CENT VINGT-DEUXIÈME JOURNÉE.
Lundi 6 mai 1946.
Audience du matin.
Monsieur le Président, avec votre autorisation, je continuerai l’interrogatoire de l’accusé Funk.
Samedi, nous avons traité de la question de la nomination de l’accusé Funk au poste de ministre de l’Économie. Je passe maintenant à sa nomination au poste de président de la Reichsbank. Témoin, en janvier 1939, me semble-t-il, vous avez également été nommé président de la Reichsbank en tant que successeur du Dr Schacht. Dans quelles conditions s’est effectuée cette nomination ?
J’étais rentré d’un voyage à la mi-janvier 1939, lorsque je fus appelé auprès du Führer que je trouvai dans un état d’agitation extraordinaire. Il me déclara que le ministre des Finances lui avait fait savoir que Schacht avait refusé les crédits nécessaires et qu’en conséquence la situation financière du Reich devenait difficile. Le Führer me dit, dans un état de grande agitation, que Schacht sabotait sa politique et qu’il ne tolérerait pas plus longtemps que la Reichsbank contrecarrât sa politique. Il dit que ces messieurs du conseil de la Reichsbank étaient des fous s’ils s’imaginaient qu’il le tolérerait. Aucun gouvernement, aucun chef de gouvernement dans le monde n’admettrait que sa politique pût dépendre du bon ou du mauvais vouloir de sa banque d’émission.
Le Führer me déclara, en outre, qu’à partir de ce moment, il déciderait lui-même des crédits qui seraient accordés par la Reichsbank à l’État, suivant les propositions et les suggestions du ministre des Finances ; il avait chargé Lammers d’élaborer, en accord avec le ministre des Finances, une ordonnance modifiant le statut donné à la Reichsbank par les stipulations du Traité de Versailles et suivant laquelle les crédits accordés au Reich ne dépendraient à l’avenir que de lui-même.
Le Führer me dit également qu’il me priait de prendre la direction de la Reichsbank ; je lui répondis que je me conformerais à son désir mais qu’au préalable je devais être assuré que les conditions nécessaires au maintien de la stabilité de la monnaie subsisteraient. L’opinion émise ici par un témoin et selon laquelle l’octroi de crédits supplémentaires aurait provoqué à ce moment-là une inflation, est fausse et absolument insoutenable. Alors que 12.000.000.000 de crédits peuvent avoir pour conséquence une inflation, 20.000.000.000 de crédits n’amèneront pas nécessairement une inflation si l’État possède l’autorité suffisante pour bloquer les prix et les salaires et pour faire appliquer la réglementation relative aux prix et à la direction de l’économie, et si, d’autre part, le peuple fait preuve de la discipline nécessaire ; enfin, si la circulation monétaire, qui représente un pouvoir d’achat supplémentaire provoqué par l’accroissement des crédits, se trouve absorbée par des impôts ou par des emprunts, la monnaie ne court aucun danger. En fait, la stabilité du Reichsmark a été maintenue jusqu’à l’effondrement final. Le pouvoir d’achat de l’argent, en Allemagne, était assuré pour les produits de première nécessité. Il est vrai que l’usage de la monnaie était limité par le fait que les biens de consommation n’étaient produits que dans une mesure réduite, puisque la presque totalité de la production allait à l’armement.
Docteur Funk, avez-vous terminé ?
Un instant encore, je crois que cette question est de première importance.
Dans d’autres pays également, les crédits importants accordés pendant la guerre n’ont pas provoqué d’inflation. La dette nationale était, aussi bien aux États-Unis qu’en Grande-Bretagne, relativement et, en partie aussi, d’une manière absolue, plus élevée qu’en Allemagne : dans ces pays aussi, une politique financière bien comprise a pu battre en brèche la vieille théorie selon laquelle une guerre a pour conséquence inéluctable l’effondrement de la monnaie. Le peuple allemand a fait preuve, jusqu’à l’effroyable désastre final, d’une discipline admirable, et la monnaie, en tant que moyen d’action de l’État, conservera sa valeur aussi longtemps que l’État aura l’autorité suffisante pour assurer la stabilité de la monnaie et l’ordre dans l’économie, et tant que le peuple lui-même conservera la discipline nécessaire.
Je ne suis donc pas entré en fonctions avec la conviction que l’Allemagne allait subir une inflation, mais j’étais au contraire certain qu’à l’aide d’une politique appropriée la monnaie pourrait être préservée, et elle l’a été. Mais la différence fondamentale entre la position de Schacht et la mienne est qu’à l’époque de Schacht, la Reichsbank pouvait déterminer elle-même les crédits alloués par l’institut d’émission à l’État, alors que cette possibilité m’avait été enlevée et que la responsabilité du financement intérieur avait été transférée au ministre des Finances ou au Führer lui-même.
Docteur Funk, j’ai une autre question à vous poser. Malgré votre mauvais état de santé actuel, il vous sera peut-être possible de parler un peu plus fort pour permettre aux sténographes de comprendre plus facilement ce que vous dites. Si vous voulez bien faire un effort, nous abrégerons cet interrogatoire autant que possible.
Témoin, en plus des fonctions dont nous avons parlé jusqu’ici, vous en avez assumé une autre en tant que successeur du Dr Schacht, à savoir celle de plénipotentiaire à l’Économie. Peut-être pourrez-vous nous exposer également quelle était votre position dans ce domaine, dans la mesure où cela est nécessaire pour expliquer votre situation, votre activité et les résultats que vous avez obtenus.
C’était le poste le moins important de tous ceux que j’occupais. En fait, comme l’a dit très justement le Reichsmarschall et comme le Dr Lammers l’a confirmé, cette fonction n’existait que sur le papier. Cela aussi constituait une différence fondamentale entre la fonction qu’occupait Schacht et la mienne. Schacht avait été nommé plénipotentiaire à l’Économie de guerre tandis que j’étais, moi, plénipotentiaire à l’Économie. Suivant la loi de défense du Reich de 1938, le plénipotentiaire à l’Économie était chargé de coordonner les différents ressorts civils de l’Économie en vue de la préparation à la guerre. Mais dans l’intervalle, ces différents ressorts de l’Économie avaient été placés sous l’autorité du délégué général au Plan de quatre ans, et en tant que plénipotentiaire à l’Économie je tenais également mes instructions du délégué général au Plan de quatre ans. Il en résultait donc des confusions et des recoupements dans les pouvoirs et les compétences qui avaient été établis d’une façon théorique, ce qui conduisit le Führer, peu de temps après le début de la guerre, à prendre un décret qui transférait, de jure, les pouvoirs du délégué général à l’Économie, du plénipotentiaire à l’Économie, au délégué général au Plan de quatre ans, en ce qui concerne l’économie civile.
A quelle date ?
En décembre 1939. Il ne me restait que le droit formel de prendre des ordonnances, c’est-à-dire que je pouvais signer des ordonnances relatives aux cinq départements de l’économie civile qui, selon la loi de défense du Reich, étaient de la compétence du plénipotentiaire. Je conservai les pleins pouvoirs sur le ministère de l’Économie et sur la Reichsbank pour lesquels je les avais de toute façon.
Mais, dans ces fonctions aussi, vous étiez toujours subordonné au délégué au Plan de quatre ans ?
Oui, comme tous les départements de l’économie civile ; il n’y a qu’avec le ministère de l’Économie proprement dit que je conservais une liaison plus étroite.
En août 1939, témoin, immédiatement avant le début de la campagne de Pologne, vous avez, en tant que plénipotentiaire à l’Économie, réuni les différents secteurs de l’économie civile pour des conférences qui font l’objet du document PS-3324. Il me semble important que vous preniez également position sur ce point et que vous expliquiez que la lettre que vous avez adressée à Hitler, le 25 août, a été motivée par ces conférences. Ce fait est d’ailleurs mentionné dans votre dossier à la page 24. Je vous prie de nous donner des explications à ce sujet.
Sous Schacht avait été créé un office du plénipotentiaire à l’Économie et une commission constituée par des représentants des différents départements de l’Économie, du ministère de l’Intérieur ou du plénipotentiaire à l’administration de l’OKW et, avant tout, des représentants du Plan de quatre ans.
Après le départ de Schacht, la direction de cette commission et de cet office du plénipotentiaire à l’Économie fut transférée à son ancien secrétaire d’État, le Dr Posse, alors qu’auparavant, sous Schacht, c’était le conseiller d’État Wohlfahrt qui en était le chef. Ces messieurs tenaient, bien entendu, des conférences régulières sur les mesures à prendre dans le domaine économique en cas de guerre. Telle était l’organisation du plénipotentiaire à l’Économie dont j’ai parlé dans un discours prononcé à Vienne, et qui a été mentionné ici. Cet organisme travaillait parallèlement au Plan de quatre ans et avait essentiellement pour tâche, en cas de guerre, d’intégrer sans heurts l’économie civile à l’économie de guerre et de préparer l’administration de l’économie de guerre.
