CENT VINGT ET UNIÈME JOURNÉE.
Samedi 4 mai 1946.

Audience du matin.

Dr SAUTER

Monsieur le Président, avec votre autorisation, je vais continuer l’interrogatoire de l’accusé Funk. (A l’accusé.) Docteur Funk, vous nous avez rapporté hier, brièvement, les événements les plus importants de votre vie ; vous êtes âgé de 56 ans et marié depuis 25 ans ; vous avez été rédacteur en chef de la Berliner Börsen Zeitung pendant dix ans, et à la fin de l’audience, vous nous avez fait part de vos convictions sur l’évolution future de l’Allemagne.

Peut-être pourriez-vous nous définir encore une fois votre point de vue, étant donné que vous avez été interrompu hier par la suspension et que votre état de santé était hier soir si mauvais qu’il vous est aujourd’hui à peine possible de vous rappeler les déclarations que vous avez faites au Tribunal.

Quelle était donc votre opinion sur les perspectives futures de l’Allemagne, sur le plan de l’économie politique, au moment où vous êtes entré dans le Parti ? Peut-être pourriez-vous nous l’exposer brièvement ?

ACCUSÉ FUNK

L’Allemagne se trouvait alors plongée dans une crise économique très grave, provoquée essentiellement par le tribut, des réparations que l’Allemagne avait à payer, par leur mode de paiement, par l’incapacité aussi des gouvernements d’alors à dominer les problèmes économiques. Ce qu’il y avait de plus désastreux dans cette politique de tribut, c’était le transfert de sommes énormes de crédits en Mark allemands à l’étranger sans contrepartie équivalente. Il en résulta un excédent extraordinaire de Reichsmark à l’étranger. On en arriva à l’inflation et les pays à monnaie stable achetèrent l’Allemagne. Il en résulta un endettement considérable de l’industrie allemande, qui la fit passer temporairement sous contrôle étranger ; l’agriculture était également endettée. La bourgeoisie, qui représentait en grande majorité la culture allemande, fut complètement appauvrie ; une famille allemande sur trois était réduite au chômage et le Gouvernement lui-même n’avait ni la force ni le courage de dominer les problèmes économiques. D’ailleurs, ces problèmes ne pouvaient pas être résolus seulement par des mesures économiques ; il était nécessaire tout d’abord d’instaurer un gouvernement investi des pouvoirs et de l’autorité nécessaires ; il fallait ensuite créer dans le peuple une volonté politique unique. A cette époque, les nationaux-socialistes obtinrent 40 % des mandats au Reichstag ; le peuple venait grossir les rangs de ce Parti par millions, en particulier la jeunesse idéaliste et enthousiaste, sur laquelle la personnalité fascinante du Führer agissait comme un aimant gigantesque. Au point de vue économique, le programme du Parti n’était pas clair et, à mon avis, il était érigé principalement dans un but de propagande ; d’ailleurs, il était violemment discuté, même dans les milieux du Parti que je fréquentais en 1931. C’est alors que j’ai pris la décision d’abandonner mes fonctions de rédacteur en chef d’un journal bourgeois à grand tirage et de me rendre indépendant en publiant un bulletin de presse économique adressé aux milieux économiques les plus divers, aux milieux dirigeants du Parti, mais aussi aux cercles économiques, liés au Parti national-allemand, au parti populaire et même aux démocrates.

Dr SAUTER

Docteur Funk, vous avez dit tout à l’heure en substance, que d’après l’opinion que vous avez manifestée en 1931 environ, seul, un gouvernement investi des pleins pouvoirs et de l’entière responsabilité, ce qui impliquait un État fort et une volonté politique unifiée, était qualifié pour faire sortir l’Allemagne de cette crise qui ne représentait d’ailleurs qu’un secteur de la crise mondiale. Vous êtes-vous demandé, à ce moment-là, si le principe du chef, qui fut plus tard de plus en plus développé, pouvait se concilier avec vos conceptions économiques ? Ou bien, pour m’exprimer autrement, est-ce qu’à cette époque-là vous considériez que le principe du chef était de nature à amener des inconvénients ? Que pouvez-vous dire à ce sujet ?

ACCUSÉ FUNK

On ne peut jamais dire à priori d’un principe de gouvernement, et c’est vrai pour le principe du chef, qu’il est bon ou mauvais ; cela dépend des circonstances données ; et, avant tout, de ceux qui gouvernent. Le principe démocratique et parlementaire n’avait pas obtenu de succès en Allemagne. L’Allemagne n’avait pas de traditions parlementaires et démocratiques comme certains autres pays. En fin de compte, lors des décisions gouvernementales, les quelques voix du parti de l’Économie, qui étaient prépondérantes, avaient été achetées. Il fallait donc introduire un nouveau principe. Et dans un régime autoritaire, le Gouvernement est bon si les gens qui détiennent l’autorité et la responsabilité le sont. A mon avis, le principe du chef signifiait que les meilleurs et le meilleur devaient gouverner, et qu’alors l’autorité s’exercerait de haut en bas et la responsabilité de bas en haut. Et au cours des conversations que j’ai eues en 1931 avec Hitler et d’autres personnalités dirigeantes du Parti, et, comme je l’ai dit aussi, en voyant l’enthousiasme et la foi qu’apportait le peuple allemand à ce mouvement politique, j’acquis la conviction que ce parti devait arriver au pouvoir et que de lui seul pouvait nous venir le salut. Je voulais moi-même mettre en pratique mes propres idées économiques au sein de ce Parti.

Dr SAUTER

Docteur Funk, vous venez de parler de la personnalité de Hitler. Par qui avez-vous fait la connaissance de Hitler ? Quelles ont été les personnalités du Parti qui vous ont d’abord gagné au Parti.

ACCUSÉ FUNK

Ce fut surtout Gregor Strasser qui, comme je l’ai dit hier, m’a procuré mon premier entretien avec Hitler. Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai fait la connaissance de Hermann Göring à Berlin. En dehors d’eux, j’avais alors très peu de relations dans les milieux du Parti et je n’y jouais aucun rôle.

Dr SAUTER

Et lorsque vous avez fait la connaissance de Hitler, quelle impression vous a-t-il faite ? Je voudrais rappeler qu’à ce moment, c’était en 1931 je crois, vous étiez déjà un homme mûr, vous aviez dépassé la quarantaine. Quelles ont été vos impressions sur la personnalité, les buts, etc. de Hitler ?

ACCUSÉ FUNK

Mon premier entretien avec Hitler fut très réservé ; rien d’étonnant à cela d’ailleurs ; puisque je venais d’un monde qui lui était totalement étranger. Il m’a fait immédiatement l’impression d’une personnalité exceptionnelle. Il saisissait tous les problèmes avec la rapidité de l’éclair et il savait les présenter avec beaucoup de volubilité, avec des gestes particulièrement impressionnants ; il avait l’habitude d’approfondir toutes les questions dans de longs monologues, les élevant pour ainsi dire à une sphère supérieure. J’ai moi-même exposé à Hitler mes idées en matière économique, et lui ai dit que je me fondais sur l’idée de la propriété privée qui était pour moi la base de toute politique économique, et qui était inséparable des variations de la capacité de rendement à des êtres humains. Lui-même m’approuva très vivement en me disant que sa politique économique était également basée sur le principe de la sélection, c’est-à-dire sur le principe du rendement individuel, de la personnalité créatrice ; il fut très heureux de voir que je voulais, de mon côté, travailler dans ce sens au sein du Parti et provoquer en sa faveur des contacts et des soutiens dans le monde économique ; c’est ce que je fis d’ailleurs. Mais nous n’en sommes pas venus à des relations plus étroites, le Führer et moi, car il m’avait dit lui-même : « Je ne peux pas, actuellement, m’engager sur le plan de la politique économique et je ne peux pas souscrire à toutes les idées de mes théoriciens, comme Gottfried Feder par exemple ». La section économique était alors dirigée par un certain Dr Wagner.

