CENT VINGT-SIXIÈME JOURNÉE.
Vendredi 10 mai 1946.
Audience du matin.
(L’accusé Dönitz est à la barre.)Sir David, d’après ce que je comprends, il y a des requêtes supplémentaires de documents et de témoins dont l’examen ne demandera sans doute pas beaucoup de temps, n’est-ce pas ?
Monsieur le Président, en fait, je n’ai pas encore reçu d’instructions définitives. Mais je peux les obtenir très rapidement ; je vais charger le major Barrington de ce soin. Je crois que c’est possible.
Le Tribunal se propose donc de siéger en audience publique demain jusqu’à midi moins le quart. Le Procès suivra son cours normal puis, à midi moins le quart, les requêtes supplémentaires seront examinées avant que nous ne siégions en chambre du conseil.
Monsieur le Président, nous serons prêts demain à midi moins le quart.
Très bien.
Accusé, le premier document que je voudrais vous soumettre est l’ordre du Führer relatif aux commandos, du 18 octobre 1942. Il se trouve à la page 65 du livre de documents anglais et à la page 98 du livre de documents allemand. C’est le numéro C-178 (USA-544). Vous verrez que ce document est daté du 11 février 1943, c’est-à-dire environ douze jours après que vous soyez devenu Commandant en chef. La référence indique qu’il a été adressé à « 1 SKL-I », c’est-à-dire la section de votre État-Major qui s’occupait du Droit international et du droit des prises ; n’était-ce pas la section de l’amiral Eckhardt ?
Non. Il est adressé à la première section du SKL, c’est-à-dire à l’État-Major d’opérations navales. Il émane de Eckhardt et est adressé à la première section, au chef de la première section.
Je crois bien avoir raison ; cette référence « 1 SKL-I » est bien celle de la section de l’amiral Eckhardt. C’était bien la référence de la section du Droit international de l’amiral Eckhardt ?
Non, non, non. C’est une des sections dont l’amiral Eckhardt était rapporteur. Il était rapporteur de cette section.
Et le troisième SKL, à la ligne suivante, désigne la section de la Presse. C’est bien ce que vous avez dit ?
Non. La troisième section du SKL rassemblait les informations destinées à la Marine et les lui communiquait.
Je fais remarquer qu’il s’agit donc de renseignements et de presse. C’est bien cela, n’est-ce pas ?
Oui, renseignements et presse.
Maintenant, je voudrais simplement que vous éclaircissiez pour le Tribunal trois points de ce document. Vous vous souvenez que je vous ai demandé hier à quel point l’ordre du Führer du 18 octobre devait être gardé secret. Si vous regardez le second paragraphe, vous verrez qu’il y est dit qu’on a donné à cet ordre la mention protectrice d’« affaire de commandement ».
« ... Simplement parce qu’il y était parlé (1) des organisations de sabotage qui pourraient avoir des conséquences graves... et (2) que l’on devait fusiller les prisonniers en uniforme agissant conformément à des ordres militaires, même s’ils s’étaient rendus volontairement et avaient demandé grâce ». Voyez-vous cela ?
Oui, je l’ai lu.
Admettez-vous que ce fut bien là une des raisons de tenir cet ordre secret ?
Je n’ai pas été tenu au courant de cet échange de notes entre Eckhardt et le chef de section, ainsi qu’il appert des références chiffrées qui ont été rapportées sur ce livre de documents...
Est-ce une raison pour ne pas répondre à ma question ? Admettez-vous que ce fut la raison pour laquelle ce document a été tenu secret ?
Je n’en sais rien. Je ne peux pas vous le dire étant donné que je n’ai pas donné cet ordre moi-même. Il est dit dans cet ordre, d’une part, que ces gens avaient tué des prisonniers — c’est ce que j’ai lu quand je commandais la flotte sous-marine — et, d’autre part...
Je vais vous donner une autre occasion de répondre à ma question. Vous étiez Commandant en chef de la Marine de guerre. Prétendez-vous ne pouvoir répondre à cette question ? Est-ce que la raison mentionnée au paragraphe 2 de ce document est la véritable raison pour laquelle cet ordre du Führer du 18 octobre a été tenu très secret ? Vous avez une dernière occasion de répondre à cette question. Voulez-vous le faire, oui ou non ?
Oui, je répondrai. Je considère que c’est possible, d’autant que les juristes sont ici de cet avis. Je ne sais pas si c’est exact, puisque je n’ai pas moi-même donné cet ordre. Par ailleurs cet ordre stipule que les instructions de la Wehrmacht ne feront pas état de ces choses.
C’est le point suivant. En effet, le paragraphe qui suit prévoit que l’on doit parler dans les ordres destinés à la Wehrmacht de l’anéantissement des unités de sabotage au combat et non pas, évidemment, de leur exécution — leur assassinat, dirai-je — accomplie délibérément par le SD après le combat. J’attire votre attention sur le paragraphe suivant qui indique qu’il est difficile de savoir combien de saboteurs constituent une unité de sabotage et suggère qu’un groupe de dix doit être considéré comme une unité de sabotage.
Maintenant, si vous voulez prendre connaissance du dernier paragraphe, je vais vous le lire lentement :
« On peut présumer que l’« Abwehr III » est au courant de l’ordre du Führer et se trouve en mesure de répondre aux objections de l’Etat-Major général de l’Armée de terre et de l’État-Major d’opérations de l’Aviation. Quant à la Marine, il reste à voir si l’on peut profiter de l’occasion pour se rendre compte, après avoir — j’insiste là-dessus — conféré avec le Commandant en chef de la Marine, si tous les services intéressés ont une conception très nette du traitement à infliger aux membres des commandos. »
Alors que ce mémorandum émanant du service d’Eckhardt devait être montré à « 1 SKL », c’est-à-dire au service de votre chef d’État-Major, vous n’allez pas prétendre n’avoir jamais été consulté à ce sujet ?
Certainement je le prétends et je le prouverai grâce à un témoin qui reconnaîtra qu’il n’y a ni chiffres ni liste de destinataires portés sur ce document. Ce témoin prouvera manifestement que je n’ai pas eu communication de ce mémorandum.
L’amiral Wagner était bien votre chef d’État-Major ?
Oui.
Très bien, nous ne nous en occuperons pas plus longtemps.
Il n’était pas mon chef d’État-Major, il était chef de la section en question, de la section « 1SKL », à laquelle ce mémorandum a été adressé. Il établira clairement qu’on ne me l’a pas communiqué. Tout cela est très clair.
Je vais laisser cette question de côté puisque vous prétendez ne pas avoir vu ce document. Je vous demanderai de regarder le document PS-551.
Monsieur le Président, je vais en transmettre un exemplaire au Tribunal. C’est le document USA-551, qui a été déposé par le général Taylor, le 7 janvier. (A l’accusé.) C’est un document daté du 26 juin 1944 et qui se rapporte à l’ordre du Führer ; il explique comment il devra être appliqué après le débarquement des Alliés en France. Maintenant, si vous voulez regarder la liste des destinataires, vous verrez, sous le numéro 4 : « OKM 1-SKL » ; c’est le service à propos duquel vous m’avez obligeamment repris tout à l’heure. Vous a-t-on montré ce document prévoyant que l’ordre du Führer devait s’appliquer aux unités de commandos opérant en dehors de la zone immédiate de combat en Normandie ? Vous a-t-on montré ce document ?
On ne m’a jamais communiqué ce document, et à juste titre, car la Kriegsmarine n’avait rien à voir dans cette affaire.
Vous m’avez dit hier que cette question vous concernait et que vous aviez de petits bâtiments qui opéraient sur la côte de Normandie. C’est bien ce que vous m’avez dit hier après-midi. Vos souvenirs se sont-ils modifiés depuis hier après-midi ?
Non, pas du tout, mais ces sous-marins à une place qui opéraient sur mer n’avaient rien à voir avec les commandos qui, eux, opéraient sur terre. Cela ressort également clairement de ce document. Je ne sais pas s’il mentionne le « 1 SKL », car je ne peux pas voir les initiales. Je suis convaincu, néanmoins, qu’il ne m’a pas été soumis, étant donné qu’il ne concernait nullement la Marine.
Je comprends. Voulez-vous regarder le document PS-537, daté du 30 juillet 1944.
Monsieur le Président, c’est le numéro USA-553, également déposé par le général Taylor, le 7 janvier.
Où est-il ?
Le sergent va vous le montrer. C’est le document d’après lequel l’ordre des commandos s’applique également aux missions militaires, et vous verrez ici aussi parmi les destinataires le service SKL de l’OKM. L’avez-vous vu ?
Oui, en effet, je le vois.
Mais l’avez-vous vu au moment où il a été diffusé à la fin de juillet 1944 ?
On ne m’a certainement pas communiqué cet ordre puisqu’il ne concernait nullement la Marine. La Marine n’avait rien à faire dans la lutte contre les partisans.
Je désire maintenant que vous jetiez, afin de ne pas perdre trop de temps, un bref coup d’œil sur le document PS-512.
Monsieur le Président, il s’agit du numéro USA-546, déposé lui aussi par le général Taylor, le 7 janvier. (A l’accusé.) C’est un rapport relatif à la question de savoir s’il était opportun de surseoir à l’exécution des membres des commandos afin de pouvoir les interroger et si cette éventualité a été envisagée dans la dernière phrase de l’ordre du Führer. J’attire votre attention sur le fait que l’objet de ma question se trouve à la deuxième phrase :
« L’importance de cette mesure a été démontrée dans le cas du Glomfjord, de la torpille à deux hommes de Trondheim et du planeur de Stavanger... »
Je n’ai pas encore trouvé.
C’est le document PS-512.
Sir David, vous devriez peut-être lire la première page.
Si vous le désirez, Monsieur le Président.
Mais ce document date de 1942. A cette époque, je commandais la flotte sous-marine sur les côtes de l’Atlantique et du golfe de Biscaye. Je ne connais pas ce papier.
C’est une réponse, mais il s’agit du 14 décembre 1942, et la mesure en question est décrite dans cette première phrase que Monsieur le Président m’a demandé de lire :
« Affaire secrète de commandement : D’après la dernière phrase de l’ordre du Führer du 18 octobre, on peut surseoir à l’exécution des saboteurs individuels afin de procéder à leur interrogatoire. »
Ensuite vient la phrase que j’ai lue, au sujet de laquelle je désire vous interroger. Avez-vous eu connaissance de cette question lorsque vous êtes devenu Commandant en chef de la Marine en janvier 1943 ? Regardez la dernière phrase :
« La Croix-Rouge et le BDS ont protesté contre l’application immédiate de l’ordre du Führer... »
Je m’excuse, je n’ai pas encore trouvé cette dernière phrase ; où se trouve-t-elle ?
Notre traduction dit : « Après l’application immédiate... »
« Après », Monsieur le Président, je m’excuse. C’est ma faute. Je vous remercie. « Ont protesté après l’application... » Je m’excuse d’avoir mal lu.
Mais cela date de décembre 1942 !
Six semaines seulement avant votre entrée en fonctions.
Oui, mais je ne connais pas ce télégramme. De toutes façons, il ne s’agit probablement pas de la Croix-Rouge, mais sans doute du Reiko See : « Reichskommissar fur Seeschiffahrt » (Commissaire à la Navigation maritime), je le pense, mais n’en suis pas sûr ; et BDS désigne probablement le SS-Führer en Norvège.
Le point qui, je le pensais, pouvait vous intéresser, concerne les torpilles conduites par deux hommes. J’estimais que cette affaire avait dû vous être communiquée à cause de son intérêt du point de vue naval. Néanmoins, s’il n’en a pas été ainsi, je passerai à un document postérieur à votre entrée en fonctions. Voulez-vous transmettre à l’accusé le numéro PS-526, document datant du 10 mai 1943.
Monsieur le Président, c’est la pièce USA-502, déposée par mon ami le colonel Storey, le 2 janvier. (A l’accusé.) Vous voyez que c’est un rapport — émanant du service de l’accusé Jodl et portant mention de ce service — au sujet d’une vedette ennemie qui effectua une opération en venant des Shetlands. C’était un canot de la Marine norvégienne ; le rapport donne son armement et dit qu’il constituait « un instrument destiné au sabotage des points d’appui, des emplacements de batteries, des postes de commandement et des cantonnements de la troupe, ainsi que des ponts ». Il signale que l’ordre du Führer fut exécuté par le SD. La Marine norvégienne avait fait sauter cette vedette, je suppose après qu’elle eût été attaquée : dix prisonniers furent assassinés. Ces faits ont-ils été portés à votre connaissance ?
On m’en a parlé ici lors d’un interrogatoire et on m’a demandé si je n’avais pas eu une conversation téléphonique avec le Feldmarschall Keitel. On s’est ensuite aperçu que c’était le Commandant en chef des troupes stationnées sur ce territoire qui s’était adressé à l’OKW. C’était donc là une affaire de l’Armée de terre et du SD et non de la Marine.
Puisque vous niez avoir entendu parler de cette affaire, voulez-vous vous reporter à la page 100 du livre de documents.