Lorsqu’en août 1939 la guerre avec la Pologne devint menaçante, je réunis les chefs des différents départements de l’économie civile ainsi que les représentants du Plan de quatre ans, et nous élaborâmes ensemble les mesures nécessaires pour intégrer l’économie civile dans l’économie de guerre avec le minimum de heurts.
Telles étaient les propositions contenues dans la lettre que j’adressai au Führer le 25 août 1939, au moment où les armées allemande et polonaise se trouvaient en état de mobilisation générale. Il était évidemment de mon devoir de tout faire pour éviter, en cas de guerre, une désorganisation du secteur civil de l’économie. De plus, j’avais également, en tant que président de la Reichsbank, le devoir de renforcer dans la mesure du possible l’encaisse des réserves d’or et de devises étrangères de la Reichsbank. C’était nécessaire, d’abord en raison de la tension politique générale qui régnait alors, et c’eût été nécessaire aussi, même dans le cas où il n’y aurait pas eu de guerre mais simplement des sanctions économiques, comme on pouvait s’y attendre en raison de la tension politique qui régnait à ce moment-là. Enfin, j’avais le devoir, en tant que ministre de l’Économie, de tout faire pour augmenter la production. Mais je ne me suis pas occupé des exigences de la Wehrmacht dans le domaine financier, et je n’avais absolument rien à voir avec les problèmes de l’armement, étant donné que la direction de l’Économie aussi bien pour le temps de paix que pour le temps de guerre, avait été confiée dans l’intervalle au délégué général au Plan de quatre ans.
Le fait que je me sois tenu ainsi à l’écart des travaux de ce comité s’explique par les raisons suivantes : personnellement, je ne croyais pas à la guerre. Ce fait peut être confirmé par tous ceux qui, à cette époque, se sont entretenus de ce problème avec moi. Dans les mois qui ont précédé le début de la guerre, j’ai consacré tous mes efforts à des négociations internationales en vue d’améliorer l’ordre économique international et les relations commerciales entre l’Allemagne et ses partenaires étrangers. J’avais préparé la réception à Berlin des ministres anglais Hudson et Stanley. Moi-même, je devais me rendre à Paris où j’avais fait en 1937 la connaissance de quelques membres du cabinet, à l’occasion d’une grande manifestation culturelle allemande à Paris.
La question des emprunts à court terme à l’étranger devait être revue. J’avais, dans ce but, étudié de nouvelles propositions qui avaient été accueillies avec sympathie, particulièrement en Angleterre. En juin 1939, eut lieu à Berlin, dans mes bureaux, une conférence financière internationale à laquelle participèrent des représentants marquants du monde bancaire américain, anglais, hollandais, français, belge, suisse et suédois. Le résultat de ces entretiens fut satisfaisant pour toutes les parties. A la même époque, je procédai à l’échange ou au transfert des parts de la Reichsbank qui se trouvaient à l’étranger et cet échange contre des actions or fut considéré dans les milieux bancaires étrangers et dans la presse comme parfaitement correct et satisfaisant.
Au mois de juin, je me rendis aux Pays-Bas pour négocier des accords commerciaux. Entre temps j’avais pris part, au début de juillet 1939 encore, aux conférences mensuelles de la banque des règlements internationaux à Bâle et, malgré la tension politique du moment, j’étais persuadé qu’on réussirait à éviter une guerre, conviction que j’ai exprimée au cours de nombreuses conversations en Allemagne et à l’étranger. Telle était la raison pour laquelle je ne me suis intéressé que de très loin, au cours de ces quelques mois, aux entretiens touchant le financement de la guerre et l’organisation de l’Économie en temps de guerre.
J’avais, il est vrai, donné à la Reichsbank des instructions pour qu’elle se procurât, dans la mesure du possible, de l’or à partir de nos avoirs économiques à l’étranger et augmentât ses réserves de devises ; mais pendant les quelques mois que dura mon activité avant la guerre, le succès de ces mesures fut très limité. Les réserves d’or et de devises que m’avait laissées Schacht restèrent pratiquement inchangées jusqu’à la guerre. Dans le questionnaire que j’ai adressé au vice-président de la Reichsbank, Puhl, je lui ai demandé des explications détaillées sur ces transactions, étant donné que le conseil de la Reichsbank et son administrateur, Puhl, doivent sûrement être au courant de ces questions. La réponse à ce questionnaire n’est malheureusement pas encore arrivée.
Témoin, les déclarations que vous venez de faire sont manifestement destinées à montrer que, malgré la tension politique de l’époque, vous ne pensiez pas sérieusement à la guerre.
Pas avant août 1939.
Au cours des débats, nous avons entendu parler de nombreux entretiens entre Hitler, des généraux et d’autres personnalités, entretiens de caractère politique ou militaire ; ce sont là des entretiens dont nous devons dire aujourd’hui qu’ils concernaient de très près la préparation de la guerre. Auxquelles de ces conférences avez-vous assisté et qu’y avez-vous appris ?
Je n’ai jamais été convié à des entretiens de caractère politique ou militaire et je n’ai participé à aucune des discussions qui ont été évoquées ici à propos des guerres d’agression, du moins dans la mesure où il s’agit d’entretiens avec le Führer. Je n’ai pas été informé non plus de la matière de ces entretiens. Mais même en ce qui concerne les entretiens chez le Reichsmarschall, je ne crois pas, si mes souvenirs sont exacts, avoir jamais été présent à ces discussions lorsqu’elles portaient sur ce sujet. On m’a reproché ici d’avoir participé à une réunion qui eut lieu en octobre 1938.
Le 14 octobre 1938 ? Je peux vous donner le numéro du document : PS-1301.
Oui.
Étiez-vous présent à cette réunion ?
Non.
C’était la séance...
...au cours de laquelle, suivant les termes de l’accusation portée contre moi, Göring indiqua qu’il avait reçu du Führer l’ordre d’augmenter l’armement dans des proportions considérables. L’aviation devait être quintuplée aussi rapidement que possible. Le représentant du Ministère Public affirme (Tome V, page 166) qu’au cours de cette conférence Göring m’adressa la parole dans des termes qui étaient ceux d’un homme qui se trouvait déjà en guerre. Or, pendant ces journées, je n’étais pas en Allemagne, mais en Bulgarie : je ne pouvais donc pas assister à cette réunion.
Monsieur le Président, afin de prouver ces faits, à savoir que l’accusé Funk, au moment où cet entretien chez Göring eut lieu, le 14 octobre 1938, ne se trouvait pas en Allemagne, j’ai déposé dans le livre de documents de Funk plusieurs documents ; ce sont des extraits du Völkischer Beobachter, qui portent les numéros 5, 6, 7 et 8 du livre de documents Funk. Je les ai déposés en particulier parce qu’ils montrent qu’entre le 13 octobre 1938 et le 15 octobre 1938, Funk était effectivement à Sofia, en Bulgarie, et qu’il ne pouvait donc pas assister à la conférence de Göring, le 14 octobre 1938. Ce que Funk a dit en Bulgarie sur les relations économiques, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de le relater en détail. Je me réfère en particulier à son discours du 15 octobre 1938 qui porte le numéro 7 du livre de documents Funk, et dans lequel l’accusé Funk déclare formellement au premier paragraphe qu’il a conçu le projet d’une communauté économique entre l’économie allemande et celle du sud-est de l’Europe et s’oppose avec fermeté à une dépendance unilatérale de l’économie de ces pays vis-à-vis de l’économie allemande.
Je prie le Tribunal de prendre acte de ces documents en tant que preuve et, pour gagner du temps, je ne procéderai pas à leur lecture. Témoin, le Ministère Public a déposé, sous le numéro PS-3562, un document concernant un entretien du 1er juin 1939. Vous n’assistiez pas vous-même à cette conférence, mais selon la liste des personnes présentes, il y avait là plusieurs représentants de votre ministère ainsi qu’un représentant de la Reichsbank. Au cours de cette séance, on parla des besoins financiers du Reich en cas de guerre et de la capacité de production de l’économie allemande et du protectorat en cas de guerre. Une note portée en marge de ce procès-verbal indique qu’il devait être porté à votre connaissance. Je vous prie de nous dire très brièvement si cela a été fait.
