CENT VINGT-SEPTIÈME JOURNÉE.
Samedi 11 mai 1946.

Audience du matin.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Monsieur le Président, je poursuis ma présentation de documents relatifs à la guerre navale.

Mon document suivant figure à la page 149 dans le livre de documents n° 3. Il s’agit d’une déclaration du premier Lord de l’Amirauté, en date du 26 septembre 1939, sur l’armement de la flotte commerciale britannique. Dans cette déclaration, il annonce que la flotte de commerce britannique tout entière sera sous peu armée. Il parle également de l’instruction des équipages et termine en exprimant ses remerciements à ses prédécesseurs pour le soin avec lequel ces tâches ont été préparées avant que la guerre ne commençât. Je présente le document Dönitz-60. Il s’agit d’un important recueil de documents se référant au Droit maritime. Il y en a en tout 550. Pour déférer au désir de Monsieur le Président, je les ai pourvus tous de références.

J’en viens maintenant à un certain nombre de documents traitant de la conduite à tenir envers les bâtiments aux allures suspectes et qui, pour cette raison, ont été attaqués par des sous-marins allemands.

Le premier document est le Dönitz-61, page 150 du livre de documents. C’est un avertissement à la navigation neutre de s’abstenir de toute attitude équivoque. Cet avertissement fait l’objet d’une notification à tous les pays neutres. Elle se termine en attirant l’attention des vaisseaux sur la nécessité, surtout de nuit, de ne pas faire de confusions avec les navires de guerre ennemis et les navires militaires. Il est prescrit d’éviter toute attitude suspecte, notamment les changements de cours, l’utilisation de la TSF à la vue de forces navales allemandes, le refus d’obéir à l’ordre de stopper, la marche en zigzag, l’extinction des feux, et de ne pas accepter d’escorte ennemie.

Cet avertissement est reproduit dans le document Dönitz-62, page 153. C’est une nouvelle notification, datée du 18 octobre 1939, aux Gouvernements neutres. Le document Dönitz-63 donne un exemple de la façon dont un Gouvernement neutre a réagi, en l’espèce le Gouvernement danois qui, conformément aux notifications allemandes, a averti sa Marine commerciale de se garder de tout acte suspect. Ce point se trouve page 154. Je tiens à rappeler que le premier avertissement date du 28 septembre.

Mon document suivant, Dönitz-64, porte que le 2 octobre 1939 l’ordre a été donné aux sous-marins d’attaquer les bâtiments qui seraient rencontrés, tous feux éteints, dans certaines zones de côtes britanniques. Cet ordre est d’une importance particulière, eu égard au contre-interrogatoire d’hier, au cours duquel la question a été soulevée de savoir si, avant tout, un tel ordre avait été donné, ou s’il n’avait pas été transmis verbalement aux commandants, avec l’instruction de falsifier leur livre de bord Je donne lecture de cet ordre du 2 octobre 1939, page 155 :« Ordre de l’État-Major naval d’opérations aux unités du front : étant donné que, lors de rencontres, au large des côtes anglaises et françaises, de bâtiments faisant route tous feux éteints, il y a lieu de supposer qu’il s’agit de navires de guerre ou d’auxiliaires, le plein usage des armes contre ces bâtiments naviguant sans feux est autorisé dans les zones suivantes... » (Suit la désignation d’une zone d’opérations autour des côtes anglaises.) Et la citation qui se trouve au-dessous, extraite du journal de guerre du Commandant en chef de l’arme sous-marine, du même jour, est une transmission de cet ordre aux sous-marins.

Le degré de préparation de la flotte de commerce britannique à prendre de son côté l’offensive contre les sous-marins allemands, est fondé ou accentué par le document suivant que je présente. Il reçoit le numéro Dönitz-101 et. se trouve page 156. Il portait précédemment le numéro Dönitz-60, Monsieur le Président ; c’est un avis de l’Amirauté britannique, que je vais lire :

« L’Amirauté britannique a communiqué le 1er octobre l’avertissement suivant à la flotte de commerce britannique :

« Quelques sous-marins allemands ont été attaqués ces jours derniers par des navires de commerce britanniques. A ce propos, la radio allemande annonce que les sous-marins allemands ont, jusqu’ici respecté le droit des gens, en donnant un avertissement aux navires de commerce avant de les attaquer. Toutefois, l’Allemagne veut dorénavant user de représailles et considérer tout bateau de commerce britannique comme vaisseau de guerre. Alors que ce qui précède est complètement faux, cela pourrait indiquer un changement immédiat dans la politique allemande de la guerre sous-marine.

« Tenez-vous donc prêts à de telles rencontres. L’Amirauté. » Page 157, se trouve une seconde information du même jour :

« L’Amirauté britannique fait savoir que les sous-marins allemands poursuivent une nouvelle tactique. Les bâtiments anglais sont mis en demeure d’éperonner tout sous-marin allemand. »

Le document suivant, Dönitz-65, reproduit les ordres qui ont été émis comme conséquence de l’armement et de la résistance active des navires de commerce. Je donne lecture de l’ordre du 4 octobre 1939 de l’État-Major naval d’opérations aux unités du front :

« Contre tout navire de commerce ennemi reconnu incontestablement comme étant armé, ou dont l’armement a été établi par l’État-Major naval d’opérations au moyen de documents irrécusables, les sous-marins sont autorisés à faire un usage général immédiat de leurs armes. Autant que les circonstances le permettront, des mesures devront être prises pour le sauvetage de l’équipage, après avoir écarté toute possibilité de danger pour le sous-marin. Les paquebots qui n’auront pas été transformés en transports de troupes ne devront pas être attaqués, même s’ils sont armés, maintenant comme précédemment. »

L’extrait qui figure au-dessous est la reproduction de l’ordre aux sous-marins. Les expériences acquises au cours de la guerre sont résumées dans le document de la page 159. C’est un extrait d’un document du Ministère Public, le numéro GB-196, « Ordre de guerre permanent n° 171 du commandant des sous-marins ».

Je lirai simplement la première phrase du chiffre 4 : « Comportement des navires de commerce ennemis. La marine des commerce britannique a reçu les instructions suivantes... »

LE PRÉSIDENT

Quelle est la date de ce document ?

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Ce document a été rédigé avant le mois de mai 1940. Il faudra, Monsieur le Président, que je m’informe par un témoin de sa date exacte. J’estime qu’il doit dater du mois d’octobre 1939.

Je poursuis donc : « La Marine de commerce britannique a reçu les instructions suivantes :

« a) Attaquer les sous-marins par tous les moyens, les éperonner et, si l’armement le permet, les attaquer à la grenade sous-marine. » Suivent quelques détails. Les expériences fournies par l’attitude et le comportement de la Marine de commerce britannique sont concrétisées dans le document suivant. Il s’agit du document Dönitz-66, page 161. Je donne lecture de cet ordre. Il est daté du 17 octobre 1939 :

« A 15 heures, le chef de l’arme sous-marine a reçu l’ordre suivant : « Contre tous les navires de commerce, reconnus indiscutablement comme ennemis, les sous-marins sont autorisés à se servir immédiatement de leurs armes, en raison du fait qu’il faut toujours compter avec des tentatives d’abordage ou de défense active. Exception est faite en faveur des paquebots ennemis, comme précédemment. » A la page 162, j’ai encore un extrait du document Dönitz-62, déjà produit. C’est une note à l’adresse des neutres, du 22 octobre 1939, résumant le comportement de bateaux qui, selon le point de vue allemand, ôte à tout bâtiment de commerce son caractère pacifique. Je donne lecture de la deuxième phrase du grand alinéa. Dernier paragraphe, seconde phrase :

« Quant aux navires anglais et français, et d’après les expériences faites jusqu’ici, il faut s’attendre avec certitude à une conduite analogue, en particulier à la navigation en convois, à l’emploi inadmissible de la radio, à la marche tous feux éteints, et avant tout à une résistance active et à des manœuvres d’attaque. » A l’alinéa suivant, le Gouvernement allemand donne pour cette raison l’avertissement de se garder d’utiliser des navires ennemis. Les ordres allemands avaient été émis en vertu des expériences faites par nos sous-marins.

Le document suivant, que j’avais déjà présenté, est le Dönitz-67, pages 163 et suivantes. Je veux simplement, me basant sur l’information de l’Amirauté britannique, qui est à la page 163, préciser que les ordres donnés aux navires de commerce se trouvent dans le Manuel de la défense de la Marine commerciale, de janvier 1938. Ils ont donc été publiés avant la guerre.

J’en arrive maintenant aux quelques documents relatifs à la conduite à tenir vis-à-vis des paquebots et qui sont essentiels, en corrélation avec le cas de l’Athenia, puisque l’Athenia était précisément un paquebot.

Le document Dönitz-68 fournit quelques bases sur la conduite à tenir envers les paquebots. D’après un ordre du 30 septembre 1939, dont je donne lecture : « Par ordre du Führer, s’abstenir de tout d’hostilité, jusqu’à nouvel ordre, envers les paquebots, même en convois ». L’autre extrait, sur cette même page, présente des informations relatives à l’utilisation de paquebots comme transports de troupes.