Dr SAUTER

Quelle section économique ? De la Direction nationale du Parti ?

ACCUSÉ FUNK

La section économique de la Direction nationale du Parti avait pour chef un certain Dr Wagner. On n’a jamais fait appel à moi lors des entretiens politiques. Je n’ai eu de relations étroites ou plus étroites avec le Führer que pendant l’année 1933 et la première moitié de 1934, au moment où j’étais chef de la presse du Gouvernement du Reich et où je lui faisais des rapports réguliers. Il lui arrivait d’interrompre brusquement la conférence de presse, de m’entraîner dans le salon de musique et de me demander alors de me mettre au piano. Dans la suite, nos relations furent plus réservées et lorsque je suis devenu ministre de l’Économie, le Führer s’éloigna de plus en plus de moi. Avait-il des raisons spéciales pour agir ainsi, comme Lammers l’a dit ici, je n’en sais rien. Mais pendant tout le temps de mon activité ministérielle, j’ai été appelé tout au plus quatre ou cinq fois en consultation chez le Führer. Il n’avait d’ailleurs pas besoin de moi, car il donnait toutes ses instructions sur le plan économique au Reichsmarschall, qui était le dirigeant responsable en la matière, et plus tard, à partir de 1942, à Speer puisque l’armement dominait l’ensemble de l’Économie. Je le répète, je n’ai eu de relations étroites avec lui qu’en 1933 et pendant la première moitié de 1934, jusqu’à la mort du président du Reich von Hindenburg.

Dr SAUTER

Oui, Docteur Funk. Vous avez fait un grand bond en avant. Nous voudrions revenir maintenant aux années 1931 et 1932, à l’époque où vous êtes entré dans le Parti. A quelle date était-ce exactement ?

ACCUSÉ FUNK

A l’été 1931.

Dr SAUTER

A l’été 1931. Vous avez déjà déclaré au Tribunal que vous n’avez pas formulé d’objection au principe du chef pour les raisons que vous nous avez exposées.

ACCUSÉ FUNK

Non, au contraire, le principe du chef était tout à fait indispensable.

Dr SAUTER

Au contraire, vous estimiez que ce principe était alors nécessaire. J’aimerais le savoir, étant donné qu’il y a d’autres points du programme qui ont eu des répercussions défavorables et que l’on a d’ailleurs reprochés abondamment aux accusés, au cours du Procès. J’en prendrai un exemple, celui du slogan de l’« espace vital », souvent évoqué au cours de ces débats. L’accusé Dr Schacht a traité lui aussi ce problème. Peut-être pourriez-vous nous exposer brièvement votre propre attitude vis-à-vis de ce problème, de cette question ?

ACCUSÉ FUNK

Le problème vital (Lebensraum), n’est pas un slogan, c’était un problème réel à cette époque pour le peuple allemand. Par Lebensproblem...

Dr SAUTER

Vous voulez dire Lebensraum ?

ACCUSÉ FUNK

Ou espace vital, je n’entendais certainement pas alors la conquête de pays étrangers ; la pensée de la guerre était alors bien lointaine pour moi, comme elle l’était probablement pour la plupart des Allemands. Par espace vital, j’entendais le libre accès des intérêts vitaux de l’Allemagne au commerce mondial, c’est-à-dire la participation du peuple allemand à l’utilisation des richesses du monde, qui existent à profusion. Je ne me suis pas alors préoccupé de savoir si le résultat s’obtiendrait par des colonies, par des concessions ou par des accords commerciaux.

Le développement de l’Allemagne, avant la première guerre mondiale, avait été pour moi le facteur décisif qui me détermina à devenir journaliste en matière économique. La participation de l’Allemagne à l’industrie pétrolifère roumaine, la concession du chemin de fer de Bagdad, l’influence grandissante de l’Allemagne en Amérique du Sud, en Chine et surtout en Extrême-Orient, tout cela m’avait beaucoup enthousiasmé. A cette époque, j’avais fait la connaissance d’hommes tels que Franz Günther de la Banque d’escompte, Arthur von Gwinner de la Deutsche Bank, Karl Helfferich, le grand importateur hambourgeois Witthöft et beaucoup d’autres pionniers de l’économie allemande et je m’engageai dans mon métier avec tout l’enthousiasme du jeune journaliste.

L’espace vital représentait donc pour moi, à ce moment-là, la réalisation de ces exigences économiques, la participation économique de l’Allemagne aux richesses mondiales, la suppression des entraves qui nous étaient opposées de tous côtés, car c’était un non-sens absolu que, d’un côté, l’Allemagne eût à payer des réparations et des dettes, et, de l’autre côté, que les pays créanciers se refusassent à accepter le seul paiement possible, c’est-à-dire le paiement en nature, en marchandises ou en services. A cette époque, déferla sur le monde une grande vague de protectionnisme. Je rappelle ici la politique économique américaine, les accords d’Ottawa ; cette politique mondiale erronée fut la cause de la crise économique mondiale de 1929-1930, qui eut aussi des répercussions graves en Allemagne.

Dr SAUTER

Avez-vous terminé, Docteur Funk ? (L’accusé fait un signe affirmatif.)

Le Ministère Publie, en son temps, a prétendu, dans son exposé des charges, que vous avez participé à la rédaction du programme nazi. Que pouvez-vous dire à ce sujet ?

ACCUSÉ FUNK

Je ne sais pas ce qu’entendait le représentant du Ministère Public par programme nazi.

Dr SAUTER

Je pense qu’il entendait le programme du Parti.

ACCUSÉ FUNK

C’est absolument impossible, étant donné que le programme du Parti a été rédigé en 1921, et qu’à cette époque-là, je ne savais absolument rien du national-socialisme ou de Hitler.

Dr SAUTER

Témoin, le Ministère Public vous a également reproché d’avoir rédigé ce que l’on appelle le programme de reconstruction, le plan de reconstruction économique de 1932, c’est-à-dire un programme pour l’assainissement de la vie économique allemande. Est-il exact que vous ayez dressé ce plan économique ?

ACCUSÉ FUNK

En 1932, j’ai réuni, pour un discours de Gregor Strasser, un certain nombre de points d’un programme économique. En en parlant, Strasser a indiqué qu’il émanait de moi et a ensuite transmis ces indications aux diverses sections du Parti comme éléments d’instruction et de propagande. Ce plan de reconstruction économique qui, selon les termes utilisés par le représentant du Ministère Public, devait devenir la bible économique des organisateurs du Parti n’est en aucune matière révolutionnaire ou même sensationnel, et je crois que ce plan pourrait être adopté et accepté par tout gouvernement démocratique. Je crois qu’il est reproduit dans l’ouvrage dont le représentant du Ministère Public a extrait un certain nombre d’informations.

Dr SAUTER

II en est- question dans le livre du Dr Paul Ostreich qui a été cité à plusieurs reprises ici. Ce livre contient votre biographie sous le titre Walther Funk, une vie consacrée à l’Économie. Il a été déposé par le Ministère Public sous le numéro PS-3505 (USA-653).

Monsieur Funk, j’ai devant les yeux le texte même de ce programme.

ACCUSÉ FUNK

Lisez-le, je vous prie.

Dr SAUTER

Tout le programme tient en une demi-page et ne contient, dans son ensemble, rien qui puisse être envisagé comme caractéristique des idées nationales-socialistes.

ACCUSÉ FUNK

A cette époque, je n’étais pas encore national-socialiste ou du moins je n’étais qu’un très jeune membre du Parti.

