CENT VINGT-TROISIÈME JOURNÉE.
Mardi 7 mai 1946.
Audience de l’après-midi.
(L’accusé Funk est à la barre des témoins.)Monsieur le Président, j’ai encore deux questions à poser à l’accusé Funk. Docteur Funk, nous nous étions arrêtés au document PS-3894, la déclaration du secrétaire d’État Posse. Je voudrais vous lire un passage à la page 7 de l’exemplaire allemand et vous demander si vous êtes d’accord avec cette déclaration. Le témoin Posse a été interrogé par le Ministère Public et on lui a demandé si, en tant que représentant du plénipotentiaire à l’Économie, il était au courant des relations internationales, en particulier de la situation créée par la guerre et il déclare au milieu de la page ;
« Nous ne savions rien de la situation internationale et nous n’en entendions pas parler ; lorsque cette question était soulevée parmi nous, nous ne pouvions donner que notre opinion personnelle. »
Et quelques lignes plus bas :
« Nous » — et il entendait probablement par là lui-même et vous, Docteur Funk — « espérions toujours qu’il n’y aurait pas de guerre. »
Admettez-vous l’opinion exprimée par votre ancien secrétaire d’État Posse ?
Oui, j’ai d’ailleurs déclaré moi-même à plusieurs reprises que, jusqu’à la fin, je n’ai pas cru à la guerre ; il en est de même de mes collaborateurs et tous ceux qui ont pu me parler à cette époque pourront le confirmer. M. Posse était naturellement encore moins bien informé sur les événements politiques et militaires que moi-même.
Témoin, j’ai encore une dernière question à vous poser ; vous avez vu tout à l’heure le film qui nous a été présenté par le Ministère Public. Or, vous avez été président de la Reichs-bank. Vous ne saviez peut-être que superficiellement seulement, comment étaient utilisés les coffres-forts de la Reichsbank, tout au moins, je pense, à Berlin, sinon à Francfort où le film. a été tourné, et vous saviez sans doute aussi comment, en particulier pendant la guerre, étaient gardés les objets donnés en dépôt à la banque dans des coffres ou dans des paquets ficelés, etc. Peut-être, Monsieur Funk, pourrez-vous nous faire une déclarations fondée sur votre connaissance personnelle des faits rapportés dans le petit film que nous avons vu ?
Je suis absolument confondu par ce que j’ai vu au cours de cette projection, et j’en ai été profondément troublé. La photographie et en particulier le film sont toujours des documents très dangereux, car ils font apparaître beaucoup de choses sous un jour très différent de la réalité. Personnellement, j’ai l’impression, et je crois que le Ministère Public pourra le confirmer, que tous ces dépôts de valeur et ces collections d’objets de valeur proviennent des mines de potasse où l’on avait envoyé sur mon ordre tout l’or, les devises et autres valeurs déposés à la Reichsbank, à la suite d’un terrible bombardement de Berlin ; nous ne pouvions plus travailler à la Reichsbank. Le bâtiment de la Reichsbank à lui seul a été atteint au cours de l’attaque du 3 février 1945, par vingt et une bombes explosives, et ce n’est que par miracle que j’ai réussi à sortir de l’abri souterrain où je me trouvais avec 5.000 personnes. Toutes les valeurs, l’or et les devises, contenus dans nos coffres furent alors envoyés dans cette mine de potasse en Thuringe et de là, semble-t-il, à Francfort ; c’est ce que je suppose. Il s’agit donc ici, en grande partie, de dépôts normaux effectués par des clients qui avaient mis à l’abri en dépôts fermés, sur lesquels la Reichsbank n’avait aucun droit de regard, leurs objets de valeur, leur fortune. Il ne m’est donc pas possible de distinguer ; en me basant sur ce film, ce qui provient d’envois des SS de ce qui provient de dépôts véritables. M. le représentant du Ministère Public a certainement raison lorsqu’il dit que personne n’aurait eu l’idée de déposer des dents en or. Il est, par contre, parfaitement possible que certains fonctionnaires des camps de concentration aient fait à la Reichsbank des dépôts en règle, contenant de tels objets, afin de les garder pour eux-mêmes. J’estime que c’est possible. Mais en conclusion, je dois dire, une fois de plus, que je ne savais rien de ces choses, ni du fait qu’on expédiait des camps de concentration des bijoux, des brillants, des perles et autres choses de ce genre à la Reichsbank. Je n’en ai absolument rien su, cela m’était inconnu et personnellement j’estime que la Reichsbank n’avait pas le droit de faire de telles opérations. Il est vrai qu’il ressort d’un document, d’un décompte établi pour le ministre des Finances, que tout ce qui provenait probablement des camps de concentration était d’abord envoyé à la Reichsbank, où les pauvres employés devaient déballer et trier tout cela, pour le transmettre au ministre des Finances ou à des caisses de crédit municipal qui dépendaient du ministre des Finances, après avoir établi les décomptes. C’est pourquoi je vous prie d’entendre ici des hommes compétents, tout d’abord M. Puhl lui-même, et aussi quelqu’un qui se soit occupé de ces questions et puisse expliquer comment tout cela s’est passé en réalité et surtout établir que, personnellement, je n’avais absolument pas été informé de ces affaires, si ce n’est des faits au sujet desquels j’ai fourni ici des explications.
Monsieur le Président, j’en ai terminé avec l’interrogatoire de l’accusé Funk. Et je me permets de vous prier d’entendre maintenant le seul témoin qui soit, pour l’instant, à ma disposition, le Dr Hayler.
Très bien.
Monsieur le Président, je voudrais poser une question avant que le témoin ne se retire. Ce document PS-3894, dont l’accusé et nous avons cité des extraits contient encore un certain nombre de citations, et je pense qu’il serait bon que nous déposions le document dans son ensemble, dans les quatre langues. Je suis prêt à le faire afin que le Tribunal ait à sa disposition le texte intégral. Jusque là, nous n’avons fait qu’en citer des extraits, mais je crois qu’il serait bon que le Tribunal en ait le texte intégral.
Permettez-moi de vous demander, Monsieur le Président, si je dois m’occuper de faire venir le témoin Puhl ?
Docteur Sauter, avez-vous une requête quelconque à formuler à propos du témoin Puhl qui a rédigé une déclaration sous serment ?
En ce qui concerne le. témoin Puhl, j’avais l’intention de vous demander, Monsieur le Président, de le citer en vue d’un contre-interrogatoire. Je vous aurais adressé cette demande de toute façon.
Oui, certainement, Docteur Sauter, le témoin Puhl sera cité ici. Il sera amené dès que possible.
Je vous remercie.
L’accusé peut reprendre sa place au banc des accusés.
Veuillez décliner votre identité ?
Hayler Franz.
Veuillez répéter ce serment après moi : « Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète la formule du serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Docteur Hayler, quel âge avez-vous ?
J’ai quarante-six ans.
Êtes-vous fonctionnaire, ou comment êtes-vous entré au ministère de l’Économie auprès de l’accusé Funk ?
J’ai été établi commerçant à mon compte et, à ce titre, j’ai d’abord été chargé de diriger le groupe économique « Commerce de détail » dans le cadre de l’organisation de l’économie artisanale et commerciale. C’est en cette qualité que j’ai été en contact étroit avec le ministère de l’Économie. Après sa nomination au poste de ministre de l’Économie, j’ai présenté à M. Funk un rapport sur mon travail et c’est à cette occasion que j’ai fait sa connaissance. Lorsque j’ai été nommé au poste de chef du groupe commerce du Reich, les rapports entre l’organisation que je dirigeais et le ministère se développèrent encore, et en particulier je travaillais en collaboration étroite et fort amicale avec le secrétaire d’État Landfried et le ministre lui-même. Après la séparation des ministères au cours de l’automne 1943, la tâche principale du ministère comportait le ravitaillement du peuple allemand, c’est-à-dire de la population civile.
En tant que chef de l’organisation du commerce, je dirigeais l’organisme responsable de la répartition des marchandises, c’est-à-dire du ravitaillement, et c’est ainsi qu’au cours d’une conférence chez le ministre Funk sur la collaboration entre le commerce et le ministère, M. Landfried, qui était alors secrétaire d’État, proposa à M. le ministre Funk de m’appeler dans son ministère en tant que représentant du ministre. M. Landfried, en raison des circonstances, se jugeait impuissant à résoudre ce difficile problème, alors que le ministère avait perdu toute influence sur la production. Et lorsque le ministre Funk répondit à sa proposition, en lui faisant remarquer qu’il était déjà représentant du ministre, il déclara qu’il ne pouvait plus continuer à assumer cette tâche et demanda qu’on lui permît de démissionner, en me proposant au ministre pour lui succéder. Environ quinze jours à trois semaines plus tard, j’étais chargé des fonctions de secrétaire d’État.
