CENT VINGT-SIXIÈME JOURNÉE.
Vendredi 10 mai 1946.

Audience de l’après-midi.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Accusé, vous venez d’avoir toute latitude de consulter le livre de loch du sous-marin U-37. N’aviez-vous pas l’habitude, en mai 1940, de consulter personnellement le livre de loch de tous les sous-marins lorsqu’ils rentraient ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Je me faisais donner chaque fois un compte-rendu verbal par le commandant du sous-marin. Quant aux livres de loch, qui n’arrivaient que quelques semaines plus tard, ou qui devaient être complétés, ils ne m’étaient alors présentés par mon chef d’État-Major que s’ils contenaient quelque chose qui n’avait pas été mentionné dans le procès-verbal.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous souvenez-vous avoir vu le livre de loch de l’U-37 lorsqu’il fut impliqué dans le cas qui nous occupe ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Non.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Savez-vous maintenant que le Sheaf Mead ne faisait pas partie d’un convoi ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Oui, je le sais et je sais aussi que c’était un navire armé et que, d’après les ordres que possédait le commandant, celui-ci avait le droit de le couler, en tant que navire armé. Il ressort aussi de son livre de loch qu’il ne put se décider à lancer sa torpille que lorsqu’il eut constaté que le navire était armé. C’est exprimé clairement dans ce document.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Puis-je rappeler à Votre Honneur que je ne traite pas ici de l’envoi par le fond, mais des survivants. (A l’accusé.) Avez-vous pris quelque sanction contre le lieutenant de vaisseau Ernst pour n’avoir pas aidé au sauvetage des survivants ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Non, mais je lui ai dit que, s’il avait été présent à ce sauvetage, il aurait dû y contribuer.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

N’obéissait-il pas simplement à votre ordre 154 de novembre ou décembre 1939 ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Non. J’ai déjà expliqué que cet ordre n’entrait en vigueur que dans une certaine zone et uniquement pour les bateaux convoyés.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Consultez la page 34 du livre de documents anglais ou la page 69 du livre de documents allemand. C’est le compte rendu d’un entretien entre Hitler et Oshima que vous prétendez ignorer. Veuillez suivre à peu près au milieu de cet extrait ; il y est dit : « Après avoir donné d’autres explications au moyen de la carte, le Führer fait remarquer que, quel que soit le nombre de bateaux construits aux États-Unis, l’un des plus importants problèmes c’est le. manque d’équipages. Pour cette raison, même des bateaux de commerce seraient coulés sans avertissement, dans l’intention de voir périr la majeure partie de l’équipage. Si la nouvelle se propage que, par les torpillages, la plupart des marins périssent, les Américains auront rapidement des difficultés à en recruter de nouveaux. L’instruction du personnel marin demande beaucoup de temps. »

Étiez-vous d’accord avec cet argument de Hitler selon lequel le bruit s’étant répandu que la plupart des marins mouraient lorsque le bateau était torpillé, les Américains auraient beaucoup de difficultés à trouver de nouveaux équipages ? Croyez-vous que c’était un argument vraiment fondé quant à la question de la conduite de la guerre navale contre les États-Unis ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Dans ma réponse à ce sujet au ministère des Affaires étrangères, j’ai déjà exprimé clairement mon opinion dans ce sens que je ne croyais pas qu’il fallait beaucoup de temps pour former des marins et que, d’ailleurs, l’Amérique n’en manquait pas. Et mon avis était également que, puisque les gens étaient en nombre, la nouvelle en question ne les intimiderait pas.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous n’êtes donc pas d’accord avec les réflexions du Führer ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Non, je ne suis pas d’accord avec la conclusion qu’il y aurait pénurie d’équipages.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Non, la première question à propos de laquelle je voudrais avoir votre opinion est celle-ci : « Si la nouvelle se propage que, par les torpillages, la plupart des marins périssaient, les Américains auront rapidement beaucoup de difficultés à en recruter de nouveaux ». Cela signifie que les nouveaux équipages seraient effrayés en apprenant que les précédents auraient été coulés et tués. Teniez-vous cet argument pour raisonnable ? J’aimerais connaître votre avis à ce sujet.

ACCUSÉ DÖNITZ

C’était une idée personnelle de Hitler. Quant à savoir si la nouvelle les aurait effrayés ou non, c’était l’affaire des Américains et je ne peux en juger moi-même.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Voudriez-vous ouvrir votre livre de documents, premier volume, page 29 dans la version anglaise, où figure votre compte rendu du 14 mai 1942 au Führer. Voyez-vous la dernière phrase où vous parlez de canon automatique. Vous dites :

« Le canon automatique aura le gros avantage de ne plus permettre, en raison du rapide naufrage du bateau torpillé, que l’équipage puisse s’échapper. De plus importantes pertes d’équipages rendront sans aucun doute l’enrôlement plus difficile pour le grand programme américain d’armement. »

ACCUSÉ DÖNITZ

C’est évident, c’est exact. Si je n’ai plus l’ancien équipage, il faut que j’en prenne un nouveau. C’est une difficulté, une aggravation. Il n’est pas question, là, de terrorisme, mais c’est un fait positif qu’il faudra prendre de nouveaux équipages.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Autrement dit, vous voulez dire que vous ne croyiez pas personnellement à un effet de terrorisme pour le recrutement de nouveaux équipages, si les anciens étaient coulés dans des conditions telles qu’ils avaient les plus grandes chances de perdre la vie ?

ACCUSÉ DÔNITZ

C’est une affaire d’opinion. Cela dépend de la bravoure, du courage des hommes. Le ministre américain Knox a dit que, si en temps de paix, en 1941, on tient secret le naufrage de sous-marins allemands, il en espère un effet terroriste sur mes équipages. C’était là son opinion, ce qui rie m’empêche nullement de dire que cette disparition secrète, opérée par les Américains en temps de paix, n’aurait exercé aucune influence sur mes équipages. C’est une affaire d’appréciation.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

C’est pourtant un fait que, le 14 mai, le Führer vous pressait d’agir contre les équipages, le bateau une fois coulé, n’est-ce pas exact ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Oui, il a demandé si l’on pouvait s’attaquer aux équipages, et j’ai déjà dit, lorsque j’ai appris ici son entretien avec Oshima, que je pensais que cette question, posée au Grand-Amiral Raeder et à moi, était la conséquence de son entretien avec Oshima. Vous connaissez ma réponse, elle fut négative.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Et votre réponse fut : « Non, il vaudrait mieux employer un canon automatique et les tuer pendant qu’ils sont encore sur le bâtiment ». C’était bien votre réponse, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ DÛNITZ

Non, ma réponse fut celle-ci : « Il n’est pas question de s’en prendre aux naufragés, mais il est bien évident que, dans le combat, on utilise la meilleure arme possible. Chaque nation fait de même ».

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui, mais l’utilité de cette arme, comme cela a été exprimé très clairement, c’était précisément que l’équipage ne pouvait pas se sauver en raison du rapide naufrage du vaisseau. Et c’est pour cette raison que vous vouliez vous servir du canon automatique.

ACCUSÉ DÖNITZ

Oui, et aussi, bien entendu, parce que l’équipage des vapeurs qui combattaient avec des armes était considéré comme des combattants.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je ne reviendrai plus là-dessus, mais c’était bien votre opinion. Le Führer en a reparlé encore le 5 septembre 1942, ainsi qu’il ressort de votre livre de documents, volume II, page 81.

ACCUSÉ DÖNITZ

Je n’ai pas ce passage.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Il commence par une discussion à l’OKW, le 5 septembre 1942. C’est le document Dônitz-39, page 81, dans le livre de documents anglais, volume II.

ACCUSÉ DÖNITZ

Oui, je l’ai trouvé.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Lors de la discussion -relative au torpillage du mouilleur de mines Ulm, la question a été soulevée de savoir si le destroyer anglais avait tiré sur les embarcations des naufragés avec des armes automatiques : « Le Führer avait chargé la Direction des opérations navales de publier un ordre selon lequel nos vaisseaux de guerre exerçaient des représailles ». Et, un peu plus bas, vous trouverez les instructions détaillées, fixées par cette directive, qui précisent : « On ne peut impunément prouver que le tir était dirigé contre les membres de l’équipage s’embarquant dans les canots de sauvetage. Le tir de l’ennemi était visiblement dirigé sur le bateau même ». Ensuite, vous parlez de l’emploi des représailles, au bas de cette page, et vous dites : « Selon l’avis de la Direction des opérations navales, il est nécessaire, avant d’ordonner des représailles éventuelles, de bien peser jusqu’à quel point celles-ci, en cas d’utilisation de semblables mesures par l’ennemi, ne nous seraient pas plus préjudiciables qu’à l’adversaire lui-même. Nos bateaux n’ont eu que rarement jusqu’à présent la possibilité de sauver des naufragés au service de l’ennemi, par le remorquage des canots de sauvetage ou par d’autres moyens, alors que, jusqu’ici, les équipages de sous-marins et de bateaux commerciaux allemands détruits ont été recueillis généralement par l’ennemi. C’est pourquoi la proportion ne pourrait tourner qu’à notre avantage si non seulement l’abandon, mais aussi l’anéantissement des équipages ennemis naufragés étaient ordonnés à titre de représailles. A cet égard, il est significatif qu’il n’ait pas été établi jusqu’à ce jour que les cas, reconnus, d’utilisation des armes de la part de l’ennemi contre les naufragés allemands, ont été déclenchés ou couverts par l’ordre d’un service anglais. Il y aurait donc lieu de tenir compte que la publication d’un ordre allemand soit exploitée par la propagande de l’adversaire d’une façon telle que l’on ne puisse en concevoir les conséquences ».

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Monsieur le Président, j’ai une objection à soulever contre cette procédure. Le document présenté dans ce contre-interrogatoire est une preuve que je compte utiliser et que je n’ai même pas encore produite. Je ne sais même pas s’il est d’usage dans ce Procès que les preuves de la Défense soient produites par l’Accusation. C’est pourquoi j’avais proposé en temps utile que l’on commençât par ces documents, de façon que le Ministère Public pût en faire état pendant le contre-interrogatoire, en se basant sur mes preuves.

LE PRÉSIDENT

Avez-vous des objections à ce que le document contenu dans votre livre de documents soit produit comme preuve ?

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Je voudrais simplement éviter qu’au cours du contre-interrogatoire mes documents soient produits par le Ministère Public car, de cette façon, toute ma documentation est bouleversée. Ce cas particulier ne joue pas pour moi un rôle décisif, mais si le Ministère Public a l’intention de produire mes autres documents, non encore déposés, je demanderai l’arrêt de ce contre-interrogatoire, afin de me permettre d’abord de déposer mes preuves.

LE PRÉSIDENT

Cela ne pourrait que nous faire perdre du temps, n’est-ce pas ? Cela ne servirait à rien qu’à gaspiller du temps.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Monsieur le Président, je ne crois pas que ce soit une perte de temps si, en ma qualité de défenseur, je demande de produire mes documents moi-même au Tribunal afin qu’ils ne soient pas extraits de mon livre de documents et présentés par le Ministère Public au Tribunal, car la façon de les produire par l’Accusation, ainsi que les questions qui s’y rattachent, donne évidemment un sens bien déterminé à toute l’affaire.

LE PRÉSIDENT

Docteur Kranzbühler, le Tribunal estime que la procédure employée ne souffre aucune critique. Vous avez eu l’occasion, précédemment, de présenter ce document au témoin, et vous en aurez encore une fois l’occasion lors de votre nouvel interrogatoire.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE (A l’accusé)

En d’autres termes, vous étiez à nouveau contraint d’avoir recours à cette mesure, c’est-à-dire d’ouvrir le feu sur les équipages des bateaux en train de couler. Et cela au mois de septembre, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Non, ce n’est pas exact. Je n’ai eu connaissance qu’ici de ce papier de la Direction des opérations navales. Je n’ai donc subi aucune contrainte. Mais il est très vraisemblable que, d’après ce papier, la direction avait mission, semble-t-il, de la part de l’OKW, de faire une récapitulation de ces faits, et son point de vue, très correct, a été que, en jugeant ces cas, il fallait être très prudent, et qu’elle a dissuadé d’avoir recours à de telles mesures de représailles. La façon dont ce document est composé me semble avoir eu pour but de convaincre qu’il fallait s’abstenir de les pratiquer.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Saviez-vous que, sur l’ordre de Hitler, l’OKW avait entrepris, en septembre, une enquête auprès de la Direction des opérations navales, au sujet de cette même affaire ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Non, je ne le savais justement pas. Je viens de dire que je ne connaissais pas cette inscription au journal de guerre de la Direction, avec l’annexe au verso. C’est ici que j’en ai pris connaissance.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Ce n’est qu’ici que vous en avez eu connaissance ?