Dr SAUTER

Il faut en effet lire ce programme de reconstruction économique pour reconnaître combien il contient peu de revendications nationales-socialistes caractéristiques. C’est un programme que, selon l’accusé Funk, tout parti libéral ou démocratique ou tout autre parti bourgeois pourrait également revendiquer. Le programme prévoit la création directe de nouveaux travaux pour des réinvestissements publics ou privés. C’est le premier point. Puis l’établissement de crédits productifs au moyen de la Reichsbank, mais pas d’inflation, et le rétablissement d’une monnaie saine et d’une économie saine dans le domaine de l’argent et du crédit en vue d’activer la production. Abaissement général du taux de l’intérêt avec référence spéciale aux conditions économiques individuelles. Création d’un office du commerce extérieur et d’un office central des changes pour des devises étrangères. Réglementation nouvelle des relations économiques avec l’étranger, mettant au premier plan les nécessités vitales du marché intérieur mais portant une attention particulière à l’exportation absolument indispensable à l’Allemagne. Assainissement des finances publiques, y compris des assurances officielles. Suppression des méthodes insoutenables en matière budgétaire. Mesures étatiques de protection de l’agriculture. Reconstitution de la propriété foncière immobilière et agricole, selon les principes de la productivité et de la santé publique. Accroissement du marché des matières premières allemandes, création de nouvelles industries nationales et artisanales, transformation des procédés techniques et de fabrication.

C’est tout ce qui est contenu dans ce programme de reconstruction économique.

ACCUSÉ FUNK

Selon le représentant du Ministère Public, ce programme devait être la déclaration officielle du Parti dans le domaine de l’économie. J’eusse souhaité que le Parti professât ces principes. Plus tard, j’eus de grandes difficultés avec certains milieux du Parti, à propos justement de mes conceptions économiques fondamentales. D’ailleurs, je passais dans les milieux du Parti pour un original et un libéral.

Dr SAUTER

Un libéral ?

ACCUSÉ FUNK

Oui. J’ai combattu toutes les tendances collectivistes ; c’est pourquoi je me suis trouvé constamment en conflit avec le Front du Travail. Le maréchal du Reich, Hermann Göring, a soutenu mes conceptions particulièrement en matière de propriété privée. A ma prière, il a, pendant la guerre, rendu au secteur de l’économie privée, certaines parties des usines Hermann Göring. J’étais un adversaire de l’économie étatiste, parce qu’une économie étatiste n’est capable que d’un rendement moyen ; une économie étatiste équivaut à une économie stérile ; une économie qui n’incite pas à l’âpre concurrence et à la lutte individuelle demeurera stérile et n’obtiendra que des rendements moyens. Le Führer a toujours exprimé son assentiment très vif pour ces principes qui étaient miens, et ce fut pour moi, pendant les dernières années, une grande déception que de voir le Führer s’élever si violemment contre le monde bourgeois, parce que cela signifiait le fiasco de toute l’oeuvre de ma vie.

LE PRÉSIDENT

Docteur Sauter, le Tribunal pense que vous pourriez passer à des questions plus importantes que les opinions de l’accusé sur les mérites respectifs de l’économie privée et étatique.

Dr SAUTER

Oui, Monsieur le Président. (A l’accusé.) Docteur Funk, vous savez que c’est justement le grand problème du chômage qui a permis à Hitler de s’emparer du pouvoir. Comment conceviez-vous la suppression du chômage, étant donné que vous savez que c’est justement cette promesse de...

LE PRÉSIDENT

Docteur Sauter, nous avons entendu presque tous les accusés nous parler de la situation de l’Allemagne à cette époque. Aucune charge n’est retenue contre les accusés du fait de la politique économique allemande suivie entre 1933 et 1939.

Dr SAUTER

Monsieur le Président, je voulais demander à l’accusé Funk comment il se représentait la suppression du chômage, car l’interrogatoire d’autres accusés m’a amené à conclure qu’ils avaient envisagé la suppression du chômage par d’autres moyens, par exemple, par le réarmement et autres procédés de cet ordre. Tandis que ce n’est pas le cas pour Funk, et je crois que pour apprécier la culpabilité de l’accusé Funk, il est important de savoir comment il s’imaginait la suppression du chômage, par le réarmement ou par un autre moyen. D’ailleurs, Monsieur le Président, je crois que cela ne prendra pas beaucoup de temps, car l’accusé Funk s’exprimera certainement très brièvement à ce sujet, et peut-être pourra-t-il...

LE PRÉSIDENT

II peut répondre en une phrase, me semble-t-il.

ACCUSÉ FUNK

Si je ne puis répondre que par une seule phrase, je dois dire qu’à cette époque, je me représentais la suppression du chômage à l’aide d’un plan très solide, mais en tout cas, sans réarmement, sans armement.

Dr SAUTER

Mais alors, comment ?

ACCUSÉ FUNK

Par des moyens qu’il me faudrait expliquer. Mais en tout cas, le réarmement à cette époque n’entrait pas en ligne de compte.

Dr SAUTER

Pouvez-vous condenser votre pensée en quelques mots précis ?

ACCUSÉ FUNK

Tout d’abord, le travail se trouvait pour ainsi dire dans la rue. Il était absolument indispensable de créer un grand programme de constructions routières ; il fallait fouetter les industries mécaniques, en particulier les fabrications d’automobiles, qui devaient, bien entendu, être protégées. Il fallait créer un vaste plan de constructions d’immeubles ; on manquait de plusieurs centaines de milliers de logements.

Dr SAUTER

En bref...

ACCUSÉ FUNK

Il s’agissait également de mécaniser, de motoriser l’agriculture. Je voudrais tout de même citer deux chiffres, deux proportions qui éclairent toute cette situation. Jusqu’à la guerre, les deux tiers de la production allemande sont allés à la consommation privée et un tiers seulement aux besoins d’État. L’industrie d’armement n’avait donc pas, jusque là, joué un rôle décisif.

Dr SAUTER

Monsieur Funk, je passe maintenant à un autre chapitre. Vous vous. souvenez que le Ministère Public a déclaré dans son exposé des charges, que les preuves présentées contre vous sont pour la plupart des déductions ; j’en conclus qu’elles se rapportent moins à vos actes qu’à vos fonctions. C’est pourquoi j’aimerais connaître les fonctions que vous avez occupées dans le Parti pendant la période qui suivit.

ACCUSÉ FUNK

Une seule fois, en 1932...

Dr SAUTER

II s’agit de vos fonctions dans le Parti et non dans le Gouvernement.

ACCUSÉ FUNK

Je comprends. En 1932, et pour quelques mois seulement, on m’a chargé de mission dans le Parti. A ce moment-là, Gregor Strasser a voulu créer pour moi un service spécial de l’économie privée, mais ce service fut dissous quelques mois plus tard quand il démissionna du Parti et abandonna ses fonctions. Puis, en décembre 1932, je fus chargé de diriger une commission économique.

Dr SAUTER

C’était en décembre 1932 ?

ACCUSÉ FUNK

Oui. En février 1933, au bout de deux mois, j’ai également abandonné ces fonctions. Ces deux missions étaient absolument anodines et n’ont jamais abouti à rien de décisif pendant leur courte durée. Tous ceux qui sont assis au banc des accusés et qui ont eu des fonctions importantes dans le Parti pourront en témoigner. A part cela, je n’ai plus eu d’autre fonction dans le Parti ; si bien qu’après 1933, je n’ai pas reçu d’autre mission, d’autre fonction du Parti.

Dr SAUTER

Donc, si j’ai bien compris, cet office de l’économie privée n’a existé que pendant quelques mois, en 1932, mais pratiquement n’a pas fonctionné. Quant à l’autre, la commission de politique économique, vous en avez été nommé chef en décembre 1932, et un mois plus tard en janvier 1933...

ACCUSÉ FUNK

Février 1933.

Dr SAUTER

En février 1933, immédiatement après la prise du pouvoir, vous avez abandonné cet office. Est-ce exact ?