Non, cela n’a pas été fait ; j’ai le document ici. Si l’on m’avait présenté ce procès-verbal, je l’aurais revêtu de mon paraphe : W.F. D’ailleurs, il s’agit ici de conversations qui étaient alors en cours et dont j’ai déjà parlé tout à l’heure, relatives au financement de la guerre et aux mesures à prendre en temps de guerre dans le secteur civil de l’économie. Les mesures décisives pour le financement étaient évidemment préparées par les services du ministère des Finances, et elles furent longuement envisagées au cours de cette réunion où le problème de la couverture des dépenses par l’impôt tint une large place. D’ailleurs, à cette époque, des entretiens de ce genre avaient lieu de façon permanente entre les représentants des différents départements ; ils se passaient dans les bureaux de la direction du plénipotentiaire à l’Économie. Je viens par hasard de retrouver son nom dont je ne pouvais me souvenir. C’était cette institution, ce comité, qui avait déjà été créé à l’époque où Schacht était en fonctions et qui poursuivit son activité par la suite.
Docteur Funk, le 30 mars 1939, vous avez prononcé une proclamation devant le comité central de la Reichsbank. (Au Tribunal.) J’ai fait figurer les extraits de ce discours qui sont les plus importants pour ce Procès, dans le livre de documents Funk, sous le numéro 9. Je reviens sur ce discours parce qu’il a été prononcé peu de temps avant la nomination de l’accusé au poste de président de la Reichsbank et que, constituant un exposé de son programme à titre de président de la Reichsbank, il traite de certains sujets qui ont joué un certain rôle ici.
Peut-être pourrez-vous, Docteur Funk, nous exposer brièvement les points essentiels de votre discours, dans la mesure où ils concernent les charges élevées contre vous.
Je ne crois pas que cela soit nécessaire. Tout à l’heure, j’ai déjà indiqué brièvement qu’à cette époque j’avais eu des entretiens internationaux portant sur la nécessité de réorganiser les relations économiques internationales et que j’avais montré la volonté de l’Allemagne d’y participer activement. Je ne crois donc pas qu’il soit nécessaire que je lise encore un passage de mon discours. Il ne peut que montrer qu’à cette époque je ne m’occupais pas de préparatifs de guerre, mais essentiellement de préparer une entente économique internationale et que mes efforts ont été officiellement reconnus à l’étranger, en particulier en Angleterre.
Témoin, votre intention de rétablir des relations confiantes avec l’étranger, c’est-à-dire avec les milieux économiques et financiers étrangers fut, je pense, un facteur décisif pour le succès d’une mesure à laquelle vous avez fait allusion tout à l’heure, à savoir les dédommagements des actionnaires étrangers de la Reichsbank qui se trouvaient surtout, je crois, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas et en Suisse, dédommagements qui furent évalués et payés d’une manière particulièrement loyale.
C’est ce que j’ai déjà dit.
Docteur Funk, vous avez fait allusion tout à l’heure à une lettre que vous avez écrite à Hitler. Cette lettre m’intéresse, car j’aimerais vous entendre dire pourquoi vous l’avez écrite, et pourquoi vous y avez parlé de « vos propositions » bien qu’il se soit agi essentiellement de choses qui ne dépendaient guère de vous. Peut-être pourriez-vous faire une brève déclaration au sujet de cette lettre ?
Le ton et le contenu de cette lettre s’expliquent par l’état d’esprit qui régnait alors partout en Allemagne. De plus, c’est une lettre purement personnelle au Führer. Je l’y remerciais pour ses félicitations à l’occasion de mon anniversaire. C’est pourquoi cette lettre a été rédigée dans un style quelque peu emphatique. Si j’ai parlé de « mes propositions », c’est que, peu de temps auparavant, j’avais moi-même exposé au Führer les mesures qu’il serait nécessaire de prendre en cas de guerre ; ce sont, en gros, les mesures qui ont été prises plus tard après entretien avec les différents secteurs de l’Économie, et auxquelles je faisais allusion dans cette lettre. Il n’était donc pas tout à fait exact de dire ici « mes propositions » ; il aurait fallu dire : les propositions élaborées en collaboration avec les différents secteurs de l’Économie.
Docteur Punk, avez-vous terminé ?
Non. Je voudrais expliquer en quelques mots l’ensemble de cette lettre parce qu’elle constitue apparemment un des piliers de l’accusation portée contre moi.
Comme je l’ai dit, c’était au moment où les deux armées mobilisées étaient face à face ; c’était au moment où tout le peuple allemand était agité par les provocations continuelles et les attentats contre la population allemande en Pologne. Personnellement, je ne croyais pas qu’on en viendrait à la guerre parce que je pensais qu’on réussirait, par des entretiens diplomatiques, à en éviter la menace et à éviter la guerre elle-même. Après les succès quasi miraculeux remportés par le Führer dans le domaine de la politique étrangère, il était naturel que le cœur de tout véritable Allemand battît plus fort alors qu’il pouvait s’attendre à ce que les vœux de l’Allemagne fussent réalisés à l’Est également, c’est-à-dire à ce que ma province natale de Prusse Orientale fût à nouveau reliée au Reich, que la vieille ville allemande de Dantzig retournât au Reich et que le problème du Corridor se trouvât résolu. Le peuple allemand, dans sa grande majorité — ni moi non plus — ne croyait pas que ces questions entraîneraient une guerre. Nous pensions bien plutôt que la Grande-Bretagne réussirait à exercer une pression sur la Pologne pour que celle-ci cédât aux demandes allemandes sur Dantzig et le Corridor et ne provoquât pas la guerre.
Après les déclarations faites ici par le témoin Gisevius, le monde entier a compris clairement qu’à ce moment-là l’Angleterre n’avait rien fait pour servir d’intermédiaire et apaiser la Pologne. En effet, le Gouvernement britannique, sachant qu’il y avait en Allemagne une conspiration à laquelle participaient le chef de l’État-Major, le chef de l’OKW, le chef de l’Armement, ainsi que d’autres généraux et des personnalités militaires importantes, et qu’un coup de force était préparé pour le cas de guerre, le Gouvernement britannique aurait été insensé de faire quoi que ce fût pour s’entremettre et apaiser la Pologne. Le Gouvernement britannique devait nécessairement avoir la conviction que lorsque Hitler entrerait en guerre, il y aurait un putsch, une révolution, un renversement du régime et que, premièrement, la guerre n’aurait pas lieu et, deuxièmement, le régime hitlérien abhorré disparaîtrait. On ne pouvait pas demander plus.
Docteur Funk, nous n’avons pas ici à faire de politique ; revenons plutôt à cette lettre du 25 août 1939 qui est, je le répète, le document PS-699, et m’intéresse seule pour l’instant. Si je vous ai bien compris, je peux résumer votre déclaration en disant que vous avez alors écrit à Hitler cette lettre quelque peu enthousiaste parce que vous espériez que Hitler réussirait à réunir votre province de Prusse Orientale au Reich et à résoudre définitivement le problème du Corridor polonais sans faire la guerre. Vous ai-je bien compris ?
Oui, mais je considère en même temps qu’il est de mon devoir de vous dire qu’en ce qui me concerne j’avais fait tout mon possible pour qu’en cas de guerre, l’économie de paix fût intégrée à l’économie de guerre sans qu’il en résultât aucun désordre. Mais ce fut la seule fois que j’exerçai effectivement mes fonctions de plénipotentiaire pour l’Économie en ce qui concerne les autres secteurs de l’Économie, et le fait que je me sois manifesté dans cette lettre s’explique humainement, parce que j’étais fier d’avoir, moi aussi, accompli quelque chose à ce poste officiel, car tout homme a envie de réussir un jour.
Docteur Funk, la question qui nous occupe toujours est celle de savoir si vous connaissiez l’intention qu’avait Hitler de déclencher une guerre, et spécialement une guerre d’agression, et de réaliser des conquêtes au moyen de ces guerres d’agression.
Je voudrais vous poser quelques questions auxquelles, pour plus de simplicité, vous pourrez répondre brièvement par oui ou par non, et cela parce que je veux simplement connaître dans quelle mesure ce que vous savez et ce que vous pensez corrobore les indications d’un certain nombre de témoins et d’accusés.
C’est ainsi, par exemple, que le ministre Lammers nous a confirmé que vous aviez toujours de grandes difficultés à approcher Hitler, que vous n’y arriviez que très rarement, et qu’il est même arrivé une fois que vous ayez eu à séjourner pendant des journées entières au Quartier Général, chez Lammers, en attendant l’audience que l’on vous avait promise ; en fin de compte, vous n’avez pas pu l’avoir et vous avez dû repartir sans avoir rien obtenu. Est-ce exact ?
Oui, malheureusement.
