CENT VINGT-HUITIÈME JOURNÉE.
Lundi 13 mai 1946.

Audience du matin.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Avec l’autorisation du Tribunal, j’aimerais pouvoir présenter la fin de ma documentation et ensuite citer, comme premier témoin, l’amiral Wagner.

Mon prochain document sera la pièce Dönitz n° 37. C’est un extrait des Dokumente der Deutschen Politik sur l’affaire de l’Altmark. Je n’en donnerai pas lecture. Le capitaine de l’Altmark montre dans son rapport comment les matelots de l’Altmark furent mitraillés alors qu’ils cherchaient à fuir soit à la nage, soit sur les glaces. Il y eut sept morts. Vous le trouverez à la page 78 du deuxième livre de documents, Monsieur le Président. Le document montre que cette opération recueillit en général la plus complète approbation, en dépit des incidents sanglants précités qui, indubitablement, ont dû d’autre part être regrettés au plus haut point par l’Amirauté britannique.

Le document suivant, la pièce Dönitz n° 39, a déjà été lu en partie par Sir David Maxwell-Fyfe lors du contre-interrogatoire. Vous le trouverez reproduit aux pages 81 et suivantes. Il traite de la question des représailles. Il faisait suite à une information rapportant le mitraillage des naufragés du mouilleur de mines allemand Ulm. A la page 83 sont catalogués toute une série d’incidents semblables rapportés à l’époque à l’État-Major naval d’opérations qui sont autant d’exemples de canonnades de naufragés par les unités de la Marine de guerre alliée. Ce qui m’importe, ce ne sont pas tant ces douze exemples que la prise de position de l’État-Major naval d’opérations accompagnant ces exemples lors de leur communication au Haut Commandement de la Wehrmacht. Ce document est si important que j’aimerais lire les trois phrases qui le constituent. Vous les trouverez à la page 83, en haut :

« Conformément aux instructions reçues, sont communiqués ci-dessous les incidents précédemment signalés. En ce qui concerne l’exploitation de ces faits, il doit être également tenu compte de ce que : a) Une partie de ces événements sont advenus alors que les opérations militaires n’étaient pas encore terminées ; b) Des naufragés nageant en surface prennent facilement pour eux des coups manquant leur but et qui ne leur sont pas destinés. Aucun service n’a constaté jusqu’ici d’ordre, soit écrit soit oral, prescrivant la mise en action de l’armement contre les naufragés. »

L’idée de représailles n’est pas tant née dans le commandement que parmi les équipages des navires, au front.

Le document suivant, la pièce Dönitz n° 41, reproduit à la page 87 l’entretien d’un commandant de navire avec le Grand-Amiral Dönitz. Cet entretien date de juin 1943 et le capitaine de corvette Witt en rend compte dans une déclaration sous serment. A la suite des récits d’attaque par l’aviation anglaise de sous-marins allemands naufragés, il se répandit l’idée parmi les équipages que l’on devait par représailles tirer également sur les naufragés des navires ennemis coulés.

Mais il est dit dans l’affidavit, au troisième paragraphe : « Le Grand-Amiral repousse avec la dernière énergie l’idée que l’on puisse continuer à attaquer un adversaire devenu sans défense à la suite des péripéties du combat. Cette idée est incompatible avec notre façon de faire la guerre ».

Je voudrais également, à la suite du document GB-205 du Ministère Public, produire un document qui m’est propre et qui prend position sur la question du terrorisme. Il s’agit d’un extrait d’un document GB-194 du Ministère Public, reproduit à la page 91. Il traite de la question de savoir si, en cas de sabordage de bâtiments allemands, on doit sauver les équipages. La presse française nie une telle obligation, considérant les besoins pressants des Alliés en tonnage Cet entrefilet rapporte plus loin la nouvelle selon laquelle les navires de guerre anglais auraient également reçu des instructions spéciales leur enjoignant à l’avenir d’éviter les bateaux allemands en train de se saborder.