ACCUSÉ FUNK

Oui.

Dr SAUTER

Passons maintenant à votre position dans le Parti. Étiez-vous membre d’une organisation du Parti, SA ou SS ou autre formation ?

ACCUSÉ FUNK

Je n’ai jamais fait partie d’une organisation du Parti, ni les SA, ni les SS, ni d’une autre organisation quelconque, et comme je l’ai dit, je ne faisais pas non plus partie du Corps des dirigeants politiques.

Dr SAUTER

Vous n’apparteniez pas au Corps des dirigeants politiques ?

ACCUSÉ FUNK

Non.

Dr SAUTER

Vous savez, Monsieur Funk, que les fonctionnaires du Parti, la vieille garde, etc., se réunissaient chaque année, en novembre, à Munich. Vous avez vu, ici même, un film qui représente ces manifestations. Avez-vous jamais été invité à ces manifestations des 8 et 9 novembre ?

ACCUSÉ FUNK

Je ne sais pas si j’ai reçu des invitations, c’est possible ; mais je ne me suis jamais rendu à une telle manifestation, qui était surtout destinée aux anciens camarades du Parti et à la vieille garde, en souvenir de la marche sur la Feldherrnhalle. Je n’ai jamais participé à ces manifestations, et du reste je n’aimais pas participer à de grandes manifestations. Pendant tout ce temps, je n’ai assisté qu’une seule fois à un congrès du Parti, et à une ou deux manifestations. Les réunions de masses me causaient de véritables souffrances physiques.

Dr SAUTER

Témoin, lorsque vous avez été nommé ministre de l’Économie, avez-vous reçu l’insigne en or du Parti ?

ACCUSÉ FUNK

Non, j’ai été décoré de cet insigne au moment où j’étais encore chef de la presse du Gouvernement du Reich.

Dr SAUTER

Donc, pas en qualité de ministre ?

ACCUSÉ FUNK

Non.

Dr SAUTER

Pendant combien de temps avez-vous été député national-socialiste ?

ACCUSÉ FUNK

Pendant très peu de mois.

Dr SAUTER

C’est-à-dire entre quelles dates ?

ACCUSÉ FUNK

De juillet 1932 à février 1933, puis je n’ai plus eu de mandat, parce que le Dr Frick, président du Parti, chef du groupe parlementaire, m’a fait savoir que, d’après les instructions du Führer, seuls les anciens inscrits du Parti devaient recevoir des mandats. Entre temps, j’avais reçu un service gouvernemental.

Dr SAUTER

Témoin, en ce qui concerne les lois qui jouent un rôle important dans ce Procès, comme par exemple la loi sur les pleins pouvoirs, qui, pratiquement, élimina le Reichstag, ou la loi interdisant les partis politiques, ou la loi sur l’unité du Parti et de l’État, à propos de toutes ces lois qui étaient en préparation pour des développements ultérieurs, étiez-vous, à ce moment-là encore, député au Reichstag, ou aviez-vous cessé de l’être ?

ACCUSÉ FUNK

Je n’étais plus député au Reichstag à ce moment-là. Malgré cela, je considérais que ces lois étaient nécessaires.

Dr SAUTER

C’est une autre question, mais vous n’étiez plus député au Reichstag ?

ACCUSÉ FUNK

Non, je n’étais pas non plus membre du Cabinet.

Dr SAUTER

Docteur Funk, nous avons entendu parler ici, à plusieurs reprises, de l’affidavit du consul général américain, Messersmith, en date du 28 août 1945 ; c’est le document PS-1760 ; il écrit dans le passage qui vous concerne : « Funk était, avant la prise du pouvoir, rédacteur en chef de l’un des journaux économiques les plus importants de Berlin ; il a ouvertement témoigné très peu de sympathie aux nazis lorsqu’ils sont arrivés au pouvoir ». Puis, il écrit plus loin : « II devint plus tard un national-socialiste ardent et l’un des instruments les plus efficaces du Parti en raison de ses capacités indiscutables en différents domaines ». Voilà ce qu’écrit sur vous le consul général américain Messersmith. Et je vous rappellerai encore un autre passage extrait du livre du Dr Ostreich, que j’ai cité tout à l’heure, et dont le titre est : Walther Funk, une vie consacrée à l’Économie. Cet ouvrage a été déposé comme preuve au Procès sous le numéro PS-3505. Il est écrit dans cet ouvrage que les tâches qui vous étaient attribuées par le Parti, même si elles ne vous étaient dévolues que pour peu de temps, pouvaient être considérées comme particulièrement importantes.

Que pouvez-vous dire de ces deux citations ?

ACCUSÉ FUNK

J’ai déjà dit moi-même que je m’étais déclaré pour le Parti et que j’avais entrepris de travailler pour lui avec enthousiasme. Mais je n’ai jamais appartenu aux organisations de propagande, ainsi que le dit M. Messersmith, et je ne me rappelle vraiment pas du tout avoir rencontré M. Messersmith. Je ne me souviens pas non plus avoir parlé de l’Autriche avec lui comme il le dit également.

Dr SAUTER

N’avez-vous pas discuté avec lui de l’Anschluss de l’Autriche à l’Allemagne ?

ACCUSÉ FUNK

Je ne me le rappelle pas, quoique j’aie considéré la réunion de l’Autriche à l’Allemagne comme indispensable, mais il ne me semble pas avoir abordé cette question avec M. Messer-smith. En ce qui concerne l’ouvrage du Dr Paul Ostreich, je regrette que le Ministère Public l’ait utilisé comme source d’informations ; il en est résulté des erreurs qu’on aurait pu éviter et qu’il n’eût pas été nécessaire pour moi de réfuter. Ostreich était absolument en dehors du Parti.

Dr SAUTER

Mais qu’était-il ?

ACCUSÉ FUNK

Il était propriétaire d’un journal allemand au Chili et avait été, pendant quelques années, rédacteur politique de la Berliner Börsenzeitung.

Dr SAUTER

Rédacteur politique ?

ACCUSÉ FUNK

Il a voulu surtout s’occuper du succès de son ouvrage et c’est la raison pour laquelle il a exagéré l’importance de ma position dans le Parti. Peut-être croyait-il aussi pouvoir me rendre par là un service particulier. En tout cas, les événements tels qu’il les décrit là, ne sont pas cités avec exactitude.

Dr SAUTER

Témoin, dans un document du Ministère Public qui porte le numéro PS-3563, il est fait allusion au fait que vous aviez, dans plusieurs publications, été désigné comme conseiller de Hitler en matière économique. Et, dans un autre passage, on prétend que Hitler vous aurait nommé délégué à l’Économie. J’aimerais savoir si c’était là une fonction du Parti ou, en tout cas, ce que signifie cette désignation. De quelle fonction veut-on parler ?

ACCUSÉ FUNK

Ce n’était ni une fonction du Parti ni un titre du Parti. La Presse m’appelait souvent ainsi, en raison de l’activité que j’avais déployée au profit du Parti en 1932. Et il est probable que cette désignation est passée de la presse dans la littérature ; mais ce n’était ni une fonction ni un titre. D’ailleurs, il est absolument ridicule d’imaginer que ces activités puissent avoir été très importantes à cette époque, car si elles avaient été vraiment très importantes, je les aurais conservées lorsque le Parti est arrivé au pouvoir. Le ministre du Ravitaillement du Reich était également Reichsleiter. Le secrétaire d’État Reinhardt, du ministère des Finances, était le directeur de la politique financière à la direction nationale du Parti, etc., mais il n’y a jamais eu de Reichsleiter à l’Économie et, lorsque le Parti est arrivé au pouvoir, j’ai quitté le Reichstag et toutes les organisations du Parti.