ACCUSÉ DÖNITZ

L’inscription au journal de guerre de la Direction ne m’était pas connue ; cela s’est fait à Berlin, et j’étais à cette époque Commandant en chef de l’arme sous-marine en France.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Puisque vous prétendez devant le Tribunal que vous ne saviez rien de cela en septembre, nous allons passer à un autre document. Vous disiez donc qu’en septembre 1942 vous n’en saviez rien ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Non.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je ne veux pas entrer dans des détails au sujet du cas du Laconia mais je voudrais entendre de vous quelques explications sur une ou deux inscriptions. Je crois que c’est à la page 40 de votre propre livre de documents.

LE PRÉSIDENT

N’est-ce pas à la page 41 ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui, je remercie Votre Honneur. C’est au bas de la page 41. C’est la mention du 20 septembre à 13 h. 30, votre message de radio envoyé au sous-marin Schacht.

ACCUSÉ DÖNITZ

C’est ce que j’ai expliqué hier très clairement.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je veux savoir simplement si ce que votre message contient est exact, lorsqu’il mentionne que le bateau était compartimenté, afin de sauver les alliés italiens, et non les Anglais et les Polonais ? Est-ce vrai ?

ACCUSÉ DÖNITZ

C’est exact, parce que le bateau m’avait signalé : « J’ai quatre canots en remorque avec des Anglais ». C’est à la page 40. Et, vu la situation, il était évident qu’un sous-marin remorquant un tel convoi ne pouvait rester en surface sans courir le plus gros danger. De là cet ordre — page 40, numéro 2 — et cette instruction : « Laissez flotter les canots montés par les Anglais et les Polonais ». Je voulais que les canots s’en allassent. C’était l’unique raison. D’autant plus qu’ensuite — page 41 — nous parvint du sous-marin un long message — qui fut capté — disant qu’en raison de l’arrêt et du surnombre à bord, il était de nouveau très exposé. A deux reprises, il avait déjà subi des attaques aériennes. C’est alors qu’il avait reçu mon message, d’autant plus opportun (les premiers jours, je ne m’étais pas du tout opposé au sauvetage des Anglais), que j’avais eu de plus en plus l’impression que les Italiens, qui étaient tout de même nos alliés, étaient désavantagés quant au sauvetage, ce qui se confirma par la suite.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous avez donné une longue explication. Je vous demande maintenant : est-il exact que dans ce télégramme il était spécifié que le canot était envoyé pour le sauvetage des alliés italiens, et non pour sauver et soigner les Anglais et les Polonais ? Est-ce vrai, oui ou non ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Il va de soi que ce radiotélégramme se référait aux deux cas, sans équivoque, ce qui est d’autant plus évident que la majeure partie des Anglais a été sauvée, et que la plupart des Italiens ont péri.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je voudrais que vous m’éclaircissiez un point. Lorsque vous avez été interrogé à ce sujet, vous avez admis que vous aviez dû subir une très forte contrainte. Je présume qu’elle émanait de Hitler, par l’intermédiaire du capitaine Fricke. Est-ce exact ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Non, pas uniquement ; certes, cette contrainte provenait surtout de l’angoisse et du souci sur le sort de mes sous-marins parce que je savais qu’ils étaient exposés à un danger extrême ; les attaques d’avions nous en ont fourni la preuve. En second lieu, il allait de soi qu’elle était causée par l’instruction du Führer, transmise par Fricke. J’ai déclaré à ce dernier que, malgré ces instructions, je m’en tenais au sauvetage, dussé-je agir faussement du point de vue militaire. Mais cette oppression, cette angoisse et ce souci que j’éprouvais étaient principalement causés par le sort de mes sous-marins.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Ainsi donc, à ce moment-là, vous aviez devant les yeux le message adressé au Führer le 14 mai. Précédemment s’était produit le cas du Laconia et c’est dans l’intervalle que s’est manifestée la pression exercée par le Führer. N’était-ce pas pour cette raison que...

ACCUSÉ DÖNITZ

Je vous demande pardon, mais...

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Voulez-vous me permettre de terminer ma question ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Je crois que c’est une erreur qui vient de se glisser...

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Bien, je vais la corriger. Vous aviez eu le compte rendu au Führer, du 14 mai. Vous nous l’avez dit. Ensuite il y eut le cas du Laconia...

ACCUSÉ DÖNITZ

Mais cela n’a rien à voir avec les instructions du Führer pour le cas du Laconia. A ce moment, Hitler avait justement spécifié que, pendant le sauvetage, nos bateaux ne devaient pas être exposés. C’est quelque chose de tout à fait différent de la version du 14 mai.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

J’essaye de rassembler pour l’instant les points qui vous préoccupaient Vous aviez, le 14 mai, l’incident du Laconia et ensuite à vous en tenir à un ordre du Führer.

ACCUSÉ DÖNITZ

Non, en ce qui concerne le Laconia je n’ai absolument pas pense, ni n’ai pu penser à l’ordre ou à la discussion du Führer du 14 mai parce qu’il s’agit d’une tout autre question, d’une affaire toute différente, d’une pure affaire de sauvetage. Il n’y a aucun rapport entre elles.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Nous allons y revenir tout de suite. Prenez la page 36 du livre de documents allemand. Vous nous avez dit hier que ce qui vous préoccupait le plus c’était la sécurité de vos propres bateaux et de votre propre personnel.

ACCUSÉ DÖNITZ

Parfaitement.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Pour quelle raison avez-vous ajouté à l’ordre : « Le sauvetage est en contradiction formelle avec les exigences les plus impératives de la conduite de la guerre, à savoir la destruction des navires et des équipages ennemis ». Pourquoi avez-vous ajouté cette phrase, si ce n’est pour encourager vos hommes à détruire vaisseaux et équipages ennemis ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Je l’ai expliqué très clairement hier. Pendant toutes ces années, j’ai répété : « Ne sauvez personne tant que votre sécurité est menacée ». Même dans le cas du Laconia je l’ai répété plusieurs fois par la radio, en raison de mon angoisse pour les hommes, et aussi parce qu’il m’est apparu que les commandants de sous-marins prenaient trop à la légère le danger aérien. J’ai également exprimé combien, du point de vue psychologique, cela est compréhensible. J’ai exposé hier l’écrasant accroissement de l’aviation ennemie et précisé que j’avais enjoint aux hommes, en raison de ce danger, de s’abstenir de toute tentative de sauvetage, contraire aux principes de la conduite de la guerre, et cela parce que je ne voulais, de la part des commandants, aucune discussion quant à la question de décider s’il y avait ou non risque de bombardement aérien. Conscient pleinement de nos pertes, comme de l’énorme supériorité des forces aériennes alliées, ce qui est un fait historique, il fallait bien qu’en vertu de l’expérience acquise je donnasse aux commandants un ordre clair et net : « Cela ne peut continuer ainsi ou alors, en voulant sauver l’adversaire, c’est nous qui serons abattus par lui... »

C’est pourquoi cet esprit de suite ne pouvait leur être inculqué. Je voulais enlever aux commandants toute possibilité de réflexion ou de discussion. Hier, je disais déjà que j’aurais certes pu ajouter :

« Si, lors d’une attaque aérienne, nous risquons en sauvant l’adversaire, d’être tués par l’adversaire lui-même, alors le sauvetage est en contradiction formelle avec les plus élémentaires exigences de la conduite de la guerre ». C’est ce que je voulais éviter, en n’admettant plus de discussion. Nous avions tous l’impression que ce disque « Pas de sauvetage en cas d’attaque aérienne ! » était usé, parce que, justement, les commandants avaient alors perdu tout esprit de décision.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Si vous aviez simplement dit :

« Il est interdit de sauver les naufragés » et si vous vouliez donner une raison, vous auriez pu ajouter : « Le sauvetage est interdit, en raison de l’aviation de chasse alliée, et en vue de votre propre sécurité, parce qu’il est trop dangereux pour vos bateaux d’entreprendre un sauvetage ». C’eût été suffisamment clair. Pourquoi ne vous êtes-vous pas exprimé de la sorte ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Non, je ne le pouvais précisément pas ; ainsi que je viens de le dire, parce qu’un commandant quelconque, dans un secteur quelconque, pouvait toujours s’imaginer qu’il n’y avait aucun danger d’attaque aérienne ; et soudain l’avion était là et il pouvait être tué. Je me suis déjà exprimé sur votre proposition.

- SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous aviez deux officiers d’état-major expérimentés au moment où vous avez donné cet ordre, les capitaines Godt et Hessler, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Oui, c’est exact.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Et le capitaine Godt, ainsi, que le capitaine Hessler, vous ont déconseillé fortement de publier cet ordre, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Autant que mes souvenirs sont exacts, ils ont dit à peu près ceci : « La plupart des sous-marins » — je l’ai déclaré ici — « c’est-à-dire plus de 90% de l’arme sous-marine, combattent actuellement les convois : cet ordre ne les concerne plus ». La question était donc de savoir si nous devions encore, ou non, lancer un tel ordre général, et si le développement ultérieur des opérations, qui nous obligeait à donner constamment de nouveaux ordres quant à la nécessité de naviguer le plus possible en surface, était bien utile. Mais comme j’étais responsable de la disparition possible de tout sous-marin, je me vis dans l’obligation de donner cet ordre, et mon État-Major l’approuva unanimement.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

N’avez-vous pas, lors de votre interrogatoire du 22 octobre et à d’autres occasions, déclaré : « Godt et Hessler m’ont dit : « N’envoyez pas ce télégramme, car un jour « la chose peut être faussement exposée ou interprétée ». C’est bien ce que vous avez dit ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Oui, je l’ai dit ; c’est exact, une telle remarque a pu être faite. Faussement interprétée, oui, mais non pas par l’arme sous-marine, personne ne l’aurait pensé ; autrement, nous n’aurions pas donné cet ordre, ne fût-ce qu’en raison de l’effet à l’extérieur.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Et l’effet que vous vous proposiez n’était-il pas d’avoir un ordre qui laissât subsister un doute quant à l’identification d’une embarcation de sauvetage, et qui pût inciter les commandants de sous-marins à l’interpréter de façon analogue et à tirer sur les survivants de l’équipage ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Non, c’est absolument faux, et c’est d’ailleurs prouvé par les documents que nous avons produits. Personne, à part le cas Möhle n’a mal compris cet ordre, et nous en avions conscience en le rédigeant. Et cela même ressort des annotations des commandants de sous-marins, comme aussi très clairement de mes continuelles informations pour savoir si, parfois l’incident n’avait tenu qu’à un fil. Cela ne ressort nullement de l’ordre lui-même, ni des circonstances qui l’ont provoqué. Il s’agit du fait que nous avons, avec empressement, opéré des sauvetages, il s’agit donc de la question « Sauver ou ne pas sauver » et de rien d’autre. C’est l’issue du cas Laconia.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous avez déclaré : « Nous avons lancé l’ordre ». Vous souvenez-vous avoir dit lors de votre interrogatoire, le 6 octobre :

« Je suis totalement et personnellement responsable, car les capitaines Godt et Hessler ont déclaré tous deux qu’ils considéraient ce télégramme comme ambigu et pouvait être mal interprété ».