Une autre question. On nous a déjà présenté ici quelques documents dans lesquels il est déclaré expressément — je crois que ce sont des procès-verbaux de Lammers — que le ministre de l’Économie et, une fois aussi, le ministre des Affaires étrangères, avaient demandé à assister à ces entretiens et que le ministre Lammers était intervenu dans ce but, mais que Hitler avait refusé et qu’il avait expressément interdit que le ministre des Affaires étrangères et vous-même assistiez à cette réunion, bien que vous ayez fait remarquer qu’il s’agissait de questions importantes et qui relevaient de votre compétence. Est-ce exact ? Vous pouvez répondre par oui ou par non.
La réunion à laquelle vous faites allusion portait sur l’utilisation de la main-d’œuvre. Je n’avais rien à faire directement avec l’utilisation de la main-d’œuvre et je pense que le ministre des Affaires étrangères, lui non plus, n’était pas directement intéressé à cette question. Je pense que c’est pour cette raison que Hitler ne voulait ni de lui ni de moi pour cette réunion. Le Führer n’avait d’ailleurs pas besoin de moi, car j’ai déjà dit hier que, jusqu’en 1942, il donnait ses instructions pour la direction de l’Économie au Reichsmarschall qui en était le responsable, et qu’après 1942, il les donnait à Speer parce que, à partir de ce moment-là, l’armement dominait l’ensemble de la vie économique et que toutes les décisions économiques devaient, par ordre exprès du Führer, être prises en tenant compte de l’armement.
Ce même Dr Lammers, au cours de son interrogatoire du 8 avril, a déclaré, je cite : « Le Führer fit à plusieurs reprises des objections, dirigées notamment contre Funk. Il avait un certain nombre d’arguments contre lui. Hitler était sceptique en ce qui concernait Funk et ne voulait pas de lui ».
C’est là une citation littérale de la déclaration du témoin Dr Lammers. Pouvez-vous donner une explication quelconque de l’attitude de Hitler envers vous ?
Non, si ce n’est qu’il n’avait pas besoin de moi.
Qu’en d’autres termes il tenait pour inutile tout entretien avec vous.
Oui.
Témoin, en ce qui concerne le chapitre des « guerres d’agression », j’aimerais savoir la chose suivante : dans l’exposé des charges relevées contre vous, il est dit à la page 30 du texte allemand que vous avez participé, aussi bien personnellement que par l’intermédiaire de représentants accrédités par vous, aux préparatifs qui ont précédé la guerre d’agression contre la Russie soviétique ; la seule preuve de ce fait est constituée par le document PS-1039 (USA-146). Il ressortirait de ce document, accusé, qu’à la fin du mois d’avril 1941, vous auriez eu avec Rosenberg qui était, comme on le sait, responsable pour les territoires de l’Est, un entretien sur les questions économiques qui surgiraient si les plans d’agression à l’Est étaient réalisés. Je vous prie donc, Docteur Funk, de, noter la date de cet entretien : c’est à la fin du mois d’avril 1941, peu de temps avant le début de la guerre contre la Russie. Afin d’étayer vos souvenirs, je vous rappellerai qu’à cette époque, c’est-à-dire avant le début de la guerre contre la Russie, Rosenberg avait déjà été nommé par Hitler, plénipotentiaire pour la centralisation de tous les problèmes relatifs aux territoires de l’Est.
Je vous prie maintenant de prendre position au sujet de cet entretien et cela pour nous dire s’il en résulte que vous ayez participé à la guerre d’agression contre la Russie ou à sa préparation et, dans l’affirmative, de quelle manière ?
Je ne savais rien d’une guerre d’agression contre la Russie. Je fus très surpris quand Lammers m’apprit que le Führer avait nommé Rosenberg plénipotentiaire pour les questions de l’Europe orientale. Lammers a d’ailleurs déclaré ici qu’il m’avait dit cela pour des raisons personnelles, parce qu’il savait que je m’intéressais beaucoup aux relations économiques avec la Russie. En fait, les efforts faits des deux côtés, c’est-à-dire aussi bien par la Russie que par l’Allemagne, avaient permis de resserrer nos relations commerciales. Il faut songer qu’avant la première guerre mondiale, les relations économiques entre la Russie et l’Allemagne étaient un des facteurs les plus importants de la balance commerciale allemande et se chiffraient par plusieurs milliards de Mark or. Les Russes — je dois le faire remarquer ici — nous fournirent ponctuellement leur blé, leur minerai de manganèse et leur pétrole. Nos livraisons de machines étaient toujours en retard parce qu’il fallait d’abord construire ces machines, les commandes russes portant le plus souvent sur des machines spécialisées. Je ne sais pas dans quelle mesure des livraisons de matériel d’armement furent également faite à la Russie, parce que je ne m’occupais pas de ces choses. J’ai donc été surpris de la nomination de Rosenberg. Rosenberg vint me voir pour un court entretien et me déclara que la mission que lui avait confiée le Führer portait également sur les questions économiques. C’est là-dessus que je mis à la disposition de Rosenberg, pour étudier ces problèmes, un des directeurs de mon ministère, le Dr Schlotterer.
Lorsque fut créé le ministère de l’Est, ce qui n’eut lieu, je crois, qu’au mois de juillet, le Dr Schlotterer prit, avec quelques autres collaborateurs, la direction de la section économique de ce ministère Rosenberg ; en même temps, autant que je sache, Schlotterer entra à l’État-Major directeur de l’économie pour l’Est (Wirtschaftsführungsstab-Ost) ; c’était l’organisme directeur du Plan de quatre ans chargé de toutes les questions économiques dans les territoires occupés de l’Est, dont il a souvent été question au cours des débats. Voilà tout ce que j’ai eu à faire pour ces questions. Bien entendu, j’ai demandé à Lammers et à Rosenberg ce que cela signifiait et l’un et l’autre répondirent que le Führer pensait qu’une guerre avec la Russie était inévitable : les Russes avaient massé des renforts importants tout le long de la frontière ; les entretiens avec Molotov, auxquels je n’ai participé en aucune façon, n’avaient pas donné de bons résultats. Les Russes élevaient toutes sortes de revendications au sujet de la Baltique, des Balkans, des Dardanelles, revendications auxquelles l’Allemagne et le Führer ne pouvaient satisfaire.
En tout cas, cette affaire fut pour moi, comme certainement pour tout le peuple allemand, une surprise complète. Je suis convaincu que cette guerre provoqua dans le peuple allemand un ébranlement profond.
Le témoin a parlé du mois de juillet ; voulait-il dire juillet 1940 ?
Autant qu’il me semble, c’était juillet 1941.
Vous dites juillet 1941 ? C’était après le début de la guerre contre la Russie. Le témoin peut d’ailleurs répondre lui-même, je suppose. (A l’accusé.) Vouliez-vous dire juillet 1940 ?
L’entretien avec Rosenberg eut lieu fin avril ou début mai 1941, et la création du ministère de Rosenberg eut lieu en juillet 1941.
Témoin, je passe maintenant à un autre point de l’accusation. On vous reproche d’avoir, en tant que ministre de l’Économie du Reich, commis des actes répréhensibles lorsque fut prise la décision criminelle de persécuter les Juifs et de les éliminer de la vie économique. Il s’agit donc là des événements du mois de novembre 1938. Je vous prie donc de nous exposer votre activité dans ce domaine.
Je prie le Tribunal de me donner le temps de faire sur ce point une déclaration assez détaillée ; les points suivants pourront être traités d’autant plus vite. Mais c’est la partie de l’accusation qui me touche le plus gravement.
Lorsqu’en février 1938 je pris en mains le ministère de l’Économie, le Parti et, en particulier, Goebbels et Ley, exigèrent aussitôt que les Juifs fussent exclus de la vie économique ; la situation était, disaient-ils intolérable. On me dit que les gens pouvaient encore acheter dans des maisons juives. Le Parti ne pouvait pas admettre que des membres fissent leurs achats dans ces maisons, et les achats faits par certains hauts fonctionnaires de l’État et particulièrement par leurs épouses dans de tels magasins avaient soulevé l’indignation du Parti. Les délégués d’entreprises du Front du Travail refusaient de collaborer avec des directeurs juifs. Il y avait des frictions continuelles et le calme ne pourrait renaître tant que les mesures que l’on avait déjà prises ça et là n’auraient pas été étendues dans une mesure telle que les Juifs fussent peu à peu totalement exclus de l’économie.
La loi portant organisation du travail national, qui avait été publiée par mes prédécesseurs et appliquée par eux en collaboration avec le Front du Travail, avait conféré à l’Économie certaines fonctions politiques ou se rapportant au Parti. Le chef d’entreprise était responsable vis-à-vis du Parti et avant tout vis-à-vis de l’État.