Dr SAUTER

Docteur Funk, au cours des débats, à une ou deux reprises, il a été question d’un conseil économique du Parti ; je vous prie de le noter, d’un conseil économique du Parti, donc d’une organisation du Parti. Que savez-vous sur votre appartenance à cette institution du Parti, ses tâches et le domaine de son activité ?

ACCUSÉ FUNK

II m’a fallu réfléchir très longtemps pour retrouver un souvenir quelconque de cet organisme, étant donné que ni Hess, ni Rosenberg, ni Frank n’ont pu se rappeler quoi que ce soit de ce genre. Je crois me rappeler que Gottfried Feder avait réuni, pour le consulter, un cercle de personnes auquel il avait donné le nom pompeux de conseil économique national du Parti ; mais, après la prise du pouvoir, ce groupe cessa d’exister. Je n’ai jamais participé aux séances de ce comité et j’ai été très étonné de lire dans l’Acte d’accusation que j’en avais été le vice-président. Il n’a eu d’ailleurs aucune espèce d’importance.

Dr SAUTER

Vous voulez parler de Gottfried Feder ?

ACCUSÉ FUNK

Il a été l’auteur du programme économique et le théoricien de l’économie du Parti, depuis la fondation du Parti jusqu’à la prise du pouvoir.

Dr SAUTER

Il a donc été le théoricien initial du Parti, de sa fondation à la prise du pouvoir ?

ACCUSÉ FUNK

Oui, et, plus tard, ce furent le Dr Wagner et Keppler qui vinrent au premier plan. Keppler, lui, a toujours porté en public le titre de conseiller économique du Führer.

Dr SAUTER

Donc, Monsieur Funk, ces personnes dont vous venez de parler tout à l’heure peuvent, à votre avis, et si je vous comprends bien, être désignées comme les conseillers économiques de Hitler ?

ACCUSÉ FUNK

Non, c’est faux.

Dr SAUTER

Mais alors ?

ACCUSÉ FUNK

Hitler n’admettait pas qu’on le conseillât, en particulier dans le domaine de l’Économie. Ces gens se sont occupés des problèmes économiques à la direction du Parti, avant et après moi.

Dr SAUTER

Sans doute également en publiant un certain nombre d’articles, comme Gottfried Feder ?

ACCUSÉ FUNK

Oui, il a beaucoup écrit et traité en détail, par exemple, le problème de la baisse du taux de l’intérêt.

Dr SAUTER

Telles étaient donc, Monsieur Funk, vos fonctions réelles ou supposées, dans le Parti. J’en viens maintenant à vos fonctions dans l’État. Après la prise du pouvoir, donc à la fin du mois de janvier 1933, vous êtes devenu chef de la Presse du Gouvernement du Reich. Et, en mars 1933, après la création du ministère de la Propagande — donc un ministère d’État — vous êtes devenu secrétaire d’État au ministère de la Propagande, sous la direction de Goebbels. Comment est-ce arrivé ?

ACCUSÉ FUNK

Puis-je parler très brièvement de ces choses ?

Dr SAUTER

Un instant.

ACCUSÉ FUNK

Je crois que nous irons plus vite que si vous me posez chaque question séparément.

Dr SAUTER

Dans ce cas, je vais vous demander immédiatement pourquoi vous êtes entré au ministère de la Propagande, pourquoi vous êtes devenu chef de la Presse du Gouvernement du Reich alors que vous vous occupiez toujours de questions économiques.

ACCUSÉ FUNK

Dans sa déposition, le Reichsmarschall a déjà dit d’abord qu’il ne savait pas que j’eusse eu une activité quelconque dans le Parti avant 1933, et ensuite que ma nomination comme chef de la Presse du Gouvernement du Reich avait provoqué un étonnement général. Le Führer me dit, le 29 janvier 1933, qu’il n’avait personne parmi les vieux membres du Parti qui connût bien la Presse et qu’il me priait d’accepter les fonctions de chef de la Presse, d’autant plus que cette nomination impliquait la nécessité de présenter des rapports réguliers au Président du Reich, que le Président du Reich me connaissait et, comme je le mentionnerai peut-être plus tard, m’avait en amitié. J’étais souvent reçu chez lui et j’étais dans les meilleurs termes avec sa famille.

Dr SAUTER

Vous parlez de Hindenburg ?

ACCUSÉ FUNK

Oui, de Hindenburg. Telles sont les raisons qui amenèrent Hitler à me nommer chef de la Presse du Gouvernement du Reich. Le chef de la Presse du Gouvernement du Reich était un directeur ministériel de la Chancellerie du Reich, et ce n’était pas très agréable pour moi de devenir soudain fonctionnaire parce que, au fond, je n’avais jamais eu d’aspirations de ce genre. Mais j’acceptai ces fonctions dans l’enthousiasme général de ces journées et pour répondre à l’appel du Führer. Je tenais régulièrement des conférences de presse en présence de Lammers. Mais cela ne dura qu’un an et demi, jusqu’à la mort du Président du Reich ; ces conférences de presse cessèrent alors. Pour ses instructions à la Presse, le Führer se servait du chef du service de Presse du Parti, le Dr Dietrich, qui devint plus tard secrétaire d’État au ministère de la Propagande.

Lorsque le ministère de la Propagande fut créé, le Führer me pria de l’organiser pour que Goebbels n’ait pas à s’occuper de questions d’administration, de finances et d’organisation. C’est alors que la section de Presse du Gouvernement du Reich, que j’avais dirigée jusque-là, se trouva incorporée au ministère de la Propagande et placée directement sous les ordres de Goebbels ; on lui nomma également un chef spécial. A partir de ce moment-là, donc après six semaines d’activité comme chef de la Presse du Gouvernement du Reich, mes activités dans le domaine de l’information et des instructions à la Presse cessèrent. A partir de ce moment-là, c’est Goebbels lui-même qui s’en occupa ; d’ailleurs, une séparation très nette fut faite par Goebbels entre les tâches administratives et les tâches politiques du ministère. Pour la propagande, il se servit de ses anciens collaborateurs de la section de propagande du Parti. Je n’avais rien à voir avec le service de propagande politique ; ce travail était accompli par Goebbels avec l’organisme du Parti auquel je n’appartenais pas. J’avais, par exemple, étant donné que j’étais président du conseil de surveillance, à m’occuper de la radio au point de vue financier et économique ; c’était une entreprise d’une centaine de millions, mais je n’ai jamais fait de discours de propagande à la radio. Je n’en ai pas parlé non plus lors des grandes manifestations du Parti et de l’État. Il est évident que j’étais absolument en faveur de la propagande et que j’en comprenais l’importance pour l’État, et j’admirais la manière dont Goebbels s’y prenait dans ce domaine. Mais, personnellement, je n’ai exercé aucune activité dans le domaine de la propagande.

Dr SAUTER

Donc, si je vous ai bien compris, votre tâche au ministère de la Propagande, qui était un ministère d’État, était une tâche purement administrative qui ne portait que sur des questions d’organisation. Mais la propagande elle-même était le domaine du ministre Goebbels et des collaborateurs qu’il avait appelés et qui avaient appartenus autrefois à l’appareil de propagande du Parti ? Est-ce exact ?

ACCUSÉ FUNK

Oui. Goebbels se réservait naturellement le droit exclusif de disposer de toute la propagande. A côté de lui, et dans ce domaine, je n’apparaissais même pas ; mais en outre, mon activité était très fortement restreinte par le fait que beaucoup de tâches qui sont, en général, réservées dans d’autres ministères, au secrétaire d’État, étaient traitées, en ce qui concerne Goebbels, par son expert, Hancke, qui devint plus tard secrétaire d’État et Gauleiter.

Dr SAUTER

Hancke ?