Quand eut lieu cette conférence ?
Cet entretien a eu lieu au mois d’octobre 1943, et j’ai assumé ces fonctions à partir du 20 novembre 1943.
Donc, jusqu’en octobre 1943, Dr Hayler, vous avez exercé des fonctions à titre honorifique dans votre organisation.
Oui.
Il s’agissait, je crois, du commerce de détail ?
C’est cela, du commerce.
Et au début de 1943 vous êtes devenu fonctionnaire du ministère de l’Économie du Reich en qualité de secrétaire d’État ?
C’est seulement le 30 janvier 1944 que j’ai été nommé fonctionnaire avec le titre de, secrétaire d’État.
Vous étiez, en cette qualité, l’un des collaborateurs les plus directs du Dr Funk ?
J’étais son adjoint.
Docteur Hayler, au cours d’un entretien que j’ai eu avec vous avant-hier, je vous ai demandé si l’accusé Funk a eu une attitude radicale, ou si, au contraire, il s’est toujours montré mesuré et plein de retenue. Que pouvez-vous nous dire sur ce point, qui est d’une certaine importance pour permettre de juger la personnalité de l’accusé Funk ?
Punk est avant tout et a toujours été animé de sentiments humains. Sa nature, son caractère, sont opposés à tout radicalisme. Il est plutôt artiste. C’est un homme d’une grande sensibilité artistique et dont l’esprit est tourné vers le beau.
Je crois que l’on doit... Je peux dire qu’il n’a jamais été doctrinaire ou dogmatique, mais au contraire toujours conciliant et homme de compromis. C’est pourquoi dans les milieux du Parti il était considéré comme trop mou, trop tendre ; on lui a même reproché souvent d’être trop faible. Il a essayé de protéger l’économie de l’emprise de la politique et de mesures trop dures lorsqu’elles étaient inutiles ; par respect de l’initiative individuelle et conscient de sa propre responsabilité vis-à-vis de l’économie et des hommes, il s’est élevé même pendant la guerre contre des interventions inutiles dans les entreprises. Il a essayé de protéger les entreprises contre les fusions et les fermetures. Il en résulta que, finalement, dans la phase décisive de la guerre, on lui enleva la responsabilité de la production. Je me rappelle qu’au temps où je travaillais en collaboration avec lui, lorsque je dirigeais encore l’organisation du commerce, Funk est intervenu à plusieurs reprises pour des industriels ou des commerçants qui avaient des difficultés politiques. Mais je crois que dans ces cas particuliers, tels par exemple son intervention pour le consul général Holländer ou pour M. Pietsch, il a eu à redouter des conséquences très graves, de même sa tentative de poser des jalons en faveur de la paix ; ou encore lors de son intervention bien connue en faveur de Richard Strauss, ou autres choses de ce genre. Je pense que tous ces faits ne sont pas aussi significatifs peut-être que la constatation suivante : après la catastrophe du 9 novembre 1938, le rythme de l’aryanisation devait être accéléré également au ministère de l’Économie, et un certain nombre d’hommes politiques avaient été alors plus ou moins imposés à ce ministère. En particulier M. Schmeer. Je me souviens parfaitement ’ qu’à cette époque Landfried surtout, mais aussi Funk, ont freiné l’introduction de cette politique radicale dans le ministère. On l’a reproché d’ailleurs à Funk et au ministère. Après le 8 et le 9 novembre, j’ai eu un entretien avec Himmler pour me plaindre de ces événements. Himmler m’a déclaré entre autres, en blâmant l’attitude Funk et la mienne : « Mais en définitive, c’est vous, les gens de l’Économie et de la direction économique qui êtes responsable de ce qui est arrivé. On ne pouvait évidemment pas demander à un M. Schacht de faire autre chose que de toujours freiner et s’opposer aux volontés du Parti, mais si vous et Funk et tous ceux de l’Économie n’aviez pas freiné, vous aussi, il n’y aurait pas eu ces excès ».
Docteur Hayler, une autre question. Vous étiez le collaborateur de M. Funk également pour les questions relatives à l’économie des territoires occupés. Or, on reproche à M. Funk d’avoir participé au pillage des territoires occupés et à la destruction criminelle de la monnaie et de l’économie de ces pays. Pouvez-vous — et cela aussi brièvement que possible — faire à ce sujet quelques déclarations susceptibles d’éclairer l’attitude et l’activité de l’accusé Funk ? Aussi brièvement que possible.
Je crois qu’il faut tout d’abord établir deux points. Premièrement, l’influence du ministère de l’Économie dans les territoires occupés, était relativement réduite et deuxièmement, au cours de l’année pendant laquelle j’ai fait partie du ministère, ces questions n’étaient plus d’une importance particulière.
D’une manière générale, il convient de dire ceci : on a toujours reproché à Funk de penser davantage à la paix qu’à la guerre. Dans toutes ses publications et dans ses discours, il a exposé ses idées sur une politique économique européenne, et je suppose que ses discours et ses écrits, ses articles, sont à la disposition du Tribunal.
Oui, le Tribunal les a.
Funk avait exactement la même attitude à propos des territoires occupés. A diverses reprises, il s’est élevé contre une mise. à contribution abusive des territoires occupés, car il estimait que la collaboration pendant la guerre devait être, en fin. de compte, le fondement de la collaboration après la guerre. A son avis, il fallait, pendant la guerre, créer un climat de confiance et de collaboration voulue dans l’économie des territoires occupés. Il estimait encore qu’on ne pouvait jamais combattre le marché noir par le marché noir et qu’en raison de la responsabilité que nous assumions dans les territoires occupés, nous devions éviter toute démarche susceptible de désorganiser l’économie et les finances de ces pays. Je crois me rappeler qu’il a eu également des négocations à ce sujet avec le Reichsmarschall et qu’il a défendu son point de vue devant ce dernier. Il s’est également élevé à plusieurs reprises contre l’augmentation des frais d’occupation. Il a toujours été partisan de diminuer nos propres dépenses, c’est-à-dire les dépenses allemandes dans les territoires occupés. Oui, en ce qui concerne les territoires occupés, il les envisageait du même point de vue que les autres pays européens, et on ne peut sans doute mieux caractériser cette attitude qu’en citant son discours — je crois que c’était celui de Vienne — où il déclarait devant le monde entier, que les dettes de clearing, qui cependant résultaient essentiellement des différences de prix, c’est-à-dire de la tendance à l’inflation seraient reconnues dans les pays fournisseurs comme des dettes véritables.
Docteur Hayler, on reproche encore à l’accusé Funk d’avoir participé de façon criminelle à l’asservissement des ouvriers étrangers. Cette accusation porte surtout sur la période pendant laquelle vous avez été le collaborateur du Dr Funk.
Pouvez-vous nous dire brièvement quelles ont été l’opinion et l’attitude de l’accusé Funk sur ce point ?
On ne peut parler d’une coopération de Funk aux questions de main-d’œuvre étrangère quand je travaillais avec lui, que si l’on fait allusion aux responsabilités qu’il assumait à l’Office central du plan. Ici se pose tout d’abord la question de savoir si l’Office central du plan avait une responsabilité quelconque dans la répartition de la main-d’œuvre, ou s’il se contenait d’indiquer les besoins dans les différents secteurs de la production. Mais quelles que fussent les tâches imparties à l’Office central du plan, voici quelle était la position de Funk dans cet organisme : en tant que ministre de l’Économie, Funk était chargé des répartitions à la population civile et de l’exportation. Après la nouvelle dissociation des ministères, je crois qu’aucun ouvrier étranger n’a été intégré dans le cycle de la production destinée à la population civile ou à l’exportation. Au contraire Funk se voyait constamment signifier qu’on enlevait toujours de nouveaux ouvriers allemands et étrangers, à la production des biens de consommation pour les transférer à l’industrie d’armement ; c’est pourquoi je ne pense pas qu’on puisse adresser à Funk un reproche de ce genre à propos de son activité portant sur cette époque.