Vous souvenez-vous encore avoir dit : « Je suis totalement et personnellement responsable », parce que vos deux officiers d’état-major vous ont fait remarquer qu’il était ambigu. Avez-vous déclaré cela ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Je ne crois pas l’avoir dit ; je n’en sais rien, mais je veux déclarer ceci ; hors de cet interrogatoire, il m’a été dit que les capitaines Godt et Hessler avaient rédigé l’ordre et, là-dessus, j’ai déclaré : & C’est tout à fait indifférent, je suis responsable de cet ordre ». Du reste, ils ont, au début de l’entretien, discuté sur l’opportunité d’un tel ordre. Qu’il soit venu à l’idée du capitaine Godt et du capitaine Hessler que pour nous, pour l’arme sous-marine, l’ordre prêtait à des malentendus, c’est faire fausse route. Cela aussi, je l’ai expressément déclaré à l’interrogatoire. J’ai expressément déclaré que la réflexion et la discussion sur la question de savoir si cet ordre devait être transmis ou non, n’avaient absolument rien à voir avec l’éventualité d’un malentendu parmi nous. Cela aussi, je l’ai dit lors de mon interrogatoire.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous avez très clairement exprimé que c’était la première fois. J’ai parfaitement compris que vous n’aviez pas accusé vos subordonnés de vous avoir déconseillé et que, dans ce cas, vous en assumiez la responsabilité. Il est pourtant bien exact, n’est-ce pas, que vos deux subordonnés vous ont déconseillé ? Vous avez dit vous-même que tous deux avaient expressément déclaré qu’ils tenaient le télégramme pour équivoque et prêtant à des malentendus. C’est juste, n’est-ce pas, c’est bien ce que vous avez dit ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Je n’ai pas lu le texte de cet entretien après qu’il fut rédigé, et je ne l’ai pas signé. Je peux clairement confirmer, et cela ressort également d’un autre entretien, que j’ai déclaré prendre pour moi seul la responsabilité. C’était pour moi l’essentiel. Et toute cette question n’est véritablement venue en discussion que parce que l’officier qui m’a interrogé m’a dit que mes officiers avaient rédigé l’ordre, et qu’alors, autant que je m’en souvienne, tous deux ne pouvaient absolument pas être tenus pour responsables de mon ordre, sous aucun prétexte. Tel était le sens de cette discussion.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous ne voulez, en tout cas, modifier en rien ce que vous avez dit il y a quelques minutes, à savoir que le capitaine Godt et le capitaine Hessler vous avaient déconseillé de donner cet ordre, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Si mes souvenirs sont exacts, tous deux m’en ont d’abord dissuadé. Je viens d’entendre dire qu’ils auraient déclaré ne l’avoir pas fait ; je l’aurais peut-être déconseillé, ou quelqu’un d’autre, je n’en sais plus rien. En tout cas, j’ai souvenir que tous deux m’ont d’abord dissuadé, si déjà 90% de nos sous-marins s’attaquaient aux convois, de donner cet ordre, surtout si, de toute façon, nous devions plonger, et si nous ne pouvions absolument pas procéder au sauvetage. Et j’ai dit alors : « Non, le cas peut se produire qu’un commandant se trouve placé devant une telle éventualité, et je tiens à lui enlever toute décision ».

Telle a été la raison, tel a été le sens de cette discussion, et pas autre chose.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Nous allons continuer. C’était la première partie de cet ordre. Prenons le chiffre 2 : « Les ordres relatifs à la capture des capitaines et des officiers mécaniciens subsistent ». Or, accusé, vous savez fort bien que, pour découvrir le capitaine ou l’officier mécanicien, il faut que le sous-marin circule autour des embarcations de sauvetage ou des épaves et demande :

« Où est le capitaine ? » Et vous savez très bien que, dans la Marine marchande britannique, il est d’usage de cacher le capitaine afin qu’il ne soit pas identifié. N’était-on donc pas en situation, pratiquement, d’être obligé de tourner autour des canots et de réclamer le capitaine, si l’on voulait le capturer et l’emmener ? N’en était-il pas ainsi ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Pas dans cette mesure ; j’ai déclaré hier explicitement que, en premier lieu, le risque de prendre à bord un seul homme est beaucoup plus mince et ne restreint pas les manœuvres de plongée, alors qu’il en est tout autrement en cas de sauvetage ; en second lieu, qu’il s’agissait là d’un objectif militaire imposé par la Direction des opérations navales ; enfin, en troisième lieu, que ce paragraphe nous a paru à tous être de piètre importance, et qu’il est resté tel. Et cet ordre, si vous le prenez ainsi, est en contradiction avec votre opinion, selon laquelle je voulais supprimer des hommes, car je voulais faire des prisonniers. Or, si je commence par tuer un homme, je ne peux plus en faire un prisonnier.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je vous dis que la deuxième partie de cet ordre signifiait qu’il fallait s’emparer des capitaines et des officiers mécaniciens pour en obtenir des renseignements. Passons au troisième paragraphe :

« Ne sauver les naufragés que si leurs déclarations peuvent nous être d’importance ». C’est-à-dire d’importance pour vous, pour obtenir d’eux la position des navires alliés, ou les mesures prises par les Alliés contre les sous-marins. Cela contredit bien les paragraphes 2 et 3, n’est-ce pas ? Vous ne deviez faire des prisonniers que s’ils étaient susceptibles de vous apprendre quelque chose d’important ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Je suis d’avis que c’est la chose la plus naturelle du monde que d’essayer d’avoir le plus possible de renseignements. Et comme je ne peux pas capturer l’équipage en entier, il faut bien me limiter, sur un sous-marin, aux personnages les plus importants qui sont ainsi mis dans l’impossibilité de participer à une nouvelle action ; peu importe si les autres en font partie. Il va donc de soi que, vu l’espace restreint dont je dispose dans mon sous-marin, je n’emmène pas les gens de peu d’importance.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je ne voudrais pas perdre trop de temps sur ce sujet, mais j’aimerais entendre votre réponse sur ce point : ai-je bien compris votre explication des mots « de nouveau » dans le journal de guerre ? Vous auriez, par là, attiré l’attention de certains commandants de sous-marins sur vos télégrammes émis au cours de l’incident du Laconia ? Est-ce le sens de votre explication ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Non. Ils ne s’adressèrent pas aux commandants de sous-marins. Les mots « de nouveau » se réfèrent, comme le dit mon état-major et comme je le crois, aux quatre messages qui me furent, les jours précédents, rapportés dans ce sens, et qui ont été mentionnés hier au Tribunal.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je vous ai posé la question il y a quelques minutes, et vous avez répondu que les mots « de nouveau » concernaient les messages envoyés par vous lors de l’incident du Laconia. Je pense que vous êtes d’accord, n’est-ce pas ? Ne craignez pas d’admettre ce que j’ai dit. Quand était-ce ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Il s’agissait de quatre radios, comme on me l’a déclaré — et je l’admets — et l’intéressé, qui a résumé ainsi toute l’entreprise, s’est imaginé le sens de l’expression « de nouveau ». C’était un premier-maître timonier et je ne peux savoir aujourd’hui ce qu’il a voulu dire.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous dites maintenant que vous n’avez jamais entendu parler de la conversation entre Hitler et Oshima, que je vous ai mentionnée il y a quelques instants ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Non.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

On est donc autorisé, pour cette raison, à supposer que le lieutenant Heisig, qui a déposé ici, n’a pas, lui non plus, entendu parler de cette conversation entre Hitler et Oshima ? Ne croyez-vous pas qu’il n’aurait pu en entendre parler ?

ACCUSÉ DÖNITZ

J’admets qu’il était impossible qu’il en sût quelque chose.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Avez-vous remarqué que Heisig a dit, pendant sa déposition, qu’il avait entendu lors d’une conférence les mêmes arguments que ceux développés par Hitler pendant sa conversation avec Oshima ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Je ferai remarquer, tout d’abord, que Heisig, ici, à la barre des témoins, a dit autre chose qu’au moment de son interrogatoire. Ici, lors du contre-interrogatoire, il a reconnu que je n’avais jamais parlé d’anéantir les naufragés ; en outre, ce qu’il a dit est si vague que je n’ajoute aucune foi à ses dires ; de plus, il a exprimé très clairement que je n’ai pas parlé de cela à la conférence, mais dans une discussion, ce qui d’ailleurs n’a aucune importance ; et enfin, il est possible que le thème ait été abordé des nouvelles constructions américaines et de leur armement avec de nouveaux équipages. Tout cela est parfaitement plausible.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Voulez-vous prétendre maintenant que vous n’avez jamais eu d’entretien sur le programme des constructions navales américaines et sur les difficultés inhérentes au recrutement des équipages ? Êtes-vous d’accord sur ce point avec Heisig ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Mais la presse allemande en parlait tous les jours ! Tout le monde l’a lu et a su à quoi s’en tenir sur ce programme : des photographies ont été publiées...

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Mais l’argument, ai-je dit, était que le programme de construction aurait été sans utilité si vous aviez pu détruire suffisamment d’équipages de vaisseaux marchands, ou effrayer les autres. C’est là le point primordial dans l’entretien avec Hitler, et c’est ce que Heisig a déclaré que vous aviez exprimé. Avez-vous dit cela ?

ACCUSÉ DÖNITZ

J’ai toujours été d’avis que des pertes en personnel rendraient le remplacement plus difficile, comme il est mentionné dans mon journal de guerre, avec d’autres choses du même genre. Et c’est dans des termes analogues que je me serai vraisemblablement exprimé vis-à-vis de ces enseignes.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Passez à la page 37 du livre de documents du Ministère Public, page 76 de la traduction allemande, page 37 du texte anglais. C’est l’ordre du 7 octobre 1943, document D-663 (GB-200). Je vous renvoie à la dernière phrase :

« Leur envoi par le fond, eu égard à la destruction voulue des équipages de vapeurs, est de grande importance. »

ACCUSÉ DÖNITZ

Je l’ai lue.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

« Leur envoi par le fond, eu égard à la destruction voulue des équipages de vapeurs, est de grande importance et, naturellement les équipages font l’objet d’une demande urgente et constante. »

ACCUSÉ DÖNITZ

Oui, cela va de soi, mais en combat. Il est, certes, évident, que ces bateaux de sauvetage, qui étaient lourdement armés et pourvus d’avions, étaient, dans un convoi, aussi exposés que les autres à être coulés et, s’ils étaient montés par des équipages de vapeurs — que nous avions le droit d’anéantir — il était, bien entendu, désirable que ces bateaux de secours fussent coulés. D’ailleurs, ils furent utilisés auprès des vapeurs, comme pièges à sous-marins.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

La question de savoir s’il est juste ou non de couler des bateaux de secours ou de détruire des équipages... Je vais vous poser maintenant une ou deux questions sur Möhle. Il a commandé la flottille de sous-marins de 1942 jusqu’à la fin de la guerre et, ainsi qu’il l’a déclaré ici, a reçu diverses décorations pour sa bravoure. Voulez-vous prétendre, devant le Tribunal, que le capitaine Möhle a, pendant trois années, instruit ses commandants de sous-marins sur une base fausse, sans que quelqu’un de votre état-major, ou vous-même, s’en avisât ? Vous avez pourtant vu chaque commandant de sous-marin à son retour de croisière ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Je regrette certes que le capitaine Möhle, le seul qui, ainsi qu’il l’a déclaré ici, ait eu des doutes quant à l’ordre, ne l’ait pas dit immédiatement. Je n’ai même pas pu supposer qu’il en avait. Il a eu plus d’une occasion de le dire, et personne de mon état-major, ni moi, n’avons su qu’il avait des doutes.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

J’ai ici une lettre de la veuve d’un de vos commandants de sous-marins. Je ne peux faire venir cet homme, mais voici une lettre de sa femme. Veuillez me dire ce que vous pensez du passage suivant ; elle écrit au deuxième alinéa :

« Le capitaine Möhle dit qu’il n’a pas rencontré un seul commandant de sous-marin qui se soit opposé à l’ordre de tirer sur des marins naufragés sans défense. »

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Je conteste le bien-fondé de cette lettre. Je crois que c’est là une lettre que l’on ne peut utiliser comme preuve. Elle n’a pas été rédigée sous serment et c’est une de ces lettres typiques que M. Justice Jackson a déjà maintes fois caractérisées.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je veux simplement faire une remarque : le mari n’est jamais revenu. Sa veuve peut donner des renseignements sur la façon dont il interprétait ses ordres avant de prendre la mer. J’aurais pu déposer ce document qui a force probante conformément à l’article 19 du Statut. Mais si le Tribunal a le moindre doute à ce sujet, je ne produirai pas la lettre.

ACCUSÉ DÖNITZ

Elle fourmille d’inexactitudes, cette lettre !

Il y est dit que Prien est mort dans un camp de concentration, ce qui est inexact.

LE PRÉSIDENT

Attendez une minute.

ACCUSÉ DÖNITZ

Ce n’est pas vrai.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Monsieur le Président, je viens seulement de parcourir cette lettre en entier.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal est en train de délibérer sur ce point.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Puis-je d’abord présenter un argument ?