Monsieur le Président, c’est à la page 67 du livre de documents anglais. (A l’accusé.) C’est un résumé du procès du SD...
Où est-ce ? Je ne le trouve pas.
Je vous ai dit à la page 100 de votre livre de documents. Si vous le cherchez vous le trouverez à la page 67 du livre de documents anglais, si vous préférez, suivre dans cette langue.
Je vais maintenant m’expliquer. Je crois que vous avez déjà lu ce document pour vous y être référé. Il s’agit du résumé, rédigé par un magistrat militaire, des déclarations faites à l’occasion d’un procès de quelques SS.
Si vous voulez regarder le paragraphe 4, vous verrez que cet équipage était parti de Lerwick, dans les Shetlands, pour une opération qui avait pour but d’attaquer et de torpiller les navires allemands au large des côtes norvégiennes et de poser des mines. Le paragraphe 5 est ainsi rédigé :
« La défense n’a pas contesté que tous les membres de l’équipage étaient en uniforme au moment de leur capture et de nombreux témoignages, dont plusieurs provenant d’Allemands, prouvèrent qu’ils ne cessèrent de porter leurs uniformes après leur capture. »
Voilà ce à quoi vous avez fait allusion hier. Vous pouvez voir l’explication au paragraphe 6. Le témoin déclare :
« L’équipage au complet a été capturé et conduit sur un navire de guerre allemand, qui se trouvait placé sous les ordres de l’amiral von Schrader, commandant la côte ouest. Il fut emmené à Bergen et là interrogé par le lieutenant H.P.K.W. Fanger, lieutenant de réserve de la Marine, sur l’ordre du capitaine de corvette Egon Drascher ; ces deux officiers appartenaient au service de contre-espionnage allemand et cet interrogatoire fut conduit d’après les ordres de l’État-Major de l’amiral commandant la côte ouest. Le lieutenant Fanger a signalé à l’officier de l’« Abwehr » à Bergen qu’à son avis tous les membres de l’équipage devaient être traités comme des prisonniers de guerre. A son tour, cet officier transmit cet avis oralement et par écrit au commandant de la Marine à Bergen, et par écrit à l’amiral commandant la côte ouest. » II s’agit de l’amiral von Schrader...
Je voudrais maintenant vous lire une phrase dont vous croirez avec difficulté qu’elle est tirée au hasard des déclarations du lieutenant Fanger. On lui avait demandé : « Connaissez-vous la raison pour laquelle ces hommes ont été remis au SD ? » Je voudrais que vous me disiez, en répondant à cette question, qui en a été responsable. Il s’agit de vos officiers, de vos équipages, du général commandant la côte ouest norvégienne, l’amiral von Schrader, chef de secteur, dont les hommes ont capturé l’équipage. Il s’agit de vos officiers. Il est bien vrai qu’hier vous avez dit au Tribunal que l’équipage avait été capturé par le SD, n’est-ce pas ? Avez-vous des raisons de croire que le lieutenant Fanger ne disait pas la vérité ?
Que citez-vous là ?
Ce sont les notes sténographiques du procès des SS.
Ce texte a-t-il été déposé ?
Non, Monsieur le Président, mais il entre dans le cas prévu à l’article 19.
Monsieur le Président, je ne connais pas les documents utilisés. Je vous demande de me les communiquer. On cite des notes sténographiques que je n’ai pas vues. D’après le règlement du Tribunal relatif aux contre-interrogatoires, elles doivent être entre mes mains pendant l’audition du témoin.
Monsieur le Président, je vous ferai respectueusement remarquer que le même cas s’est produit hier lorsque l’accusé a fait certaines déclarations relatives à l’amiral von Schrader. Je veux mettre en doute ces déclarations ; je ne peux le faire qu’en me servant de documents que je n’ai pas l’intention d’utiliser d’une autre façon. Évidemment, je les communiquerai au Dr Kranzbühler au moment opportun.
N’avez-vous pas un exemplaire en allemand ? Ce témoignage a dû être fait en allemand ?
Je n’ai que la traduction anglaise ; je la ferai voir au Dr Kranzbühler, mais c’est le seul exemplaire que je possède.
N’avez-vous pas un exemplaire en double que vous pourriez lui remettre ?
Non, je n’ai reçu qu’un seul exemplaire.
Sir David, aussitôt que vous en aurez fini avec ce document, vous pourrez le transmettre au Dr Kranzbühler ?
Mais oui, certainement.
Très bien.
Avez-vous des raisons pour supposer que votre officier, le lieutenant Fanger, ne dit pas la vérité quand il affirme que ces hommes ont été faits prisonniers par les forces de l’amiral von Schrader ?
Je n’ai aucune raison de m’élever contre ces affirmations, étant donné que je ne sais rien de toute cette affaire. J’ai déjà expliqué qu’aucun rapport n’a été fait ni à moi-même — comme je peux le prouver — ni au Commandement en chef de la Marine. J’ai expliqué hier que je puis simplement témoigner à ce sujet que ces hommes ont été capturés — c’est ce qui figure au paragraphe 6 — dans une île, non par la Marine mais par un détachement de police. C’est pourquoi l’amiral von Schrader a prétendu que ce n’étaient pas des prisonniers de la Marine, mais des prisonniers de la Police et qu’ils devaient être remis à la Police. C’est la raison pour laquelle il n’a pas fait de compte rendu. Voilà les faits tels que je les suppose.
Je ne pense pas pouvoir personnellement fournir de plus amples détails sur cette affaire, ni expliquer comment elle se déroula, étant donné que je n’en ai pas été moi-même avisé à l’époque.
C’est là une question dont je vais m’occuper dans un instant. Néanmoins, ce document n’établit nullement que ces hommes ont été arrêtés par la Police ni qu’ils l’ont, en fait, été par des marins de l’amiral von Schrader qui avaient attaqué l’île où ce bateau se trouvait au mouillage.
Je n’en sais rien. Le document dit que les hommes ont atteint l’île, mais on ne dit pas pour quelle raison. Mais il est dit clairement qu’ils ont quitté l’île par un moyen quelconque ; c’est pourquoi ils ont pu rester aux mains de la Police s’ils avaient été capturés par elle ou par des gardes-côtes. D’après ce que je sais de la personne de l’amiral Schrader, voilà l’explication que je pense pouvoir donner.
Mais je viens de vous dire que votre officier, le lieutenant Fanger, prétend qu’ils ont été pris par les troupes de l’amiral von Schrader, et vous avez dit que si le lieutenant Fanger l’a prétendu, vous n’avez aucune raison de croire qu’il n’a pas dit la vérité ?
Oui, mon estime pour von Schrader m’a fait supposer hier que les choses s’étaient passées ainsi. Maintenant que je vois la déclaration du lieutenant Fanger, je pense que les choses se sont peut-être déroulées autrement et que je me suis peut-être trompé.
Voulez-vous vous reporter à la fin du paragraphe 8, à la dernière phrase :
« Il y eut une entrevue entre Blomberg, des SS et l’amiral von Schrader... » et, à la phrase suivante :
« L’amiral von Schrader dit à Blomberg que l’équipage de cette vedette lance-torpilles devait être remis au SD, conformément à l’ordre du Führer. » Et ils furent livrés au SD et le fonctionnaire du SD qui procéda à leur interrogatoire a déclaré au procès « ... qu’après l’interrogatoire, il était d’avis que les membres de l’équipage avaient le droit d’être traités comme des prisonniers de guerre et qu’il avait transmis un avis en ce sens à son supérieur hiérarchique ».
Malgré ce rapport et les représentations d’un officier supérieur, cet équipage fut traité conformément à l’ordre du Führer et exécuté. On rapporte ensuite comment ces hommes furent fusillés et comment leurs cadavres furent enlevés furtivement. Voulez-vous dire que vous n’avez jamais rien entendu à ce sujet ?
Non, jamais et je le soutiens. J’ai des témoins pour le prouver. Si le fonctionnaire du SD avait eu l’impression que ces hommes ne relevaient pas de son service, il aurait été obligé d’en référer à ses chefs, et ses chefs auraient été obligés de prendre les mesures qui s’imposaient.
Vous avez déjà dit que la Marine les avait interrogés. Le service de renseignements de la Marine avait déclaré qu’on devait les traiter comme des prisonniers de guerre et l’amiral von Schrader avait dit qu’ils devaient être remis aux SS, que les SS les avaient interrogés et avaient déclaré qu’ils devaient être traités comme des prisonniers de guerre. Malgré cela, ces hommes ont été assassinés. Vous dites ne rien savoir de tout cela ? Le capitaine Wildemann ne vous a-t-il rien dit à ce sujet ? W-i-l-d-e-m-a-n-n ?
Je ne le connais pas.
Je vais essayer de rafraîchir un peu vos souvenirs. A ce moment-là, il était officier des opérations à l’État-Major de l’amiral Schrader et s’occupa de cette question. Nous pouvons présumer, sans que vous puissiez nous contredire, que le capitaine Wildemann est digne de confiance. Il dit :
« Je sais que l’amiral von Schrader a fait un compte rendu écrit à ce sujet. Je ne vois pas la raison pour laquelle on n’a pas rendu compte du fait que ces prisonniers avaient été remis au SD. »
Prétendez-vous encore n’avoir pas reçu de rapport de l’amiral von Schrader ?
Oui, je prétends toujours que je n’ai pas reçu de rapport et je suis également convaincu que l’OKM n’en a pas reçu non plus. J’ai un témoin qui le prouvera. Je ne sais pas où est allé ce rapport. L’amiral von Schrader ne dépendait pas directement du Haut Commandement de la Marine ; peut-être le rapport a-t-il été envoyé à l’OKW, en admettant qu’il y ait eu rapport. En tout cas, le Commandement suprême de la Marine n’a pas reçu le moindre compte rendu sur cette affaire : d’où ma supposition que ces hommes avaient été faits prisonniers dans cette île par la Police. S’il n’en avait pas été ainsi, je pense que l’amiral von Schrader en aurait rendu compte.
J’aimerais, avant de vous poser une nouvelle question, vous rappeler une autre déclaration du capitaine Wildemann que vous connaissez probablement très bien :
« Après la capitulation, l’amiral von Schrader a répété à plusieurs reprises que les Anglais le considéraient sans doute comme responsable d’avoir livré ces prisonniers au SD. » L’amiral von Schrader allait être emmené en captivité en Angleterre lorsqu’il se suicida. Saviez-vous que l’amiral von Schrader s’était suicidé ?
Je l’ai appris ici.
Saviez-vous qu’il était préoccupé par la pensée qu’on pourrait le tenir pour responsable de cet ordre ?
Je n’en ai jamais entendu parler. C’est seulement ici que j’ai appris son suicide.
Prétendez-vous encore devant le Tribunal que l’amiral von Schrader ne vous a pas envoyé de compte rendu ? Vous rappelez-vous que quelques jours après le capture de cette vedette lance-torpilles, l’amiral von Schrader reçut la croix de Chevalier ?
Oui, mais cela n’avait aucun rapport. Il n’avait pas fait de compte rendu sur cette affaire et il n’est pas allé à Berlin pour recevoir la croix de Chevalier, pour autant que je m’en souvienne.
Deux autres officiers, le lieutenant Nelle et l’enseigne Böhm furent décorés et leurs citations portaient la capture de ce bateau comme motif de cette distinction. Vous dites que vous l’ignoriez ?
Je ne sais rien à ce sujet et je ne peux pas le savoir étant donné que ce sont leurs chefs hiérarchiques qui se sont occupés des décorations de ces officiers et non pas moi. Le Commandement suprême de la Marine n’a pas reçu de rapport sur cette affaire, sinon il me serait passé par les mains. J’ai, à ce sujet, une grande confiance dans mon Commandement suprême et mon témoin prouvera que lui non plus n’a rien reçu à ce sujet. Il aurait eu ce rapport entre les mains s’il était parvenu à l’OKM.
Une dernière question avant de quitter ce sujet : l’amiral von Schrader était votre adjoint. Il était, d’après vous, un officier très courageux. Voulez-vous laisser entendre au Tribunal que l’amiral von Schrader ne vous a jamais consulté sur cette responsabilité dont il supporta le poids et qui le fit se suicider et que vous ne partagiez pas la responsabilité de ses actes ? Est-ce bien cela que le Tribunal doit comprendre ?
Parfaitement, et je peux l’affirmer sous la foi du serment, car si l’amiral von Schrader s’est bien suicidé à cause de cette affaire, c’est qu’alors il a commis une faute en traitant de cette façon un détachement de marins effectuant une opération navale. Si c’est exact, il a agi contrairement à mes ordres. En tout cas, je n’ai absolument rien su de cette histoire.
Sir David, voulez-vous demander au témoin ce qu’il a voulu dire en déclarant que von Schrader ne dépendait pas directement de la Marine ? Il dépendait de l’amiral Ciliax, n’est-ce pas ? Ce dernier n’était-il pas en permission à ce moment-là ?
J’ai dit qu’il ne dépendait pas directement du Haut Commandement de la Marine à Berlin. De sorte que si l’amiral von Schrader a fait un rapport quelconque sur cette affaire, ce rapport ne m’a pas été transmis directement, mais à son supérieur immédiat qui était en Norvège.