A ce propos, je me permettrai d’attirer votre attention sur un point qui me paraît important : le ravitaillement des ouvriers étrangers posait un problème grave ; je crois que M. Sauckel, lui aussi, pourra confirmer que Funk, lorsque cette question s’est posée, se déclara immédiatement prêt, malgré la grande misère qui régnait déjà dans la population allemande et les difficultés d’approvisionnement causées par les nombreuses attaques aériennes et les destructions, à débloquer un grand nombre de stocks pour le ravitaillement des ouvriers étrangers.
Si je vous comprends bien, il a donc fait en sorte que les ouvriers étrangers qui travaillaient pour l’Allemagne fussent ravitaillés le mieux possible en biens de consommation, c’est-à-dire produits alimentaires, chaussures, vêtements, etc. ?
Il s’agit là surtout de chaussures et de vêtements. Les produits alimentaires étaient en dehors du domaine de compétence de Funk.
Donc chaussures et vêtements ?
Oui, je connais d’une manière très précise ce qui se rapporte à ce problème que j’ai déjà exposé. Il a d’ailleurs eu pour cela de sérieuses difficultés, car les Gauleiter, en raison de la grande pénurie de marchandises, étaient soucieux de maintenir par tous les moyens l’approvisionnement de leurs subordonnés dans leur Gau, et Funk a été obligé de se défendre contre les mesures arbitraires prises par ces Gauleiter qui, dans certains Gaue, avaient fait forcer les dépôts de marchandises destinés au ravitaillement général pour les utiliser à leurs fins.
Docteur Hayler, savez-vous si, à cette époque — c’est-à-dire à l’époque où vous travailliez avec lui — M. Funk n’estimait pas que l’ouvrier étranger ne devait pas être amené en Allemagne pour y travailler, mais qu’au contraire le travail lui-même devait être transféré d’Allemagne à l’étranger pour que l’ouvrier étranger pût travailler dans sa patrie et y rester ? Voulez-vous répondre à cette question ?
Je sais parfaitement que c’était là le point de vue de Funk qui correspond bien, en dernière analyse, à sa conception tout entière, car l’agitation et le mécontentement politiques, dûs au transfert de masses humaines aussi importantes et au déracinement de ces gens, s’opposaient à la politique de construction et de pacification, qui était celle de Funk.
J’en viens maintenant à la dernière question que je vais vous adresser et qui est la suivante : au moment de la retraite des armées allemandes et de l’occupation d’une partie du territoire allemand par les armées ennemies, alors que la circulation de la monnaie dans ces territoires était très difficile, Hitler aurait projeté de promulguer une loi punissant de mort quiconque accepterait et mettrait en circulation la monnaie d’occupation émise par une puissance étrangère. Ce qui m’intéresse, Docteur Hayler, ce n’est pas de savoir pourquoi Hitler projetait cette mesure, mais si vous la connaissez, l’attitude qui a été celle de Funk devant cette exigence de Hitler et le résultat qu’il a obtenu ?
A ce sujet, il faut d’abord établir deux points qui peuvent être intéressants pour le Tribunal : je n’ai jamais vu Funk plus profondément atteint qu’au moment où il a eu connaissance du décret dit « Décret de la terre brûlée ». Je crois qu’il a été le premier ministre qui ait alors publié deux décrets très nets, l’un du ministère de l’Économie, dans lequel il donnait les Instructions suivantes : partout où il y a des Allemands, il doit subsister une administration de l’économie sous une forme quelconque ; là où il y a nécessité de ravitaillement, il faut qu’il y ait un service de l’État qui s’occupe de la population. Le second décret a été publié en même temps par le président de la Reichsbank et il ordonnait que tout comme pour les services économiques, les opérations monétaires devaient être assurées par les services de la Reichsbank restés sur place.
En ce qui concerne la question même que vous m’avez posée, je me rappelle très bien qu’on a fait savoir au ministère des Finances que le Führer en personne exigeait la promulgation d’un texte de loi punissant de mort tout citoyen allemand qui mettrait en circulation de la monnaie d’occupation. M. Funk s’est énergiquement opposé à ces instructions, avec l’appui, je crois, de M. Lammers. Il a téléphoné à plusieurs reprises au Quartier Général, et a obtenu le retrait de la directive du Führer.
Avez-vous terminé votre déclaration, Docteur Hayler ?
Oui.
Monsieur le Président, je n’ai plus de question à poser au témoin.
Un autre avocat désire-t-il poser des questions ? (Pas de réponse.)
Le Ministère Public désire-t-il contre-interroger le témoin ?
Témoin, quand avez-vous adhéré au parti national-socialiste ?
Ai-je bien compris ? Vous m’avez demandé . quand je suis entré au parti national-socialiste ?
Oui.
En décembre 1931.
Avez-vous exercé des fonctions dans le Parti à un moment quelconque ?
Non, je n’ai pas exercé de fonctions dans le Parti.
Vous étiez bien à la tête du groupe commercial, en 1938, du « Reichsgruppe Handel » ?
J’ai dirigé, à partir de 1934, le groupe économique du « Commerce de détail », et, à partir de 1938, le groupe « Commerce ». Ce groupe faisait partie de l’organisation de l’économie artisanale et commerciale et dépendait du ministère de l’Économie du Reich.
L’appartenance au groupe que vous dirigiez était obligatoire, n’est-ce pas ?
Oui.
Quand avez-vous adhéré aux SS ?
Je suis entré dans les SS en 1933, au cours de l’été.
C’était tout de même une sorte de fonction du Parti ?
Non, ce n’était pas une fonction. J’assurais la liaison avec les SS parce qu’à Munich, 165 négociants avaient été enfermés, et parce que je connaissais Himmler, depuis mon temps d’étudiant ; je ne l’avais d’ailleurs jamais revu jusqu’à cette époque. Les commerçants de Munich m’avaient prié d’intervenir en leur faveur au cours de l’été 1933. Mais je n’avais pas de fonction dans le Parti ou dans les SS.
Quand êtes-vous devenu général SS ?
Je n’ai jamais été général SS. Quand j’ai été nommé secrétaire d’État, le Reichsführer m’a conféré le titre de Gruppenführer SS.
Ce titre n’est-il pas l’équivalent de celui de général SS ?
Oui et non. Il y avait dans les SS le grade de Gruppenführer mais il y avait aussi le grade de Gruppenführer et général de la Police et des Waffen SS. Mais le Gruppenführer n’était pas pour cela général, lorsqu’il s’agissait d’un titre honorifique. D’ailleurs c’était visible, car nous ne portions pas d’épaulettes de général, ni d’uniformes de général.
Autre chose. Vous connaissiez assez bien Ohlendorf, n’est-ce pas ?
Oui.
Il a travaillé pour vous à une certaine époque. Il vous était subordonné ?
J’ai travaillé avec Ohlendorf à partir de 1938.
Vous savez qu’il a déposé devant ce Tribunal, et dit avoir dirigé l’assassinat de 90.000 personnes.
J’en ai entendu parler.
Étiez-vous au courant à l’époque où ces événements se déroulèrent ?
Non.
Connaissiez-vous Pohl, le SS ?
Pourriez-vous répéter le nom, je vous prie ?
Pohl, P-o-h-l.
Je ne me souviens pas d’un SS nommé Pohl.
Vous n’avez pas connu le SS-Gruppenführer Pohl ?
Non... Oui je connais un Obergruppenführer Pohl qui était chef du service de l’administration des SS.
Lui avez-vous parfois parlé ? Le rencontriez-vous ?
J’ai eu quelques entretiens de service avec Pohl, le plus souvent très désagréables.
C’est une autre affaire. Combien de fois pensez-vous avoir rencontré Pohl entre 1943 et la capitulation pour discuter de questions intéressant à la fois les SS et votre ministère de l’Économie ? Je vous demande un chiffre approximatif, je n’attends pas de vous un chiffre exact ; mais combien de fois à peu près ?
II faut que je donne une courte explication à ce sujet. Il y a eu entre...
Donnez-moi d’abord le chiffre. L’explication viendra ensuite.
Peut-être trois ou quatre fois, peut-être deux fois seulement, je ne sais plus exactement.
Voulez-vous dire trois ou quatre fois par an, ou durant toute l’époque où vous l’avez connu, entre 1943 et 1945 ?
Pendant toute la durée de mon travail, trois ou quatre fois ; il ne s’agit d’ailleurs que d’une année.
Avez-vous parlé de la collaboration de la Reichs-bank ou du ministère de l’Économie au financement de l’établissement d’usines aux environs des camps de concentration ?