Je donne ensuite lecture d’un extrait des instructions sur la réglementation de la guerre économique, d’octobre à mi-novembre 1939. Les paquebots ennemis ayant été utilisés dans la plus large mesure pour le transport des troupes, et l’abstention n’étant plus de mise désormais envers de tels vaisseaux pour autant qu’ils étaient convoyés, l’ordre suivant, qui est au bas de la page, daté du 29 octobre, est ainsi conçu :

« Les paquebots convoyés par des vaisseaux ennemis devront être attaqués immédiatement par les sous-marins en utilisant tous les moyens du bord. »

Le document suivant, Dönitz-59, page 170, doit montrer que dans la presse allemande, en novembre et en décembre, l’avertissement a été publié de ne pas faire usage de paquebots armés, avec les listes de ces bâtiments.

Le document suivant est le Dönitz-70, page 171. C’est un ordre du 7 novembre 1939 de l’État-Major naval d’opérations au chef de l’arme sous-marine. Dans cet ordre, il est dit : « Emploi immédiat des armes du bord contre tout paquebot indiscutablement ennemi, dont l’armement est reconnaissable ou a été constaté au préalable ».

Il s’agit donc d’un ordre donné six semaines plus tard que l’autorisation donnée d’attaquer les autres bâtiments armés.

Le Dönitz-71 permet de constater que la liberté d’attaque des paquebots naviguant tous feux éteints a été accordée aux sous-marins quatre mois plus tard en ce qui concerne les autres vapeurs.

J’en viens maintenant au document du Ministère Public GB-224, pages 199 à 203, dans le tome IV de mon livre de documents. J’insiste encore une fois sur le fait que ce document doit charger particulièrement le Grand-Amiral Raeder et qu’il est qualifié par le Ministère Public de défi cynique au droit des gens. Je mentionne tout d’abord que, d’après le titre, il s’agit, de la part de l’État-Major naval d’opérations, de considérations sur les possibilités d’un renforcement de la guerre économique contre l’Angleterre. Je donne lecture de quelques alinéas — ou je les résumerai — établissant qu’un examen très approfondi du droit des gens a été fait au préalable. Je lis le premier paragraphe intitulé : « Détermination du but de la guerre ».

« La proposition du Führer, formulée en vue du rétablissement d’une paix honorable et équitable, comme aussi d’une nouvelle réglementation d’ordre politique, en Europe centrale, a été repoussée. Les Puissances ennemies veulent la guerre et ont pour but la destruction de l’Allemagne. Dans la lutte, par laquelle l’Allemagne se voit contrainte désormais de défendre son existence et son droit, elle doit, tout en respectant pleinement les préceptes de la morale militaire, s’engager rigoureusement avec la puissance totale de ses armes. »

Suit un alinéa où il est exposé que l’adversaire aussi emploie ses possibilités sans le moindre ménagement. A la page 200, figurent certaines phrases fondamentales dont je voudrais donner lecture, contenues dans l’alinéa des « Exigences militaires » à partir de la quatrième phrase :

« Il reste souhaitable que les mesures militaires qui seront adoptées soient en conformité avec le droit des gens actuellement en vigueur, mais des mesures qui, du point de vue strictement militaire, auront été reconnues indispensables, devront être exécutées si le droit des gens ne peut leur être appliqué. C’est pourquoi tout moyen efficace de combat, destiné à briser la force de résistance ennemie, doit avoir une base juridique, dût-on créer par là un droit nouveau de la guerre maritime. Il appartient donc au Haut Commandement, après avoir pesé les conséquences politiques militaires et économiques dans le cadre de la conduite générale de la guerre, de décider de la procédure qui, des points de vue juridique et militaire, est applicable en temps de guerre. »

Vient ensuite une série d’extraits montrant comment l’État-Major naval d’opérations examine la situation actuelle, du point de vue juridique, puis en cas de blocus de l’Angleterre.

La fin, publiée à la page 203, souligne le caractère politique de la dernière décision : « La décision relative aux modalités d’application du renforcement de la guerre économique, ainsi que le point de départ de cette tactique renforcée et définitive de la guerre maritime, ont une importance politique des plus considérables. Elle ne peut être prise que par le Haut Commandement qui en pèsera les conditions militaires politiques et économiques, les unes vis-à-vis des autres ».

J’ajouterai que ce document est daté du 15 octobre 1939.

Fin novembre, la direction de l’État-Major naval d’opérations en tira la conclusion...

LE PRÉSIDENT

Notre document porte la date du 3 novembre 1939. Mais vous venez de dire que c’était en octobre ?

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

15 octobre, Monsieur le Président. Il s’agit là d’un mémoire du 15 octobre, qui a été déposé.

LE PRÉSIDENT

Je croyais que vous traitiez du document GB-224. C’est celui que vous venez de lire ?

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Parfaitement.

LE PRÉSIDENT

Sur notre page 199, il porte la date du 3 novembre 1939.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Oui, Monsieur le Président. Le 3 novembre est la date à laquelle ce mémoire a été distribué à l’OKW et au ministère des Affaires étrangères. Mais on me fait observer que, dans le texte anglais, la date manque au-dessus du mot « Mémoire ». Dans l’original il y a, au-dessus du mot « Mémoire » la date du 15 octobre 1939, Berlin.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

J’avais déjà produit le document Dönitz-73, page 206, dans lequel figure l’avertissement aux neutres de ne pas faire route dans la zone correspondant à la zone américaine, telle qu’elle a été déclarée le 4 novembre par le Président Roosevelt. La conception allemande, selon laquelle la navigation dans cette zone constitue un risque personnel pour tous les neutres, fut exprimée dans la presse. Je dépose donc le document Dönitz-103, de la page 210. C’est une interview accordée par le Grand-Amiral Raeder, le 4 mars 1940, à un représentant de la National Broad-casting C° de New-York. Je vais donner lecture de quelques phrases de ce document. Dans le deuxième alinéa, l’amiral Raeder insiste sur les périls auxquels s’exposent les navires neutres s’ils se comportent de façon agressive et se prêtent ainsi à être pris pour des bâtiments ennemis. La dernière phrase de ce paragraphe est ainsi conçue :

« Le point de vue allemand peut se résumer succinctement par cette formule : Quiconque fera usage des armes doit s’attendre à une riposte par les armes. »

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Je donne encore lecture des deux derniers alinéas :

« Lors de la discussion où fut examinée la possibilité de fréquentes divergences de vue, le Commandant en chef de la Marine de guerre souleva la question de l’interdiction du Président Roosevelt, notifiée à la Marine de commerce américaine, de franchir les zones dangereuses autour de la Grande-Bretagne. Il déclara à ce sujet : « Cette interdiction est la meilleure condamnation du procédé employé par l’Angleterre et qui met les neutres dans l’obligation d’utiliser ces zones, sans être en mesure d’assurer leur « sécurité. L’Allemagne ne peut que conseiller à tous les neutres « d’imiter la politique de votre Président. »

« Question

N’y a-t-il donc, au point où en sont les choses, aucune protection pour la navigation neutre dans les zones menacées par la guerre ? »

« Réponse

Aussi longtemps que l’Angleterre persistera dans ses méthodes, assurément non... »

Par la débâcle de la France, l’ensemble de la zone de combat américaine fut déclaré zone de blocus allemand. C’est ce que montre le document Dönitz-104, page 212. Je donne lecture de quelques phrases du milieu de l’alinéa :

« La zone maritime tout entière autour de la Grande-Bretagne est devenue zone d’opérations. Tout bateau naviguant dans ces eaux s’expose à être détruit non seulement par des mines mais aussi par d’autres moyens de combat. »

LE PRÉSIDENT

Docteur Kranzbühler, avez-vous mentionné le document Dönitz-60, ou...

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Il s’agissait aussi à l’origine d’un des documents Dönitz, Monsieur le Président, mais que j’ai pourvu maintenant d’un nouveau numéro : le Dönitz-104.

LE PRÉSIDENT

Bien, je vous remercie.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

« Tout bâtiment parcourant cette zone s’expose à être détruit non seulement par des mines mais aussi par d’autres moyens de combat. En conséquence, le Gouvernement met en garde à nouveau, et de la façon la plus pressante, contre tout parcours dans la zone dangereuse. » A la fin de la note, le Gouvernement allemand décline toute responsabilité pour les dommages susceptibles de survenir aux navires et aux personnes qui navigueraient dans cette zone.

Le document suivant, page 214, porte le nouveau numéro Dönitz-105 et produit une déclaration officielle allemande de la proclamation du blocus total contre l’Angleterre, du 17 août 1940. Je me contente de le mentionner.

