort de l’Allemagne que vous vouliez créer ?
Si vous remplaciez le mot « exploitation » par « développement », on pourrait exclure tout malentendu et je serai alors complètement d’accord avec vous.
Bien. Par « développement » vous voulez dire « commerce » et je pense que vous aviez l’intention de tirer des bénéfices de ce commerce ?
Nous voulions développer non seulement le commerce mais encore les ressources naturelles ou les possibilités économiques existant aux colonies.
Et vous proposiez que l’Allemagne s’appuyât sur ses colonies au lieu de rechercher son expansion à l’Est ?
J’ai toujours considéré l’extension à l’intérieur du continent européen comme une pure folie.
Oui, mais vous étiez d’accord avec Hitler sur le fait que l’extension, fût-elle coloniale ou à l’Est, était une condition nécessaire à l’Allemagne que vous vouliez créer ?
Non, je n’ai jamais dit cela. J’ai dit à Hitler que c’était une folie d’entreprendre quelque chose à l’Est ; on ne pouvait envisager qu’un développement colonial.
Et vous avez proposé, comme directive politique, un développement de l’Allemagne étayé sur des colonies pour lesquelles il n’existait pas de routes commerciales avec la métropole et pour la protection desquelles il vous fallait une puissance navale ?
Mais telle n’était pas du tout ma pensée ! Comment cette idée vous vient-elle ?
On ne va pas en Afrique par terre, je suppose ; il faut traverser la mer à un moment donné, n’est-ce pas ?
Mais on peut y aller par les airs.
Quelle était votre route commerciale ? Vous ne pensiez qu’au développement de la circulation aérienne ?
Non, non, je pensais aussi aux bateaux.
Oui, mais à ce moment-là l’Allemagne n’était pas une puissance navale, que je sache ?
Je crois que nous avions une marine marchande assez considérable.
Est-ce que votre plan colonial comprenait un réarmement capable de faire de l’Allemagne une puissance navale susceptible de protéger les colonies en perspective ?
Pas le moins du monde.
Alors, vous vous proposiez de laisser les routes commerciales sans protection ?
Oh non ! Je pensais que le Droit international représenterait une protection suffisante.
Et c’est à ce sujet que vous étiez en désaccord avec Hitler ?
Mais nous n’en avons jamais parlé.
En tout cas, il a rejeté votre plan de développement colonial ?
Non. J’ai déjà exposé ici que, sur ma demande, il m’avait donné mission à l’été 1936, de m’occuper de ces questions coloniales.
N’avez-vous pas fait ces réponses dans cet interrogatoire, Docteur Schacht ?
« Question
En d’autres termes, au moment de vos conversations avec Hitler, en 1931 et 1932, sur la politique coloniale, vous ne l’avez pas trouvé, dirons-nous, enthousiaste à l’égard de cette possibilité ?
« Réponse
Non, pas enthousiaste et pas très intéressé.
« Question
Mais a-t-il exprimé ses vues sur la possibilité d’obtenir autre chose que des colonies ?
« Réponse
Nous n’avons pas envisagé d’autre solution. »
Vous avez bien fait ces réponses ?
Certainement.
Maintenant, après l’affaire Fritsch, en tout cas, vous saviez que Hitler n’avait pas l’intention de préserver la paix européenne par tous les moyens possibles.
Oui, j’ai eu des doutes à ce sujet.
Et après l’Anschluss, vous saviez que la Wehrmacht constituait un important facteur de la politique orientale de Hitler ?
Oui, vous pouvez l’exprimer de cette manière. Je ne sais pas au juste ce que vous voulez dire par là.
Eh bien, ne répondez rien si vous ne savez pas ce que je veux dire ; nous éclaircirons cela plus tard au fur et à mesure. A part le projet colonial, vous n’avez pas proposé d’autre solution pour détourner Hitler de son plan d’expansion à l’Est ?
Non.
Et jamais, ni à une réunion de cabinet, ni en d’autres circonstances, vous n’avez proposé d’autre solution ?
Non.
En ce qui concerne l’entrée en Autriche, je crois que vous avez donné les réponses suivantes :
« Question
De fait, Hitler n’a pas utilisé les méthodes précises que vous dites avoir préconisées ?
« Réponse
Non. Certainement pas.
« Question
Étiez-vous en faveur de la méthode dont il usa ?
« Réponse
Non, du tout, Monsieur.
« Question
Qu’y avait-il dans sa méthode qui ne vous plaisait pas ?
« Réponse
Oh ! C’était tout simplement une méthode de coup de main ; les Autrichiens furent pris par surprise. C’était une mesure de violence et je n’ai jamais été en faveur de cette façon d’agir ».
Avez-vous fait ces réponses ?
Oui.
Vous vous êtes plaint ici, à de nombreuses reprises, que les étrangers ne vous aient pas aidé à divers moments dans les efforts répétés que vous avez faits pour vous opposer à Hitler, n’est-ce pas ?
Certainement.
Vous connaissiez, au moment de l’Anschluss autrichien, par les déclarations du Président Roosevelt, l’attitude des États-Unis à l’égard des nationaux-socialistes ?
Oui.
Et vous saviez qu’il déclara dans son discours que la menace hitlérienne devait être isolée, afin d’éviter son expansion ultérieure ?
Je ne m’en souviens pas, mais j’ai certainement dû le lire à l’époque, s’il a été publié en Allemagne, ce que je suppose.
A la suite de ce discours, Goebbels déclencha une campagne d’attaques contre le Président, n’est-ce pas ?
Je suppose que je l’ai lu.
A vrai dire, vous avez participé à cette attaque contre les étrangers qui critiquaient les méthodes en question ?
Quand et où ? Et quelle attaque ?
Bien. Après l’Anschluss par la force contre lequel vous vous éleviez, vous êtes parti immédiatement pour prendre en charge la Banque nationale autrichienne, n’est-ce pas ?
C’était mon devoir.
Bien. En tout cas, vous l’avez fait ?
Bien entendu.
Et vous l’avez liquidée au profit de l’Allemagne ?
Pas liquidée, mais fusionnée, amalgamée.
Comment dites-vous ?
Amalgamée.
Amalgamée. Et vous avez pris le personnel ?
Tout.
Et le décret était signé par vous ?
Naturellement.
Et vous avez réuni les employés le 21 mars 1938 ?
Oui.
Et vous leur avez fait un discours ?
Oui.
Et vous leur avez dit entre autres...
Certainement.
Mais vous n’avez pas encore entendu ce que je veux dire.
Je l’ai déjà entendu pendant l’exposé du Ministère Public.
Bien. En tout cas, je vous en citerai quelques passages pour vous les rappeler :
« Je considère comme fort utile de nous remettre ces choses en mémoire afin d’étaler toute l’hypocrisie qui émane aujourd’hui de la presse étrangère. Dieu merci, ces faits, après tout, ne pouvaient arrêter le grand peuple allemand dans sa marche, car Adolf Hitler a créé une communion de la volonté et de la pensée allemandes ; il l’a créée et soutenue avec la Wehrmacht renaissante et il a, par là, donné sa forme externe à l’union intérieure de l’Allemagne et de l’Autriche. Je suis connu pour avoir parfois exprimé des pensées de nature à scandaliser autrui et je n’aimerais pas me départir de cette coutume ». On relève à ce point de votre discours le mot Hilarité. « Je sais que, même ici, dans ce pays, il y a encore des gens — je crois qu’ils ne sont pas très nombreux — qui trouvent à redire aux événements des derniers jours. Mais personne, je pense, ne doute du but, et — on doit le dire à tous ceux qui se plaignent — on ne peut satisfaire tout le monde. Certains disent qu’ils auraient agi peut-être d’une autre façon, mais ce qui est remarquable, c’est qu’ils n’ont pas agi... » Et à nouveau figure entre parenthèses le mot Hilarité. Je poursuis la lecture de votre discours :
« ...Seul notre Adolf Hitler a agi (Applaudissements vifs et prolongés) et s’il reste encore quelque chose à améliorer, ces ergoteurs devraient améliorer de l’intérieur la situation du Reich allemand mais non pas la troubler du dehors. » (Document EC-297.) Avez-vous tenu ce langage ?
Oui.
En, d’autres termes, vous avez publiquement tourné en ridicule ceux qui se plaignaient des méthodes alors employées, n’est-ce pas ?
Si c’est ainsi que vous l’interprétez.
Puis, vous adressant au personnel de la Banque nationale autrichienne, après sa prise en charge, vous avez dit :
« Je considère comme totalement impossible qu’une seule personne ait son avenir assuré avec nous si elle n’est pas de tout cœur pour Adolf Hitler. (Applaudissements vifs et prolongés, cris de Sieg Heil.)
Je continue votre discours :
« Quiconque ne le sera pas, fera mieux de se retirer de lui-même de notre cercle. (Applaudissements frénétiques.) »
Les choses se sont bien passées ainsi ?
Oui, à ma surprise ils furent tous d’accord.
Maintenant, la Reichsbank était-elle, avant 1933 et 1934, une institution politique ?
Non.
Y a-t-il eu des menées politiques à la Reichsbank ?
Jamais.
Eh bien, le jour où vous avez parlé au personnel de la Banque nationale autrichienne, vous avez dit :
« La Reichsbank ne sera jamais autre que nationale-socialiste ; sinon je cesserai d’être son président. (Applaudissements vifs et prolongés.) Cela s’est-il passé ainsi ?