Ce supérieur immédiat était l’amiral Ciliax qui était en permission. Mais négligeons pour le moment cette question de permission. Son supérieur immédiat était bien l’amiral Ciliax ?
Oui.
Je tiens à établir ce point très nettement. Voulez-vous dire que l’amiral Ciliax, pour les opérations de Norvège, dépendait — rectifiez si je fais une erreur — du général von Falkenhorst ? Je peux ne pas me rappeler. Vous pourrez peut-être m’aider. Vous rappelez-vous si cet amiral dépendait du Commandant en chef en Norvège ? Voulez-vous le dire au Tribunal ?
Oui. Pour toutes les opérations sur terre, l’amiral Ciliax dépendait non du Haut Commandement de la Marine mais du Commandant en chef de la Wehrmacht en Norvège : le général von Falkenhorst. Je peux seulement dire que si le suicide de von Schrader a été la conséquence de cette affaire, c’est que l’ordre sur les commandos a été appliqué à tort puisque ces hommes, appartenant à la Marine et engagés dans une opération navale, n’ont pas été traités comme des prisonniers de guerre. Si les choses se sont effectivement passées ainsi, ce que j’ignore pour ma part, une faute locale en ce cas a été commise.
Mais de toutes façons vous dites que, malgré les décorations remises à la suite de cette opération, vous, Commandant en chef de la Marine, n’avez absolument rien su ? C’est bien ce que vous avez dit ?
C’est effectivement pour de tout autres raisons que j’ai accordé à l’amiral von Schrader la croix de Chevalier. Je ne sais rien des décorations accordées aux autres personnes que vous avez citées. Elles ne me concernaient nullement, mais leurs supérieurs immédiats. Je ne sais pas non plus si ces récompenses ont été accordées à la suite de cette affaire ou pour d’autres motifs qui me sont également inconnus. Je ne peux néanmoins pas concevoir qu’un homme comme l’amiral von Schrader eût pu prendre de telles mesures à l’égard de marins. Le document ne dit pas qu’ils ont été tués au cours d’une opération navale mais qu’ils ont été faits prisonniers sur une île. Il me semble bizarre que le Haut Commandement de la Marine n’eût pas reçu de rapport puisque des ordres avaient été donnés à cet effet et, d’autre part, que le communiqué de la Wehrmacht n’y ait pas fait allusion, conformément à l’ordre du Führer relatif aux commandos. Tous ces éléments sont contraires à la thèse présentée. Mais, personnellement, je suis incapable de former une opinion sur cette affaire.
Accusé, je ne tiens pas à entrer dans les détails. Vous voudrez bien admettre que les preuves ont été fournies au Tribunal que cette vedette a été attaquée par deux détachements spéciaux de la Marine. Si le Dr Kranzbühler peut prouver que je me suis trompé, je l’admettrai bien volontiers. Mais nous devons passer à un autre sujet. Le temps presse.
Voulez-vous regarder la page 105 du livre de documents ?
Je peux seulement déclarer ici que l’affaire en question représente une violation flagrante des ordres donnés et que le Haut Commandement n’a pas eu connaissance de ces faits.
Je voudrais que nous passions maintenant à la question suivante. C’est dans le livre de documents, à la page 105 du texte allemand et à la page 71 du texte anglais. Nous n’aurons pas de difficulté pour ce document, étant donné que vous l’avez signé. C’est un mémorandum relatif à l’accroissement de la main-d’œuvre dans les constructions navales. Vous devez très bien le connaître. Voulez-vous jeter un coup d’œil sur la première phrase.
A quelle page, je vous prie ?
Page 105, document GB-211 (C-195), page 71 du texte anglais,
Oui.
Si vous voulez examiner la première phrase :
« ... De plus, je propose l’accroissement du personnel des chantiers de constructions navales, en utilisant des prisonniers de camps de concentration... »
Je ne pensais pas que nous devions nous occuper de chaudronniers, mais regardez la fin de ce document, tout à fait à la fin, vous verrez, au deuxième alinéa du résumé :
« 12.000 prisonniers de camps de concentration seront employés dans les chantiers maritimes comme appoint de main-d’œuvre. (Le SD est d’accord.) »
C’est un document émanant de vous, aussi...
Parfaitement.
Nous pouvons donc en déduire que vous connaissiez l’existence des camps de concentration ?
Je n’ai jamais prétendu le contraire.
Je crois que vous êtes allé encore plus loin, n’est-ce pas, lorsqu’on vous a interrogé à ce propos le 28 septembre ? Vous avez alors répondu :
« D’une façon générale, je savais que nous avions des camps de concentration, c’est clair. »
« Question
Par qui l’avez-vous appris ?
« Réponse
Tout le peuple allemand savait qu’il y avait des camps de concentration. »
Vous rappelez-vous avoir dit cela ?
Oui, c’est exact, le peuple allemand savait qu’il y avait des camps de concentration, mais il ne savait rien des conditions et des méthodes qui régnaient dans ces camps.
Vous avez dû être quelque peu surpris lorsque l’accusé von Ribbentrop a déclaré qu’il n’avait entendu parler que de deux de ces camps : Oranienburg et Dachau ? Vous avez dû être plutôt surpris, n’est-ce pas ?
Non, je n’ai pas été surpris du tout, car je n’ai moi-même jamais entendu parler que de Dachau et d’Oranienburg.
Mais vous dites ici que vous saviez qu’il y avait des camps de concentration. D’où pensiez-vous tirer votre main-d’œuvre, de quels camps ?
De ces camps-là.
Pensiez-vous que toute votre main-d’œuvre allait être allemande ou qu’elle allait être partiellement étrangère ?
Je n’ai pas du tout pensé à cela. Je voudrais expliquer comment nous avons été amenés à faire ces demandes.
A la fin de la guerre, j’ai reçu la mission d’organiser d’importants convois sur la Baltique. La nécessité devint de plus en plus urgente de faire quitter à des centaines de milliers de pauvres réfugiés les régions côtières de Prusse et de Prusse Orientale où ils étaient exposé à la faim, aux épidémies et aux bombardements, et de les amener en Allemagne. Pour ces raisons, je fis des enquêtes sur l’état de la Marine marchande, qui n’était pas formellement de mon ressort.
J’ai pu ainsi constater qu’en dehors de huit bateaux commandés au Danemark, sept bateaux avaient été détruits par des saboteurs au dernier stage de leur construction. Je réunis tous les chefs des services intéressés à la question et je leur demandai : « Comment puis-je vous aider afin que nous obtenions plus rapidement un certain tonnage et puissions plus rapidement réparer les bateaux endommagés ? » Je reçus -des suggestions de divers côtés, de milieux étrangers à la Marine. En particulier, on suggéra que les travaux de réparation et les autres pourraient être accélérés par l’emploi de prisonniers de camps de concentration. En guise de justification, il fut souligné que ces travaux seraient très populaires en raison de l’amélioration de nourriture qu’ils représentaient. Comme je n’étais pas du tout au courant des méthodes et des conditions des camps de concentration, j’intégrai cette proposition dans mon projet comme une chose tout à fait naturelle, étant donné surtout qu’il n’était pas question d’infliger à ces gens des conditions de vie plus mauvaises, puisque leur ravitaillement devait être amélioré en raison de leur travail. Et je sais que si j’avais pris une position inverse, je serais accusé aujourd’hui d’avoir refusé à ces gens une occasion d’obtenir une amélioration de leur nourriture. Je n’eus pas le moindre motif de refuser, puisque j’étais alors dans l’ignorance la plus complète des méthodes employées dans les camps de concentration.
Nous vous remercions de votre explication. Mais je voudrais simplement que vous me disiez si, après votre demande de 12.000 prisonniers de camps de concentration, vous avez obtenu satisfaction sur ce point ?
Je n’en sais rien ; je ne m’en suis plus occupé. Après cette réunion, j’ai fait établir un mémorandum qui a été soumis au Führer.
Restez dans la question. Vous répondez que vous ne savez pas si vous les avez obtenus ou non, tout en présumant que vous les avez obtenus.
Je ne les ai pas obtenus du tout. Je ne me suis pas du tout occupé des chantiers navals et j’ignore si les responsables des travaux dans ces chantiers ont reçu de la main-d’œuvre supplémentaire. Je n’en sais absolument rien.
Mais vous occupiez un poste comportant une certaine responsabilité. Si vous aviez obtenu ces 12.000 internés provenant de camps de concentration pour travailler dans les chantiers navals, ils auraient été en contact avec des personnes qui ne sortaient pas des camps de concentration, n’est-ce pas ?
Certainement.
Prétendez-vous alors devant le Tribunal, après avoir demandé et peut-être obtenu ces 12.000 internés qui devaient travailler côte à côte avec des personnes qui, elles, ne provenaient pas des camps de concentration, que les conditions de vie à l’intérieur de ces camps restaient secrètes pour les autres personnes et pour toutes les autorités de l’Allemagne ?
En premier lieu, je ne sais pas si ces gens sont venus. En second lieu, s’ils sont effectivement venus, je peux bien imaginer qu’ils avaient l’ordre de ne pas parler. En troisième lieu, je ne sais même pas de quels camps ils venaient ni s’ils avaient été transférés d’autres camps en raison des travaux à accomplir. De toute façon, je ne me suis pas préoccupé de l’exécution de ces travaux ni des méthodes employées, étant donné que ce n’était pas mon affaire. Je me suis contenté d’agir en faveur des services non maritimes intéressés qui réclamaient des travailleurs afin d’effectuer plus rapidement les travaux de réparation. J’ai agi pour que ces navires marchands soient rapidement réparés. C’était là mon devoir, étant donné que j’avais des mesures à prendre pour le transfert des réfugiés. J’agirais de la même manière aujourd’hui si les circonstances se présentaient. Voilà les faits.
Bien. Maintenant, veuillez jeter un coup d’œil un peu plus loin, au paragraphe 4 de ce document, après la note du traducteur. Si vous consultez l’exemplaire en anglais, le paragraphe commence par : « Since elsewhere... » L’avez-vous trouvé ? C’est après que vous ayez — ainsi que vous nous l’avez dit — exprimé votre inquiétude sur le sabotage dans les chantiers navals danois et norvégiens. Je voudrais vous montrer vos propositions relatives aux saboteurs :
« Partout où des mesures de représailles ont été prises contre l’ensemble du personnel des entreprises où des actes de sabotage ont eu lieu, elles se sont révélées efficaces. Par exemple, le sabotage dans les chantiers navals a été complètement supprimé en France. On devrait donc envisager des mesures semblables dans les pays Scandinaves. »
Voilà, accusé, ce que vous préconisiez : des mesures de représailles collectives contre le personnel des entreprises où il y avait eu des sabotages. Cela n’est-il pas vrai ?
Oui. Puis-je donner quelques explications ?
Parfaitement. Néanmoins, les faits sont bien exacts.
Les services qui s’occupaient, indépendamment de la Marine, de constructions navales, ont déclaré à cette réunion que le sabotage avait été évité en France grâce à des mesures de représailles. Grâce à une déclaration sous serment de l’officier qui avait assisté à cette réunion et rédigé le procès-verbal ou mémorandum récapitulatif, j’ai établi que ces mesures signifiaient la diminution des rations supplémentaires accordées par la direction du chantier. Voilà ce qu’elles signifiaient. En second lieu, pour ce qui est de la Norvège et du Danemark, j’ai dit à ces gens :
« Il est inadmissible que nous construisions des navires en dépensant nos devises étrangères et nos matières premières pour les voir détruits par sabotage — avec la complicité certaine des ouvriers des chantiers — au moment où ils sont sur le point d’être terminés. Que pouvons-nous faire pour l’éviter ? » La réponse que je reçus fut que la seule méthode consistait à mettre des navires hors de l’atteinte des saboteurs, en renvoyant ces derniers dans des camps.
Toutes les explications que vous venez de nous donner figurent dans le document qui se trouve sous les yeux du Tribunal. Avez-vous quelque chose à ajouter aux arguments exposés dans ce document ?
Oui. J’ai à ajouter que les travailleurs devaient être traités exactement de la même manière que nos propres ouvriers qui étaient également logés dans des baraques. Les Danois et les Norvégiens n’auraient pas ainsi manqué de confort.
Veuillez regarder cette autre phrase :
« En traitant ces travailleurs comme ceux des camps de concentration, non seulement leur rendement serait amélioré de 100 pour 100, mais en faisant cesser les hautes payes qu’ils touchaient auparavant, on pourrait les dégoûter complètement du sabotage... »
Tel était votre point de vue sur la façon de traiter les travailleurs norvégiens et danois, n’est-ce pas ?
C’était une mesure de sécurité destinée à nous rendre maîtres du sabotage.
Bon. Regardez maintenant à la page 70 du livre anglais de documents, page 103 du livre en allemand. C’est un extrait du procès-verbal d’une réunion entre Hitler et vous, le 1er juillet 1944. C’est vous-même qui l’avez signé. L’avez-vous trouvé ?
Non, pas encore.
