CENT VINGTIÈME JOURNÉE.
Vendredi 3 mai 1946.
Audience de l’après-midi.
Général Alexandrov, vous avez la parole.
Monsieur le Président, tenant compte des désirs du Tribunal et du fait que M. Jackson a déjà interrogé Schacht en détail, j’ai pris connaissance pendant la suspension du procès-verbal des débats de ce matin et j’ai l’intention de diminuer le nombre des questions que j’avais d’abord l’intention de poser à l’accusé. Je n’ai plus que deux questions à poser à l’accusé Schacht. (A l’accusé.) Accusé Schacht, le 21 mai 1935, le Gouvernement a pris la décision relative au Conseil de Défense du Reich. J’en cite le premier point :
« Le plénipotentiaire à l’Économie de guerre doit, selon la volonté du Fùhrer et Chancelier du Reich assumer la responsabilité de cette direction à côté du ministre de la Guerre, détenteur des pleins pouvoirs. Il reste indépendant et responsable pour sa sphère d’activité devant le Fùhrer et Chancelier du Reich. »
Reconnaissez-vous que par l’exécution de cette décision du Gouvernement du Reich vous avez participé activement à la préparation économique de l’Allemagne en vue de guerres d’agression.
Non, je ne suis pas du tout d’accord sur ce point, Monsieur le Procureur.
Le 4 mars 1935, dans votre discours à la foire de Leipzig, vous vous êtes exprimé ainsi. Je cite le document EC-415 (USA-627) :
« Mes prétendus amis étrangers ne rendent service ni à moi, ni à la cause, ni à eux-mêmes, lorsqu’ils essayent de m’amener en contradiction de points de vue avec les théories économiques nationales-socialistes et lorsqu’ils me font passer jusqu’à un certain point pour le gardien du bon sens en matière économique. Je puis vous assurer que tout ce que je dis et fais a l’entière approbation du Führer et que je ne ferai ni ne dirai rien sans son consentement. Par conséquent, le gardien du bon sens en matière économique, ce n’est pas moi, mais c’est le Führer. »
Maintenez-vous ce que vous avez dit à la foire de Leipzig ou non ?
Je l’admets et voudrais faire une remarque. J’ai dit à différentes reprises, en premier lieu, que mes amis étrangers, pour autant que j’en avais, ne me rendaient pas service en déclarant ouvertement que j’étais un adversaire de Hitler, car ainsi ils rendaient ma position singulièrement plus périlleuse. En second lieu, dans ce discours, j’ai dit que je ne ferais rien qui ne correspondît pas à mes convictions et que Hitler faisait tout ce que je lui proposais, quand, du moins, il partageait mon avis. Si j’avais exprimé le contraire, cela se serait certainement manifesté. J’ai été entièrement d’accord avec lui tant qu’il a fait ma politique ; mais plus après, et c’est alors que je suis parti.
Je n’ai plus de questions à poser au témoin.
Docteur Dix, voulez-vous à nouveau interroger le témoin ?
Je ne poserai que quelques questions qui ont été déclenchées par le contre-interrogatoire. Lors de ce dernier, le « Nouveau Plan » a été une fois de plus mentionné sans que Schacht ait la possibilité de se justifier ni de dire le rôle que ce plan a joué dans la politique du réarmement, et qui en était l’auteur, l’auteur responsable. Je me dois donc maintenant de poser cette question au Dr Schacht.
Le « Nouveau Plan » est une conséquence tout à fait logique des événements économiques qui ont suivi le Traité de Versailles. Je ne fais que mentionner à nouveau rapidement que, par suite de la saisie des biens privés allemands à l’étranger, toute l’organisation du commerce extérieur de l’Allemagne disparut, et qu’ainsi de grandes difficultés surgirent pour l’exportation allemande. Sans cette exportation, toutefois, on ne pouvait songer à obtenir aucun paiement au titre des réparations ou autre. Tous les grands pays, notamment ceux qui étaient en concurrence avec l’Allemagne sur le marché mondial n’en continuèrent pas moins à élever leurs droits de douane, afin d’exclure les marchandises allemandes de leurs marchés ou de rendre les débouchés allemands encore plus difficiles, de telle sorte que les possibilités d’augmenter les exportations allemandes devenaient de plus en plus rares. Lorsque l’Allemagne essaya, en dépit de ces difficultés, par des prix très bas liés à des salaires bas, de maintenir, voire même d’accroître ses exportations, les autres puissances se servirent d’autres moyens afin de concurrencer l’Allemagne.
Je rappelle à ce propos les différentes dévaluations qui frappèrent les monnaies étrangères et qui diminuèrent la possibilité de concurrence des marchandises allemandes. Lorsque ce procédé se révéla insuffisant on eut recours au système du contingentement, c’est-à-dire que les marchandises allemandes introduites dans un pays ne pouvaient pas dépasser une certaine quantité, une certaine somme ; c’était interdit. La Hollande, la France, d’autres pays, ont établi des contingentements de cet ordre à l’égard des marchandises allemandes, d’où de nouvelles difficultés pour l’exportation allemande. Toutes ces mesures aboutirent finalement à ce que l’Allemagne ne put même plus s’acquitter de ses dettes privées à l’étranger.
Comme vous l’avez entendu dire ici, depuis de nombreuses années, j’avais attiré l’attention sur ces dettes, mais on ne m’avait pas écouté. Il n’est peut-être pas sans intérêt de mentionner brièvement ici que l’Allemagne, contrairement à mes conseils, a contracté en cinq ans, autant de dettes que les États-Unis d’Amérique pendant les quarante années qui ont précédé la première guerre mondiale. L’Allemagne était un pays industriel très développé n’ayant pas besoin de monnaies étrangères, alors que l’Amérique se trouvait encore au stade colonial de son développement et pouvait se servir utilement de capitaux étrangers.
Mais ce fut bientôt la fin. Lorsque nous ne fûmes plus capables de payer nos intérêts à l’étranger, quelques pays utilisèrent la méthode de confiscation dés gains provenant des exportations allemandes. Ils ne payèrent plus les sommes dues aux exportateurs allemands, mais les confisquèrent, et, grâce à ces saisies, payèrent les intérêts de nos dettes à l’étranger, c’est-à-dire les mirent en compte. C’était le soi-disant système du « clearing ». Les créances privées furent saisies afin de satisfaire les demandes des créanciers étrangers.
J’ai cherché à cette évolution une solution qui permît l’exportation allemande, et j’ai appliqué un principe très simple qui était à peu près le suivant : « J’achète seulement là où l’on achète chez moi » ; et c’est ainsi que je me suis tourné vers les pays prêts à couvrir leurs besoins en Allemagne et auxquels j’étais disposé à acheter mes marchandises. Tel fut le « Nouveau Plan ».
Je ne vois pas en quoi cela nous concerne, Docteur Dix.
Le fait est que, pour résumer ce long discours, le « Nouveau Plan » n’avait rien à voir avec des intentions de réarmement, sans même parler d’intentions agressives ?
Absolument rien
A ce propos, avez-vous approximativement l’évaluation du pourcentage de la production économique allemande destiné à l’armement ?
Lors de l’instruction, on m’a déjà posé cette question et je n’ai pu y répondre, car je ne me souvenais pas des sommes dépensées par l’Allemagne pour ces armements. Mais nous avons appris depuis, par le témoignage du maréchal Keitel, que les dépenses d’armement en 1934-1935, 1935-1936, 1936-1937, etc., pendant ces années où la Reichsbank collaborait encore, s’élevaient respectivement à 5.000.000.000 de Mark, l’année suivante à 7.000.000.000 et l’année suivante à 9.000.000.000. On peut — et c’est une estimation que les experts ont faite — estimer l’économie totale de l’Allemagne durant ces années à 50.000.000.000 ou 60.000.000.000. En comparant avec les dépenses d’armement qui ont été données ici pendant les interrogatoires de témoins, on trouvera que ces dépenses d’armement se sont élevées à 10 ou 15% de toute l’économie allemande pendant les années où j’ai eu à m’en occuper.
Pendant le contre-interrogatoire, on a soulevé la question de savoir si vous étiez prêt ou non à quitter le poste de plénipotentiaire à l’Économie de guerre et vous avez déclaré que le général von Blomberg ne désirait pas que vous l’abandonniez ; pour le prouver, vous vous êtes référé à un document présenté par le Ministère Public ; il s’agit du document EC-244 ; c’est une lettre du ministre de la Guerre, von Blomberg, adressée à Hitler, le 22 février 1937. Cette lettre a déjà été lue, je n’ai donc plus lieu de le faire. Puis-je seulement indiquer que, dans le dernier paragraphe, Blomberg exprime le désir que le Führer donne des instructions au président de la Reichsbank pour qu’il reste en fonctions, ce qui corrobore la déclaration de Schacht.
En outre, au cours du contre-interrogatoire de M. Justice Jackson, on a discuté de la foi qu’il fallait accorder à vos déclarations sur vos aspirations coloniales du point de vue de votre politique coloniale considérée sans la maîtrise des mers. La maîtrise des mers de la part de l’Allemagne n’existait pas : pouvait-on sérieusement alors avoir une politique coloniale ? Tel était le sujet de la question et de la réponse. A ce propos, je voulais vous demander si, avant 1914, l’Allemagne avait des colonies ?
Oui.
Avant 1914, ou, disons mieux, entre 1884 et 1914 — c’est l’époque où l’Allemagne avait des possessions coloniales — l’Allemagne avait-elle la maîtrise des mers, surtout vis-à-vis de l’Angleterre ?
En aucune façon.
Voilà qui est réglé. Passons alors à un autre problème, celui de la foi à accorder à vos déclarations. Il s’agit du conflit moral entre votre prestation de serment à Hitler, comme vous le dites, en tant que chef de l’État, et les intentions que vous avez révélées de renverser Hitler, voire même de l’abattre. N’avez-vous pas connaissance de nombreux cas dans l’Histoire où des détenteurs de hautes fonctions dans un État ont essayé de renverser le chef de l’État à qui ils avaient juré allégeance ?
Je crois qu’on trouverait ces exemples dans l’Histoire de tous les pays.
Docteur Dix, nous n’avons pas à nous occuper de l’Histoire révolue, n’est-ce pas ? Ne vous semble-t-il pas que la question des précédents historiques ne soit pas une question pertinente à poser au témoin ?
Je ne poursuivrai donc pas cette idée. C’était plutôt une question d’argumentation que je pourrai utiliser dans ma plaidoirie.
Revenons à la question des colonies ; n’est-il pas exact qu’en dehors de vos aspirations coloniales personnelles, le Gouvernement du Reich allemand avait prépare officiellement l’acquisition et l’administration ultérieures de colonies. N’y a-t-il pas eu jusqu’en 1942 ou 1943 un service de politique coloniale ?
Mais il est écrit en toutes lettres dans le programme du Parti que la politique coloniale faisait partie de ce programme, on a évidemment travaillé dans ce sens aux Affaires étrangères et je crois que le Parti comptait un service colonial.
Sous la direction de Ritter von Epp ?
Oui de Ritter von Epp.