Oui.
Vous avez dit n’avoir jamais prêté serment à Hitler ?
Oui.
Et je vous demande si, en votre qualité de président de la Reichsbank, vous n’avez pas exigé de vos employés que vous preniez en charge en Autriche la chose suivante ; je cite :
« Maintenant je vous demanderai de vous lever. (L’auditoire se lève.) Nous voulons aujourd’hui prêter serment à la grande famille de la Reichsbank, nous voulons prêter serment à la grande communauté allemande, nous voulons prêter serment à notre Grand Reich allemand dans sa puissance recouvrée, et nous voulons rassembler tous ces sentiments dans notre reconnaissance à l’homme qui a amené toutes ces transformations. Je vous demande de lever la main et de répéter après moi : « Je promets solennellement que « je serai fidèle et obéissant à Adolf Hitler, Führer du Reich allemand et du peuple allemand, et que je remplirai les devoirs de ma « charge avec conscience et sans égoïsme. » (L’auditoire prête serment, la main levée.)
Vous avez prêté ce serment ; malheur à celui qui le reniera. Pour notre Führer, un triple Sieg Heil ! »
Les événements se sont bien déroulés ainsi ?
Ce serment est celui qui était obligatoirement prescrit aux fonctionnaires. Il correspond à ce que j’ai dit hier ici ; ce serment est prêté au chef de l’État comme je l’ai déjà dit précédemment : « Nous sommes au service du peuple allemand... » Je ne connais plus exactement l’expression allemande. J’entends la version anglaise ; c’est exactement le même serment.
Je fais allusion au document EC-297 (USA-632) dont je viens de me servir. Vous prétendez que ce serment était prêté au chef impersonnel de l’Etat et non pas à Adolf Hitler ?
Oui. Mais on ne peut pas prêter serment à une idée ; il faut donc que ce serment s’oriente sur une personne. J’ai déjà dit hier que je n’ai pas prêté serment à M. Ebert, à M. Hindenburg ou à l’empereur, mais au chef de l’État, représentant du peuple.
Vous avez dit à vos subordonnés que tous les sentiments exprimés par ce serment se résumaient en celui de fidélité à un homme, n’est-ce pas ?
Non.
N’est-ce pas ce que vous avez dit ?
Non, ce n’est pas exact. Si vous voulez relire, vous verrez qu’il ne s’agit pas de l’homme, mais du chef en tant que Chef de l’État.
Très bien. Peu importe à qui vous avez prêté serment...
Mais, excusez-moi, il y a une très grande différence.
Eh bien, nous y reviendrons. En tout cas, à qui que vous ayez prêté serment, vous l’avez rompu à ce moment-là, n’est-ce pas ?
Jamais je n’ai renié la foi jurée à cet homme en qualité de représentant du peuple ; je l’ai fait seulement quand je me suis rendu compte que cet homme était un criminel.
Quand vous avez conspiré contre sa vie ?
Oui.
Pouvez-vous expliquer au Tribunal comment vous pouviez provoquer la mort d’Adolf Hitler sans provoquer également celle du chef de l’État allemand ?
Il n’y a pas de distinction à faire car, malheureusement, cet homme était le chef du peuple allemand.
Vous dites que vous n’avez jamais renié votre serment ?
Je ne sais pas ce que vous voulez dire par là. Certes, je n’ai pas tenu le serment que j’avais prêté à Hitler parce que Hitler, hélas, était lui-même un parjure et un criminel ; et il n’y avait pas d’autre chef de l’État. Je ne sais pas ce que vous voulez dire par cette rupture de serment ; je ne lui ai pas été fidèle et j’en suis fier.
Vous faisiez donc prêter à vos subordonnés un serment qu’à ce moment-là vous reniiez ou que vous aviez l’intention de renier ?
Là encore vous confondez les époques, Monsieur Justice Jackson. C’était en mars 1938, lorsque, comme vous m’avez entendu le dire tout à l’heure, j’avais encore des doutes et, par conséquent, je ne voyais pas très clairement en moi quelle sorte d’homme était Hitler. Ce n’est qu’au cours de l’année 1938 que je me suis rendu compte que Hitler allait probablement déclencher une guerre et que j’ai renié mon serment.
Quand avez-vous découvert que Hitler se dirigeait vers la guerre ?
Je n’ai rompu mon serment qu’au cours de l’année 1938 quand il ressortit peu à peu des événements que Hitler prenait le chemin de la guerre, et cela intentionnellement.
Vous avez dit hier que vous aviez commencé à travailler contre le Gouvernement en 1936 et 1937.
Oui, parce que je ne désirais pas d’armement excessif.
Nous constatons cependant que vous faisiez prêter serment à votre personnel d’être fidèle et obéissant. Je vous demande si vous n’avez pas fait la déclaration suivante au cours d’un interrogatoire ? :
« Question
N’avez-vous pas ajouté à la fin du serment l’explication suivante, après que chacun eût levé la main et prêté serment : « Vous avez prêté ce serment. Malheur à celui qui le « reniera » ?
« Réponse
Oui, je suis tout à fait d’accord et je puis dire que je l’ai renié moi-même.
« Question
Prétendez-vous aussi qu’au moment où vous exigiez ce serment de vos auditeurs, vous étiez vous-même parjure ?
« Réponse
Je dois malheureusement dire qu’intérieurement j’étais très ébranlé dans ma loyauté mais j’espérais que tout finirait bien. »
Je suis heureux que vous ayez fait cette citation, elle confirme ce que je viens de dire, que je me trouvais dans un état d’incertitude et que j’espérais que les événements allaient peut-être prendre une tournure convenable, c’est-à-dire que Hitler allait évoluer dans la bonne direction. Cela confirme exactement ce que je viens de dire.
Je suis convaincu que nous voulons nous aider mutuellement, Docteur Schacht.
Je suis convaincu que nous voulons tous deux découvrir la vérité, Monsieur Justice Jackson.
Ainsi, vous êtes resté à la Reichs-bank après l’Anschluss ?
Oui.
Et vous y êtes resté jusqu’en janvier 1939, si la date est exacte ?
Oui.
Après l’Anschluss, les traites Mefo, qui avaient été émises, commençaient à venir à échéance en 1938 et 1939 ?
Non, les premières devaient venir à échéance au plus tôt au printemps de 1939. Elles avaient toutes été établies pour cinq ans et je crois que les premières qui avaient été émises au printemps de 1934, devaient être échues au printemps de 1939.
Voici une question et une réponse. Veuillez rectifier en cas d’erreur de ma part :
« Question
Avez-vous, à la Reichsbank, utilisé des fonds disponibles ou, pour mieux dire, lorsque les traites Mefo sont venues à échéance, qu’en avez-vous fait ?
« Réponse
J’ai demandé au ministre des Finances s’il pouvait les rembourser, parce qu’au bout de cinq ans il devait le faire, en 1938 ou en 1939, je crois. Les premières traites Mefo auraient dû arriver à échéance à ce moment-là. Naturellement, il répondit qu’il ne pouvait pas. »
Avez-vous eu cette conversation avec le ministre des Finances lorsque vous étiez encore président de la Reichsbank ?
Monsieur Justice Jackson, j’ai déjà dit que nous étions un peu inquiets des agissements des Finances ; nous nous demandions si nos traites seraient remboursées. J’ai déjà expliqué au Tribunal qu’au cours de la seconde moitié de 1938, le ministre des Finances se trouva en difficulté et vint me trouver à nouveau afin d’emprunter de l’argent. Je lui dis : « Écoutez. Dans quelle situation vous trouvez-vous ? Sous peu, vous aurez à nous rembourser les premières traites Mefo. Ne vous y êtes-vous pas préparé ? » Et il apparut alors, car ces faits se passaient en octobre 1938, que le ministre des Finances du Reich n’avait pris aucune décision pour remplir ses obligations, à savoir le remboursement des traites Mefo. Ce qui, en octobre 1938, rendait particulièrement difficiles les relations entre la Reichsbank et le ministre des Finances du Reich.
Les impôts ne fournissaient-ils pas un revenu suffisant pour rembourser ces traites ?
Oui, j’ai expliqué hier que le risque représenté par les traites Mefo, que j’avais admis dès le début, n’en était pas un si l’on suivait une politique financière raisonnable, si, à partir de 1938, on n’avait pas cherché à réarmer et à faire de nouvelles dépenses déraisonnables, mais si, au lieu de cela, les revenus provenant des impôts et des emprunts avaient été employés pour rembourser les traites Mefo.
Je vous demande simplement pour le moment, Docteur Schacht, si ces traites n’auraient pas pu être payées par les revenus des impôts ?
Certes oui.
Elles pouvaient être remboursées ?
Naturellement, c’est justement là ce qu’il y a de curieux, c’est qu’elles n’ont pas été remboursées. L’argent a été utilisé pour continuer à réarmer. Puis-je ajouter encore une chose, afin de vous présenter un tableau plus clair ?
Non. Je ne m’intéresse pas au financement, mais plutôt à la situation embarrassée dans laquelle vous vous trouviez au moment où vous avez démissionné.
Oui.
Les traites Mefo étaient échues et ne pouvaient être payées ?
Dans un délai assez bref.
