CENT VINGT-TROISIÈME JOURNÉE.
Mardi 7 mai 1946.
Audience du matin.
Témoin, vous avez eu hier soir un entretien d’environ une heure avec le Dr Sauter, après la suspension de l’audience, n’est-ce pas ?
Parfaitement.
Nous parlions hier, au moment où le Tribunal a suspendu l’audience, des dépôts d’or faits à la Reichsbank, et je vous avais demandé quand vous aviez commencé à faire des affaires avec les SS. Vous avez répondu, si je me rappelle bien, que vous n’aviez traité aucune affaire avec les SS. Nous avons alors insisté quelque peu et vous avez reconnu que les SS avaient laissé différentes choses en dépôt, des objets qui appartenaient à des gens internés dans les camps de concentration. Telles que, je reproduis maintenant vos déclarations, je les ai, en gros, bien comprises ?
Non, j’ai dit que M. Puhl m’a rapporté un jour — je ne me rappelle plus de l’année — que les SS venaient d’envoyer de l’or en dépôt et il a ajouté, plutôt ironique, que le mieux était de ne pas consigner la nature du dépôt. D’ailleurs, comme je l’ai déjà indiqué hier, nous ne pouvions pas contrôler la nature d’un dépôt. La Reichsbank n’avait pas le droit de vérifier la nature du dépôt. Ce n’est que plus tard, à la suite d’un autre rapport de M. Puhl, que j’ai soupçonné que l’expression « dépôt » était mal choisie, qu’il ne s’agissait pas d’un dépôt mais d’une livraison d’or. Il y a évidemment une grosse différence. Personnellement, j’ai toujours admis qu’il s’agissait d’un dépôt d’or, que ce dépôt se composait de pièces d’or ou autres devises, de petites barres d’or ou d’autres choses semblables, livrées par les internés des camps de concentration, comme d’ailleurs quiconque en Allemagne devait le faire, et remises à la Reichsbank pour qu’elle en tirât parti.
Maintenant que vous m’avez amené sur ce terrain, je me rappelle un point qui, jusqu’ici, m’avait échappé. J’ai été interrogé sur ce sujet lors des interrogatoires préliminaires et je n’ai pu répondre affirmativement parce que, effectivement, je ne m’en souvenais plus à cette époque. Au cours de ces interrogatoires préliminaires, on m’a donc demandé si j’avais obtenu l’assentiment du Reichsführer aux fins d’utilisation de cet or livré à la Reichsbank. J’ai répondu que je ne m’en souvenais plus. Évidemment, si M. Puhl l’affirme dans sa déclaration sous serment, je n’irai pas le contester, ce que je ne peux pas non plus d’ailleurs. Mais il est tout à fait évident que, lorsqu’un dépôt d’or a été fait à la Reichsbank qui en devient propriétaire, cette dernière peut l’utiliser. Je n’ai certainement pas parlé plus de deux ou, à la rigueur, trois fois avec M. Puhl de cette affaire. En ce qui concerne la nature de ce dépôt ou de cette livraison et l’utilisation qui en a été faite, je ne sais rien. M. Puhl ne m’en a pas informé.
Eh bien, nous allons le voir. Il n’était pas dans les habitudes de la Reichsbank d’accepter des bijoux, des monocles, des lunettes, des montres, des porte-cigarettes, des perles, des diamants, des dents en or, et ainsi de suite, n’est-ce pas ? Acceptiez-vous d’habitude ce genre de dépôts à votre banque ?
Non. A mon avis il ne pouvait en être question en aucune façon. La banque ne pouvait les accepter, car ces objets devaient être livrés ailleurs. Si je suis bien informé, du point de vue juridique, ces objets devaient être remis à l’Office du Reich pour les métaux précieux et non pas à la Reichsbank. Pour tout ce qui est parures, bijoux, que sais-je, diamants, la Reichsbank n’avait absolument rien à voir. Ce n’était pas un comptoir vendant ou faisant le commerce des diamants, des bijoux ou parures. A mon avis, elle ne devait pas le faire. Si cela s’est produit, la Reichsbank a agi à tort.
Tout à fait juste.
Si cela s’est produit, la Reichsbank a agi illégalement. La Reichsbank n’avait pas autorité pour agir ainsi.
Et vous affirmez donc que si cela a eu lieu, vous ne l’avez pas su ?
Non.
Vous ne le saviez pas ?
Non.
Vous descendiez fréquemment dans les caves blindées de la Reichsbank, n’est-ce pas ? Vous y ameniez volontiers des visiteurs ? Je veux dire : vous descendiez personnellement assez souvent dans les caves blindées, n’est-ce pas ?
Oui, là où était entreposé l’or en barres.
Nous viendrons d’ici un instant à l’or en barres. Je veux simplement préciser pour l’instant que vous descendiez souvent dans les caves blindées de la Reichsbank. Votre réponse est oui. Vous y alliez souvent ?
C’était l’usage lorsque nous avions des visiteurs et, en particulier, des visiteurs étrangers, de faire voir les caves où nous gardions l’or. A cette occasion, nous montrions toujours les lingots d’or et la plaisanterie traditionnelle consistait à demander d’essayer de soulever un lingot. Mais je n’ai jamais vu dans ces caves autre chose que des lingots d’or.
De quel poids étaient donc ces lingots d’or que vous gardiez dans ces souterrains ?
C’étaient les lingots habituels, dont on se servait entre banques d’émission. Ils sont, je crois, de différents poids. Je crois que les lingots d’or pèsent en moyenne environ 20 kilos. C’est une estimation. On peut d’ailleurs le calculer. Si...
Très bien, la réponse me suffit. Lors de vos descentes aux chambres fortes, n’avez-vous jamais aperçu certains de ces objets dont j’ai déjà fait mention : joyaux, étuis à cigarettes, montres, etc. ?
Jamais, jamais. En tout, je suis peut-être descendu quatre ou cinq fois aux chambres et uniquement pour montrer à des visiteurs ce spectacle des plus intéressant.
De 1941 à 1945, vous ne seriez donc descendu que trois ou quatre fois dans les caves ?
Je ne pense pas y être descendu plus souvent. Et je n’y suis jamais descendu, en tout cas, qu’avec des visiteurs, le plus souvent étrangers.
Voulez-vous dire au Tribunal que vous, directeur de la Reichsbank, vous n’avez jamais entrepris d’inspecter — si ce n’est pas le terme, vous me comprenez — les caves de la Reichsbank, afin de vous rendre compte de l’encaisse or de la Reichsbank ? N’avez-vous jamais entrepris d’inspecter avant d’attester des disponibilités ? C’est pourtant ce que fait normalement tout directeur responsable d’une banque, n’est-ce pas ? Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?
Non, jamais. Ce n’était pas le président de la Reichsbank qui s’occupait des affaires de la Reichsbank ; c’était le directoire. Je ne me suis jamais occupé d’une seule opération, d’affaires d’or par exemple, et en particulier d’un quelconque transfert de réserves d’or, quelle qu’en fût l’importance. Lorsque de gros arrivages d’or devaient avoir lieu, le directoire l’annonçait. C’est le directoire qui s’emparait de l’affaire et je pense que dans le cas d’opérations sans importance seul, le directeur responsable, le rapporteur, ou le chef du directoire était informé.
Avez-vous jamais traité avec des maisons de prêt ?
Avec qui ?
Avec des maisons de prêt. Ne savez-vous pas ce qu’est un « Pawnshop ». Il doit pourtant exister un mot allemand correspondant.
Pfandleihe.
De toutes façons vous savez ce dont il s’agit, n’est-ce pas ?
On y met des objets en gage.
Parfaitement.
Non, je n’ai jamais...
Bon, nous discuterons plus tard cette question. Pour le moment, puisque vous ne semblez pas vous souvenir avoir possédé ou vu dans vos caves les objets que je vous ai décrits, je demanderai qu’on nous permette de vous projeter un film qui vous montrera quelques objets trouvés dans les caves de la Reichsbank, lors de l’arrivée des Forces alliées. (Au Tribunal.) Monsieur le Président, je demanderai qu’il soit permis à l’accusé de s’installer sous l’écran pour qu’il puisse mieux voir le film et rappeler ainsi ses souvenirs.
Oui, laissez-le approcher.
Monsieur Dodd, je suppose que vous voudrez bien préciser où ce film a été réalisé ?
Oui, certainement. Je présenterai une déclaration sous serment relatant les circonstances qui ont accompagné la réalisation de ce film ; qui était présent, et pourquoi. En attendant, je puis communiquer au Tribunal que le film a été pris à Francfort, lors de la prise de cette ville par les Forces alliées, lorsqu’elles pénétrèrent dans les chambres fortes de la Reichsbank. Après avoir vu, accusé, ces images des objets trouvés, il y a à peu près un an, dans les caves de la Reichsbank, vous souvenez-vous avoir conservé par devers vous de tels objets pendant quatre ou cinq ans, ou trois ou quatre ans ; je crois que ce fut pendant trois ans ou un peu plus ?
Je n’ai jamais rien vu de semblable. J’ai bien l’impression également qu’une grande partie des objets qui ont été montrés dans ce film provenaient de dépôts, car les gens, très souvent par milliers, apportaient des dépôts à la Reichsbank, des coffrets fermés qui contenaient leurs bijoux, leurs valeurs, etc., comme on vient de le voir, des valeurs en partie vraisemblablement non déclarées, qu’ils auraient dû remettre à l’État, comme par exemple de l’argent étranger, des devises, des pièces d’or, etc. Nous avons eu, à ma connaissance, des milliers de coffrets fermés, dépôts sur lesquels la Reichsbank n’avait pas droit de regard. En conséquence, je n’ai jamais vu un seul des objets montrés dans ce film, je n’ai aucune idée de leur provenance. Je ne sais pas à qui ils appartenaient, ni comment ils ont été utilisés.
C’est une réponse intéressante. Je vous ai demandé hier et je vous demande à nouveau aujourd’hui : avez-vous jamais entendu parler de personnes déposant leurs dents en or à la banque pour les mettre en sécurité ? (Pas de réponse.)
Vous avez vu dans le film ces bridges, ces dentiers en or et autres appareils dentaires. Certainement, personne n’a jamais déposé d’objets semblables dans une banque. Qu’en pensez-vous ?
En ce qui concerne les vues montrant des dents, c’est là, évidemment, un cas particulier. D’où ces dents sont venues, on ne m’en a pas informé. Pour ce qui est de leur utilisation, je ne sais rien non plus. Ce dont je suis sûr, c’est que ce genre d’objets livrés à la Reichsbank devait être transmis à l’Office du Reich pour les métaux précieux, car la Reichsbank ne travaillait pas l’or. Donc, à mon avis, la Reichsbank n’avait pas le droit de s’occuper de telles choses. D’ailleurs, je ne sais même pas si elle possédait les installations techniques que cela nécessitait. Je n’en ai pas connaissance.
Non seulement les gens n’ont jamais déposé des dents en or dans une banque, mais ils n’ont jamais non plus déposé des montures de lunettes en or, comme vous l’avez vu dans ce film.
Oui, cela je l’affirme. Parfaitement, ces choses-là ne constituent naturellement pas des dépôts réguliers. C’est évident.
Et vous avez également vu quelques objets qui, manifestement, devaient être fondus. Sur la dernière vue, on nous montre même quelque chose qui, selon toute apparence, était déjà fondu, n’est-ce pas ? Vous l’avez bien vu ? Voulez-vous me répondre, s’il vous plaît, par oui ou non. L’avez-vous vu ?