J’en arrive maintenant à quelques documents qui concernent le traitement des neutres hors de la zone d’opérations. Je présente comme première pièce, page 226, un extrait d’un document GB-196, qui a été produit par le Ministère Public. C’est un ordre permanent du chef de l’arme sous-marine, également de mai 1940. Je lis les premières phrases :

« Ne doivent pas être coulés : a) Tous les navires reconnus indiscutablement comme neutres, à condition : 1° Qu’ils ne soient pas escortés par l’ennemi et, 2° Qu’ils ne se trouvent pas dans une zone déclarée dangereuse. »

Le document suivant, Dönitz-76, page 227, témoigne du souci de l’État-Major naval d’opérations que les neutres se fassent réellement reconnaître comme tels. Je lis la première phrase de la mention du 10 janvier 1942 :

« En raison de la nouvelle extension du théâtre de la guerre, l’État-Major naval d’opérations a prié le ministère des Affaires étrangères d’insister auprès des pays neutres, à l’exception de la Suède, sur la nécessité d’une identification scrupuleuse de leurs bateaux, afin d’éviter toute confusion avec des navires ennemis. »

Le document suivant, Dönitz-77, page 228, présente une mention du 24 juin 1942 extraite du journal de guerre du chef de l’arme sous-marine :

« Tous les commandants ont reçu de nouvelles instructions détaillées sur la conduite à tenir vis-à-vis des neutres. »

Le document Dönitz-78, page 228, fournit quelques exemples des égards pris par le commandant de l’arme sous-marine envers les neutres. La mention du 23 novembre 1942 établit qu’un sous-marin a reçu ordre de s’éloigner d’une zone, parce qu’une très active circulation de bâtiments neutres y avait été constatée. La deuxième note du 2 décembre 1942 mentionne qu’un bateau-citerne portugais doit être traité selon les instructions données, c’est-à-dire qu’on doit le laisser passer sans l’inquiéter. J’ai déjà mentionné le document de la page 230. Il contient une instance en conseil de guerre contre un commandant de sous-marin qui avait torpillé indûment un bateau neutre.

Le document suivant, Dönitz-79, page 231, est l’ordre, resté en vigueur jusqu’à la fin de la guerre, qui concerne la navigation neutre. Je n’ai pas besoin d’en donner lecture. Il ne fait qu’insister encore une fois sur une signalisation indispensable de la part des bateaux neutres et rappelle la convention conclue avec une série de nations telles que l’Espagne, le Portugal, la Suède et la Suisse.

LE PRÉSIDENT

Quelle est la date exacte de ce document ?

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

C’est un document du 1er août 1944, Monsieur le Président. La date d’origine est le 1er avril 1943. L’ordre a été rédigé sous une nouvelle forme le 1er août 1944 par suite des rectifications nécessitées par la convention sur la navigation.

J’ai traité jusqu’ici des principes généraux qui ont été incriminés dans les documents du Ministère Public GB-191 et GB-224. Je désire maintenant produire quelques documents qui concernent des détails du document du Ministère Public GB-191. Il rapporte un discours d’Adolf Hitler, qui se termine par ces mots :

« Tout bateau, avec ou sans escorte, qui passera à portée de nos tubes lance-torpilles, sera torpillé. »

J’apporte sous le numéro Dönitz-80, page 232, un extrait de ce discours. Le contexte montre que la déclaration du Führer ne concerne que les bateaux transportant du matériel de guerre en Angleterre.

J’en arrive maintenant à deux exemples qui, dans le document GB-191, avaient été présentés comme des exemples types de la façon illégale dont les Allemands pratiquaient la guerre navale.

Le premier concerne le cas du vapeur danois Vendia. Le document du Ministère Public dit à ce propos :

« Le 30 septembre 1939 a eu lieu le premier torpillage d’un navire neutre par un sous-marin allemand, sans qu’un signal d’avertissement eût été donné. En cette circonstance, des hommes ont perdu la vie. Il s’agit du vapeur danois Vendia.  »

Je présente sous le numéro Dönitz-83, et reproduit à la page 235, le journal de bord du sous-marin U-3, qui a coulé le Vendia. En raison de leur importance, je vais donner lecture de certains passages. Je commence par la deuxième phrase :

« Le vapeur vire peu à peu et accélère sa vitesse. Le sous-marin ne le rejoint que très lentement. Tentative de fuite évidente.

Le vapeur est distinctement reconnaissable comme étant le vapeur danois Vendia. Le sous-marin va lentement. La mitrailleuse est parée. Tiré quelques coups d’avertissement par-dessus la proue du navire. Le navire stoppe alors très lentement ; rien d’autre ne se produit. Quelques coups sont encore tirés. Le Vendia est sous le vent. Dix minutes s’étant écoulées sans que rien, sur le pont, ne vienne infirmer le soupçon d’une résistance préméditée, je vois subitement à 11 h. 24 des vagues à l’avant du vapeur et des remous d’hélice. Le vapeur vira fortement en direction du sous-marin. Mon impression qu’il tente de nous éperonner est partagée par l’officier de quart et le premier-maître timonier. Je vire alors de concert avec le vapeur. 30 secondes plus tard, j’envoie une torpille. Objectif visé : la proue. Point touché : la poupe, tout à l’arrière. La poupe se brise et coule. L’avant flotte encore. Malgré de graves risques pour l’équipage et le sous-marin (mer fortement houleuse et nombreuses épaves à la dérive), six hommes de l’équipage danois sont sauvés, et parmi eux le capitaine et le timonier. D’autres survivants n’ont pu être aperçus. Sur ces entrefaites, arrivée et arraisonnement du vapeur danois Swawa ; sommé d’apporter ses papiers à bord. Transporte des ballots de marchandises d’Amsterdam à Copenhague. Les six rescapés sont confiés au vapeur en vue de leur rapatriement. »

A la page suivante, je lis encore l’avant-dernière phrase :

« L’équipage du vapeur, une fois livré, on découvrit que son mécanicien avait révélé au quartier-maître mécanicien Blank que le commandant avait eu l’intention d’éperonner les sous-marin. »

Le document de la page 237, un extrait du document GB-82 du Ministère Public, indique que le cas du Vendia a fait l’objet d’une protestation du Gouvernement allemand auprès du Gouvernement danois.

Je m’occuperai maintenant du torpillage du City of Benares survenu le 18 septembre 1940. A ce sujet, je désire d’abord donner lecture de quelques phrases du document de l’Accusation, car je suis d’avis qu’elles caractérisent la valeur probante de tout le document GB-191. Je donne lecture, dans le livre de documents britannique, page 23, du passage à partir duquel le Ministère Public a interrompu sa lecture. Le Tribunal se rappellera que le City of Benares avait des enfants à son bord. Le rapport du ministère des Affaires étrangères dit ceci :

« Le capitaine du sous-marin, quand il lança la torpille, ne savait probablement pas que des enfants se trouvaient à bord du City of Benares. Il se peut qu’il n’ait peut-être même pas connu le nom du paquebot, bien qu’il fût patent qu’il ait poursuivi le bateau pendant des heures avant de le torpiller. Mais ce qu’il devait savoir, c’est qu’il s’agissait d’un grand bateau de commerce, probablement avec des passagers civils à bord et, certainement, un équipage de marins de la Marine marchande. Il connaissait les conditions météorologiques et il savait qu’ils se trouvaient à 600 milles de la terre. Cependant, il l’a poursuivi hors de la zone de blocus et, intentionnellement, s’est abstenu de lancer sa torpille avant la tombée de la nuit, c’est-à-dire à un moment où les chances de sauvetage étaient considérablement diminuées. »

Le document suivant est le Dönitz-84, page 238, journal de bord du sous-marin U-48, qui a coulé le Clty of Benares. Je lis la mention du 17 septembre 1940 :

« Heure : 10 h. 02. Convoi en vue. Route : environ 240 degrés. Vitesse : Sept nœuds. Contact maintenu, d’autant plus qu’attaque sous-marine rendue impossible par suite violent ressac. Le convoi semble être sans escorte. »

Je me reporte ensuite à la transcription du 18 septembre 1940, qui décrit le torpillage d’un bateau de ce convoi, le City of Benares. Quelques minutes plus tard, à 0 h. 07, le sous-marin attaque un autre bâtiment de ce convoi, le vapeur anglais Marina. Les deux bateaux donnent des signaux par TSF. Vingt minutes plus tard, le sous-marin livre un combat d’artillerie avec un bateau-citerne de ce convoi. Telle est l’histoire réelle du City of Benares.

Page 240, j’utilise le document du Ministère Public GB-192, reproduit une seconde fois. Il s’agit du torpillage du Sheaf Mead. Je tiens simplement à faire remarquer que ce bateau était très puissamment armé et qu’il n’était vraisemblablement pas question d’un navire de commerce, mais plutôt d’un sous-marin. Dans le document du Ministère Public GB-195, qui a été déjà traité hier à l’interrogatoire, un ordre du Führer du 18 août 1941 a été produit, autorisant l’attaque des navires dans la zone de blocus créée autour de la Grande-Bretagne. Le Ministère Public, comme on sait, se base sur ce document pour accuser l’amiral Dönitz d’avoir pratiqué une guerre opportuniste et cynique contre les neutres.