Non.
Vous êtes au courant de la question, n’est-ce-pas ?
Non, d’ailleurs, cette question n’a jamais été étudiée ni discutée devant moi.
Alors, de quoi discutiez-vous avec lui ?
Il y avait eu une grosse discussion entre le ministère de l’Économie et les SS parce qu’après mon entrée en fonctions en qualité de secrétaire d’État au ministère de l’Économie, Himmler voulait me donner des instructions, c’est-à-dire m’a donné des instructions pour faire transférer aux entreprises SS une usine qui faisait partie du Gau de Berlin. Je m’y suis opposé et n’ai pas donné suite à ces instructions de Himmler. Il doit certainement y avoir des archives à ce sujet. Il m’avait demandé d’en conférer avec Pohl. Au cours de ces négociations avec Pohl et d’un entretien personnel exigé par Himmler, je me suis élevé contre ces instructions de Himmler, parce qu’en principe, j’étais opposé aux entreprises SS.
Avez-vous parlé à Funk des difficultés que vous rencontriez avec Himmler et Pohl ?
Oui, parce qu’elles ont eu pour conséquence que Himmler, en décembre, m’envoya une lettre dans laquelle il me faisait savoir qu’il me retirait sa confiance, et me disait textuellement qu’il n’avait plus aucune envie de travailler avec moi et qu’il n’avait plus confiance en moi. J’en ai fait part à l’accusé Funk en décembre.
Funk vous a-t-il dit que sa banque fournissait des crédits à Himmler pour construire des usines à proximité des camps de concentration ?
Je ne sais rien de cela.
Vous n’en aviez jamais entendu parler ?
Jusqu’ici, je n’ai jamais entendu parler d’une collaboration de Funk ou du ministère de l’Économie au financement de constructions ou de choses de ce genre.
C’est tout à fait clair, je crois, mais je voudrais m’assurer que de 1943 à 1945, quand vous étiez le représentant de Funk au ministère de l’Économie, les questions de marché noir dans les territoires occupés avaient cessé d’être d’importance. C’est ce que vous disiez, n’est-ce pas ? Si j’ai bien compris, vous l’avez dit vous-même il y a quelques minutes.
En 1944 — d’ailleurs, je n’ai réellement pris mes fonctions qu’en 1944, car en décembre le ministère avait complètement été détruit par les bombardements, et je n’ai pu commencer à travailler qu’en janvier 1944 — je dis donc, qu’en 1944, ces questions n’étaient plus d’une importance décisive, car leur développement était déjà en régression.
Fort bien. Vous avez également assisté à ce discours de Vienne que vous avez mentionné, et qui fut prononcé en 1944 ; il n’avait rien à voir avec les pays occupés, mais il y était uniquement question des États satellites. Le saviez-vous ou non ?
Le discours de Vienne ?
Oui, le discours prononcé à Vienne, en 1944.
Oui, c’est exact. D’ailleurs je l’ai dit aussi. Le discours de Kœnigsberg, tout comme le discours de Vienne, ne traitaient pas directement des territoires européens, mais de l’Europe en tant qu’unité. Je...
Traitait-il directement ou indirectement des territoires occupés ? Avez-vous lu ce discours ?
Je l’ai entendu. Il n’avait certainement rien à voir directement avec les territoires occupés.
Pour en finir, étant donné vos déclarations sur ce que Funk pensait du travail obligatoire, vous savez sans doute qu’il ne s’est absolument pas soucié du fait que ces gens étaient contraints par la force de venir en Allemagne. Le saviez-vous ?
Non.
Mais vous savez qu’il a dit au cours de l’interrogatoire qu’il ne s’était pas mis l’esprit à la torture, bien qu’il sût que l’on obligeait des gens à venir travailler en Allemagne contre leur gré. Vous êtes au courant ?
Non. Je ne m’en souviens pas. J’ai eu avec Funk...
Bien ; mais si vous l’aviez su auparavant, auriez-vous modifié votre déposition ?
Non. Je ne sais pas que Funk ait eu cette attitude, ou...
Très bien. Peut-être pourrais-je vous aider en vous lisant des extraits de son interrogatoire du 22 octobre 1945 à Nuremberg. Il a fait les réponses suivantes aux questions qui lui étaient posées : « Avez-vous effectivement assisté à de nombreuses conférences de l’Office central du Plan ? »
Funk a répondu :
« Je n’assistais aux réunions de l’Office central du Plan que lorsque j’avais besoin de quelque chose pour mon petit secteur, c’est-à-dire pour l’exportation et les industries fabriquant des produits de consommation, par exemple, le fer. Chaque fois il me fallait lutter pour obtenir quelques milliers de tonnes pour l’industrie des produits de consommation. »
La question suivante était celle-ci :
« Oui, mais cependant ces réunions auxquelles vous assistiez vous ont permis d’entendre des discussions portant sur les ouvriers étrangers ? »
Et Funk a répondu :
« Oui, certainement. »
« Question
Vous saviez, par ces conférences, qu’on s’efforçait d’amener dans le Reich contre leur volonté de plus en plus de travailleurs étrangers ? »
Et Funk a répondu :
« Oui, naturellement. »
« Question
Et vous n’aviez jamais élevé d’objections ? »
Funk a répondu :
« Pourquoi aurais-je fait des objections ? Amener ces travailleurs étrangers dans le Reich était le travail d’un autre ».
« Question
Croyez-vous qu’il était conforme au Droit d’arracher des gens de leur foyer contre leur volonté pour les transporter en Allemagne ? »
Voici la réponse :
« Il se passe bien des choses en temps de guerre qui ne sont pas absolument légales. Je ne me suis jamais torturé l’esprit sur ces questions. »
Si vous aviez su par ces déclarations qu’il a faites sous la foi du serment au cours d’un interrogatoire, ici-même, que telle était son attitude, auriez-vous modifié votre opinion sur Funk ? Auriez-vous été tenté de modifier le témoignage que vous avez fourni aujourd’hui devant ce Tribunal ?
Je ne puis dire ici que ce que je sais par expérience personnelle. Je ne me souviens pas de cette déclaration de Funk. Ce que je sais et dont je me souviens parfaitement, c’est que nous avons souvent parlé des territoires occupés, de l’évolution future de l’Europe qui devait et pouvait résulter de la collaboration, et également de la main-d’œuvre, que Funk avait un point de vue différent de la politique qui était adoptée sur ces questions et qu’il n’était pas d’accord là-dessus. Je le répète encore car si vous m’interrogez en tant que témoin, je ne puis dire que ce que je sais.
Vous avez préparé avec le Dr Sauter, avant de venir à la barre, toutes les questions et réponses que vous avez fournies ici ? Vous saviez sur quels points vous seriez interrogé avant d’entrer ici, n’est-ce pas ?
Le Dr Sauter m’a donné son point de vue. Il m’a dit sur quels sujets il m’interrogerait et ce qui l’intéressait.
Je n’ai pas d’autre question à poser.
D’autres représentants du Ministère Public désirent-ils contre-interroger le témoin ?
Docteur Sauter, voulez-vous poser de nouvelles questions ?
Non.
Le témoin peut se retirer.
Monsieur le Président, un certain nombre de mes questionnaires sont déjà revenus et sont en cours de traduction. Je demanderai donc, Monsieur le Président, à pouvoir lire ces questionnaires plus tard, peut-être à l’occasion de la présentation du cas Schirach. Puis, je me permettrai de fournir une explication de caractère général. J’ai déjà lu des extraits d’un certain nombre de documents et je vous ai prié d’accepter comme preuves les documents in extenso. Cette explication est valable pour tous ces documents. J’en ai terminé avec mes explications relatives à l’accusé Funk.
Monsieur le Président, je voudrais vous adresser encore une autre demande. Je vous prierais de permettre à l’accusé Schirach de ne pas assister aux audiences pendant les jours qui vont suivre, pour qu’il puisse se préparer à la présentation de ses preuves. En son absence, je représenterai ses intérêts et mon confrère le Dr Nelte également quand je n’assisterai pas aux débats. Je vous remercie, Monsieur le Président.
Qui représente l’accusé Schirach ?
C’est moi, Monsieur le Président, mais si je ne pouvais pas être là moi-même, ce serait le Dr Nelte. L’un de nous sera toujours présent pour défendre le cas échéant les intérêts de l’accusé.
Très bien, Docteur Sauter. Le Tribunal va se retirer pendant dix minutes.