Je ne peux pas affirmer si ces objets étaient destinés à la fonte. Je n’ai aucune idée des procédés techniques. En tout cas, il ne fait aucun doute pour moi — et c’est un fait qui m’était inconnu jusqu’alors — que la Reichsbank a elle-même procédé à de semblables fontes, c’est-à-dire à un travail technique sur des objets en or.
Eh bien, voyons donc ce que dit à ce sujet votre collaborateur, M. Puhl, l’homme que vous déclariez hier de toute confiance, et dont vous avez demandé le témoignage à décharge en votre faveur. J’ai ici une déclaration sous serment qu’il a faite le 3 mai 1946, à Baden-Baden, en Allemagne : « Je soussigné, Emil Puhl, déclare sous la foi du serment, ce qui suit :
« 1. Je m’appelle Emil Puhl. Je suis né le 28 août 1889 à Berlin, en Allemagne. J’ai été nommé membre du directoire de la Reichsbank en 1915 et vice-président de la Reichsbank en 1939. Ces fonctions, je les ai assumées sans discontinuer jusqu’à la capitulation de l’Allemagne.
« 2. Pendant l’été de 1942, Walter Funk, président de la Reichsbank et ministre de l’Économie du Reich, eut un entretien avec moi et, plus tard, avec Monsieur Friedrich Wilhelm, qui était membre du directoire de la Reichsbank. Funk me dit qu’il avait passé un accord avec le Reichsführer Himmler selon lequel la Reichsbank prendrait en garde pour les SS, de l’or et des bijoux. Funk me donna pour instruction de prendre les dispositions nécessaires en accord avec Pohl, chef de la section économique des SS, qui était chargé, du côté économique, de l’administration des camps de concentration.
« 3. J’ai demandé à Funk l’origine de l’or, des bijoux, de l’argent et autres objets livrés par les SS. Funk me répliqua qu’il s’agissait de biens saisis dans les territoires occupés de l’Est, et que je n’avais pas à poser de nouvelles questions. Je protestai contre la prise en charge par la Reichsbank de ces valeurs. Funk déclara que nous devions prendre les dispositions nécessaires pour la réception de ces valeurs et garder le secret le plus absolu.
« 4. Sur ces entrefaites, je négociai les accords nécessaires pour la prise en charge des valeurs avec les fonctionnaires compétents, ceux chargés de la caisse et du coffre, et j’informai, à la réunion suivante, le directoire de la Reichsbank des mesures prises. Le même jour, Pohl, de la section économique des SS, m’appela par téléphone pour me demander si j’étais au courant de la question. Je me refusai à en discuter par téléphone. Sur ce, il vint me voir et me déclara que les SS tenaient prêts quelques bijoux qu’ils désiraient donner en garde à la Reichsbank. Je passai avec lui les accords nécessaires au transfert et, à dater de ce jour, des remises furent effectuées de temps à autre, à partir d’août 1942 et pendant les années suivantes.
« 5. Parmi les objets déposés par les SS se trouvaient, en grandes quantités, bijoux, montres, montures de lunettes, or dentaire et autres objets en or saisis par les SS sur les Juifs, sur les victimes des camps de concentration et sur d’autres personnes. Nous l’apprîmes du fait même que les SS cherchaient à tirer des espèces de ces objets et, avec l’assentiment et l’approbation de Funk, obtinrent le concours du personnel de la Reichsbank. Outre l’or, les bijoux, et autres objets semblables, les SS transmirent également de la monnaie-papier, des devises, des valeurs, à la Reichsbank qui géra l’ensemble selon les règles légalement en vigueur. En Ce qui concernait les bijoux et l’or, Funk m’avait déclaré que Himmler et le ministre des Finances du Reich, von Krosigk, avaient passé accord pour que l’or et les objets similaires fussent portés au compte de l’État et que les sommes provenant de leur vente fussent créditées au Trésor.
« 6. Dans l’exercice de mes fonctions, je visitais de temps en temps les caves de la Reichsbank et je vérifiais ce qui y était conservé. Funk, lui aussi dans l’exercice de ses fonctions, visitait de temps à autre les caves.
« 7. Sur les directives de Funk, la Banque d’escompte de l’or institua également un fonds de roulement qui, finalement, atteignit 10.000.000 à 12.000.000 de Reichsmark mis à la disposition de la section économique des SS pour financer, dans les usines dirigées par les SS, la production de matériel par la main-d’œuvre des camps de concentration.
« Je connais la langue anglaise et déclare, en toute conscience, que les indications précédentes sont, à ma connaissance, exactes. »
Il s’agit du document PS-3944. Il est signé Emil Puhl et certifié conforme.
Monsieur le Président, je désire déposer cet affidavit sous le numéro USA-846, et le film sous le numéro USA-845. Maintenant, témoin, que nous avons entendu cette déclaration sous serment faite par votre collaborateur et collègue au directoire de la Reichsbank, par un homme que vous avouiez hier être de confiance, direz-vous encore que vous ignoriez les tractations passées entre votre banque et les SS ?
Je prétends que cette déclaration sous serment de Monsieur Puhl est contraire à la vérité. Dans toute cette affaire de dépôt d’or, comme on l’a toujours dit ici, j’ai tout au plus abordé trois fois la question avec Monsieur Puhl, je crois même deux fois seulement. Je n’ai jamais échangé une parole avec Monsieur Puhl au sujet de pierres précieuses ou de bijoux. Il est précisément incompréhensible pour moi qu’un homme qui, ayant exercé, c’est sûr, certaines prérogatives, ne serait-ce que par ses négociations avec les SS, avec Pohl, essaye d’en rejeter la faute sur moi. Cette responsabilité, je ne l’assumerai jamais. Et je demande que Monsieur Puhl comparaisse ici et, en ma présence, expose tous les détails de l’affaire : quand, où et comment il a discuté de ces questions avec moi et quelles étaient les instructions qu’il avait reçues de moi. Je déclare encore une fois n’avoir jamais parlé à M. Puhl de bijoux et autres objets provenant de camps de concentration. Je ne peux répéter que ce que j’ai déclaré dans mon introduction, à savoir qu’un jour M. Puhl m’informa qu’un dépôt d’or avait été effectué par les SS et que plus tard, — c’est exact, sur sa demande, je m’en souviens maintenant et cela m’avait, échappé parce que je n’avais pas attaché une grosse importance à la chose — j’avais parlé avec le Reichsführer de la question et lui avais demandé si ce dépôt pouvait être utilisé par la Reichsbank. Il m’avait répondu par l’affirmative. Mais avec le Reichsführer non plus je n’ai pas échangé un seul mot concernant des bijoux, pierres précieuses, montres et objets semblables. Nous n’avons parlé que d’or. En ce qui concerne le financement dont parle M. Puhl, voici ce que j’en sais : cela remonte d’ailleurs à bien des années, d’après mes souvenirs. M. Puhl vint me voir un jour pour me dire qu’il fallait fournir des crédits à certaines fabriques SS et qu’on négocierait avec lui à ce propos. Je lui ai alors demandé si ce crédit était sûr, si l’on prévoyait des intérêts. Il me répondit : « Parfaitement, un crédit a déjà été ouvert par la Dresdner Bank, mais il doit être amorti ». J’ai alors dit : « Bien, alors, faites-le » et je n’ai plus entendu parler de cette affaire non plus. Jusqu’à présent, je n’avais jamais eu connaissance du montant du crédit et ne savais pas qu’il avait été accordé par la Banque d’escompte de l’or. Je n’arrive pas à me souvenir de ces détails, mais c’est très possible. Après, je n’ai plus entendu parler de ce crédit qui avait été accordé par M. Puhl à certaines fabriques ; on n’a jamais parlé que de fabriques, de certaines entreprises. C’était, en effet, un crédit qui avait été précédemment accordé par une banque privée. Je me rappelle avoir une fois demandé :
« L’avance a-t-elle déjà été remboursée ? », des jours et des années après d’ailleurs. Sur quoi il répondit : « Non, elle n’est pas encore remboursée ». C’est tout ce que je sais de ces choses.
Très bien. Et que savez-vous de la partie de l’affidavit que vous n’avez pas abordée ? Que savez-vous de ce dernier passage selon lequel vous auriez créé en faveur des SS un fonds de roulement destiné à la construction d’installations à proximité des camps de concentration ? Vous vous en souvenez ? Je vous ai lu le passage. Puhl dit : « Sur les directives de Funk, la Reichsbank institua également un fonds de roulement qui, finalement, atteignit 10.000.000 à 12.000.000 de Reichsmark mis à la disposition de la section économique des SS pour financer, dans des usines dirigées par les SS, la production de matériel par la main-d’œuvre des camps de concentration ». Reconnaissez-vous l’avoir fait ?
C’est ce à quoi j’ai fait allusion tout à l’heure. Un jour, M. Puhl — c’était, je crois, en 1939 ou 1940 — m’informa que des représentants des entreprises gérées par les SS étaient venus le voir, avaient discuté avec lui d’un crédit jusqu’alors accordé par la Dresdner Bank et qu’ils en sollicitaient un semblable de la Reichsbank. Là-dessus, je demandai à M. Puhl : « Est-ce que cette avance portera intérêts ? Est-elle sûre ? » Sa réponse fut :
« Parfaitement ». Alors j’ai dit : « Très bien, accordez ce crédit ». Et, plus tard, j’ai encore une fois demandé... C’est exactement ce que j’ai dit tout à l’heure. Je n’en sais pas plus. C’est tout ce que je sais de la question.
N’avez-vous pas été rétribué par les SS pour vous être occupé des objets que vous avez vus dans ce film ? La banque recevait bien quelque chose en paiement pour la réalisation de ce programme ?
Je n’ai pas compris ce que vous avez dit.
Je vous ai demandé si, pendant cette période de plus de trois ans, vous avez été rétribué par les SS pour la gestion des biens qui vous avaient été confiés ?
Je n’en ai pas connaissance.
Mais, en tant que président de la Reichsbank, vous devez pourtant savoir si vous avez reçu quelque chose en paiement. Comment se fait-il que vous ne le sachiez pas ?
Il s’agissait vraisemblablement de si faibles sommes que personne n’a cru nécessaire de m’en informer. Je ne sais rien de règlements effectués par les SS.
Que répondrez-vous maintenant si je vous indique que Puhl déclare que la banque a reçu pendant ces années plusieurs versements des SS et qu’en tout soixante dix-sept livraisons de matériel ont été effectuées, de la nature de ce que vous avez vu ce matin ? Direz-vous que ce n’est pas exact ou l’admettrez-vous ?
C’est parfaitement possible, mais on ne m’a pas informé de ces choses-là. Je ne sais rien à ce sujet.
Est-il concevable que vous, président de la Reichsbank, ayez pu ignorer ces soixante dix-sept envois, que vous ayez ignoré des transactions pour lesquelles vous étiez payé ? Pensez-vous que ce soit une histoire sérieuse ?
Si le directoire ne m’a pas informé de la chose, je ne peux rien savoir et je déclare encore une fois ici sans aucune équivoque qu’on ne m’a pas informé de ces détails. Je n’ai été qu’une seule fois informé d’un dépôt d’or fait par les SS, dépôt qui fut mis en lieu sûr... ou plutôt d’une livraison des SS, ainsi qu’on le précisa plus tard, et secondement de cette affaire de crédit. C’est tout ce que je sais de ces choses.