Je voudrais maintenant bien établir qu’aucun commandant ne peut prendre de mesures de sauvetage s’il expose par là même un bâtiment toujours précieux. Sur la question, je produirai le document Dönitz-90 reproduit à la page 258 du livre de documents n° 4. Il s’agit d’une déposition sous serment du vice-amiral de réserve Rogge. Il rapporte, qu’en novembre 1941, le croiseur auxiliaire à bord duquel il était fut coulé à grande distance par un croiseur britannique. Les survivants se réfugièrent à bord des embarcations de sauvetage qui furent remorquées par un sous-marin allemand jusqu’à un ravitailleur allemand. Ce navire ravitailleur fut à son tour, quelques jours plus tard, coulé à grande distance par un croiseur britannique et les survivants se réfugièrent à nouveau à bord des embarcations et sur des radeaux. La déposition sous serment se termine par ces mots : « Dans les deux cas de naufrage, et sans doute en raison des dangers encourus par les croiseurs britanniques eux-mêmes, aucune tentative ne fut faite pour recueillir même une faible partie de l’équipage. »

Le principe suivant lequel on ne doit pas risquer un bâtiment de valeur, même pour sauver des marins amis, est exprimé de façon extrêmement claire et avec brutalité dans les ordres de l’Amirauté britannique, que j’ai déposés comme document Dönitz n° 67. L’extrait est reproduit à la page 96. Il y est dit : « Assistance aux navires attaqués par sous-marin : aucun navire marchand britannique de haute mer ne doit porter secours à un navire attaqué par un sous-marin. Les petits caboteurs, les chalutiers et autres unités de faible tirant d’eau doivent prêter toute l’assistance en leur pouvoir. »

Le document suivant porte le numéro Dönitz-44 : il est reproduit à la page 97. Il s’agit d’un questionnaire adressé en vertu d’une décision du Tribunal au vice-amiral Kreisch, actuellement prisonnier des Anglais, en vue de recueillir son témoignage.

De janvier 1942 à janvier 1944, il fut chef de l’arme sous-marine en Italie, donc responsable de la guerre sous-marine en Méditerranée. D’après sa déposition, il ne connaît aucun ordre demandant ou suggérant la suppression des rescapés. Tout ce qu’il a prescrit aux commandants de sous-marins, c’est de ne pas compromettre par des opérations de sauvetage ni la mission assignée, ni la sécurité du bâtiment.

Je voudrais maintenant, à propos de la question de savoir si l’amiral Dönitz était membre du Gouvernement du Reich, prier le Tribunal de prendre officiellement acte de la loi militaire allemande de 1935, reproduite à la page 105 du livre de documents numéro 2. Le paragraphe 3 montre que la Wehrmacht ne possédait qu’un seul ministre, le ministre de la Guerre du Reich. Le paragraphe 37, reproduit à la page suivante, montre que le droit de prendre des ordonnances avait été conféré à ce seul ministre.

A la page 107, j’ai une fois de plus reproduit le décret déjà présenté au Tribunal sous le numéro PS-1915. Par ce décret du 4 février, le poste de ministre de la Guerre du Reich est supprimé et les tâches de son ministère confiées au chef de l’OKW. La création d’un nouveau ministère de l’Armée de terre ou de la Marine n’est pas, par contre, décidée.

Le Ministère Public dépeint l’amiral Dönitz comme un adhérent fanatique du parti nazi. Le premier document destiné à appuyer cette assertion est daté du 7 décembre 1943. C’est le numéro GB-185. Pour gagner du temps, je renonce à donner lecture de certaines phrases de ce document qui montreraient que tout ce que l’amiral Dönitz a pu dire sur des questions politiques l’était dans le but d’augmenter la cohésion et la force de ses troupes. Je prie le Tribunal de bien vouloir prendre de lui-même acte de ce document que j’ai une fois de plus reproduit aux pages 103 et 104 du volume 2.

Je voudrais simplement attirer l’attention du Tribunal sur le dernier paragraphe de la page 104. Il traite de la question du transfert des chantiers maritimes au ministère de l’Armement à l’automne 1943. Cette question est d’importance pour ce qui est de la détermination de la responsabilité des affectations de main-d’œuvre aux chantiers navals, responsabilité qui a été évoquée ici à plusieurs reprises.

Cette tendance exclusive à l’unité se dégage d’un autre document produit par le Ministère Public. Il s’agit du document GB-186, dans le livre de documents du Ministère Public, page 7. Je donne lecture de la deuxième et de la troisième phrases :

« En tant qu’officiers, nous avons le devoir de veiller à cette unité de notre peuple. Toute désunion se répercuterait sur nos troupes. » Cette pensée est développée dans les phrases suivantes.

LE PRÉSIDENT

Page 7 du mémoire britannique ? Le mien n’a que cinq pages. Parlez-vous du livre de documents ?

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Dans le livre de documents britanniques, pas dans le dossier d’audience, mais dans le livre de documents britannique, Monsieur le Président, les deuxième et troisième phrases, dont je viens de donner lecture.