Elles venaient à échéance dans un délai assez bref ?
Oui, mais elles pouvaient être remboursées. Vous commettez une erreur en pensant qu’elles ne pouvaient pas l’être.
Bien. En tout cas, elles ne pouvaient pas être payées sur les rentrées des impôts de l’année courante ?
Mais oui, bien entendu. Cela ne vous intéresse pas et vous ne voulez pas de mes explications, mais je suis tout prêt à éclaircir tout cela.
Vous nous l’avez très bien expliqué.
Vous venez de me dire que cela ne vous intéressait pas.
Les souscriptions au quatrième emprunt d’État de 1938 n’avaient pas donné de bons résultats ?
Peu satisfaisants ; le marché des capitaux était mauvais.
Et vous avez fait un rapport sur l’emprunt indiquant que les souscriptions publiques avaient été minimes et que les résultats n’étaient pas satisfaisants ?
Oui.
Or, n’avez-vous pas fait au magistrat instructeur la réponse suivante :
« Question
Je vous demande si, durant cette période du 1er avril 1938 à janvier 1939, vous n’avez pas continué à financer l’armement ?
« Réponse
Monsieur, dans le cas contraire, ces traites Mefo auraient dû être remboursées par le Reich. Le Reich ne pouvait pas le faire, parce qu’il n’avait pas d’argent pour cela. Et je ne pouvais, pour ce remboursement, trouver d’autres fonds que les revenus des impôts ou des emprunts. Dans ces conditions, il me fallait prolonger ces traites, et je l’ai fait, bien entendu. »
Avez-vous donné cette réponse ?
Oui, tout était parfaitement en ordre, — mais je vous prie de me laisser m’expliquer — car le ministre des Finances n’avait pas mis à notre disposition les moyens de remboursement des traites Mefo, mais avait utilisé les fonds pour le réarmement. S’il avait destiné ces moyens de remboursement aux traites Mefo, tout aurait été en ordre.
Et vous avez prolongé les traites Mefo, ce qui a permis au ministre des Finances de poursuivre le plan de réarmement après 1938, n’est-ce pas ?
Monsieur Justice Jackson, la situation était la suivante : une grande partie des traites Mefo se trouvait placée sur le marché des capitaux. Lorsque le Reich faisait par trop appel à ce marché de l’argent et des capitaux, les particuliers envoyaient les traites Mefo à la Reichsbank qui avait promis de les accepter. Voilà comment ma politique fut détournée de son sens par le ministre des Finances du Reich, qui finança les armements, au lieu, comme il l’avait promis, de rembourser les traites Mefo.
C’est dans ces circonstances que vous avez adopté une attitude qui devait amener votre démission de la Reichsbank ?
Oui.
Passons maintenant à la Tchécoslovaquie. Avez-vous approuvé les méthodes consistant à annexer le pays des Sudètes en recourant aux menaces ou à la force armée ?
Certes non.
Je crois que vous avez qualifié d’injuste et de blâmable la manière dont le pays des Sudètes a été acquis ?
Je n’ai pas dit cela que je sache. J’ai dit que la politique alliée avait fait cadeau du pays des Sudètes à Hitler, alors que je ne m’étais toujours attendu qu’à une autonomie des Allemands des Sudètes.
Vous avez donc approuvé la politique de Hitler dans son règlement de la question des Sudètes ? C’est bien ce que vous voulez dire ?
Je n’ai jamais su si Hitler avait exigé quelque chose au delà de l’autonomie ou ce qu’il avait exigé.
Votre seule critique de la situation tchécoslovaque s’adresse donc aux Alliés, si je comprends bien ?
Elle s’applique aussi aux Tchèques, peut-être aussi aux Allemands ; pour l’amour de Dieu, je ne veux pas jouer ici les juges.
Passons donc au document PS-3728 (USA-636) ; je vous demande si vous n’avez pas répondu ainsi aux questions suivantes :
« Question
Je reviens maintenant à l’entrée en Tchécoslovaquie, qui conduisit à la politique d’apaisement de Munich et de la cession du pays des Sudètes au Reich.
« Réponse
Oui.
« Question
A ce moment-là, étiez-vous en faveur de la politique d’acquisition des territoires des Sudètes ?
« Réponse
Non.
« Question
Avez-vous soutenu à ce moment-là la politique consistant à menacer les Tchèques d’utiliser la force des armes afin d’acquérir le territoire des Sudètes ?
« Réponse
Non, certainement pas.
« Question
Alors, je vous demande maintenant si vous n’avez pas été frappé à ce moment-là ou n’avez pas pris conscience du fait que les moyens utilisés par Hitler pour amener les Tchèques à composition étaient la Wehrmacht et l’industrie d’armement ?
« Réponse
Il n’aurait pas pu le faire sans la Wehrmacht.
Avez-vous fait ces réponses ?
Oui.
Continuons :
« Question
Avez-vous considéré la manière dont il a traité la question des Sudètes comme injuste ou répréhensible ?
« Réponse
Oui.
« Question
Vraiment ?
« Réponse
Oui, Monsieur.
« Question
Avez-vous eu le sentiment, à ce moment-là, revenant par la pensée sur les événements qui s’étaient déroulés et sur votre propre participation à ces événements, que cette armée que Hitler utilisait comme menace contre la Tchécoslovaquie était, au moins en partie, votre propre création ? Est-ce que cela ne vous a jamais frappé ?
« Réponse
Je ne peux pas le nier, Monsieur. »
Certainement pas.
Mais, là encore, vous êtes venu aider Hitler, une fois qu’il eût réussi, n’est-ce pas ?
Comment pouvez-vous dire une chose pareille ? Je ne savais certainement pas que M. Hitler se servirait de l’Armée pour menacer d’autres pays.
Après qu’il l’eût fait, vous vous êtes rendu là-bas et avez pris la banque tchèque en charge, n’est-ce pas ?
Naturellement.
Vous avez suivi Hitler, dans la mesure où il occupait le territoire, pour nettoyer économiquement le pays, n’est-ce pas ?
Je vous demande pardon, il ne l’a pas du tout pris par la force ; les Alliés lui en ont fait cadeau. Tout cela a été réglé pacifiquement.
Bien. En tout cas, nous avons votre témoignage sur le rôle joué par la Wehrmacht et sur celui que vous avez joué vis-à-vis de la Wehrmacht.
Oui, je ne l’ai jamais nié.
Non, je pense à autre chose. Je fais allusion à votre interrogatoire du 17 octobre 1945 (document USA-616) :
« Question
Après l’occupation du territoire sudète, à la suite de l’accord de Munich, avez-vous, en votre qualité de président de la Reichsbank, entrepris quoi que ce soit dans le territoire des Sudètes ?
« Réponse
Je crois que nous avons repris les succursales de la banque tchèque d’émission : »
Et vous avez aussi réglé la conversion de la monnaie ?
Oui, également.
C’est ce que vous avez fait après cet acte injuste et répréhensible commis par Hitler ?
Hitler n’a pas commis d’acte injuste et répréhensible, mais, par la voie d’un accord, il a obtenu le pays des Sudètes et, naturellement, la monnaie et l’institut d’émission devaient être amalgamés aux institutions allemandes correspondantes. Il ne saurait être question d’injustice. Je ne puis m’imaginer que les Alliés aient apposé leur signature sous une injustice.
Vous pensez donc que tout ce qui s’est déroulé jusqu’à Munich était correct ?
Non, je suis d’un avis tout à fait contraire. Il y eut beaucoup d’injustices.
Étiez-vous dans cette salle lorsque Göring a déposé et parlé de sa menace de bombarder Prague, la belle ville de Prague ?
Grâce à votre invitation, je me trouvais là.
Je suppose que vous avez approuvé cet usage de la force que vous aviez créée dans la Wehrmacht ?
Désapprouvé, en toutes circonstances.
Vous n’avez pas pensé que cette manière d’agir était correcte ?
Non, c’était une affaire monstrueuse.
En tout cas, nous avons trouvé un point sur lequel nous sommes d’accord, Docteur. Étiez-vous au courant de l’invasion de la Pologne ?
Oui.
Vous l’avez considérée comme un acte inqualifiable d’agression de la part de Hitler ?
Absolument.
De même pour l’invasion du Luxembourg.
Absolument.
Et de la Hollande ?
Absolument.
Et du Danemark ?
Absolument.
Et de la Norvège ?
Absolument.
Et de la Yougoslavie ?
Absolument.
Et de la Russie ?
Absolument, Monsieur, et vous avez oublié la Norvège et la Belgique.
Oui ; j’en ai terminé. Toute cette liste était une suite d’agressions.
Condamnables sans rémission.
Et chaque étape de cette suite d’agressions était due à la Wehrmacht à la création de laquelle vous avez tant contribué ?
Malheureusement.
Je voudrais maintenant passer à un autre sujet, mais peut-être est-il l’heure de suspendre l’audience.
L’audience est suspendue.
Plaise au Tribunal. L’accusé von Neurath n’assistera pas à l’audience.
Docteur Schacht, dans votre déposition, vous avez mentionné un film qui a été présenté en Allemagne dans un but de propagande. Cette bande montre votre comportement à l’occasion du retour de Hitler après la défaite de la France.