J’en arrive à la question des traites Mefo. En résumé, prétendez-vous que les traites Mefo devaient servir à freiner le réarmement, car la signature du Gouvernement du Reich sur ces traites était une garantie de leur remboursement ?
Vous voyez, comme je l’ai expliqué tout à fait clairement, la limitation des traites Mefo à cinq années et leur échéance au bout de cinq ans devaient limiter et freiner automatiquement les armements.
De plus, M. Justice Jackson a déclaré que le nom de Schacht, en demeurant à la tête d’un ministère sans portefeuille, pouvait comporter une valeur de propagande pour le régime nazi à l’étranger et par conséquent servir les intentions d’agression et leur exécution. A ce propos, puis-je — afin d’abréger la présentation de mes documents — lire dans mon livre de documents le numéro 37 (a), texte anglais, page 157, texte allemand, page 149 ; la cinquième page de cette volumineuse déclaration sous serment de Hülse est ainsi rédigée :
« Lorsque Schacht quitta la Reichsbank en 1939, la presse étrangère considéra ce départ comme un signal d’alarme et en tira les conséquences exactes. Dans ce sens, j’avais également renseigné à différentes reprises et même à la fin de 1938, d’accord avec le Dr Schacht, des représentants de banques étrangères d’émission que j’avais rencontrés lors de sessions de la Banque internationale de Bâle ; au cours d’entretiens, je leur avais dit que le départ de Schacht et de différents membres du directoire de la Reichsbank signifiait que les choses allaient prendre en Allemagne une tournure dangereuse. »
En outre, M. le représentant du Ministère Public soviétique a reproché au Dr Schacht qu’il était expressément signalé dans la biographie de Reuter que Schacht avait rendu des services au régime dans la lutte pour le pouvoir. Tel en est tout au moins l’esprit. Cela est bien écrit dans le livre de Reuter, mais il y est dit également autre chose, et je crois que nous aurons à présenter ce document, n° 35, page 133 du texte anglais et 125 du texte allemand. A la deuxième page de cette longue déclaration sous serment, se trouve la phrase suivante qui limite la foi à accorder à cette biographie et en fait un écrit tendancieux. Il y est dit d’après Reuter, et je cite :
« J’ai publié une biographie du Dr Schacht à deux reprises, d’abord en 1933 à la maison d’édition R. Kittler à Berlin, et en 1936 à l’Institut allemand d’édition à Stuttgart. A part la description objective de sa vie et de son activité, cette biographie avait pour but de le protéger contre ses adversaires. Par conséquent, il ne faut pas lui appliquer les principes d’une recherche historique purement objective, mais il faut prendre en considération le point de vue défensif nécessité par la situation du moment. »
II faut connaître et lire ce passage avant d’accorder à cette biographie une valeur de témoignage.
C’est ainsi que se terminent mes questions à poser au Dr Schacht.
L’accusé peut reprendre sa place.
Avec votre autorisation, je ferai maintenant comparaître le témoin Vocke.
Voulez-vous nous dire votre nom complet ?
Wilhelm Vocke.
Répétez ce serment après moi : « Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien. » (Le témoin répète le serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Monsieur Vocke, vous étiez membre du directoire de la Reichsbank. Quand êtes-vous entré dans ce directoire et quand avez-vous démissionné ?
J’ai été nommé membre du directoire de la Reichsbank par l’ancien Président du Reich, Ebert, en 1919. Hitler m’a renvoyé le 1er février 1939. Je suis donc resté pendant vingt ans environ membre du directoire, dont dix sous la direction de Schacht ;
Je m’excuse, mais je dois vous le demander : étiez-vous membre du Parti ?
Non.
Étiez-vous membre des SA ?
Non.
Étiez-vous membre des SS ?
Non.
N’étiez-vous pas non plus membre honoraire bénévole d’une de ces organisations ?
Non.
Vous n’aviez aucun rapport avec le Parti ?
Non.
Quand avez-vous fait la connaissance de Schacht ?
En 1915. Je l’ai rapidement rencontré à ce moment-là et ce n’est que lorsqu’il devint commissaire et président de la Reichsbank que je fis plus amplement connaissance avec lui.
Nous en venons maintenant à la première présidence de Schacht en 1923. Quelle fut la position du directoire de la Reichsbank à l’égard de la candidature de Schacht à la présidence ?
Une attitude négative.
Et pourquoi ?
Nous tenions à Helfferlich comme candidat au poste futur de président parce qu’il était en collaboration étroite avec la Reichsbank. Il avait créé le Rentenmark et avait stabilisé la monnaie. Dans le but d’écarter Schacht, nous avions tiré de ses papiers un incident de son activité remontant à 1915 quand il était sous les ordres de M. von Jung. Schacht, qui venait de la Dresdner Bank, avait prêté une aide financière à cet établissement, ce que M. von Jung n’avait pas jugé très correct et c’est pourquoi Schacht avait été remercié à cette époque. Le Gouvernement du Reich, cependant, ne tint pas compte de cette critique que nous avions formulée contre la personne de Schacht mais le ministre Severing, comme il me le disait encore tout récemment, s’en tint au proverbe :
« Ce ne sont pas les plus mauvais fruits qui sont mangés par les guêpes ». C’est ainsi que Schacht fut nommé président.
Schacht arriva donc chez vous comme président. Il savait probablement que le directoire ne le désirait pas ou plutôt désirait quelqu’un d’autre. C’est ainsi que se justifie la question des rapports entre le directoire de la Reichsbank et son nouveau président.
Schacht a débuté dans ses fonctions en janvier 1924. Il nous a appelés en réunion pour nous faire ouvertement un exposé de la situation en nous disant en substance : « Eh bien, vous m’avez tous refusé comme président, car j’ai volé des cuillères en argent, mais maintenant je suis votre président et j’espère que nous travaillerons bien ensemble et que nous arriverons à bon port ». Telle fut l’expression qu’il employa. « Cependant, si l’un ou l’autre estime qu’il ne peut pas collaborer avec moi, qu’il en tire dès maintenant les conséquences et je l’aiderai volontiers à trouver une autre situation ».
Nos rapports avec Schacht et notre collaboration avec lui se sont avérés très rapidement comme très favorables. C’était très agréable de travailler avec Schacht. Nous avons reconnu qu’il était un maître inégalé dans sa spécialité et dans la nôtre et sa direction était sans reproches sous tous les rapports. Il était correct et intègre et il n’y avait pas de favoritisme sous son règne. Il n’a fait entrer aucun favori. C’était un homme qui admettait toujours les opinions contraires et la contradiction ; il l’exigeait même ; il n’attachait aucun prix aux collaborateurs qui étaient toujours du même avis que lui.
Ces faits ne constituent ni une charge, ni un sujet de discussion.
C’est exact, Monsieur le Président, mais je pensais qu’il serait cependant opportun d’effleurer cette période antérieure. Nous en avons terminé, et en venons maintenant à la présidence de la Reichsbank à partir de 1933. (Au témoin.) Après une courte absence, bien connue et riche en succès, Schacht revint présider la Reichsbank, en 1933. A cette époque, avez-vous eu des entretiens avec lui au sujet de ses rapports avec Hitler et avec le Parti en général ?
Oui.
Voulez-vous décrire au Tribunal dans quel sens Schacht s’est exprimé à leur encontre ?
Je voudrais d’abord citer deux entretiens dont je me souviens encore presque textuellement. Pendant que Schacht était en congé, pendant ces trois années, je ne l’ai presque jamais rencontré ; je l’ai peut-être vu à trois ou quatre reprises à Wilhelmstift. Il ne m’a jamais rendu visite, et je ne lui ai pas rendu visite non plus, sauf une fois où il vint à la banque, probablement pour affaires, et me rendit visite dans mon bureau. Aussitôt...
Quand était-ce ?
Je crois que c’était en 1932, peu de temps avant la prise du pouvoir. Nous nous sommes mis aussitôt à parler de questions politiques, de Hitler et de ses rapports avec lui. J’ai saisi cette occasion pour mettre Schacht sérieusement en garde contre Hitler et les nazis. Schacht me dit : « M. Vocke, il faut donner une chance à cet homme ou à ces gens. S’ils ne font pas du bien, ils disparaîtront, ils seront mis de côté comme leurs prédécesseurs ». J’ai répondu à Schacht : « Oui, mais il est possible que le dommage causé entre temps au peuple allemand soit si important que l’on ne puisse jamais le réparer ». Schacht ne prit pas cela très au sérieux et, avec une remarque badine — je crois qu’il dit : « Vous êtes un vieux pessimiste » — , prit congé.
Le deuxième entretien que je voudrais relater, eut lieu peu de temps après la reprise des fonctions de Schacht à la banque, probablement en mars 1933 ou au début d’avril. Schacht montrait une telle admiration ostentatoire et un tel enthousiasme à la parade quand je lui parlais de ses relations avec le Parti, que je finis par me persuader qu’il en était membre. Je lui dis que je n’avais nullement l’intention d’en devenir membre moi-même. Schacht me répliqua alors : « Mais vous n’avez pas besoin de le devenir. A quoi pensez-vous ? Moi-même je n’y songe même pas. Vous croyez que je me plierais au joug du Parti, à sa discipline, que j’accepterais le programme du Parti ? Mais songez donc que si je parle à Hitler, je devrai claquer les talons et dire : « Mon Führer » et lui écrire « Mon Führer » si je prends ma plume ; cela n’entre nullement en ligne de compte pour moi. Je suis et je reste un homme libre ».
Cet entretien eut lieu à une époque où il était arrivé au point culminant de ses relations étroites avec Hitler et plusieurs fois encore j’ai réfléchi et me suis demandé s’il était vrai et restait vrai que Schacht était un homme libre.
Il arriva qu’après un certain nombre d’années, Schacht dut convenir avec amertume qu’il avait perdu une bonne partie de sa liberté, que le financement de l’armement qu’il avait commencé ne pouvait s’arrêter à l’instant où il le désirait et que c’était une chaîne entre les mains de Hitler, chaîne qu’il dut limer et secouer des années durant avant de la briser. Mais tout de même ses paroles étaient exactes, pour autant qu’elles reflétaient l’attitude intérieure de Schacht vis-à-vis de Hitler. Schacht ne fut jamais un admirateur aveugle. C’eût été une attitude incompatible avec sa nature ; on ne pouvait pas supposer qu’il s’engagerait à la légère par une signature ; qu’il se vendrait ou qu’il suivrait qui que ce fût avec une confiance illimitée.
Si l’on essayait peut-être de caractériser les rapports de Schacht avec Hitler, en lui prêtant les paroles suivantes : « J’ai mon Führer ; Führer, ordonne ; je te suis » ; le Führer ordonne de financer l’armement et il répond : « Moi, Schacht, je finance l’armement et le Führer décide quel usage faire de ces fonds, que ce soit pour la guerre ou pour la paix, » cette attitude serait incompatible avec sa conduite et avec son caractère. Ce n’était pas un homme qui pensait en subalterne ou qui voulait aliéner sa liberté, et c’est ainsi qu’il se distingua radicalement de beaucoup de hautes personnalités politiques et militaires influentes en Allemagne. Je pourrais ainsi définir l’attitude de Schacht, telle que je l’ai connue par son caractère et ses paroles : Schacht admirait le dynamisme sans bornes de cet homme, orienté dans l’intérêt de la nation et il le considéra comme pouvant devenir l’instrument de ses propres desseins : la renaissance pacifique, économique et politique de l’Allemagne et son renforcement. Je le déduis des déclarations de Schacht ; c’est ce qu’il pensait et croyait.