Docteur Sauter, il y a un document que vous n’avez pas cité. C’est, je crois, un affidavit d’un témoin du nom de Kallus. Déposez-vous ce document comme preuve ?
C’est un questionnaire de Heinz Karl Kallus.
Le questionnaire de Kallus, Monsieur le Président, vient d’arriver. Il se trouve actuellement à la traduction. Je déposerai ce document dès que la traduction sera parvenue au Ministère Public.
Nous avons déjà une traduction en anglais.
Je crois que ce que vous avez, Monsieur le Président, est un affidavit de Kallus ; mais il nous est parvenu aussi un questionnaire qui se trouve à la traduction et que je lirai plus tard.
Celui que j’ai en mains est sous forme d’interrogatoire, questions et réponses. Je vous demande seulement si vous voulez le déposer.
Oui, je le présente comme preuve. Je vous prie de vouloir bien en prendre connaissance.
Très bien. Avez-vous donné un numéro à ce document ? Quel sera son numéro ?
Ce sera le document n° 5.
Très bien.
Je vous remercie.
Docteur Kranzbühler, vous avez la parole.
Monsieur le Président, je voudrais d’abord demander l’autorisation de pouvoir garder avec moi, outre la personne qui m’assiste, une secrétaire, pour accélérer à l’audience la présentation de mes documents.
Avec la permission du Tribunal, je vais tout d’abord présenter une série de documents, et j’utiliserai pour cela le livre de documents du Ministère Public et les livres de documents que j’ai déjà présentés moi-même. Ils se composent de quatre volumes. Les tables des matières se trouvent dans les livres 1 et 3.
Tout d’abord, dans le premier document du livre de documents de l’Accusation, USA-12 (PS-2887), je dois rectifier une erreur de traduction qui peut être importante. Il y a, dans le texte allemand, sous « 1939 », « Konter-Admiral, Befehlshaber der Unterseeboote ». On a traduit par « Commandant en chef ». La véritable traduction doit être « Amiral commandant la flotte sous-marine ». La question est d’importance puisqu’elle porte sur le fait que l’amiral Dönitz, jusqu’à sa nomination comme Commandant en chef de la Marine de guerre en 1943, n’était pas membre du groupe que l’Accusation déclare criminel.
Je voudrais attirer l’attention du Tribunal sur le document GB-190 (D-652-AB). Il s’agit d’une carte marine qui a été produite comme preuve par l’Accusation. Cette carte marine montre les positions des sous-marins allemands à l’ouest de l’Angleterre le 3 septembre 1939 et l’Accusation la considère comme une preuve du caractère agressif de la guerre. Elle montre avec raison que ces sous-marins devaient être sortis plus tôt. Le premier document que je dépose sous le numéro Dönitz-1 doit prouver que c’étaient là des mesures nécessitées par la tension européenne, mesures analogues à celles que tous les États européens ont prises à ce moment ; cela ne signifie nullement la préparation d’une guerre d’agression contre l’Angleterre, ce qui n’était pas dans les intentions de l’Allemagne.
Je lis un passage de ce document, à la page 1 du livre de documents. C’est un extrait du journal de guerre de l’État-Major naval d’opérations de septembre 1939, et je lis les notes portées le 15 août :
« Sont prévues (pour le « Cas Weiss ») les mesures suivantes :... »
Quelle page ?
Page 1 du livre de documents, volume 1.
Oui, j’y suis.
« 15-8 : Sont prévues (pour le « Cas Weiss ») les mesures suivantes :
« A partir du 15-8. Le Spee et tous les sous-marins de l’Atlantique prêts à appareiller.
« A partir du 22-8. Le ravitailleur Westerwald prêt à appareiller.
« A partir du 25-8. Le Deutschland prêt à appareiller. »
Ensuite vient le dispositif de ces navires :
« Le 21-8. Dépêche du service B sur les mesures d’alerte prises par la flotte française.
« Le 23. 8. Dépêche du service B : poursuite des mesures d’alerte de la flotte française jusqu’au troisième degré. Mesures de blocage des ports anglais et français.
« Le 25.8. Le service B annonce : des vapeurs allemands et italiens sont mis en surveillance et signalés par la France. »
Puis ce sont les instructions :
« 31.8. Entrée en vigueur de l’instruction 1 de l’OKW pour la conduite de la guerre : solution par la force à l’Est ; attaque contre la Pologne le 1er septembre à 4 h. 45. A l’Ouest, responsabilité de l’ouverture des hostilités nettement laissée à l’Angleterre et à la France. Respecter scrupuleusement la neutralité de la Hollande, de la Belgique, du Luxembourg et de la Suisse. Ne pas franchir la frontière de l’Ouest. Sur mer, pas d’opérations belliqueuses ou pouvant être interprétées comme telles. La Luftwaffe seulement sur la défensive.
« En cas d’ouverture des hostilités par les puissances occidentales : position uniquement défensive, ménager nos forces, attendre le commencement des opérations offensives. L’armée de terre tient le mur de l’Ouest. Marine, guerre contre les navires de commerce, en particulier contre l’Angleterre. Pour en renforcer l’efficacité, on peut s’attendre à ce que soient déterminées des « zones dangereuses ». Faire des projets et les proposer. Empêcher toute incursion ennemie dans la Baltique, etc. »
Avec le document suivant, Dönitz-2, je veux prouver que les sous-marins anglais aussi se trouvaient, avant le début de la guerre et dès l’ouverture des hostilités, dans les baies allemandes ; cela figure à la page 2 de mon livre de documents. Je veux simplement faire remarquer que, dès le 1er septembre, on y avait perçu des bruits de moteurs électriques et que le 4 septembre il est arrivé plusieurs dépêches signalant la présence de sous-marins anglais dans la baie d’Héligoland.
Je passe au document sur la base duquel on reproche à l’amiral Dönitz d’avoir participé à la préparation du plan d’agression contre la Norvège. C’est le document GB-83 (C-5). Le Ministère Public l’a présenté pour prouver que l’amiral Dönitz aurait été, en grande partie, responsable de l’occupation de la Norvège. Je ferai une étude plus approfondie de ce document en présentant les témoignages. Je veux simplement ici préciser certaines dates.
Sur ce document — je vais en montrer l’original au Tribunal — se trouve un cachet qui prouve la date d’entrée à l’Oberkommando. Le cachet d’entrée porte la date du 11. 10. 1939, c’est-à-dire du 11 octobre.
Vous parlez du document GB-83 ?
Oui. Je me réfère en même temps au document GB-81 qui figure à la page 6 de mon livre de documents. D’après ce document, la proposition du Grand-Amiral Raeder qui fut déterminante auprès du Führer a été faite le 10 octobre 1939, c’est-à-dire la veille de l’arrivée du document GB-83 à l’Oberkommando.
Par le document suivant, je voudrais prouver que le problème des bases, qui se posait pour le commandant de la flotte sous-marine, l’amiral Dönitz, n’avait rien à voir avec la question de la guerre d’agression. Je soumets les documents Dönitz-3 et Dönitz-4. Ils figurent respectivement aux pages 3 et 5 du livre de documents. Le Dönitz-3 se compose des notes du journal de guerre du commandant de la flotte sous-marine pour le 3 novembre 1939 et je lis, au deuxième paragraphe, à la dixième ligne en partant d’en haut :
« En même temps, l’État-Major naval communique qu’il y a, pour l’installation d’une « base Nord » des possibilités qui semblent intéressantes. J’estime qu’il est de la plus haute importance d’entreprendre immédiatement toutes les démarches possibles pour permettre d’estimer avec précision l’intérêt de ces possibilités. »
Puis suit un examen des avantages et des inconvénients d’une telle base, absolument analogue aux considérations exposées dans le document GB-83. Il s’agit, pour cette « base Nord », de Mourmansk, comme il ressort du document Dönitz-4, et l’on sait que ces considérations ont été faites en accord avec l’Union Soviétique.
Je voudrais encore montrer que l’étude des bases éventuelles se fait dans toutes les Marines, sans aucune intention de...
Docteur Kranzbühler, vous passez un peu vite sur ces documents. Je ne suis pas certain de voir exactement dans quel but vous les utilisez. Cette base mentionnée dans le rapport, c’est Mourmansk ?