Que l’amiral Dönitz n’était pas un fanatique du Parti, qu’il se soit au contraire opposé à une influence politique du Parti sur la Wehrmacht, c’est ce que montre mon prochain document, Dönitz-91. Il figure dans le livre de documents numéro 4, page 260. Il s’agit d’une déposition sous serment du chef du département juridique du Haut Commandement de la Marine de guerre, le Dr Joachim Rudolphi. Le Ministère Public soviétique a déjà utilisé ce document pour un contre-interrogatoire. Je voudrais en résumer brièvement le contenu :

« Au cours de l’été 1943, le Reichsleiter Bormann tenta, par l’intermédiaire du ministre de la Justice, de faire enlever aux tribunaux de la Wehrmacht le droit de statuer sur les « affaires politiques » et de transmettre ce droit à la Cour de justice populaire et autres tribunaux. Cette tentative échoua à la suite d’une conférence que l’amiral Dönitz tint en présence du Führer sur cette question et au cours de laquelle il s’opposa énergiquement aux intentions du Parti. Après l’attentat du 20 juillet, Bormann renouvela sa tentative. L’amiral Dönitz s’y opposa une fois de plus, mais cette fois sans succès. Il s’ensuivit une ordonnance du 20 septembre 1944 par laquelle les tribunaux de la Wehrmacht se voyaient enlever le droit de statuer sur toute « affaire politique ».

Cette ordonnance, pourtant signée d’Adolf Hitler, ne fut pas appliquée dans la Marine de guerre, sur l’ordre exprès du Commandant en chef de la Marine de guerre. Je donne lecture de l’avant-dernier paragraphe de la déposition sous serment :

« Cette attitude du Commandant en chef de la Marine eut pour résultat que, seule de toutes les armes, cette dernière n’eut, jusqu’à la fin des hostilités, aucun cas de caractère politique à déférer à la Cour de justice populaire et aux autres tribunaux. »

A la page 113 du tome II de mon livre de documents, j’ai reproduit un assez long extrait du document GB-211 du Ministère Public. Il s’agit d’une requête adressée au Führer par le Commandant en chef de la Marine de guerre en vue de la fourniture à la Marine de guerre et à la Marine marchande de matériaux pour de nouvelles constructions et pour des réparations. Ce document a déjà été abordé par l’amiral Dönitz au cours de sa déposition de son contre-interrogatoire. Je voudrais simplement attirer l’attention du Tribunal sur le fait qu’il s’agit là d’un mémoire de vingt pages dont le Ministère Public a isolé deux points. La genèse de ce document est exposée dans le document Dönitz n° 46, reproduit aux pages 117 et suivantes. Il s’agit d’une déposition sous serment de l’officier qui avait rédigé ce mémoire. Il m’est possible d’en résumer le contenu. Il s’agit dans ce mémoire de mesures qui, à proprement parler, ne sont pas à imputer au Haut Commandement de la Marine de guerre. Elles ont vu le jour à la suite d’une conférence entre tous les services employés à la construction et à la réparation de navires de guerre et de bateaux marchands. Ce mémoire résume toutes ces mesures.

La page 119 donne des explications sur le point particulier soulevé par le Ministère Public concernant le projet d’exercer des mesures de représailles sur les chantiers où s’étaient produits des sabotages. J’insiste particulièrement sur le fait qu’à cette époque, sur huit bateaux qui avaient été construits, sept furent détruits par sabotage. Par représailles, on ne songeait nullement à des mesures terroristes, mais simplement à supprimer certains avantages aux ouvriers et également, le cas échéant, à la concentration des ouvriers de ces chantiers dans des camps à proximité des lieux de travail, de façon à empêcher tout contact avec les agents saboteurs.

A la suite du document GB-209 du Ministère Public, qui traite d’une prétendue violation de la Convention de Genève, je présente le document Dönitz-48, pages 122 et suivantes. Il montre la façon exemplaire dont se voyaient traités les prisonniers de guerre alliés de l’unique camp qui dépendait de l’amiral Dönitz, Commandant en chef de la Marine de guerre. Ce document comporte d’abord une déposition sous serment de deux officiers qui s’occupaient à l’OKW, des questions intéressant ces prisonniers de guerre. Leur déposition révèle que toutes les stipulations de la Croix-Rouge Internationale ont été observées dans ce camp.