LE PRÉSIDENT

Nous avons déjà entendu votre argumentation et nous sommes en train d’examiner la question.

Sir David, le Tribunal estime qu’il n’est pas souhaitable d’utiliser ce document.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Comme il plaît à Votre Honneur. (A l’accusé.) Je voudrais parier d’un chapitre de votre livre de documents que le Dr Kranzbühler vous a lu hier. C’est au volume II, page 92, la pièce 42. Avant de vous interroger à ce sujet, j’aimerais que vous m’aidiez pour l’affaire suivante : au cours de votre interrogatoire, le 22 octobre, vous avez dit qu’environ deux mois après l’ordre du 17 septembre, vous aviez émis des ordres interdisant avant tout aux sous-marins d’émerger. Est-ce exact ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Autant que ce peut être possible à un sous-marin. Nous avons donné les ordres les plus divers, nuit et jour, lorsque le danger était le plus grand, au gré des conditions atmosphériques et quand les bateaux devaient émerger en cours de route, pour le chargement.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Ils ne devaient pas remonter en surface après une attaque, avant ou même après. C’est bien le sens de votre ordre ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Pour les attaques il va de soi que les sous-marins, la nuit par exemple, devaient naviguer en surface, mais il importait d’éviter tout risque en cours de route.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Deux mois plus tard leur vint l’ordre de faire surface le moins possible, et vous me dites que c’était votre ordre ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Ils devaient éviter autant que possible de toute façon, le danger aérien.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Quels ordres leur avez-vous donnés pour la navigation en surface ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Je leur ai donné toutes sortes d’ordres suivant les cas, comme je l’ai déjà dit, selon les conditions atmosphériques, soit pour la nuit, soit pour le jour, d’après la zone traversée, parce que de toutes ces données dépendait la gravité du danger aérien. On modifiait les directives lorsque de mauvaises expériences avaient été faites ; lorsqu’il fut avéré que la nuit était infiniment plus dangereuse, que le jour, nous leur avons dit :

« Restez en surface ». Car nous avions de nouveau l’impression qu’il valait décidément mieux être en surface le jour, parce qu’au moins, grâce à l’orientation, on pouvait apercevoir à temps l’avion qui approchait. Telles étaient les raisons de notre changement de tactique.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Mais c’est pourtant un fait que, peu de temps après cet ordre, les Alliés avaient acquis une telle suprématie aérienne que — ce sont vos propres paroles — deux mois plus tard, il était devenu impossible aux sous-marins de remonter à la surface. En d’autres termes, si je comprends bien, cela signifie que la remontée en surface devint de plus en plus dangereuse, à cause des attaques aériennes alliées. Est-ce exact ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Oui, dans certaines zones, ils n’avaient plus la possibilité de faire surface sans être immédiatement attaqués. C’est là le point essentiel. A ce moment-là, les sous-marins étaient en état d’alerte, et c’est là toute la différence, car les opérations de sauvetage interrompaient cet état d’alerte. Et c’est pendant cette période tendue d’alerte que nous éprouvions les pertes et les difficultés les plus grosses.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je vous renvoie maintenant à la page 93. C’est une page du volume 2 de votre livre de documents, chiffre 1 :

« Le pourcentage de bateaux marchands coulés en convois a été en 1941 de 40 %, en 1942 à peine de 30 %, au cours du dernier trimestre de 1942 de 57 %, en janvier 1943 d’environ 65 %, en février de 70 % et au mois de mars de 80 %. » Votre période la plus mauvaise a été les neufs premiers mois de 1942 ? Est-ce vrai ? Cela ressort de vos propres chiffres.

ACCUSÉ DÖNITZ

Oui, mais qu’entendez-vous par « la plus mauvaise période » ? Je ne comprends pas.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Ce point figure à la page 93, chiffre 1.

ACCUSÉ DÖNITZ

Oui, mais qu’entendez-vous par « plus mauvaise période » ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Le pourcentage de navires marchands coulés dans les convois en 1941 a été de 40 %.

ACCUSÉ DÖNITZ

Vous parlez de navires de commerce ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui, je lis votre propre Journal de Guerre, ou plus exactement dans le Journal de Guerre de l’Amirauté : « Pendant toute l’année 1942, à peine 30 % »

ACCUSÉ DÖNITZ

Des pertes subies par les convois ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui. En d’autres termes : la plus mauvaise période que vous avez connue a été les neuf premiers mois de 1942.

ACCUSE DÖNITZ

Non. En 1942, ainsi que je l’ai déjà dit dans ma description de la situation générale, la majeure partie de nos sous-marins se tenaient devant les ports, New-York, Trinidad, etc. Ils ne sont donc pas mentionnés et, dans cette récapitulation, nous n’avons compté que les envois par le fond opérés par les groupes qui s’attaquaient aux convois dans l’Atlantique nord.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Ces chiffres ne signifient-ils pas que votre période la plus mauvaise a été les neufs premiers mois de 1942 ? Ce devait être, en chiffres ronds, 30% ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Non, ma période la plus fertile en succès a été l’année 1942.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Comment pouvez-vous en faire la période la plus fertile en succès puisque votre pourcentage de navires marchands coulés en convois est seulement de 30 % en 1942, alors qu’en janvier, février et mars 1943, il s’élevait à 65 %, 70 % et 80%.

ACCUSÉ DÖNITZ

C’est exact. Des bateaux coulés en 1942, il n’y en a eu que 30 % coulés dans l’Atlantique. Mais le chiffre total a été cependant infiniment plus élevé que, par exemple, en 1943, où 70 % à 80 % de bateaux ont été coulés, et c’est pour cette raison qu’en 1943 nous ne pouvions plus tenir devant un port comme New-York. Cela ne donne donc que le pourcentage des navires coulés dans l’Atlantique et appartenant uniquement à des convois.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Ce que je retiens contre vous, c’est qu’en 1942, alors que votre pourcentage provenant des convois était peu élevé, alors que vous subissiez la pression mentionnée précédemment, vous ayez encore eu besoin d’émettre un ordre, non équivoque, qui a eu pour effet de faire anéantir les équipages par vos commandants de sous-marins. En 1943, vos sous-marins ne naviguaient plus en surface, votre pourcentage de bateaux coulés en convois s’est élevé, et il n’y avait aucune raison d’accentuer vos ordres encore plus explicitement. C’est là ce que je vous reproche, accusé.

ACCUSÉ DÖNITZ

Je considère que c’est absolument faux.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je voudrais maintenant...

ACCUSÉ DÖNITZ

A partir de l’été de 1942, il nous est arrivé de faire l’expérience de l’accroissement soudain du danger aérien. Ce danger se manifesta dans toutes les zones et même là où les sous-marins n’avaient pas de convois à poursuivre ou ne se tenaient pas à proximité des ports.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Voulez-vous m’aider maintenant à résoudre une autre question ? Le Dr Kranzbühler vous disait hier que le lieutenant de vaisseau Eck, s’il était revenu, se serait à peine attendu à des reproches de votre part. Vous ne lui en auriez pas voulu d’avoir fait tirer sur l’équipage du Peleus. Vous avez dit que vous saviez qu’il avait votre ordre dans son tiroir lorsqu’il a abattu l’équipage ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Oui, mais je sais aussi que cet ordre n’a pas eu la moindre influence sur sa décision ; au contraire, comme Eck l’a dit expressément, sa décision a été de détruire les épaves, c’est-à-dire un tout autre but, car il craignait que son bâtiment, comme cela est arrivé à plusieurs autres dans ce même secteur, ne fût endommagé par ces épaves. Il a insisté sur le fait que l’ordre concernant le Laconia, qu’il avait par hasard à son bord, n’avait nullement influé sur sa décision.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Mais vous savez bien qu’il existe deux autres cas dont est saisi le Tribunal, ceux de la Noreen Mary et de l’Antonico, cités aux pages 40 et 52 du livre de documents du Ministère Public ; des témoins ont déclaré que le sous-marin les a attaqués lorsqu’ils étaient, les uns dans les embarcations de sauvetage, les autres sur des épaves. Veuillez vous reporter au cas du Noreen Mary, à la page 47 du livre de documents. La déposition du survivant est aux pages 49 et 50. Elle traite de ce point et, au quatrième paragraphe, page 35 du livre allemand et 50 du livre en anglais, elle mentionne ceci :

« J’ai nagé ça et là jusqu’à ce que j’aie trouvé la proue brisée de notre embarcation de sauvetage qui avait chaviré ; j’ai pu m’y hisser. Le sous-marin n’a pas plongé, il est venu directement sur moi, au contraire, et arrivé à environ 60 ou 70 mètres de distance,

il m’a tiré une brève rafale de mitrailleuse. Comme ses intentions étaient évidentes, je me suis laissé glisser à l’eau et y suis resté caché jusqu’à ce que le sous-marin ait cessé de tirer et ait plongé. Je me suis hissé alors sur la quille du bateau. »

La déposition du Brésilien est à la page 52. L’avez-vous ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Oui, je l’ai.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

A la quinzième ligne en partant du bas, il dit : « que l’ennemi a tiré sans pitié à la mitrailleuse sur les marins sans défense qui avaient pris place dans le bateau de sauvetage n° 2 ». Si l’on croit que M. Mac Gallister et M. Oliveira da Silva ont dit la vérité — et on doit l’accepter comme telle — prétendez-vous que ces officiers de sous-marins aient agi de leur propre initiative ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Il est possible que ces gens se soient, objectivement, imaginé cela. Mais je ferai remarquer que dans un combat de nuit — pour commencer par l’Antonico — qui dure vingt minutes, il doit être reconnu que des coups, même dirigés sur un bâtiment, peuvent très facilement atteindre un canot de sauvetage. En tout cas, lorsque quelqu’un fait le récit d’un combat nocturne de vingt minutes, il ne peut s’agir que d’un rapport subjectif, et tous ceux qui savent combien les rapports diffèrent, savent également combien un marin est sujet à l’erreur. Si le sous-marin avait voulu anéantir les gens lors de ce combat de nuit, il ne se serait pas éloigné vingt minutes après, car l’intéressé a dit que, dans l’obscurité, c’est à peine s’il pouvait voir le sous-marin. Tout cela est très vague comme données.

Pour le Noreen Mary, c’est exactement la même chose. Il y a des détails dans ce rapport qui ne sont certainement pas exacts ; par exemple, que le sous-marin arborait au kiosque la croix gammée. Pas un seul sous-marin n’a porté d’insigne. Quiconque est dans un bateau de sauvetage ou sur une épave peut se croire visé si l’on tire des coups à proximité. C’est dans cet ordre d’idées que nous avons mentionné toute une série de cas anglo-américains, non pour formuler un reproche, mais pour signaler combien il faut se montrer sceptique vis-à-vis de récits personnels.

Et ce sont là les seuls cas produits ici, après une guerre de cinq ans et demi, au cours de milliers d’attaques.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui. Naturellement, vous n’entendez mentionner ici, pour deux années et demie, que les commandants de sous-marins n’ont tiré sur des naufragés que dans peu de cas, n’est-ce pas ? Je vais maintenant vous interroger sur autre chose.

ACCUSÉ DÖNITZ

Les commandants de sous-marins, jusqu’au cas Eck, n’ont jamais tiré sur des naufragés ; en aucun cas. Ce n’est pas vrai.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

C’est vous qui le dites !