Je crois que la question est épuisée. Maintenant, le Ministère Public accuse Schacht et allègue que Hitler l’aurait appelé justement dans ce but, afin de financer l’armement en vue d’une guerre d’agression. Monsieur Vocke, vous étiez membre du directoire de la Reichsbank et vous avez travaillé pendant toutes ces années avec lui ? Je vous prie donc de dire au Tribunal si, par vos conversations et par les observations que vous avez pu faire sur son activité, vous avez pu vous assurer de l’exactitude d’une telle allégation.
Non, Schacht, a souvent exprimé le point de vue que seul un développement pacifique pourrait restaurer l’Allemagne. Je n’ai jamais entendu dire qu’il eût été au courant des projets de guerre de Hitler. J’ai essayé de rassembler mes souvenirs et j’y ai trouvé trois ou quatre incidents qui, pour moi, éclair-cissent d’une façon parfaite cette question. Je voudrais les présenter dans leur ensemble. Le premier est celui du crédit de 420.000.000 de Mark or remboursé en 1933. Lorsque la couverture de la Reichsbank s’effrita, lors de la crise, Luther...
Je me permets de vous interrompre pour informer le Tribunal que Luther était le prédécesseur de Schacht dans son service.
Lorsqu’en 1931 la couverture de la monnaie s’avéra insuffisante, Luther, dans son dénuement, m’envoya en Angleterre, afin d’obtenir auprès de la banque d’Angleterre un important crédit en or qui rétablirait d’un coup la confiance en la Reichsbank. Le Gouverneur de la banque, Norman, était entièrement d’accord pour m’aider, mais me dit qu’il était nécessaire de faire collaborer la Federal Reserve Bank de New-York, la Banque de France et la Banque Internationale de Bâle. C’est ce qui arriva. Le crédit se montait à 420.000.000 de Mark or. Mais il y eut avec la Banque de France des difficultés politiques qui retardèrent ces crédits de dix ou douze jours. Lorsque je revins à Berlin, je fus horrifié d’entendre que les crédits étaient déjà en grande partie épuisés. L’or nous était arraché des mains et je dis à Luther que ce crédit, qui avait complètement manqué son effet, devait être remboursé immédiatement. Notre honorabilité était notre dernier actif et les banques qui nous avaient aidés ne devaient pas perdre un pfennig. Luther ne manifesta pas la compréhension nécessaire et me répondit à peu près ceci : « Ce qu’on a, on l’a bien, et nous ne savons pas à quel point nous pourrons encore avoir besoin de cet or ». C’est ainsi que l’on prolongea le crédit et qu’on le traîna pendant des années.
Lorsque Schacht arriva à la banque, en mars 1933, je pensais en moi-même qu’il comprendrait, et il a très vite compris ; il m’a tout de suite donné raison et a remboursé immédiatement ce crédit sans hésitation. Il n’avait pas d’arrière-pensée au sujet de l’utilisation éventuelle de cette somme énorme et je me suis dit que si Schacht avait eu connaissance de projets de guerre ou s’il y avait participé, il eût été fou de rembourser 420.000.000 de Mark or.
Le deuxième incident, dont je ne me rappelle plus la date exacte a dû, je crois, se passer en 1936. La direction de la Reichsbank reçut à cette époque une lettre très secrète du Commandement de l’Armée ou de l’État-Major général, demandant que les réserves en or de la Reichsbank et les réserves en effets et devises soient ramenées des zones frontalières de l’Allemagne vers le centre du pays. Cette demande se justifiait comme suit : en cas d’une attaque menaçant l’Allemagne sur deux fronts, le Commandement de l’Armée est décidé à évacuer les zones frontalières et à se limiter à une zone centrale qui pourra être défendue en toutes circonstances. Je me rappelle encore la carte jointe à la lettre, sur laquelle les lignes de défense du pays à l’Ouest...
Tout cela me semble très éloigné des points sur lesquels le Tribunal aura à statuer.
Monsieur le Président, il ressort indubitablement et clairement de la carte que le témoin veut décrire que l’attitude du Haut Commandement allemand en 1936 était une attitude absolument défensive, comportant de grands désavantages stratégiques ; c’est ce qui fut communiqué à la Reichsbank sous la présidence de Schacht. On est forcé d’en conclure qu’à cette époque personne n’avait de projets agressifs au Haut Commandement de l’Armée.
A quelle époque ?
En 1936. C’est ainsi que je l’ai compris. Mais le témoin peut peut-être nous donner des précisions sur ce point.
Je ne puis retrouver exactement la date dans mes souvenirs, mais cela doit se situer en 1936 environ, autant que mes souvenirs soient exacts.
Je crois que c’est très important. Le témoin peut-il continuer ?
Oui.
La ligne de défense de l’Est allait directement de Hof jusqu’à Stettin. La ligne de l’Ouest ne m’est pas restée en mémoire, mais le pays de Bâle et la Rhénanie étaient abandonnés. La Reichsbank a pris connaissance avec effroi de cette menace d’attaque de l’Allemagne sur deux fronts, de l’abandon énorme de territoires allemands et aussi de l’idée monstrueuse que la Reichsbank, en cas d’occupation par l’ennemi, devait laisser les populations de ces territoires sans protection financière. Nous avons rejeté cette dernière requête mais lui avons donné suite en ce qui concerne l’or que nous avons envoyé à Berlin, Nuremberg, Munich, etc. Il ne pouvait plus y avoir de doute à nos yeux, d’après ce document secret, sur le caractère purement défensif de notre armement.
J’en viens maintenant à un troisième événement. Cela se passait en 1937. A cette époque, Schacht, alors que l’économie était en plein rendement et que l’on investissait toujours des capitaux nouveaux, avait demandé l’aide des professeurs allemands d’économie et les avait invités à une conférence afin de les engager à agir dans son sens, c’est-à-dire à freiner cette tendance. A cette réunion, un participant demande d’une façon inattendue à Schacht : « Et que se passera-t-il s’il y a une guerre ? » Schacht se leva et répondit : « Messieurs, alors nous sommes perdus ; c’en est fait de nous. Je vous demande d’abandonner ce sujet ici ; inutile de nous casser la tête là-dessus en ce moment ».
J’en viens maintenant au quatrième événement qui ne laisse aucun doute sur l’attitude de Schacht et l’étendue de ses connaissances : il s’agit d’un entretien qui eut lieu immédiatement après le déclenchement des hostilités. Dans les premiers jours de la guerre, Schacht, Hülse, Dreyse, Schniewind et moi-même nous sommes rencontrés pour un échange de vues confidentiel. Sehacht nous dit d’abord : « Messieurs, c’est une tromperie telle que le monde n’en a jamais vue. Les Polonais n’ont jamais reçu l’ultimatum de l’Allemagne. Les journaux mentent afin d’endormir le peuple allemand. Les Polonais ont été attaqués. Henderson n’a même pas reçu l’ultimatum mais seulement un extrait très bref de la note qui lui a été transmis verbalement. Si jamais, lors d’un déclenchement des hostilités, la question de la culpabilité a été claire, c’est bien dans ce cas-là. C’est un crime tel qu’il est impossible d’en concevoir de plus grand ». Puis Schacht continua : « Quelle folie pour nous de commencer une guerre avec une puissance militaire telle que la Pologne, dirigée par les meilleurs officiers d’État-Major français ! Notre armement, fait par des charlatans, ne vaut rien. On a gaspillé l’argent, sans raison et sans plan ». A la réplique : « Mais nous avons une aviation qui compte », Schacht rétorqua : « L’aviation ne décidera pas de l’issue de la guerre, mais uniquement l’Armée de terre. Or nous n’avons pas de canons lourds, nous n’avons pas de chars. En trois semaines, les armées allemandes s’écrouleront en Pologne, et pensez alors à la coalition qui se formera contre nous ».
Telles furent les paroles de Schacht qui m’impressionnèrent profondément et qui, pour moi, contiennent une réponse claire à la question que M. le Dr Dix vient de me poser.
Est-ce qu’au cours de ces années de 1933 à 1939, Schacht vous a parlé des projets de guerre prétendus ou présumés de Hitler ?
Non, jamais.
Que pensait Schacht d’une guerre ? Vous a-t-il parlé de cette question ?
Oui, naturellement, assez souvent. Schacht a toujours déclaré que la guerre détruisait et ruinait les vainqueurs et les vaincus. Il montrait dans son domaine, qui était aussi le nôtre, l’exemple des nations victorieuses dont l’économie et la monnaie avaient été avilies et en partie même disloquées. L’Angleterre était obligée de dévaluer. En France, le système financier était complètement ébranlé, sans parler d’autres Puissances comme la Belgique, la Pologne, la Roumanie et la Tchécoslovaquie.
Ce sont là les déclarations de Schacht ?
Oui. Schacht s’est très fréquemment exprimé ainsi. D’abord, il a exposé en détail et avec précision la situation des pays neutres. Il a toujours répété qu’il y aurait encore des conflits et des guerres mais que, pour l’Allemagne, il n’y avait qu’une seule politique : la neutralité absolue, et il indiqua l’exemple de la Suisse, de la Suède, etc., qui, par leur attitude neutre, étaient devenues plus riches, plus puissantes, et qui étaient maintenant des pays créditeurs. Schacht l’a souligné à maintes reprises.
Vous allez, à ce propos, comprendre ma question : comment expliquez-vous, ou plutôt comment Schacht vous a-t-il expliqué le fait qu’il ait pu financer un armement quelconque ?
Schacht était convaincu qu’un certain armement, existant dans chaque pays, pour chaque nation du monde, était également nécessaire à l’Allemagne pour des raisons politiques...
Puis-je vous interrompre ? Je vous prie de ne mentionner que les faits dont Schacht vous a parlé, et de ne pas donner d’opinion personnelle sur ce que Schacht pouvait penser ; je vous demande de vous en tenir à ce qu’il vous a déclaré.
Schacht disait : « Une politique étrangère sans armement est impossible au bout d’un certain temps ». Il prétendait également que la neutralité qu’il réclamait pour l’Allemagne, en cas d’un conflit entre les grandes Puissances, devait être une neutralité armée. Il croyait que l’armement était nécessaire, si l’Allemagne ne voulait pas rester toujours une nation faible parmi des nations armées. Il ne pensait pas à une agression en particulier, mais il disait que, dans les pays, il y avait un parti qui poussait à la guerre, susceptible aujourd’hui ou demain de venir au pouvoir, et qu’une Allemagne sans aucune défense, en face de voisins armés, était inconcevable ; à la longue, elle aurait constitué un danger pour la paix, voire même une provocation à une attaque éventuelle. Finalement et avant tout, Schacht a vu dans l’armement le seul moyen de faire revivre et de remettre en marche l’économie allemande dans son ensemble ; il fallait bâtir des casernes, faire prospérer l’industrie du bâtiment, clé de toute l’économie, et c’est ainsi qu’il espérait venir à bout du chômage.