L’extrait suivant est un rapport du dernier commandant de ce camp, le capitaine de corvette Rogge. J’aimerais donner lecture du second paragraphe de ce rapport : « Le camp de Westertimke abritait de mon temps de 5.500 à 7.000 en dernier lieu peut-être 8.000 prisonniers de guerre et internés de différentes nationalités, principalement des marins britanniques. Le camp avait une très bonne renommée, et il était généralement reconnu comme le meilleur camp d’Allemagne. Ce dernier point a été formellement confirmé au congrès des médecins britanniques et d’autres nationalités de tous les camps de prisonniers d’Allemagne, qui eut lieu aux environs de décembre 1944 à Schwanenwerder, près de Berlin, dans la propriété de Goebbels. Ce fait a été certifié par le médecin-chef britannique du camp de Westertimke, le major Dr Harvey de la British Royal Army que je cite comme témoin. »

Je donnerai encore lecture, à la page 126, du dernier paragraphe :

« Je suis resté dans ce camp jusqu’à la capitulation comme commandant-adjoint et j’ai, conformément aux ordres, remis le camp aux troupes britanniques qui se montrèrent très satisfaites des conditions qui y régnaient. Ce dernier point m’a été certifié par écrit par le Squadron-Leader A. J. Evans. Je joins à la présente une photocopie de cette attestation. » La photocopie se trouve reproduite à la page suivante. Elle est rédigée comme suit :

« Le capitaine de corvette W. Rogge a été pendant dix mois commandant du camp de Marlag à Westertimke. Tous les prisonniers de ce camp sans exception disent avoir été traités avec équité et égards. »

Suit une déposition sous serment de l’officier instructeur qui a exercé dans ce camp.

Je voudrais faire remarquer que cet officier est né le 17 février 1865 et que cet âge même nous permettrait déjà de rejeter l’hypothèse de l’emploi de méthodes terroristes. Je donne lecture du troisième paragraphe à partir du bas de la page 129 :

« Les moyens de pression ne furent jamais employés, en aucune façon. Lorsqu’un homme mentait, on le renvoyait dans sa chambre et on l’interrogeait de nouveau deux ou trois jours après. Je crois pouvoir dire que, pendant tout ce temps, aucun coup n’a été donné dans le camp nord. »

Je voudrais encore une fois aborder la question du reproche qui a été fait à l’accusé d’avoir, par fanatisme nazi, contribué à prolonger une guerre sans espoir. Je présente le document Dönitz-50. Ce sont des déclarations de l’amiral Darlan, de Chamberlain et de Churchill, en 1940. Elles sont reproduites aux pages 132 et 133 du livre de documents. Elles montrent que les susdites personnalités ont également jugé bon dans ces circonstances critiques de convier leur peuple à une résistance acharnée, avec ou sans succès. Au cours de la déposition qu’il a faite ici, l’amiral Dönitz a donné pour raison de son attitude qu’il voulait sauver les populations allemandes de l’Est. A l’appui de cette affirmation, je vous renvoie au document GB-212 du Ministère Public, à la page 73 du livre de documents britannique. Il s’agit d’un décret du 11 avril 1945 et je donne lecture de deux phrases sous la rubrique 1 : « Une capitulation signifie avec certitude l’occupation totale de l’Allemagne par nos ennemis et sa division sur la base de ce qui a été discuté à Yalta. C’est-à-dire, je vous le rappelle, la cession à la Russie de nouveaux territoires allemands considérables à l’ouest de l’Oder. Ou bien croit-on que les Anglo-Saxons ne tiendront pas leurs engagements, qu’ils s’opposeront par la force des armes à une nouvelle avance des hordes russes en Allemagne et entreront en guerre avec la Russie à cause de nous ? Dans ce sens, il est faux de penser qu’en laissant entrer les Anglo-Saxons dans notre pays, les Russes au moins n’y pénétreront pas. »

Je lirai en outre, page 10 du livre de documents du Ministère Public — excusez-moi, page 11 — le second paragraphe d’un ordre à la Wehrmacht du 1er mai 1945 (document GB-188) :

« Le Führer a décidé que je lui succéderai comme Chef de l’État et comme Chef suprême de la Wehrmacht. Je prends en mains le Commandement suprême de toutes les unités de l’Armée allemande avec la volonté de poursuivre la lutte contre le bolchevisme jusqu’au moment où les forces combattantes et les centaines de milliers de familles de l’Est allemand auront été sauvées de l’esclavage et de l’anéantissement. »

J’en ai terminé, Monsieur le Président, avec la production de mes documents. Il manque encore deux questionnaires du capitaine de vaisseau Rösing et du capitaine de frégate Suhren. D’autre part, il manque également — et je le regrette tout particulièrement — le questionnaire du chef de la flotte américaine, l’amiral Nimitz. Je produirai ces documents aussitôt qu’ils me seront parvenus. Avec l’autorisation du Tribunal, j’aimerais maintenant pouvoir citer comme premier témoin l’amiral Wagner.