Permettez-moi alors de vous indiquer quelque chose qui vous aidera peut-être. Votre banque envoyait de temps à autre des mémorandums sur ce genre d’opérations, et je suppose que vous en êtes au courant, n’est-ce pas ? Vous établissiez des états de ce que vous aviez en réserve et de la destination de ces réserves. Ne vous souvenez-vous pas d’un tel mémorandum ?
Non.
Eh bien, veuillez donc considérer le document PS-3949 (USA-847). Il rafraîchira peut-être vos souvenirs. Pardon, il s’agit du document PS-3948.
C’est une lettre qui est apparemment adressé à l’Office municipal de prêts sur gages de Berlin. Elle est datée du 15 septembre 1942. Je ne la citerai pas intégralement, bien qu’elle soit très intéressante. Comme vous pouvez le voir, ce mémorandum est ainsi rédigé :
« Nous vous transmettons les valeurs suivantes en demandant qu’elles soient utilisées au mieux... » Sont détaillés ensuite :
« 247 anneaux de platine et d’argent, 154 montres en or, 207 boucles d’oreilles, 1601 boucles d’oreilles et 13 broches avec brillants ». Je parcours rapidement, je ne lis pas tout : « 324 montres-bracelets en argent, 12 chandeliers en argent, des cuillers, des fourchettes, des couteaux... » et, encore plus bas : « Divers bijoux cassés et boîtiers de montres, 187 perles, 4 pierres supposées être des diamants ». Ce mémorandum est signé : « Deutsche Reichsbank, Caisse centrale ». La signature est illisible.
Mais si vous voulez bien examiner l’original, vous pourriez nous indiquer qui l’a signé ?
Non, je ne sais pas qui l’a signé.
Avez-vous l’original en mains ?
Je ne sais pas.
Examinez la signature et dites-nous si vous reconnaissez en elle celle de l’un de vos collaborateurs.
Oui. Ici figure... C’est un employé de la caisse qui a signé cela. Je ne le connais pas ; je ne reconnais pas la signature.
C’est quelqu’un de votre banque, n’est-ce pas ?
De la caisse, parfaitement. Je ne connais pas la signature.
Voulez-vous faire croire au Tribunal que des employés, des gens de votre banque, ont envoyé cette liste à la Caisse de crédit municipal de Berlin sans que vous en ayez eu connaissance ?
Je ne sais rien de ces démarches. Elles s’expliquent simplement par le fait qu’apparemment des objets ont été livrés à la Reichsbank qu’elle n’avait pas le droit de prendre en dépôt. Cela ressort bien de ce papier.
Eh bien, j’aimerais également que vous considériez le document PS-3949 qui est daté de quatre jours plus tard, c’est-à-dire du 19 septembre 1942 ; c’est le document USA-848. Vous verrez qu’il s’agit d’un mémorandum concernant l’utilisation de billets de banque, d’or, d’argent et de bijouterie, au profit du ministre des Finances du Reich. Il est aussi indiqué sur ce mémorandum qu’il ne s’agit que d’un bilan partiel des valeurs reçues par la section des métaux précieux. II n’est pas nécessaire, je pense, de faire la lecture intégrale du document. Vous pouvez l’examiner et le lire vous-même. Après indication du contenu des envois arrivés le 26 août 1942, on relève dans les deux derniers paragraphes :
« Avant que nous ne fassions porter le montant total des sommes reçues jusqu’à ce jour, à savoir 1.184.345,59 Reichsmark, par la Caisse centrale du Reich au compte du ministre des Finances du Reich, nous vous demandons de nous indiquer à quel numéro de compte ce versement, ainsi que les suivants, devront être effectués. Il serait, de plus, recommandé d’avertir à temps le service compétent du ministère des Finances du Reich des virements à attendre de la Reichsbank. » C’est également signé : « Deutsche Reichsbank, Caisse centrale ». Et un timbre précise : « Payé par virement bancaire. Berlin, 27 octobre 1942, Caisse centrale ».
En ce qui concerne ce document, cet avis au ministre des Finances du Reich, je crois pouvoir donner des éclaircissements en me référant aux déclarations faites ici par certains témoins au sujet des camps de concentration. Le témoin Ohlendorf, si j’ai bonne mémoire, et un autre encore, ont déclaré ici que les objets de valeur enlevés aux détenus des camps de concentration devaient être transmis au ministre des Finances du Reich. Je suppose que, techniquement, les choses ont dû se passer de la manière suivante : ces objets ont dû être tout d’abord adressés par erreur à la Reichsbank, mais — et je tiens à insister à nouveau là-dessus — la Reichsbank ne pouvait rien faire de ces bijoux, de ces colliers de perles et autres objets énumérés ici. Aussi ont-ils été envoyés au ministre des Finances du Reich ou utilisés pour le compte du ministre des Finances. C’est ce qui ressort de cet écrit. La Reichsbank entra ainsi en compte avec le ministre des Finances du Reich. C’est ce que je crois pouvoir dégager de ce texte.
Donc vous avez réellement entendu Ohlendorf dire que les biens des malheureux qui étaient exterminés dans ce camp étaient remis au ministre des Finances du Reich ? Je crois en effet que le témoin a affirmé quelque chose de semblable. Maintenant vous avez bien aussi...
Je l’ai entendu ici. Ces faits étaient nouveaux pour moi. Je ne savais pas non plus que la Reichsbank...
Vous nous l’avez déjà dit deux fois.
...que la Reichsbank s’était occupée de ces questions sur une si vaste échelle.
Prétendez-vous avoir ignoré que la Reichsbank se soit occupée de ces questions sur une si grande échelle ou même qu’elle se soit occupée de ces questions ? J’attache de l’importance à cette question. Quelle est votre réponse ? Que vous ne saviez pas qu’elle s’occupait de ces questions dans une si large mesure ou même que vous n’en aviez pas du tout connaissance ?
Je ne me suis jamais occupé de ces questions.
Enfin, vous étiez au courant ?
Non.
Vous n’en avez jamais entendu parler ?
Je n’ai pas su que la Reichsbank recevait des bijoux, des montres, des étuis à cigarettes et autres choses en provenance des camps de concentration. C’est nouveau pour moi.
Saviez-vous au moins que des objets, quels qu’ils fussent, étaient transmis à la Reichsbank en provenance des camps de concentration ?
Oui, l’or naturellement. Je l’ai déjà dit.
Des dents en or ?
J’ai déjà dit non.
Quel or venant des camps de concentration ?
L’or dont Puhl m’avait parlé. J’ai supposé alors qu’il s’agissait de pièces d’or, de tout ce qui, de toutes façons, devait être remis à la Reichsbank et, qu’aux termes des dispositions légales, elle pouvait utiliser. Je ne sais rien d’autre.
Qu’est-ce que Himmler vous a dit et que lui avez-vous répondu lors de votre entretien avec lui au sujet de cet or ayant appartenu aux victimes de camps de concentration ? Je crois que le Tribunal serait intéressé par cette conversation. Qu’avez-vous dit, que vous a-t-il déclaré et où l’entretien eut-il lieu ?
Je ne me rappelle plus où cet entretien a eu lieu. Je n’ai vu en effet Himmler que très rarement, je ne l’ai peut-être même vu qu’une ou deux fois. Je suppose que ce fut à l’occasion d’une visite chez Lammers, à son Quartier Général de campagne, où se trouvait aussi le Quartier Général de Himmler.
C’est là que cela a dû se passer et qu’à cette occasion une très très brève conversation eut lieu.
Un instant. Veuillez préciser quand elle a eu lieu ?
Eh bien, cela se passait peut-être en 1943, peut-être en 1944, je ne sais pas.
Bien.
Je n’ai, ma foi, attaché à la question aucune importance. J’ai demandé, en passant, à Himmler : « Il y a un dépôt d’or à la Reichsbank en provenance de chez vous, des SS. Ces Messieurs du directoire de la Reichsbank m’ont demandé s’ils pouvaient l’utiliser. » Là-dessus, il a répondu : « Oui ». Je n’ai pas échangé un seul mot avec lui au sujet de bijoux et objets de ce genre, ni surtout au sujet de dents en or. La conversation a été, sur ce point, tout à fait brève.
Voulez-vous nous dire qu’indépendamment de Himmler et de vous, un accord a été conclu avec votre banque entre un personnage des SS et un représentant de votre banque avec lequel celui-là a traité, et que ce n’est pas vous qui, à l’origine, avez conclu cet accord ?
Parfaitement, je n’y ai pas été mêlé.
Alors qui, à votre banque, a négocié cet accord ?
M. Puhl a dû s’en occuper ou quelqu’un d’autre du directoire de la Reichsbank, avec les représentants des entreprises gérées par les SS. Quant à moi, j’en ai simplement été très brièvement avisé par M. Puhl.
Connaissez-vous M. Pohl, P-O-H-L, des SS ?
Je suppose que c’est celui qui a négocié ; mais ce n’est pas à moi que M. Pohl en a parlé.
Vous ne connaissez pas cet homme ?
Oui, je l’ai bien rencontré, mais M. Pohl ne m’a jamais adressé la parole à ce sujet.
Où l’avez-vous vu ? A la banque ?
Oui, je l’ai vu une fois à la banque, alors qu’il était en train de déjeuner avec M. Puhl et avec d’autres personnes du directoire. J’ai traversé la salle où ils se trouvaient et je l’ai vu. Mais M. Pohl ne m’a jamais parlé personnellement de ces choses. Les faits que j’apprends maintenant sont tout à fait nouveaux pour moi.
Vous vous souvenez de la déposition que le témoin Höss a faite devant le Tribunal il n’y a pas si longtemps ? Vous souvenez-vous de cet homme ? Il était assis là où vous êtes présentement. Il nous a expliqué qu’il avait exterminé quelques 2.500.000 à 3.000.000 de Juifs et autres à Auschwitz.
Avant que je ne vous pose une question, j’aimerais que vous vous souveniez de cette déposition. Je vais vous rappeler quelque chose qui vous aidera. Il a dit — vous vous en souvenez — que Himmler l’avait convoqué en juin 1941 pour lui faire part de la solution définitive du problème juif et lui dire qu’il avait été choisi pour mener cette extermination. Vous vous souvenez que lors de son retour il avait visité les installations d’un camp en Pologne et décidé qu’elles n’étaient pas assez importantes pour l’anéantissement de si nombreuses personnes et que, par suite, il fallait faire construire des chambres à gaz capables de recevoir 2.000 personnes à la fois, si bien que son programme d’extermination ne pouvait pas être commencé avant l’automne 1942 ? Vous vous souvenez que votre collaborateur et ami Puhl a révélé que ces envois des SS commencèrent en 1942 ?
Non, je ne sais pas quand ils ont commencé. Je ne sais pas quand ces faits se sont déroulés, je n’y ai pas été mêlé. J’apprends pour la première fois que la Reichsbank a joué un rôle de cette importance en la matière.
Si je vous comprends bien, vous niez catégoriquement avoir su, à un moment quelconque, quoi que ce fût de ces transactions entre les SS et la Reichsbank, au sujet des victimes des camps de concentration. Même après avoir vu ce film, après la déclaration sous serment de Puhl, vous niez tout, catégoriquement ?
Dans l’esprit de mes déclarations précédentes.
Si je vous ai bien compris, vous reconnaissez le dépôt d’or, mais rien d’autre ? Telle est votre déclaration ? Laissez-moi encore vous demander quelque chose, Monsieur Funk...