Mon document suivant est le Dönitz-86, page 243, et il montre les efforts...

LE PRÉSIDENT

Vous dites 243 ?

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Je m’excuse, Monsieur le Président, page 243. Il montre les efforts déployés pour éviter tout conflit avec les États-Unis. Je cite la mention du 5 mars 1940 dans le journal de guerre de l’État-Major naval, relativement à la conduite de la guerre économique, « de s’abstenir d’arraisonner, de capturer et de couler les bâtiments des États-Unis ». « Cet ordre est motivé par l’assurance donnée par le Commandant en chef, à l’attaché naval américain reçu par lui le 20 février, que les sous-marins allemands avaient reçu l’ordre de n’arraisonner sous aucun prétexte aucun bâtiment américain. Ainsi doivent être écartées de prime abord toutes les difficultés pouvant résulter d’une guerre économique entre les États-Unis et l’Allemagne ».

Cet ordre signifiait donc qu’il était renoncé également aux mesures qui découlaient du droit de prise.

Le document qui suit, Dönitz-87, page 244, présente la reconnaissance pratique de la zone neutre des États-Unis. Il y est dit :

« Ordre à tous les bateaux se trouvant hors des eaux territoriales : tenir compte de ce que, dès maintenant, la zone de neutralité américaine n’est plus qu’à une distance de vingt milles de la côte sud, et de trois cents milles pour le Nord. Au nord de cette ligne subsiste, pour des raisons de politique extérieure, la délimitation observée jusqu’ici ». Ce qui signifie donc une reconnaissance pleine et entière de la zone de neutralité. Mon document suivant, Dönitz-88, expose la position prise par le Président Roosevelt eu égard à la question de neutralité vis-à-vis de l’Allemagne dans cette guerre. C’est un extrait de son discours bien connu du 11 septembre 1941 :

« Hitler sait qu’il doit s’assurer la domination sur les mers s’il veut conquérir l’empire du monde. Il sait qu’il lui faut d’abord détruire le pont de bateaux que nous construisons à travers l’Atlantique et grâce auquel nous transportons sans répit le matériel de guerre qui contribuera finalement à le détruire, lui et ses entreprises. Il devra anéantir nos patrouilles navales et aériennes. »

Maintenant, je voudrais aborder la conception, également représentée dans le document GB-191, selon laquelle les équipages des navires de commerce ennemis sont des civils et non des combattants. A la page 254 du livre de documents, je vois reproduite une partie du document Dönitz-67, déjà produit. C’est un extrait des ordres confidentiels de l’Amirauté, qui traite de l’instruction des équipages civils des bateaux de commerce au service des pièces d’artillerie. Je ne m’attacherai qu’à la première page de ces ordres. Ils précisent qu’il ne doit y avoir, au service de la pièce, qu’un seul soldat de la Marine et que tous les autres servants doivent être fournis par l’équipage du bâtiment. Je donne lecture d’un passage extrait du chapitre « Instruction ». C’est la rubrique d :

« Outre le canonnier-pointeur et les hommes spécialement instruits, il sera nécessaire d’en utiliser d’autres au service de la pièce — de 5 à 7 suivant son calibre — ainsi que pour la montée des munitions de la soute. » Suivent encore quelques prescriptions relatives à l’instruction dans les ports et à l’exercice des hommes au maniement des pièces. Le document suivant porte un nouveau numéro : Dönitz-106 ; c’est une circulaire du ministre français de la Marine marchande, du 11 novembre 1939, concernant la création d’un insigne spécial pour les membres aptes à faire campagne sur des navires marchands. Il figure à la page 256. J’insiste sur le fait que ce décret est signé du directeur du cabinet militaire, un contre-amiral. La marque distinctive de cet insigne est précisée à l’avant-dernier alinéa : « Le brassard ne devra être porté qu’en France et dans les colonies françaises. En aucun cas, les hommes pourvus d’un brassard ne devront le porter lorsqu’ils se trouveront dans les eaux territoriales étrangères ».

Je passe maintenant à quelques documents se rapportant à la question du sauvetage des naufragés. Ces documents se trouvent dans les livres de documents 1 et 2.

LE PRÉSIDENT

Docteur Kranzbühler, ne croyez-vous pas qu’il serait suffisant de nous reporter à ces documents, en en indiquant les numéros, sans être obligé d’en donner lecture ? Ainsi que vous l’avez dit, ils ne traitent que des mesures de sauvetage.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Je crois que je pourrai alors ainsi agir dans la plupart des cas. Page 9, est reproduit le texte de la Convention de La Haye, sur l’application des principes de la Convention de Genève à la guerre sur mer. Page 10, figure le document Dönitz-8 : ordre du 4 octobre 1939 sur le torpillage des navires de commerce armés. Il contient l’ordre, dont lecture a été déjà donnée, de procéder, autant que possible, aux sauvetages, dans la mesure où la sécurité n’est pas compromise.

Le document Dönitz-9, page 12, donne des exemples de mesures de sauvetage exagérées de la part de sous-marins allemands qui laissent ainsi échapper des bâtiments ennemis.

Le document Dönitz-10 traite du même sujet avec un autre exemple.

Le recueil des déclarations de commandants dans le document Dönitz-13, est reproduit de la page 19 à la page 26. Je les mets en liaison avec l’ordre de guerre 154. C’est le document du Ministère Public GB-196. Ces déclarations contiennent de nombreux exemples de mesures de sauvetage de la part de sous-marins allemands pendant toute la guerre. L’un de ces rapports contient même des photographies, annexées à la page 21, et qui figurent dans l’exemplaire original. Le contenu de ces déclarations est confirmé par le document Dönitz-14, page 27, dans lequel un sous-marin fait mention, dans son livre de bord, des mesures de sauvetage qu’il a prises. Il termine par ces mots : « La prise à bord des aviateurs anglais est autorisée ». Suit la signature du commandant de l’arme sous-marine.

Le document suivant, Dönitz 15, donne également un extrait du livre de bord, comme exemple de sauvetage par un sous-marin, à la date du 21 octobre 1941, à la suite d’un combat avec un convoi. Page 28.

Suivent deux documents relatifs à l’ordre donné concernant le Laconia. Le Tribunal m’avait autorisé, au cours du contre-interrogatoire du témoin Möhle à utiliser les ordres de guerre permanents 511 et 512, qui se rapportent à la capture de capitaines et de chefs mécaniciens comme aussi d’aviateurs. Je les dépose sous les numéros Dönitz-24 et 25. Ils sont reproduits aux pages 46 et 47. Je ferai remarquer que, dans ces deux ordres, il est spécifié que cette capture ne doit être faite qu’autant que la sécurité du bateau n’en est pas compromise. Dans le document Dönitz-24, il est dit clairement que l’Amirauté britannique, de son côté, a donné des ordres pour éviter que des capitaines anglais soient faits prisonniers par des sous-marins allemands. L’extrait suivant, page 48, prouve par un exemple, que cet ordre a été suivi et qu’un sous-marin s’est efforcé en vain de chercher un capitaine parmi les bateaux de sauvetage.

LE PRÉSIDENT

Docteur Kranzbühler, pouvez-vous dire, au Tribunal à quoi se rapporte le paragraphe 2 de la page 46, et ce qu’il signifie ?

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Ce paragraphe fait allusion à l’ordre permanent n° 101. Il s’agit de l’ordre précisant les bateaux neutres qui peuvent être coulés, bien entendu, à l’intérieur de la zone de blocus.

LE PRESIDENT

Est-ce que cela signifie que ces officiers doivent couler avec le navire ou quoi ?

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Non, Monsieur le Président, cela signifie que les capitaines et les officiers des bateaux neutres peuvent être laissés dans les chaloupes et ne pas être transbordés sur le sous-marin. Ils étaient plus en sécurité, véritablement, dans les chaloupes qu’à bord des sous-marins : c’est bien ce que prouve l’ordre anglais qui enjoint aux officiers de rester à bord des chaloupes et de se cacher.

LE PRÉSIDENT

Et s’ils n’avaient pas de canots de sauvetage ?

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Je crois, Monsieur le Président, que ce cas n’a pas été réglé ici. Je ne connais pas un seul exemple qu’un bateau n’ait pas eu de chaloupes de sauvetage, particulièrement en 1943, date à laquelle cet ordre a été publié. Chaque bateau était non seulement pourvu de chaloupes mais de radeaux flottant automatiquement.

Le chiffre 2 se rapporte uniquement à la capture de capitaines neutres.

Puis-je continuer, s’il vous plaît ?

LE PRÉSIDENT

Oui, continuez.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Toute une série d’exemples prouvant que des capitaines ont été sauvés après la publication de cet ordre, sont contenus dans les déclarations de commandants, publiées pages 22, 25 et 26 sous le numéro Dönitz-13.

J’en arrive au cas du sous-marin U-386 qui a joué un grand rôle dans la déposition du capitaine de corvette Möhle.