Certains chefs d’entreprises juifs cédèrent facilement à la pression exercée sur eux et vendirent leurs entreprises et leurs magasins à des gens et à des prix que nous n’approuvions pas du tout. J’avais réussi, à la suite d’accords particuliers, à amener un certain nombre de banquiers, de chefs d’industries et de propriétaires de grands magasins juifs, à quitter leurs postes. Le calme ne se fit pas et nous dûmes essayer d’éliminer peu à peu et au) moyen d’une réglementation légale, l’influence des Juifs dans l’Économie ; mais j’ai toujours été d’avis, en l’occurrence, que d’abord ce processus devait s’accomplir lentement et à certains intervalles ; deuxièmement, que les Juifs devaient être dédommagés d’une manière convenable, et qu’enfin on pouvait leur laisser certains intérêts économiques, en particulier leurs actions, point sur lequel j’ai particulièrement attiré l’attention de Göring lors de la réunion qui a été mentionnée si souvent ici. C’est sur ces entrefaites que survinrent soudain les terribles événements de la nuit du 9 au 10 novembre 1938, qui commencèrent à Munich et qui me touchèrent personnellement de la manière la plus grave. En me rendant à mon ministère au matin du 10 novembre, je vis dans les rues et les vitrines les dégâts qui avaient été commis et j’appris les détails de ces incidents par les fonctionnaires de mon ministère. J’essayai de téléphoner à Göring, à Goebbels et, je crois, à Himmler, mais ils n’étaient sans doute pas encore revenus de Munich. Enfin, je réussis à atteindre Goebbels ; je lui déclarai que ces actes de terrorisme constituaient un affront contre ma personne, que des biens précieux et irremplaçables avaient ainsi été détruits et que nos relations avec l’étranger, qui étaient alors si importantes pour nous, en seraient sérieusement affectées.
Goebbels me déclara que je portais moi-même la responsabilité de ce qui venait de se passer parce qu’il y avait bien longtemps que j’aurais dû exclure les Juifs de l’Économie, et que le Führer donnerait, par l’intermédiaire du maréchal Göring, l’ordre d’éliminer complètement les Juifs de l’Économie ; le Reichsmarschall me donnerait des précisions ultérieurement. Cette conversation téléphonique avec Goebbels fut plus tard confirmée par lui-même, ce qui d’ailleurs sera vérifié par des témoignages.
Le lendemain, le 11 novembre, on me fit savoir qu’une réunion se tiendrait le 12 chez Göring, en sa qualité de délégué au Plan de quatre ans, réunion au cours de laquelle le problème juif devait être réglé. Le délégué au Plan de quatre ans avait donné au ministère l’ordre de préparer un projet d’ordonnance qui servirait de base aux dispositions légales destinées à exclure les Juifs de l’Économie. Le 12, eut donc lieu cette réunion, si souvent évoquée ici. Le matin, avait eu lieu un entretien chez le Reichsmarschall en présence des Gauleiter. Le Reichsmarschall était extrêmement agité ; il déclara qu’il ne tolérerait pas cette terreur et qu’il rendrait les Gauleiter individuellement responsables de ce qui s’était passé dans leur Gau. Après cette réunion, je fus donc relativement tranquille. Au cours de la réunion, dont le procès-verbal a été lu ici à plusieurs reprises, Goebbels prit immédiatement la tête de la discussion avec ses exigences radicales. Le Reichsmarschall était de plus en plus énervé et c’est cette atmosphère qui explique les expressions auxquelles il se laissa entraîner et qui sont reproduites dans le procès-verbal. Ce procès-verbal est d’ailleurs très incomplet et comporte de nombreuses lacunes. Après cette conférence, je compris que les Juifs devaient effectivement être exclus de l’Économie et que, pour les protéger d’une illégalité totale, de nouveaux pillages et de nouveaux coups de force, il fallait prendre des mesures légales.
Je pris donc, comme le ministre des Finances, le ministre de l’Intérieur, le ministre de la Justice, etc., des ordonnances pour l’exécution du décret du délégué au Plan de quatre ans, ordonnances selon lesquelles les entreprises et les participations juives seraient transférées à des administrateurs provisoires. Les Juifs furent indemnisés au moyen d’obligations d’État à 3% ; et je me suis toujours efforcé, dans la mesure où cela concernait directement le ministère de l’Économie, de faire exécuter légalement et normalement ces prescriptions afin qu’il n’en résultât pas pour les Juifs de nouvelles injustices. A cette époque-là, il n’était absolument pas question d’une extermination des Juifs. Il est vrai qu’au cours de cette réunion fut brièvement évoqué un projet d’émigration organisée des Juifs. Je n’ai personnellement participé en aucune manière aux mesures de terreur et de violence exercées contre les Juifs. Je les ai profondément regrettées et violemment condamnées ; mais je devais prendre les ordonnances d’exécution de ces lois afin de protéger les Juifs contre une illégalité totale et de faire exécuter de manière régulière les dispositions légales que l’on avait prises à ce moment-là.
Docteur Funk...
Nous allons suspendre l’audience.
Témoin, avant la suspension d’audience, nous en étions à votre activité dans le domaine des ordonnances excluant les Juifs de la vie économique, et vous nous avez parlé du procès-verbal d’une conférence avec Göring, en date du 12 novembre 1938. C’est le document PS-1816. Vous avez dit à propos de ce procès-verbal qu’il avait été mal rédigé et qu’il contenait des lacunes. Il se dégage cependant de ce procès-verbal que, de toute évidence vous avez, au cours de cette séance, freiné fortement et que vous avez tenté de conserver aux Juifs certains avantages. Je constate, par exemple, dans ce procès-verbal, qu’au cours de la séance, vous êtes intervenu à plusieurs reprises pour que les magasins juifs soient rapidement rouverts. Est-ce exact ?
Oui.
Je constate encore dans ce procès-verbal que vous êtes intervenu pour que les Juifs conservent leurs actions et leurs participations. Cela résulte d’une question que vous avez posée. Est-ce exact ?
J’ai déjà dit que, jusqu’à cette conférence, j’étais d’avis que les Juifs devaient conserver leurs valeurs. Au cours de cette même conférence, j’ai déclaré mon étonnement de ce que les Juifs dussent également remettre leurs valeurs. Ils étaient remboursés en obligations d’État à 3%, mais en tout cas on les obligeait également à remettre leurs actions et leurs participations. J’étais également opposé à cette solution pour la raison que l’État allait avoir en sa possession une très grande quantité de valeurs, dont la réalisation serait évidemment très difficile.
Il se dégage également de ce procès-verbal que Heydrich demanda que les Juifs fussent mis dans des ghettos et vous vous souvenez que le Ministère Public a déjà mentionné ce fait ici, oralement. Quelle position, Docteur Funk, avez-vous prise à ce moment-là vis-à-vis de la proposition de Heydrich ?
J’étais contre les ghettos et cela pour la simple raison que je me représentais le ghetto comme quelque chose d’effroyable. Je ne connaissais pas les ghettos et j’ai dit : « 3.000.000 de Juifs parmi 70.000.000 d’Allemands, on peut vraiment les laisser vivre sans ghettos ». J’ai déclaré que, bien entendu, les Juifs devraient se rassembler et qu’ils faudrait qu’ils répondissent les uns des autres. J’avais bien compris, et je l’ai dit également, au cours de la réunion, que le Juif isolé ne pouvait plus exister dans les conditions de vie qu’on venait de lui créer.
Monsieur le Président, je me permettrai à ce propos d’attirer votre attention sur deux affidavits qui figurent au livre de documents Funk sous le numéro 15 et le numéro 3, et je prie le Tribunal de bien vouloir prendre acte de l’ensemble de leur contenu. La déclaration sous serment n° 3, à la page 12 du livre de documents Funk, a été faite par l’épouse de l’accusé au début du Procès, le 5 novembre 1945. Il ressort de cette déclaration sous serment, dont j’indique ici brièvement le contenu, qu’au moment des excès commis en novembre 1938 contre les Juifs, l’accusé se trouvait avec sa femme et sa nièce à Berlin et, par conséquent, pas à Munich, où s’étaient réunis les « vieux combattants », et d’où le Dr Goebbels lança soudainement et à la surprise générale le mot d’ordre de ces pogroms. Dans cette déclaration sous serment, Mme Funk confirme que son mari, aussitôt qu’il eut connaissance de ces excès, téléphona, en proie à la plus vive émotion, au Dr Goebbels et lui demanda : « Êtes-vous devenu fou, Goebbels, pour commettre de pareilles cochonneries ? On a honte d’être Allemand. Toute la considération dont nous jouissions à l’étranger est par terre. Je m’efforce jour et nuit de maintenir le patrimoine national et vous jetez tout cela par la fenêtre comme par plaisir ! Si cette cochonnerie ne cesse pas immédiatement, je laisse tout tomber. »
Telle était la teneur de l’entretien téléphonique que le Dr Funk eut, de Berlin, avec le Dr Goebbels.