Page 70 du texte anglais. page 112 du texte allemand (GB-210).
Oui, je l’ai trouvé.
« Quant à la grève générale à Copenhague, le Führer dit que la seule arme contre la terreur est la terreur. Les tribunaux militaires créent des martyrs. L’Histoire montre que les noms de ces martyrs sont sur toutes les lèvres, alors que les noms des milliers d’hommes qui ont péri dans des circonstances semblables, mais sans avoir été traduits devant des tribunaux, ont sombré dans l’oubli. On ne parle plus de ceux qui ont été condamnés sans procédure. » Êtes-vous d’accord avec cette déclaration de Hitler ?
Non.
Pourquoi l’avez-vous fait parvenir au service des opérations, si vous ne l’approuviez pas ?
Je ne suis pas du tout d’accord sur cette façon de procéder. Il s’agit là d’une opinion exprimée par le Führer. Ce n’est pas le fruit d’un entretien entre le Führer et moi, mais un simple compte rendu sur la situation militaire en général rédigé par l’officier qui m’accompagnait et où se trouvent mentionnés différents points de vue profondément divergents.
Voulez-vous essayer de répondre à ma question ? Elle est parfaitement simple : pourquoi avez-vous envoyé ce document au service des opérations pour sa diffusion ? Dans ces quelques lignes, qu’y avait-il d’intéressant pour vos officiers ? Qu’est-ce qui méritait d’être porté à la connaissance de vos officiers dans l’effrayant exemple de barbarie que je viens de vous lire ?
C’est très simple à expliquer. L’officier qui a établi le compte rendu l’a enregistré afin d’informer nos chantiers de constructions maritimes qu’il y avait une grève générale à Copenhague. Voilà pourquoi ce paragraphe a été incorporé à nos entretiens sur la situation en général afin que les chantiers maritimes apprissent qu’il y avait à ce moment-là une grève à Copenhague. Voilà tout.
Je présume, accusé, que vous avez fait circuler ce document parmi vos officiers afin de les encourager à se montrer impitoyables. C’est une simple présomption de ma part. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?
Je dirai que c’est parfaitement faux. Je peux également vous dire que je n’ai même pas entendu le Führer faire cette déclaration ; mais il est possible qu’elle ait été enregistrée par Wagner, l’officier qui m’accompagnait, pour la raison que je vous ai déjà donnée : pour avertir nos gens de la grève générale de Copenhague.
Je ne veux pas discuter avec vous, accusé, des documents dont vous avez eu connaissance pour les avoir signés. Passons au suivant.
Je connais ce document. Je le connais parce que je l’ai signé.
A la page 69, c’est-à-dire à la page 4 du livre de documents anglais, ou à la page 102 du livre de documents allemand (GB-203), se trouve le procès-verbal de la conférence que vous avez eue le 19 février 1945 avec Hitler.
Non, ce n’est pas exact.
Excusez-moi, c’est un extrait du procès-verbal de la conférence de Hitler, du 19 février 1945. Il y a une note...
Pas du tout. Il est dit ici : « Participation du Commandant en chef de la Marine à la conférence du Führer sur la situation ». Ce n’était pas une conférence spéciale sur la situation générale.
Je n’ai pas voulu dire que c’était un entretien particulier entre vous et le Führer. La première phrase du paragraphe 1 dit :
« Le Führer examine la question de savoir si oui ou non l’Allemagne doit renoncer à la Convention de Genève... »
Et la dernière phrase est ainsi rédigée :
« Le Führer donne ordre au Commandant en chef de la Marine de considérer le pour et le contre de cette mesure et de donner son opinion le plus rapidement possible. »
Si vous regardez plus loin le procès-verbal de la conférence suivante du 20 février, intitulé : « Participation du Commandant en chef de la Marine à la conférence du Führer du 20 février 1945 à 16 heures », on y lit ce qui suit :
« Le Commandant en chef de la Marine a fait part au chef de l’État-Major d’opérations des Forces armées le général Jodl, et au représentant du ministre des Affaires étrangères auprès du Quartier Général du Führer, l’ambassadeur Hewel, de son opinion sur la renonciation éventuelle de l’Allemagne à la Convention de Genève. Du point de vue militaire, cette mesure ne présente aucun intérêt en ce qui concerne la conduite de la guerre sur mer. Au contraire, les inconvénients sont plus considérables que les avantages. D’un point de vue plus général même, il semble au Commandant en chef de la Marine que cette mesure ne présente aucun avantage. »
Maintenant, regardez la dernière phrase :
« Il serait préférable de prendre les mesures jugées nécessaires sans avertissement et, dans tous les cas, de sauver la face vis-à-vis de l’étranger. »
Cela veut dire, pour parler sans ambages : « Ne dénonçons pas la Convention de Genève, mais violons-la chaque fois que cela nous convient ». N’est-il pas vrai ?
Non, ce n’est pas exact.
Qu’est-ce que cela signifie alors ? Prenons mot par mot : « Il serait préférable de prendre les mesures jugées nécessaires... » Ne s’agit-il pas de mesures contraires aux règles de la Convention de Genève ?
Il faut que je m’explique.
Répondez d’abord à ma question, vous pourrez ensuite faire une déclaration. Vous avez commencé par là ; mais essayez de répondre à ma question. « Les mesures jugées nécessaires », si cela ne signifie pas des mesures contraires aux termes de la Convention de Genève, voulez-vous me dire ce que cela veut dire ? Répondez à cette question d’abord.
Ce sont des mesures à l’égard de nos propres troupes. J’avais entendu, ou plutôt on m’avait dit, que le Führer avait l’intention ou avait dit que, étant donné que le front fléchissait à l’Ouest et qu’il craignait que la propagande anglo-américaine incitât les hommes à déserter, il abandonnerait la Convention de Genève. Aussi ai-je déclare à mon État-Major : « On peut, dans les circonstances actuelles, envisager de jeter par-dessus bord un Droit international datant d’une centaine d’années ». J’ai dû dire quelque chose comme : « Les mesures jugées nécessaires doivent être prises ». Je n’avais pas en vue des mesures précises à ce sujet et il n’y eut pas de mesures de cette sorte prises en pratique. Quant à ma façon d’envisager le traitement des prisonniers de guerre, il vaudrait mieux interroger à ce sujet les 8.000 prisonniers de guerre anglais qui étaient dans les camps qui dépendaient de moi. Voilà la meilleure réponse à cette question. Tous les chefs des services de la Wehrmacht se sont insurgés contre cette idée de renoncer à la Convention de Genève. Ils n’étaient pas du tout de cet avis.
C’est là toute votre explication de la phrase : « Prendre les mesures jugées nécessaires » ? Vous n’avez rien à ajouter à ce sujet ? Bon, je vais vous poser une autre question. Vous rappelez-vous avoir dit hier au Dr Kranzbühler que, lorsque vous êtes devenu Commandant en chef de la Marine, la guerre était une guerre purement défensive ? Vous rappelez-vous avoir dit cela hier à votre avocat ?
Oui.
Ce ne fut pas votre faute, n’est-ce pas ? Ce ne fut pas votre faute si la guerre ne s’étendit pas à d’autres pays que ceux qui étaient déjà envisagés lorsque vous êtes devenu Commandant en chef ? Vous rappelez-vous le conseil que vous avez donné à Hitler au cours de la réunion du 14 mai 1943 ?
Non.
Je vais vous mettre sur la voie ; vous rappelez-vous la discussion relative aux transports par mer destinés à la Sicile et à la Sardaigne ? Vous rappelez-vous avoir prévenu Hitler que vos pertes étaient de 15 à 17 sous-marins par mois et que l’avenir de la guerre sous-marine était plutôt sombre ? Vous rappelez-vous tout cela ?
Oui, je me le rappelle.
Vous souvenez-vous que Hitler a déclaré : « Ces pertes sont trop lourdes. Cela ne peut pas continuer ainsi ». Avez-vous dit alors à Hitler : « ...Notre seul petit débouché pour effectuer des sorties est maintenant la baie de Biscaye : son contrôle comporte de grosses difficultés et réclame pour le moins dix jours. Le Commandant en chef de la Marine croit que la meilleure solution du point de vue stratégique serait l’occupation de l’Espagne, y compris Gibraltar ».
Hitler n’a-t-il pas répondu : « En 1940, c’eût été possible avec la coopération espagnole, mais maintenant, l’Espagne y étant opposée, nous ne disposons plus de forces suffisantes ».
Vous rappelez-vous avoir fait cette suggestion à Hitler le 14 mai 1943, à laquelle il répondit que ses forces n’étaient plus suffisantes ?
Je ne crois pas avoir suggéré au Führer que nous dussions occuper l’Espagne. J’ai très clairement exposé la situation, j’ai dit que nous étions bloqués dans ce petit golfe de Biscaye et que la situation aurait été fort différente si nous avions pu disposer d’un espace plus vaste. Cela néanmoins n’impliquait pas qu’en raison de la situation défensive dans laquelle nous nous trouvions nous eussions dû occuper l’Espagne.
Nous allons éclaircir la question. Je vais vous citer un extrait du journal de l’amiral Assmann. C’est une traduction littérale. L’original se trouve à Londres. Monsieur le Président, je veux m’en procurer une copie, la déposer et la certifier. La question ne s’est présentée qu’hier et je n’avais pas ce document. Mais je me procurerai l’original et montrerai le passage au Dr Kranzbühler. (A l’accusé.) Voici les paroles notées par l’amiral Assmann : « Le Commandant en chef de la Marine continue :
« Maintenant, notre seul petit débouché pour effectuer des sorties « est la baie de Biscaye ; son contrôle comporte de grosses difficultés « et réclame pour le moins dix jours ». Le Commandant en chef de la Marine croit que la meilleure solution au point de vue stratégique serait l’occupation de l’Espagne, y compris Gibraltar ».
Avez-vous dit que « la meilleure solution serait l’occupation de l’Espagne, y compris Gibraltar » ?
C’est possible. Si ce passage se trouve dans ce texte, il est possible que ces paroles aient été prononcées.
Monsieur le Président, je vais passer à une autre question générale...
Sir David, vous êtes-vous occupé du document C-158, à la page 69 ?
Oui, Monsieur le Président, mais je peux facilement y revenir.
Bien. La deuxième phrase du paragraphe 1 présente un certain intérêt en raison des réponses de l’accusé.
Monsieur le Président, je m’excuse ; mais j’ai essayé d’abréger le plus possible, de ne donner que l’essentiel et je m’excuse des omissions que j’ai pu faire. (A l’accusé.) Accusé, voulez-vous revenir au dernier document n° C-158 ? C’est celui qui a trait à la Convention de Genève. Il se trouve à la page 69 du livre anglais, à la page 102 du livre allemand, à votre choix. Le sergent va vous aider à le trouver.
Si vous voulez regarder le premier paragraphe, après la phrase que j’ai déjà lue : « Le Führer examine la question de savoir si oui ou non l’Allemagne doit renoncer à la Convention de Genève », il continue :
« Non seulement les Russes, mais aussi les Puissances occidentales violent la loi internationale par leurs actions contre les populations sans défense et les quartiers d’habitation des villes. En conséquence, il serait opportun d’adopter le même point de vue afin de montrer à l’ennemi que nous sommes décidés à combattre par tous les moyens pour notre existence et également afin d’encourager par cette mesure notre peuple à résister jusqu’au bout. »
Ces mots « le même point de vue » ne désignent-ils pas ces « mesures jugées nécessaires » auxquelles vous faisiez allusion d’après le deuxième procès-verbal ?
Le témoin qui a rédigé ces deux procès-verbaux pourra expliquer exactement où et quand ces communications ont été faites. Pour ma part, j’ai seulement appris, comme l’a dit le maréchal du Reich, l’irritation du Führer de savoir que notre front occidental fléchissait et que nos hommes étaient satisfaits de devenir prisonniers des Anglais et des Américains. Voilà comment les choses se sont présentées et voilà ce dont j’ai été informé. Je ne peux pas donner mon opinion sur ces procès-verbaux rédigés par un officier. Il serait préférable que l’amiral Wagner donnât des détails plus exacts à leur sujet. Je ne peux pas en dire davantage sous la foi du serment. J’étais d’avis que rejeter la Convention de Genève constituait en principe une grosse faute et une erreur. J’ai donné des preuves tangibles de mes vues sur le traitement des prisonniers de guerre. Tout le reste n’est pas exact.
J’ai voulu démontrer clairement l’accusation portée contre vous par le Ministère Public et savoir que vous étiez prêt non pas à dénoncer la Convention de Genève, mais à prendre des mesures contraires à cette Convention, sans la mettre en question, et c’est pourquoi j’ai cité cette dernière phrase du dernier paragraphe. Monsieur le Président, je vais passer à la guerre sur mer.
Pardonnez-moi, puis-je dire encore un mot ? Si l’on prend des mesures contre la désertion, elles doivent être rendues publiques. Elles doivent avoir un effet d’intimidation ; aussi ne m’est-il jamais venu à l’idée de les garder secrètes. Au contraire, ma seule pensée a été : « Comment peut-on dénoncer la Convention de Genève ? » Voilà ce que j’ai voulu faire comprendre.