Les événements conduisirent à la remilitarisation de la Rhénanie, à la réintroduction du service militaire obligatoire. A ce propos, avez-vous eu des entretiens avec Schacht dans lesquels il déclara que la politique de Hitler, si elle était poursuivie, était susceptible d’amener la guerre, ou tout au moins une intervention armée de la part d’autres pays qui ne seraient pas d’accord avec une telle politique ? De telles conversations ont-elles eu lieu entre Schacht et vous ?
Non, pas dans le sens de votre question. Schacht m’a parlé des événements lors de la réoccupation de la Rhénanie et m’a expliqué qu’à ce moment-là, si la France avait adopté une attitude menaçante, Hitler, qui eût pu disparaître de ce fait, était décidé à retirer ses forces et qu’il n’en fut empêché que par M. von Neurath qui lui avait dit : « J’étais opposé à cette mesure, mais puisque vous l’avez prise, vous devez la maintenir ». Ce que Schacht me dit au sujet de l’attitude de Hitler ne le montrait aucunement sous le jour d’un homme désireux de faire la guerre. Schacht me parla de l’amitié avec la Pologne, du renoncement à l’Alsace-Lorraine, enfin de la politique pacifique de Hitler dans les premières années. Ce n’est que plus tard que surgirent dans son esprit de sombres pensées en matière de politique étrangère.
Quels étaient les principes et les idées de politique étrangère de Schacht, et quelle a été son attitude envers la politique étrangère de Hitler ?
Il repoussait cette politique, en règle générale, surtout depuis que Ribbentrop exerçait une influence dans ce domaine. Schacht voyait en lui le plus incapable et le plus irresponsable des conseillers de Hitler. Mais des divergences importantes avaient déjà existé entre Schacht et Hitler sur les questions de cet ordre. Par exemple, vis-à-vis de la Russie, Schacht avait, dès 1928-1929, pour favoriser les larges relations commerciales avec ce pays, établi des crédits à long terme dans l’intérêt économique des deux pays. Il a souvent été critiqué de ce fait, mais il disait : « Je sais ce que je fais ; je sais que les Russes paieront à l’échéance et correctement. Ils l’ont toujours fait ». Et Schacht fut vexé et découragé lorsque les attaques injurieuses de Hitler contre cette politique gâtèrent toutes les relations avec la Russie et interrompirent ce vaste échange commercial. Vis-à-vis de la Chine encore ; Schacht était convaincu de l’importance des relations commerciales avec ce pays et était d’avis de les développer, sur une vaste échelle, lorsque Hitler prit parti pour le Japon, retira les conseillers allemands de Tchang-Kaï-Tchek et détruisit encore une fois tous les projets de Schacht. Schacht vit là une erreur fatale et dit que jamais le Japon ne pourrait ni ne désirerait nous offrir une compensation pour la perte du commerce chinois. Sur toute la ligne, Schacht a été en faveur d’une étroite collaboration avec les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France. Il admirait Roosevelt, il était fier que Roosevelt fût en rapports suivis avec lui, par l’entremise du diplomate Cokerill. Il était convaincu de la nécessité de maintenir les meilleures relations avec l’Angleterre et la France. C’est justement pourquoi il désapprouvait l’envoi de Ribbentrop à Londres et s’y opposa. Il était opposé à la politique de Hitler à l’égard de l’Italie ; il savait que Mussolini ne désirait pas avoir affaire avec nous, il le prenait pour le plus incapable et le plus faible des partenaires. En ce qui concerne l’Autriche, je ne sais qu’une chose : c’est que Schacht estimait Dollfuss et qu’il avait appris son assassinat avec un effroi mêlé d’horreur. Après l’occupation de l’Autriche, il jugea sévèrement de nombreux événements qui s’y étaient déroulés.
A ce propos, je voudrais parler brièvement de la politique coloniale de Schacht ; c’était une de ses lubies, et il a fait une fois une conférence à ce sujet. Je puis illustrer les vues de Schacht par les instructions qu’il m’avait données. Schacht aurait aimé arriver à un arrangement avec des puissances telles que l’Angleterre, la France, etc., afin que ces puissances achètent une partie de la colonie portugaise de l’Angola et autorisent l’Allemagne, non pas à y exercer des droits de souveraineté, mais à l’exploiter du point de vue économique ; il avait obtenu des avis d’experts...
Docteur Dix, le Tribunal pense que tout cela est beaucoup trop détaillé.
Nous pouvons donc laisser de côté les exemples particuliers. (Au témoin.) Feu le Feldmarschall Blomberg a fait une déclaration aux termes de laquelle la Reichsbank recevait annuellement du ministère de la Guerre un rapport écrit sur l’état annuel des armements. En votre qualité de membre du directoire, étiez-vous au courant de tels rapports ?
Non, je n’ai jamais entendu dire quoi que ce soit à ce sujet.
Estimez-vous possible, d’après votre expérience des affaires de la Reichsbank et de l’attitude de Schacht vis-à-vis de ses collaborateurs, que Schacht ait personnellement reçu ces rapports, mais ne les ait pas communiqués à ses collaborateurs du directoire de la Reichsbank ?
C’est possible, mais très invraisemblable.
Quand Schacht a-t-il fait le premier essai de limitation du financement des armements, donc des armements eux-mêmes ? S’il l’a tenté et si vous pouvez l’affirmer, quelles étaient ses raisons pour le faire ?
Les premiers essais d’une limitation des armements furent entrepris par Schacht vers 1936, je pense, lorsque l’économie était en plein rendement et que le réarmement prenait l’aspect d’une spirale sans fin. La Reichsbank était bloquée, et je crois qu’en 1936 Schacht fit de sérieux efforts pour limiter et pour mettre de lui-même un terme à l’armement.
Savez-vous, de par votre expérience personnelle, en quoi consistaient en fait ces tentatives ?
Ces tentatives continuèrent les années suivantes. D’abord, Schacht avait essayé d’influencer Hitler. En vain. Son influence diminua alors, dès qu’il entreprit ces efforts. Il essaya de trouver des alliés chez les ministres civils et également auprès des généraux. Il tenta également de gagner Göring et crut l’avoir fait, mais cela ne réussit pas. Schacht lutta alors et obtint finalement l’arrêt des crédits de la Reichsbank pour les armements. Cela se passait au début de mars 1938, mais il n’abandonna pas ses efforts pour arrêter l’armement lui-même ; au contraire, il continua la lutte par tous les moyens, même par le sabotage. En 1938, il émit un emprunt à une époque où il savait pertinemment que l’ancien emprunt n’était pas encore couvert, que les banques en étaient encore saturées. Son montant fut fixé si haut que nous devions aller à un échec. Nous attendions avec impatience pour voir si nos calculs étaient exacts. Ce fut une joie pour nous de constater que l’échec était évident ; Schacht en fit part à Hitler. Il existait une autre manière de saboter l’armement, qui consistait à refuser les emprunts demandés par les usines d’armement qui désiraient s’agrandir ; ce refus les empêchait de se développer. L’arrêt des crédits de la Reichsbank ne signifiait pas seulement que la Reichsbank ne pouvait plus financer l’armement, mais il portait un coup sérieux à l’armement lui-même. On s’en aperçut en 1938 ; le crédit devint chose critique dans tous les domaines et, à la démission de Schacht, il fallut aussitôt en revenir aux avances directes de la banque d’émission, seul moyen possible pour maintenir le crédit élastique, pour ainsi dire perpétuel, dont Hitler avait besoin et qu’il n’aurait jamais reçu de Schacht. Je connais ces détails par mes souvenirs personnels car je me suis opposé à cette loi qui m’a été présentée et a été promulguée par Hitler après le départ de Schacht. J’ai déclaré au vice-président que je ne collaborerais pas ; c’est à la suite de cela qu’intervint ma révocation, dix jours après celle de Schacht.
Maintenant, Monsieur Vocke, aux yeux des personnes qui ne sont pas au courant, les motifs de cet arrêt du financement de l’armement pourraient avoir été purement économiques. Connaissez-vous des raisons quelconques établissant que Schacht, à ce moment-là, avait aussi l’appréhension d’une guerre et qu’il voulait la prévenir par cet arrêt de crédits ?
Oui, tout au moins au cours de l’année 1938. Les soucis entraînés par cette augmentation sans limites des armements portaient avec eux, de plus en plus, la perspective ou la certitude d’une guerre ; ils s’accrurent, surtout après la conférence de Munich. Schacht, entre temps, s’était rendu compte, et l’affaire Fritsch l’avait éclairé là-dessus, que Hitler était son adversaire mortel et qu’il n’y avait plus qu’une chose à faire, combattre par tous les moyens Hitler, son programme d’armement et toutes les menées bellicistes. Ces moyens, naturellement, ne pouvaient être que financiers, comme le fait de saboter l’emprunt et autres, que j’ai précédemment décrits. Il restait, enfin, le mémorandum par lequel Schacht extorqua son départ.
Nous en reparlerons tout à l’heure. Puis-je vous demander d’abord ceci. Le Tribunal connaît la méthode de financement par les traites Mefo inutile de vous étendre là-dessus. Ce que je vous demande, c’est tout simplement comment, d’après votre opinion de juriste, ce financement de l’armement au moyen des traites Mefo peut se concilier avec les lois bancaires ?
Les traites Mefo, l’élaboration de cette société et cette société elle-même, furent naturellement examinées tout d’abord sous l’angle juridique ; la question de droit nous a été posée et, juridiquement, on a affirmé que cette affaire ressortissait du droit bancaire. Mais le point qui soulevait le plus de difficultés était celui de savoir si ces traites correspondaient aux réglementations relatives aux réserves habituelles du portefeuille d’une banque d’émission et cette question doit naturellement recevoir une réponse négative. Si l’on se demande pourquoi la banque n’a pas acheté de bonnes traites commerciales au lieu de traites Mefo, on peut répondre qu’à cette époque et depuis des années, il n’y avait plus du tout de bons effets de commerce depuis l’écroulement économique qui avait suivi la crise. Du temps de Brüning, déjà, une organisation de secours avait été érigée sur un plan analogue, afin de renflouer l’économie et le crédit, c’est-à-dire qu’elle était autorisée, jusqu’à un certain point, à disposer de crédits normaux d’une manière semi-officielle. Car la banque se trouvait placée dans l’alternative d’observer passivement avec des moyens réduits ce qui arriverait à l’économie du pays ou d’assister le Gouvernement du mieux qu’elle pouvait dans ses efforts pour restaurer et soutenir cette dernière. Toutes les banques d’émission du monde se trouvaient en présence des mêmes problèmes et se sont comportées de la même manière. C’est ainsi que les traites d’armement, qui n’étaient autres du point de vue économique que les traites antérieures de chômage, serviraient le même but. C’est ainsi que, du point de vue de la politique monétaire, l’ancien portefeuille des réserves de la banque immobilisé par la crise se trouva alors dégelé. Toutes les dispositions prises selon le droit bancaire, les règlements concernant le trafic bancaire et celui des traites, ne poursuivaient qu’un seul but, celui d’éviter les pertes.