Oui, Mourmansk. Je voudrais prouver par là, Monsieur le Président, que les considérations sur les bases ne signifient absolument pas qu’on veuille entreprendre une guerre d’agression contre le pays où elles se trouvent. L’examen de la base éventuelle de Mourmansk s’est fait en complet accord avec l’Union Soviétique, et c’est de la même façon que l’amiral Dönitz a étudié la possibilité d’utiliser des bases norvégiennes. Telle est mon argumentation.
Le fait que Mourmansk a été prévu comme base, avec le consentement de l’Union Soviétique, si c’était le cas, est sans intérêt puisqu’il s’agit ici de l’installation de bases en Norvège sans l’accord de la Norvège ?
Monsieur le Président, je voudrais prouver par là que l’amiral Dönitz, en sa qualité de commandant de la flotte sous-marine, avait dans les deux cas reçu l’ordre d’étudier l’installation de bases dans un pays mais que, aussi bien que dans le cas de Mourmansk que dans celui de Narwik ou de Trondheim, il n’avait pas à porter de jugement.
Dans le document n° 3 dont vient de parler l’avocat de l’accusé Dönitz, il s’agit effectivement de bases dans le Nord ; mais on n’y parle pas du tout de plans de l’Union Soviétique. D’ailleurs, il est, à mon avis, absolument faux de parler de certains plans de l’Union Soviétique parce qu’il n’y a jamais eu et il n’y a aucun plan de l’URSS prévoyant la création de bases dans le Nord.
Si M. le représentant de l’Union Soviétique a des doutes sur le fait que ces bases aient été choisies en accord avec l’Union Soviétique, je le ferai prouver par un témoin.
Mais ce document n’en parle absolument pas ?
Le document n’en dit rien.
Le Tribunal estime que vous ne devriez pas faire de déclarations de ce genre sans preuve. Vous parlez actuellement d’un document qui n’apporte aucune preuve de ce fait.
Monsieur le Président, puis-je lire le document Dönitz-4 ?
C’est le Dönitz-3 ?
J’en étais déjà au document Dönitz-4. J’ai déjà lu un extrait du document Dönitz-3. Je lis maintenant dans le Dönitz-4 les notes du 17 novembre 1939 :
« Le commandant de la flotte sous-marine reçoit de l’État-Major naval l’ordre d’expérimenter la « base Nord ».
« L’État-Major naval considère qu’il serait très souhaitable que le U-36, qui doit appareiller dans les jours prochains, fasse l’essai de cette base. Le ravitaillement pour le pétrolier Phönizia à Mourmansk sera transporté par un chalutier qui part le 22 novembre pour Mourmansk. »
II me semble que ces notes montrent clairement que ce résultat n’a pu être obtenu qu’avec accord de l’Union Soviétique. Je vais montrer ensuite que les considérations sur les bases...
Un instant, Docteur Kranzbühler. Le Tribunal estime que vous ne devriez pas faire de telles remarques sur des documents qui n’étayent pas votre point de vue. Le document n° 3 par exemple ne peut pas être interprété ainsi, car au paragraphe 2 il parle d’attaques à mener contre des navires venant de ports russes. De même l’autre document dont vous parlez, le Dönitz-4, à la page 5, ne peut pas être interprété comme vous le faites.
Monsieur le Président, je crains d’avoir lu trop vite le contenu de ces deux documents. Pour ceux qui connaissent les documents de guerre, beaucoup de choses sont évidentes, alors qu’elles sont difficiles à comprendre pour d’autres. Le document Dönitz-3, dans la partie que j’ai lue, signale qu’il y a des possibilités pour la création d’une « base Nord ». Ces possibilités ne peuvent être que politiques, car je ne peux établir de bases dans un pays s’il n’est pas d’accord. Le document Dönitz-4 montre qu’il s’agit de Mourmansk et que cette base doit être expérimentée par un ravitailleur, un chalutier et un sous-marin. A mon avis, cela prouve d’une façon sûre...
Le Tribunal s’élève contre le fait que vous ayez dit que l’Union Soviétique était d’accord ; or, ces documents ne le prouvent pas.
Je crois que cela ressort du document Dönitz n° 4. Il n’est pas possible...
Je proteste énergiquement contre ce procédé qui consiste à faire, en dehors de ce qui est dit dans le document, des suppositions ou des affirmations tout à fait gratuites qui peuvent être interprétées, comme le Dr Kranzbühler l’a fait depuis le début de ses explications. Je ne suis ni voyant ni chiromancien, et je ne peux pas deviner les conclusions que l’on peut tirer de tel ou tel document. Je suis juriste et j’ai l’habitude d’utiliser les documents tels qu’ils sont ; je suis habitué à donner à un document le sens qu’il présente. Je crois que le Tribunal a raison de dire au défenseur qu’il est absolument impossible de tirer des conclusions, comme il a essayé de le faire ici, et je voudrais que l’avocat soit prévenu qu’il doit se limiter à l’interprétation normale des documents.
Monsieur le Président, je serais reconnaissant au Tribunal s’il voulait étudier une question de procédure fondamentale. Nous avons un certain nombre d’objections contre un nombre considérable de documents du Dr Kranzbühler. J’en ai fait une liste très courte qui groupe le plus possible nos objections. Je peux soumettre maintenant cette liste au Tribunal et naturellement au Dr Kranzbühler. Je laisse au Tribunal à juger s’il ne serait pas utile qu’il examinât cette liste avant de lever l’audience de ce soir et qu’il entendît éventuellement les observations du Dr Kranzbühler à propos dé ces documents.
Ainsi le Tribunal pourrait prendre une décision au sujet de certains de ces documents avant la reprise de l’audience demain, ce qui économiserait du temps. Je suggère au Tribunal d’adopter cette façon de procéder qui est la plus pratique.
Vous suggérez que nous suspendions l’audience une certaine heure pour considérer votre liste et ensuite entendre le Dr Kranzbühler ?
Oui.
C’est bien cela ?
Monsieur le Président, je voulais commenter ma liste, la soumettre au Tribunal et lui donner des explications ; le Tribunal pourrait ensuite entendre le Dr Kranzbühler et lever l’audience en temps opportun.
Puis-je m’expliquer à ce propos, Monsieur le Président ?
Je vous en prie.
Je n’admets pas une semblable procédure, Monsieur le Président. Devant ce Tribunal, en ma qualité de défenseur, j’ai dit jusqu’à présent très peu de choses, mais j’estime que c’est maintenant à moi de parler et qu’on doit me permettre de présenter mes documents dans l’ordre que je considère comme le plus indiqué pour ma défense. Je prie le Tribunal d’essayer de se représenter ce qui se serait passé si avant le début de l’exposé du Ministère Public, j’étais venu dire que je voudrais d’abord donner mon avis sur la pertinence des documents du Ministère Public. Je crois que cette comparaison montre que cette procédure n’aurait pas été admise.
Je m’efforcerai de montrer avec plus de précision que je ne l’avais jugé utile jusqu’ici l’importance de mes documents avant de les déposer. Cependant, je prie le Tribunal de bien vouloir considérer que j’ai maintenant la parole et que le Ministère Public ne doit présenter ses objections que lorsque mes documents auront été exposés en détail.
L’inconvénient de cette procédure, Monsieur le Président, réside dans le fait que je vais interrompre le Dr Kranzbühler tous les deux ou trois documents pour présenter une objection contre l’un d’entre-eux, ce qui prendra beaucoup de temps. Je crois qu’il serait préférable que je présente les objections comme nous l’avons fait jusqu’ici, c’est-à-dire en les groupant au lieu de les présenter séparément. Il appartient au Tribunal de décider quelle est la méthode qu’il estime la meilleure. Je ne veux absolument pas intervenir dans l’exposé du Dr Kranzbühler mais, d’un autre côté, si l’on suit la méthode des objections séparées qu’il préconise, l’objection est vaine si elle est soulevée après les explications données par le Dr Kranzbühler, ou, si elle n’est pas absolument vaine, elle est en tout cas d’une bien moindre signification.
Docteur Kranzbühler, si Sir David présente maintenant ses objections aux documents, qu’elles soient groupées ou non, et si vous pouvez lui répondre à propos de chaque document en donnant votre point de vue sur l’intérêt de chaque document, en quoi cela peut-il vous gêner ? Le Tribunal prendra vos arguments en considération ; il décidera et vous saurez ensuite quels sont les documents qu’il aura refusés. Vous pourrez alors présenter les autres documents comme vous voudrez.