Le document est suffisamment explicite.
L’audience est suspendue.
Accusé, saviez-vous que le premier jour de la guerre, la Kriegsmarine a prévenu le ministère des Affaires étrangères que le maximum de dommages pouvait être infligé à l’Angleterre avec les forces dont vous disposiez à la seule condition que les sous-marins fussent autorisés à utiliser leurs armes sans restriction d’aucune sorte, sans avertissement préalable contre les bateaux alliés et neutres dans une zone aussi large que possible ? Dès le premier jour de la guerre, avez-vous su que la Kriegsmarine avait prévenu le ministère des Affaires étrangères allemand ?
Je ne crois pas que l’État-Major naval d’opérations m’ait soumis un texte semblable, à supposer qu’il ait été rédigé, ce que j’ignore.
Je voudrais maintenant que vous essayiez de faire un effort de mémoire, car il s’agit d’une question extrêmement importante. Vous dites que l’État-Major naval d’opérations n’a jamais fait savoir au Commandant en chef de la flotte sous-marine sa conception de la guerre ?
Je ne sais pas. Je ne peux pas me rappeler que l’État-Major naval d’opérations m’ait jamais communiqué une lettre adressée au ministère des Affaires étrangères. Je ne crois pas qu’il l’ait fait. Je ne sais pas.
Bon. En ce cas, le lecture de cette lettre rafraîchira peut-être vos souvenirs. C’est le document D-851, je le dépose sous le numéro GB-451.
Non, je ne connais pas ce papier.
Bien. Nous allons procéder par étapes étant donné naturellement que vous ne connaissez pas la première partie. Je vais donc la lire. Ensuite, nous examinerons ensemble le mémorandum :
« Respectueusement transmis au secrétaire d’État » — il s’agirait donc du baron von Weizsäcker — « le mémorandum ci-joint.
« Le chef du Bureau des opérations de la direction navale, le capitaine Fricke, m’a fait savoir par téléphone que le Führer s’occupait déjà de cette question. Cependant, on a l’impression ici qu’il faut considérer une fois de plus les répercussions politiques et attirer à nouveau l’attention du Führer à leur sujet. Aussi le capitaine Fricke a-t-il envoyé le capitaine de corvette Neubauer au ministère des Affaires étrangères pour discuter encore la question. Signé Albrecht, Berlin, le 3 septembre 1939. » Ensuite vient le mémorandum :
« La question d’une guerre sous-marine sans restriction contre l’Angleterre est discutée dans le document ci-joint soumis par l’Oberkommando de la Kriegsmarine.
« La Kriegsmarine est arrivée à la conclusion que le maximum de dommages qui pourrait être infligé à l’Angleterre avec les forces dont nous disposons ne peut être atteint que si l’on permet à nos sous-marins de faire un usage sans restriction des armes, sans avertissement préalable contre les navires ennemis et neutres dans la zone interdite indiquée sur la carte ci-jointe.
« La Kriegsmarine ne méconnaît pas que :
« a) L’Allemagne rejetterait ainsi ouvertement la Convention de 1936 relative à la conduite de la guerre économique.
« b) Une semblable conduite de la guerre ne pourrait pas être justifiée d’après les principes du Droit international communément admis jusqu’à ce jour. ». Et le document traite encore de cette question.
Prétendez-vous devant le Tribunal que l’accusé Raeder ne vous a jamais consulté, ni mis au courant avant que ces notes aient été soumises au ministère des Affaires étrangères ?
Non, il ne l’a pas fait et la preuve en est que ce mémorandum émane du chef du Bureau des opérations et est adressé au secrétaire d’État. Il s’agit par conséquent d’une négociation entre Berlin et les Affaires étrangères, à laquelle le Commandant en chef sur le front, qui se trouvait sur la côte et s’occupait pratiquement des sous-marins, n’a pas participé. Je ne connais pas cet écrit.
Bien. Vous déclarez donc que vous remplissiez vos fonctions au début de la guerre sans savoir que telle était la conception du Haut Commandement de la Marine ?
Je n’ai pas eu connaissance de cet écrit. J’ai déjà dit que ma connaissance là-dessus...
Ce n’est pas une réponse à la question. On vous a demandé si vous saviez à cette époque que telle était la conception du Haut Commandement de la Marine. Répondez à cette question.
Non, je ne le savais pas. Je savais que l’État-Major naval d’opérations avait pour conception de suivre l’adversaire pas à pas pour adopter sa conduite. Cela je le savais.
Mais c’est là toute la différence, accusé. C’est ce que vous avez longuement exposé au cours de vos dépositions d’hier et d’avant-hier, en disant que vous répondiez, point pour point, aux mesures de l’ennemi. Voilà ce que vous avez déclaré. Prétendez-vous que vous ne saviez pas que c’était là l’opinion de l’accusé Raeder, et cela depuis le premier jour de la guerre ? Prétendez-vous que vous ne saviez pas, que vous n’aviez absolument pas idée que c’était là l’opinion de Raeder ?
Non, je ne le savais pas, parce que je ne connaissais pas ce document. Je ne sais pas non plus s’il s’agit là de l’opinion de l’amiral Raeder. Je ne sais pas.
Une fois encore, je ne veux pas discuter avec vous, mais si le Commandant en chef de la Marine — et je crois qu’à cette époque il se désignait également lui-même sous le titre de chef de l’État-Major naval d’opérations — permettait au chef de son Bureau d’opérations de représenter cette opinion devant le ministère des Affaires étrangères... Était-il d’usage, dans la Marine allemande, d’autoriser un capitaine à présenter une opinion qui ne fût pas partagée par le Commandant en chef ? C’est absurde, n’est-ce pas ? Aucun Commandant en chef n’autoriserait un officier subalterne à représenter une opinion auprès du ministère des Affaires étrangères qui ne fût la sienne propre ?
Je vous prierai d’interroger sur ce point l’amiral Raeder, Commandant en chef de la Marine. Je ne puis vous donner aucun renseignement sur la façon dont ce document a été conçu.
Je le ferai avec grand plaisir, accusé, mais pour l’instant je dois vous interroger sur les questions que vous avez soulevées vous-même. Ma question est la suivante : n’était-ce pas en application de ce point de vue et des désirs exprimés dans ce mémorandum que, dès le début, le commandant de la flotte sous-marine ne tint plus compte du traité de Londres relatif aux avertissements à donner aux navires ?
Non, au contraire, tout au contraire. Il fallait éviter toute aggravation à l’Ouest. Nous nous sommes efforcés, aussi longtemps que possible, de combattre conformément aux conventions de Londres, et cela se dégage de toutes les directives données aux sous-marins.
Sir David, peut-être pourriez-vous attirer l’attention de l’accusé sur l’avant-dernier paragraphe du mémorandum ?
En effet, Monsieur le Président, je vais lire les trois derniers paragraphes :
« Le Haut Commandement ne prétend pas que l’Angleterre puisse être battue par une guerre sous-marine à outrance. L’interruption du trafic avec le centre commercial mondial qu’est l’Angleterre provoquerait de graves perturbations dans l’économie nationale des neutres, pour lesquelles nous ne pourrions pas leur offrir de compensation.
« Des considérations de politique étrangère nous incitent à n’employer dans la guerre sous-marine les méthodes de combat de la guerre à outrance que dans le cas où l’Angleterre, par ses propres méthodes de combat, nous permettra de les faire considérer comme des mesures de représailles.
« Étant donné la grande importance, dans le domaine de la politique étrangère, de la décision à prendre, il semble nécessaire de tenir compte, non seulement des considérations militaires, mais encore de toutes les nécessités de la politique étrangère. »
Je vous suis très obligé, Votre Honneur. (A l’accusé.) Aviez-vous jamais entendu parler de réserves apportées à cette opinion sur la base de considérations de politique étrangère ?
Non, une fois encore, je peux simplement dire que je vois ce document pour la première fois.
Bien. Je voudrais, avant de poursuivre, que vous regardiez la page 19 du livre de documents anglais ; c’est la page 49 du texte allemand.
C’est le texte intégral du traité, Votre Honneur ; il est très court. J’en ai le texte original devant moi, si Votre Honneur veut le voir, mais il est reproduit dans ces deux paragraphes :
« 1. Dans leurs entreprises contre les navires de commerce, les sous-marins devront se conformer aux règles du Droit international auxquelles sont soumis les navires de surface.
« 2. En particulier, sauf dans les cas de refus persistant de s’arrêter après la sommation d’usage, ou dans les cas de résistance active aux visites et perquisitions, un vaisseau de guerre, navire de surface ou sous-marin, ne pourra pas couler ou rendre impropre à la navigation un navire de commerce, sans avoir au préalable assuré la sécurité des passagers, de l’équipage et des papiers de bord. Dans ce but, les chaloupes du bâtiment ne sont pas considérées comme des lieux de sécurité, à moins que la sécurité des passagers et de l’équipage ne soit assurée, dans l’état de la mer et du temps, par la proximité de la terre ou la présence d’un autre navire qui puisse les prendre à son bord. » (A l’accusé.) Je voulais vous remettre ce texte en mémoire, car j’ai quelques questions à vous poser à son sujet. Voulez-vous tourner la page et regarder le bas de la page 20 du livre de documents anglais, page 50 ou 51 du livre de documents allemand. Il y a là quelques chiffres. Avez-vous trouvé le passage ?
Oui, je l’ai lu.
Vous l’avez lu. On y trouve, dans les deux premières phrases :
« Au début, dans un certain nombre de cas, le commandant allemand permit à l’équipage du navire marchand de s’éloigner et prit même certaines dispositions en sa faveur avant de détruire le bâtiment. Ces destructions étaient faites en accord avec l’article 72 de l’ordonnance des prises, et, en conséquence, suivant ce document, on laissa aux Allemands le bénéfice du doute. »
Suivent les chiffres enregistrés, valables pour la première année de la guerre :
« Navires coulés : 241 ; attaques enregistrées : 221 ; attaques illégales : 112 ; 79 au moins de ces 112 navires ont été torpillés sans avertissement. Cela ne comprend pas, naturellement, les bâtiments naviguant en convoi. »
Je voudrais qu’il vous soit tout à clair, accusé, que ces chiffres ne comprennent ni, en premier lieu, les navires pour lesquels furent prises des mesures de sécurité, ni les bâtiments naviguant en convoi. Contestez-vous d’une manière quelconque, devant ces chiffres, qu’il se produisit, pendant la première année de la guerre, au moins 79 attaques sans avertissement ?
Oui. Ces chiffres ne peuvent absolument pas être contrôlés. J’ai déclaré hier qu’en raison de l’utilisation d’armes sur ces navires, nous avons été dans l’obligation de prendre d’autres mesures ; je ne peux donc pas vérifier si, dans ce rapport qui, pour de tout autres raisons, me paraît être du domaine de la propagande, on a tenu compte, par exemple, de l’attitude de l’équipage ou de sa résistance. Il est donc impossible de donner une base à ces chiffres ou de les vérifier.
Quoi qu’il en soit, selon le point de vue allemand, étant donné que ces navires étaient armés, qu’ils transmettaient des renseignements, faisaient partie d’une organisation de renseignements, il était légal d’agir ainsi. On pouvait procéder à leur encontre sans avertissement. J’ai déjà déclaré que l’Angleterre d’ailleurs avait agi exactement de la même façon, ainsi que d’autres pays.
Je poserai encore quelques questions là-dessus. Mais prenons un exemple. A-t-on donné un avertissement avant de couler l’Athenia ?
Non. J’ai déjà dit qu’il y avait eu confusion, confusion avec un croiseur auxiliaire. Il est parfaitement légal de torpiller un croiseur auxiliaire sans avertissement. J’ai déclaré en outre que lors d’une enquête précise sur cette affaire, j’ai trouvé que le commandant aurait pu faire preuve de plus de prudence. Aussi a-t-il encouru une sanction.
Je voudrais seulement connaître votre opinion, accusé. Avez-vous jamais pensé qu’un navire marchand coulé sans avertissement représentait soit la mort, soit des souffrances terribles pour l’équipage et les marins ? Y avez-vous jamais pensé ?
Quand un navire marchand...
Répondez à ma question.
Quand un navire marchand se comporte comme un navire marchand, il est traité comme tel. Sinon le sous-marin doit passer à l’attaque. C’est légal et conforme au Droit international. Il n’en a pas été autrement pour les équipages des navires marchands allemands.
Ce n’est pas ce que je vous demandais. Je voudrais savoir, car c’est important pour plusieurs raisons, si vous avez jamais pensé qu’en coulant sans avertissement des navires marchands, vous entraîneriez la mort de leurs équipages ou leur causeriez de terribles souffrances. Répondez simplement : y avez-vous pensé ou non ?
Cela va sans dire, mais quand un navire marchand est coulé légalement, c’est la guerre, et en temps de guerre, on souffre en bien des endroits.
Considérez-vous avec satisfaction le fait que 35.000 hommes de la Marine marchande britannique aient donné leur vie pendant la guerre ? Considérez-vous cela avec fierté ou avec regret ?