Je crois, Monsieur Vocke, que le Tribunal se contentera de votre affirmation du bien-fondé juridique des traites Mefo aux yeux du contentieux de la Reichsbank. Je crois que nous pouvons nous passer des détails, si Monsieur le Président est d’accord.
Venons-en maintenant au mémorandum que vous avez déjà cité. Voulez-vous, s’il vous plaît, décrire en détail au Tribunal les motifs qui ont poussé le directoire de la Reichsbank et Schacht à sa tête, à remetttre ce mémorandum à Hitler, et les buts tactiques que poursuivaient le directoire et Schacht au moyen de ce mémorandum ?
Si nous avions pu parler librement, nous aurions dit, bien entendu : « Vous devez mettre un terme aux armements » ; mais la Reichsbank ne pouvait le faire, et nous devions nous limiter à notre responsabilité dans le domaine de la monnaie. C’est pourquoi le mémorandum traitait de l’argument monétaire suivant lequel la poursuite de la politique d’armement ruinait l’économie et amenait l’inflation pour l’Allemagne. Le mémorandum parle d’une économie de crédit sans limites, d’extension extraordinaire des crédits et de dépenses exagérées. Les dépenses dont nous parlions, c’étaient les armements. C’était très clair.
Nous avons tous vu ce mémorandum, n’est-ce pas ?
Oui et le témoin ne parle pas du contenu du mémorandum, mais des motifs et des buts tactiques de ses auteurs. (Au témoin.) Il est donc bien entendu, Monsieur Vocke, que le Tribunal connaît le texte de ce mémorandum. Voulez-vous vous limiter à ce que je viens de dire ?
Le mémorandum doit agir avec des arguments monétaires. Il y est dit clairement ce que nous demandons :
« Une limitation de la politique étrangère » ; cette phrase démontre clairement ce que nous désirions : limitation des dépenses économiques, limitation de la politique étrangère, des buts politiques à l’étranger. Nous avons indiqué que les dépenses avaient atteint une mesure qui ne pouvait être dépassée. Il fallait en finir ou, comme on le dit, il fallait des limites à la politique de dépenses du Gouvernement, à savoir la politique d’armement du Reich.
Bien. Avez-vous prévu les effets de ce mémorandum ou pour mieux dire, quels effets escomptiez-vous du point de vue tactique en présentant ce mémorandum à Hitler ?
Ou bien ce mémorandum devait amener la fin de cette politique économique insupportable qui nous avait déjà menés à la ruine ; car, à la fin de 1938, non seulement il n’y avait plus d’argent, mais encore un déficit d’environ 1.000.000.000 ; il fallait s’en rendre compte et le ministre des Finances était de notre avis. Si cela ne se passait pas ainsi, c’était la rupture et nous étions révoqués. Il n’y avait pas d’autre alternative. Et nous en sommes arrivés à ce fait inusité que tous les membres du directoire ont signé ce mémorandum.
Pour autant que je le sache, c’est une circonstance tout à fait exceptionnelle, car, en général, il n’y a que le président ou le vice-président qui signe un document officiel de la Reichsbank ?
C’est parfaitement exact. Nous voulions témoigner de l’unanimité du directoire de la Reichsbank qui désirait en finir avec les armements.
C’est clair, témoin. Avez-vous lieu dé penser que Hitler a reconnu ce fait ?
Oui. Hitler s’est servi d’une expression comme « mutinerie » ou quelque chose d’approchant. Je crois que c’est le terme militaire. Je n’ai jamais fait de service militaire, mais je crois que lorsqu’une pétition est signée par plusieurs soldats, cela équivaut à une mutinerie. C’est ainsi que Hitler a considéré notre démarche.
Oui, quelque chose comme cela. Mais vous n’étiez pas présent. Qui vous a parlé de cette expression de « mutinerie » ?
Je ne sais plus, je crois que c’est M. Berger du ministère des Finances ; je ne puis le dire avec certitude.
Ainsi on en a parlé dans les milieux ministériels ?
Oui.
Ce mémorandum contenait également un compliment pour Hitler, une allusion à ses succès en politique étrangère ?
Oui, Schacht avait pris l’habitude de flatter Hitler et de le flatter d’une façon telle que, plus Schacht était devenu un adversaire du Gouvernement, plus il se servait de flatterie à son égard. C’est ainsi qu’au début de ce mémorandum, quand il parle des succès de Hitler, il emploie cette tactique.
Dites-nous brièvement les conséquences de ce mémorandum.
D’abord, le départ de Schacht, de Kreide, de Hülse, puis le mien et celui d’Erhardt et de Lessing. Il s’ensuivit également que l’étranger sut ce qui s’était passé en Allemagne. Notamment, mon collègue Hülse avait fait des déclarations non équivoques à Bâle, en disant que si nous étions remerciés, nos amis sauraient où les choses en étaient.
C’est ce que M. Hülse vous a dit ?
Oui, c’est ce qu’il m’a raconté.
Monsieur le Président, désirez-vous une brève interruption maintenant ? Je n’ai plus beaucoup de questions à poser, mais j’ai encore mes documents.
Combien de temps vous faudrait-il pour terminer ?
Ce sera très bref, puis viendront les documents qui sont très courts également. Dois-je continuer avant la suspension ?
Le Tribunal va suspendre maintenant.
Monsieur Vocke, vous avez décrit au Tribunal les conditions du renvoi de M. Schacht et du vôtre. Pourquoi donc Schacht ne s’y est-il pas risqué plus tôt ? S’en est-il entretenu avec vous ?
Non. Pendant toutes ces années 1936 et 1937, nous sommes restés indécis. Ce qui prévalait encore, c’était l’espoir que Hitler s’orienterait dans une voie à peu près raisonnable pour un homme d’État. Finalement, en 1938, nous avons eu des hésitations plus graves, en particulier au sujet de la conférence de Munich et après celle-ci. A ce moment-là, certes la crainte que nous avions d’en arriver à une guerre devenait de plus en plus menaçante. Nous nous sommes rendus compte qu’une décision s’imposait. Mais il faut également tenir compte de la chose suivante : en tant que banque, nous ne pouvions pas alléguer de considérations militaires ou politiques qui n’étaient pas de notre compétence. Le problème de l’inflation que nous signalions comme menaçant dans notre mémorandum n’avait fait son apparition qu’en 1938, étant donné que la circulation monétaire avait augmenté dans les dix derniers mois, plus que pendant les cinq années précédentes.
De sorte que vous avez trouvé cette année-là disons, un prétexte, une raison, un moyen de tenter ce saut ?
Oui.
Maintenant, pour terminer, je vous poserai une question d’ordre général. La haute intelligence de M. Schacht n’est contestée par personne. Qu’il ait été trompé par Hitler ou qu’il se soit trompé à son sujet, il le dit lui-même ; mais vous, étant donné la connaissance que vous avez de la personnalité de Schacht, vous avez certainement des raisons de penser à une explication possible de cette erreur de Schacht. C’est pourquoi, si le Tribunal le permet, je vous serais reconnaissant de nous donner votre opinion personnelle à ce sujet, mais...
Je désire élever une objection. Je ne comprends pas comment le cours des pensées de M. Schacht peut être expliqué par quelqu’un d’autre. Je n’ai aucune objection à formuler à l’égard d’un fait quelconque dont ce témoin a eu connaissance. Nous l’avons laissé parler longuement et en détail de conversations particulières. Toutefois, les spéculations relatives aux pensées de Schacht me semblent dépasser ce que l’on peut appeler à juste titre un témoignage.
Docteur Dix, je crois avoir déjà dit que vous ne pouvez pas demander à un témoin de rapporter les pensées d’une personne. Vous ne pouvez le faire déposer que sur ses actes et ses déclarations.
Oui, Monsieur le Président, mais lorsque j’ai posé cette question j’ai dit : « Si le Tribunal le permet ». Moi-même en ce qui concerne l’admissibilité de cette question...
Eh bien, vous avez la réponse : le Tribunal ne l’autorise pas.
Dans ce cas, je l’abandonne. Puis-je me permettre ? Je puis encore, bien entendu, Monsieur le Président, poser des questions sur la façon dont Schacht a traité les Juifs, mais je crois qu’il n’est plus nécessaire que j’interroge là-dessus et que ce chapitre a été épuisé. Je me permettrai de poser les mêmes questions à propos de son attitude envers les francs-maçons, puisqu’on n’a rien dit encore à ce sujet. (Au témoin.) Savez-vous quelque chose sur l’attitude de Schacht envers les francs-maçons ?
Le Parti a demandé que les francs-maçons soient écartés du corps des fonctionnaires. Schacht a dit : « Je ne me laisse pas raconter d’histoires. Tout le monde sait que je suis moi-même franc-maçon. Comment puis-je entreprendre des mesures contre les fonctionnaires pour la seule raison de leur appartenance à cet ordre ? » Et tant que Schacht a été en fonctions, il a maintenu les francs-maçons et leur a même donné leur avancement.
Une dernière question maintenant : savez-vous si Schacht a reçu des cadeaux ou s’il a bénéficié d’avantages matériels en dehors de son revenu normal pendant l’exercice de ses fonctions, sous le régime hitlérien ?
Non, il n’en a jamais été question pour Schacht. De plus, on ne lui a jamais proposé de dotation. En matière d’argent, il a toujours été l’homme le plus propre et le plus honnête. Je puis, par exemple, citer ce qui s’est passé lorsqu’il a démissionné en 1930. Il a réduit de lui-même sa pension à moins de la moitié de celle d’un vice-président ou d’un membre du conseil d’administration, en déclarant : « Ces messieurs ont consacré toute leur vie à la banque, quant à moi je n’en ai été l’hôte que pendant quelques années ». Je pourrais d’ailleurs citer d’autres exemples encore de la correction absolue de Schacht à cet égard.
Je pense que le Tribunal ne le désire pas. Il ne sera pas nécessaire de donner d’autres exemples à ce sujet. J’en suis ainsi arrivé à la fin de mon interrogatoire de ce témoin.
Est-ce que d’autres avocats désirent poser des questions ?
Témoin, vous rappelez-vous les mesures de politique financière prises à l’occasion de l’Anschluss de l’Autriche, en mars 1938, tout au moins d’une manière générale ? On a promulgué à ce moment-là deux lois qui datent du 17 mars 1938. L’une de ces lois concernait le taux de la conversion du schilling en mark et la seconde, le transfert de la Banque nationale d’Autriche à la Reichsbank. Hier, le Dr Schacht a déclaré à la barre des témoins que le 11 mars on lui a demandé quel taux il considérait comme convenable pour l’échange du schilling dans l’éventualité d’une entrée en Autriche. Il a répondu que, selon les derniers cours de la Bourse, le taux de 2 schillings pour un mark lui semblait convenable. Après l’Anschluss, mon client, le Dr Seyss-Inqart, a protesté auprès du Führer contre cette mesure qui accordait une valeur trop basse au schilling et il a réussi à obtenir le taux de 1,50 schilling pour un mark. Est-ce exact ?