Le reste du contenu de cette déclaration sous serment se rapporte à des interventions faites par l’accusé en faveur de certains Juifs. C’est dans le même sens, Messieurs les juges, qu’est rédigée la déclaration sous serment de Heinz Kallus, qui était conseiller ministériel au ministère de l’Économie, sous les ordres de l’accusé Funk. J’ai déposé cette déclaration sous serment sous le numéro 15 du livre de documents Funk. Elle est datée du 19 décembre 1945, et ce témoin confirme lui aussi que Funk fut extrêmement surpris par ces excès, qu’il se mit immédiatement en rapport avec les services compétents afin d’éviter que de tels excès continuent. Ces déclarations sous serment confirment donc, dans leur ensemble, les déclarations faites par l’accusé lui-même.
Au sujet de l’attitude de l’accusé vis-à-vis de la question juive, je voudrais également revenir sur un document, le numéro PS-3498, qui est mentionné à la page 19 du dossier du Ministère Public. Il s’agit d’une circulaire de Funk, du 6 février 1939, publiée dans le bulletin du ministère de l’Économie, dans laquelle il est dit textuellement :
« La mesure et les conditions dans lesquelles il convient de faire usage des pleins pouvoirs du Plan de quatre ans dépendent des instructions que je donnerai pour chaque cas particulier, conformément aux directives du délégué au Plan de quatre ans. »
Je cite ce document parce que, dans une publication officielle de l’époque, l’accusé Funk a déclaré que, dans ce domaine, il ne pouvait que suivre les directives du Plan de quatre ans. Est-ce exact, Docteur Funk ?
Oui.
Docteur Funk, vous avez dit tout à l’heure qu’en raison de votre passé tout entier, de vos principes essentiels et de toute votre philosophie, vous aviez particulièrement ressenti l’accusation relative à l’éviction des Juifs de toute la vie économique. A ce propos, je voudrais vous faire observer qu’au cours d’un interrogatoire à Nuremberg, le 22 octobre 1945, vous avez répondu en fondant en larmes à l’officier qui vous interrogeait :
« Oui, j’aurais dû démissionner, je suis coupable ». Cette citation textuelle a déjà été évoquée une fois au cours de ces débats. Peut-être pourriez-vous nous expliquer dans quelles conditions vous avez fait cette remarque, et comment vous en êtes arrivé à cette crise. Je me permets de mentionner ce fait qui figure au procès-verbal.
Je sortais alors de l’hôpital pour entrer en prison.
Docteur Funk, une question...
Je ne savais pas auparavant que j’étais accusé d’être un assassin et un brigand et que sais-je encore... J’avais été malade pendant neuf ou dix semaines, j’étais sorti de l’hôpital la nuit même et j’arrivai ici pour subir aussitôt des interrogatoires. Je dois reconnaître que l’officier américain chargé de m’interroger, le colonel Murrey Gurfein, mena l’interrogatoire avec beaucoup d’égards et de ménagements et s’arrêtait souvent lorsqu’il voyait que je ne pouvais plus le suivre. Lorsqu’on me déclara que j’étais accusé de ces mesures de terreur et de violence contre les Juifs, je me sentis moralement effondré, parce qu’à ce moment-là je réalisai pleinement que c’est là qu’était l’origine de la fatalité qui avait conduit aux événements épouvantables et atroces dont nous avons entendu parler ici et que j’avais appris, en partie tout au moins, au cours de ma captivité. Je ressentis à ce moment-là une honte profonde et le sentiment d’une grande culpabilité vis-à-vis de moi-même et je les éprouve encore aujourd’hui. Mais le fait que j’ai pris des ordonnances pour l’exécution de ces ordonnances et de ces lois de base ne constitue pas un crime contre l’Humanité. J’ai fait passer la volonté de l’État avant ma conscience et avant mon sens personnel du devoir, étant après tout le serviteur de l’État. Je considérais comme de mon devoir d’agir selon la volonté du Führer, Chef suprême de l’État, d’autant plus que ces mesures étaient nécessaires pour protéger les Juifs contre une illégalité complète, contre l’arbitraire et contre d’autres actes de violence. Ils furent d’ailleurs indemnisés et, comme cela ressort de la circulaire que vous venez de citer, j’avais donné des instructions rigoureuses à mes subordonnés afin que ces mesures légales fussent appliquées dans un esprit de justice et de correction. Il est effroyablement tragique pour moi d’être accusé de ces choses-là. Je l’ai déjà dit, je n’ai pris aucune part aux excès commis contre les Juifs ; dès les premiers jours, je les ai désapprouvés et violemment condamnés ; ils m’ont moi-même atteint de la façon la plus profonde et je me suis efforcé, dans la mesure de mes forces, de continuer à aider les Juifs. Quant à l’extermination des Juifs, je n’y avais jamais songé et je n’ai pris aucune part à tous ces événements.
Docteur Funk, puisque vous êtes en train de dire que vous n’avez jamais songé à une extermination, à un anéantissement des Juifs, je voudrais revenir sur un document qui a déjà été cité, le numéro PS-3545, déposé par. le Ministère Public. Il s’agit, et vous vous en souvenez sans doute, d’une photocopie du numéro du 17 novembre 1938, de la Frankfurter Zeitung, c’est-à-dire d’un numéro paru peu de jours après les événements qui nous occupent. Ce numéro de la Frankfurter Zeitung publie un discours que vous avez prononcé sur les mesures légales destinées à exclure les Juifs de la vie économique de l’Allemagne ; vous vous souvenez que le représentant du Ministère Public, dans son exposé du 11 janvier 1946, vous a reproché — et je cite — d’avoir dit : « ... que le programme de persécution des Juifs sur le plan économique n’était qu’une partie du vaste programme de leur extermination ». Ceci corrobore un extrait du dossier du Ministère Public, où il est dit qu’il ne s’agissait que d’une partie — textuellement — « d’un programme plus vaste d’extermination des Juifs ». Cependant, dans toutes les déclarations que vous avez faites à l’époque, je ne vois pas une seule indication du fait que vous ayez approuvé ou réclamé un anéantissement ou une extermination des Juifs. Que pouvez-vous dire sur cette allégation du Ministère Public ?
De toute ma vie, je n’ai jamais, m oralement, ni par écrit, préconisé l’extermination ou l’anéantissement des Juifs, ou fait la moindre déclaration à ce sujet. C’est là une déclaration du Ministère Public qui, à mon avis, ne peut procéder que de la fantaisie ou de l’état d’esprit avec lequel il a lui-même abordé ces questions. Je n’ai personnellement pas préconisé l’extermination des Juifs et je ne savais absolument rien des affreux événements qui ont été mentionnés ici ; je n’ai rien eu à faire avec tout cela et, dans la mesure où je peux m’en souvenir, je n’ai, par la suite, absolument jamais coopéré à quelques mesures que ce soit contre les Juifs, car toutes ces questions n’étaient plus du domaine de ma compétence ; en dehors de ces mesures légales, de ces ordonnances exécutoires, je ne crois pas avoir jamais, dans mes services, fait quoi que ce fût qui eût un rapport avec les affaires juives.
Est-il exact, Docteur Funk, qu’à la suite de l’application de ces ordonnances que vous avez dû prendre, vous soyez intervenu personnellement pour une quantité de personnes que touchaient ces ordonnances et qui vous avaient personnellement demandé d’agir en leur faveur, et que vous l’ayez fait dans le but d’en atténuer encore l’effet ?
J’ai apporté la plus grande attention à ce que ces ordonnances fussent appliquées de manière équitable et conformément aux lois ; cependant, l’exécution n’en était pas confiée au ministère, mais au président du Gouvernement et aux services dépendant des Gauleiter dans les diverses parties du Reich. De nombreuses plaintes m’ont été transmises au sujet de la façon dont fut exécutée l’aryanisation, et mes fonctionnaires pourront témoigner que je suis intervenu dans chacun des cas où j’ai été informé d’excès quelconques. J’ai licencié le rapporteur de ce service après avoir appris que des incorrections avaient été commises et, plus tard, je me suis également séparé du chef de ce service.
Pourquoi ?
Justement parce que ces incorrections avaient été commises. De même que j’avais précédemment fait tout mon possible pour procurer aux Juifs les devises nécessaires à leur émigration, j’ai également fait, à l’occasion dé l’application de ces lois, tout ce qui était en mon pouvoir pour les leur rendre supportables dans la mesure du possible.