Oui. Je ne savais absolument pas que des choses de ce genre se soient passées de façon aussi courante.
Bien. Vous vous rappelez vous être une fois au moins et peut-être même deux, effondré et avoir pleuré pendant votre interrogatoire. Vous vous souvenez avoir avoué à l’époque être un criminel, et vous vous êtes expliqué hier à ce sujet. Vous vous rappelez ces larmes ? Je vous pose la question. Il n’y a aucun doute que cela a eu lieu. J’essaye en ce moment de préparer une autre question. De toute façon, vous vous souvenez que cela a eu lieu ?
Oui.
Et vous avez dit : « Je suis un criminel ». Hier vous expliquiez le fait en disant que vous étiez bouleversé par la situation générale. Je pense cependant que cette affaire, que nous discutons depuis hier, a toujours pesé sur votre conscience et qu’elle vous accable réellement, qu’il plane une ombre sur vous depuis que vous vous trouvez en détention. N’est-il pas temps enfin que vous expliquiez franchement au Tribunal ce qui s’est passé ?
Je ne peux en dire plus au Tribunal que je l’ai fait jusqu’ici, c’est-à-dire la vérité. Ce que M. Puhl a déclaré, il en répondra devant Dieu. Quant à moi, je réponds de ce que j’ai dit. Il ne fait aucun doute pour moi que M. Puhl essaie de rejeter la faute sur moi et de se disculper ainsi. S’il a agi de la sorte pendant des années avec les SS, c’est de sa faute et il en est responsable. D’ailleurs, je ne lui ai pas parlé plus de deux ou trois fois de toutes ces affaires-là, de ces choses auxquelles j’ai fait allusion ici.
Vous voulez rejeter la faute sur Puhl, n’est-ce pas ?
Non. Il m’accuse, et je récuse ses dires.
Le malheur est que cet or est taché de sang, n’est-ce pas ? Et vous le saviez depuis 1942 ?
Je n’ai pas compris.
J’aimerais vous poser encore une ou deux questions sur deux documents très brefs. Cela ne prendra pas beaucoup de temps. Vous avez dit au Tribunal hier que vous n’avez rien eu à voir avec le pillage des pays occupés. Vous savez ce qu’était la Roges-Gesellsehaft ?
Oui. Je ne connais pas les détails de l’activité de cette société. Je sais seulement qu’elle était chargée officiellement de procéder à des achats pour de nombreux services du Reich.
Cette société Roges achetait en France au marché noir avec les disponibilités du fonds alimenté par les frais d’occupation.
J’étais opposé à ces achats au marché noir.
Je ne vous demande pas si vous étiez pour ou contre de tels achats. Je vous demande simplement si, en fait, vous avez effectué de tels achats ?
Je ne le sais pas.
Et bien, veuillez considérer le document PS-2263, rédigé par un de vos collaborateurs, le Dr Landfried, que vous avez également cité comme témoin et dont vous avez reçu un questionnaire dûment rempli. C’est une lettre du 6 juin 1942 adressée au chef de l’OKW, service administratif :
« En réponse à ma lettre du 25 avril 1942 », etc., « 100.000.000 de Reichsmark ont été mis à ma disposition sur le compte B des frais d’occupation par le Haut Commandement des Forces armées. Cette somme a déjà été utilisée, à l’exception de 10.000.000 de Reichsmark, car les besoins de la société commerciale de matières premières Roges, Berlin, société à responsabilité limitée, pour l’acquisition en France de marchandises au marché noir, ont été très lourds. Afin d’éviter toute interruption des achats nécessités par la guerre, d’autres sommes prélevées sur le fonds alimenté par les frais d’occupation devront être mises à notre disposition.
« D’après les indications de la Roges et de la section économique du Commandement militaire en France, 30.000.000 de Reichsmark en francs français sont nécessaires tous les dix jours pour des achats de ce genre, comme d’après les rapports de Roges, une intensification des achats est à escompter, il ne suffira pas que les 100.000.000 de Reichsmark restant soient mis à notre disposition, comme je l’ai demandé dans ma lettre du 25 avril 1942. Une somme supplémentaire de 100.000.000 de Reichsmark sera en outre nécessaire. »
Il ressort nettement de cette lettre, qui a été écrite par le Dr Landfried, votre collaborateur, que la Roges, qui a été créée par votre ministère, se livrait à des affaires de marché noir en France, avec de l’argent extorqué aux Français par le moyen des frais d’occupation abusifs. N’est-ce pas vrai ?
Il est certain que la Roges a procédé à de tels achats. D’ailleurs, ces sujets ont déjà été traités ici une fois à l’occasion des directives et instructions données par les services du Plan de quatre ans pour ces achats effectués au marché noir. Mais ici il s’agit d’achats et de transactions autorisés par l’État et dirigés par ses services.
Ce à quoi nous nous sommes particulièrement opposés, c’est aux achats non contrôlés au marché noir. J’ai déjà mentionné hier que j’avais réussi à obtenir du Reichsmarschall une ordonnance selon laquelle tous les achats au marché noir devaient cesser car ces achats avaient évidemment pour conséquence un accaparement des marchandises destinées au marché officiel.
Oui, vous nous l’avez expliqué. C’était en 1943 et il ne restait en France plus grand-chose à acheter, que ce soit au marché noir, au marché officiel ou à tout autre marché. N’est-ce pas vrai ? L’occupant avait épuisé le pays, comme cette lettre en témoigne.
En 1943, nous recevions encore, je crois, beaucoup de choses de France. On continuait à produire de façon continue en France, et en quantité considérable. Il ressort des statistiques officielles françaises qu’en 1943 une grosse partie de la production totale était dirigée sur l’Allemagne et que le volume de ces marchandises n’était certainement pas inférieur à celui des marchandises expédiées en 1941 et 1942.
Bien. Quoi qu’il en soit, je désire également vous parler un peu de la Russie car, si je vous ai bien compris, vous avez dit hier soir que vous n’avez pas eu grand-chose à voir à la question. Schlotterer était votre créature : c’est lui qui avait été chargé de travailler avec Rosenberg, n’est-ce pas ?
Dès le début, j’avais dépéché le directeur ministériel Schlotterer auprès de Rosenberg afin qu’il n’y eût pas deux services économiques travaillant en Russie, mais un seul, celui du ministre compétent pour les territoires occupés à l’Est.
C’est tout ce que je désire savoir. On lui confia la tâche de coopérer au plan de pillage, en Russie, de matières premières, de machines et autres biens, et cela pendant une période non négligeable. Quant à vous, vous étiez au courant, n’est-ce pas ?
Non, ce n’est pas exact, ce n’est pas cet homme qui a fait cela. Ces transactions ont été menées par le service économique « Ost », je ne sais pas exactement comment cela s’appelait, ou plutôt par le Plan de quatre ans. Ce n’est pas le ministère Rosenberg qui les a menées, que je sache, et, en tout cas, ce n’est pas le ministère de l’Économie.
La conjoncture est différente et vous nous racontez une autre histoire. Aussi est-il préférable de nous en tenir à votre interrogatoire. Le 19 octobre 1945, vous avez été entendu ici, à Nuremberg, et on vous a posé les questions suivantes :
« Question
... Et un point de ce plan consistait à aller chercher des machines, du matériel et des marchandises en Russie, pour les diriger sur l’Allemagne, n’est-ce pas ? »
Et vous avez répondu : « Oui certainement, mais je n’y ai pas participé. Cependant, il est évident qu’il en a été ainsi. »
La question suivante : « Et vous avez personnellement participé aux discussions portant sur ce plan, ainsi que le Dr Schlotterer, votre représentant ?
« Réponse
Personnellement, je n’y ai pas participé.
« Question
Mais vous avez donné pleins pouvoirs au Dr Schlotterer ?
« Réponse
Oui. Schlotterer me représentait dans le domaine économique au ministère Rosenberg. »
Non, ce n’est pas exact. Cette déclaration est tout à fait confuse car Schlotterer est passé au ministère Rosenberg, où il est devenu directeur du service économique. Cette déclaration n’est pas exacte non plus en ce sens que nous avons certainement amené en Russie beaucoup plus de machines que nous n’en avons enlevées. Car lorsque nos troupes sont arrivées en Russie, tout était détruit et, pour remettre sur pied l’économie de ce pays, nous avons été obligés d’amener d’Allemagne en grande quantité des machines et autres bien qui furent investis là-bas.
Vous prétendez donc que vous n’avez pas fait ces réponses au cours de votre interrogatoire ?
Non, les réponses ne sont pas exactes.
Voyez-vous, il est très intéressant que vous nous ayez dit hier que les réponses aux questions du commandant Gans étaient inexactes. Alors je vous ai à nouveau entendu hier et vous affirmez que c’est également inexact. Maintenant, on vous questionne une troisième fois et vous prétendez à nouveau qu’il y a des inexactitudes.
Non, ce qui est inexact, c’est ce que j’ai dit, moi.
Naturellement, c’est justement ce que j’affirme.
C’est faux.
En tout cas, je verse au dossier cet interrogatoire. Si le Tribunal me le permet, je le ferai un peu plus tard, lorsqu’il se présentera sous une forme plus adéquate.
Vous voudrez bien indiquer alors le numéro et tous les éléments nécessaires.
Parfaitement. Je n’ai pas d’autre question à poser pour l’instant.
Est-ce qu’un autre procureur désire contre-interroger le témoin ?
Après l’interrogatoire de M. Dodd, je n’ai que plus quelques questions complémentaires à poser. (A l’accusé.) Vous avez déclaré hier que votre ministère, au moment de l’agression contre l’Union Soviétique, n’avait que des pouvoirs très limités, et que vous-même n’étiez pas un ministre aux pouvoirs très étendus. Je voudrais, à ce sujet, vous poser quelques questions sur l’organisation du ministère de l’Économie. Connaissez-vous ce livre de Hans Quecke, intitulé Le ministère de l’Économie du Reich. Avez-vous entendu parler de ce livre ?
Non.
Vous ne le connaissez pas ? Connaissez-vous le nom de Hans Quecke ?
Hans Quecke ?
Oui, Hans Quecke.
Quecke ? Hans Quecke ?
Parfaitement. Quecke, conseiller au ministère de l’Économie.
Quecke était directeur ministériel au ministère de l’Économie.
Oui, et, bien entendu, il connaissait fort bien la structure du ministère et les prérogatives dont il jouissait, n’est-ce pas ?
Certainement. Il devait le savoir.
Je dépose ce livre devant le Tribunal sous le numéro URSS-451. Témoin, vous allez recevoir la photocopie d’un passage de ce livre pour que vous puissiez me suivre. Je vous prie d’ouvrir le livre à la page 65, dernier paragraphe. Avez-vous trouvé le passage en question ?
Je ne l’ai pas trouvé encore. Je vois seulement...
Page 65, dernier paragraphe de la page...
Oui.
L’avez-vous trouvé ?
Sur l’organisation du ministère de l’Économie du Reich ?
Il s’agit de l’organisation du ministère de l’Économie en date du 1" juillet 1941. Votre représentant était un certain Dr Landfried. Est-ce ce même Landfried dont votre avocat a présenté un affidavit ?
Oui.
Je vous demanderai de suivre le texte :
« Landfried dirigeait un service spécial qui s’occupait de questions de principe intéressant la répartition des matières premières et l’économie de guerre. »
Accusé Funk, je vous demande...
Un instant, un instant. Où ce passage figure-t-il ?