Avant l’entrée en Autriche, je n’ai pas entendu parler de cette question. Le directoire de la Reichsbank n’a été saisi de ces questions qu’après l’Anschluss et on a proposé à ce moment-là la proportion qui s’imposait au point de vue bancaire, d’après les conditions du moment. On n’y ajouta qu’une légère ristourne pour la conversion. Il appartenait au Gouvernement d’accorder des faveurs spéciales à la population autrichienne, afin de l’acheter où de se la rendre favorable.
La seconde loi est relative à la Banque nationale d’Autriche. Le témoin, le Dr Schacht, a indiqué aujourd’hui que la Banque nationale d’Autriche n’a pas été liquidée, mais ainsi qu’il l’a exprimé, amalgamée. J’ai recherché le texte de cette loi et dans le paragraphe 2 il est dit expressément que la Banque nationale d’Autriche sera liquidée. C’est le document PS-2313. Je vous demande maintenant, témoin, si vous savez quelque chose à ce sujet ? La Banque nationale d’Autriche est-elle restée une banque d’émission ou bien a-t-elle été liquidée ?
Le droit d’émission en Autriche a, naturellement, été transféré à la Reichsbank puisque, autant que je sache, la Reichsbank a repris la Banque nationale autrichienne et l’a dirigée. Je ne me souviens pas des détails, car c’est mon collègue Kesnick qui en a été chargé.
Mais peut-être vous rappellerez-vous, si je vous présente ici un Bulletin officiel de la Banque nationale d’Autriche, que l’encaisse-or représentait, en mars 1938, 243.000.000 de schillings-or et que la réserve en devises était de 174.000.000 de schillings ; donc, en chiffres ronds, plus de 400.000.000 de schillings-or ont été repris par la Reichsbank.
Je ne me souviens plus de ces opérations. Mais, si elles ont été faites, elles l’ont été par le Gouvernement au moyen d’une loi.
Mais oui, nous avons la loi du 17 mars. Je voulais simplement établir ici que M. Schacht se serait aujourd’hui involontairement trompé. Les mots « sera liquidée » sont écrits dans la loi qu’il a lui-même signée. Je n’ai plus d’autres questions.
Témoin, vous avez dit tout à l’heure que le Dr Schacht se distinguait essentiellement des hauts chefs militaires, en ce qu’il était resté un homme libre à l’égard du régime. Je voulais vous demander, étant donné que ces déclarations constituent, en quelque sorte, un jugement sur les chefs militaires, quels sont les chefs militaires qui vous sont personnellement connus ?
Aucun.
Vous maintenez ce jugement ?
Dans notre milieu de la Reichsbank, le général Keitel et d’autres étaient considérés comme trop serviles et trop soumis à Hitler.
Mais si vous ne connaissez pas personnellement ces gens, croyez-vous que vous puissiez exprimer un jugement peut-être très grave sur eux, comme vous l’avez fait tout à l’heure ?
Je crois que oui.
Je n’ai pas d’autres questions à poser.
Le Ministère Public désire-t-il contre-interroger le témoin ?
Témoin, quand vous avez rencontre le Dr Schacht pour la première fois, c’était, si j’ai bien compris, à l’occasion d’une Visite officielle que vous avez rendue à von Lumm à Bruxelles ?
Oui.
Au début de la première guerre mondiale ?
Oui.
Schacht remplissait-il alors un poste auprès de von Lumm ?
Oui.
Quelles étaient ses fonctions ?
Je ne peux pas le dire exactement. Il était rapporteur. Je n’ai pas eu affaire directement à lui, si ce n’est que M. von Lumm, à l’occasion d’un de mes voyages à Bruxelles, me présenta ses collaborateurs ; parmi eux se trouvait le Dr Schacht. Nous en sommes restés à cette présentation.
Et quelle situation occupait von Lumm ? Que faisait-il à Bruxelles ?
Il était commissaire de banque auprès du Commandement général.
Du Commandement général de l’Armée allemande ?
Commissaire de banque pour l’armée d’occupation.
Nommé par l’Allemagne ?
Sans aucun doute.
C’était un Allemand, n’est-ce pas, ce n’était pas un Belge ?
Oui, c’était un Allemand.
Quelque temps après, Schacht fut congédié par von Lumm, n’est-ce pas ?
Oui.
Et vous avez eu une discussion avec von Lumm sur ce point ? De même qu’avec Schacht, n’est-ce pas ? Dites-moi si vous avez reçu la visite...
J’ai lu à Berlin les rapports officiels concernant le congédiement de Schacht. Je travaillais comme auxiliaire au ministère de l’Intérieur. Je ne me suis entretenu de ces questions avec Schacht qu’au moment où il était déjà président de la Reichs-bank et où il m’en parla lui-même un jour.
Avant que Schacht ne fît partie du personnel de von Lumm, était-il directeur de la Dresdner Bank ?
Oui.
Et le congédiement eut lieu parce que Schacht avait livré à cette banque une quantité considérable de francs belges ?
Oui, je ne sais pas quel était le montant de la somme.
En tout cas, c’était une somme considérable ?
Peut-être.
Et cela donnait aux yeux de von Lumm, un avantage considérable à la Dresdner Bank, avantage qui ne se conciliait pas avec les obligations de fonctionnaire de Schacht, n’est-ce pas ?
C’est ainsi que von Lumm vit la chose ; en tout cas, il la prit très au sérieux, ce que Schacht, qui n’était pas fonctionnaire, ne pouvait pas apprécier de la même manière.
Von Lumm convoqua une réunion et fit des reproches à Schacht, n’est-ce pas ?
Oui.
Et Schacht fit alors une réponse que von Lumm considéra comme n’étant pas sincère, comme mensongère ?
Oui, tel fut le point de vue de Lumm.
M. von Lumm s’en est-il entretenu avec vous ?
Cela se trouvait dans les rapports que j’ai lus.
Quand vous avez été amené à parler avec Schacht de ces questions et de la réponse fournie à von Lumm, Schacht vous a-t-il raconté que ce n’était peut-être pas tout à fait une réponse ouverte, franche, mais que ce n’était tout de même pas un mensonge ?
Oui.
Cependant, après avoir entendu les deux parties, vous étiez, ainsi que tous les autres directeurs de la Reichsbank, opposé à la nomination de Schacht au poste de président ?
Oui.
Et vous estimiez, avec les autres directeurs, que le comportement du Dr Schacht dans l’affaire de la banque de Belgique n’avait pas été tout à fait loyal ni tout à fait correct ?
Oui.
Quand, sous le régime nazi, le Dr Schacht revint à la Reichsbank, je crois qu’il y eut pas mal d’ani-mosité et de réserves à son endroit, de la part du directoire de la Reichsbank, parce qu’il était considéré à vos yeux comme un nazi. Il était en contact étroit avec Hitler et il gardait certaines choses secrètes à votre égard, à l’égard de ses collègues. C’est exact, n’est-ce pas ?
Je ne pourrais le dire. Il régnait effectivement une atmosphère hostile à Schacht. Nous pensions, comme je l’ai dit tout à l’heure, ou plutôt je pensais, bien à tort, qu’il était nazi. Il est possible que Schacht nous ait caché quelque chose, mais je n’en sais rien.
N’avez-vous pas dit, dans une déclaration, qu’il était en contact étroit avec Hitler et qu’il vous cachait certaines choses, à vous, ses collègues ?
Je ne sais pas s’il nous a caché certaines choses ; c’est possible, mais je ne peux pas le prouver.
N’est-il pas exact que, bien plus tard, à un moment déjà critique pour la circulation fiduciaire, le système monétaire, les prix, les salaires, des rumeurs vous parvinrent de diverses voies semi-officielles que le Dr Schacht avait donné à Hitler la promesse de financer l’armement ? N’avez-vous pas dit cela ?
Que Schacht avait donné cette promesse à Hitler ? Oui. Dans certains milieux, on avait répandu des bruits de ce genre. Je ne sais pas si c’était vrai.
Vous avez pensé, après l’accord de Munich et après le discours de Hitler à Sarrebrück, que tous les espoirs de paix étaient détruits, n’est-ce pas ?
Oui.
Et, à dater de ce jour, vous avez, ainsi que Pilseck, fait tout ce qui était en votre pouvoir pour persuader Schacht qu’une décision devait être obtenue ?
Oui.
Le Dr Schacht était d’accord avec vous, mais hésitait à faire le pas décisif ?
Oui. Il ne protestait pas sur l’affaire elle-même, mais il voulait se réserver de fixer la date de la remise de notre mémoire. Comme ce mémoire devait être signé par nous tous, et que chacun de nous avait ses amendements et ses désirs à exprimer à ce sujet, c’est la raison pour laquelle la remise de ce mémoire a été reportée d’octobre au 7 janvier.
Le mémorandum fut-il préparé par Pilseck et vous-même ?
Oui.
Vous vous êtes adressés au Dr Schacht à plusieurs reprises ?
Oui.
Et il garda ce projet pendant tout ce temps, en vous disant qu’il avait quelque doute sur le moment le plus propice pour le présenter à Hitler ?
Oui.
Et ce ne fut qu’au moment où Hitler refusa de le voir à Berchtesgaden qu’il finit par lui envoyer le mémorandum ?
Je ne sais pas. C’est la première fois que j’apprends que Hitler n’aurait pas voulu recevoir Schacht à Berchtesgaden. C’est possible. Je savais seulement que Schacht était allé à Berchtesgaden. A son retour, autant que je m’en souvienne, il parla de son entrevue avec Hitler et me dit que le moment était désormais venu de remettre le mémoire.
Votre mémorandum est la seule source de mes renseignements ; d’après ma traduction, il dit : « Finalement, en décembre 1938, il résolut de le signer, après une dernière tentative pour parler à Hitler à Berchtesgaden ».
Oui.
A cette époque, il était question d’une crise financière certaine ?
Oui.
Des difficultés considérables étaient sur le point de se présenter ; à vrai dire, l’inflation était imminente ?
Le Gouvernement se trouvait placé devant une échéance de 3.000.000.000 de traites Mefo qui devaient, selon les conventions, être honorées au début de l’année. Il y avait de plus un déficit de 1.000.000.000 dans les caisses du ministre des Finances. Ce dernier vint nous voir et nous demanda de l’aider à couvrir ce déficit, parce qu’il n’était plus en mesure, sans cela, de fournir les fonds à partir du 1er janvier. Nous l’avons renvoyé, sans lui donner un pfennig, en estimant qu’il ne pouvait rien arriver de plus favorable que cette banqueroute, pour prouver l’impossibilité de ce système et de ce réarmement. C’est alors qu’il a reçu de l’argent des banques privées.
Hülse et vous, Hülse surtout, aviez depuis longtemps donné des avertissements contre cette politique de la Reichsbank, n’est-ce pas ?
Non, ce n’est pas vrai.
Hülse et vous n’aviez-vous pas depuis longtemps signalé que cette affaire de traites Mefo finirait mal ?
Naturellement, la Reichsbank a lutté pendant des années contre les traites Mefo qui devaient venir à échéance en mars 1938 ; c’est à partir de ce moment-là que la Reichsbank n’a plus accordé aucun crédit pour l’armement.
Après son départ de la Reichsbank, avez-vous souvent discuté de ces questions avec Schacht, et avez-vous découvert qu’il fût devenu très amer à l’égard du Gouvernement ?