Le Tribunal se souviendra que ce cas a été la raison décisive de l’interprétation que Möhle a faite de l’ordre donné à propos du Laconia. A ce sujet, je présente le document Dönitz-26, une déclaration sous serment du capitaine de corvette Witt. Je voudrais en lire quelques passages.

LE PRÉSIDENT

A quelle page ?

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

A la page 50, Monsieur le Président. « En novembre 1943, j’ai eu à interroger, en ma qualité de rapporteur à l’État-Major du commandant de l’arme sous-marine, le lieutenant de vaisseau Albrecht, commandant du sous-marin U-386, sur ses expériences au cours d’une croisière qu’il venait de terminer. Albrecht me rendit compte qu’il avait repéré de jour, à la hauteur du cap Finistère, dans la mer de Biscaye, un canot en caoutchouc avec des aviateurs anglais naufragés. Il s’était abstenu de les sauver, parce qu’il faisait route vers le point de rassemblement d’un convoi. Il n’aurait pu atteindre son but qu’en poursuivant sa route. Il avait craint, en outre...

LE PRÉSIDENT

Docteur Kranzbühler, est-il nécessaire d’entrer dans des détails pour chaque cas particulier ? Est-il indispensable que vous lisiez les documents tellement en détail ? Pour le cas présent, ce n’est pas nécessaire.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Très bien, Monsieur le Président, je me bornerai à les rapporter.

L’affidavit mentionne brièvement que le commandant a été averti qu’il eût dû prendre les aviateurs à son bord, c’est-à-dire le contraire de ce que Möhle a déposé ici. L’exactitude de l’exposé des faits par le capitaine Witt est confirmée par le document suivant, Dönitz-27, le livre de bord du sous-marin U-386, avec la position prise par le commandant de l’arme sous-marine, qui désavoue la décision de n’avoir pas pris à bord les aviateurs anglais à la dérive dans leur canot en caoutchouc.

La preuve que la position prise par l’amiral Dönitz relativement aux mesures de sauvetage ne reposait pas sur la cruauté, mais était prise en considération des nécessités militaires, est démontrée par le document suivant, Dönitz-28, à la page 53. Il y expose des arguments sur le sauvetage d’équipages de ses propres avions, et en conclut que ce sauvetage, en de certaines circonstances et pour des raisons militaires, ne peut être tenté.

Le document suivant, Dönitz-29, a trait à la déposition du témoin Heisig, page 54 et suivantes. Il contient d’abord une affirmation sous serment du lieutenant de vaisseau Fuhrmann, officier d’ordonnance, qui décrit la marche des idées ayant alors servi de base au Grand-Amiral Dönitz au cours de ses conférences. Il souligne, en terminant, que jamais de jeunes officiers ne sont venus à lui, à la fin de ces conférences, pour lui exprimer le moindre doute quant à la conduite à tenir envers les naufragés.

A la page 56, se trouve une déclaration du lieutenant de vaisseau Kress, qui a participé à la même conférence que Heisig, et qui déclare que l’amiral Dönitz n’a jamais donné l’ordre, ni textuellement, ni même par allusion, d’anéantir les survivants.

A la page 59, se trouve une déclaration du lieutenant de vaisseau Steinhoff. L’évolution des idées qui animaient alors l’État-Major naval d’opérations dans la lutte contre les équipages ressort du document Dönitz-30, pages 60 et 61. Là non plus, il n’est pas question de la destruction des équipages. C’est le procès-verbal d’une discussion chez le Führer ; le 28 septembre 1942, en présence du Grand-Amiral Raeder et de l’amiral Dönitz.

Le Tribunal se rappellera le document GB-200 dans lequel les « rescue ships » sont désignés comme des objectifs désirables. Il y est dit également qu’ils ont le caractère de pièges à sous-marins. C’est pourquoi j’ai mentionné à la page 63 l’ordre de guerre permanent n° 173 du 2 mai 1940. Il y est consigné que, selon les instructions de l’Amirauté britannique, des pièges à sous-marins devront être utilisés dans les convois. Le fait que le comportement envers ces bateaux de sauvetage n’a rien à voir avec le respect dû aux navires-hôpitaux, est démontré par le document Dönitz-34 dans le livre de documents n° 2, page 67. C’est le dernier des ordres permanents relatifs à la question du traitement des navires-hôpitaux, du 1er août 1944. Il commence par les mots : « Les navires-hôpitaux ne doivent pas être coulés ».

Mon document suivant, Dönitz-35, est destiné à démontrer que l’État-Major naval d’opérations, en ce qui concerne le respect des navires-hôpitaux, a même dépassé les obligations dictées par le Droit international, car, ainsi que le prouve la mention du 17 juillet 1941, le Gouvernement soviétique, de son côté, a décliné le maintien de la Convention concernant les navires-hôpitaux en invoquant les infractions commises en campagne contre le droit des gens, du côté allemand. D’après l’article 18 de la Convention, sa validité serait, de ce fait, devenue caduque pour tous les participants. Avec le document Dönitz-36, aux pages 69 et suivantes, je présente le seul exemple dont nous ayons eu connaissance, d’un commandant de sous-marin qui ait vraiment tiré sur des bateaux de sauvetage. C’est l’audition du lieutenant de vaisseau Eck qui a eu lieu, à la demande du Tribunal, le 21 novembre 1945, dix jours avant son exécution.

Conformément au vœu du Tribunal, je voudrais simplement résumer le fait : après le torpillage du bateau grec Peleus, Eck a essayé de couler les chaloupes en les canonnant. Il a donné comme motif que, ce faisant, il voulait écarter les épaves et éviter d’être repéré par l’aviation ennemie. Il reconnaît avoir eu à son bord l’ordre du Laconia ; mais il estime que cet ordre n’a pas exercé la moindre influence sur sa décision. En vérité, il n’y avait même pas pensé. Il a été instruit par Möhle mais n’a jamais entendu dire quoi que ce soit qui se rapportât à la destruction des naufragés que l’on souhaitait. Il avait tout ignoré de l’exemple de l’U-386. A la fin de son interrogatoire, Eck déclare qu’il avait compté sur une approbation de l’amiral Dönitz. En outre, hier, au cours du contre-interrogatoire, a été entamée à nouveau la question de savoir si l’amiral Dönitz...

LE PRÉSIDENT

Docteur Kranzbühler, nous allons suspendre l’audience pour quelques minutes.

(L’audience est suspendue.)
LE PRÉSIDENT

Docteur Kranzbühler, le Tribunal, comme vous le savez, a l’intention de traiter les demandes de productions de documents et de citations de témoins. Mais si vous pouviez en terminer avec vos documents brièvement, le Tribunal souhaiterait que vous continuiez ; ce serait préférable.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Monsieur le Président, même en maintenant le rythme que j’ai suivi jusqu’ici, il me faudra encore une heure. C’est pourquoi je vous demanderai de ne continuer que lundi matin.

LE PRÉSIDENT

Docteur Kranzbühler, si vous l’estimez, nous remettrons naturellement la suite de vos explications à lundi matin, mais le Tribunal espère que vous n’aurez vraiment pas besoin de tant de temps. Il n’est pas utile, pour le Tribunal, que vous entriez dans de tels détails. Vous aurez encore une fois l’occasion d’approfondir tous ces documents, aussi bien dans votre plaidoirie que pendant les délibérations du Tribunal.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Monsieur le Président, je me bornerai à n’exposer que leur contenu, mais maigre cela, je crois qu’il serait préférable de reprendre ces explications lundi.

LE PRÉSIDENT

Très bien. Le Tribunal va maintenant s’occuper des requêtes. Êtes-vous d’accord, Sir David ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Plaise au Tribunal. La première requête est celle de l’accusé von Schirach, qui demande la citation d’un certain Hans Marsaleck comme témoin. Le Ministère Public a déjà déposé un affidavit de l’intéressé et n’a aucune objection à ce qu’il soit cité.

Votre Honneur, la seconde demande de l’accusé von Schirach concerne un dénommé Kauffmann. La Défense, au lieu de le citer, veut lui faire remplir des questionnaires ; il est déjà admis comme témoin. Il n’y a aucune objection.

Ensuite, Votre Honneur, vient une requête du Dr Seidl au nom de l’accusé Hess. Il demande cinq documents sur le Pacte germano-soviétique d’août et septembre 1939, et aussi la citation de l’ambassadeur Gaus comme témoin. Cela nous entraînerait trop loin de nous reporter à toutes les requêtes antérieures. Sans entrer dans les détails, je dirai pourtant au Tribunal que cette affaire a déjà été évoquée six fois à d’autres occasions. Mais je peux en donner les détails si le Tribunal le désire.

LE PRÉSIDENT

Non, car le Tribunal a ordonné la traduction de ces documents, n’est-ce pas ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Et nous avons décidé d’en délibérer après cette traduction.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui, Votre Honneur, le Tribunal a donné ordre le 25 mars que les documents soient traduits. Je veux seulement rappeler que, le 28 mars, la demoiselle Blank, secrétaire privée de l’accusé von Ribbentrop, a été interrogée sur cette convention, et Votre Honneur se rappellera sans doute que mon ami, le général Rudenko, avait soulevé une objection. Mais le Tribunal a décidé que ces questions étaient recevables et le témoin a déclaré qu’il connaissait l’existence du pacte secret, mais n’a donné aucun détail.