ACCUSÉ FUNK

Oui, je crois que, pendant toute la durée de mon activité au ministère de la Propagande, je n’ai même pas signé trois fois au nom de Goebbels ; une de ces signatures a été montée en épingle par le Ministère Public. Il s’agit là de la signature placée au bas d’un décret d’exécution, d’une ordonnance fixant la date à laquelle elle entrerait en vigueur.

Dr SAUTER

De quelle ordonnance s’agit-il ?

ACCUSÉ FUNK

Il s’agit d’une ordonnance d’exécution de la loi sur la chambre de culture du Reich ; la législation concernant cette institution fut élaborée par le Cabinet du Reich dont je ne faisais pas partie ; mais, évidemment, en ma qualité de secrétaire d’État au ministère de la Propagande, j’avais une responsabilité de pure forme à cet égard et j’ai naturellement favorisé la propagande, comme tous ceux qui se sont trouvé occuper une position importance dans la vie officielle ou intellectuelle en Allemagne. Car la propagande remplissait et pénétrait l’ensemble de la vie culturelle de la nation dans une mesure appropriée à l’importance considérable, fondamentale, qu’on lui accordait à juste titre dans l’État national-socialiste.

Dr SAUTER

Monsieur Funk, le Ministère Public vous a rendu responsable des lois qui ont été promulguées à l’époque où vous étiez chef de la Presse du Gouvernement du Reich. Je vous renvoie, par exemple, aux lois qui ont été présentées sous les numéros PS-2962 et PS-2963. Ce sont des lois que vous connaissez bien et qui concernent la suppression des libertés civiles en Allemagne et l’abolition de la forme parlementaire du Gouvernement. Je vous prie de nous dire ce que vous avez eu à faire avec ces lois. En votre qualité de chef de la Presse du Gouvernement du Reich, aviez-vous une influence sur le contenu et la promulgation de ces lois ?

ACCUSÉ FUNK

Non. D’ailleurs, M. Lammers et le Reichs-marschall ont répondu par la négative à cette question. Je n’avais rien d’autre à faire que de transmettre à la Presse, le contenu de ces lois conformément aux instructions que je recevais du Führer.

Dr SAUTER

Vous assistiez donc aux séances du Cabinet du Reich ?

ACCUSÉ FUNK

Oui.

Dr SAUTER

En conséquence, vous avez dû prendre connaissance des débats et des résolutions du Cabinet du Reich ?

ACCUSÉ FUNK

Oui.

Dr SAUTER

C’était la raison d’être de votre présence, et votre tâche — je vous prie de me dire si j’ai bien compris — consistait uniquement à informer la Presse, après ces séances, des décisions qui avaient été prises, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ FUNK

Oui, c’est exact.

Dr SAUTER

Vous n’aviez donc pas d’influence, ni sur les projets de lois, ni sur le contenu des décisions prises, ni sur le vote ? Est-ce exact ?

ACCUSÉ FUNK

Oui, c’est exact, je n’avais ni siège, ni voix dans le Cabinet du Reich.

Dr SAUTER

Est-ce que vous étiez responsable de la politique de presse du Gouvernement du Reich ? J’insiste ici encore, du Gouvernement du Reich, et non du Parti ?

ACCUSÉ FUNK

J’ai déjà dit que j’ai reçu pendant un mois et demi les instructions du Führer pour la presse. Ultérieurement, c’est Goebbels qui s’est occupé de la direction de la presse politique.

Dr SAUTER

Vous avez dit que les conférences de presse auprès du président du Reich, von Hindenburg, ont cessé avec sa mort, en août 1934. C’est exact, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ FUNK

Oui.

Dr SAUTER

Et c’est de cette époque également que date la fin de vos rapports de presse auprès de Hitler, qui était alors Chancelier du Reich, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ .FUNK

Oui. Le président du Reich von Hindenburg était mort entre temps.

Dr SAUTER

Et c’est alors que, de plus en plus, le Dr Dietrich, chef de Presse du Parti, vous a remplacé ?

ACCUSÉ FUNK

Le Dr Dietrich faisait partie des collaborateurs immédiats du Führer et c’est lui qui transmettait à la Presse les instructions de Hitler.

Dr SAUTER

Docteur Funk, dans le livre de M. Ostreich, PS-3505 (USA-653), qui a déjà été cité, se trouve un passage que je me propose de lire et qui concerne votre politique de presse ; je cite textuellement :

« Nombre de journalistes qui ont travaillé à Berlin ou ailleurs sont restés reconnaissants à Funk de la manière dont il a accueilli leurs vœux et leurs plaintes, en particulier pendant l’époque de transition. C’est Funk qui a prononcé le mot qu’on a cité très souvent plus tard : la Presse ne devait pas être un « orgue de Barbarie » ; il voulait, en disant cela, s’élever contre l’uniformité et, pour me servir d’un terme allemand, contre l’unification et le conformisme de la Presse. Il demandait à la Presse de garder un aspect individuel, tout en la protégeant des efforts des services officiels qui voulaient faire valoir leur propre point de vue. » Est-ce exact ?

ACCUSÉ FUNK

Oui, je l’ai probablement écrit, et c’était réellement mon opinion. Dans la mesure où j’en étais capable, j’ai essayé de protéger la Presse contre l’uniformisation et le traitement arbitraire, surtout de la part des services administratifs.

Dr SAUTER

Vous avez déjà dit, je crois, que vous ne preniez aucune part à la direction politique du ministère de la Propagande — j’insiste : à la direction politique du ministère de la Propagande — et que vous ne participiez pas à l’activité de propagande proprement dite, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ FUNK

Oui, c’est exact.

Dr SAUTER

Monsieur le Président, je passe maintenant à un nouveau chapitre. Vous conviendrait-il de suspendre l’audience pendant un court instant ?

LE PRÉSIDENT

Étant donné que l’audience se terminera aujourd’hui à midi, je pense que nous ferions mieux de continuer maintenant.

Dr SAUTER

Témoin, je passe maintenant à votre attitude sur le problème de l’antisémitisme, et cela parce que vous êtes tenu, vous aussi, pour plus ou moins responsable des excès commis contre les Juifs. Voulez-vous définir votre attitude de principe à cet égard ?

ACCUSÉ FUNK

Je n’ai jamais été antisémite sur la base d’une doctrine raciale. Les revendications antisémites du programme du Parti, je les ai considérées d’abord comme un aspect de la propagande. A cette époque, les Juifs occupaient dans les divers milieux importants de la vie allemande des positions prépondérantes. Il y avait beaucoup de Juifs très intelligents avec lesquels j’avais des rapports personnels, qui considéraient qu’il n’était pas dans leur intérêt de dominer la vie culturelle, le droit, la science l’économie au point où ils le faisaient à cette époque. Il y avait aussi, à ce moment-là, une tendance antisémite dans le peuple. L’influence des Juifs était particulièrement forte dans la vie culturelle et, à mon point de vue, elle était particulièrement nuisible parce qu’elle développait des tendances que je considérais comme absolument étrangères et même comme anti-artistiques, en particulier dans le domaine de la peinture et de la musique. On promulgua donc la loi sur la chambre de culture du Reich qui excluait radicalement les Juifs de toute la vie culturelle, mais réservait toutefois la possibilité de faire des exceptions. Chaque fois que j’ai été en mesure de faire valoir ces exceptions, je l’ai fait. La loi est l’oeuvre du Cabinet du Reich qui en porte la responsabilité. A ce moment-là, je ne faisais pas partie du Cabinet du Reich. Pendant la période de mon activité au ministère de la Propagande, j’ai fait ce qui était en mon pouvoir pour aider les Juifs et ceux qui, dans le domaine culturel, ne pensaient pas comme nous. Tous ceux qui connaissaient mon activité à cette époque pourront et devront l’attester.