Me permettez-vous de rectifier ? Ce n’est pas moi qui ai parlé de ce film, mais mon avocat. Il n’a pas été dit non plus que ce film avait été utilisé dans un but de propagande. Mon avocat a simplement déclaré que ce film a paru dans les actualités, donc vraisemblablement pendant une semaine.
Je demande à montrer ce film au Tribunal ; il est très court et le mouvement est rapide. Il y a très peu de texte à traduire, mais la rapidité est telle que, pour ma part, il a fallu que je le voie deux fois afin de me rendre vraiment compte de ce qu’il représente.
Voulez-vous le présenter maintenant ?
Oui, maintenant. Cela prendra peu de temps, mais il faudrait que le Dr Schacht soit placé de manière à le voir, car j’ai quelques questions à lui poser et je lui demanderai, en particulier, d’identifier les personnes présentes. Si le Tribunal le permet, je ferai projeter ce film deux fois afin que tout puisse être bien vu.
Oui, certainement.
Je crois qu’en mentionnant ce film que je voudrais déposer comme preuve, je l’ai qualifié de film de propagande. Ce n’est pas le langage du Dr Dix ; il l’a déposé sous les termes d’« actualités de la semaine ». (A l’accusé.) Pendant que vos souvenirs sont encore frais, voudriez-vous indiquer au Tribunal les accusés que vous avez reconnus sur ces vues ?
Les extraits rapides qui ont été projetés ne m’ont pas permis de voir si tous étaient là. Mais je suis tenté de croire, d’après mes souvenirs et non d’après ce film, que presque tous étaient présents, soit dans la suite de Hitler ou parmi ceux qui le recevaient.
Pendant que vous étiez encore président de la Reichsbank et après la mainmise sur la banque de Tchécoslovaquie, vous avez prononcé un discours le 29 novembre 1938, n’est-ce pas ?
Oui.
C’est le document EC-611 (USA-622). On me signale à l’instant que le film sera déposé sous le numéro USA-835. Avant que je ne passe à un autre sujet, je désirerais déposer la déclaration sur la personnalité de l’accusé Göring, qui constitue le document PS-3936, sous le numéro USA-836. (A l’accusé.) Dans ce discours du 29 novembre 1938, Docteur Schacht, si je me suis bien informé — et d’ailleurs vous avez prononcé ce discours en public, n’est-ce pas ?...
Dans la mesure où ce discours a été prononcé devant l’Académie allemande, il était tout à fait public et s’il a franchi la censure il a du en être question dans les journaux ; il était public, tout le monde pouvait l’entendre.
Vous avez prononcé les paroles suivantes, n’est-ce pas :
« Il est possible qu’aucune banque d’émission en temps de paix n’ait mené une politique de crédit aussi audacieuse que la Reichsbank depuis la prise du pouvoir par le national-socialisme. Mais, avec l’aide de cette politique de crédit, l’Allemagne a créé un armement qui ne le cède à aucun autre dans le monde, et cet armement, à son tour, a rendu possibles les succès de notre politique. » (Document EC-611.) Est-ce exact ?
C’est absolument exact ; je vous prie de me laisser m’expliquer à l’avenir. C’est exact, et j’ai été très étonné de voir qu’il était nécessaire d’agir ainsi pour obtenir justice dans le monde.
L’annexion de la Tchécoslovaquie représente votre conception de la justice ?
Je vous ai déjà dit que l’Allemagne n’a pas annexé la Tchécoslovaquie, mais que les Alliés la lui ont offerte sur un plat d’argent.
Prétendez-vous que ce soit un acte de justice ou bien le condamnez-vous ? Je n’arrive pas à vous comprendre, Docteur. Dites-nous seulement si vous étiez d’accord avec cela ? Et aujourd’hui, êtes-vous pour ou contre ?
Contre quoi ? Voulez-vous, s’il vous plaît, me dire contre quoi ou pour quoi ?
Contre l’annexion du pays des Sudètes, la méthode avec laquelle elle a été réalisée.
Je ne peux pas répondre parce que, comme je l’ai dit, on ne l’a pas prise ; c’est un cadeau qu’on nous a fait. Si quelqu’un me fait un cadeau comme celui-là, je l’accepte avec gratitude.
Même s’il n’appartient pas à ceux qui vous le donnent ?
Évidemment, je dois m’en remettre au donateur pour cela.
Et vous accepteriez un cadeau pris sous la menace du revolver ?
Non, il n’a pas été pris sous la menace du revolver.
Bien ; revenons à votre discours. Avez-vous dit également :
« Au lieu d’un Gouvernement faible et vacillant, une personnalité unique, énergique, douée de volonté, gouverne aujourd’hui.
Voilà le grand miracle qui s’est produit en Allemagne et a eu des effets dans tous les domaines de la vie et, entre autres, — et ce n’est pas le moindre — dans le domaine de l’Économie et des Finances. Il n’y a pas de miracle financier allemand ; il y a le miracle d’une véritable résurrection de la conscience nationale et de la discipline allemande, et nous le devons à notre Führer Adolf Hitler. » (EC-611.)
Avez-vous dit cela ?
Certainement. C’était en effet une grande surprise.
Lorsque vous étiez ministre sans portefeuille, en quoi consistait votre ministère ?
En rien.
Quels subordonnés aviez-vous ?
Une secrétaire.
Quels bureaux occupiez-vous ?
Deux ou trois pièces dans mon propre appartement que j’avais aménagées en bureaux.
De sorte que le Gouvernement ne vous a même pas fourni de bureau ?
Le Gouvernement me payait un loyer pour ces pièces.
Mais avec qui aviez-vous des contacts en votre qualité de ministre sans portefeuille ?
Je ne comprends pas. Des contacts avec qui ?
Aviez-vous des conférences ? Aviez-vous des réunions officielles ?
J’ai dit à plusieurs reprises ici qu’après mon départ de la Reichsbank je n’ai pas eu un seul entretien ou une seule conférence ayant un caractère administratif ou de service.
Est-ce que vous faisiez des rapports et vous en faisait-on ?
Non, je ne me souviens pas avoir reçu de rapports, ni en avoir présenté.
Je suppose donc que vous n’aviez pas de devoirs à remplir dans cette fonction ?
Tout à fait exact.
Vous étiez ministre sans portefeuille quand Hitler est revenu de France ; vous avez assisté à la réception à la gare et vous êtes allé au Reichstag écouter son discours ?
Oui.
Bien que vous ne fussiez plus à la tête de la Reichsbank, le Gouvernement a continué à vous payer votre traitement en entier jusqu’en 1942, n’est-ce pas ?
J’ai déjà dit ici que c’était inexact. Je touchais de la Reichsbank un traitement qui m’était dû par contrat, mais je n’ai pas touché de traitement de ministre ; je crois qu’on me donnait une certaine somme, à titre de frais de représentation ; je ne saurais le dire au juste en ce moment ; mais je ne touchais pas de traitement en ma qualité de ministre.
Bien, j’en reviens à votre interrogatoire du 9 octobre 1945 et je vous demande si vous avez bien fait ces réponses au cours de cet interrogatoire :
« Question
Quel traitement receviez-vous en tant que ministre sans portefeuille ?
« Réponse
Je ne pourrais pas vous le dire exactement ; je crois qu’il s’élevait à peu près à 24.000 Mark ou 20.000. Je ne puis vous le dire d’une façon précise. Mais je crois qu’il était imputé sur le traitement et, plus tard, sur la pension que j’ai reçue de la Reichsbank, de sorte que je n’ai pas été payé deux fois.
« Question
En d’autres termes, le traitement que vous receviez comme ministre sans portefeuille pendant cette période où vous étiez également président de la Reichsbank était déduit de votre traitement de président de la Reichsbank ?
« Réponse
Oui.
« Question
Après votre rupture avec la Reichsbank en janvier 1939, avez-vous continué à percevoir votre traitement entier ?
« Réponse
Je recevais mon traitement intégral parce que mon contrat courait jusqu’à la fin de 1942.
« Question
De sorte que vous avez reçu un traitement intégral jusqu’à la fin de 1942 ?
« Réponse
Le traitement intégral, mais aucune indemnité supplémentaire. A partir du 1er janvier 1942, j’ai reçu ma pension de la Reichsbank dont était déduit, ou inversement, mon traitement de ministre. Je ne sais plus lequel était le plus élevé. Je recevais environ 30.000 Mark de pension de la Reichsbank. »
Et, le 11 juillet 1945, vous avez été interrogé à Ruskin et vous avez donné les réponses suivantes :
« Question
Quelle était la date de votre contrat ?
« Réponse
1939. Du 8 mars 1939, 1940, 1941, 1942. Quatre ans, un contrat de quatre ans.
« Question
Vous avez reçu à ce moment-là une nomination pour quatre ans ?
« Réponse
Oui, c’est ce que je vous ai dit. Après 1942, j’ai reçu une pension de la Reichsbank.
« Question
A combien s’élevaient votre traitement et les autres revenus de la Reichsbank ?
« Réponse
Tous les revenus de la Reichsbank, y compris les frais de représentation, s’élevaient à 60.000 Mark par an et la pension à 24.000. Voyez-vous, j’avais un contrat de brève durée, mais une pension élevée. En ma qualité de ministre du Reich sans portefeuille, j’avais un autre traitement ; je crois qu’il s’élevait à 20.000 ou 24.000 Mark. »
Est-ce exact ?