Le 1er avril, au cours du contre-interrogatoire de l’accusé Ribbentrop par le Dr Seidl, l’affidavit Gaus a été lu, et le 3 avril, le Dr Seidl a demandé la citation des témoins Hilger et Weizsäcker. Le 15 avril enfin, celle de l’ambassadeur Gaus.

Le 17 avril, Votre Honneur, le Tribunal en a délibéré. J’ai déclaré, considérant la décision déjà prononcée par le Tribunal, que je ne pouvais attaquer la question de cet accord, mais j’ai soulevé une objection contre les témoins. Le général Rudenko, je crois, a déclaré qu’il avait formulé sa réclamation par écrit, et le Tribunal a répondu qu’il en délibérerait. En ce qui concerne les cinq documents, Votre Honneur, il semble que l’affidavit du Dr Gaus soit déjà déposé comme preuve. C’est le premier affidavit, Votre Honneur. Le deuxième affidavit du Dr Gaus n’a pas été déposé comme preuve.

Le Pacte de non-agression entre l’Allemagne et l’Union Soviétique est déposé. En ce qui concerne l’additif secret au Pacte de non-agression entre l’Allemagne et l’Union Soviétique, le texte en a été déposé ; il figure dans l’affidavit Gaus. Ensuite, Votre Honneur, nous avons le Pacte d’amitié germano-soviétique du 28 septembre 1939 concernant les frontières et l’additif secret à ce pacte Le Ministère Public estime que ces documents ne sont pas pertinents pour la défense de l’accusé Hess, et ne voit pas pour quelle raison ils sont demandés. Si c’est nécessaire, mon collègue soviétique peut prendre position à ce sujet ; nous exposons en outre que le deuxième affidavit de l’ambassadeur Gaus, en présence du précédent, est superflu. Sans même avoir besoin de donner de nouvelles explications, je réitère mes objections contre l’audition des témoins des négociations qui ont mené à la conclusion de ce traité. Il est exposé que ce n’est, en vérité, nullement pertinent et que, pour cette raison, il n’est pas nécessaire de faire perdre du temps au Tribunal. Je ne sais, Votre Honneur, s’il serait opportun...

LE PRÉSIDENT

Sir David, le Tribunal, comme je l’ai déjà dit en délibérera. Il n’a pas encore eu le loisir de délibérer sur ces documents, mais je voudrais vous demander s’il y a une raison quelconque pour citer l’ambassadeur Gaus comme témoin.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Aucune, Votre Honneur.

LE PRÉSIDENT

II a déjà exposé la teneur de ce document, de même que l’accusé Ribbentrop. Si ces documents sont déposés maintenant — à supposer que le Tribunal soit d’avis de les admettre — il serait absolument superflu de citer Gaus comme témoin.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui, c’est aussi mon opinion, Votre Honneur.

LE PRÉSIDENT

Je crois que le Tribunal ferait mieux d’examiner ces documents, comme il en avait déjà décidé, aussitôt qu’ils auront été déposés.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Comme il plaira à Votre Honneur. La requête suivante est au nom de l’accusé Funk ; il demande que soit donnée lecture de l’affidavit du témoin Kallus. Il lui a déjà été accordé de soumettre un questionnaire au témoin Kallus, ce qui a été fait, et le questionnaire a déjà été produit. L’affidavit dont il s’agit ici, et qu’il a reçu, complète ce questionnaire, et le Ministère Public n’a aucune objection à faire.

La demande suivante est de l’accusé Streicher ; il désire la citation du témoin Gassner, qui déposerait sur le tirage et les recettes du Stürmer. Le Ministère Public estime qu’il est inutile d’entendre un témoin sur la situation du Stürmer après 1933, car une quantité imposante d’exemplaires en a été produite et le Tribunal sait à quoi s’en tenir quant à leur contenu. En ce qui concerne le tirage, l’accusé Streicher, aussi bien que le témoin Hiemer, ont déjà déposé, et il est à remarquer que les recettes du Stürmer et leur utilisation sont de peu d’importance pour le Tribunal.

La demande suivante, Votre Honneur, est formulée par l’accusé Sauckel qui désirerait que fût cité un témoin du nom de Biedermann, à la place d’un autre témoin qui reste introuvable. Le Ministère Public n’a aucune objection à formuler non plus en ce qui concerne les documents demandés. Avec l’autorisation du Tribunal, je ne m’étendrai pas sur ce sujet.

LE PRÉSIDENT

Sir David nous aimerions savoir quel moment vous jugez le plus opportun pour l’interrogatoire des témoins cités pour les accusés dont le cas a déjà été traité. Devons-nous y procéder après l’exposé des preuves ou avant ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Votre Honneur, je crois qu’il vaudrait mieux les entendre avant, si le Tribunal pouvait, par exemple, réserver pour cela un samedi matin ; ou alors plus tôt, avant que l’exposé des charges relevées contre chacun des accusés ait été épuisé.

LE PRÉSIDENT

Nous allons en délibérer et vous le ferons savoir ultérieurement.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Comme vous le désirerez, Monsieur le Président. La demande suivante est présentée par l’accusé Seyss-Inquart, qui désirerait qu’un questionnaire fût présenté au Dr Stuckart, afin de compléter les dépositions du témoin Lammers. Le Ministère Public n’y voit aucune objection, mais se réserve le droit, ou prie le Tribunal, de lui réserver le droit de procéder à un contre-interrogatoire.

L’accusé Frick demande ensuite qu’un Dr Konrad vienne témoigner sur la persécution des Églises. Le Ministère Public croit qu’un questionnaire suffirait, mais je crois qu’il y a là une légère confusion. Il m’apparaît qu’il s’agit ici d’un affidavit. Le texte original de la demande est celui-ci : « En complète opposition avec l’accusation d’avoir pris part aux persécutions religieuses, un affidavit de ce témoin prouvera que Frick a, au contraire, énergiquement défendu l’Église ». Il ne s’agit donc ici que de décider si un affidavit ou un questionnaire sera admis, mais non pas la comparution personnelle du témoin ou un questionnaire.

En ce qui concerne la demande de l’accusé Göring, je ne l’exposerai pas, car mon ami le colonel Pokrovsky va la présenter. Je passe aux requêtes des accusés Hess et Frank. Le docteur Seidl souhaiterait — s’il m’est permis de citer ici la note du Secrétaire général — « avoir des renseignements officiels du ministère de la Guerre américain ou d’un autre service de l’« Office of Strategic Services ». Il prétend avoir besoin de ces renseignements officiels pour établir la preuve que le témoin Gisevius a fait un faux-témoignage, et le prouvant, ébranler ainsi le degré de confiance qu’on peut lui accorder. Il prétend en outre que ce faux-témoignage consiste en ce que, au cours de l’interrogatoire, Gisevius a nié avoir travaillé pour une puissance étrangère et avoir obtenu des avantages d’une puissance en guerre avec l’Allemagne. Ce témoignage est en contradiction avec sa déclaration, selon laquelle il aurait entretenu des relations politiques amicales avec le Service de renseignements américain ; il contredit également d’autres récits publiés ultérieurement. Ces renseignements officiels sont donc demandés pour confirmer l’exactitude de ces deux faits, qui seraient en contradiction avec les dires antérieurs du témoin. Au cas où le Tribunal estimerait qu’une telle communication officielle est irrecevable, ou insuffisante, ou si le ministère de la Guerre américain refusait de donner un tel renseignement, il est demandé que le ministre de la Guerre américain, M. Patterson, soit interrogé comme témoin sur les points essentiels.

Je traite cette affaire, Votre Honneur, uniquement du point de vue de la jurisprudence, et j’expose que l’opinion anglaise est raisonnable et que le Tribunal se doit d’agir en conséquence. D’après le Droit anglais, tel que je le comprends, si l’on a contre-interrogé un témoin sur sa propre crédibilité, on est lié par ses réponses. Il existe une seule exception à cette règle, mentionnée, si j’ai bonne mémoire, dans Criminal Evidence de Roscoe : si l’on contre-interroge un témoin sur sa crédibilité, on peut citer un autre témoin qui puisse déposer qu’il connaît la réputation générale du témoin contre-interrogé, et que, en raison de cette réputation, et seulement pour ce motif, il ne lui accorde aucune créance. C’est la seule exception que je connaisse, aux termes de la jurisprudence anglaise.