ACCUSÉ DÖNITZ

Ce n’est pas prouvé. En aucun cas. Au contraire, ils les ont sauvés, avec un grand esprit de dévouement. Il n’a jamais été donné la moindre instruction, et jamais de la part de l’arme sous-marine elle-même, relative à un procédé quelconque envers les naufragés, jusqu’au cas Eck, et encore s’agissait-il là de raisons bien déterminées, qui ont été données. C’est un fait.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Veuillez vous expliquer sur cette question : saviez-vous que le livre de bord de l’Athenia a été frauduleusement complété, après qu’il fût rentré au port ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Non, pas frauduleusement complété. Il arriva l’ordre net, pour des raisons d’ordre politique, de tenir secret le cas de l’Athenia. En conséquence, il a fallu modifier le livre de bord.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je vois que vous n’aimez pas le mot « falsifier ». J’utiliserai donc le mot « modifier ». Une page en a été détachée et remplacée par une autre. Le saviez-vous ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Je ne peux pas le dire aujourd’hui ; c’est possible. Le capitaine Lemp reçut probablement l’ordre de moi ou de mon état-major, de tenir la chose secrète. C’est alors que lui-même ou bien la flottille aura pris le journal de guerre, qui était communiqué à dix services différents, et l’aura modifié. Que devait-il faire d’autre ? Il ne pouvait agir autrement.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je voudrais seulement savoir si le livre de bord fut modifié sur vos ordres et à votre connaissance, en substituant l’inexactitude à la vérité, dans l’état dans lequel il se trouve aujourd’hui. La questions est simple, pouvez-vous y répondre ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Oui. Ou cela a été fait sur mon ordre, ou bien, si cela n’avait pas été le cas, je l’aurais ordonné parce que l’instruction politique ordonnait : « Il faut que cela soit tenu secret ».

il ne resta donc au soldat rien d’autre à faire que de modifier le livre de bord. Mais jamais les commandants de sous-marins n’ont reçu l’ordre d’y insérer de fausses inscriptions, sauf dans le cas spécial de l’Athenia, où il fut ordonné après coup de le tenir secret, et cela n’a pas été spécifié dans le journal de guerre.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Bien. Je n’ai plus qu’un point à élucider avec vous et nous en aurons vite terminé. Vous étiez un chaud partisan de l’instruction idéologique de votre personnel, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Oui, et j’en ai exposé les raisons.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je veux seulement l’exposer clairement, et vous pourrez ensuite faire valoir vos raisons. Vous considériez comme stupide qu’un militaire ne dût avoir aucune opinion politique, n’est-ce pas ? Au cas où vous voudriez. ..

ACCUSÉ DÖNITZ

Bien entendu. Le soldat n’avait rien à voir avec la politique ; mais, d’autre part, il lui fallait naturellement, dans la guerre, se tenir derrière son Gouvernement.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Et vous désiriez que, par vos commandants, la Marine fût nourrie d’idées nationales-socialistes, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Je désirais voir les commandants de la troupe la persuader que l’unité du peuple allemand était une source de force pour la conduite de notre guerre et qu’en conséquence, puisque nous étions les bénéficaires de cette unité, nous devions faire en sorte que cette unité subsistât, étant donné que dans la première guerre mondiale nous avions fait les pires expériences sous ce rapport. Chaque scission dans le peuple avait eu des conséquences inévitables sur la conduite de la guerre.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Voyez à la page 7 du livre de documents anglais. Je crois que cela correspond exactement à ma question. Page 7. Le commencement de la dernière phrase :

« Il faut que le corps des officiers tout entier soit mis, de prime abord, en état de se sentir responsable et solidaire de l’État national-socialiste. L’officier est le représentant de l’État. Et le verbiage selon lequel un officier n’a rien à voir avec la politique est une pure sottise. » (Document n° D-640.) C’est bien votre avis, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ DÖNITZ

C’est bien ainsi que je me suis exprimé. Mais il faut lire à partir du commencement, là où il est dit que notre discipline et notre ardeur à la lutte sont infiniment plus grandes qu’en 1918 parce que nous avons derrière nous l’unanimité de notre peuple. Et s’il n’en avait pas été ainsi, nos troupes, depuis longtemps, eussent été anéanties. Telle est la raison pour laquelle je me suis ainsi exprimé.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Veuillez me dire à combien d’hommes vous cherchiez à inculquer ces idées, ou plutôt quels étaient les effectifs que vous aviez dans la Marine au 15 février 1944 ? Je désire savoir quelle masse de gens vous avez tenté de convaincre. Un quart de million d’hommes ?

ACCUSÉ DÖNITZ

De 600.000 à 700.000.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je vous renvoie maintenant à la page suivante : page 8 dans le livre de documents britannique, où est reproduit votre discours commémoratif des Héros, le 12 mars 1944. Vous dites ceci :

« Qu’en serait-il devenu de notre patrie si le Führer ne nous avait tous unis sous la bannière du national-socialisme ? Divisés en partis, imprégnés du poison dissolvant du judaïsme auquel nous étions vulnérables, nous aurions depuis longtemps succombé sous le fardeau de cette guerre et aurions été livrés à un anéantissement impitoyable de la part de nos adversaires. » (Document PS-2878.)

Que vouliez-vous dire alors par « le poison dissolvant du judaïsme » ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Je voulais dire que nous vivions dans une très grande union et que cette union était une force, que toutes les forces, tous les facteurs devaient...

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Non, ce n’est pas du tout ce que je vous ai demandé. Je vous demande ce que vous vouliez dire par « ce poison dissolvant du judaïsme » ? C’est votre expression. Dites-nous ce que vous vouliez dire par là.

ACCUSÉ DÖNITZ

J’étais en droit de penser que si cette influence sévissait sur la population des villes, il lui serait très difficile de tenir, en raison des bombardements aériens que nous subissions. C’est là ce que je voulais dire.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Eh bien, pouvez-vous me dire encore une fois ce que signifie « poison dissolvant du judaïsme » ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Cela signifie que l’endurance de notre peuple, qui me tenait particulièrement à cœur en tant que soldat, au cours d’une lutte à mort de la nation, aurait pu être influencée et dissoute.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

C’est ce que je voulais savoir. Vous étiez le Commandant en chef et vous vouliez inculquer à 600.000 ou 700.000 hommes une instruction idéologique. Pourquoi vouliez-vous leur faire croire que les Juifs étaient un poison dissolvant pour la politique du Parti ? Pourquoi en était-il ainsi ? Qu’aviez-vous contre les Juifs ? Qu’est-ce qui vous autorisait à croire qu’ils exerçaient une mauvaise influence en Allemagne ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Ces expressions ont été employées dans mon discours de commémoration des Héros, et il prouve que j’étais d’avis que la résistance de notre peuple tel qu’il était composé, était bien mieux garantie que s’il avait compris des fractions juives.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

De telles façons de parler du " poison dissolvant du judaïsme » ont précisément créé la mentalité qui, au cours des dernières années, a provoqué la mort de 5.000.000 ou 6.000.000 de Juifs. Voudriez-vous prétendre que vous ignoriez tout des opérations projetées en vue de l’anéantissement et de l’extermination des Juifs ?

ACCUSÉ DÔNITZ

Oui, bien entendu, je le dis. Je n’en ai jamais rien su, pas la moindre chose. Et si une telle expression m’a échappé, la preuve n’en est pas pour cela établie que j’avais connaissance de tentatives quelconques contre le judaïsme. C’était en 1943.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Eh bien, ce que je vous reproche, c’est de vous être associé à cette lutte contre cette malheureuse fraction de votre peuple et d’avoir voulu y faire participer les quelque 600.000 ou 700.000 membres de la Marine. Regardez donc à la page 76 du livre de documents. Cela vous concerne.

ACCUSÉ DÔNITZ

Aucun de mes marins n’a jamais eu la pensée d’exercer des mesures de violence quelconques envers des Juifs ; aucun, et personne ne peut tirer une telle conclusion de mes paroles.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Alors, voyez donc, je vous prie, à la page 76. Vous traitez là de l’avancement de quartiers-maîtres et de marins qui se sont révélés au cours de la guerre. Vous dites d’abord :

« Je désire que dorénavant les commandants d’unités responsables pour la troupe, de même que leurs supérieurs directs, chefs de flottilles, commandants et amiraux, s’appliquent à favoriser l’avancement de ceux d’entre les quartiers-maîtres et hommes d’équipages qui ont fait preuve, dans des circonstances particulières, de cran, d’élan, de fermeté, bref, qui sont, grâce à leur valeur personnelle, aptes à prendre d’eux-mêmes de justes décisions, à les mener à bien et à en accepter avec joie la responsabilité. Un exemple : dans un camp de prisonniers du croiseur auxiliaire Cormoran en Australie, un Oberfeldwebel, en sa qualité de doyen de camp, a fait supprimer adroitement les communistes notoirement reconnus comme tels, sans que les gardiens s’en aperçoivent. Ce sous-officier peut être assuré que je lui en témoignerai toute satisfaction pour cette décision et la façon dont il l’a mise à exécution. A son retour, je le ferai monter en grade, car il a montré qu’il était digne d’être un chef. »

Était-ce là votre façon, dans cette Marine imbue de la doctrine nationale-socialiste, de concevoir le rôle d’un chef qui fût en mesure d’assassiner des adversaires politiques, sans que le garde s’en aperçût ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Non, la chose est toute différente. J’avais été informé qu’il y avait là-bas un espion qui, lorsque de nouveaux équipages parvenaient au camp, se mêlait aux arrivants et, toujours à l’écoute, renseignait l’adversaire. La conséquence en a été la perte de sous-marins. C’est alors que le plus ancien sous-officier du camp, un Feldwebel, s’est décidé à supprimer cet individu comme traître. Voilà ce qui m’a été rapporté et ce que je peux faire confirmer par un témoin. A mon avis, et cela toute nation le reconnaîtra, ainsi que quiconque s’est trouvé dans une situation particulièrement difficile, cet homme a agi comme il devait le faire...

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Alors pourquoi, accusé, ne l’avez-vous pas dit ? Si vous aviez dit qu’il avait exécuté un espion qui s’était rendu dangereux en transmettant des renseignements, je ne vous aurais pas reproché ce cas. Mais vous avez dit que c’étaient des communistes qui s’étaient fait remarquer, et qu’ils avaient été tués à l’insu des gardiens. Pourquoi, dans votre ordre, avez-vous parlé de « communistes » si vous vouliez dire « espion » ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Je crois que cet ordre émanait de la préfecture maritime de la Baltique. Il m’a été annoncé qu’il s’agissait d’un espion, ce dont un témoin donnera confirmation. S’il y a de bonnes raisons de ne pas considérer la chose comme une cas de légitime défense...

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Voulez-vous rejeter la responsabilité de cet ordre sur un de vos subalternes ? Vous dites que c’est un officier subalterne qui avait donné cet ordre ? Ne l’avez-vous pas voulu dire ? Est-ce cela que vous avez dit ?

ACCUSÉ DÖNITZ

J’ai simplement déclaré comment le fait s’était produit. Je n’ai jamais refusé de prendre mes responsabilités.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

C’est bien. Je n’ai plus d’autres questions à poser.

LE PRÉSIDENT

L’audience est suspendue.

(L’audience est suspendue.)
LE PRÉSIDENT

Un autre contre-interrogatoire est-il prévu ?

COLONEL POKROVSKY

Monsieur le Président, le représentant du Ministère Public soviétique a quelques questions à poser à l’accusé Dönitz. (A l’accusé.) Dites-moi, accusé Dönitz, c’est vous qui avez rédigé l’appel au peuple allemand et l’ordre à la Wehrmacht, après la mort de Hitler, le 30 avril 1945, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Parfaitement.

COLONEL POKROVSKY

Par ces documents, vous avez fait savoir que vous étiez le successeur de Hitler, et que c’était lui-même qui vous avait nommé. Est-ce exact ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Parfaitement.

COLONEL POKROVSKY

Vous êtes-vous jamais posé la question de savoir pour quelle raison le choix de Hitler s’était justement porté sur vous ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Oui, je me suis posé la question quand j’ai reçu ce télégramme, et j’en ai conclu que, puisque le maréchal Göring s’était dérobé, je me trouvais être le plus ancien parmi les officiers d’une arme indépendante, et que c’était la raison de ce choix.

COLONEL POKROVSKY

Dans cet appel à l’Armée et au peuple, vous avez exigé la poursuite des opérations militaires et vous avez qualifié de poltrons et de traîtres tous ceux qui voulaient cesser la résistance, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Parfaitement.

COLONEL POKROVSKY

Quelques jours plus tard, vous avez donné à Keitel l’ordre de capituler sans conditions, n’est-ce pas exact ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Parfaitement. Dans mon premier ordre du jour, j’ai donné clairement à entendre que je désirais continuer la lutte tant que je n’aurais pas assuré le sort de la troupe et des réfugiés en les transportant de l’Est à l’Ouest, et que je ne combattrais pas un instant de plus. Telle était mon intention, d’ailleurs exprimée très nettement dans mon ordre.