Dans les guerres, les hommes meurent ; personne n’en est fier. Votre expression est mauvaise. C’est une nécessité, la dure nécessité de la guerre.
Bien, regardez donc la page 29 du livre de documents anglais ou la page 58 du texte allemand, comme vous voudrez. C’est le document C-191 (GB-193). Il est daté du 22 septembre, dix-neuf jours après le début de la guerre : « Le Commandant en chef de la flotte sous-marine a l’intention de donner aux sous-marins l’autorisation de couler sans avertissement les bâtiments naviguant sans lumière.
« Les instructions données jusqu’à ce jour n’autorisant à attaquer les navires de guerre et de commerce français qu’à titre défensif, ainsi que les convois français ou anglo-français au nord de la latitude de Brest seulement et ordonnant d’épargner les transports de passagers, causent de très grandes difficultés aux sous-marins, particulièrement pendant la nuit. Elles excluent pratiquement toutes les possibilités d’attaque de nuit, car les sous-marins ne pourront que très rarement identifier les silhouettes de leurs objectifs de manière à éviter les confusions d’une façon absolue. Si la situation politique est telle que les confusions, toujours possibles, doivent être absolument évitées, les attaques de nuit devraient être interdites aux sous-marins dans les eaux où peuvent être rencontrées des unités de combat ou des navires marchands français ou anglais. En revanche, dans les zones maritimes où seules des unités anglaises sont susceptibles d’être rencontrées, il pourrait être donné suite au vœu du Commandant en chef de la flotte sous-marine. L’autorisation de prendre ces mesures ne devra cependant pas être donnée par écrit, mais pourra être simplement basée sur l’approbation tacite de l’État-Major naval d’opérations. Les commandants de sous-marins devront être informés oralement » — et je vous prie de remarquer la dernière ligne — « et le torpillage sans avertissement d’un navire de commerce devra être porté au journal de bord comme étant le résultat d’une confusion avec un navire de guerre ou un croiseur auxiliaire. »
Maintenant, dites-moi, choisissez. Considérez-vous le fait de naviguer sans lumière comme un refus persistant de s’arrêter après les sommations d’usage ou comme une résistance active aux visites et perquisitions ? Quelle est la bonne explication ?
Lorsqu’un navire de commerce se comporte comme un navire de guerre. ..
Vous devez d’abord répondre à ma question, à moins que le Tribunal n’en décide autrement. Ensuite vous pourrez donner vos explications. Ma question est la suivante : considérez-vous le fait de naviguer sans lumière comme un refus persistant de s’arrêter ou comme une résistance active aux visites et perquisitions ? Considérez-vous que ce soit l’une ou l’autre de ces deux choses, ou les deux ?
La question est mal posée : il s’agit ici d’une zone d’opérations déterminée, à savoir la zone où des bâtiments anglais et français...
Accusé, répondez à la question, je vous prie.
Je n’ai pas compris.
Considérez-vous le fait de naviguer sans lumière comme un refus persistant de s’arrêter après avoir reçu les sommations d’usage, ce qui est l’un des cas mentionnés par le traité, ou comme une résistance active à la visite et à la perquisition, ce qui est l’autre cas mentionné par le traité. Considérez-vous le fait de naviguer sans lumière comme l’un ou l’autre de ces cas mentionnés dans le traité, ou comme l’un et l’autre ?
Lorsqu’un navire marchand éteint ses feux, il court évidemment le danger d’être confondu avec un navire de guerre, car il est impossible, la nuit, de faire la différence entre un navire de commerce et un navire de guerre. A l’époque où cet ordre fut donné, il s’agissait d’une zone d’opérations dans laquelle des transports de troupes se dirigeaient, tous feux éteints, de l’Angleterre vers la France.
Vous répondez donc que ce cas n’est pas prévu par le traité, mais que c’est là un des points visés par ce traité ; et vous expliquez que vous pensiez être en droit de torpiller sans avertissement tout neutre qui aurait pu, par erreur, être pris pour un navire de guerre ? C’est bien là votre réponse ?
Oui.
Pourquoi l’accusé Ribbentrop et tous ses conseillers navals n’ont-ils pas stipulé ce fait lorsque l’Allemagne a adhéré à ce traité, puisque vous deviez l’interpréter dans ce sens. Avez-vous été consulté avant que l’Allemagne adhère au traité en 1936 ?
Je n’ai pas été consulté avant la signature du traité et l’Allemagne en a pratiquement, je le sais fort bien, respecté les clauses, jusqu’à ce que des mesures contraires aient été prises par l’adversaire. A ce moment-là, je reçus des ordres afin d’agir de la même façon.
Regardez donc ce document, et voyons si vous pouvez m’éclairer un peu mieux sur certains autres points. Pourquoi cette action devait-elle être basée sur l’approbation tacite de l’État-Major naval d’opérations ? Pourquoi cet État-Major n’avait-il pas donné son approbation par la voie d’un ordre normal, si tout cela était dans l’ordre.
Le papier que vous me montrez là est une note d’un jeune rapporteur de l’État-Major naval d’opérations. En fait — c’était là l’idée de cet officier de cet État-Major, comme je l’ai constaté ici, car je ne connaissais pas l’affaire — en fait, l’État-Major naval d’opérations n’a jamais donné un ordre de cette nature. C’est un roman qui est rapporté sur ce papier.
Non, évidemment, puisque aucun ordre ne devait être donné. Il est dit ici en toute franchise que vous deviez affirmer, avec l’approbation tacite de l’État-Major naval d’opérations, afin que celui-ci puisse dire, comme vous venez de le faire : « Nous n’avons pas donné d’ordre. » Les officiers subalternes devaient agir en vertu d’un ordre tacite, et je voudrais savoir, puisque vous avez été Commandant en chef de la Marine allemande, pourquoi on a procédé de cette manière, par approbation tacite et par ordres verbaux ?
Non, c’est justement ce qui n’est pas exact ; c’est une idée de ce jeune officier. L’ordre que j’ai reçu de l’État-Major naval d’opérations disait très clairement que dans la zone où naviguaient les transports de troupes anglais allant d’Angleterre en France, les navires sans feux pouvaient être torpillés. Il n’y avait donc là rien de ce qui est dit dans ce mémorandum. Sans aucun doute, le chef du département et le chef de l’État-Major naval avaient dès l’abord repoussé cette idée, absolument impossible, et m’avaient donné cet ordre, bref et précis.
Voulez-vous faire croire au Tribunal que dans des questions aussi importantes que « l’approbation tacite de l’État-Major naval d’opérations » et « les ordres verbaux aux commandants de sous-marins », un jeune officier d’État-Major ait pu présenter un mémorandum erroné sans qu’il fût corrigé. Est-ce là l’esprit de méthode de l’État-Major de la Marine allemande ?
Mais non, cela a été mal interprété. Il a, en fait, été corrigé. C’est une note soumise par un rapporteur de l’État-Major naval d’opérations à l’opinion de qui ses supérieurs ne se sont pas ralliés. Elle a donc bien été corrigée. Il n’y a pas eu du tout d’accord tacite, mais on m’a donné un ordre clair et précis. C’est donc que l’État-Major d’opérations avait déjà repoussé l’idée de ce jeune officier.
Savez-vous que l’amiral von Friedeburg en a paraphé l’original ?
Non, c’est faux ; c’est impossible, il y a « Fd » c’est-à-dire Fresdorf C’était le lieutenant de vaisseau Fresdorf, rapporteur de l’État-Major naval et non pas von Friedeburg. C’était un jeune officier du premier bureau de l’État-Major naval. Tout cela, je l’ai appris ici, et ce projet avait déjà été rejeté par son chef, l’amiral Wagner. Ce n’était pas Friedeburg, mais Fresdorf. C’était une idée de ce jeune officier mais en fait, l’ordre donné était très clair et ne comportait aucune de ces choses.
Passons donc au point suivant : « Les commandants de sous-marins devraient recevoir des instructions verbales et le torpillage sans avertissement d’un navire de commerce devrait être porté au journal de bord comme étant le résultat d’une confusion avec un navire de guerre ou un croiseur auxiliaire. » Êtes-vous d’accord sur le fait qu’après un torpillage, les livres devaient être falsifiés.
Non, et cela ne s’est du reste pas produit. Cela appartient au même domaine et est aussi une idée de cet officier. Jamais un ordre n’a été donné dans ce sens. L’ordre que m’a donné l’État-Major naval a été déposé ici. Il est clair et précis et ne comporte aucune des choses mentionnées dans ce rapport.
Bien entendu, puisque ces choses, d’après ce mémorandum, ne devaient pas être exposées dans un ordre. Il ne devait pas y avoir d’ordre parce qu’un ordre pouvait être publié, parce que s’il n’existait pas d’ordre, cela ne pouvait être connu. Voulez-vous dire que vous rejetez sur ce lieutenant de vaisseau la responsabilité d’avoir inventé ces trois faits qui vous sont reprochés : la falsification des journaux de bord ? Vous estimez que cela n’existait que dans l’esprit d’un lieutenant de vaisseau ? Est-ce cela que vous déclarez au Tribunal ?
Mais oui, bien sûr. L’ordre qui m’a été donné par l’État-Major naval est clair et aucune de ces choses n’y figure. Et les ordres que j’ai retransmis sont tout aussi clairs. C’est justement cela. Ce mémorandum, les idées de cet officier, n’avaient même pas été approuvés par son chef de section à Berlin. Mais l’ordre qui m’a été donné était absolument clair et il n’y était pas question de journal de bord, ni de toutes les choses dont on parle ici. Cet ordre existe, il est là.
Bien ; je suppose que nous pourrons demander à l’amiral Wagner d’où ce lieutenant de vaisseau tenait ces idées, ou si elles lui étaient personnelles. Pensez-vous que Wagner pourra éclaircir cette question ?
L’amiral Wagner doit le savoir parfaitement puisque cet officier était rapporteur dans son service à Berlin.
Bien. Puisque vous mettez cela au compte de ce lieutenant de vaisseau, passons à une autre question. A la mi-novembre...
Je ne cherche pas à rendre responsable qui que ce soit, ce sont là les idées d’un jeune officier, qui ont été désapprouvées par son chef de service. Je n’essaie pas de charger, ni d’accuser qui que ce soit.
Très bien. Je croyais. Passons donc à une autre question. A la mi-novembre 1939, l’Allemagne avertit qu’elle coulerait sans avertissement les navires de commerce s’ils étaient armés. Ne savez-vous pas qu’avant cet avertissement... Si vous voulez voir, vous trouverez cela à la page 21 du livre de documents anglais, ou 51 et 52 du livre de documents allemand, (cinq lignes environ avant l’alinéa) : « Au milieu de novembre 1939, vingt navires marchands anglais avaient déjà été illégalement canonnés ou torpillés par des sous-marins ».
Quelle page disiez-vous ?
Page 21, Votre Honneur, dix lignes environ avant l’alinéa. (A l’accusé.) Je veux dire, accusé, que cette déclaration, cet avertissement suivant lequel vous couleriez les navires marchands s’ils étaient armés ne changeait rien à la pratique, que vous aviez adoptée, de couler sans avertissement les navires non armés.
Au début d’octobre, si j’ai bonne mémoire, j’ai reçu l’ordre ou plutôt, l’autorisation légale de couler les navires de commerce armés. A partir de ce moment, j’ai agi en conséquence.
Dites-moi simplement : pensiez-vous que le seul fait, pour un navire marchand, d’être armé, d’avoir un canon, constituait un acte de résistance active à une visite ou à une perquisition aux termes du traité, ou bien était-ce là une addition aux directives données aux sous-marins, absolument indépendante du traité ?
Il va sans dire que du moment qu’un bateau a un canon à bord, il en fera usage. Ce serait vraiment une obligation unilatérale, une sorte de suicide, si le sous-marin devait attendre qu’on lui portât le premier coup. C’est là un contrat réciproque, et on ne peut en aucune circonstance exiger d’un sous-marin qu’il attende d’avoir été touché. Et, comme je l’ai déjà dit, les vapeurs faisaient usage de leurs armes dès que l’objectif était à leur portée.
Mais vous savez pourtant, accusé, que l’armement des bateaux de commerce était très connu au cours de la dernière guerre. Il était connu vingt ans avant la signature du traité, et vous serez d’accord avec moi sur le fait qu’il n’y a pas un mot dans ce traité interdisant d’armer les navires de commerce. Pourquoi n’avez-vous pas donné à ces bateaux la possibilité de s’abstenir de résister ou celle de stopper ? Pourquoi avez-vous agi à l’encontre du traité que vous aviez signé trois ans auparavant ? C’est tout ce que je veux savoir. Si vous ne pouvez pas me le dire, si vous me répondez que c’est un point de discussion, je le demanderai à l’amiral Raeder. Mais, pour le moment, pouvez-vous ou voulez-vous nous dire pourquoi vous n’avez pas appliqué les clauses du traité ?