LE PRÉSIDENT

Et on peut ainsi le confondre, s’il est contre-interrogé en matière de crime ou de délit.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Certainement ; vous avez parfaitement raison, Monsieur le Président. J’aurais dû considérer ce cas comme une exception : s’il est contre-interrogé sur un point bien particulier, la preuve de ce dernier doit être rapportée. Je vous en remercie infiniment, Monsieur le Président. Mais le Droit anglais n’admet pas, lorsqu’un témoin a été entendu sur des faits susceptibles de montrer la créance à lui accorder, l’apport d’éléments nouveaux sur ce point, à moins qu’il ne s’agisse d’une décision de justice. Je voudrais également faire observer que le principe « Interest rei publicae ut sit finis litium », qui est admis par toutes les jurisprudences, doit trouver ici son application et étaye mon point de vue. Je vous demande pardon, je vous en donne la traduction : « Il est de l’intérêt de la société que les débats aient une fin ».

Monsieur le Président, si l’on dépassait les limites fixées par le Droit anglais, on pourrait adresser des requêtes de preuves destinées à ébranler la créance des témoins de l’Accusation. Le Ministère Public répondrait par de nouvelles requêtes aux fins de production de preuves susceptibles d’ébranler à leur tour la créance des témoins venus mettre en cause ces témoins de l’Accusation. De cette façon, nous ne verrions pas la fin des débats. Aussi, Monsieur le Président, est-ce pour cette raison d’ordre général — je ne veux pas exprimer ici des déductions académiques, puisqu’il ne s’agit que d’un principe d’importance pratique destiné à maintenir un procès dans des limites acceptables — que je conclus au rejet de cette requête.

Je crois, Monsieur le Président, en avoir, terminé avec toutes ces questions en suspens, à l’exception de la requête de l’accusé Göring dont va maintenant s’occuper mon ami, le colonel Pokrovsky.

COLONEL POKROVSKY

Monsieur le Président, l’accusé Göring a demandé la citation de nouveaux témoins à propos des exécutions massives de la forêt de Katyn afin de rechercher le rôle joué par la Wehrmacht en la circonstance. En d’autres termes, il veut démontrer que l’Armée allemande n’a rien eu à voir avec cette provocation de Hitler. Le Ministère Public soviétique s’élève catégoriquement...

LE PRÉSIDENT

Colonel Pokrovsky, nous connaissons parfaitement cette affaire, puisque nous nous en sommes déjà occupés. Vous n’avez pas besoin d’entrer dans les détails, car, si je le comprends bien, il s’agit en l’occurrence de nouveaux témoins dont l’audition n’a pas encore été demandée.

COLONEL POKROVSKY

Je pensais que de nouveaux témoins étaient demandés et, partant de cette idée, je voulais exposer au Tribunal notre point de vue exact, c’est-à-dire celui du Ministère Public soviétique, sur la citation de nouveaux témoins. Je n’ai aucunement l’intention de traiter à fond l’incident de Katyn. Le Ministère Public soviétique a, dès le début, considéré le cas Katyn comme un fait notoirement connu, et le Tribunal, en constatant le peu de place que nous avons réservé à ce crime dans notre Acte d’accusation, comme aussi le fait que nous n’avons lu que quelques extraits de l’exposé de la commission, a pu discerner que nous n’y attachons qu’un caractère épisodique. Si cependant la question, dont vient de parler mon collègue Sir David Maxwell-Fyfe, devait être soulevée, c’est-à-dire si le Tribunal devait avoir des doutes sur la pertinence des documents et des dépositions de témoins, nous serions alors dans l’obligation de produire de nouvelles preuves, afin de réfuter celles qui seraient à nouveau présentées par la Défense.

Si le Tribunal juge indispensable de devoir admettre de nouveaux éléments de preuves, c’est-à-dire deux nouveaux témoins pour l’affaire des exécutions de la forêt de Katyn, le Ministère Public soviétique considérera comme indispensable de citer environ dix nouveaux témoins, experts et spécialistes, ainsi que de produire au Tribunal les nouvelles pièces mises à notre disposition, à savoir de nouveaux documents qui viennent de nous parvenir, et de lire pour son inscription au procès-verbal le compte rendu complet de la commission, dont quelques extraits ont été lus devant le Tribunal. Je crains que cela ne retarde beaucoup les débats et ne nous fasse perdre non seulement des heures, mais des journées entières.

En ce qui nous concerne, ce n’est pas indispensable, et nous estimons que cette mesure doit être rejetée comme n’étant ni pratique, ni absolument nécessaire.

Telle est, Votre Honneur, la déclaration que j’avais à faire quant à la requêté formulée par l’accusé Göring.

Je voudrais maintenant ajouter quelques mots à la proposition de Sir David au sujet de la demande du Dr Seidl. Je ne désire pas m’étendre sur les raisons pour lesquelles nous soutenons pleinement Sir David et qui nous font repousser cette demande. Je remarque seulement que j’ai signé ce matin un document, remis au Tribunal, exposant en détail nos arguments sur ce point. Comme ce document a été déposé, j’ai eu ainsi l’occasion de faire connaître clairement notre position au Tribunal, en lui évitant une perte de temps.

LE PRÉSIDENT

Il n’est pas nécessaire de donner la parole à l’avocat de l’accusé Schirach car il n’est fait aucune objection à ses deux requêtes relatives au témoin Marsalek et au questionnaire pour le Dr Kauffmann.

Quant au cas de l’accusé Hess, le Tribunal en délibérera ainsi qu’il a été annoncé lors d’une décision précédente. En ce qui concerne l’accusé Funk, il n’y a aucune objection contre l’affidavit et nous n’avons pas besoin de nous y arrêter, à moins que l’avocat de Funk n’ait quelque chose à proposer au Tribunal.

S’agissant de l’accusé Streicher, une objection a été soulevée contre le témoin Gassner. L’avocat de l’accusé Streicher désire peut-être exprimer ce qu’il a à dire à ce sujet ? (Pas de réponse.)

Le Tribunal en délibérera donc.

Pour le cas Sauckel, aucune objection n’a été faite. Pour le cas Seyss-Inquart, pas d’objection à la demande de questionnaire.

Pour le cas de l’accusé Frick, Sir David a proposé un questionnaire. Il n’est pas très clairement établi si un questionnaire a été demandé. L’avocat de l’accusé Frick est-il ici ? (Pas de réponse.)

Nous en délibérerons. Le Tribunal délibérera sur les demandes de l’accusé.

Docteur Seidl, avez-vous une déclaration à faire intéressant Hess et Frank à propos de la déposition de Gisevius ?

Dr SEIDL

Monsieur le Président, la demande de renseignements officielle au ministère de la Guerre a été faite simplement pour obtenir des justifications utiles du crédit à accorder au témoin Gisevius. Ensuite, j’ai transmis une requête aux fins d’audition du ministre de la Guerre américain Patterson au moyen d’un questionnaire se rapportant au même sujet, et le lendemain une semblable requête pour le chef de l’OSS, le général Donovan, et sous la forme d’un questionnaire. Je crois que cette nouvelle demande est entre les mains du Tribunal ; je ne l’ai remise que parce que le premier témoin nommé Patterson n’a été ministre de la Guerre que très peu de temps et qu’il semblerait opportun de citer comme témoin le chef même de cet organisme. Pour fonder ces requêtes, je me réfère à mon exposé écrit du 1er mai de cette année, que j’ai joint au formulaire comme annexe n° 1, et à l’annexe n° 2, qui est l’information de l’Associated Press relative à ce fait. Je voudrais maintenant répondre brièvement à ce que Sir David Maxwell-Fyfe a dit hier.

En ce qui concerne la question de savoir si des témoins de moralité, qui ont à déposer sur le crédit à accorder à d’autres témoins, peuvent être admis, la question n’est nullement liée par une réglementation quelconque. Ni le Statut du Tribunal Militaire International, ni les règles de la procédure ne contiennent de dispositions quelconques à ce sujet. A mon avis, il est laissé exclusivement au libre arbitre du Tribunal de décider si, et dans quelles circonstances, de tels modes de preuves supplémentaires, se rapportant au crédit à accorder à un témoin, sont pertinents ou non. Dans la procédure pénale allemande, de tels modes de preuves sont admis d’office. Le Tribunal n’étant dans sa procédure, lié par de quelconques prescriptions, je ne vois aucune raison de se baser sur un quelconque usage de la procédure anglo-américaine, alors que le Statut n’a donné comme base ni la procédure anglo-américaine, ni la procédure européenne mais qu’il s’agit ici, au contraire, d’un procès et de règles de procédure qui suivent leur propre chemin et laissent le champ tout à fait libre à l’appréciation du Tribunal.

C’est tout ce que je désirais dire à ce sujet.

LE PRÉSIDENT

Un instant, Docteur Seidl. Les questions que vous voulez poser sur le témoin Gisevius ne concernent-elles que la créance à lui accorder ?

Dr SEIDL

Dans ma requête écrite, j’ai déjà spécifié qu’il ne s’agissait pas pour moi de savoir si, le cas échéant, le témoin Gisevius s’était rendu coupable d’une action qui, d’après le Droit allemand, pouvait être considérée peut-être comme une trahison. Cette question, je l’ai posée simplement en vue de l’examen du crédit à accorder à ce témoin devant ce Tribunal.