M. DODD

Monsieur le Président, pendant que l’on introduit le témoin, je voudrais aborder une question : samedi, si j’ai bien compris, a été soulevée devant le Tribunal la question de la date à laquelle serait appelé le témoin Puhl. Et si j’en crois le compte rendu d’audience, on laisserait aux représentants du Ministère Public et de la Défense le soin de déterminer s’il doit comparaître avant que soit abordé le cas Raeder. Ces raisons sont de deux sortes : premièrement, il est ici en prison pour des raisons d’ailleurs différentes de celles pour lesquelles il a été emprisonné par les Français en zone française et, en second lieu, il importe au lieutenant Meltzer, cet officier qui nous a rendu bien des services dans le cas Funk, de pouvoir rentrer aux États-Unis dès que possible, pour des raisons personnelles impératives et, naturellement, cela ne lui sera pas possible avant que nous en ayons terminé avec le cas Punk. Et, Monsieur le Président, à mon avis, il ne serait pas très long d’entendre ce témoin. Il s’agit uniquement de le contre-interroger à la suite de la déposition sous serment qu’il a faite, et nous serions heureux que son tour vienne lorsqu’on en aura terminé avec le cas Dönitz.

LE PRÉSIDENT

Très bien, Monsieur Dodd. Ce témoin pourra être cité ici pour un contre-interrogatoire à la fin des explications de l’accusé Dönitz. (Le témoin Wagner vient à la barre.)

Voulez-vous décliner vos noms et prénoms, s’il vous plaît ?

TÉMOIN GERHARD WAGNER

Gerhard Wagner.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous répéter après moi la formule du serment : « Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien. » (Le témoin répète le serment.)

Vous pouvez vous asseoir.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Amiral Wagner, quand êtes-vous entré dans la Marine de guerre ?

TÉMOIN WAGNER

Le 4 juin 1916.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Quelles furent vos fonctions au Haut Commandement de la Marine de guerre et quand les avez-vous exercées ?

TÉMOIN WAGNER

De l’été 1933 à l’été 1935, j’ai été rapporteur à l’État-Major d’opérations du Haut Commandement en qualité de lieutenant de vaisseau et de capitaine de corvette. En 1937, de janvier à septembre, j’ai occupé le même poste. D’avril 1939 à juin 1941, j’ai été chef du groupe d’opérations « IA » et, en même temps, premier rapporteur à l’État-Major d’opérations. De juin 1941 à juin 1944, j’ai été chef de l’État-Major d’opérations à la Direction des opérations navales. A partir de juin 1944 jusqu’en mai 1945, j’ai été amiral, chargé de mission en particulier auprès du Commandant en chef de la Marine de guerre.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Vous avez pratiquement été à l’État-Major des opérations navales pendant toute la guerre ?

TÉMOIN WAGNER

Oui, c’est cela.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Quelles étaient les tâches de l’État-Major des opérations navales, d’une façon générale ?

TÉMOIN WAGNER

Toutes les tâches inhérentes à la conduite de la guerre, aussi bien sur mer que celles soulevées par la défense côtière et la protection de la flotte de commerce.

LE PRÉSIDENT

Un instant. Témoin, voulez-vous vous arrêter un peu après que la question a été posée, entre la question et la réponse.

TÉMOIN WAGNER

Très bien. Les tâches de la Direction des opérations navales englobaient toutes les tâches inhérentes à la conduite de la guerre sur mer proprement dite, et relatives à la défense côtière et à la protection de la Marine marchande. De missions à terre, la Direction des opérations navales n’en reçut ni sur le territoire métropolitain, ni dans les territoires occupés.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

La Direction des opérations navales faisait-elle partie du Haut Commandement de la Marine de guerre, de l’OKM ?

TÉMOIN WAGNER

La Direction des opérations navales faisait partie du Haut Commandement de la Marine de guerre.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Quels étaient les rapports entre la Direction des opérations navales et le Haut Commandement de la Wehrmacht ?

TÉMOIN WAGNER

L’OKW promulguait sur l’ordre de Hitler, Commandant suprême de l’Armée, des ordonnances et instructions réglant la conduite des opérations, le plus souvent après en avoir référé à l’État-Major naval d’opérations et étudié la question avec lui quand il s’agissait de sujets particuliers à la guerre navale et, pour toutes les questions générales, sans l’en avoir informé.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

De quelle façon se déroulaient les préparatifs du Haut Commandement de la Marine de guerre en cas de guerre ?