Je ne rencontrais pas Schacht très souvent ; au début, nous nous voyions tous les deux mois, et ces entrevues cessèrent plus tard, après le départ de Schacht pour Gühlen. Je ne l’ai plus revu qu’une ou deux fois ; mais ce n’est pas seulement après son départ, c’était au moins déjà pendant toute l’année 1938 que Schacht était devenu un ennemi acharné de Hitler.
Et vous avez dit : « Je pense qu’il espérait au fond de lui-même qu’il serait appelé, après la défaite de Hitler, pour aider à reconstruire une Allemagne nouvelle et meilleure » ?
Certes. Schacht s’est entretenu avec moi à Gühlen des hommes qui devraient venir au pouvoir quand Hitler serait enfin renversé. Dans notre conversation, nous avons parlé des ministres qui auraient alors à sauver l’Allemagne du désespoir et Schacht était certainement d’avis qu’il serait, lui aussi, appelé à y collaborer.
Je n’ai pas d’autres questions à poser, Monsieur le Président.
Est-ce qu’un autre membre du Ministère Public désire interroger le témoin ?
Monsieur Vocke, en réponse aux questions posées par M. Justice Jackson, vous avez indiqué quelles ont été l’attitude et les déclarations de M. von Lumm au sujet de l’incident de Bruxelles. Vous avez, en outre, fait part au Tribunal de la déclaration que le ministre Severing a faite devant vous il y a peu de temps sur cette affaire.
Oui.
N’avez-vous pas eu également un entretien avec Simons, président du tribunal suprême du Reich, qui avait eu à connaître de la question, lorsqu’il était rédacteur au ministère des Affaires étrangères ?
Oui, je lui en ai parlé, ainsi qu’au directeur ministériel, M. Lewald. A ce moment-là, j’étais jeune assesseur...
Voulez-vous indiquer au Tribunal qui était Lewald ?
En effet, je me suis entretenu de ces choses avec Simons, qui devait devenir président du tribunal du Reich, et avec son Excellence M. Lewald, futur sous-secrétaire d’État à l’Intérieur. L’affaire avait été portée à ma connaissance à l’occasion de mon service, puisque j’avais été fonctionnaire au ministère de l’Intérieur. Ces deux messieurs ont souri de l’attitude bien connue de M. von Lumm qui avait coutume d’exagérer les petits incidents, autant que de la malchance de M. Schacht qu’ils ont envisagée avec beaucoup de bienveillance. Tout cet incident leur est apparu démesurément grossi.
Je vous remercie, cela me suffit. Je n’ai pas d’autre question.
Si le Tribunal me le permet, je ferai remarquer que Schacht a déclaré ici qu’il avait conversé longuement et en détail avec Hitler, le 2 janvier 1939, à Berchtesgaden. Je ne sais pas s’il s’agit là de ma part d’une confusion de témoignages ou si je l’ai appris antérieurement de lui, mais en tout cas je voudrais attirer votre attention sur le fait que, s’il était à la barre, il pourrait en témoigner. Monsieur le Président, je me permets d’aborder ce sujet parce que la question posée par M. Jackson donne à entendre que Hitler n’aurait pas reçu Schacht à Berchtesgaden, ce qui aurait motivé la remise par Schacht du mémorandum. Je ne fais que le mentionner, car ce témoin ne peut pas savoir si Schacht a parlé à Hitler. Schacht ne l’a mentionné ni ce matin, ni hier, mais il pourrait le faire présentement. Je ne saurais le dire moi-même. On peut confondre parfois ce que l’on apprend à titre privé avec ce que l’on entend au cours des débats.
Présentez le microphone à l’accusé Schacht afin qu’il puisse parler ; vous lui poserez la question.
Docteur Schacht, vous avez été présent au contre-interrogatoire. Voulez-vous dire au Tribunal ce qui s’est passé.
J’ai dit, au cours de ma déposition, que j’avais eu, le 2 janvier 1939, un long entretien avec Hitler à Berchtesgaden, à l’Obersalzberg, et qu’après cet entretien, qui me laissait croire à une inflation, j’avais estimé que le moment était venu de prendre la décision, que la Reichsbank a fini par adopter, de se dégager de Hitler et de ses méthodes d’une manière définitive.
Témoin, je désire vous poser une question. Est-ce que l’accusé Schacht vous a jamais dit qu’il avait été nommé plénipotentiaire à l’Économie de guerre ?
Oui.
Quand ?
Je crois qu’il a été chargé de ces fonctions en 1935. Je ne peux pas le dire exactement.
Je ne vous ai pas demandé quand il a été nommé. Je vous demande quand il vous en a fait part.
Je ne sais plus, car nous n’avions rien à voir avec ces questions. Je sais seulement que c’est vers 1935 ou 1936 ; mais je crois que c’est en 1935 qu’il a été nommé.
La question que je vous ai posée est la suivante : l’accusé Schacht vous a-t-il jamais dit qu’il avait été nommé à cette fonction ?
Oui.
Et quand vous l’a-t-il dit ?
Je pense que c’était en 1935.
Le témoin peut se retirer.
Puis-je poser encore une dernière question ? Témoin, aviez-vous idée de la signification de ces fonctions ?
Non, je n’ai jamais entendu dire que Schacht ait fait quelque chose dans ce domaine en dehors du fait qu’il avait du papier à lettres avec en-tête spécial. Son activité à la Reichsbank a continué comme par le passé ; il n’a pas eu, à ma connaissance, de personnel spécial correspondant à ses fonctions nouvelles et il n’a pas non plus, en la matière, fait appel au personnel de la Reichsbank.
Savez-vous s’il avait un bureau spécial et un personnel propre pour ces fonctions de plénipotentiaire général ?
Vous parlez de ses fonctions de commissaire général à l’armement.
Non, de plénipotentiaire à l’Économie de guerre.
Non, il n’avait pas de bureau et, à ma connaissance, il n’a jamais eu, comme je l’ai dit, de collaborateurs affectés à cette tâche.
Le témoin peut se retirer.
Puis-je maintenant présenter mes documents ? Je puis le faire d’une manière très sommaire et très brève ; j’en aurai certainement terminé aujourd’hui avant la fin de l’audience, parce que j’ai eu la possibilité de présenter un grand nombre de documents au cours de l’interrogatoire.
D’une manière générale, je prierai le Tribunal de prendre acte de tout ce qui n’a pas été ou ne sera pas lu par mes soins. Je me permets de dire que c’est une remarque générale. A ce propos, j’indique que le contenu complet de mon livre de documents, à une seule exception près, se compose de documents déjà présentés comme preuves ou qui le seront maintenant. L’exception en question est le document n° 32, c’est-à-dire l’article déjà mentionné des Basler Nachrichten, du 14 janvier 1946, qui n’a pas été déposé pour les raisons exposées hier, et qui ne le sera pas.
J’en viens maintenant au volume 1 de mon livre de documents et aux preuves qui n’ont pas été encore versées aux débats.
C’est d’abord le numéro 5, le discours de Hitler au Reichstag, le 23 mai 1933. Il a été lu par Schacht lors de son témoignage, et je le dépose maintenant. Je dépose en outre le document 23, lettre adressée par Schacht à Göring le 3 novembre 1942. Il est vrai que cette lettre a déjà été présentée au Tribunal par le Ministère Public, mais nous l’avons présentée une fois de plus et cela pour la raison suivante : dans l’exemplaire versé aux débats par le Ministère Public, il n’y a pas de date, ni d’indication de l’année. L’année manque naturellement aussi dans notre exemplaire qui en est une reproduction fidèle, mais une note de M. le professeur Kraus, basée sur le témoignage de Schacht, nous a permis d’établir qu’il s’agit là d’une lettre du 3 novembre 1942, car il s’agit bien là de la lettre qui a motivé le congédiement de janvier 1943. Nous avons déposé ce document dans le seul but de faciliter au Tribunal la constatation de la date exacte. Voilà pour le numéro 23.
Je dépose également le document n° 27 que je ne lirai pas. Je prie simplement le Tribunal d’en prendre acte. C’est le discours de Schacht lors de la cérémonie d’inauguration de la Chambre économique du Reich en janvier 1937.
Je dépose le document n° 29, constitué par les extraits du livre de Gisevius que nous avons mentionnés et que nous voulons verser comme preuve. Je vous prie d’en prendre acte, je ne le cite pas.
Je dépose le document n° 33 de mon livre de documents. C’est une lettre écrite par un certain Morton, de Francfort-sur-le-Main, qui est parti s’établir en Angleterre ; c’était un homme très estimé et très honorablement connu à Francfort. Cette lettre, qui est adressée au Treasury Solicitor en Grande-Bretagne, nous a été transmise par le Ministère Public. Je prie le Tribunal d’en prendre acte, et je me permettrai d’en lire une phrase qui se trouve à la dernière page :
« J’ai eu des nouvelles de Schacht pour la dernière fois par ces voies indirectes : lord Norman, qui était à ce moment-là M. Montagu Norman, président de la banque d’Angleterre, me dit en 1939, peu avant la déclaration de la guerre, qu’il venait de rentrer de Bâle où il avait rencontré Schacht et que ce dernier m’envoyait ses amitiés. Lord Norman me dit aussi que Schacht, qui était retourné en Allemagne, courait personnellement un grand danger parce qu’il était très en disgrâce auprès des nazis. »
J’en ai terminé avec le volume 1 de mon livre de documents. Je passe au volume 2 qui commence avec les déclarations sous serment. Je vais, pour l’instant, me contenter d’énumérer ces affidavits sans les lire.
Le premier est le numéro 34, cité à plusieurs reprises déjà. C’est la déclaration sous serment d’un consul général de Suède, le Dr Otto Schniewind, banquier, qui se trouve actuellement à Munich. A mon avis, c’est une déclaration sous serment très intéressante et très détaillée. Comme elle a dix-huit pages et que sa lecture prendrait beaucoup de temps, je me limiterai à ce que j’en ai déjà lu et prie le Tribunal de prendre acte du reste ; cette déclaration a déjà été versée au dossier.
Par contre, il me reste encore à verser aux débats le document n° 35. Je vous demande pardon, je l’ai déposé tout à l’heure. C’est la déclaration sous serment du Dr Franz Reuter. Je l’ai déposée tout à l’heure lorsque j’ai lu le passage relatif à la biographie. Je vous prie simplement de prendre acte du reste de son contenu.
Le document suivant, n° 36, est également une déclaration sous serment de l’Oberregierungsrat, Dr von Scherpenberg, qui a été autrefois conseiller à l’ambassade de Londres, et ensuite chef de service au ministère des Affaires étrangères ; il est actuellement au ministère de la Justice à Munich ; c’est le gendre du Dr Schacht. J’en ai lu une partie. Je prie le Tribunal de prendre acte de ce qui n’a pas été lu.
Le document suivant, 37 (a), a déjà été déposé. A la page 154 du texte allemand, un passage a déjà été lu qui concerne l’alarme donnée à étranger par le départ de Schacht de son poste de président de la Reichsbank. Je prie le Tribunal de tenir le reste pour acquis.