Les sommes figuraient par écrit : elles sont exactes. J’ai dit que j’étais payé par une seule source. On m’a demandé quel était mon traitement de ministre du Reich. Je l’ai indiqué, mais on ne me le versait pas, on l’imputait sur mon traitement de la Reichsbank. Quant à ma pension, elle a été citée une fois d’une manière inexacte, comme je le vois ici. Ma pension s’élevait à 24.000 Mark, je crois, alors qu’on a dit une fois ici qu’elle s’élevait à 30.000. Je suis un peu moins précis en ce qui concerne mes propres affaires d’argent qu’en ce qui concerne les questions financières du service. De toute façon, je n’ai été payé que d’une seule source, et cela principalement par la Reichsbank jusqu’à une date qui n’est pas exactement indiquée ici ; ce n’est pas à la fin de 1942, mais bien à la fin du mois de juin 1942 que prenait fin mon contrat. C’est à partir de ce moment-là qu’on a commencé à me payer ma pension, et cette pension elle-même n’a été payée qu’une seule fois. Je ne sais pas comment les comptes étaient établis entre le ministère et la Reichsbank.
En tout cas, vous aviez droit à un traitement et à une pension ? Et l’un était déduit de l’autre ? C’est bien ce que vous vouliez dire ? Et cet accord a subsisté aussi longtemps que vous avez fait partie du régime ?
C’est valable encore aujourd’hui et cela n’a absolument rien à faire avec le régime. J’espère que je toucherai encore ma pension car de quoi vivrais-je autrement ?
Vos dépenses d’entretien ne seront peut-être pas très lourdes, Docteur. Lorsque le général Beck a donné sa démission, il vous a demandé d’en faire autant, n’est-ce pas ?
Un instant ! Il est tout à fait inutile que le public manifeste sa satisfaction par des rires.
Vous a-t-il demandé de donner votre démission en même temps que lui ?
Non, il ne l’a pas fait.
Avez-vous présente à l’esprit la déclaration faite ici par Gisevius ?
Oui, mais c’est une erreur de Gisevius.
En tout cas, quand le général Beck a démissionné, le fait a été sans conteste porté à votre attention ?
Il m’a rendu visite et m’en a fait part quelques jours avant sa démission. Je suppose que ce devait être à la fin du mois d’août ou au début de septembre 1938.
Et vous prétendez qu’aucune proposition ne vous a été faite, à l’époque, de démissionner en même temps que Beck ?
Non, il n’en a pas été question. Beck est venu chez moi, dans ma chambre ; il ne m’a pas parlé de cela et nous n’en avons pas discuté.
Est-ce qu’il vous est jamais venu à l’esprit qu’une démission eût été le meilleur moyen d’exprimer votre protestation contre les choses que vous déclarez maintenant avoir désapprouvées ?
Non, je crois qu’une démission n’était pas du tout le moyen d’éviter ce qui devait se passer, et j’ai profondément regretté la démission de Beck. Ce qui est arrivé, Monsieur Justice Jackson, c’est le résultat d’une politique absolument fausse, qui nous était partiellement imposée et que partiellement, nous-mêmes, hélas, menions d’une manière inadéquate. En février, Neurath fut remercié ; en automne, Beck est parti ; en janvier 1939, c’est moi qui fus renvoyé ; l’un après l’autre, on nous mettait de côté. Si ce que notre groupe espérait — s’il m’est permis maintenant encore de parler d’un groupe — avait été possible, c’est-à-dire si nous avions pu accomplir une action en commun, alors c’eût été excellent. Mais ces démissions isolées n’avaient aucun sens, en tout cas aucune conséquence heureuse.
Vous pensiez que Beck aurait dû rester à son poste et adopter une attitude déloyale à l’égard du chef de l’État ? »
Absolument.
En tout cas, vous avez continué dans toutes les occasions officielles pendant la période qui s’étendit jusqu’à la défaite de la France, à vous présenter comme faisant partie du Gouvernement et du régime, n’est-ce pas ?
Je ne me suis jamais considéré comme faisant partie du régime, puisque j’étais opposé à ce régime. Mais évidemment, depuis l’automne 1938, j’ai travaillé en vue de ma propre démission, dès que j’ai vu que Hitler ne freinait pas le réarmement, mais qu’au contraire il l’intensifiait, et quand j’ai constaté mon impuissance à m’élever là-contre.
Quand avez-vous commencé à agir en vue de votre propre démission ?
Excusez-moi, je n’ai pas entendu ; agir en vue de quoi ?
Quand avez-vous commencé à agir en vue de votre démission de toutes fonctions officielles ?
Après Munich, après nous être rendu compte qu’un désarmement, ou plutôt un arrêt des armements de la part de Hitler, ne pouvait plus être escompté, alors que nous ne pouvions plus empêcher la poursuite du réarmement. C’est alors que nous avons commencé, dans les milieux dirigeants de la Reichsbank, à en parler et à comprendre que nous ne pouvions pas sanctionner cette politique de réarmement continu. Cela se passait donc au cours du dernier trimestre de l’année 1938.
Et tous ces événements que vous désapprouviez n’ont jamais été à vos yeux d’importance suffisante pour vous faire démissionner et empêcher l’utilisation ultérieure de votre nom par ce régime.
Jusqu’à ce moment-là, j’espérais toujours pouvoir orienter les choses dans une bonne voie, et c’est pourquoi j’étais prêt à affronter tous les inconvénients que comportait ma participation ultérieure, même au risque d’un jugement défavorable dont je pourrais être l’objet, comme c’est présentement le cas.
Vous avez continué à permettre que votre nom soit utilisé à l’intérieur du pays et à l’étranger, malgré votre désapprobation — d’après ce que vous dites — de l’invasion de la Pologne ?
On ne m’a jamais demandé mon autorisation, et je ne l’ai pas non plus donnée.
Vous saviez parfaitement bien, n’est-ce pas, que votre nom signifiait alors beaucoup aux yeux de ce groupe et que vous étiez l’un des rares hommes à jouir de prestige à l’étranger ?
En ce qui concerne la première partie de ce que vous venez de dire, je l’ai déjà acceptée hier comme un compliment ; en ce qui concerne la deuxième partie, je crois que c’est inexact. Je crois qu’un certain nombre d’autres membres du régime jouissaient également d’un certain crédit à l’étranger et, parmi eux, quelques-uns qui sont aujourd’hui assis avec moi au banc des accusés.
Tout observateur étranger qui lisait les comptes rendus des affaires d’Allemagne tirait la conclusion que vous aviez soutenu le régime avec continuité jusqu’à ce que vous soyez écarté des fonctions de ministre sans portefeuille, n’est-ce pas ?
C’est tout à fait inexact. Comme je l’ai déjà dit hier à plusieurs reprises, et également au cours de mon interrogatoire, les radios étrangères ont toujours cité mon nom comme celui d’un adversaire de ce régime, et tous mes amis et connaissances à l’étranger — et ils étaient nombreux — savaient que j’étais opposé à ce régime et que je travaillais contre lui. Et si l’on peut me nommer aujourd’hui un correspondant de presse qui ne le sût pas, eh bien, je pourrai dire qu’il ne connaissait pas son métier.
Voulez-vous faire allusion à la lettre que Vous écriviez à ce banquier new-yorkais, Léon... ?
Léon Fraser.
A l’époque où vous avez envoyé cette lettre en Suisse, il y avait un représentant diplomatique des États-Unis à Berlin, n’est-ce pas ?
Oui.
Et vous saviez qu’il y avait une valise diplomatique au moins une fois par semaine et parfois même chaque jour pour Washington ?
Oui. Je ne le savais pas, mais je le supposais.
Et que, si vous vouliez communiquer avec le Gouvernement américain ou avec de hauts fonctionnaires des États-Unis, vous pouviez le faire par les voies régulières ?
Je ne désirais pas du tout entrer en liaison avec le Gouvernement américain ou avec un fonctionnaire américain. Ce que je désirais, c’était reprendre contact avec un ami qui m’avait invité en janvier à venir aux États-Unis et je me suis référé à notre correspondance précédente, qui datait du mois de janvier.
La question Fraser est ainsi réglée. Maintenant, Docteur Schacht, pendant que vous étiez ministre sans portefeuille, des guerres d’agression ont été dirigées, comme vous l’avez dit vous-même, contre la Pologne, le Danemark et la Norvège, en avril 1940, contre la Hollande et la Belgique en mai 1940. En juin, intervinrent l’armistice avec la France et la reddition de ce pays. En septembre 1940, fut signé le Pacte tripartite germano-italo-japonais. En avril 1941, se produisit l’attaque contre la Yougoslavie et la Grèce que vous avez qualifiée d’agression. En juin 1941, eut lieu l’invasion de l’Union Soviétique que vous avez également qualifiée d’agression. Le 7 septembre 1941, le Japon attaque Pearl Harbour puis, après cette attaque, déclara la guerre aux États-Unis. Le 8 décembre 1941, les États-Unis déclarèrent la guerre au Japon, mais non à l’Allemagne. Le 11 décembre 1941, l’Allemagne et l’Italie déclarèrent la guerre aux États-Unis.
Tous ces événements sont intervenus dans le domaine des Affaires étrangères et vous avez conservé votre poste de ministre sans portefeuille du Gouvernement hitlérien, n’est-ce pas ?
Monsieur Justice...