Ce n’est pas une infraction au traité. Je ne suis pas un expert en matière de Droit international, je suis un soldat : j’ai agi selon des ordres militaires et c’est évidemment un suicide pour un sous-marin que d’attendre d’avoir reçu le premier coup de feu. Il va sans dire que le navire marchand n’a pas un canon à son bord pour plaisanter, mais pour en faire usage, et j’ai déjà expliqué de quelle façon il en a fait usage.
Maintenant, encore une question, car je dois examiner tous les points de votre témoignage.
Avez-vous donné l’ordre à vos commandants de considérer l’usage de la radio comme un acte de résistance active ? Considériez-vous l’émission de messages par un navire marchand comme un acte de résistance active au sens du traité ?
Le 24 septembre, l’ordre de l’État-Major naval d’opérations...
Non, non, accusé ; répondez d’abord à la question et ensuite vous pourrez donner vos explications. Je vous l’ai déjà dit au moins vingt fois aujourd’hui et hier. Considériez-vous l’usage de la radio par les navires marchands comme un acte de résistance active ?
C’est une règle générale de Droit international que de faire usage de ses armes contre un navire de commerce qui utilise sa radio, quand il a été stoppé. Cela existe également dans les règlements français, par exemple. Afin d’éviter toute aggravation dans ce domaine, nous n’avons pas fait usage de ces méthodes au début de la guerre, mais seulement à la fin du mois de septembre. Lorsque j’en reçus l’ordre formel, ou l’autorisation, nous avons appliqué cette règle absolument légale et conforme au Droit international.
Dites-moi, l’Amirauté allemande ne savait-elle pas, en 1936, que la plupart des navires de commerce avaient un poste de radio à bord ?
Bien entendu. Mais suivant les décisions de la Conférence de Droit international de 1923 — je sais cela par hasard, parce que cela figurait en note dans l’ordonnance des prises — ils n’avaient pas le droit de faire usage de leur radio après avoir été stoppés. C’est une loi internationale et elle figure dans toutes les instructions. Je sais avec certitude que les instructions françaises le disent également.
De toute façon, encore une fois, l’Amirauté allemande et le ministère des Affaires étrangères allemand n’ont fait aucune mention de l’usage de la radio dans ce traité. Ce que je prétends — et je veux que cela soit tout à fait clair pour vous — c’est que vous ne vous occupiez pas le moins du monde de ce traité dans tous les cas où il ne convenait pas à vos opérations de guerre ?
Ce n’est pas exact.
Passons maintenant aux neutres. Je ne vous ai pas entendu dire que vous vous soyez occupé des neutres parce qu’ils étaient armés, mais prenons un exemple concret. « Le 12 novembre 1939... »
Je n’ai jamais dit que les neutres étaient armés.
C’est bien ce que je pensais. Nous ne nous en occuperons donc pas. Prenons cet exemple. Il figure à la page 20 du livre de documents anglais, Votre Honneur, au milieu du paragraphe central (document GB-191.). (A l’accusé.) « Le 12 novembre, le navire norvégien Arne Kjöde fut torpillé dans la mer du Nord sans aucun avertissement. C’était un navire citerne qui se rendait d’un port neutre à un autre ». Considérez-vous, accusé, les navires citernes se rendant d’un port neutre à un autre comme des vaisseaux de guerre, ou alors pour quelle raison ce navire a-t-il été torpillé sans avertissement. Lé commandant et quatre membres de l’équipage furent tués, les autres furent recueillis plusieurs heures plus tard dans une chaloupe. Pourquoi avez-vous torpillé ce bateau neutre sans avertissement ?
Ceci se passait le 12 novembre dans la mer du Nord — un navire citerne allant d’un port neutre à un autre ?
Le commandant du sous-marin ne pouvait pas voir, dans ce cas précis, que ce navire se rendait d’un port à un autre...
Et c’est pour cela...
Non, pas pour cette raison. Ce navire se dirigeait vers l’Angleterre et il a été confondu avec un navire anglais. C’est pour cela qu’il a été torpillé. Je suis au courant de cette affaire.
Et vous approuvez l’action de ce commandant de sous-marin ?
Non, c’est une opinion que vous avancez vous-même et qui est réfutée par la façon correcte dont nous avons fait la guerre sous-marine et par le fait que c’était une erreur.
Quand on est dans le doute, on torpille...
C’est l’un des cas...
Vous n’approuvez pas cela, dans le doute, torpiller sans avertissement ? Est-ce là votre point de vue ?
Non, non, c’est là votre opinion. Si l’on trouve, dans cinq ans et demi de guerre sous-marine correcte, une ou deux confusions de ce genre, cela ne prouve rien et ne fait que réfuter votre assertion.
Bien. Examinons donc vos méthodes correctes de guerre sous-marine, si vous le voulez bien. Voulez-vous passer à la page 30 du livre de documents anglais, ou aux pages 59 et 60 du texte allemand. D’abord une note sur l’intensification de la guerre sous-marine. Vous dites qu’en application des directives de l’OKW du 30 décembre — ceci se passe le 1er janvier 1940 — « le Führer, sur proposition du Commandant en chef de la Marine » — l’accusé Raeder — « a décidé que : a) les navires marchands grecs doivent être considérés comme ennemis dans la zone située autour de l’Angleterre et déclarée interdite par les États-Unis ».
Il y a ici une erreur de traduction, Monsieur le Président : on lit en effet : « ...dans la zone bloquée par les États-Unis et l’Angleterre... » La traduction exacte est : « ...dans la zone située autour de l’Angleterre et déclarée interdite par les États-Unis ». (A l’accusé.) Accusé, je ne veux pas faire d’erreur, du moins pas intentionnellement. Avez-vous soumis les navires grecs à ce traitement parce que vous pensiez que la plus grande partie de la flotte marchande grecque était affrétée par la Grande-Bretagne ?
Oui, ce sont vraisemblablement les raisons qui ont poussé l’État-Major naval d’opérations à donner cet ordre, car les navires grecs naviguaient pour l’Angleterre.
Admettons que c’était là la raison. Je ne veux pas perdre du temps sur ce point. Ce que je veux savoir, c’est ceci : signifiait-il que tous les navires grecs rencontrés dans ces eaux devaient être coulés sans avertissement ?
Oui, il était stipulé qu’ils devaient être traités en navires ennemis.
C’est-à-dire qu’à partir de ce moment un navire de commerce grec devait être coulé sans avertissement dans la zone entourant les côtes britanniques.
Vous avez mentionné le canal de Bristol et vous avez donné votre explication sur la phrase suivante. Vous avez dit que tous les navires pouvaient être attaqués sans avertissement dans ce canal. Pour le public, ces attaques devaient passer pour des rencontres avec des mines. Je voudrais que vous m’expliquiez : vous ne prétendez pas que la raison de cet ordre de l’État-Major naval d’opérations était de camoufler les opérations des sous-marins ? Vous vouliez simplement éviter des difficultés avec les neutres, avec lesquels vous vouliez rester en bons termes.
Je me suis expliqué là-dessus hier. Il y avait là des raisons d’ordre politique qui ne me sont pas connues. En tant que commandant de la flotte sous-marine, je ne voyais dans ces mesures que leurs avantages ou leur utilité sur le plan militaire. La Grande-Bretagne a d’ailleurs agi exactement de même dans des cas analogues. Quelles sont les raisons d’ordre politique qui les ont déterminés, je n’en sais rien.
C’est précisément ce que je dis, accusé ; vous agissiez au nom des nécessités militaires dont il est fait état dans le mémorandum de l’État-Major naval et selon lequel on ne pouvait infliger un maximum de pertes à la flotte anglaise qu’en utilisant les armes sans réserves et en torpillant sans avertissement. Mais voyons ce qui suit...
Il s’agissait de zones précises, des dangers desquels tous les neutres étaient avertis. J’ai dit hier qu’on agissait exactement de la même façon dans les zones d’opérations britanniques. Quant un neutre traversait malgré cet avertissement une zone dans laquelle avaient constamment lieu des combats entre les deux parties en présence, il devait en prendre les risques. Voilà les raisons qui incitèrent l’État-Major naval d’opérations à donner cet ordre.
Puisque vous en parlez, occupons-nous d’abord de votre zone. Cette zone, dont l’étendue a été publiée, s’étendait des Féroé à Bordeaux, et jusqu’à 500 milles à l’ouest de l’Irlande. En d’autres termes, elle comprenait 750.000 milles carrés. Est-ce exact ? Cette zone autour de l’Angleterre s’étendait des Féroé à Bordeaux et jusqu’à 500 milles à l’ouest de l’Irlande.
Oui, c’est la zone d’opérations d’août 1940.
Oui, août 1940.
Et elle correspond à la zone de combat dont la traversée avait été interdite par les États-Unis à leurs navires de commerce.
Vous dites qu’elle correspond. Regardons et voyons comment étaient les deux choses. Les États-Unis avaient déclaré à cette époque que leurs navires de commerce ne devaient pas entrer dans cette zone. Vous avez dit que si un navire de commerce pénétrait dans cette zone de 750.000 milles carrés d’étendue, les lois ou usages de la guerre n’étaient plus applicables et que les navires pouvaient être détruits par tous les moyens.
Oui, c’est le point de vue allemand sur le Droit international, qui était d’ailleurs celui des autres nations ; il pouvait être établi des zones d’opérations autour de l’adversaire. D’ailleurs, je répéterai que je ne suis pas un expert en matière de Droit international, mais un soldat, que j’agis d’après le bon sens, et que je considère qu’il va sans dire qu’une zone autour de l’Angleterre ne doit pas être abandonnée sans obstacles à l’adversaire.
Je ne trouve absolument pas que ce soit là une réfutation. Vous pensiez qu’il était normal qu’ayant fixé une zone d’opérations de cette étendue, un navire neutre non armé — vous êtes d’accord sur le fait que c’était un navire neutre — pouvait être détruit par n’importe quel moyen dans cette zone. C’était bien de cette façon que vous envisagiez la manière dont. il fallait mener la guerre sur mer ?
Oui, il y a de nombreuses décisions anglaises qui disent qu’en temps de guerre, et nous étions en guerre avec l’Angleterre, on ne peut pas tolérer que les navires neutres viennent prêter assistance aux belligérants, principalement s’ils ont reçu l’avertissement de ne pas se livrer à cette pratique. C’est absolument conforme au Droit international.
La question de Droit, nous la discuterons avec le Tribunal ; je veux aller aux faits. Telle est donc l’attitude que vous avez adoptée ? De même si vous trouviez un navire neutre à l’extérieur de la zone faisant usage de la radio, vous le traitiez comme un navire de guerre d’une puissance belligérante. N’est-ce pas ? Si un bâtiment neutre faisait usage de sa radio après avoir vu un sous-marin, vous le traitiez comme un navire de guerre d’une puissance belligérante ? C’est bien cela.
Parfaitement, et cela conformément aux prescriptions du Droit international.
Oui. Comme je l’ai déjà dit, les questions de Droit seront examinées par le Tribunal. Je ne veux pas discuter sur ce point avec vous. Mais cette question de Droit international mise à part, n’avez-vous pas été frappé par le fait que cette méthode de traiter des navires neutres ne tenait aucun compte de la vie et de la sécurité des personnes qui se trouvaient sur ces bâtiments ? Cela ne vous a pas frappé ?
J’ai déjà dit que les neutres avaient reçu l’avertissement de ne pas traverser les zones de combat. S’ils pénétraient dans ces zones, c’était à leurs risques et périls, ils n’avaient qu’à s’en écarter. C’était la guerre. De même, par exemple, sur terre on n’aurait aucun ménagement pour un convoi automobile neutre qui viendrait apporter des munitions ou du ravitaillement à l’ennemi. On tirerait sur lui exactement de la même façon que sur un convoi ennemi. Il est donc tout à fait admissible de considérer comme zone de combat la zone maritime qui entoure un pays ennemi. Telle est la situation telle que je la comprends en Droit international, bien que je ne sois qu’un soldat.
Bon.
Une stricte neutralité implique que l’on évite les zones de combat. Quiconque pénètre dans une zone de combat doit supporter certaines conséquences.
Bon. C’est votre conception ; vous ne pouviez pas, je pense, l’exposer plus clairement.
Et c’est pour cette raison que les États-Unis ont expressément interdit en novembre, à leurs navires, de pénétrer dans ces zones, parce que, disaient-ils, nous ne voulons pas pénétrer dans les zones de combat.
A votre avis, tout navire neutre qui pénétrait dans la zone de 750.000 milles carrés qui s’étendait autour de la Grande-Bretagne commettait un acte contraire à la neutralité et devenait susceptible d’être coulé à vue sans avertissement. C’est là votre conception de la guerre sur mer. N’est-il pas vrai ?
Parfaitement. Les neutres pouvaient suivre certains itinéraires qui étaient laissés libres. Ils n’avaient pas à entrer dans ces zones de combat, à moins qu’ils ne se rendissent en Angleterre. En ce cas, ils avaient à supporter les risques de la guerre.