LE PRÉSIDENT

Cela aussi, je l’ai admis. J’ai encore une autre question à poser. Ces traités ou pactes qui, d’après vous, existaient entre l’Union Soviétique et l’Allemagne, ont-ils été imprimés et publiés ? Tous ces documents, que vous désirez utiliser, ont-ils été ronéotypés pour être distribués aux membres du Tribunal ?

Dr SEIDL

Monsieur le Président, le 13 avril de cette année, j’ai remis six copies de ces cinq documents à M. le Secrétaire général et, de plus, j’ai également transmis un nombre correspondant de documents au Ministère Public. Tous ces documents sont tapés à la machine ou ronéotypés.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

Dr SEIDL

Puis-je me permettre d’ajouter quelque chose ? A l’occasion d’une affaire précédente, le Tribunal a admis comme preuve la déclaration sous serment de l’ambassadeur Gaus. Cette première déclaration sous serment est un résumé de ces accords secrets. Je suis donc d’avis...

LE PRÉSIDENT

Je le sais, oui.

Dr SEIDL

... que si l’on est en possession des traités eux-mêmes, on devrait recourir à ces traités et ne pas se contenter d’un simple résumé. Si le Tribunal le désire et si l’on considère que c’est indispensable, alors je serais prêt, au point actuel des débats ou à une phase ultérieure, à discuter la pertinence de ces traités.

Je n’ai noté que huit points qui me semblent donner à ces accords un caractère pertinent et je me permettrai peut-être encore de dire que ces traités supplémentaires...

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal a déjà décidé que ces documents lui seraient soumis, et il les étudiera. C’est donc bien notre intention et il n’est pas nécessaire d’entrer maintenant dans les détails. Nous en délibérerons.

Dr SAUTER

Monsieur le Président, lors de l’interrogatoire de l’accusé Funk, on a projeté ici un film et on a lu une déclaration sous serment d’un témoin, Emil Puhl, qui était vice-président de la Reichsbank. Sur ma demande, le Tribunal avait alors décidé que ce témoin Emil Puhl serait cité, en vue d’un contre-interrogatoire. Or, je voudrais maintenant vous prier de compléter votre décision, car j’estime qu’il est utile que ce témoin voie ce film, que vous avez vu vous-même il y a quelques jours, afin qu’il puisse dire si effectivement les coffres-forts de la Reichsbank avaient l’aspect présenté sur cette bande. C’est pour cela que je vous demande, Monsieur le Président, de bien vouloir ordonner que ce petit film, qui nous a été présenté deux fois, soit projeté devant le témoin avant son interrogatoire. Il n’est pas nécessaire, naturellement, de le faire au cours des audiences du Tribunal, mais simplement en présence d’un représentant du Ministère Public et en ma propre présence, et hors de l’audience. J’ai un certain nombre de questions à poser au témoin, et il est nécessaire qu’il voie le film au préalable. C’est la requête que je désirais vous présenter aujourd’hui, afin qu’il ne survienne pas de difficultés au moment de l’interrogatoire du témoin Puhl.

LE PRÉSIDENT

Le témoin Puhl connaît-il les chambres blindées de la banque de Francfort qui ont été photographiées ?

Dr SAUTER

Oui.

LE PRÉSIDENT

Il était directeur à Berlin, n’est-ce pas ?

Dr SAUTER

Oui. Mais je suppose, Monsieur le Président, que le témoin Puhl, qui était vice-président et régent, connaissait également les coffres-forts de la Reichsbank à Francfort et, en outre, je crois que les coffres des différentes succursales de la Reichsbank étaient construits d’après le même système et les mêmes principes. D’ailleurs, il pourra nous dire aussi si cette façon de conserver les dépots, telle que nous la présente ce film correspond effectivement à la façon de procéder de la Reichsbank, en la matière.

LE PRÉSIDENT

Le Ministère Publie américain a-t-il quelque chose à dire à ce sujet ?

M. RALPH G. ALBRECHT (Procureur adjoint américain)

Monsieur le Président, je crois que nous montrerons volontiers au témoin, avant qu’il ne soit entendu en contre-interrogatoire par le Dr Sauter, ce document qui concerne cette affaire.

LE PRÉSIDENT

Bien. La meilleure façon de procéder serait peut-être de projeter le film, comme le Dr Sauter l’a suggéré, dans une autre salle du Palais, et pas nécessairement dans la salle d’audience.

M. ALBRECHT

Oui, nous pouvons le faire en présence du représentant du Ministère Public.

LE PRÉSIDENT

Vous pourrez vous entendre à ce sujet avec le Dr Sauter.

M. ALBRECHT

Très bien, Monsieur le Président.

Dr SAUTER

Je vous remercie.

LE PRÉSIDENT

Docteur Sauter, a-t-on fixé la date à laquelle on doit entendre le témoin Puhl ?

Dr SAUTER

Non, pas encore. A ma connaissance, la témoin se trouverait déjà ici, mais je ne sais quand il sera entendu. Je m’en remets entièrement au Ministère Public.

LE PRÉSIDENT

Quand sera-ce le plus opportun ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Votre Honneur, M. Dalton propose que ce soit après conclusion des explications de l’accusé Dönitz.

LE PRÉSIDENT

Ne serait-ce pas préférable d’intercaler l’interrogatoire après le cas Raeder, car ces deux affaires sont en liaison assez étroite ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Si le Tribunal le préfère, nous pouvons en terminer après le cas Raeder.

LE PRÉSIDENT

Je ne sais pas si le Dr Kranzbühler et le Dr Siemers sont aussi d’accord.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Oui.

LE PRÉSIDENT

Peut-être pourriez-vous vous entendre avec eux.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Certainement, Votre Honneur.

LE PRÉSIDENT

Nous pourrions entendre le témoin Puhl dès que possible, soit après l’examen des preuves de l’accusé Dönitz, soit après celui de l’accusé Raeder, comme vous le préférez.

Dr LATERNSER

Monsieur le Président, je désire faire savoir au Tribunal que je suis intéressé aux requêtes introduites par mon confrère, le Dr Stahmer, pour l’accusé Göring et en vue d’élucider l’affaire de Katyn, eu égard aussi à mes commettants.

J’ai retenu de l’ensemble des explications données par M. le représentant du Ministère Public soviétique que cet ensemble de charges était imputé également à l’État-Major général et à l’OKW, bien qu’aucune preuve n’ait été fournie établissant que ces événements se soient produits sur l’ordre ou avec l’assentiment de l’État-Major Général ou de l’OKW.

LE PRÉSIDENT

Docteur Laternser, tous les accusés n’y sont-ils pas également intéressés ?

Dr LATERNSER

Oui, certes, mais je voulais simplement dire au Tribunal que je suis intéressé aux demandes présentées par mon confrère, le Dr Stahmer, et je vous prie de leur donner une suite favorable, car nous avons convenu d’une division du travail et c’est pour cette raison que la requête du Dr Stahmer a été faite. C’est ce que je tenais à préciser au Tribunal.

Je voulais encore souligner que, il y a peu de temps, lorsque mon confrère, le Dr Nelte, a renoncé à l’audition du témoin Halder pour l’accusé Keitel, j’ai attiré l’attention du Tribunal sur le fait que cette renonciation portait atteinte à mes droits et qu’il fallait que le témoin Halder fût cité par le Ministère Public soviétique pour un contre-interrogatoire. Et le Tribunal, à cette occasion, m’a laissé entendre — et cela m’a été confirmé ensuite par la lecture du procès-verbal — que le témoin Halder serait cité en vue d’un contre-interrogatoire. Le Tribunal avait alors exprimé l’intention de me faire connaître sa décision les jours suivants. Bien qu’un assez long temps se soit écoulé, cette décision ne m’a pas encore été communiquée. C’est ce que je voulais faire remarquer au Tribunal.

LE PRÉSIDENT

Il n’a pas encore été délibéré sur vos témoins, n’est-ce pas ? Vous n’avez pas encore fait de requêtes aux fins de citations ? Elles n’ont pas encore été présentées. L’affaire n’a pas encore été traitée ?

Dr LATERNSER

Monsieur le Président, il surgit le même malentendu que lorsque j’ai attiré votre attention sur le fait que la renonciation au témoin Halder portait atteinte à mes droits. Les faits sont là : le Ministère Public soviétique avait présenté un affidavit du général Halder, et devant l’objection de la Défense, faite aussi en mon nom, le Tribunal a décidé que le témoin Halder serait entendu au cours d’un interrogatoire. C’est pourquoi le moment est opportun d’attirer à ce sujet l’attention du Tribunal.

LE PRÉSIDENT

C’est l’opportunité du moment qui est en question. Vous aurez tout loisir de l’interroger ; il s’agit seulement de savoir quand. Vous désirez procéder personnellement à ce contre-interrogatoire pour l’OKW. ?

Dr LATERNSER

Oui.

LE PRÉSIDENT

Nous en délibérerons, Docteur Latemser. Le Tribunal va maintenant suspendre les débats.

(L’audience sera reprise le 13 mai 1946 à 10 heures.)