Paragraphe 2 de la deuxième partie. Avez-vous maintenant trouvé le passage en question ? Paragraphe 2 de la deuxième partie.
Non, je ne trouve rien qui concerne l’économie de guerre. Je ne vois rien sur l’économie de guerre, l’organisation à l’étranger...
Paragraphe 2, deuxième partie.
Je ne vois rien sur l’économie de guerre.
Je vais lire le paragraphe en entier. Nous en viendrons plus tard au paragraphe concernant l’organisation à l’étranger.
II s’agit d’un département spécial.
Oui, un département spécial.
Dépendant directement du secrétaire d’État, comme il est indiqué ici : Service S, service spécial, questions de principe intéressant la répartition des matières premières, questions de principe intéressant l’économie de guerre, questions...
Économie de guerre. C’est ce dont je parle. Du sous-secrétaire d’État dépendaient les questions de principe intéressant les marchés commerciaux, les échanges et les questions de douanes. Le ministère se composait de cinq sections principales. Est-ce exact ?
Oui.
A la tête de la troisième section de ce ministère se trouvait Schmeer, n’est-ce pas ?
Oui.
Et vous aviez une section spéciale qui avait pour raison d’être la libération de l’économie de l’emprise juive. Cela dès 1941. Ai-je raison ?
Oui, oui. C’était là qu’on étudiait ces questions, c’est exact. C’est là qu’étaient déterminées les modalités d’exécution dont nous avons parlé très longuement hier.
Accusé Funk, je vous demanderai de suivre le texte. La quatrième section avait pour chef le Ministerial-director Dr Klucki, et contrôlait les banques, les devises, le crédit et les assurances. Est-ce exact ?
Oui.
Je pense que vous connaissez l’organisation de votre propre ministère et il n’est pas nécessaire de perdre notre temps à expliquer tout cela. Vous savez que la cinquième section était dirigée par le secrétaire d’État von Jagwitz ?
Cette section s’occupait des problèmes économiques particuliers à différents pays et elle avait à traiter les questions de l’économie de guerre intéressant l’étranger. Est-ce exact ?
Oui.
Cette même section était responsable des paiements à l’étranger et des dépôts confisqués ?
Je ne comprends pas. Il s’agit ici du service des exportations. Ce service était chargé de mettre à exécution dans ses détails techniques le programme d’exportations.
Parlons de la section des devises. Vous avez trouvé le passage ?
Oui.
Vous voyez qu’il est question ici de crédits bloqués. Aviez-vous quelque chose à voir aux travaux que votre ministère effectuait en collaboration avec l’office de politique étrangère de la NSDAP ? Avez-vous compris ma question ?
Oui.
Vous aviez dans votre ministère une section spécialement chargée de ces questions ?
Elle était seule à s’en occuper. Cela tenait au fait que le sous-secrétaire d’État von Jagwitz, qui était chef de cette section principale, s’occupait également de l’organisation des Allemands à l’étranger, avec laquelle il restait personnellement en liaison au ministère par l’intermédiaire d’un office qu’il avait lui-même créé pour traiter des problèmes économiques posés par l’organisation au ministère ou plus spécialement au service chargé des exportations et du commerce avec l’étranger. Mais tout cela concernait exclusivement la personne de von Jagwitz qui appartenait en même temps à l’organisation des Allemands à l’étranger avec laquelle il restait, comme auparavant, en contact.
II faut donc comprendre que la section de politique étrangère possédait, en ce qui concernait l’étranger, certains pouvoirs en matière économique et que cette section coopérait avec votre ministère ? N’est-ce pas exact ?
Non, ce n’est pas exact.
Mais alors à quoi servait cette section ?
Il ne s’agit pas là d’un service particulier. Le sous-secrétaire d’État von Jagwitz faisait en même temps partie de l’organisation des Allemands à l’étranger. Je ne sais d’ailleurs pas quelles fonctions il y occupait. Mais il collaborait déjà à cette organisation quand il fut pris par le Reichsmarschall au ministère. Il ménagea alors lui-même dans son service une sorte de bureau de liaison avec l’organisation des Allemands à l’étranger, c’est-à-dire que souvent arrivaient à Berlin des économistes, en provenance de l’étranger, membres de l’organisation de la NSDAP des Allemands à l’étranger, qui venaient informer le sous-secrétaire d’État von Jagwitz de leurs expériences à l’étranger et de ce qu’ils y faisaient. C’est tout ce que je sais.
Vous voulez donc nous persuader que ce n’était là qu’une initiative privée de von Jagwitz et que vous, ministre, ne saviez rien ?
Mais si, j’en avais connaissance et cela se passait naturellement avec mon consentement.
Suivez le texte et écoutez ce que je vais dire. Je cite le dernier paragraphe. Il est conçu en ces termes :
« A la cinquième section est dévolu le service AO (organisation à l’étranger) du ministère de l’Économie du Reich. Il assure la coopération entre le ministère et l’organisation de la NSDAP des Allemands à l’étranger. »
Par conséquent, il ne s’agit pas là d’une initiative privée de von Jagwitz, comme vous avez voulu nous le faire croire. Cette section était l’un des services de votre ministère. Avez-vous trouvé ce passage ?
Oui. M. von Jagwitz dirigeait ce service de coordination. Il ne regardait, pour l’essentiel, que sa propre personne. C’était là le service chargé de coordonner le travail avec l’organisation des Allemands à l’étranger, coopération qui allait de soi dans la plupart des cas. Je ne vois pas ce qu’il peut y avoir là d’extraordinaire ou de criminel.
Nous reviendrons sur cette question. (Au Tribunal.) Monsieur le Président, je voudrais maintenant passer à autre chose. Convient-il de suspendre maintenant l’audience pendant quelques instants ? J’ai encore quelques questions à poser.
Bien. Le Tribunal suspend l’audience.
Vous avez déclaré hier avoir reçu les pleins pouvoirs en matière économique. Mais le véritable porteur du titre de délégué général à l’Économie était Schacht, et vous, vous n’étiez que plénipotentiaire de seconde catégorie. Vous souvenez-vous votre article intitulé « Mobilisation économique et financière » ? Vous souvenez-vous encore de ce que vous aviez écrit à l’époque ?
Non.
Bien. Nous n’allons pas gaspiller notre temps. Je vais vous le rappeler. Je présente comme preuve au Tribunal sous le numéro URSS-452 un article de Funk publié dans la revue mensuelle de la NSDAP et du Front allemand du Travail Der Schulungsbrief en 1939. Vous écriviez alors :
« Appelé par le Führer aux fonctions de délégué général à l’Économie, il me faudra veiller à assurer en période de guerre dans le domaine économique également la mise en jeu intégrale de toute l’énergie et de toute la combativité de la nation. »
Avez-vous trouvé ce passage ?
Oui, je l’ai trouvé.
Vous écriviez ensuite :
« L’intervention de l’Économie dans la poursuite des grands desseins politiques du Führer n’exige pas seulement, à la vérité, une direction unique et stricte en matière d’économie politique, mais encore une synchronisation attentive. L’industrie, le ravitaillement, l’agriculture, les eaux et forêts, le commerce extérieur, les transports, la répartition de la main-d’œuvre, la réglementation des salaires et des prix, le financement et les prêts doivent être lancés dans la balance selon un plan d’ensemble, pour que toutes les forces économiques soient mises au service de la défense du Reich. En vue de la réalisation de cette tâche, j’ai, en tant que délégué général à l’Économie, placé dans les services dirigés par moi les autorités administratives du Reich compétentes pour ce travail. »
Vous admettez avoir écrit cela en 1939 ?
Oui.
Ma question ne vous semble-t-elle pas claire ?
Il a dit : « Oui. »
J’ai dit oui. Assurément, j’ai écrit cela.
Vous répondez donc par l’affirmative ? Avez-vous eu connaissance du « Dossier Vert » de Göring, publié en 1941 ? Il a déjà été lu ici devant le Tribunal. Il s’agit de directives économiques, ou plutôt de directives organisant la mise à sac des territoires occupés de l’URSS.
Quelle a été votre part dans l’élaboration de ces directives ?
Je n’en sais rien. Je ne sais même plus si j’y ai coopéré.
Vous ne vous en souvenez pas ? Comment se fait-il que de tels documents aient été établis sans votre collaboration, vous qui étiez ministre de l’Économie, directeur de la Reichsbank, délégué général à l’Économie et l’Armement ?
Premièrement, à cette époque, je n’étais plus délégué général à l’Économie. Je n’ai jamais été délégué général à l’Armement. Les pleins pouvoirs du délégué à l’Économie ont été remis peu après le début de la guerre au délégué au Plan de quatre ans. Ce point a été souligné et confirmé plusieurs fois. Quant à ce que j’ai pu personnellement entreprendre à l’époque qui regarde la conduite de l’Économie dans les territoires de l’Est, ce ne peut être que très minime. Je ne m’en souviens pas car la direction de la totalité de l’Économie des territoires de l’Est était entre les mains du grand État-Major économique de l’Est et du délégué au Plan de quatre ans, et ce service travaillait naturellement avec le ministère Rosenberg, qui s’occupait spécialement des régions occupées de l’Est.
Personnellement, je me rappelle simplement qu’au bout d’un certain temps, le ministère de l’Économie, comme je l’ai déjà dit, chargea des négociants privés et des agents commerciaux, originaires de Hambourg, Cologne et autres villes, de déployer pour des particuliers une certaine activité commerciale dans les territoires occupés de l’Est.
Oui, nous le savons déjà. Nous n’ignorons pas l’activité qu’ils ont déployée là-bas. Vous qualifiez d’activité commerciale ce qui est tout bonnement du pillage. Vous souvenez-vous du discours que vous avez tenu à Prague en décembre 1941, lors d’une réunion de la Südosteuropa-GeselIschaft ou dois-je vous le rappeler ?
Non.
Ce n’est pas nécessaire ?
Lors de l’enquête préliminaire, le général Alexandrov me l’a fait remarquer et, déjà à cette époque, je lui ai fait savoir qu’il s’agissait d’une information de presse erronée sur mon compte, qui avait été rectifiée plus tard, quelque temps après.
Une minute, accusé Funk. Vous devancez quelque peu les faits. Vous ne savez pas encore ce que je veux vous demander. Écoutez d’abord ma question, vous répondrez ensuite. Vous avez déclaré devant le Tribunal n’avoir pris part à aucune des conférences tenues chez Hitler au cours desquelles les objectifs économiques et politiques de l’agression contre l’URSS ont été discutés ; que toutes les ordonnances et déclarations de Hitler relatives au démembrement territorial de l’Union Soviétique vous étaient inconnues.
Dans votre discours, vous avez pourtant déclaré que l’Est deviendrait une colonie de l’Allemagne. Avez-vous dit que l’Est deviendrait une colonie de l’Allemagne ?
Non, je l’ai déjà contesté au cours de l’enquête préliminaire. Lorsqu’on me l’a reproché, j’ai immédiatement rectifié qu’il ne s’agissait que de territoires anciennement colonisés par les Allemands. M. le général Alexandrov peut le confirmer. C’est lui qui m’a interrogé.
Je n’ai pas l’intention d’appeler le général Alexandrov à la barre. Je vous demande : avez-vous déclaré ce qui est écrit ici ?
Non.