La seule raison et le seul résultat de cette procédure sont d’éviter que le représentant du Ministère Public, pour chaque document présenté contre lequel il veut soulever des objections, se lève, interrompe, mette les écouteurs et prenne du temps pour exposer ces objections. Je ne vois pas que cela puisse vous déranger le moins du monde.
Monsieur le Président, je ne m’élève pas contre le fait que le Ministère Public fasse ces objections immédiatement. Je voudrais simplement éviter d’être obligé de me prononcer maintenant sur chaque objection. S’il m’est permis de prendre position au fur et à mesure que je présenterai mes documents, je ne vois aucun inconvénient à ce que le Ministère Public présente maintenant ses objections.
Sir David, le Tribunal aimerait que vous exposiez maintenant les objections soulevées contre ces documents. Ensuite le Dr Kranzbühler aura l’autorisation de poursuivre le commentaire de ses documents et de répondre à vos objections formulées contre la recevabilité d’un document quand il arrivera au document en question.
Si Votre Honneur veut bien m’excuser un instant, je vais rassembler mes papiers.
Je regrette, je n’ai que le texte anglais des objections du Ministère Public, mais peut-être les membres du Tribunal qui ne comprennent pas l’anglais pourront-ils suivre plus facilement s’ils ont au moins les numéros sous les yeux.
Monsieur le Président, le premier groupe comprend les documents dont le Ministère Public prétend qu’ils n’ont aucune valeur probatoire. Ce sont les documents D-53 ; le « D » veut dire ici « livre de documents Dönitz n° 53 », page 99, D-49, page 130 et 131, D-51 et D-69. Le premier de ces documents, le D-53, est une lettre envoyée d’un camp de prisonniers de guerre et signée par 67 commandants de sous-marins qui est d’une portée tout à fait générale. Le Ministère Public estime que ce document n’a aucune valeur probatoire ni par sa forme ni par son fond. Le document D-49, aux pages 130 et 131, est aussi très général et ne contient aucune indication de la base morale ou légale sur laquelle repose l’opinion exprimée. D-51 et D-69 sont des communiqués de journaux.
Un instant, voulez-vous, Sir David ? Vous avez dit page 130 ? Je n’ai pas de page 131. Est-ce un affidavit, est-ce considéré comme un affidavit ?
Oui, Monsieur le Président.
« D’après les archives du Tribunal militaire maritime, j’ai... » Oui, je crois que le livre de documents n’est pas tout à fait en ordre.
C’est bien possible, Monsieur le Président.
Est-ce un affidavit de quelqu’un ?
Oui, Monsieur le Président, le numéro 130 vient immédiatement avant.
Je l’ai trouvé. La page 131 était avant la page 130.
C’est cela, Monsieur le Président. C’est un affidavit d’un ancien juge d’un tribunal maritime et vous verrez, Messieurs, que le jugement porté par le Ministère Public, à savoir qu’il est très général, est justifié par le contenu du document et qu’il est difficile de voir sur quoi mon savant adversaire base ses déclarations.
Le document D-51, à la page 134, est un extrait du Völkischer Beobachter du 20 mars 1945. Le Ministère Public estime que le sujet traité n’a aucun rapport avec les accusations portées contre l’accusé Dönitz.
Le D-69 est un autre article du même journal du 14 novembre 1939 et contient une liste de paquebots anglais et français armés.
Nous avons rassemblé dans le deuxième groupe les documents irrecevables D-5, D-9, D-10, D-12, D-13, D-29, D-48, D-60 et D-74.
Le premier de ces documents le D-5, qui concerne la Norvège, essaie d’introduire par une note des documents dont le Tribunal s’est déjà occupé lors de l’examen des documents pour le cas de l’accusé Raeder, et sur lesquels le Tribunal a exprimé des doutes bien qu’il ait autorisé leur traduction. Le Tribunal se souvient que, pour les documents Dönitz, on avait jugé préférable de les faire traduire sans discussion préalable. Le même argument s’applique à une note sur un discours de l’accusé Ribbentrop. C’est un résumé de documents tombé entre les mains des Allemands longtemps après ce discours de Ribbentrop. Le Ministère Public estime que ce document n’est pas pertinent.
Les documents 9, 10, 12 et 13 traitent du sauvetage des survivants de navires alliés naufragés de 1939 à 1941 inclus.
Oui.
Monsieur le Président, la dernière remarque : « Toutes ces déclarations n’ont vraisemblablement pas été faites sous la foi du serment », est une erreur. On devrait lire : « La déclaration D-13, selon toute apparence, n’a pas été faite sous la foi du serment ».
Voici notre position : quoiqu’il soit parfaitement exact que l’accusé ait donné avant le 27 mai 1940 un ordre de ne pas sauver les naufragés, la période réellement importante se place aux environs du 17 septembre 1942. Il semble inutile au Ministère Public d’approfondir les détails pour la période précédente. On ne conteste absolument pas qu’il y ait eu des sauvetages. La seule accusation que le Ministère Public porte contre l’accusé c’est qu’il a donné un ordre qui — le Ministère Public l’a prouvé — interdit le sauvetage des naufragés en cas de danger.
Quelle date avez-vous donnée ? Le 17 novembre 1942 ?
Monsieur le Président, l’ordre de ne pas faire de sauvetages a été donné avant le 27 mai 1940 ; nous ne pouvons donner la date exacte, mais nous savons, d’après une référence d’un autre document, que ce doit être avant le 27 mai 1940. L’ordre sur la destruction des équipages des navires marchands est du 17 septembre 1942.
Monsieur le Président, le document 29 contient quatre documents relatifs à la déclaration du témoin Heisig. Le premier est un affidavit d’un témoin qui parle de la façon dont l’accusé Dönitz prenait normalement ses ordonnances, mais le témoin ne se souvient pas de ce que Dönitz a dit au témoin Heisig à cette occasion. Ce document contient beaucoup d’arguments.
Le second document est une lettre adressée à l’avocat de l’accusé Dönitz dans laquelle, à l’exception d’une phrase, il est contesté que l’accusé ait parlé comme l’affirme le témoin Heisig. Le reste de cette déclaration, qui n’est naturellement pas faite sous la foi du serment, est composé d’arguments vagues ou irrecevables.
Les deux autres documents qui ne semblent pas avoir été établis sous la foi du serment parlent du caractère du témoin Heisig. Le Tribunal se souvient qu’on n’a lancé aucune affirmation de ce genre lorsqu’il a témoigné et qu’il n’a pas été contre-interrogé sur ce point.
Le deuxième document porte sur d’autres conférences faites par l’accusé dont il n’a pas été fait mention ici.
Le document D-48 affirme que les prisonniers alliés dans les camps de prisonniers de guerre de la Marine allemande étaient bien traités. Cette accusation n’a jamais été portée contre Dönitz.
Le document D-60, à la page 209, parle de « zones dangereuses » fixées par les Italiens et les Français ; le Ministère Public estime qu’elles n’ont aucun rapport avec les « zones dangereuses » déclarées par les Allemands.
Les documents D-74 et D-60, page 256, traitent des relations entre les Marines marchandes britannique et française et leurs Marines de guerre respectives ; le Ministère Public estime qu’ils ne sont pas pertinents et en ce qui concerne la Marine britannique, ils font double emploi avec le document D-67.
Le troisième groupe renferme des détails concernant le système de contrôle de la contrebande. Ce sont les documents D-60, page 173 à 198, D-72, D-60 pages 204 et 205, et pages 219 à 225.
Ces documents traitent des détails du contrôle de la contrebande, des déclarations de divers Gouvernements ; nous estimons que les détails du contrôle de la contrebande s’éloignent des questions traitées ici et ne sont pas pertinents.
Je ne crois pas que, dans la présentation des preuves contre les deux amiraux, on ait soulevé la question de la contrebande. Le Ministère Public estime qu’on fait aussi état d’éléments qui n’apportent rien pour l’examen de ces cas.
Le quatrième groupe, qui ne peut être décrit qu’en termes très généraux, se compose d’allégations portées contre les Alliés. L’objection générale présentée dans le premier paragraphe est que ces documents sont des allégations portées contre les Alliés. Ils n’ont pas de rapport, ou très peu, avec les problèmes débattus ici et, si on les autorisait, le Ministère Public se verrait obligé de chercher à réfuter ces allégations. Il faudrait peut-être alors présenter un gros volume de preuves.
J’ai mis à part les documents qui affirment que les Alliés ne sauvaient pas les survivants ; il y en a deux, 43 et 47, aux pages 96 et 90.