COLONEL POKROVSKY

Soit dit en passant, il n’y avait pas un mot de cela dans cet ordre. Mais cela n’a pas beaucoup d’importance. Êtes-vous d’accord que le 30 avril — écoutez d’abord ma question, vous répondrez après — ne pensez-vous pas que le 30 avril, c’est-à-dire le jour même où vous avez publié les deux documents en question, il n’y avait plus aucune chance et que la continuation de la lutte, pour l’Allemagne hitlérienne, était absolument inutile ? Avez-vous compris ma question ? Êtes-vous d’accord ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Oui, j’ai compris la question. Je peux répondre à cela qu’il me fallait continuer à combattre dans l’Est afin de protéger les réfugiés qui affluaient à l’Ouest, c’est clair. J’ai dit que nous n’avions continué la lutte à l’Est que pour permettre à des centaines et à des milliers de familles allemandes de se réfugier à l’Ouest.

COLONEL POKROVSKY

Dönitz, vous n’avez pas répondu à ma question, qui vous a pourtant été posée clairement. Je vais la répéter afin que vous puissiez la comprendre : reconnaissez-vous que, le 30 avril, il était évident qu’une nouvelle résistance de l’Allemagne hitlérienne était absolument inutile et sans but ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Non, ce n’était pas évident. Du point de vue militaire, la guerre était absolument perdue, mais il importait de sauver le plus de monde possible et, pour cette raison, il était indispensable de maintenir la résistance à l’Est ; elle avait un but.

COLONEL POKROVSKY

Très bien, je vous ai compris. Contestez-vous cependant que votre ordre de continuer la lutte ait provoqué de nouvelles et sanglantes pertes en hommes ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Extrêmement peu, en comparaison des pertes précédentes de 1.000.000 ou 2.000.000.

COLONEL POKROVSKY

Attendez avant de faire des comparaisons. Répondez d’abord, vous donnerez vos explications ensuite. Cette méthode est ici la règle. Répondez oui ou non. Vous vous expliquerez après.

ACCUSÉ DÖNITZ

Il va de soi que, lors des combats à l’Est, pendant ces quelques jours, il y a eu des pertes, mais elles étaient indispensables pour sauver, par contre, des centaines de milliers de fugitifs.

COLONEL POKROVSKY

Vous n’avez toujours pas répondu à ma question. Je peux la répéter pour la troisième fois.

LE PRÉSIDENT

Colonel Pokrovsky, il a répondu. Il a dit :

« Oui, il y a eu des pertes ». C’est une réponse à votre question.

COLONEL POKROVSKY

Je vous remercie. (A l’accusé.) Je voudrais que vous répondiez bien clairement à cette question : vous considériez-vous tout d’abord comme un politicien ou comme un soldat, un soldat qui ne fait qu’exécuter les ordres de ses supérieurs directs, sans aucune considération du sens politique et du contenu de ces ordres ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Je ne comprends pas la question en entier. En qualité de chef de l’État, j’ai été, après le 1er mai, un homme politique.

COLONEL POKROVSKY

Et jusque là ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Purement et simplement un soldat.

COLONEL POKROVSKY

Le 8 mai 1946, à 16 h. 35, vous avez dit, dans cette salle : « Comme soldat, je ne tiens pas compte des considérations politiques du moment ». Le 10 mai, à 12 h. 35 vous avez dit, à propos de la guerre sous-marine : « Tout cela se rapporte à des buts politiques ; mais moi, en tant que soldat, je ne veux me préoccuper que des problèmes de guerre ». Est ce exact ?

ACCUSÉ DÖNITZ

C’est très exact. J’ai dit qu’avant le 1er mai 1945, j’étais purement et simplement un soldat. Dès que je fus devenu chef de l’État, j’ai abandonné le Commandement en chef de la Marine parce que j’étais devenu chef de l’État et, par cela même, une personne politique.

COLONEL POKROVSKY

Il y a un quart d’heure à peu près, Sir David Maxwell-Fyfe s’est référé à deux documents et, en particulier, au document GB-186 (D-640). Il vous a lu une phrase qui se trouve en absolue contradiction avec ce que vous venez de dire. Vous souvenez-vous de cette expression : « verbiage insensé » ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Oui, très exactement.

COLONEL POKROVSKY

Alors je vous demande comment on peut concilier ces deux assertions absolument contradictoires ; cette déclaration sur le « verbiage » selon lequel un officier n’avait pas à s’occuper de politique. Cette déclaration est du 15 février 1944, alors que vous n’étiez pas encore chef de l’État. Est-ce exact ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Quand, en temps de guerre, un soldat défend son pays et son Gouvernement, il n’en devient pas pour autant un politicien. Voilà ce que j’ai voulu dire dans cette phrase.

COLONEL POKROVSKY

Essayons de préciser s’il en était ainsi en réalité. A différentes reprises, et de façon bien nette et précise, vous avez prétendu ici, devant ce Tribunal, que bien des années avant la guerre et pendant la guerre, vous aviez fait, l’éducation de la Marine dans un esprit de pur idéalisme et de respect absolu des lois et coutumes de la guerre. Est-ce juste ?

ACCUSÉ DÖNITZ

C’est juste, oui.

COLONEL POKROVSKY

En particulier, hier le 9 mai, à 12 h. 45, vous avez dit : « J’ai instruit la flotte sous-marine dans un esprit de pur idéalisme et j’ai continué cette éducation pendant la guerre. C’était, pour moi, indispensable pour obtenir au combat un moral très élevé ». Cinq minutes plus tard, le même jour, en parlant de la Marine de guerre, vous avez dit : « Je n’aurais jamais permis que l’on donnât à ces hommes des ordres susceptibles de heurter ce moral, et il ne saurait être nullement question que j’eusse pu en donner moi-même ».

Reconnaissez-vous avoir dit cela ou quelque chose de semblable ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Oui, bien entendu je l’ai dit.

COLONEL POKROVSKY

Je voudrais que vous jetiez un regard sur un document présenté par votre avocat sous le numéro Dönitz-91. Sous ce numéro, votre avocat a soumis un extrait d’une déposition d’un certain Joachim Rudolphi. Afin de ne pas faire perdre de temps au Tribunal, je vous prie de répondre simplement par oui ou par non, et de me dire si la déposition de Rudolphi est exacte, selon laquelle vous avez protesté catégoriquement contre l’institution, dans la Wehrmacht, du tribunal hitlérien du Peuple. M’avez-vous compris ?

ACCUSÉ DÖNITZ

J’étais opposé à toute transmission de cas concernant la Marine à d’autres tribunaux et j’ai dit que, lorsqu’on assume la responsabilité d’une arme de la Wehrmacht, il faut également avoir une compétence judiciaire. Voilà ce que mentionne ce document.

COLONEL POKROVSKY

Vous connaissez donc les déclarations de Rudolphi ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Oui, je les connais.

COLONEL POKROVSKY

Vous vous rappelez qu’à la première page de l’extrait que vous avez présenté au Tribunal, il est dit : « Au début de l’été de 1943, se manifeste la première tentative comminatoire de saper le bon fonctionnement de la justice dans la Wehrmacht ». Cette question est-elle exactement mise en lumière par Rudolphi et est-il exact que vous ayez contrecarré la tentative d’installation de tribunaux spéciaux auprès des Forces armées de terre et de mer. Est-ce exact ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Si je me souviens bien, mon opposition s’est manifestée à l’été 1943. Mais il est possible que le bon fonctionnement de la justice de la Wehrmacht ait été déjà menacé dès le printemps. Je ne crois pas en avoir eu connaissance.

COLONEL POKROVSKY

Maintenez-vous, Dönitz, oui ou non, que lesdits tribunaux populaires devaient s’occuper de ce qui, selon Rudolphi lui-même, pouvait avoir, même de loin, un caractère politique ? C’est ce qu’il a formulé. Vous le trouverez à la première page du livre de documents. Document 91.

ACCUSÉ DÖNITZ

J’ai déjà dit que mon point de vue était de maintenir mes marins sous ma propre compétence judiciaire du temps de guerre. En dehors de la Marine, je ne pouvais juger les faits, parce que j’ignorais la procédure. Il m’importait que mes marins restassent avec moi et fussent condamnés par moi.

COLONEL POKROVSKY

Pour tous les crimes, y compris les crimes politiques n’est-ce pas ? Je vous ai bien compris ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Parfaitement, c’était mon intention. J’ai dit que j’étais d’avis qu’ils fussent jugés par les tribunaux de la Marine.

COLONEL POKROVSKY

Voulez-vous nier, Dönitz, avoir prêché et encouragé par tous les moyens le meurtre de gens sans défense, qui servaient comme soldats dans les rangs de l’Armée allemande, cela pour des raisons exclusivement politiques, et que, par dessus tout, vous considériez de pareils assassinats comme des preuves d’une grande bravoure ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Je ne vous comprends pas, je ne sais pas ce que vous voulez dire.

COLONEL POKROVSKY

Vous n’avez pas compris ma question ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Non, je n’en ai pas du tout compris le sens.

COLONEL POKROVSKY

Je la répète : voulez-vous contester le fait que les assassinats perpétrés par une partie des membres de la Wehrmacht sur une autre, aient été encouragés par vous pour des raisons purement politiques ? Comprenez-vous maintenant la question ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Comment en arrivez-vous à poser une telle question ?

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal n’est pas d’avis que votre question soit très claire.

COLONEL POKROVSKY

Votre Honneur. Je veux parler de l’ordre n° 19 adressé à la flotte de la mer Baltique, qui a été traité en partie par Sir David Maxwell-Fyfe.. Un point de cet ordre permet de faire apparaître en pleine lumière le véritable motif de cet ordre. Une idée y est exposée d’une façon absolument claire. Je voudrais, avec votre autorisation, donner lecture d’un paragraphe de ce document. « Un exemple : » — est-il dit dans cet ordre n° 19, dernier paragraphe — « dans un camp de prisonniers du croiseur auxiliaire Cormoran en Australie, un Oberfeldwebel... »

LE PRÉSIDENT

Quel paragraphe ?

COLONEL POKROVSKY

L’avant-dernier paragraphe du document D-650, page 4 du texte anglais, dernier paragraphe.

LE PRÉSIDENT

Colonel, ce passage a déjà été lu au cours du contre-interrogatoire.

COLONEL POKROVSKY

Non, ce passage-là n’a pas été lu. Et il présente une valeur essentielle pour ce cas.

LE PRÉSIDENT

Nous venons d’entendre traiter cette question, et c’est justement cet exemple dont Sir David Maxwell-Fyfe vient de donner lecture, il n’y a pas plus d’une demi-heure.

COLONEL POKROVSKY

Lorsque Sir David Maxwell-Fyfe a lu cet exemple, il a passé la phrase qui, précisément, m’intéresse et qui permettra de préciser considérablement l’attitude de Dönitz. C’est pourquoi je me suis permis de revenir à ce texte. Il n’y a là qu’une phrase.

LE PRÉSIDENT

De quelle phrase voulez-vous parler ?

COLONEL POKROVSKY

La première phrase du second paragraphe à partir de la fin, celle qui commence par le mot : « Un exemple : dans un camp de prisonniers... »

LE PRÉSIDENT

Vous faites erreur, il a lu le paragraphe en entier. Sir David Maxwell-Fyfe a lu le paragraphe tout entier.

COLONEL POKROVSKY

Avec votre permission, quand j’aurai lu ces quelques mots, vous verrez, Monsieur le Président, qu’il n’en a pas été donné lecture. Ils ont très importants.

LE PRÉSIDENT

Colonel Pokrovsky, j’ai ici une note dans mon carnet indiquant que tout le paragraphe a été lu, que l’accusé a été contre-interrogé sur la signification du mot « communistes » et qu’il a déclaré qu’il s’agissait d’un espion parmi les hommes de l’équipage, qui pouvait trahir des secrets concernant les sous-marins. Toute la question a été traitée à fond par Sir David Maxwell-Fyfe et le Tribunal ne désire plus rien entendre à ce sujet.

COLONEL POKROVSKY

Il m’est absolument indispensable d’en lire deux mots dont il n’a pas été donné lecture. Je vous demande la permission de lire ces deux mots.

LE PRÉSIDENT

Mais de quels deux mots voulez-vous parler, qui n’auraient pas été lus ?

COLONEL POKROVSKY

« Planvoll », c’est-à-dire, conformément à un plan et « unauffällig » (subrepticement). Il ne s’agit pas là d’un cas isolé, mais d’un plan concerté, d’un système bien déterminé.

LE PRÉSIDENT

Mais tout cela été lu. colonel Pokrovsky, vous ne l’avez sans doute pas entendu.