N’êtes-vous pas resté et n’est-ce pas un fait ?
Oui, mais je demande à ajouter quelque chose : les douzaines de témoins qui ont déposé ici et moi-même avons dit et répété qu’il était impossible individuellement de démissionner de ce genre de fonctions, car, lorsque je suis nommé ministre par le chef de l’État, je ne puis être renvoyé que par une signature émanant de lui. De plus, on vous a raconté à plusieurs reprises comment j’ai essayé de me débarrasser de mes fonctions de ministre. En plus des déclarations qui ont été faîtes ici, je puis vous procurer d’innombrables témoignages américains selon lesquels il était connu que Hitler ne permettait à personne de quitter ses fonctions sans son assentiment. Et maintenant vous me reprochez d’être resté. Je ne suis pas resté pour mon plaisir, je suis resté parce qu’il n’y avait pas d’autres possibilités de quitter le ministère, en dehors d’un esclandre. J’ai sans cesse essayé de le provoquer, jusqu’au moment où j’ai enfin réussi, en janvier 1943, à disparaître, à mes risques et périls.
Nous reviendrons plus tard sur votre explication ; pour l’instant, je suis en train d’éclaircir les faits : vous n’avez pas eu de rupture ouverte avec Hitler, de sorte que vous avez conservé votre poste jusqu’au moment où l’invasion allemande en Russie subit un échec, où les armées étaient en pleine retraite et où les Alliés avaient débarqué en Afrique du Nord ?
La lettre par laquelle j’ai suscité la dernière discussion efficace date du 30 novembre 1942. Cet esclandre se situe le 21 janvier 1943, lorsque Hitler et Göring, et tous ceux qui peuvent avoir contribué à cette affaire, s’aperçurent — et il leur fallut sept semaines pour en décider — des conséquences de ma lettre.
Pourtant votre lettre montre clairement que vous pensiez que le bateau était en train de couler ou, en d’autres termes, que la guerre était perdue ?
Mes déclarations verbales et mes déclarations écrites, qui datent d’une époque bien antérieure à celle-là, montraient déjà ma conviction. J’en ai déjà témoigné ici aussi. J’ai déjà parlé de la lettre adressée à Ribbentrop et à Funk et j’ai donné ici toute une série d’explications qui montrent que je n’ai jamais cru à la possibilité d’une victoire allemande ; et mon départ officiel n’a absolument rien à voir avec toutes ces choses-là.
Entre temps, tandis que vous restiez ministre sans portefeuille, parce que vous pensiez que ce serait dangereux peut-être de démissionner, vous encouragiez les généraux de l’Armée à la haute trahison contre le chef de l’État, n’est-ce pas ?
Oui, et là encore, je voudrais faire une remarque supplémentaire. Ce n’est pas parce que j’étais en danger de mort que je n’ai pas pu démissionner plus tôt ; je ne redoutais pas ce danger puisque, à partir de 1937, je me suis constamment trouvé exposé à la mort, attendu que je n’ai cessé de dépendre de l’arbitraire du Parti et de son chef. Je répondrai par l’affirmative à votre question selon laquelle j’aurais incité un certain nombre de généraux à commettre des actes de haute trahison.
Vous avez essayé de trouver des gens susceptibles d’assassiner Hitler ?
En 1938, lorsque j’ai fait ma première tentative, je ne pensais pas encore à un assassinat de Hitler. Je dois avouer toutefois que j’ai dit plus tard que si ce n’était pas possible autrement, nous devrions en arriver à abattre l’homme.
Avez-vous dit : « Nous devons le tuer » ou avez-vous dit : « Quelqu’un d’autre devra le tuer », Docteur Schacht ?
Si j’avais eu l’occasion de le faire, je l’aurais tué moi-même ; mais je vous prie tout de même de ne pas me citer devant un tribunal allemand pour tentative d’assassinat parce que, bien entendu, je suis coupable dans ce sens-là.
Bien. Quelles qu’aient été vos activités, elles n’ont pourtant jamais été suffisamment connues pour que les dossiers étrangers qui, disiez-vous, avaient été fouillés en France par la Gestapo, en aient conservé des traces.
Évidemment, je ne pouvais pas l’annoncer au préalable dans les journaux.
Et la Gestapo, avec toutes les enquêtes qu’elle faisait sur vous, n’a jamais été à même de vous arrêter avant l’attentat du 20 juillet ?
La Gestapo aurait pu m’arrêter bien avant si elle avait été un peu plus intelligente, mais il semble que le manque d’intelligence soit une caractéristique particulière de toutes les polices.
Et ce ne fut qu’en 1943 que le régime hitlérien vous congédia ? Jusqu’à cette époque, apparemment au moins, il lui semblait que vous lui faisiez plus de bien que de mal ?
Je ne sais pas ce qu’il pensait alors de moi ; par conséquent, je vous prie de ne pas m’interroger à ce sujet ; il vaudrait mieux que vous interrogiez les gens du régime, vous en avez encore suffisamment ici.
Vous avez prétendu que vous connaissiez cet attentat du 20 juillet contre Hitler ?
Oui, j’en étais informé.
Vous savez que Gisevius a dit que vous n’étiez pas au courant ?
J’ai déjà dit hier que non seulement je connaissais les efforts de Gördeler, mais que le général Lindemann m’avait donné des informations tout à fait détaillées ; d’ailleurs, on a lu ici le témoignage du colonel Gronau. J’ai dit, de plus, que je n’avais pas donné d’informations à ce sujet à mes amis parce que c’était convenu ainsi ; nous avions décidé de ne rien communiquer à quiconque qui pût le mettre dans l’embarras, en cas de torture de la part de la Gestapo.
Vous souvenez-vous que, d’après les déclarations de Gisevius, trois civils seulement étaient au courant de ce complot, gardé soigneusement secret au sein du personnel militaire ?
Vous voyez que Gisevius non plus ne connaissait pas tous les détails ; il ne pouvait naturellement pas dire plus qu’il ne savait.
Ainsi, Docteur Schacht, nous devons examiner votre déposition à la lumière du fait que vous avez préféré, pendant une longue période, pratiquer une politique de sabotage de votre politique gouvernementale et de trahison contre le chef de l’État, plutôt que de démissionner ouvertement de son Gouvernement ?
Vous revenez constamment à cette démission ; je vous ai dit et je vous. ai démontré qu’il n’y avait pas possibilité de démission ; c’est pourquoi votre conclusion est erronée.
Très bien. Continuons. Vous avez été interrogé le 16 octobre 1945 — document USA-636 — et certaines questions vous ont été posées sur les généraux de l’Armée. Je vous demande maintenant si ces questions et ces réponses sont fidèlement reproduites ici :
« Question
En supposant que vous ayez été le chef de l’État-Major et que Hitler ait décidé d’attaquer l’Autriche, prétendez-vous que vous auriez eu le droit de vous retirer ?
« Réponse
J’aurais dit : « Renvoyez-moi ».
« Question
Vous l’auriez dit ?
« Réponse
Oui, certes.
« Question
De sorte que vous estimez qu’un fonctionnaire peut, à n’importe quel moment, se retirer s’il pense ne pas pouvoir poursuivre sa collaboration pour des raisons de conscience ?
« Réponse
Oui, indiscutablement.
« Question
En d’autres termes, vous pensez que les membres de l’État-Major de la Wehrmacht qui étaient responsables de l’exécution des plans de Hitler, sont coupables au même titre que lui ?
« Réponse
C’est là, Monsieur, une question très délicate que vous me posez, mais je répondrai par oui. »
Vous avez bien donné ces réponses, n’est-ce pas ?
Oui, et je désirerais ajouter une réflexion à ce sujet, si le Tribunal me le permet ; si Hitler m’avait jamais chargé d’une mission immorale, j’aurais refusé de l’exécuter. C’est également ce que j’ai dit au sujet des généraux et je m’en tiens à cette déclaration que j’ai faite et que vous venez de lire.
J’en ai terminé, Votre Honneur. Je voudrais seulement préciser les numéros des documents. La pétition à Hindenburg que j’ai mentionnée hier et qui porte le numéro PS-3901, sera déposée sous le numéro USA-837. Quant à l’interrogatoire de von Blomberg d’octobre 1945, il portera le numéro USA-838.
Monsieur le Président, je me permets de demander qu’on retire du procès-verbal les déclarations faites par l’accusé Schacht qui, en tant que telles, en font partie. La question, si je l’ai bien comprise, était la suivante : on lui a demandé s’il estimait que l’État-Major général était aussi coupable que Hitler. Cette question a obtenu une réponse affirmative de la part du Dr Schacht au cours de cet interrogatoire. La question et la réponse, — la question tout d’abord est inadmissible — et il en est de même pour la réponse ; parce qu’un témoin ne peut pas exprimer d’opinion en la matière ; c’est l’affaire du Tribunal. C’est la raison pour laquelle je me permets de demander que cette déclaration soit rayée du procès-verbal.
Plaise au Tribunal. Bien entendu, je ne présente pas l’opinion de Schacht comme preuve contre l’État-Major général ou contre un militaire quelconque actuellement prévenu. Ce document a été déposé pour apprécier la créance qu’on peut accorder à Schacht et l’attitude qu’il a adoptée. Je ne pense pas que son opinion sur la culpabilité d’une personne quelconque puisse constituer une preuve contre cette personne ; elle ne peut que constituer une preuve contre lui-même, puisqu’il est question de créance à lui accorder.