Les documents 31 et 32 parlent d’attaques alliées contre les avions de sauvetage dès naufragés ; le 33 accuse un sous-marin soviétique d’avoir coulé un navire-hôpital.
Trois documents, les numéros 37, 38 et 40 — ce dernier est un article de journal — prétendent que les Alliés ont tiré contre les survivants de navires coulés.
La question de traitement des survivants par les Alliés sera épuisée par la présentation d’extraits du journal de guerre de la Marine allemande. Nous n’élevons pas d’objection parce qu’il s’agit là non pas du fait que ces documents dénoncent des faits réels, mais de prouver que ces affaires ont pu influencer le Haut Commandement allemand. Je suis tout à fait prêt à admettre que le Dr Kranzbühler les présente et que le Tribunal les prenne en considération. Il y a un autre document qui traite de la même question avec assez de détails, et je l’accepte également.
Restent les autres documents affirmant que les Alliés ont commis des actions illégales ou violé les règles du Droit international. Ce sont les numéros 19, page 24, document Göring numéros 7 et C-21, page 91, n° 47, pages 120, 121, qui est aussi un article de journal ; n° 52 et 60, pages 152 et 218 ; D-75, 81, 82, 85 et 89.
Si je comprends bien l’argumentation développée ici, elle part du fait que l’ordre dont nous affirmons qu’il ordonne d’anéantir les survivants ne doit pas être compris comme une mesure de représailles, car la Défense déclare que cet ordre n’enjoignait pas d’anéantir les survivants, mais de ne pas leur porter secours. Dans ces conditions il semble difficile sinon impossible, d’apprécier comment ces questions peuvent être pertinentes. Il en va de même en ce qui concerne l’ordre pour l’exécution des troupes de commandos. La prétendue justification qu’on en donne figure dans l’ordre lui-même. Je n’ai encore jamais entendu aucun des accusés donner une justification de cet ordre devant le Tribunal. Tous ont dit jusqu’ici que cet ordre avait été donné par Hitler et qu’ils devaient l’appliquer, qu’ils l’eussent ou non approuvé.
A mon avis, la Défense, dans son argumentation, n’a jamais fait allusion au fait que des violations aux règles et coutumes de la guerre peuvent parfois être commises par mesure de représailles. La question n’a pas été présentée sous cet angle. Si je comprends bien la Défense, on ne parle pas ici de violations qui aient pu provoquer des représailles. Le Ministère Public prétend donc que ces documents ne sont pas pertinents.
Je me suis efforcé d’être aussi bref que possible, car je ne voulais pas prendre trop de temps, mais j’ai tenté de présenter convenablement les documents en décrivant les plus importants.
Le Tribunal voudrait savoir pourquoi la question de l’admissibilité de ces documents n’a pas été soulevée auparavant. Dans les autres cas, la question de l’admissibilité des documents a été réglée dès le début ; vous présentiez vos objections et vos critiques auxquelles répondait l’avocat, et le Tribunal prenait sa décision.
Voici la situation telle que je la vois. Nous avons présenté des objections aux documents et le Dr Kranzbühler a déclaré qu’il préférait que les documents fussent d’abord traduits et les objections présentées ensuite. On m’a certainement informé que le Tribunal était d’accord et avait donné l’ordre de faire traduire les documents.
Ce doit être exact en ce qui concerne la traduction. Cela ne veut pas dire que le document soit nécessairement admissible : dans la plupart des autres cas, sinon dans tous, nous avons pu, vous vous en souvenez, discuter de ces documents en audience publique avec vous ou un autre membre du Ministère Public. Vous présentiez vos objections, puis l’avocat de l’accusé répondait à ces objections.
Monsieur le Président, le Dr Kranzbühler vient de me faire passer un billet. Voici la décision du Tribunal : « Le Tribunal a décidé que les documents cités dans votre exposé doivent être traduits mais que la question de leur admissibilité devra être discutée plus tard ».
Je crains que ce ne soit ma faute. Pour être franc, je n’ai pas pensé que j’aurais dû faire ces remarques avant le début de la présentation du cas Dönitz. Je le regrette ; c’est moi qui suis responsable de cette erreur. J’ai cru, sans raison d’ailleurs, que la question de l’admissibilité serait présentée au début ou à un moment opportun pendant le cas Dönitz. Je vous présente mes excuses. Monsieur le Président, nous avons cependant une excuse, nous avons reçu trois des livres de documents samedi, et le dernier hier seulement ; nous ne pouvions donc rien faire avant aujourd’hui, même si j’y avais songé.
Docteur Kranzbühler, le Tribunal considérant le grand nombre de documents auxquels le Ministère Public fait opposition, estime qu’il serait peu expédient que vous ne répondiez à Sir David Maxwell-Fyfe qu’au fur et à mesure de la présentation de vos documents. Vous devriez donc répondre comme l’ont fait les autres avocats aux objections à la recevabilité de vos documents.
Le Tribunal pourra ensuite apprécier les arguments de Sir David Maxwell-Fyfe et ceux que vous présenterez à l’appui de vos documents.
Monsieur le Président, je tiens à faire remarquer qu’étant donné le grand nombre d’objections présentées par le Ministère Public contre les documents, il me faut pratiquement présenter ici l’ensemble de mes documents ; en effet, ils viennent tous dans un ordre très régulier et nécessaire, et je ne peux pas retirer un des documents sans ébranler tout l’ensemble. Je pense donc que cette procédure épargnerait sensiblement du temps si le Tribunal voulait m’autoriser à étudier les objections au moment de la présentation des documents.
Quelle différence y a-t-il si l’on admet que la décision du Tribunal sera la même que vous discutiez la question maintenant ou plus tard ? Les documents qui resteront, qui seront déclarés admissibles, seront les mêmes. Il n’y a donc pas de différence. Je ne vois rien qui soutienne ce que vous venez de dire.
Monsieur le Président, mes preuves documentaires, tout comme celles de l’Accusation, sont classées selon certains buts et d’après un certain ordre d’idées. Si parmi les cinquante documents qui forment l’ensemble des documents, il faut discuter sur quarante, il en manque dix. Il me parait préférable de discuter sur les cinquante et ceci dans l’ordre dans lequel je me proposais de les présenter au Tribunal. Si le Tribunal estime que les motifs invoqués pour la pertinence d’un document sont insuffisants, celui-ci sera retiré ou refusé. Il me parait plus rationnel que je puisse présenter mes arguments dans l’ordre dans lequel je les ai disposés et non pas dans l’ordre dans lequel le Ministère Public présente ses objections. Cela détruirait complètement mon argumentation et il me semble qu’en qualité de défenseur je suis libre d’exposer mes idées selon leur ordre logique, et non pas dans l’ordre que me propose le Ministère Public.
Si c’est ainsi, vous pouvez présenter vos arguments sur la recevabilité des documents dans l’ordre dans lequel viennent ces documents.
Oui, Monsieur le Président.
Mais il faut le faire maintenant.
Oui, Monsieur le Président.
Vous pouvez commencer par le D-5, le premier document, puis passer aux D-9, D-10 ; prenez-les dans l’ordre dans lequel ils se présentent. Docteur Kranzbühler, le Tribunal ne voit aucune raison pour que vous présentiez vos documents autrement que vos confrères. Il pense que vous devriez être prêt à présenter ces documents de la façon dont ils sont groupés ici. Le Tribunal préférerait que vous les présentiez maintenant, si vous pouvez le faire assez rapidement. Le Tribunal pourra décider quels sont les documents admissibles pendant la suspension de l’audience. Sinon, le Tribunal devra demain suspendre l’audience pour prendre sa décision, ce qui entraînera une perte de temps.
Monsieur le Président, il est bien entendu que je peux faire des observations générales sur les groupes de documents mentionnés par le Ministère Public, mais il ne m’est pas possible d’entrer dans les détails de chaque document pour en prouver solidement la pertinence. Cela ne m’est pas possible, étant donné surtout que j’ai reçu une grande liste que je n’avais pas encore vue. C’est pourquoi je vous prie, si je dois apporter ici des justifications à propos de chaque document, de me permettre de le faire demain matin. Si le Tribunal ne veut entendre que des objections générales sur ces groupes, je peux le faire immédiatement.
Très bien, Docteur Kranzbühler, le Tribunal va maintenant lever l’audience et nous vous entendrons au sujet des documents demain à 9 h. 30.
En audience publique, Monsieur le Président ?
Oui, naturellement, en audience publique.