Monsieur le Président, en ce qui concerne la question de savoir quelle a été pratiquement l’attitude de Funk à l’occasion de l’application de ces ordonnances qu’il avait été obligé de prendre en tant que fonctionnaire, j’ai adressé, comme vous m’y avez autorisé, un questionnaire à l’ancien secrétaire d’État Landfried. Ce questionnaire est revenu il y a quelque temps mais il semble que l’administration ait envoyé un questionnaire erroné, et la réponse correcte que j’attendais n’est revenue que samedi ; elle est actuellement au service de traduction et j’estime que cette réponse, ce témoignage du secrétaire d’État Landfried, pourra encore être soumise au Tribunal dans le courant de l’après-midi et être alors déposée sous le numéro 16 du volume complémentaire de documents. J’espère, Monsieur le Président, que vous n’avez aucune objection à ce que je fasse état dès à présent de cette brève réponse du témoin Landfried.
M. Landfried était, de 1939 à 1943, secrétaire d’État...
Le Ministère Public a-t-il vu ce document ?
Oui, le Ministère Public a reçu ce document.
Nous n’avons pas vu ce document, nous avons vu le texte allemand ; je ne comprends pas l’allemand et je n’ai pas encore pu le lire. Il n’a pas été traduit.
Le document pourra être présenté lorsque le Ministère Public l’aura vu. Il n’est pas nécessaire que vous le fassiez maintenant. Avez-vous encore d’autres témoins ?
Pas sur cette question.
Je veux dire en général, avez-vous d’autres témoins ?
J’ai un témoin, le Dr Heidler mais sur d’autres sujets.
Je pense que le témoin sera contre-interrogé.
Oui.
Ces documents auront donc été traduits dan ? l’intervalle.
Oui, Monsieur le Président. Si vous le désirez, je présenterai ce document plus tard, et séparément.
Oui.
Docteur Funk, j’en arrive maintenant à une accusation qui n’a pas encore, à ma connaissance, été relevée dans le dossier du Ministère Public : il s’agit de la question des territoires occupés, du pillage de ces territoires, des frais d’occupation, du système de clearing, de la stabilisation des monnaies, etc. Le Ministère Public affirme que vous avez pris une part active à l’exécution du programme d’exploitation criminelle des territoires occupés. Ceci a déjà été mentionné au cours de l’audience du Tribunal, du 11 janvier 1946 (Tome V, page 169). Ce grief n’est pas spécifié avec plus de précision, mais au cours de l’audience du 21 février (Tome VIII, page 65), il est simplement fait allusion à un décret du ministre pour les territoires occupés de l’Est, l’accusé Rosenberg. Ce décret a été déposé par le Ministère Public sous le numéro PS-1015, document qui est la copie d’un décret du ministre de l’Est, Rosenberg, adressé aux commissaires du Reich dans les territoires occupés de l’Est.
Ce décret fait connaître aux commissaires du Reich les attributions de l’Einsatzstab Rosenberg, cité ici à plusieurs reprises, pour la mise en sécurité des trésors d’art. Je, peux supposer que le domaine des trésors d’art ne concernait en rien le ministère de l’Économie. Il est cependant étrange que ce document, en date du 7 avril 1942, ait été adressé par Rosenberg, non seulement à différents services, mais également à vous, c’est-à-dire au ministère de l’Économie. Et de ce fait, apparemment de ce seul fait, le représentant du Ministère Public soviétique porte contre vous l’accusation d’avoir participé activement au pillage des territoires occupés. Il était nécessaire que je vous expose tous les détails de cette affaire afin que l’on sache de quoi il s’agit. Je voudrais que vous vous expliquiez très brièvement sur ce sujet.
Jusqu’au commencement de ce Procès, je ne savais pas ce qu’était l’Einsatzstab Rosenberg, quelles étaient ses attributions, ni ce qu’il faisait. Je n’ai pas connaissance que le ministère de l’Économie ait eu à faire quoi que ce soit avec la mise en sécurité des trésors culturels. Je ne puis rien en dire.
Vous ne pouvez rien dire à ce sujet ?
Sur l’Einsatzstab Rosenberg, rien. Quant à la politique dans les territoires occupés, je peux en parler longuement...
Cela ne nous intéresse pas maintenant.
Mais peut-être voudrez-vous en entendre parler plus tard.
Docteur Funk, dans le questionnaire adressé au Dr Landfried, que j’ai déjà mentionné, j’ai posé cinq ou six questions relative à votre attitude dans les questions de politique économique dans les territoires occupés. Je lui ai également demandé si vous aviez donné des directives aux autorités militaires ou aux commissaires du Reich dans les territoires occupés, ainsi qu’aux chefs de l’administration civile d’Alsace-Lorraine, etc. Je lui ai demandé également s’il était exact que, même dans les territoires occupés, les directives d’ordre économique n’étaient pas données par vous, en qualité de ministre de l’Économie, mais par le délégué au Plan de quatre ans. En outre, j’ai posé un certain nombre de questions sur votre attitude dans la question de l’exploitation des territoires occupés, particulièrement à l’Ouest, le marché noir, la dépréciation des monnaies, etc. Il ne m’est pas encore possible de donner lecture de la déposition du témoin Landfried, car à la suite d’une erreur de l’administration, les réponses de Landfried ne nous sont parvenues que samedi. Désirez-vous, de vous-même, puisque nous procédons à votre interrogatoire, ajouter quelque chose à ce sujet ? Ou bien préférez-vous simplement traiter des questions que je pourrai aborder devant le Tribunal lorsque j’aurai reçu la traduction du document ?
Je vous le demande parce que c’est, pratiquement, la dernière occasion pour vous de parler sur ce chapitre.
Je voudrais prendre position sur différentes questions. Cependant, en ce qui concerne les détails de ces problèmes, il est certain que les secrétaires d’État pourront donner de meilleurs renseignements que moi.
En ce qui concerne les directives dans les pays occupés, le Reichsmarschall et le ministre Lammers ont précisé qu’à titre de ministre de l’Économie, je n’avais pas qualité pour émettre des directives. Le Reichsmarschall a déclaré ici, au cours de sa déposition, et j’en ai pris note : « Les directives et la politique économique suivies par le ministre de l’Économie et président de la Reichsbank Funk, sont du domaine de ma responsabilité entière et exclusive ». Et en ce qui concerne les territoires occupés, il a dit également que les ordonnances particulières que je prenais dans le cadre des relations courantes entre le ministère et les services directeurs des pays occupés découlaient des directives générales du Reichsmarschall et étaient du domaine — comme il l’a dit textuellement — de sa responsabilité personnelle.
En fait, seul le délégué au Plan de quatre ans était qualifié pour donner dans les pays occupés des directives dans le domaine de l’Économie. L’application de cette politique économique était du ressort des autorités militaires ou des commissaires du Reich, qui étaient directement subordonnés au Führer ; auprès des autorités militaires aussi bien qu’auprès des commissaires du Reich se trouvaient des représentants des diverses instances et, entre autres, bien entendu, du ministère de l’Économie et de la Reichsbank. On y trouvait aussi des représentants de l’économie privée, et il va sans dire qu’il régnait une collaboration étroite entre les divers services des chefs militaires et des commissaires du Reich d’une part, et les administrations de l’intérieur d’autre part, à l’exception des territoires occupés de Russie, où les commissaires du Reich dépendaient d’un ministre particulier, le ministre des territoires occupés de l’Est. Il y avait donc là une réglementation particulière, mais si nous voulions, à partir du ministère obtenir quelque chose des commissaires du Reich ou des autorités militaires, il fallait que nous le demandions au délégué au Plan de quatre ans, ou que nous agissions en vertu d’une de ses ordonnances. Il en était de même pour les chefs de l’administration civile en Alsace-Lorraine et dans les autres territoires, où qu’ils fussent. Là non plus les services, les nombreux services du ministère de l’Économie et de la Reichsbank, n’avaient pas qualité pour prendre directement des ordonnances ; toutefois, j’insiste encore sur le fait qu’il existait, bien entendu, des rapports de service étroits entre les services directeurs des territoires occupés et les services de l’intérieur.
Personnellement, je me suis efforcé, et de nombreux témoins viendront le confirmer soit dans des questionnaires qui n’ont pas encore été déposés, soit autrement, de protéger du pillage les territoires occupés. J’ai mené pendant toutes ces années une lutte vraiment désespérée pour le maintien de la stabilité de la monnaie dans ces territoires, car on me demandait sans cesse d’abaisser le cours des changes dans les pays occupés, afin que les Allemands puissent y acheter plus facilement et à meilleur compte. J’ai fait l’impossible pour maintenir l’ordre économique dans ces territoires. Dans le cas particulier du Danemark, j’ai même obtenu, à l’encontre de la volonté de tous les services, un relèvement du cours de la couronne danoise, parce que la Banque nationale danoise et le Gouvernement danois me l’avaient demandé pour des raisons justifiées.