Oui. Docteur Dix ?
La question posée par M. Justice Jackson ne tendait pas à savoir si les généraux étaient coupables, mais s’il était exact que Schacht, dans le "procès-verbal d’un interrogatoire de l’instruction préliminaire, avait répondu de telle ou telle façon à telle ou telle question ; elle se rapportait à un événement passé, ce n’était pas une question sur une opinion ou sur un jugement qu’il avait à donner. En ma qualité de défenseur de Schacht, j’ai intérêt à ce que restent intacts les mots : « Quant à moi, Schacht, j’aurais toujours repoussé un ordre ou une exigence immorale de Hitler », Je me désintéresse, en tant qu’avocat du Dr Schacht, du reste de la réponse dont il est présentement question.
Monsieur le Président, après la déclaration de M. Justice Jackson, je retire mon objection.
Monsieur le Président, me permettez-vous de commencer le contre-interrogatoire ?
Oui, je vous en prie.
Accusé Schacht, en répondant aux questions de votre avocat, vous avez indiqué les circonstances dans lesquelles a eu lieu votre première rencontre avec Hitler et Göring. Vous avez même rappelé certains détails, tel que le potage aux pois servi chez Göring au cours du dîner. Je m’intéresse pourtant à d’autres précisions plus importantes sur vos relations avec Hitler et Göring. Dites-moi à qui est due l’initiative de votre première rencontre avec Hitler et Göring ?
J’ai déjà expliqué ici que mon ami, M. von Stauss, directeur de banque, m’avait invité à passer une soirée chez lui, afin de me permettre d’y rencontrer Göring. La rencontre avec Hitler eut lieu ultérieurement quand Göring me convia chez lui, dans sa propre maison, afin d’y rencontrer Hitler.
Pour quels motifs avez-vous alors accepté l’invitation qu’on vous faisait de rencontrer Göring et Hitler ?
Le parti national-socialiste était à ce moment-là un des partis les plus importants du Reichstag ; il comptait 108 sièges, et le mouvement national-socialiste dans le pays était particulièrement actif. Par conséquent, il y avait pour moi un intérêt d’ordre général à faire la connaissance des dirigeants de ce mouvement que, jusqu’alors, je ne connaissais pas du tout.
Mais vous avez déclare ici que vous aviez été invité par Göring personnellement. Pourquoi était-ce justement vous que Göring avait invité à cette occasion ?
Je vous prie de poser cette question à M. Göring.
Et vous-même, ne le lui avez-vous pas demandé ?
M. Göring voulait que je fasse la connaissance de Hitler ou que Hitler fasse ma connaissance.
Pourquoi faire, dans quel but ?
Il vous faut le demander à M. Göring.
Ne pensez-vous pas que Hitler et Göring avaient l’intention — non sans raison — de vous attirer à participer au mouvement fasciste, sachant que vous étiez un économiste et un financier réputé qui partageait leur point de vue ?
On ne m’a pas mis au courant de l’intention de ces messieurs à l’époque, mais je puis imaginer qu’à ce moment-là, il était aussi intéressant pour eux de faire la connaissance de M. Schacht, que pour moi de faire la connaissance de M. Hitler et de M. Göring.
N’y avait-il là qu’un simple intérêt personnel, ou d’autres considérations de caractère politique ? Vous compreniez naturellement que votre participation au mouvement fasciste eût représenté un avantage pour Hitler, puisque vous étiez un homme bien connu en Allemagne ?
Quant à moi, mon intérêt résidait seulement dans le fait de voir qui étaient ces messieurs. Quant à l’intérêt qui les poussait, eux, j’ai déjà dit que je ne pouvais pas le connaître. D’une collaboration avec le mouvement fasciste, il ne fut pas question ; d’ailleurs, cette collaboration n’a pas eu lieu non plus...
Dites-moi...
Je vous prie de me laisser terminer... cette collaboration n’a pas eu lieu non plus avant les élections de juillet 1932, comme je l’ai déclaré ici ; nous avons fait connaissance en janvier 1931, c’est-à-dire un an et demi avant ces élections. Pendant tout ce temps, il n’y a pas eu de collaboration.
Sont-ce là vos seules rencontres avec Hitler et Göring, ou bien les avez-vous vus plus souvent avant la prise du pouvoir ?
Jusqu’en juillet 1932, j’ai vu Hitler et Göring, chacun : une, deux, ou peut-être trois fois. Je ne peux pas me rappeler combien de fois je les ai vus pendant un an et demi ; en tout cas, il ne peut pas être question d’entrevues fréquentes.
Comment expliquez-vous alors votre lettre du 29 août 1932, adressée à Hitler, dans laquelle vous lui proposiez vos services ? Vous rappelez-vous cette lettre ?
Oui.
Comment expliquez-vous que vous l’ayez écrite ?
A plusieurs reprises, j’ai fait des déclarations à ce sujet. Je vous prie, en toute courtoisie, de bien vouloir relire ce que j’ai dit.
Répétez-le, je vous prie, très brièvement encore une fois.
Si l’accusé a déjà traité ce point une fois, c’est suffisant.
Très bien. Je passerai à une autre question.
Quand, et par qui vous a été faite la proposition de participer au futur gouvernement de Hitler, et quand vous a-t-on promis le poste de président de la Reichsbank ?
Le président de la Reichsbank ne détenait pas, de par ses fonctions, un poste du Gouvernement, mais c’était un haut fonctionnaire, en dehors du Gouvernement. Il en a été question devant moi, pour la première fois, le 30 janvier 1933 ; j’avais, par hasard, rencontré Göring dans le vestibule du Kaiserhof, et c’est alors qu’il me dit : « Ah ! Voici notre futur président de la Reichsbank ».
En répondant à votre avocat, vous avez déclaré que la théorie fasciste des races était une plaisanterie, que l’idéologie fasciste ne correspondait en rien à une conception du monde, que vous étiez opposé à la solution du problème de l’espace vital par la mainmise sur de nouveaux territoires, que vous étiez hostile au principe du chef, instauré par le parti fasciste, et c’est pourquoi vous aviez parlé sur ce sujet à l’Académie allemande de Droit, que vous n’étiez pas partisan de la méthode fasciste d’extermination des Juifs. Est-ce bien exact que vous ayez répondu ainsi aux questions de votre avocat ?
Oui, nous étions tous deux présents.
Dites-moi alors ce qui vous a amené au fascisme et à la collaboration avec Hitler ?
Rien ne m’a amené au fascisme, je n’ai jamais été fasciste.
Alors, qu’est-ce qui vous a amené à une collaboration avec Hitler alors que vous étiez absolument opposé à toutes ses théories et à tous les principes du fascisme allemand ?
Général Alexandrov, l’accusé nous a déjà dit ce qui l’a amené à collaborer avec Hitler ; je crois que vous avez dû l’entendre.
C’est bien ce qui s’est passé, en réalité. (A l’accusé.) A la question de votre avocat vous demandant pourquoi vous n’avez pas émigré, vous avez répondu que vous ne vouliez pas être un simple martyr. Dites-moi, connaissez-vous le sort réservé en Allemagne à des personnalités dirigeantes aux idées démocratiques et libérales ? Quel sort leur a-t-on réservé après la prise du pouvoir par Hitler ? Savez-vous qu’ils furent tous exilés ou internés dans des camps de concentration ?
Vous confondez. Je n’ai pas répondu que je ne voulais pas devenir un martyr quand on m’a demandé si je voulais émigrer, mais j’ai déclaré que les émigrants — les émigrants volontaires — n’ont jamais rendu service à leur pays. Je ne voulais pas assurer ma sécurité, assurer ma destinée, mais je voulais continuer à travailler pour l’avenir de mon pays. En ce qui concerne l’histoire du martyre, on m’a demandé si j’escomptais un intérêt quelconque pour mon pays au cas où je mourrais de la sorte. C’est alors que j’ai dit que les martyrs ne rendent service à leur pays que lorsque leur sacrifice est connu.
Vous l’avez exprimé un peu autrement. Je vais néanmoins répéter ma question.
Je vous serais reconnaissant de bien vouloir répéter la question.
Connaissez-vous le sort qui a été réservé en Allemagne aux démocrates et aux libéraux les meilleurs, après la prise du pouvoir par Hitler ? Savez-vous que tous ces gens ont été chassés de leur pays ou internés dans des camps de concentration ?
J’ai dit expressément que lorsque je parlais des émigrants, c’est-à-dire des gens en exil, je ne pensais pas à ceux qui avaient été forcés d’émigrer, mais je parlais de ceux qui avaient émigré volontairement. Je ne connais pas en détail le destin individuel de chacun d’eux, mais si vous voulez me poser des questions individuelles, je vous répondrai dans la mesure du possible au sujet de chacun, que je sache ou non ce qui lui est arrivé.
En général, le sort de ces gens est universellement connu. Vous êtes une des rares personnalités en vue en Allemagne qui ait collaboré avec Hitler. Vous le reconnaissez ?
Non.