Vous avez dit qu’il n’était pas nécessaire de vous le rappeler. Mais voici ce que contenait votre discours. Je vais vous citer textuellement le passage :
« Les vastes régions à matières premières de l’Est européen, encore fermées à l’Europe, seront transformées en une colonie dont on veut espérer beaucoup pour l’Europe. » De quelle Europe, de quelles anciennes régions allemandes avez-vous parlé en décembre 1941 comme vous essayez de le faire croire au Tribunal. Je vous le demande.
Je n’ai pas dit cela. Je n’ai pas parlé de régions à coloniser, mais des anciennes régions de colonisation allemandes. J’ai parlé des anciens territoires colonisés par l’Allemagne.
Oui, mais ici il n’est pas question des anciennes colonies, mais de nouveaux territoires que vous vouliez conquérir.
Mais ces territoires étaient déjà conquis, nous n’avions plus besoin de les conquérir, puisque les troupes allemandes les avaient déjà conquis.
Non. On ne savait pas que vous les aviez conquis, car vous vous étiez déjà retirés de ces régions. Vous avez déclaré avoir été président de la Continental-01-Gesellschaft. Cette compagnie avait été créée pour l’exploitation de la production pétrolière des régions occupées à l’Est, particulièrement des régions de Bakou et de Grosny. En est-il bien ainsi ? Répondez par oui ou par non.
Ce n’était pas seulement des territoires envahis que cette société s’occupait. Son activité s’étendait aux pétroles de toute l’Europe. Elle tira son origine de nos participations aux pétroles de Roumanie et lorsque, par la suite, les troupes allemandes occupèrent des régions où l’on produisait du pétrole, cette compagnie, qui était une institution du Plan de quatre ans, fut chargée par les services compétents, services de l’Économie de guerre et du Plan de quatre ans et, plus tard, par l’Armement, de poursuivre la production du pétrole et de reconstruire les régions dévastées productrices de pétrole. C’est une société qui mena à bien un effort de reconstruction considérable. Personnellement, j’étais président du conseil d’administration et n’ai, en gros, procédé qu’au financement de cette société.
Je l’ai déjà entendu. Mais vous n’avez pas répondu à ma question. Je vous ai demandé si les puits de pétrole de Grosny et de Bakou devaient être exploités par cette société ? Les puits de pétrole du Caucase ne constituaient-ils pas le plus gros du capital de la Continental-01-Gesellschaft ?
Non.
Non ? Merci, cette réponse me suffit.
Ce n’est pas exact. Nous n’avions pas conquis le Caucase. Par suite, la Continental-01-Gesellschaft ne pouvait pas avoir une activité dans le Caucase.
Bien. Mais Rosenberg, à cette époque, avait déjà élaboré son rapport sur la conquête du Caucase et de son exploitation. Vous souvenez-vous qu’ici, devant le Tribunal, on a lu le compte rendu sténographique d’une conférence tenue chez Göring, le 6 août 1942. Il s’agissait d’un entretien avec. les commissaires du Reich pour les régions occupées. Vous souvenez-vous de cette réunion ?
Oui.
Vous avez pris part à cette conférence ?
Je n’en sais rien. Au cours de cette conférence on aurait discuté, dites-vous, des régions pétrolifères du Caucase ? Je n’en sais rien.
Non, je n’ai rien dit à ce sujet. Je vais vous poser une question et vous répondrez ensuite. Je vous demande si vous avez pris part à cette conférence ?
Je ne m’en souviens plus, peut-être.
Vous ne vous en souvenez pas ?
Non.
Dans ce cas, on va vous montrer ce document. Il a déjà été présenté au Tribunal et lu également. C’est le document URSS-170. Il a été déjà présenté. Comme on l’a établi, on traite à cette conférence des mesures de pillage économique à appliquer aux régions occupées en Union Soviétique, Pologne, Tchécoslovaquie, Yougoslavie et autres pays. Au cours de cette conférence, l’accusé Göring s’est même adressé à vous. Vous souvenez-vous maintenant, oui ou non avoir, assisté à cette conférence ?
Oui, je m’en souviens. Mais ce que Göring me communiqua alors se référait au fait qu’après l’occupation des territoires russes, qui était depuis longtemps un fait accompli, nous devions y dépêcher des négociants, comme on le rapporte dans ce document, qui auraient pour mission de ramener certaines marchandises présentant un intérêt pour la population. On dit textuellement :
« Des négociants doivent être envoyés là-bas. Il faut les expédier à Venise afin d’y acheter ces denrées, etc. qui seront revendues dans les territoires russes occupés. » Voilà ce que Göring m’a communiqué et c’est consigné dans ce document.
Ce n’est pas ma question, accusé Funk. Je vous demande si vous assistiez oui ou non à cette conférence. Pouvez-vous répondre à cette question ?
Certainement. Si Göring m’a parlé, c’est que je devais assister à cette conférence. C’était le 7 août 1942.
Accusé Funk, vous avez répondu ici à certaines questions de M. Dodd relatives aux accroissements de la réserve d’or de la Reichsbank. Je vous pose la question suivante : vous avez déclaré que les réserves d’or de la Reichsbank n’avaient été accrues que de l’or de la banque de Belgique. Ne saviez-vous donc pas qu’il a été volé 23.000 kilos d’or à la banque de Tchécoslovaquie, qui ont été transférés à la Reichsbank ?
Je ne savais pas que cet or avait été volé.
Que saviez-vous alors ?
J’ai expressément déclaré hier ici que les réserves d’or s’étaient, pour l’essentiel, accrues de l’or de la banque nationale tchèque et de celui de là banque de Belgique. J’ai moi-même mentionné hier celui de la banque nationale tchèque.
Je ne vous parle pas de la banque de Belgique, mais de la banque de Tchécoslovaquie.
Parfaitement. Je l’ai mentionnée hier. J’ai dit hier...
Il vient de la dire. Il a dit qu’il avait mentionné l’or tchécoslovaque.
Monsieur le Président, hier il n’a pas parlé de la Tchécoslovaquie. C’est pourquoi j’ai posé aujourd’hui cette question. Si néanmoins il l’affirme aujourd’hui, je ne l’interrogerai plus à ce sujet. (A l’accusé.) Je passerai à la question suivante qui a trait à la Yougoslavie. Le 14 avril 1941, avant même l’occupation totale de la Yougoslavie, le Commandant en chef de l’Armée de terre publiait un communiqué applicable aux territoires occupés yougoslaves. Il s’agit du document URSS-140 déjà présenté au Tribunal. L’article 9 de ce document traite du cours forcé de la monnaie yougoslave : le taux du change se monte à vingt dinars pour un mark et, parallèlement au dinar yougoslave, les billets de banque de la Reichskreditkasse étaient introduits, de force comme moyens de paiement au même cours. Ces opérations monétaires permettaient aux envahisseurs allemands d’exporter de Yougoslavie à vil prix des marchandises et autres biens. Les mêmes opérations étaient conduites dans toutes les régions occupées. Je vous demande si vous reconnaissez que de telles opérations constituaient l’un des moyens de piller économiquement les territoires occupés ?
Non.
Bien.
Cela dépendait du taux auquel était fixé le cours. Dans certains cas, dans le cas de la France en particulier, je me suis prononcé contre un cours trop bas.
Un moment, s’il vous plaît, accusé. Vous avez déjà parlé de la France et je ne voudrais pas abuser inutilement des moments du Tribunal. Je crois que vous pouvez répondre à ma question.
Pour l’instant, je ne me rappelle plus les cours respectifs du Mark et du dinar. En général, pour autant que j’étais mêlé à la question, j’ai... je ne décidais pas, la décision était prise par le ministre des Finances et la Wehnnacht. Pour autant que j’étais mêlé aux discussions, j’ai toujours insisté pour que le cours ne s’éloignât pas trop du cours en vigueur par rapport au pouvoir d’achat de la monnaie. Présentement, je ne me rappelle plus le cours du dinar à cette époque. Naturellement, les troupes devaient avoir des billets de la Reichskreditkasse. Sans cela, il aurait fallu délivrer des bons de réquisition, ce qui est pire encore que de mettre en circulation un moyen de paiement officiel, comme d’ailleurs les Alliés le font chez nous en ce moment. En effet, le bon de réquisition est, pour la population d’un pays, beaucoup plus désavantageux et préjudiciable qu’un moyen de paiement reconnu. C’est pour cela que nous avons créé ces bons de la Reichskreditkasse.
Vous voulez donc dire que vous n’y étiez pour rien, mais que tout dépendait du ministre des Finances. Alors dites-moi si vous ne connaissez pas la déposition de votre adjoint Landfried, son affidavit qui a été présenté par votre défenseur. Vous ne vous souvenez pas qu’il a affirmé quelque chose d’entièrement différent. Il affirme que pour l’établissement du cours des devises dans les territoires occupés, votre avis était définitif et décisif. Vous n’êtes donc pas d’accord avec Landfried ?
Naturellement, on me consultait avant la fixation du cours, en tant que président de la Reichsbank. Mais chacune de mes actions tend à le confirmer, j’ai toujours fait en sorte que les nouveaux cours approchassent le plus possible les anciens cours du pouvoir d’achat, c’est-à-dire qu’il n’y eût pas de dévaluation.
Donc, le nouveau cours forcé était institué dans les pays occupés avec votre consentement et conformément à vos instructions, n’est-ce pas ?
Pas conformément à mes instructions. On me demandait seulement mon avis.
Votre avis ?
Il me fallait donner une autorisation, c’est-à-dire que le président de la Reichsbank devait donner son autorisation. Mais...
Merci. Cela me suffit. Je passe donc à la question suivante : Le 29 mai 1941, le Commandant en chef en Serbie publiait une ordonnance qui a déjà été présentée au Tribunal sous le numéro URSS-135. Cette ordonnance liquidait la banque nationale de Yougoslavie, et tous les biens étaient partagés entre l’Allemagne et ses satellites. A la place de la banque nationale yougoslave fut créée une banque fictive, dénommée banque nationale serbe, dont le directeur était le délégué allemand à l’Économie en Serbie. Pouvez-vous nous dire qui était délégué à l’Économie en Serbie ?
C’était probablement le consul général, Franz Neuhausen, délégué au Plan de quatre ans.
Oui, c’était Franz Neuhausen. C’était un collaborateur du ministère de l’Économie ?
Non.
Non ? Il n’a jamais travaillé au ministère de l’Économie du Reich ?
Neuhausen ? Non, jamais Neuhausen n’a travaillé au ministère de l’Économie du Reich.
C’était un collaborateur de Göring ?
Oui, c’est exact.
Donc, c’était aussi un collaborateur de Göring. Vous reconnaissez qu’une opération monétaire aussi particulière que celle par laquelle l’État et les citoyens yougoslaves se virent frustrer de milliards de dinars n’a pas pu être réalisée sans votre participation et sans la collaboration des services placés sous vos ordres ?
Je ne connais pas en détails les conditions dans lesquelles cette liquidation est advenue et comment a été fondée la nouvelle banque nationale de Serbie. Mais il va de soi que la Reichsbank a été mêlée aux transactions.
Je vais vous poser encore deux questions. De pair avec ce pillage au grand jour que constituaient les réquisitions et confiscations effectuées par les envahisseurs allemands dans les pays occupés de l’Est européen, vous avez également profité à l’extrême de toute la production économique de ces pays. Par le moyen de diverses mesures économiques et financières, comme par exemple la dévaluation monétaire, la saisie des banques, une baisse artificielle des salaires et des prix, vous avez poursuivi le pillage économique des territoires occupés.
Reconnaissez-vous que c’était bien là la politique allemande dans les territoires occupés de l’Est ?