Je me suis élevé contre l’augmentation des frais d’occupation en France en 1942 et en 1944. Le mémorandum de la Reichsbank que j’avais fait rédiger a été cité ici par le Procureur Général américain.
En ce qui concerne la fixation des frais d’occupation, ce n’était pas le ministre de l’Économie et le président de la Reichsbank qui étaient compétents, mais le ministre des Finances et le chef d’État-Major adjoint, c’est-à-dire les services supérieurs de la Wehrmacht, et dans le cas de la France, du Danemark et d’autres pays, le ministre des Affaires étrangères également.
J’ai donc fait tout ce que j’ai pu, dans la limite de mes forces, pour maintenir l’ordre dans l’économie de ces territoires ; j’ai, en fin de compte, pu obtenir du Reichsmarschall qu’il prenne un décret interdisant à tous les services allemands d’acheter au marché noir ; d’ailleurs, beaucoup de mal avait déjà été fait dans ce domaine. A ce propos, je dois mentionner également qu’il était nécessaire, pour le maintien de l’ordre dans les territoires occupés, de n’y pas désorganiser la vie sociale et que, pour cette raison, je me suis toujours fermement opposé à l’envoi massif et par la contrainte, de main-d’œuvre étrangère en Allemagne. J’ai exprimé cette opinion au cours d’une réunion chez Lammers, réunion dont il a déjà été question. Mes secrétaires d’État pourront en témoigner. D’autre part, je comprenais évidemment que Sauckel se trouvait dans une situation très difficile, vraiment désespérée, car on ne cessait de lui demander de la main-d’œuvre pour l’économie allemande. Mais, personnellement, et surtout après que Speer eut pris en mains toute la production civile, et quand je fus entré au service central des Plans, non seulement je n’avais plus intérêt, dans le domaine du service, à ce qu’on amenât en Allemagne de la main-d’œuvre étrangère, mais bien au contraire j’estimais qu’il était de notre intérêt que les travailleurs restassent dans les territoires occupés puisque la production des bien de consommation avait été transférée dans une large mesure dans ces territoires, et j’avais, pour cette raison, en ma qualité de ministre chargé d’assurer à la population la fourniture des biens de consommation, intérêt à ce qu’on y travaillât dans l’ordre et à y éviter des troubles sociaux et économiques. Je crois cependant qu’il vaudrait mieux que mes deux secrétaires d’État et le vice-président et directeur de la Reichsbank Puhl puissent faire des déclarations détaillées sur Ces questions, puisqu’ils participaient de plus près que moi à l’exécution de ces mesures. Quand on m’accuse d’avoir procédé au pillage des pays étrangers et des territoires occupés au moyen du clearing, je dois répondre que les règlements de clearing n’avaient pas été introduits par nous dans nos rapports avec les pays occupés, ni même en temps de guerre, mais que c’était le système normal des relations commerciales entre l’Allemagne et ses partenaires. Ce système nous avait été imposé lorsque, comme Schacht l’a déjà expliqué, les pays étrangers se mirent à utiliser les revenus des exportations allemandes pour le paiement et l’amortissement des dettes allemandes. J’ai, personnellement, toujours insisté sur le fait que cette dette de clearing était pour l’Allemagne une véritable dette en marchandises et qu’elle serait remboursée au taux et par rapport au pouvoir d’achat en vigueur au moment où ces engagements avaient été contractés. Je l’ai notamment déclaré dans mes derniers discours à Vienne, en mars 1944, et à Kœnigsberg en juillet 1944, de façon détaillée et sans équivoque. De plus, en juillet, j’ai fait la proposition de transformer après la guerre cette dette de clearing en un emprunt européen, afin qu’elle ne reste pas limitée à la formule restreinte d’échanges de marchandises bilatéraux, mais constitue effectivement une valeur commerciale. Ceci montre clairement que j’ai toujours considéré cette dette de clearing comme une véritable dette pour l’Allemagne et que les revendications des pays occupés vis-à-vis de l’Allemagne pouvaient et devaient être satisfaites après la guerre et, je le répète, au taux en vigueur au moment où ces dettes avaient été contractées. Bien entendu, si les traités de paix avaient imposé à certains pays des réparations, au cas où des problèmes de ce genre se seraient posés, ces réparations auraient pu être payées en marchandises, ce qui était raisonnable, et il aurait été possible et tout aussi raisonnable d’établir une balance entre les dettes et les avoirs allemands. Mais je n’ai jamais laissé subsister de doute sur le fait que cette dette de clearing était une véritable dette.
C’est pourquoi je tiens à réfuter l’allégation suivant laquelle les territoires occupés ont été pillés au moyen du clearing. Je m’élève avec plus de vigueur encore contre l’accusation suivant laquelle je serais coupable d’avoir accablé les territoires occupés de charges financières excessives telles que le paiement des frais d’occupation ou autres impositions. Je me suis toujours opposé à ce que les territoires occupés fussent trop lourdement imposés et les témoins qui sont au courant de ces questions pourront le confirmer.
Monsieur le Président, l’accusé a, tout à l’heure, fait allusion à deux discours qu’il a prononcés à Vienne et à Kœnigsberg. Ces deux discours portent en partie sur la question des dettes de clearing, et en partie sur le thème favori de l’accusé Funk, à savoir la création d’une communauté économique européenne entre l’Allemagne et les États voisins, communauté économique basée sur une égalité de droits absolue. Pour gagner du temps, je demanderai au Tribunal de bien vouloir prendre acte de ces deux discours qui ont été cités en partie par l’accusé et en partie par moi. Il s’agit du discours prononcé par l’accusé à Vienne, le 10 mars 1944, document n° 10 de mon livre de documents, et du discours prononcé à Kœnigsberg à l’occasion du 400e anniversaire de l’université de Kœnigsberg, sa patrie, le 17 juillet 1944, document n° 11 de mon livre de documents.
Plaise au Tribunal. Si ce document n° 11 est déposé par l’avocat pour montrer quelle était la politique de l’accusé dans les pays occupés, il me paraît bon de faire remarquer que ce discours se rapporte non pas aux pays occupés, mais aux pays satellites de l’Allemagne.
Monsieur le Président, je me permets d’attirer l’attention du Tribunal sur le document PS-3819 qui a déjà été déposé par le Ministère Public. Il s’agit du procès-verbal, déjà mentionné par l’accusé, d’une conférence chez le ministre Lammers, le 11 juillet 1944. Suivant ce procès-verbal, l’accusé Funk était présent à cette séance ; mais sa présence n’apparaît que dans une seule phrase. Il y est dit textuellement, au bas de la page 8 :
« Le ministre Funk s’attend à ce que ces rafles impitoyables provoquent des troubles considérables dans la production des territoires non-allemands. »
Cette phrase, isolée de son contexte, est difficile à comprendre, mais lorsqu’on la replace dans l’ensemble de la conférence, on s’aperçoit que l’accusé Funk voulait par là mettre en garde contre la réquisition brutale de la main-d’œuvre étrangère pour la production et l’armement allemands. Il mettait en garde contre les actes de violence, contre les rafles, comme il est dit dans ce procès-verbal, car d’après lui, ces méthodes auraient troublé la production dans les territoires occupés.
Enfin, Monsieur le Président, je citerai un dernier document. Il s’agit du document PS-2149, qui consiste en un rapport d’expertise de la Reichsbank, en date du 7 décembre 1942 : « Question de l’augmentation du taux des frais d’occupation en France ». Je me permets de dire, dès l’abord, que ces frais d’occupation ont en effet été élevés par la suite, mais non pas sur l’initiative de l’accusé Funk et non pas avec son approbation, mais malgré ses avis. Cette expertise à laquelle l’accusé Funk s’est référé tout à l’heure et que je viens de citer moi-même est du 11 décembre 1942, et énonce dans le détail les raisons pour lesquelles Funk et la Reichsbank s’élèvent formellement contre une augmentation des frais d’occupation en France.
A ce propos, je me permettrai de demander également à l’accusé Funk ce qu’il sait sur les frais d’occupation en Grèce. (A l’accusé.) Vous avez entendu les déclarations du Dr Neubacher qui a été ministre en Roumanie et en Grèce et qui a confirmé que, là aussi, vous vous seriez efforcé de faire abaisser les frais d’occupation.
En avez-vous encore pour longtemps ?
Je crois que j’ai encore quelques questions à poser et qu’il serait peut-être préférable de suspendre l’audience maintenant.