Je voudrais que vous me disiez autre chose. Veuillez vous reporter au document C-21, à la page 30 du livre anglais, et aux pages 59 et 60 du texte allemand. Vous y verrez, prenez le paragraphe 2, ligne 5 : « Discussion sur la situation chez le chef de l’État-Major naval d’opérations le 2 janvier. Renforcement des mesures militaires dans les domaines naval et aérien, en liaison avec le « Cas jaune » — il s’agit de l’invasion de la Hollande et de la Belgique — « Torpillage par sous-marins, sans avertissement, de tous les vaisseaux dans les eaux proches des côtes ennemies dans lesquelles des mines peuvent être employées ».
Pourquoi, si comme vous venez de le dire à plusieurs reprises au Tribunal, vous agissiez conformément à ce que vous pensiez être le Droit International, pourquoi avez-vous agi ainsi uniquement dans les zones où l’on pouvait faire usage de mines ?
J’ai déjà expliqué que ce n’était pas une question de Droit, mais d’opportunité militaire. Je ne pouvais pas, pour des raisons militaires, informer expressément l’ennemi des moyens de combat dont je disposais dans une zone qui pouvait être minée. Vous opériez de la même façon. Je vous rappelle les zones déclarées dangereuses par les Français de la même façon le long des côtes italiennes. Vous ne déclariez pas, vous non plus, les armes que vous employiez. Cela n’avait rien à voir avec le Droit. C’était uniquement une question d’opportunité militaire.
Voyez-vous, je pense que vous comprenez que je veux prouver que vous prétendiez devant les neutres agir conformément à la convention de Londres, alors qu’en fait vous agissiez non pas conformément à ce traité, mais suivant les instructions que vous aviez vous-même établies, et basées sur des nécessités militaires.
Ce que je tiens à vous démontrer, c’est que l’État-Major naval d’opérations prétendait satisfaire aux exigences de la Convention, afin d’obtenir l’avantage de paraître s’y conformer, et c’est là la véritable raison pour laquelle ces ordres ne s’appliquaient qu’aux zones où l’on pouvait employer des mines. N’était-ce pas là ce que vous aviez en vue ?
Il n’est pas vrai que nous avons voulu tromper les neutres. Nous les avons avertis très nettement que des combats auraient lieu dans ces zones et que, s’ils y pénétraient, ils auraient à subir des dommages. Nous n’avons rien prétendu ; nous avons simplement dit : « Ne pénétrez pas dans ces zones ! » Et l’Angleterre a agi exactement de la même façon.
Sir David, la phrase suivante ne porte-t-elle pas là-dessus ?
Oui, Monsieur le Président, je vous suis très obligé. (A l’accusé.) Accusé, voulez-vous regarder la phrase suivante du paragraphe II-1, où il est dit : « En vertu de l’ordre suivant, la Marine sera autorisée, au moment de l’intensification générale de la guerre, à couler par sous-marins, sans avertissement, tous les navires dans les eaux près des côtes ennemies où l’on peut faire usage des mines. Dans ce cas, pour l’opinion publique étrangère, on pourra prétendre que des mines ont été employées. Les sous-marins devront évoluer et faire usage de leurs armes en conséquence. » Direz-vous, en présence de cette phrase, que vous n’essayiez pas, pour employer vos propres termes, de tromper les neutres ? Oserez-vous prétendre que vous ne tentiez pas de les tromper ?
Non, nous ne les avons pas trompés, puisque nous les avions avertis au préalable. En temps de guerre, je n’ai pas besoin d’annoncer l’arme que j’emploierai, je peux très bien camoufler mes armes. Mais les neutres n’ont pas été trompés. Au contraire, on leur a dit : « Ne pénétrez pas dans ces zones ». Après cela, les neutres n’ont pas besoin de savoir la stratégie militaire que nous emploierons.
Je voudrais que vous disiez maintenant au Tribunal quel était votre point de vue sur votre responsabilité à l’égard des marins des navires que vous aviez coulés ? Teniez-vous compte des clauses de la Convention de Londres et admettiez-vous que vous aviez la responsabilité de sauver les marins des navires coulés, chaque fois que vous pouviez le faire sans mettre en danger vos propres navires ? Est-ce, en gros, exact ?
Certainement, si le navire se conformait lui-même à la Convention de Londres ou bien si l’événement se déroulait hors de la zone déclarée d’opérations.
Parlez-vous sérieusement ? Vous voulez vraiment dire que si vous couliez un neutre qui était entré dans cette zone, vous étiez dégagé de toutes vos obligations de la Convention de Londres de sauver les équipages ?
Dans les zones d’opérations, je suis obligé de prendre soin des survivants, après l’engagement, si la situation militaire le permet. Il en était ainsi dans la Baltique et dans plusieurs autres zones d’opérations.
C’est la question que je vous pose, accusé. Croyez-moi, je ne veux pas vous induire en erreur. Je vous ai dit : s’ils pouvaient le faire sans mettre en danger leurs propres navires, c’est-à-dire sans risquer de perdre leurs navires. Expliquons-nous clairement. Avez-vous dit que, dans la zone que vous avez fixée, il n’y avait aucune obligation de se préoccuper du sauvetage des équipages, que vous n’admettiez aucune obligation de vous préoccuper du sauvetage des équipages ?
J’ai déclaré que j’avais l’obligation de m’occuper des survivants après l’engagement si la situation militaire le permettait. Cela fait partie de la Convention de Genève, ou de la Convention relative à son application.
Donc, cela n’avait aucune importance de savoir si le navire était coulé dans la zone ou hors de la zone. D’après ce que vous dites, vous acceptiez exactement la même obligation à l’égard des survivants, que ce fut dans ou hors de la zone. C’est bien cela ?
Non, c’est faux, parce que hors de cette zone, les neutres étaient traités conformément à l’ordonnance des prises, mais non à l’intérieur de la zone.
Ce que je ne comprends pas — et en vérité j’espère ne pas être trop stupide — c’est la différence ? Quelle différence faisiez-vous entre votre responsabilité à l’égard des survivants, si le navire était coulé dans la zone ou s’il l’était hors de la zone ? C’est cela que je voudrais tirer au clair ?
La différence résidait en ceci que hors de la zone les neutres étaient traités conformément à l’ordonnance des prises. D’après la Convention de Londres, nous étions obligés, avant de couler le navire, de veiller à ce que l’équipage pût gagner la côte sain et sauf. Cette obligation n’existait pas dans la zone. En ce cas, nous agissions conformément à la Convention de La Haye qui prévoit l’application de la Convention de Genève stipulant que l’on doit prendre soin de l’équipage après le combat, si la situation militaire le permet.
Admettez-vous qu’un ordre formel de supprimer les survivants d’un navire coulé soit un ordre terrible à donner ?
J’ai déjà déclaré que s’attaquer aux survivants d’un naufrage est contraire à la conception du soldat sur la loyauté du combat et que je n’ai jamais signé aucun ordre qui ait pu, à un degré quelconque, conduire à une mesure de cette sorte, même pas quand on me l’a proposé à titre de représailles.
Admettez-vous que, malgré la discipline qui régnait dans vos services, il était possible que certains commandants de sous-marins aient refusé de se conformer à un ordre de supprimer les survivants ?
Aucun ordre semblable n’a jamais été donné.
Je pense que la question est tout à fait nette ; que se serait-il passé si l’ordre formel avait été donné de « supprimer les survivants, après avoir coulé leur navire » ? Vous connaissez vos officiers. Aurait-il fallu, de toute façon, s’attendre à ce que certains d’entre aux refusassent de se conformer à cet ordre ?
Oui. Tel que je connais le personnel de mes sous-marins, il y aurait eu une tempête d’indignation contre un ordre semblable. Leur idéal de propreté et d’honneur leur aurait interdit de l’exécuter, et je n’aurais jamais donné un ordre de ce genre et je n’aurais pas permis qu’il fût donné.
C’est bien ce que je voulais savoir. Et bien, regardez à la page 33 du livre de documents anglais. Vous trouverez votre ordre permanent n° 154. Laissez-moi vous le lire lentement si le Tribunal le permet. Il dit :
« Ne sauvez pas les gens et ne les prenez pas à bord. Ne vous tracassez pas pour les embarcations des navires de commerce ; les conditions atmosphériques et la distance de la terre n’entrent pas en ligne de compte. Ne vous préoccupez que de votre propre bâtiment et veillez seulement à remporter aussi rapidement que possible un nouveau succès. Nous devons être durs dans cette guerre ».
Dites-moi d’abord ce que vous entendez par « un nouveau succès ». Cela ne signifie-t-il pas une nouvelle attaque de navire ?
Oui.
Veuillez maintenant considérer cet ordre qui émane de vous et le comparer avec les termes du Traité de Londres. Le traité, vous vous en souvenez, dit que tout bâtiment de guerre, même sous-marin, ne peut pas couler ou mettre hors d’état de naviguer un bateau marchand sans avoir au préalable mis en lieu sûr les passagers, l’équipage et les papiers du bord. A cette fin, les embarcations du navire ne peuvent pas être considérées comme un lieu sûr, à moins que la sécurité des passagers et de l’équipage ne soit assurée par l’état de la mer et les conditions atmosphériques, la proximité de la terre ou la présence d’un autre vaisseau.
Accusé, n’aviez-vous pas sous les yeux cet article du traité de Londres ? Vous l’aviez, n’est-ce pas, lorsque vous avez rédigé cet ordre ? Et vous avez délibérément, dans votre ordre, pris les mesures contraires à celles qui sont prescrites dans ce traité. Écoutez vos propres termes : « Ne vous tracassez pas pour les embarcations, les conditions atmosphériques... » — choses mentionnées dans le traité — « ...la distance de la terre » — également mentionnée dans le traité — « ...n’entrent pas en ligne de compte ».
Votre ordre aurait pu presque aussi clairement dire : « Ne tenez aucun compte des dispositions du paragraphe 2 de l’accord de Londres ».
Dites-moi, vous n’aviez pas cet accord de Londres sous les yeux, lorsque vous avez rédigé cet ordre ?
Bien entendu, j’avais le texte de cet accord dans mon esprit et sous les yeux ; mais j’ai précisé hier qu’il s’agit ici après un engagement d’un navire escorté, comme on le voit en lisant l’ordre tout entier. Vous avez pris un paragraphe hors de ce contexte. Il n’était en effet pas question d’appliquer ici l’accord de Londres, qui ne fait pas allusion aux navires sous escorte.
En second lieu, il s’agit ici d’une zone à proximité immédiate des positions permanentes, des défenses avancées des ports de la côte anglaise. L’accord de Londres n’a rien à voir avec la lutte contre des navires sous escorte. Ce sont là deux choses absolument différentes ; cet ordre s’applique à cette zone-là et à la lutte contre des navires sous escorte. J’ai expliqué tout cela en détail hier.
Mais si vous dites que cet ordre ne devait être mis en vigueur que lorsqu’il s’agissait d’attaquer des navires en convoi ; pourriez-vous regarder à la page 26 du livre de documents anglais et à la page 57 du texte allemand ? Vous y trouverez le rapport qui relate comment fut coulé le Sheaf Mead, le 27 mai 1940. Veuillez maintenant consulter le livre de bord du sous-marin à l’indication horaire 16.48. C’est à la page 27 du texte anglais et à la page 57 de l’allemand (document déposé sous le numéro GB-192). Voilà ce qu’on trouve sur le livre de bord :
« Un monceau d’épaves flotte à la surface. Nous nous approchons pour découvrir le nom. L’équipage est réfugié sur des épaves et sur des embarcations renversées. Nous repêchons une bouée ; il n’y a pas de nom dessus, j’interroge un homme sur le radeau. Il dit, en détournant à peine la tête : « Nix name. » Dans l’eau un jeune garçon appelle : « Au secours, au secours, s’il vous plaît ! » Les autres sont très calmes, ils semblent abattus et passablement fatigués. On voit sur leurs visages des regards de haine froide. Et la vieille course reprend. »
Si vous passez à la page 57 du livre allemand, à la page 28 du texte anglais, vous verrez la dernière phrase du rapport des survivants qui décrit ainsi la conduite du sous-marin :
« Ils ont croisé dans les parages durant une demi-heure, en prenant des photographies de nous dans l’eau. Ils se sont contentés de nous regarder sans rien nous dire. Puis le sous-marin a plongé et a disparu sans nous prêter la moindre assistance. »
Vous voyez, accusé, ce que dit le commandant de l’un de vos sous-marins. Un jeune garçon dans l’eau appelle : « Au secours, au secours, s’il vous plaît » ! Votre sous-marin prend quelques photographies, plonge et disparaît.
Sir David, peut-être serait-il bon que vous citiez le passage qui se trouve après le nom du navire, avec l’indication horaire 16.48 : « On ne voit pas clairement...
« On ne voit pas clairement si le bateau naviguait comme un navire marchand normal. La suite a semblé prouver le contraire. » Puis, Monsieur le Président, il cite certains faits ; évidemment, Monsieur le Président, je traite pour le moment la question des survivants. Je ne prends pas cet exemple comme celui d’un torpillage injustifié. Je l’ai choisi comme un exemple de la façon dont l’ordre a été exécuté.
Je vous remercie, Monsieur le Président, mais c’est la raison pour laquelle je n’avais pas lu ce passage.
Le Tribunal va suspendre l’audience.