Dr SAUTER

Dans mon livre de documents, j’ai présenté deux déclarations sous serment sous les numéros 1 et 2. L’une de ces déclarations a été faite par Albert Oser, rédacteur en chef de la Frankfurter Zeitung, et l’autre provient d’un avocat, le Dr Rösen. Je prie le Tribunal de prendre acte de ces deux affidavits. Le premier montre que l’accusé Funk, sans le moindre souci de compromettre la situation qu’il avait à ce moment-là, s’occupa activement de protéger les intérêts de cet Öser, rédacteur à la Frankfurter Zeitung et d’un certain nombre de personnes qui faisaient partie également de la rédaction de ce journal. En particulier, il insista avec acharnement pour conserver des personnes qui n’étaient pas aryennes et qui, par conséquent, d’après les intentions du Parti, n’auraient pas dû continuer à être employées.

ACCUSÉ FUNK

Ce n’étaient pas les intentions du Parti, mais la loi sur la chambre de culture du Reich qui les empêchait de continuer à exercer une activité.

Dr SAUTER

Oui, la loi sur la chambre de culture du Reich également. Et, dans le livre de documents, l’affidavit n° 2, qui émane du Dr Rösen, confirme que l’accusé s’est préoccupé par exemple du sort de la famille du compositeur Dr Richard Strauss et de ses petits-enfants non aryens et, par là, a couru un certain danger personnel. Voilà quelques exemples, mais l’accusé pourra peut-être vous en donner quelques autres dans lesquels il s’est préoccupé du sort de certaines personnes.

LE PRÉSIDENT

Quel numéro donnez-vous à ce document en le déposant ?

Dr SAUTER

Dans le livre de documents, ce sont les numéros 1 et 2 ; j’ai remis les originaux.

LE PRESIDENT

Ce sont les documents 1 et 2 ?

Dr SAUTER

Oui, 1 et 2. Docteur Funk, je viens de dire justement que vous pourriez peut-être, très brièvement, donner quelques autres exemples montrant que vous vous êtes servi des fonctions officielles que vous occupiez pour protéger des artistes ou des intellectuels qui avaient des difficultés en raison de leur attitude.

ACCUSÉ FUNK

Richard Strauss est un cas particulier ; ce compositeur, l’un des plus remarquables parmi les vivants, eut de grosses difficultés à la suite d’un livret écrit par le Juif Stefan Zweig. J’ai réussi à obtenir du Führer qu’il reçoive à nouveau Richard Strauss et toute l’affaire a été classée. Le Dr Wilhelm Furtwängler a eu des difficultés analogues parce qu’il avait écrit un article favorable sur le compositeur Hindemith ; il y eut aussi le cas de ceux qui avaient épousé des Juives comme Lehar, Künnecke et d’autres qui avaient constamment des difficultés du fait de l’interdiction d’exécuter leurs œuvres. J’ai toujours réussi à obtenir pour ces compositeurs l’autorisation de faire jouer leurs œuvres.

LE PRÉSIDENT

L’accusé peut prétendre qu’il a aidé des centaines de Juifs, mais cela ne détruit pas le fait qu’il leur a été activement hostile du fait qu’il a signé les lois et décrets contre la race juive ; même s’il a aidé quelques amis juifs. En tout cas, je ne crois pas qu’il soit nécessaire qu’il fournisse d’autres détails à ce sujet.

Dr SAUTER

Monsieur le Président, notre point de vue est le suivant : pour apprécier la personnalité d’un accusé, il peut être important de savoir s’il a signé des textes d’un caractère antisémite parce qu’il se sentait obligé d’exécuter les lois de son pays, qu’il était fonctionnaire et qu’il avait prêté serment, ou bien parce qu’il était antisémite et parce qu’il voulait persécuter les Juifs en les privant de leurs droits, et pour cette raison seulement...

LE PRÉSIDENT

Docteur Sauter, le Tribunal est d’avis que vous avez déjà suffisamment exprimé votre point de vue selon lequel il a aidé certains amis juifs ; mais la question n’a pas besoin d’être examinée plus en détail.

Dr SAUTER

D’ailleurs, Monsieur le Président, je passe de toute façon à un autre point ; je voudrais demander à l’accusé l’évolution de son activité au sein du ministère de la Propagande au cours des années ultérieures.

ACCUSÉ FUNK

Cette évolution a eu lieu dans le sens que j’ai décrit ici. Peu à peu, j’ai dirigé un ensemble d’institutions culturelles, sociétés de films, sociétés d’émissions radiophoniques, théâtres. J’ai été président du Conseil de surveillance de l’orchestre philharmonique, puis du Conseil de l’Économie allemande, qui traitait, dans leur ensemble, les activités économiques de tout le domaine économique intérieur et extérieur et leur participation active à l’ensemble de l’Économie. C’était là l’essentiel de mon activité.

Dr SAUTER

Témoin, le Ministère Public a présenté sur votre activité au ministère de la Propagande une déclaration sous serment de l’ancien Reichsleiter de la Presse, Max Amann je crois. C’est le document PS-3501 auquel je me réfère. Dans ce document, on trouve une phrase selon laquelle — et je cite textuellement — vous « étiez pratiquement le ministre de la Propagande » et il est dit plus loin — et là encore je cite textuellement —  : « Funk exerçait un contrôle sur tous les moyens d’expression en Allemagne, sur la presse, le théâtre, la radio et la musique. »

Je vous prie de prendre position à ce sujet, et vous pouvez le faire très brièvement parce que j’ai présenté au Tribunal un autre affidavit de ce même. M. Max Amann qui contient des affirmations absolument contraires auxquelles je vais bientôt me référer.

ACCUSÉ FUNK

Amann ne connaissait le ministère que de l’extérieur. En conséquence, il ne savait pas exactement ce qui se passait à l’intérieur. Mon travail se faisait comme je l’ai décrit ici. Il est véritablement absurde d’affirmer que sous un ministre tel que le Dr Goebbels le ministère eût pu être dirigé par une personne autre que le ministre. Le Dr Goebbels avait une activité exclusive qui embrassait absolument tous les domaines de la propagande ; à côté de lui, personne ne pouvait jouer un rôle important.

Dr SAUTER

Monsieur le Président, à ce propos, j’ai ajouté dans l’annexe de mon livre de documents, sous le numéro 14 — qui deviendra le document n° 3 — une déclaration sous serment de ce même ex-Reichsleiter Max Amann. Je prie le Tribunal de prendre acte de cette déclaration sous serment que je présente comme preuve. Il n’est sans doute pas nécessaire que je la lise. J’ai recueilli cette déclaration sous serment en présence et avec la collaboration d’un représentant du Ministère Public. L’essentiel de cette déclaration du 17 avril 1946 réside dans ce que le Reichsleiter Max Amann reconnaît lui aussi que Funk n’avait rien à voir à la propagande elle-même, c’est-à-dire qu’il ne prononçait pas de discours à la radio, qu’il ne faisait pas de discours de propagande, mais qu’il était essentiellement chargé de l’organisation et de l’administration du ministère.

Je passerai maintenant, Monsieur le Président, aux fonctions assumées par l’accusé au ministère de l’Économie. (A l’accusé.) Docteur Funk, jusqu’en 1937 vous êtes resté secrétaire d’État au ministère de la Propagande puis, à la fin du mois de novembre 1937, vous êtes devenu ministre de l’Économie du Reich, après le départ de votre prédécesseur, le Dr Schacht. Pouvez-vous nous décrire — naturellement il convient de le faire brièvement — comment ce changement s’est opéré et pourquoi vous avez été appelé à ce poste ?