COLONEL POKROVSKY

Je n’ai pas dit que Sir David les avait omis par hasard ou non.

LE PRÉSIDENT

Cela été lu par Sir David Maxwell-Fyfe et présenté au témoin, à l’accusé.

COLONEL POKROVSKY

Il est possible que Sir David les ait omis par mégarde ; mais, pour nous, ils sont d’une grande importance. Dönitz a dit qu’il s’agissait de la mise à mort d’un espion. Mais, en réalité, il s’agit dans l’ordre, d’un plan d’anéantissement de communistes ou plutôt d’hommes qu’un Oberfeldwebel quelconque avait jugé être des communistes.

LE PRÉSIDENT

C’est exactement ce que Sir David Maxwell-Fyfe a représenté au témoin. Il a dit : « Comment pouvez-vous dire que cela se rapporte à des espions, ou à un seul espion, lorsqu’il s’agit de tous les communistes ». Voilà exactement la question qu’il lui a posée.

COLONEL POKROVSKY

Peut-être n’ai-je pas bien compris ce qu’a traduit notre interprète, mais cela n’a pas été mentionné dans notre traduction Avec votre permission, je vais passer à la question suivante. (A l’accusé.) Voulez-vous contester, Dönitz, avoir utilisé pour des raisons politiques ces meurtres systématiques dans cet ordre qui met en relief cet exemple unique de bravoure militaire au vu de laquelle avaient lieu les promotions d’officiers et de quartiers-maîtres ? Contestez-vous que cet ordre ait été interprêté d’une façon exacte, tel qu’il l’a été ici ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Non, c’est absolument faux. Cet ordre se rapporte à un événement qui s’est produit à l’intérieur d’un camp de prisonniers, et il fallait décrire dans quel grave conflit de responsabilité s’est trouvé le sous-officier doyen du camp qui avait, en toute responsabilité, agi opportunément en éliminant ce communiste, qui était en même temps un espion et un traître, et cela dans l’intérêt de la conduite de la guerre. Il eût été certes plus simple pour lui de laisser aller les choses au détriment de sous-marins qui eussent été coulés. Il savait que, de retour au pays, il aurait eu des comptes à rendre. C’est la raison pour laquelle il a agi ainsi.

COLONEL POKROVSKY

Peut-être vous déclarerez-vous d’accord sur le fait que les événements, tels que vous venez de les présenter, n’ont rien de commun avec la teneur de votre ordre ?

LE PRÉSIDENT

Colonel Pokrovsky, je vous ai déjà dit que le Tribunal ne désire plus de questions sur ce sujet. Or, vous persistez. Il me faut donc, à nouveau et nettement, attirer votre attention sur la décision du Tribunal de ne pas vouloir entendre d’autre question sur ce point.

COLONEL POKROVSKY

Me basant sur ce document, je vous prie de m’exposer comment il faut entendre vos explications sur vos prétendus objections de principe contre l’institution de tribunaux spéciaux dans la Marine, ces considérations politiques de principe, sur lesquelles le Dr Rudolphi a déposé ? Comment pouvez-vous concilier ces contradictions ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Je n’ai pas compris ce que vous avez dit.

COLONEL POKROVSKY

Vous dites qu’il ne s’agit pas là d’affaires politiques, alors que, dans l’ordre, nous trouvons une formule bien précise. Le Dr Rudolphi dit que vous avez protesté contre l’installation de tribunaux politiques dans l’Armée et dans la Marine. C’est manifestement une contradiction, et je voudrais savoir comment vous l’expliquez.

ACCUSÉ DÖNITZ

Je ne vois là aucune contradiction. Car le Dr Rudolphi a déclaré que je me suis élevé contre le fait de soumettre des cas à d’autres tribunaux que ceux de la Marine et dans le cas du Cormoran il s’agit de l’acte du doyen d’un camp de prisonniers, très éloigné, en pays étranger. Ce sous-officier en est venu à accomplir cet acte, après avoir sûrement lutté contre une telle décision, parce qu’il aurait dû certainement en répondre une fois rapatrié. Il a ainsi agi parce qu’il l’a jugé indispensable, pour des motifs d’ordre militaire, et pour mettre un terme aux pertes en sous-marins, du fait d’actes de trahison. Ce sont deux choses totalement différentes. Il s’agit ici d’un cas isolé dans le camp du Cormoran.

COLONEL POKROVSKY

Ce que vous dites là n’est qu’une répétition de ce que vous avez dit précédemment et de ce dont le Tribunal, qui vient de l’exprimer, ne veut plus entendre parler. Ce n’est pas une réponse à ma question.

ACCUSÉ DÖNITZ

Je ne puis répondre à votre question autre chose que la vérité, telle que je l’ai décrite.

COLONEL POKROVSKY

Nos conceptions de la vérité peuvent être très divergentes. Moi, par exemple, je comprends cette question tout à fait autrement. Ce fait...

ACCUSÉ DÖNITZ

Mais, permettez, je dépose ici sous serment et vous n’allez pas me reprocher de dire des mensonges ?

COLONEL POKROVSKY

Nous ne parlons pas de déposition mensongère, nous parlons de conceptions différentes de la vérité. Moi, par exemple, je trouve que, par cet ordre, vous vous êtes révélé comme un véritable...

ACCUSÉ DÖNITZ

Non, je ne suis pas de cet avis.

LE PRESIDENT

Colonel Pokrovsky, pourriez-vous, s’il vous plaît, poser des questions si vous avez quelque chose à lui demander ?

COLONEL POKROVSKY

Je voudrais lui poser une question, Votre Honneur, mais il faut que j’explique pourquoi. (A l’accusé.) Je considère votre ordre comme une preuve de votre fidélité, de votre fidélité fanatique au fascisme et, à cet égard, je vous demande si vous ne croyez pas que Hitler vous ait désigné comme successeur, précisément parce que vous vous étiez révélé un partisan si fanatique du fascisme, de l’idéologie fasciste ? Il savait bien que vous étiez un tel fanatique du fascisme, susceptible d’exciter la Wehrmacht à perpétrer toutes sortes de crimes, en intelligence avec les conspirateurs hitlériens, et qui se prévaudrait ensuite d’un pur idéalisme. Avez-vous compris ma question ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Oui. Et je ne puis que vous répondre que je l’ignore. J’ai déjà déclaré que j’étais de droit le successeur du maréchal Göring, mais que, par un malheureux malentendu, quelques jours avant sa nomination, il fit défaut ; j’étais alors l’officier le plus ancien d’une partie autonome de la Wehrmacht. Je crois que ce fut l’ultime raison. Que le Führer ait eu confiance en moi put également y avoir contribué.

COLONEL POKROVSKY

Le Ministère Public soviétique, Votre Honneur, n’a plus de questions à poser à cet accusé.

LE PRÉSIDENT

Docteur Kranzbühler, voulez-vous procéder à un nouvel interrogatoire ?

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Je voudrais encore poser quelques questions, Monsieur le Président. (A l’accusé.) Monsieur le Grand-Amiral, au cours du contre-interrogatoire, Sir David Maxwell-Fyfe vous a interrogé sur les camps de concentration. Vous vouliez alors exprimer des explications supplémentaires que vous n’avez pu donner. Quels rapports personnels avez-vous eus avec des internés, quels qu’ils fussent, de camps de concentration ? Aviez-vous, tout d’abord, des relations ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Je n’y avais de relations avec personne, sauf avec le pasteur Niemöller. Niemöller était un camarade de la Marine. Lorsque le dernier de mes fils fut tué, il m’exprima ses condoléances et, à cette occasion, je lui ai demandé comment il allait.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Quand était-ce ?

ACCUSÉ DÖNITZ

En été 1944. Il m’a répondu qu’il allait bien.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Lui aviez-vous écrit directement, ou non ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Non, j’ai reçu cette réponse par une tierce personne.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Est-ce là l’unique information que vous ayez eue d’un camp de concentration ?

ACCUSÉ DÖNITZ

La seule que j’aie eue.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Au cours du contre-interrogatoire, un procès-verbal du capitaine de vaisseau Assmann a été produit sur des pourparlers chez le Führer, en mai 1943. Vous vous rappelez le contenu de ce document. Vous auriez dit à cette occasion qu’étant donnée la situation présente de la guerre navale, il serait souhaitable que l’Allemagne occupât l’Espagne et Gibraltar. Avez-vous fait une proposition positive dans ce sens ? Le document ne permet pas de le discerner.

ACCUSÉ DÖNITZ

Bien entendu, au cours de mon rapport sur la situation et étant donné le danger que présente l’étroite bande de la Biscaye, j’ai dit qu’il serait plus favorable d’avoir un plus vaste espace pour permettre à nos sous-marins de s’élancer. Mais personne n’a alors envisagé même l’éventualité d’une entreprise contre l’Espagne, que ce soit avec son consentement ou par une attaque. Il sautait aux yeux que, sous ce rapport, nos forces étaient insuffisantes pour une telle entreprise. D’autre part, il est tout naturel, ne disposant que d’un étroit passage, que j’exprime mon désir d’en avoir un plus large. Il s’agissait, en un mot, de la guerre sous-marine et nullement d’une entreprise territoriale quelconque en Espagne. Il m’était impossible, en tant que marin, de pouvoir faire la proposition d’attaquer l’Espagne.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

En connexion avec le torpillage de l’Athenia, on a donné à entendre que votre déclaration était une échappatoire, à savoir que le commandant du sous-marin aurait confondu l’Athenia, avec un croiseur auxiliaire. Je tiens donc à vous présenter un extrait du livre de bord de ce commandant, au sujet de cet incident, et vous me confirmerez s’il s’agit bien du même commandant. Cet extrait se trouve dans le livre de documents du Ministère Public, GB-222, et la copie à la page 142 de mon livre de documents, volume III. C’est un extrait du journal de bord du sous-marin 17-30. L’extrait date du mois de septembre 1939 (page 142 du troisième volume du livre de documents). Je lis :

« Navire en vue avec tous feux éteints. Pris en chasse. Reconnu comme navire de commerce naviguant en zig-zag. Intimé ordre stopper avec projecteur Morse. Vapeur répond « pas compris », essaie d’échapper grâce aux rafales de pluie, envoie un SOS « Pourchassé par sous-marin ! » et indique sa position. Ordonné « stop » par TSF et projecteur Morse.

« Passé devant. Avec mitrailleuse C/30 tiré cinq coups devant la proue. Vapeur ne réagit pas. Dérive partiellement par 9° directement sur nous. Continue à émettre : « Toujours pourchassé ». En conséquence, ouvert le feu avec canon 8 cm. 8. Vapeur anglais Blairlogie, 4.425 tonnes. Après dix-huit coups, dont trois au but, vapeur stoppe. Équipage gagne les chaloupes. Dernier radio « Shelled, taking the boats ». (Canonnés, embarquons dans chaloupes.) Cessé le feu immédiatement après signal de détresse et arrêt. A portée des canots de sauvetage, donné ordre prendre direction sud. Vapeur coulé par torpille. Ravitaillé ensuite les deux équipages en eau-de-vie et cigarettes. Trente-deux hommes dans deux canots. Lancer de fusées rouges jusqu’au lever du jour. Vapeur américain American Skipper en vue, sommes partis. Équipage sauvé. »

Pouvez-vous, Monsieur le Grand-Amiral, confirmer que ce rapport émane bien du commandant du même sous-marin qui, neuf jours avant, avait torpillé l’Athenia ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Oui. C’est le même commandant qui au cours de la même croisière, a commis cette méprise quelque temps avant.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Au cours du contre-interrogatoire, il a été prétendu, de nouveau et avec force, que vous aviez donné aux commandants de sous-marins l’ordre de tout détruire. Je voudrais vous soumettre un document signé par de nombreux commandants de sous-marins. Vous connaissez cet écrit et vous connaissez les signatures ; je vous prierai donc de me dire ensuite si ces commandants de sous-marins ont été faits prisonniers avant septembre 1942, c’est-à-dire avant votre soit-disant « ordre d’anéantissement », ou après. J’extrais du livre de documents, volume II, page 99, le document Dönitz-53, que je remets au Tribunal. Il est adressé au commandant du camp de prisonniers 18, à Featherstone Park, en Angleterre. Il m’a été transmis par l’intermédiaire du ministère de la Guerre anglais et du Secrétariat général du Tribunal. Je lis la date du 18 janvier 1946 et le texte :

« Les soussignés, commandants de sous-marins engagés au front de mer, actuellement prisonniers dans ce camp, prennent la liberté, Monsieur le commandant, de vous faire la déclaration suivante et d’exprimer le désir que cette déclaration soit transmise au Tribunal International de Nuremberg.