L’affidavit suivant a été rédigé par celui qui était également collaborateur du Dr Schacht au directoire de la Reichsbank, à la même époque que le témoin Vocke qu’on vient d’entendre ; je présente ce document. Inutile de le lire ; je prie simplement le Tribunal de prendre acte de son contenu.
La déclaration suivante, n° 37 (c), provient du même auteur ; elle a déjà été déposée. Je vous prie de prendre acte de son contenu, je n’ai pas besoin de procéder à sa lecture.
Le document 38 est la déclaration sous serment du général Thomas, qui n’a pas encore été déposée. Je la verse au dossier et je vous prie de me permettre d’en lire un passage qui commence à la première page, c’est-à-dire, dans le texte anglais, page 172 et, dans le texte allemand, page 164 :
« Question
Schacht prétend avoir agi auprès de Blomberg afin de freiner l’armement. Pouvez-vous donner des indications à ce sujet ? Quand ses interventions eurent-elles lieu ?
« Réponse
De 1934 à l’époque de ma mise à la retraite en janvier 1943, j’ai été chef de l’État-Major économique de l’Année, c’est-à-dire des services économiques et de l’armement auprès de l’OKW. J’étais, à ce titre, en relations avec le ministre de l’Économie du Reich et président de la Reichsbank, Hjalmar Schacht. Jusqu’en 1936, il a sans aucun doute favorisé le réarmement par la fourniture des moyens nécessaires. A partir de 1936, il n’a pas manqué d’utiliser chaque occasion pour influencer Blomberg dans le sens de la limitation de la cadence et du volume du réarmement. Ses raisons étaient les suivantes :
« 1. Risques courus par la circulation fiduciaire ;
« 2. Production insuffisante de biens de consommation ;
« 3. Danger couru dans le domaine de la politique étrangère en raison de l’accroissement des armements.
« Il a insisté à plusieurs reprises sur ce dernier point, déclarant à Blomberg et à moi-même qu’il ne fallait à aucun prix que l’armement de l’Allemagne conduisît à une nouvelle guerre. C’étaient aussi les raisons qui le poussèrent, en 1936 et encore en 1937, à menacer Blomberg de sa démission. J’ai été chargé deux fois par Blomberg d’intervenir auprès de Schacht pour qu’il ne donne pas suite à cette menace. En 1937, j’ai assisté à la discussion entre Blomberg et Schacht. »
Je vous prie de prendre acte de la suite de la déclaration sous serment du général Thomas.
Le document suivant, n° 39, a été lu partiellement ; il concerne le rôle de Schacht dans l’affaire du 20 juillet et ses relations avec le général Lindemann ; c’est l’affidavit du colonel Gronau. Je prie le Tribunal de prendre acte de ce qui n’a pas été lu.
Il en est de même pour le document suivant, n° 40 ; c’est la déclaration sous serment d’un collaborateur de Schacht au ministère de l’Économie, le directeur en retraite Asmis, que j’ai lue en partie, notamment à propos des raisons qui ont motivé son renvoi comme ministre de l’Économie. Je prie le Tribunal de tenir pour acquis ce qui n’a pas été lu.
Je passe au document 41, déclaration sous serment du Secrétaire d’État en retraite, Karl Christian Schmidt. Je ne l’ai pas encore lue. Je demande l’autorisation d’en citer deux passages. Le premier se trouve à la page 182 du texte allemand, page 190 dans le texte anglais :
« Lorsque le cabinet Brüning, arrangé par le général von Schleicher... » — c’est écrit en toutes lettres, mais ce n’est guère correct, la forme devrait être différente, car ce n’est pas lisible — « Lorsque le cabinet Brùning, arrangé par Schleicher, fut torpillé par ce dernier, Schacht lui-même reconnut comme inévitable le fait que Hitler serait bientôt appelé à la tête du Gouvernement. Il fit ressortir que la grande masse du peuple allemand approuvait dès lors le national-socialisme, et que la gauche ainsi que le centre étaient tombés dans une résignation passive totale. Dès le début, il avait clairement vu la courte durée du cabinet transitoire de von Papen. Schacht préconisait résolument la collaboration de spécialistes avertis avec le national-socialisme sans, pour cela, accepter leur programme entier, qu’il raillait souvent d’ailleurs plus tard en ma présence, l’appelant « une idéologie vraiment bestiale ». Mais il considérait comme un devoir patriotique absolu d’avoir une influence sur cette évolution en occupant les postes intérieurs importants ; il condamnait sévèrement l’émigration et la retraite dans un boudoir confortable. »
Puis, page 184 du texte allemand, page 192 du texte anglais, deux passages très courts :
« Je me souviens de nombreux entretiens avec le Dr Schacht au cours desquels il considéra que la guerre était impossible au point de vue économique, que c’était une pure folie. C’est ce qui se passa notamment chez le Dr Fritz Thyssen, à Mühlheim, qui avant 1933 s’était lié avec Göring et Hitler, et se trouvait depuis 1934 dans l’opposition la plus violente et combattait toute idée de guerre comme une absurdité. »
Et, plus loin, sur la même page, une seule phrase :
« Les plans d’espace vital en Russie, dressés par Himmler et Rosenberg, étaient présentés par Schacht dans les conversations qu’il avait avec moi, comme un exemple de la folie de certains milieux du Parti, dont il se moquait cruellement. Le violon d’Ingres particulier de Schacht était l’entente avec l’Angleterre, etc. »
Je prie le Tribunal de prendre acte du reste du document. Je le prie d’en faire de même pour l’ensemble du contenu du document n° 42, qui est une déclaration sous serment du directeur général des usines de coke de Haute-Silésie, Berckenmeyer.
Je passe maintenant au numéro 43, qui a déjà été déposé et partiellement lu. C’est une correspondance entre l’éditeur du journal de Dodd et sir Nevile Henderson. Je prie le Tribunal de bien vouloir prendre acte de la partie qui n’a pas été lue. Tout ce qui figure sous le numéro 44 a été déposé ; je vous prie d’en prendre acte, puisque je renonce à le lire.
J’en ai ainsi terminé avec la présentation des preuves qui concernent l’accusé Schacht.
Le Tribunal en arrive maintenant à l’examen des preuves relatives à l’accusé Funk.
Monsieur le Président, avec votre autorisation, je ferai comparaître l’accusé Funk à la barre.
Voulez-vous nous indiquer votre nom complet, je vous prie.
Walther Emmanuel Funk.
Voulez-vous répéter ce serment après moi :
« Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité, et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien. » (Le témoin répète le serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Monsieur le Président, vous me permettrez de faire une remarque préliminaire. L’accusé Funk est malade depuis de nombreuses années ; avant d’être interné, il se trouvait depuis un certain temps à l’hôpital où il devait subir une opération qui n’a pu avoir lieu en raison des circonstances. Il est actuellement en cours de traitement d’une façon permanente. En considération de cela et puisque l’accusé tient à voir terminer son interrogatoire personnel aussi rapidement que possible, je ne lui poserai que les questions qui sont absolument indispensables pour que vous puissiez vous faire une idée suffisante de sa personne et de son activité. Témoin, quand êtes-vous né ?
Le 18 août 1890.
Vous êtes donc âgé de 56 ans ?
Oui.
Je vous présenterai tout d’abord les dates les plus importantes de votre vie et vous pourrez alors répondre par oui ou par non. Vous êtes âgé de 56 ans et vous êtes né en Prusse Orientale ?
Oui.
Vous êtes issu d’une famille de commerçants de Kœnigsberg ?
Oui.
Vous avez étudié, à l’université de Berlin, le droit, les sciences politiques, la littérature et la musique. Dans votre famille, il y avait eu toute une lignée d’artistes, n’est-ce pas ?
Oui.
Pendant la guerre mondiale, vous avez servi tout d’abord dans l’infanterie et, en 1916, vous avez été réformé pour une affection de la vessie ?
Oui.
Puis vous êtes devenu rédacteur dans certains grands quotidiens ; vous avez hésité pendant un certain temps pour savoir si vous seriez artiste, musicien ou journaliste, et vous vous êtes décidé pour cette dernière carrière ; et alors, je crois que c’était en 1922, vous êtes devenu rédacteur en chef de la Berliner Börsenzeitung ; est-ce exact ?
Oui.
Dites-nous maintenant, peut-être, quelle était l’orientation politique de ce journal auquel vous avez collaboré pendant dix ans environ comme rédacteur en chef ?
L’orientation de ce journal était bourgeoise et nationale. Ce journal n’était lié à aucun parti. Il était la propriété d’une ancienne famille d’éditeurs berlinois.
Quelle a été l’attitude de votre journal avant votre arrivée et, pendant votre activité de rédacteur en chef, à propos de la question juive ?
Absolument neutre ; ce journal ne s’occupait pas du tout de cette question.
D’une déclaration sous serment de M. le Dr Schacht, j’ai pu extraire et conclure qu’à cette époque, autour des années 1920, vous fréquentiez des milieux que fréquentaient aussi des Juifs, et où se tenaient de nombreuses discussions sur des problèmes économiques, par exemple sur la circulation de l’or et autres questions financières. Est-ce exact ?
Je n’en sais rien.
M. Schacht l’a prétendu dans une déclaration sous serment du 7 juillet 1945, document PS-3936.
Je rencontrais souvent des Juifs, ma profession l’exigeait. Je voyais tous les jours 4.000 Juifs à la Bourse.
En 1931, vous avez quitté votre poste de rédacteur en chef ?
Oui.
Pour quelles raisons ?
J’étais convaincu que le parti national-socialiste arriverait au pouvoir, et je me sentais appelé à faire valoir au sein du Parti mes convictions dans le domaine de la politique économique.
Ne voudriez-vous pas donner quelques détails précis sur votre opinion à ce sujet, Monsieur le Docteur Funk, en particulier en ce qui concerne la question de la lutte des partis, de la lutte des classes à cette époque, etc.
Le peuple allemand était à ce moment-là dans une grande misère, spirituelle autant que matérielle. Il était déchiré par la lutte des partis et des classes. Le Gouvernement ou plutôt les gouvernements n’avaient pas d’autorité. Le système parlementaire n’avait plus aucune efficacité, et moi-même j’avais lutté publiquement depuis dix ou douze ans contre la charge qui nous était imposée par le tribut de Versailles. J’étais convaincu que les tributs qui étaient exigés de nous étaient la raison principale de la décrépitude économique de l’Allemagne. Moi-même, j’ai lutté toute ma vie pour une économie privée, parce que j’étais convaincu que l’idée de l’économie privée était inséparablement liée à l’idée de la différence de capacité de production des hommes entre eux. J’ai lutté pour la libre initiative de l’entrepreneur, pour la libre concurrence, et, à ce moment-là, en particulier pour la suppression de la sauvage lutte des classes et pour l’établissement d’une communauté populaire sociale sur la base de la communauté d’entreprise. Toutes ces idées rencontraient un puissant écho, surtout dans les conversations que j’avais avec Gregor Strasser.
Qui était Gregor Strasser ? Voulez-vous le dire rapidement au Tribunal ?
Il était à ce moment-là chef de l’organisation du parti national-socialiste et il passait en générai pour être le suivant immédiat de Hitler. A cette époque, j’ai...
Il est temps de suspendre l’audience.