ACCUSÉ FUNK

Ce fut aussi une surprise complète pour moi. Pendant une représentation à l’Opéra, le Führer me prit à part, pendant l’entracte, dans un couloir, et déclara qu’il y avait eu de tels différends entre Schacht et Göring qu’il était impossible de les réconcilier et que c’était la raison pour laquelle il se voyait obligé de renvoyer Schacht de son poste de ministre de l’Économie et de me demander de le prendre car il savait quelles étaient mes connaissances et de mon expérience dans le domaine de l’Économie. Il me demanda de prendre contact avec le maréchal Göring, qui devait me donner tous les détails. C’est la seule conversation que j’ai eue avec le Führer sur ce sujet.

Dr SAUTER

Vous avez alors parlé à Göring lui-même ? Voulez-vous nous le raconter ?

ACCUSÉ FUNK

Oui, je suis allé chez Göring. Il m’a déclaré qu’au fond il avait seulement eu l’intention de charger un secrétaire d’État de la direction du ministère de l’Économie du Reich, mais qu’il était tout de même arrivé à la conviction que le grand appareil du Plan de quatre ans devait fusionner avec celui du ministère de l’Économie. Toutefois, le ministre de l’Économie devait travailler sur ses instructions et, en particulier, les commissaires affectés aux différentes branches importantes de l’Économie seraient maintenus et recevraient directement leurs instructions du délégué au Plan de quatre ans. Pour procéder à la réorganisation nécessaire, le Reichsmarschall prit lui-même la direction du ministère de l’Économie du Reich et me la remit en février 1938.

Dr SAUTER

Ainsi, Göring est pratiquement resté pendant trois mois à la tête du ministère de l’Économie ?

ACCUSÉ FUNK

C’est sous sa direction que l’on a procédé à la réorganisation. Quant à la direction de l’Économie, il n’a cessé de l’exercer, avant comme après. Les principaux leviers de direction demeurèrent dans les services du Plan de quatre ans : ainsi, par exemple, l’Office de contrôle des devises qui donnait des instructions à la Reichsbank ; l’Office de contrôle du ravitaillement, qui donnait des instructions au ministère du Ravitaillement et de l’Agriculture ; l’Office central de la main-d’œuvre, qui envoyait des directives au ministère du Travail ; les commissaires aux différentes branches de l’Économie, charbon, fer, produits chimiques, etc., étaient maintenus et directement subordonnés au commissaire au Plan de quatre ans. Le ministère de l’Économie réunit un certain nombre de services du Plan de quatre ans qui continuèrent à fonctionner d’une façon tout à fait autonome, tels le service du Reich pour le développement de l’Économie et pour les recherches, dirigé par le professeur Strauch, le service de prospection, dirigé par le secrétaire d’État Kempner, qui a été mentionné ici à propos de la Slovaquie et de l’Autriche.

Je me suis efforcé de rendre leur autonomie à ces services. Jusqu’à ce jour, je ne sais encore ce qu’ils ont fait. D’ailleurs, ils se sont toujours sentis beaucoup plus subordonnés au Plan de quatre ans qu’au ministre de l’Économie.

Dr SAUTER

Docteur Funk, l’essentiel de votre exposé me semble être que, bien que vous ayez reçu le titre de ministre, en réalité vous n’étiez pas du tout ministre ; vous aviez peut-être la fonction d’un secrétaire d’État. Votre prétendu ministère de l’Économie était entièrement soumis aux instructions du Plan de quatre ans, en fait aux instructions de votre co-accusé Göring, et forcé de s’y conformer. Est-ce que j’ai bien compris ?

ACCUSÉ FUNK

Ce dernier point est bien exact. Le maréchal du Reich l’a exprimé clairement et confirmé ici. Mais ce que vous avez dit en premier n’est pas exact parce que j’avais tout de même, tout au moins d’un point de vue formel, la situation d’un ministre. J’avais un vaste domaine administratif à gérer et il est évident que le Reichsmarschall ne pouvait s’en occuper. C’était justement là le sens de cette réorganisation : le Reichsmarschall se réservait la direction et le contrôle de la politique économique dans les matières importantes et décisives, il me donnait des instructions correspondantes, dont l’exécution demeurait confiée au ministère de l’Économie et à ses services. Mais il est exact qu’il ne s’agissait en rien d’un poste de ministre tel qu’on se le représente en général. Il y avait pour ainsi dire un ministère hiérarchiquement superposé. Mais dans ma vie il en a toujours été ainsi : je n’ai toujours réussi en quelque sorte qu’à aller jusqu’à la porte et je n’ai jamais pu entrer.

Dr SAUTER

Il en a été différemment dans ce Procès. Docteur Funk, le Ministère Public prétend que, bien qu’en fait vous n’ayez pas été ministre, c’est-à-dire que vous n’ayez pas eu les responsabilités et l’indépendance qu’ont généralement les ministres ; malgré cela, en votre qualité de ministre de l’Économie, vous avez contrôlé les parties de l’Économie allemande qui, d’un point de vue stratégique, peuvent être rangées dans le groupe de l’industrie de guerre et de l’industrie de l’armement, donc, en particulier, les matières premières et les produits fabriqués, les mines, l’industrie métallurgique, les stations électriques, l’artisanat, le crédit, les finances, le commerce extérieur et les devises.

Je vous renvoie, Monsieur Funk, aux explications de la page 22 du texte allemand de l’exposé des charges que j’ai discuté avec vous il y a quelques jours.

ACCUSÉ FUNK

D’un point de vue formel, c’est exact ; mais j’ai déjà dit comment les choses se passaient en réalité. Je n’avais rien à voir avec l’industrie de l’armement. Celle-ci dépendait d’abord du Haut Commandement, du chef du service de l’Armement, le général Thomas, qui a fait partie de la conspiration de Schacht, comme nous l’avons appris ici. Le ministre de l’Armement Todt, qui a été nommé en 1940, a repris tout le service de la production de l’énergie qui dépendait de moi et, plus tard, j’ai transmis toute la production civile au ministre de l’Armement, Speer.

Dr SAUTER

Qu’entendez-vous par toute la production civile ?

ACCUSÉ FUNK

J’entends par là le charbon, les produits chimiques et autres biens de consommation. Les branches les plus importantes dans ce domaine, je l’ai déjà dit, dépendaient du plénipotentiaire au Plan de quatre ans. C’est ainsi que le ministère de l’Économie est devenu, peu à peu, un nouveau ministère du Commerce qui ne s’occupait plus que de la répartition des biens de consommation.

Dr SAUTER

Monsieur le Président, peut-être pourrons-nous laisser parler le témoin pendant quelques secondes encore, car nous allons en arriver tout de suite au président de la Reichsbank.

LE PRÉSIDENT

Certainement.

Dr SAUTER

Voulez-vous continuer brièvement ? Vous vous êtes arrêté. Je crois que vous vouliez dire quelque chose encore sur la main-d’œuvre, l’or et les devises. Qui était compétent en la matière ?

ACCUSÉ FUNK

C’était l’Office du contrôle des changes du Plan de quatre ans qui était l’autorité compétente et la Reichsbank devait agir en conformité avec ses instructions. Il en était ainsi en tout cas à l’époque où j’étais en fonctions.

Dr SAUTER

Et la direction du commerce extérieur ?

ACCUSÉ FUNK

Elle était aux mains du ministre des Affaires étrangères. Celui-ci la revendiquait avec opiniâtreté.

Dr SAUTER

Quelles étaient alors les fonctions du ministère de l’Économie ?

ACCUSÉ FUNK

Le ministère de l’Économie et la Reichsbank étaient chargés de la réalisation technique dans ce domaine, c’est-à-dire de l’exécution technique du clearing, des balances de comptes, etc.

Dr SAUTER

Monsieur le Président, j’en suis arrivé maintenant à un autre chapitre. Je m’occuperai désormais de l’activité de l’accusé à la tête de la Reichsbank. Ce serait peut-être le moment opportun de suspendre l’audience.

LE PRÉSIDENT

Très bien, l’audience est levée.

(L’audience sera reprise le 6 mai 1946 à 10 heures.)