« Nous avons été informés par la presse et la radio qu’on accuse le Grand-Amiral Dönitz d’avoir donné l’ordre de détruire les équipages rescapés des bateaux torpillés et de ne faire aucun prisonnier. Les soussignés déclarent, sous la foi du serment, qu’un tel ordre ne leur a pas été donné par le Grand-Amiral Dönitz, ni par écrit, ni verbalement. Un ordre nous a été donné, en vue de la sécurité de nos propres bâtiments et en raison de l’aggravation du danger due aux moyens de défense, de ne pas remonter à la surface après un torpillage. Cet ordre était motivé par le fait que, si le sous-marin remontait à la surface pour procéder à un sauvetage, comme pendant les premières années de la guerre, il fallait s’attendre, par expérience, à ce qu’il fût détruit. Il était impossible de se méprendre sur la signification de cet ordre. Il n’a jamais été regardé comme une incitation à la suppression des naufragés.

« Les soussignés déclarent que la Marine allemande a été instruite, par son commandement, à respecter les lois de la guerre navale, écrites ou non. Nous avons continuellement placé notre point d’honneur dans l’observation de ces lois, comme aussi dans la conduite sur mer d’un combat chevaleresque. »

Suivent les signatures de soixante-sept commandants de sous-marins allemands qui se trouvent en captivité en Grande-Bretagne. Je vous demande, Monsieur le Grand-Amiral — vous connaissez ces signatures — si ces commandants ont été faits prisonniers avant ou après septembre 1942 ?

ACCUSÉ DÖNITZ

La majeure partie d’entre-eux, après septembre 1942. Il me faudrait, pour en être absolument sûr, revoir la liste entière. Mais la plupart, comme je l’ai dit, ont été capturés après 1942.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Cela me suffit. Je n’ai plus d’autres questions à poser.

Dr LATERNSER

Monsieur le Président, je voudrais simplement éclaircir une question surgie au cours du contre-interrogatoire. (A l’accusé.) Monsieur le Grand-Amiral, au cours du contre-interrogatoire, vous avez déclaré, à propos des conférences sur la situation générale, avoir été présent le 19 et le 20 février 1945, et vous disiez...

ACCUSÉ DÖNITZ

Non, à cette date...

Dr LATERNSER

Je l’ai noté, et vous reconnaîtrez tout de suite ce dont il s’agit. Au cours de cette conférence du 19 février, Hitler aurait émis la suggestion de se dégager de la Convention de Genève. Je vous prie de me dire quels étaient les commandants en chefs présents à cette conférence ?

ACCUSÉ DÖNITZ

Je crois qu’il y a là une erreur. Je n’ai pas entendu cette suggestion de la bouche du Führer, mais elle m’a été transmise par l’officier de marine qui assurait la liaison et participait régulièrement à ces réunions. Je ne peux donc pas dire si la date est exacte, et je ne sais pas non plus qui a assisté à cette première déclaration du Führer. En tout cas, si j’ai bonne mémoire, la question est revenue sur le tapis le lendemain ou le surlendemain et, autant que je m’en souvienne, en présence du maréchal Göring, de Jodl, naturellement et du maréchal Keitel. En tous cas, la Wehrmacht tout entière était unanimement opposée à cette mesure. Si je me souviens bien, le Führer, devant notre attitude, n’est plus revenu sur cette question.

Dr LATERNSER

Je vous remercie, je n’ai pas d’autre question à poser.

LE PRÉSIDENT

L’accusé peut reprendre sa place au banc des accusés.

(L’accusé quitte la barre des témoins.)
FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Monsieur le Président, après l’expérience du contre-interrogatoire d’aujourd’hui, j’estime opportun de présenter désormais au Tribunal mes documents, et cela, s’il plaît au Tribunal, avant l’audition de nouveaux témoins. Je crois que cela me permettrait d’écourter l’interrogatoire de ces témoins dont les réponses seront aussi plus faciles à comprendre.

LE PRÉSIDENT

Très bien, Docteur Kranzbühler.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Je me permets d’abord de rappeler au Tribunal que les documents de l’Accusation GB-224, GB-191, contiennent tout ce qui a trait aux reproches d’ordre général contre la guerre sous-marine, auxquels se réfèrent beaucoup de mes documents. Ces imputations générales sont contenues dans les volumes III et IV.

Il s’agit d’abord du document Dönitz-54, qui contient la déclaration d’adhésion allemande au Protocole de Londres relatif à la guerre sous-marine. Je n’ai pas besoin d’en donner lecture, car il a été déjà mentionné plusieurs fois. Ensuite, je prie le Tribunal de bien vouloir prendre connaissance d’office de l’Ordonnance de prise allemande, qui est imprimée page 137. Je désire signaler que l’article 74 est textuellement conforme au Protocole de Londres.

Qu’il me soit permis de faire remarquer au Tribunal, à la page 138, que cette ordonnance n’a pas été signée du Commandant en chef de la Marine. C’est là une contribution à la question de savoir si le Commandant en chef de la Marine de guerre était membre du Gouvernement ou non. Il n’avait aucun pouvoir de la signer.

Le document suivant, Dönitz-55, est constitué par l’ordre du 3 septembre 1939, par lequel les sous-marins entrèrent en guerre. Je ne sais pas si le Tribunal a une connaissance suffisante de ces documents pour que je puisse me borner à les résumer en bloc, ou s’il vaut mieux que j’en lise des extraits.

LE PRÉSIDENT

Je crois que vous pourrez les mentionner en bloc et dire brièvement de quoi il s’agit.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Oui. L’ordre du 3 septembre recommande aux bâtiments d’observer strictement toutes les règles de la guerre navale. Il ordonne de la pratiquer en se conformant à l’ordonnance des prises. En outre, il y est prévu la préparation d’instructions visant le renforcement de la guerre économique, en raison de l’armement des bateaux de commerce. Cela figure à la page 140. J’y reviendrai lors de l’interrogatoire d’un témoin ; je n’ai donc pas besoin d’en faire la lecture. Je voudrais maintenant donner lecture au Tribunal d’un passage d’un document anglais, d’où il ressort que les sous-marins ont strictement respecté cet ordre, le document GB-191. Il figure dans le texte original à la page 5, Monsieur le Président. Dans l’extrait anglais, une phrase n’est pas mentionnée. C’est pourquoi j’en donne lecture d’après l’original ; « Les Allemands commencèrent par cette question des prises, qui était en tout cas un document clair, raisonnable et qui n’a rien d’inhumain ».

« Les commandants de sous-marins allemands — à quelques exceptions près — se conformèrent, dans les premiers mois de la guerre, à ces prescriptions. Dans un cas même, un sous-marin avait ordonné à l’équipage d’un bateau de pêche de se réfugier dans l’embarcation de sauvetage, le vapeur devant être coulé. Mais, lorsque le commandant du sous-marin s’aperçut de l’état dans lequel se trouvait cette chaloupe, il s’écria : « Treize hommes dans une telle barque ! Vous, Anglais, n’êtes vraiment bons à rien ; envoyer un navire en haute mer avec un canot de sauvetage comme celui là ! » Et il fut ordonné au capitaine de réembarquer ses hommes sur le vapeur et de rentrer chez lui à pleine vitesse, accompagné d’une bouteille d’alcool et des compliments du commandant du sous-marin. »

Telle est une appréciation anglaise, extraite d’un document du Ministère Public.

Mon document suivant est le Dönitz-56, extrait du Journal de Guerre de la Direction des opérations navales, figurant à la page 141, et daté du 9 septembre 1939.

« Le Bureau d’informations britannique répand la nouvelle, diffusée par Reuter, que l’Allemagne vient de déclencher la guerre sous-marine à outrance. »

Je voudrais maintenant présenter au Tribunal le document Dönitz-57, reproduit à la page 143, et concernant les expériences enregistrées jusque-là par l’Amirauté dans la guerre sous-marine. C’est une insertion du 21 septembre dans le Journal de guerre de la Direction des opérations navales. Je donne lecture du chiffre 2.

« Les commandants de sous-marins, de retour de croisières, relatent les précieuses expériences suivantes :... b) Des vapeurs anglais, parfois aussi des neutres, naviguent en faisant des zigzags prononcés, feux éteints en partie. Aussitôt arrêtés, des navires anglais émettent un SOS en indiquant leur position. Là-dessus, intervention d’avions anglais contre le sous-marin.

« c)) Des vapeurs anglais ont tenté à plusieurs reprises de s’échapper. Les vapeurs sont en partie armés, un vapeur a répliqué au feu.

« d)) Jusqu’ici, constaté aucun abus de vapeurs neutres. »

Le document à la page 144 du livre de documents a déjà été versé au dossier des preuves. C’est un extrait du GB-222, journal de bord du sous-marin U-30, en date du 14 septembre. Je ne lirai que quelques phrases du début :

« Nuages de fumée. Vapeur décrivant de grands zigzags, avec cap à l’Est. Allés à sa rencontre. Vire de bord à notre vue, prend direction opposée et lance SOS.

« Vapeur anglais Fanad Head, 5.200 tonnes, faisant route vers Belfast. Pris en chasse au canon. Aucune réaction au signal de stopper. Tiré à 2.000 mètres coup de semonce en avant de la proue. Le vapeur stoppe. L’équipage embarque dans les chaloupes. Remorqué les chaloupes hors de la zone dangereuse. »

Je résume la suite. Elle décrit comment le sous-marin, par suite du radiotélégramme du vapeur, a été attaqué par des avions ; expose les difficultés avec lesquelles il a fait embarquer l’équipage de prise, comment, malgré le bombardement par les avions, le vapeur n’a pas été coulé avant que deux officiers anglais, qui se trouvaient encore à bord, aient sauté par-dessus bord et aient été sauvés et amenés sur le sous-marin. La poursuite à coups de bombes a duré dix heures.

Le document suivant, Dönitz-58, prouve que les vaisseaux de commerce ont eu une attitude agressive envers les sous-marins. C’est un extrait du Journal de Guerre de la Direction des opérations navales. Je lis l’inscription du 24 septembre :

« B. d. U. annonce que le C. q. le vapeur anglais Manaar, sommé de stopper après un coup de semonce du sous-marin U-38, chercha à s’échapper. Lança message TSF et ouvrit le feu avec pièce arrière. Ne fut abandonné par l’équipage qu’après cinq coups de plein fouet, puis envoyé par le fond. »

Puis, un autre message du 22 septembre :

« Avis d’origine anglaise que, lors du torpillage du vapeur anglais Akensîde, un sous-marin allemand a été éperonné par un chalutier. »

Du document GB-193, du Ministère Public, page 147, j’attire l’attention simplement sur le jugement porté par la Direction des opérations navales quant à l’usage des transmissions de messages par TSF. Je lis deux phrases du chiffre 2, à partir du deuxième paragraphe :

« Dans presque tous les cas, les vapeurs anglais ayant repéré un sous-marin ont lancé un SOS et indiqué la position. Comme ces messages des vapeurs ont provoqué peu de temps après l’apparition d’avions anglais, il est établi qu’il s’agit chez les Anglais d’une mesure militaire prévue et organisée. L’appel SOS et la donnée de la position, qui y est précisée, constituent un renseignement d’ordre militaire et doivent être considérés comme actes de résistance. »

Le document suivant, Dönitz-59, a trait à l’autorisation accordée à la requête, formulée par le commandant des sous-marins, de couler les vaisseaux qui, lors de l’arraisonnement, font usage de leur TSF. Je donne lecture de l’inscription du 24 novembre 1939, tout au bas de la page, au chiffre 4 :

« En vertu de l’autorisation accordée par le Führer, les groupes de sous-marins et le B. d. U. se conformeront à l’ordre suivant...

« 4. Contre tous les vaisseaux de commerce qui, lors de leur « arraisonnement, feront usage de leur TSF, il y aura lieu d’employer « la force. Ils tombent tous, sans exception, sous le coup de la prise « ou du torpillage. On devra s’efforcer de sauver les équipages. »

LE PRÉSIDENT

Nous allons lever l’audience.

(L’audience sera reprise le 11 mai 1946 à 10 heures.)