Non.
Donc vous ne le reconnaissez pas ?
En aucune façon.
Je présente au Tribunal le document URSS-453 ou Ju-119. C’est un document nouveau constitué par des notes sur une conférence qui eut lieu le 22 avril 1942 chez le commissaire du Reich à l’établissement des prix. Assistaient à cette conférence tous les rapporteurs en matière de politique des prix dans les pays occupés. Je lirai quelques extraits de ce document. On lit à la page 2 :
« Les 5.500.000 étrangers se subdivisent en 1.500.000 prisonniers de guerre et 4.000.000 de travailleurs civils. »
Puis ce document indique :
« 1.200.000 travailleurs de l’Est, 1.000.000 en provenance des anciens territoires polonais, 200.000 ressortissants du Protectorat, 65.000 croates, 50.000 en provenance du reste de la Yougoslavie (Serbie), etc. »
Plus loin il est question du nivellement des prix :
« Le solde compensateur doit être porté au débit des pays fournisseurs bénéficiaires des reliquats du clearing, la plupart du temps les pays occupés. »
La page 14 indique : « Pour les régions occupées, ces considérations de politique des prix ne sont d’aucune importance, car en l’occurrence ce qui nous importe au plus haut point, ce n’est pas la population mais de tirer le maximum des possibilités économiques de ces pays. »
A la page 16 figurent les déclarations suivantes :
« En ce qui concerne les territoires occupés de l’Est, le conseiller ministériel Römer a déclaré que les prix là-bas sont de beaucoup inférieurs aux prix allemands et que, jusqu’à présent, il en est découlé des cascades de profits pour la Reichskasse. »
A la page 19 sont fournies des indications sur les avoirs de clearing de l’étranger ou plutôt sur les dettes du Reich vis-à-vis de ce même étranger, en tout 9.300.000.000 de Mark. Là-dessus revenait au Protectorat : 2.000.000 ; à l’Ukraine : 82.500.000 ; à la Serbie :
219.000.000 ; à la Croatie : 85.000.000 ; à la Slovaquie : 301.000.000. Enfin, il est écrit à la page 22 du document :
« Les prix dans les territoires occupés de l’Est sont maintenus au niveau le plus bas possible. Déjà des profits considérables ont été réalisés, mais employés à couvrir les dettes du Reich. Les salaires sont en général cinq fois moindres qu’en Allemagne. »
Vous devriez reconnaître qu’un pillage aussi méthodique que celui qui fut sur une gigantesque échelle pratiqué par les envahisseurs allemands ne pouvait passer inaperçu de vous, qui étiez ministre du Reich de l’Économie, président de la Reichsbank et délégué général à l’Économie ?
Je dois à nouveau souligner que, pendant la guerre, je n’étais plus délégué général à l’Économie. Mais il me faut prendre position vis-à-vis de ce document. En premier lieu, il est question du nombre des ouvriers amenés des pays occupés et aussi de l’étranger en Allemagne. J’ai moi-même souligné — ce qui a aussi été confirmé par d’autres déclarations — que j’étais foncièrement opposé à ce que des ouvriers fussent soustraits aux territoires étrangers occupés sur un rythme tel que l’équilibre économique de ces régions en fût compromis. Je fais abstraction de la réquisition forcée de ces ouvriers. Là-dessus, je me suis également déjà prononcé. Si un rapporteur, que je ne connais pas, dit dans ce document que, pour les régions occupées, des considérations de politique des prix n’auraient eu aucune importance car, en l’occurrence, le plus important n’aurait pas été la population mais l’exploitation des possibilités économiques du pays, je protesterai contre ce point de vue. En tout cas, ce n’est pas le mien. Je ne sais pas qui était ce rapporteur. En effet, il est très clair qu’une région ne peut pas produire de façon rationnelle si son économie n’est pas en ordre et si les prix ne sont pas calculés de telle sorte que les gens puissent vivre et que l’ordre social soit respecté. Donc, je me prononcerai également contre ce point de vue. En ce qui concerne les dettes de clearing, j’ai expliqué hier dans les détails que ce système de clearing était une façon de commercer usuelle en Allemagne et que, en tous temps, j’ai toujours reconnu et posé en fait que ces dettes de clearing étaient de véritables dettes qui devraient être remboursées après la guerre sur la base du cours du change au moment où ces dettes ont été contractées. Je ne vois donc pas là où était le pillage. Pour le reste, je me vois obligé de souligner une fois de plus avec force que l’économie des régions occupées n’était pas de mon ressort, que je n’y avais pas pouvoir pour promulguer des ordonnances. J’étais mêlé à ces questions dans la mesure seulement où je dépêchais des fonctionnaires aux différents services, comme n’importe quel autre ressort, et où ces services coopéraient naturellement avec leur département de la métropole. Mais je n’endosserai pas la responsabilité de l’Économie dans les territoires occupés. Le Reichsmarschall a lui-même expressément reconnu qu’à lui seul incombait la pleine responsabilité des questions économiques.
Je comprends que vous avez coopéré en la matière. Vous souvenez-vous des déclarations que vous avez faites le 22 octobre 1945, lors de votre interrogatoire ?
Quelles déclarations ?
Lorsque fut abordée la question du recrutement forcé des travailleurs étrangers, on vous a demandé si vous le saviez et si vous aviez protesté. N’est-ce pas exact ? Vous avez répondu : « Non. Pourquoi aurait-ce été moi qui aurait justement dû élever la protestation ? »
Non, ce n’est pas exact. J’ai protesté contre la réquisition forcée des travailleurs et également contre le fait que le nombre des ouvriers retirés aux régions occupées était tel que ces pays devenaient, au point de vue économique, incapables de produire. Ce n’est pas exact.
Encore une dernière question. Vous souvenez-vous d’un article publié dans le journal Das Reich, le 18 août 1940, à l’occasion de votre cinquantième anniversaire ? Cet article est intitulé : « Walter Funk, pionnier du système économique national-socialiste ». J’aimerais citer quelques passages de cet article :
« En activité depuis 1931 comme conseiller personnel et délégué du Führer en matière économique, Walter Funk, infatigable intermédiaire entre le Parti et les sphères économiques, a ainsi préparé la nouvelle attitude intellectuelle et morale des chefs d’entreprise allemands. Si, lors du bouleversement de 1933, l’opposition qui, depuis une décade, commandait la vie publique allemande, opposition du politique à l’économique et en particulier celle qui mettait aux prises hommes politiques et chefs d’entreprise, s’est évanouie d’un jour à l’autre ; si, à partir de ce moment, sans discontinuer, un dévouement toujours plus grand à la communauté devint le principe naturel de tout travail, c’est là le résultat méritoire du travail d’information entrepris, spécialement depuis 1939, par Funk.
Et ensuite, au dernier paragraphe de cet article : « Walter Funk est resté fidèle à lui-même parce qu’il a été et restera toujours un national-socialiste, un lutteur qui consacre tout son travail à la victoire des idéaux du Führer ».
Ce qu’étaient les idéaux du Führer, nous le savons tous, le monde entier le sait. Reconnaissez-vous que cet article juge avec exactitude votre travail et votre personne ?
Dans les grandes lignes, oui.
Je n’ai plus de questions à poser au témoin.
Que désirez-vous, Docteur Dix ?
Je n’ai qu’une seule question à poser au témoin, une question qui a été soulevée par le contre-interrogatoire de M. Dodd, que je ne pouvais pas poser plus tôt car c’est M. Dodd qui l’a soulevée.
Mais oui, continuez.
Témoin, M. Dodd vous a présenté l’un de vos contre-interrogatoires préliminaires selon lequel Schacht, après son départ, aurait encore disposé d’une pièce à la Reichsbank. Vous avez entendu ici le témoignage de Schacht. Il a bien spécifié qu’il ne pouvait plus prétendre occuper une pièce à la Reichsbank, mais que, le Gouvernement en avait mis une à sa disposition, et lui accordait une subvention pour son loyer. La secrétaire que Schacht avait fait venir de la Reichsbank était également rétribuée par le Gouvernement et non plus par la Reichsbank. Telle a été la déposition de Schacht. De votre réponse à M. Dodd, il ne ressort pas clairement si vous voulez en quoi que ce soit mettre en doute l’exactitude des déclarations de Schacht. Je vous prie de vous prononcer sur ce point,
Je né suis pas au courant de cette affaire de bureau du Dr Schacht. On m’indiqua en son temps à la Reichsbank qu’il venait encore souvent à la Reichsbank, où son bureau lui était réservé. Si ce renseignement n’est pas exact, ce n’est pas ma faute. Je ne doute pas un instant que ce qu’a dit le Dr Schacht soit exact. Il doit savoir mieux que moi s’il y disposait d’un bureau ou non.
Docteur Sauter, voulez-vous interroger encore l’accusé ?
Monsieur le Président, nous éprouvons avec cette audition finale de l’accusé Funk plus de difficultés qu’à l’ordinaire, car l’interprétation a été aujourd’hui spécialement laborieuse. Ce qui s’est dit ici, je ne l’ai, il me faut l’avouer franchement, que partiellement compris. Il en a peut-être été de même pour l’accusé. C’est pourquoi je me réserve le droit, Monsieur le Président, après avoir reçu le procès-verbal sténographique, de faire peut-être après coup quelque rectification, si la nécessité s’en fait sentir. Nous éprouvons quelque malaise, Monsieur le Président, non pas tant parce que l’accusé Funk s’est vu, au cours de son contre-interrogatoire, présenter un grand nombre de volumineux documents, nous nous sommes petit à petit habitués à ce genre de surprises, mais surtout parce qu’on a obligé l’accusé à se déclarer responsable de documents qui n’émanaient pas de lui, qui n’intéressaient pas sa sphère d’activité, qu’il n’avait pas
Docteur Sauter, le Tribunal n’a pourtant pas remarqué que l’accusé Funk n’ait pas été à même de comprendre entièrement une seule des questions à lui posées. Je pense que vous n’avez pas le moindre motif de protester et que vous devez continuer à l’interroger en lui posant les questions que vous voulez lui poser, c’est-à-dire les questions qui ont été soulevées par le contre-interrogatoire.
Cependant, Monsieur le Président, à nos écouteurs, de ce côté, nous n’avons pas compris la moitié des questions. Cela tient-il à nos écouteurs ou à toute l’installation, je ne puis le dire.
Si l’accusé Funk n’avait pas compris l’une quelconque des questions qui lui ont été posées, il l’aurait dit. Il ne nous en a cependant pas informé. Il a répondu à toutes les questions de façon logique et très judicieusement. Vous pouvez, si vous le voulez, lui demander s’il n’a pas compris l’une quelconque des questions qu’on lui a posées.
Docteur Funk, le Ministère Public vous a, entre autres, reproché d’avoir participé au pillage de la France. Est-il exact, à ce propos, que les marchandises, les objets de consommation venus de France étaient très souvent fabriqués avec des matières premières livrées par l’Allemagne ?
Certainement. Nous avons constamment, ce qui est naturel, fourni du charbon, du coke, du fer et d’autres matières premières à la France pour qu’on y puisse produire, tout particulièrement les matières premières dont ne disposait pas l’Économie française. Les échanges de produits étaient très étroits et les économies allemande et française formaient une communauté productive très intime. On avait même adopté les mêmes formes d’organisation.
Docteur Funk, on vient de vous lire, partiellement, un article écrit à l’occasion de votre anniversaire. Connaissez-vous l’auteur de cet article ?