TÉMOIN WAGNER

Ils consistaient en général en des préparatifs de mobilisation, en un enseignement tactique et un examen de la situation stratégique au moment du conflit éventuel.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

L’État-Major naval d’opérations a-t-il reçu, pendant votre séjour, l’ordre de préparer une éventualité de guerre précise ?

TÉMOIN WAGNER

Le premier cas que l’on nous ordonna de préparer fut le « Cas Blanc », la guerre contre la Pologne. Auparavant, nous n’avions préparé que des mesures de sécurité.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Est-ce que des plans furent élaborés en vue d’une guerre navale contre la Grande-Bretagne ?

TÉMOIN WAGNER

Un plan de guerre contre la Grande-Bretagne ? Il n’y en eut pas, en aucune façon, avant le début de guerre. Une telle guerre nous paraissait tout à fait impossible. Étant donné la supériorité écrasante, hors de toutes proportions, de la flotte anglaise et étant donné la position stratégique de premier ordre que l’Angleterre avait sur mer, une telle guerre nous paraissait absolument sans espoir. La seule arme avec laquelle on aurait pu, dans notre état d’infériorité, infliger à l’Angleterre des pertes réelles était le sous-marin. Mais même la construction de l’arme sous-marine n’était en aucune façon prioritaire, ni accélérée. Elle s’effectuait simplement au rythme de la construction des autres types de navires, conformément au programme d’une flotte homogène. Nous possédions au début de la guerre en tout et pour tout 40 sous-marins en état de participer au combat et, si j’ai bonne mémoire, à peine la moitié de ces sous-marins pouvait être engagée dans l’Atlantique, ce qui est moins que rien en comparaison du réseau de communications maritimes dont l’Angleterre, première puissance mondiale en la matière, avait entouré le monde.

Je voudrais indiquer, pour fixer des chiffres, que la flotte anglaise aussi bien que la flotte française, disposaient l’une comme l’autre à cette époque de plus de cent sous-marins.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Le capitaine de vaisseau Dönitz, qui était alors chef des sous-marins, a-t-il eu quoi que ce soit à voir à la préparation de la guerre ?

TÉMOIN WAGNER

Le capitaine de vaisseau Dönitz n’était à cette époque qu’un commandant subalterne du front de mer. Il dépendait du chef de la flotte et avait reçu pour mission, étant donné son expérience de la guerre, d’entraîner la jeune flotte sous-marine et d’en assurer le commandement tactique.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Par lui-même, a-t-il suggéré ou proposé quelque plan de guerre ?

TÉMOIN WAGNER

Non, ces préparatifs de guerre, et spécialement pour ce qui concerne le « Cas Blanc », étaient uniquement l’affaire de la Direction des opérations navales.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

L’amiral Dönitz eut-il connaissance des intentions militaires de l’État-Major naval d’opérations navales ?

TÉMOIN WAGNER

Non.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

L’amiral Dönitz eut-il connaissance des intentions militaires de l’État-Major naval d’opérations antérieurement, au moment où c’eût été nécessaire pour l’exécution des ordres qu’il avait reçus ?

TÉMOIN WAGNER

Non. Il en eut connaissance par les ordres de l’État-Major naval d’opérations.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Amiral Wagner, vous connaissez le protocole de Londres de 1936 sur la conduite de la guerre sous-marine. L’État-Major naval d’opérations tira-t-il quelques conséquences de ce protocole, en ce qui concerne la préparation de la guerre, en particulier en ce qui concerne la conduite d’éventuelles opérations contre le trafic commercial ennemi ?

TÉMOIN WAGNER

Oui, le règlement des prises qui découlait de la guerre mondiale fut remanié et mis en concordance avec la teneur du protocole de Londres. Une commission fut constituée où figuraient des représentants du Haut Commandant de la Marine, des Affaires étrangères, du ministère de la Justice du Reich et des savants.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Ce nouveau règlement des prises fut-il porté à la connaissance des commandants de sous-marins longtemps avant la guerre ou seulement à l’époque où il fut publié, c’est-à-dire peu avant qu’elle n’éclatât ?

TÉMOIN WAGNER

Le nouveau règlement des prises fut publié en 1938, parmi les consignes à l’usage de la Marine de guerre ; il était tenu à la disposition des instructeurs d’officiers. Au cours des manœuvres navales d’automne de 1938, toute une série d’exercices furent mis sur pied dans le but de familiariser le corps des officiers de marine avec ce nouveau règlement des prises.

LE PRÉSIDENT

Où figure ce nouveau règlement des prises dont vous parlez ?