Vous avez déclaré — je me vois obligé de revenir encore à cette même question — que la mention du journal de Goebbels, à la date du 21 novembre 1932, est fausse. Je vous rappelle encore cet extrait écrit par Goebbels. Je cite : « Au cours d’un entretien avec le Dr Schacht, j’ai pu constater qu’il représentait pleinement notre point de vue ; il est l’un des rares qui soient complètement en accord avec les idées du Führer. »
Vous continuez à prétendre que ce passage du journal de Goebbels ne correspond pas à la réalité ? Je viens de vous poser cette question.
Je n’ai jamais prétendu que ce passage était faux. J’ai dit que Goebbels avait eu cette impression et qu’il s’était trompé.
Vous prétendez que cette mention relative à vos relations avec Hitler est fausse ? Est-ce exact, oui ou non ?
Elle est inexacte dans la forme générale sous laquelle Goebbels l’a reproduite.
Alors, pourquoi n’avez-vous pas protesté ? Le journal de Goebbels a bien été publié avec ce passage ?
Si j’avais eu à protester contre toutes les inexactitudes qui ont été publiées à mon sujet, j’en aurais perdu la tête.
Mais enfin, ce n’est pourtant pas une déclaration de tous les jours. Il s’agit du journal de Goebbels, qui était une personnalité très connue de l’Allemagne fasciste, et qui a décrit dans ses souvenirs vos opinions politiques. Si vous n’étiez pas d’accord avec lui, il me semble que vous auriez pu, d’une manière ou d’une autre, prendre position à cet égard ?
Permettez-moi de faire une remarque : ou vous me posez des questions... en tout cas, je ne désire pas entrer dans une discussion, même si elle est unilatérale. Je vous explique que le journal de Goebbels était une chose tout à fait courante.
Le témoin Dr Franz Reuter, votre biographe et ami intime, déclare dans sa déposition écrite du 6 février 1946, qui a été présentée par votre avocat au Tribunal sous le numéro 35 :
« Schacht, au début de l’année 1930, s’est joint à Hitler et l’a aidé à venir au pouvoir. »
Estimez-vous que cette déposition du témoin Reuter est fausse, ou bien la confirmez-vous ?
Je considère que ces déclarations ne sont pas exactes.
Quelle part avez-vous prise personnellement à la prise du pouvoir par Hitler ? Je continue cette question : dans quelles conditions et dans quel but, au mois de février 1933, avez-vous organisé une rencontre entre Hitler et les industriels ? Il a déjà été fait allusion ici à cette rencontre.
Je n’ai apporté aucun secours à Hitler en vue de sa prise du pouvoir ; tout cela a déjà été exposé ici en long et en large. En février 1943, Hitler était déjà au pouvoir depuis longtemps. Et on a déjà parlé à profusion de la collecte d’argent et de la réunion des industriels du mois de février 1933.
Quel rôle personnel avez-vous joué dans cette conférence ?
On en a suffisamment parlé également, et je vous prie de le lire dans le procès-verbal.
Je suis au courant du procès-verbal, mais j’estime que vous ne répondez pas avec assez de clarté sur les événements. Je me reporte à la déclaration de l’accusé Funk, du 4 juin 1945, afin d’apporter plus de lumière sur la question. C’est le document PS-2828 ; je cite la déclaration de Funk :
« J’ai assisté à cette conférence et on y demanda de l’argent ; non pas Göring, mais Schacht. Hitler quitta la pièce, et Schacht prononça un discours dans lequel il demandait de l’argent pour entreprendre la campagne électorale. J’étais présent, en tant que témoin impartial, car j’étais en termes très amicaux avec les industriels. »
Le témoignage de M. Funk est-il conforme aux faits ?
M. Funk se trompe, le Ministère Public a présenté au Tribunal le document D-203...
Mais...
Excusez-moi, mais ne m’interrompez pas je vous prie... Le Ministère Public a présenté ce document, d’où il ressort que c’est Göring qui a demandé cette aide financière et non pas moi.
L’accusé Funk signale que cette demande a été faite par vous et non par Göring. Je vous demande où est la vérité ?
Je viens de vous dire à instant que M. Funk se trompe et que le document présenté par le Ministère Public est exact.
Mais enfin, quel rôle avez-vous joué au cours de cet entretien ?
De cela aussi, j’ai parlé en détail ici...
Général Alexandrov, le Tribunal a déjà entendu un long contre-interrogatoire et ne désire pas entendre à nouveau l’exposé des mêmes faits et des mêmes points. Voulez-vous indiquer au Tribunal si vous avez des questions auxquelles le Ministère Public soviétique prend un intérêt particulier, et qui n’ont pas encore été traitées jusqu’ici ?
Monsieur le Président, l’accusé Schacht n’a pas toujours, dans ses déclarations, répondu suffisamment en détail, ni donné des réponses assez claires. Voilà pourquoi je me suis trouvé obligé de revenir sur certaines de ces questions. En particulier, le rôle joué par l’accusé Schacht au cours de cette réunion d’industriels n’est pas clair à nos yeux. L’accusé Schacht n’a pas donné de réponse assez précise ou assez circonstanciée à la question que je lui ai posée. Je n’ai que peu de questions à poser, et je propose qu’après la suspension je pourrais essayer d’en terminer en 30 ou 40 minutes. Toutes ces questions nous intéressent puisqu’elles nous permettent de déterminer la culpabilité de l’accusé Schacht.
Très bien ; le Tribunal n’a pas l’intention d’écouter des questions qui ont déjà été posées.
Peut-être accepteriez-vous de suspendre maintenant l’audience pour que je puisse continuer ensuite ?
Non, général Alexandrov, l’interrogatoire continuera jusqu’à la suspension.
Vous reconnaissez qu’en vos qualités de président de la Reichsbank, de ministre de l’Économie et de plénipotentiaire à l’Économie de guerre, vous avez joué un rôle décisif dans la préparation du réarmement de l’Allemagne et, en conséquence, dans la préparation des guerres d’agression ?
Non. Je proteste là-contre de la façon la plus énergique.
Vous avez bien été plénipotentiaire à l’Économie de guerre ?
Cette question a déjà été traitée dix fois ici.
Je ne l’ai pas entendu de vos propres lèvres une seule fois.
Il a admis d’un bout à l’autre — c’est une chose évidente — qu’il a été plénipotentiaire à l’Économie de guerre. Vous lui avez posé la question de savoir si, en tant que plénipotentiaire à l’Économie de guerre, il a pris part au réarmement en vue d’une guerre d’agression, et il a déjà répondu un certain nombre de fois que tel- n’avait pas été son but, mais qu’il avait consisté à obtenir l’égalité pour l’Allemagne ; il l’a dit, et il nous appartient d’apprécier si c’est exact ou non. Mais il est parfaitement établi qu’il l’a dit.
On verra très clairement dans les développements qui suivront pourquoi j’ai posé cette question. (A l’accusé.) Pendant combien de temps avez-vous occupé le poste de plénipotentiaire à l’Économie de guerre ?
Je l’ai déjà dit. Je ne comprends pas la question : « Pendant combien de temps ? » Tout cela a déjà été traité ici !
Nous avons la date à laquelle il est devenu plénipotentiaire à l’Économie de guerre et celle à laquelle il a cessé de l’être.
Je voudrais vous rappeler les devoirs qui vous incombaient en votre qualité de plénipotentiaire. Vous avez été nommé par la loi de défense du Reich du 21 mai 1935. Je vais citer quelques extraits du titre II de cette loi sous le chapitre : « Mobilisation ».
« 1. Afin de diriger toute l’Économie de guerre, le Führer et Chancelier du Reich désigne un plénipotentiaire général à l’Économie de guerre.
« 2. Le plénipotentiaire général à l’Économie de guerre aura pour tâche d’utiliser toutes les forces économiques dans l’intérêt de la guerre, et d’assurer économiquement la vie du peuple allemand.
« 3. Le ministre de l’Économie du Reich, le ministre de l’Agriculture et du Ravitaillement, le ministre du Travail, le directeur dès Eaux et Forêts, ainsi que tous les fonctionnaires directement subordonnés au Führer et au Chancelier du Reich, sont placés sous ses ordres. En outre, il est responsable du financement de la guerre, dans les domaines entrant dans la compétence du ministère des Finances et de la Reichsbank.
« 4. Le plénipotentiaire général à l’Économie de guerre aura le droit de promulguer, dans le domaine de sa compétence, des décrets qui pourront différer des lois actuellement en vigueur. »
Admettez-vous que, par une telle loi, on vous donnait des pouvoirs extraordinaires dans le domaine de l’Économie de guerre ?
Ce document a été présenté au Tribunal et je suppose que vous l’avez lu correctement.
Je ne vous demande pas si j’ai lu correctement ce document. Je vous demande si vous reconnaissez que cette loi vous donnait des pouvoirs extraordinaires dans le domaine de l’Économie de guerre. L’admettez-vous ?
Exactement les pouvoirs délimités par la loi.
Vous admettez que c’étaient des pouvoirs extraordinaires, spéciaux, que vous receviez ?
Non, je ne l’admets pas du tout.
Vous considérez donc, en d’autres termes, la loi de défense du Reich du 21 mai 1935, comme une loi ordinaire dont...
Comme une loi absolument ordinaire.
Et vous considérez les fonctions de plénipotentiaire à l’Économie de guerre que vous donnait cette loi, comme absolument normales ?
Ce sont des prescriptions tout à fait normales, telles qu’elles sont en usage dans tous les états-majors généraux.
L’audience est suspendue.