Oui, de longtemps.
A-t-il, pour cet article, reçu en fait de vous quelque document ?
Non.
Même pas sollicité ?
Non. Je n’ai rien su par avance de cet article. Je n’ai commandé aucun article pour mon anniversaire.
Bien. En somme, vous n’avez rien su de cet article et, par suite, si je vous comprends bien, on ne pouvait garantir que le contenu de l’article fût absolument exact quant aux faits ?
Non. Mais je trouve que la tendance de cet article est, en général, très belle, la tendance...
Témoin, le représentant américain du Ministère Public vous a rappelé hier vos entretiens avec Rosenberg au printemps de 1941 et du fait que, peu de mois avant l’invasion de la Russie, vous aviez eu des conversations avec Rosenberg semblait vouloir déduire que vous auriez voulu reconnaître par là avoir su le projet de Hitler d’attaquer la Russie. Vous n’êtes pas parvenu à traiter la question hier. C’est pourquoi je voudrais vous donner encore une fois l’occasion de tirer tout à fait au clair ce que vous pensiez être les projets de Hitler lorsque, au printemps de 1941, vous avez conféré avec Rosenberg, et ce que vous aviez auparavant appris des raisons qui auraient pu éventuellement pousser à la guerre.
Je n’ai pas compris que la question du représentant américain du Ministère Public signifiât que j’aurais su quelque chose d’une guerre d’agression projetée contre la Russie. Il a lui-même expressément parlé de préparatifs de guerre du côté russe. En effet, j’avais moi-même expliqué précédemment que la nomination de Rosenberg m’avait extrêmement surpris et que, pour motiver sa nomination et son nouveau genre d’activité, aussi bien Rosenberg que Lammers m’avaient appris que le Führer s’attendait à une guerre avec la Russie, parce que la Russie procédait à de grosses concentrations de troupes sur toute la frontière orientale de l’Allemagne, parce que la Russie avait fait irruption en Bessarabie et en Bukovine, parce que les négociations avec Molotov avaient, à l’époque, apporté la preuve que la Russie poursuivait une politique d’agression envers les Balkans et les territoires de la Baltique, en conséquence de quoi l’Allemagne se sentait menacée et devait procéder à des préparatifs en vue d’une guerre éventuelle avec la Russie. J’ai aussi clairement expliqué, concernant la séance mentionnée par le représentant américain du Ministère Public, que je n’avais approuvé les mesures financières dont on a parlé ici que parce qu’elles créaient des conditions monétaires stables dans les territoires occupés de l’Est. J’étais donc contre l’introduction dans ces régions du Reichsmark allemand, que la population russe n’aurait d’ailleurs pu adapter, ne sachant le lire.
Témoin, le représentant soviétique du Ministère Public n’a cessé de souligner que vous n’aviez pas seulement été président de la Reichsbank et ministre de l’Économie du Reich, que vous aviez aussi été délégué général à l’Économie ? Vous avez déjà rectifié et souligné que, dès le début de votre nomination, vos pouvoirs de délégué général à l’Économie avaient pratiquement été dévolus à Göring et que, je crois en décembre 1939, ces pouvoirs de délégué général à l’Économie avaient définitivement été transmis à Göring.
Je désirerais m’élever non seulement contre la forme, mais encore contre la teneur de cet interrogatoire. En fait, c’est le défenseur qui dépose lui-même et, à la vérité, sur des sujets dont le témoin a déjà témoigné au cours de son interrogatoire proprement dit. Il est clair que cette matière ne peut être d’aucun secours au Tribunal qui demandait un interrogatoire complémentaire.
Docteur Sauter, trouvez-vous raisonnable que le témoin répète encore une fois ce qu’il a déjà dit ? L’unique objet de ce nouvel interrogatoire complémentaire est de tirer au clair quelques questions qui, au cours du contre-interrogatoire, n’ont pas été traitées assez à fond. Le témoin s’est déjà prononcé sur les questions dont vous vous occupez présentement et sous l’angle où vous les posez maintenant.
Je n’ai fait ces remarques préalables, posé ces faits que parce que je veux maintenant poser une question relative à un document qui a seulement été présenté hier, qui ne l’avait pas été précédemment et à propos duquel je n’avais pu, en conséquence, prendre jusque là position. Et puisque le représentant soviétique du Ministère Public a ici, à maintes reprises, lancé l’affirmation que l’accusé aurait encore été, pendant la guerre, délégué général à l’Économie, bien que la chose ne soit pas exacte, Monsieur le Président...
J’ai moi-même entendu le témoin répéter à maintes reprises qu’il n’avait pas été pendant la guerre délégué général à l’Économie. Il l’a répété maintes fois.
Oui, mais on l’a affirmé à maintes reprises, Monsieur le Président. Hier, un document a été présenté sous le numéro EC-488.
De quel document vous occupez-vous ?
EC-488. Il a été présenté hier. EC-488, un écrit du 28 janvier 1939. En majuscules sur la première page figure le mot « Secret ». Ici, sur l’original, l’entête, en caractères d’imprimerie, mentionne : « Le délégué général à l’Économie de guerre ». Voilà pour ce qui est de l’en tête de ce papier. Mais sur cet original, le mot guerre est explicitement barré, si bien qu’en fin de compte on ne lit plus que : « Le délégué général à l’Économie ». C’est donc qu’avant le 28 janvier 1939, le titre de — je le répète textuellement — de délégué général à l’Économie de guerre avait été transformé en un nouveau titre, celui de « délégué général à l’Économie ». Je demanderai maintenant que l’accusé...
Oui, bien. L’exemplaire que nous avons ici ne comporte pas le mot « guerre ».
Il figure sur ma photocopie.
Je le vois, mais quelle question voulez-vous poser ?
A l’époque où cette lettre fut écrite, le délégué général était l’accusé Funk. Mais je vous demanderai maintenant de m’autoriser à lui poser la question suivante : comment s’explique-t-il que le titre de son service, à savoir « Délégué général à l’Économie de guerre »... Cette question sera conçue en ces termes : Comment vous expliquez-vous, témoin, que le titre de votre service : « Délégué général à l’Économie de guerre » se soit transformé en un nouveau titre de « Délégué général à l’Économie » ?
La raison en est que...
Un moment, Docteur Funk.
Je ne vous ai pas demandé d’en finir avec ce point. Posez votre question. Comment est-elle conçue ?
Docteur Funk, s’il vous plaît.
La raison en est qu’aux termes de l’ancienne loi de défense du Reich, Schacht avait été nommé délégué général à l’Économie de guerre, mais qu’avec la seconde loi de défense du Reich, c’est moi qui ai été nommé et, cette fois, délégué général à l’Économie parce que, déjà à cette époque, il était évident que les tâches propres à l’Économie de guerre n’incombaient plus au délégué général à l’Économie, auquel n’appartenait plus que la coordination du secteur de l’Économie civile.
A ce propos, Monsieur le Président, puis-je attirer votre attention sur un autre document, présenté hier, le document PS-3562. L’en-tête porte bien le nouveau titre : « Délégué général à l’Économie » et non plus « Délégué général à l’Économie de guerre ». C’est encore un nouveau document qui n’a été présenté qu’hier. Hier, Monsieur le Président...
Pour remettre les choses au point, Monsieur le Président, le document PS-3562 a déjà été présenté par le lieutenant Meltzer lors de la présentation du cas de l’accusé Funk.
Monsieur Dodd, n’ai-je pas raison quand j’affirme que l’accusé Funk a déclaré, dès le début de son audition, qu’il avait été nommé délégué général à l’Économie ?
Oui, certainement, Monsieur le Président, c’est bien ainsi que je l’ai compris.
Et vous n’avez élevé aucune protestation ?
Nous n’avons pas contesté ce fait. Nous contestons l’affirmation suivant laquelle, en fait, il n’aurait eu à s’occuper que d’économie tout court. Nous prétendons qu’en tant que délégué, il a, en réalité, largement participé aux efforts de guerre.
Parfaitement. Mais il ne portait pas le titre.
Non. Le document EC-488 n’a d’ailleurs pas été déposé dans ce but, mais seulement pour montrer que l’accusé s’était expliqué en détails sur ce que devaient faire les prisonniers de guerre après une attaque aérienne.
Hier a été déposé un procès-verbal de la déposition d’un certain Hans Posse. C’est le document PS-3894. Le témoin Hans Posse a été autrefois secrétaire d’État au ministère de l’Économie et, de ce fait, délégué général à l’Économie par intérim. Le Ministère Public a présenté cette pièce pour montrer que, selon toute évidence, la lutte pour le pouvoir s’est engagée entre Funk et Göring, comme le dit ce document.
Je voudrais néanmoins proposer quelques autres points de ce compte rendu au témoin afin que certains autres également puissent servir d’éléments de preuves. Témoin, le secrétaire d’État Hans Posse dit par exemple dans le document PS-3894, au bas de la page 2 de la version allemande, et je vous demanderai si vous êtes encore aujourd’hui de cet avis.
On lui demandait : « Combien de fois en avez-vous référé à Funk de par vos obligations de délégué général à l’Économie par intérim » ?
Et le témoin a répliqué textuellement : « Le délégué général à l’Économie n’est jamais à proprement parler entré en fonction. »
Je dois, à ce propos, répéter ce que je n’ai cessé de dire et qui a été confirmé par tous ceux qui ont été entendus ici sur la question : c’était là un poste qui n’existait que sur le papier.
Puis, on demanda au témoin quel était le but de votre travail, du travail du Dr Funk.
« Dr Posse » — est-il dit — « est-il exact que le service du délégué général à l’Économie avait été créé dans le but de synchroniser toutes les activités économiques en vue de la préparation à la guerre ? »
Et le témoin répond alors textuellement, je cite : « Le but était celui que je viens précisément d’indiquer : coordonner les divers intérêts économiques discordants vers un même objectif. Mais il n’était aucunement question de préparatifs de guerre. »
Et, tout en bas de cette page 4, le témoin dit textuellement :
« Il est exact que le but était d’harmoniser tout ce qui intéressait le domaine économique ; ce n’était pas de préparer la guerre. Naturellement, lorsque des préparatifs de guerre devinrent nécessaires, le délégué général à l’Économie fut aussi chargé de s’occuper de la question et de synchroniser les choses. »
M. Posse était un vieil homme malade que j’avais aiguillé sur ce poste. Il était précédemment sous-secrétaire d’État chez Schacht. Lorsque j’ai pris le ministère, Göring m’envoya un nouveau secrétaire d’État qui, malheureusement, fut atteint d’aliénation mentale par la suite. Alors m’arrivèrent le secrétaire d’État, Dr Landfried, et Posse, qui était en principe secrétaire d’État au ministère de l’Économie et n’avait plus de poste et auquel, à la suite de cela, je connais ce poste de direction commerciale auprès du délégué général à l’Économie. Naturellement, on lui fit à ce poste de continuelles difficultés. L’OKW, le Haut Commandement de la Wehrmacht ou l’État-Major économique de guerre, voulurent dès le début rogner sur les prérogatives du délégué général, ce qui ressort de la lettre qui a été lue hier. D’autre part les secteurs de l’économie civile ne voulaient pas lui obéir car ils dépendaient déjà de leur côté du délégué au Plan de quatre ans et devaient suivre ses ordres. C’est pourquoi, en réalité, cette infortunée délégation générale à l’Économie n’existait, pour l’essentiel, que sur le papier.
Il serait opportun de suspendre l’audience.