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Ce nouveau règlement des prises auquel je fais allusion, Monsieur le Président, a été publié le 26 août 1939 et il se trouve dans mon livre de documents, page 137, dans le troisième livre.

LE PRÉSIDENT

Je vous remercie.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Je vous demande pardon, Monsieur le Président, il ne s’agit pas du 26, mais du 28 août, Monsieur le Président.

LE PRESIDENT

Le témoin dit que des exercices avaient eu lieu ?

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Oui, et en 1938.

LE PRÉSIDENT

Oui.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER (au témoin)

Comment l’État-Major naval d’opérations se représentait-il, lorsque la guerre a éclaté, le déroulement des hostilités sur mer avec la Grande-Bretagne ?

TÉMOIN WAGNER

L’État-Major naval d’opérations croyait que l’Angleterre en commencerait à peu près par là où elle avait fini à la fin de la guerre mondiale, c’est-à-dire : blocus alimentaire de l’Allemagne, contrôle du commerce des neutres, introduction d’un système de contrôle, armement des bateaux marchands et proclamation de zones interdites.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Je vous fais remettre maintenant le document Dönitz-55 ; ce sont les instructions pour le combat, en date du 3 septembre 1939. Vous les trouverez à la page 139 du tome III du livre de documents. Vous y verrez que les sous-marins reçurent d’abord l’ordre, comme toutes les forces de mer, de se conformer pour la guerre sur mer au règlement des prises. Vous y verrez également, à la fin, un ordre dont je voudrais vous donner lecture. Il se trouve à la page 140 :

« Projet d’ordre en vue d’intensifier la guerre contre le trafic ennemi, par suite de l’armement des navires de commerce ennemis.

« 1° Il faut s’attendre à ce que la plupart des bateaux de commerce français et anglais se voient armés et, par suite, à ce qu’ils résistent.

« 2° Les sous-marins ne doivent arraisonner les navires de commerce que si tout danger paraît exclu. Les sous-marins sont libres d’attaquer sans avertissement tout navire de commerce reconnu avec certitude comme un navire ennemi.

« 3° Les cuirassés et croiseurs auxiliaires doivent prendre garde à ce que les navires de commerce ne puissent faire usage de leurs armes lors de l’arraisonnement. »

Je voudrais vous demander maintenant si cet ordre avait été préparé longtemps à l’avance ou s’il fut improvisé au dernier moment.

TÉMOIN WAGNER

Au début de la guerre, nous avons été forcés d’improviser dans une large mesure les ordres que nous donnions parce que tout n’avait pas été étudié dans les détails.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Est-ce que cet ordre a d’ailleurs été appliqué ?

TEMOIN WAGNER

Non.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Pourquoi ?

TÉMOIN WAGNER

Après en avoir référé aux Affaires étrangères, nous avions résolu de nous en tenir strictement au Protocole de Londres tant que nous n’aurions pas entre les mains des preuves certaines de l’utilisation à des fins militaires des bateaux de commerce, de la flotte de commerce anglaise. Nous ne voulions pas apporter de l’eau au moulin de la propagande ennemie, dont nous connaissions la puissance depuis la guerre mondiale, pour qu’elle nous dépeigne comme des pirates de la mer.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Quand et à quelle époque l’État-Major naval d’opérations a-t-il établi de façon certaine que les Anglais utilisaient leur flotte de commerce à des fins militaires ?

TÉMOIN WAGNER

Pour ce qui concerne l’armement des navires de commerce britannique, peu de semaines après le début de la guerre. Nous recevions quantité de messages rapportant des duels d’artillerie entre sous-marins et navires de commerce britanniques armés. Nous avons perdu ce faisant un et peut-être plusieurs sous-marins. Un vapeur britannique, je crois qu’il s’appelait le Stonepool, fut officiellement félicité à cette époque par l’Amirauté britannique pour s’être défendu victorieusement contre un sous-marin allemand.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Le Tribunal connaît déjà l’ordre du 4 octobre qui autorise l’attaque de tous les navires de commerce ennemis armés et l’ordre du 17 octobre qui autorise l’attaque de tous les navires de commerce ennemis, avec certaines exceptions. Ces ordres furent-ils le résultat de l’expérience que l’État-Major naval d’opérations avait acquise sur l’utilisation à des fins militaires de la flotte de commerce ennemie ?

TÉMOIN WAGNER

Oui, exclusivement.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Dans ces ordres, deux exceptions sont faites en faveur des navires pour passagers. Les navires pour passagers, même en convois, ne devaient pas être attaqués. D’où provenait cette exception ?

TÉMOIN WAGNER

Elle était basée sur un ordre du Führer. Dès le début de la guerre, ce dernier avait fait savoir que l’Allemagne n’avait pas l’intention de faire la guerre contre les femmes et les enfants. Pour cette raison, il souhaitait que sur mer également on évitât tout incident susceptible d’amener la mort de femmes et d’enfants. L’arraisonnement de navires pour passagers était même interdit. Les exigences militaires de la guerre sur mer ont été très difficiles à concilier avec cet ordre, surtout pendant toute la période où les navires pour passagers furent inclus dans les convois ennemis. Mais peu à peu cet ordre fut abandonné car nous nous aperçûmes qu’il n’y avait plus de vrais navires pour passagers, que les navires pour passagers ennemis étaient particulièrement armés, de préférence à tous autres, et, dans la mesure où ils pouvaient encore naviguer, étaient de plus en plus utilisés comme croiseurs auxiliaires ou transporteurs de troupes.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Les ordres de l’État-Major naval allemand d’opérations relatifs à la lutte contre les navires de commerce ennemis armés et, plus tard, contre les navires de commerce tout court, étaient-ils en général connus de l’Amirauté britannique ?

TÉMOIN WAGNER

Aucune communication réciproque des mesures de guerre adoptées n’eut lieu pendant les hostilités, en particulier dans ce dernier cas. Cependant, dès octobre, la presse allemande ne cacha pas que dorénavant nous coulerions sans avertissement tout navire de commerce ennemi armé et, plus tard, que nous nous verrions dans l’obligation de considérer l’ensemble de la flotte de commerce ennemie comme passé sous contrôle militaire et utilisée à des fins militaires. Il est évident que ces informations de presse devaient, sans aucun doute, être connues de l’Amirauté britannique et aussi des neutres. Malgré cela, au mois d’octobre je crois, le Grand-Amiral Raeder accorda dans le même sens une interview à la presse.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

A la mi-octobre un mémorandum de l’État-Major naval d’opérations fut rédigé sur les « Possibilités d’intensification de la guerre contre le trafic maritime ». Je vous fais transmettre ce mémoire qui porte le numéro GB-224. Voulez-vous me dire, après l’avoir considéré, quels buts il poursuivait et quel était son contenu ?

Monsieur le Président, quelques extraits de ce mémoire sont reproduits à la page 199 du livre de documents n° 4.

TÉMOIN WAGNER

La situation qui amena la rédaction de ce mémoire était la suivante : au début de la guerre, le 3 septembre 1939, l’Angleterre décréta le blocus alimentaire total de l’Allemagne. Cette mesure n’était pas seulement dirigée contre les combattants. Elle l’était également contre tous les non-combattants, femmes, enfants, vieillards, malades. Cela signifiait que la Grande-Bretagne déclarerait de contrebande les produits alimentaires, les produits utilitaires, les pièces d’habillement et toutes les matières premières nécessaires à leur production, sans préjuger d’un sévère contrôle du trafic maritime neutre qui les coupait pratiquement de l’Allemagne pour autant qu’ils eussent à passer par des eaux contrôlées par l’Angleterre. En outre, cette dernière commença à exercer des pressions politiques et économiques grandissantes sur les voisins de l’Allemagne, sur le continent européen, pour les amener à cesser tout commerce avec l’Allemagne. Ce blocus alimentaire total fut intentionnel, comme le prouve expressément un discours prononcé par le Président du Conseil, Chamberlain, à la Chambre des Communes, fin septembre 1939, dans lequel il qualifia l’Allemagne de forteresse assiégée, en ajoutant qu’il n’était pas habituel d’accorder à une forteresse assiégée un libre ravitaillement. Cette expression de forteresse assiégée fut d’ailleurs également reprise par la presse française.

Pour le reste, le Président Chamberlain déclara, au début d’octobre, d’après le mémorandum, le 12 octobre, que l’Angleterre, dans cette guerre, mettrait en œuvre toutes ses énergies pour amener la destruction de l’Allemagne. Donc nous avons tiré la conclusion, à la suite des expériences qui avaient été les nôtres au cours de la guerre mondiale, que la Grande-Bretagne allait, sous quelque prétexte, frapper aussitôt que possible le commerce d’exportation allemand.

Dans cette atmosphère de blocus total qui, sans aucun doute, avait été préparé en détails de longue date et en pleine période de paix, nous avons dû rattraper le temps perdu, beaucoup de temps perdu, pour n’avoir pas préparé la guerre contre l’Angleterre.

Nous avons examiné, tant du point de vue juridique que militaire, les possibilités qui nous restaient de couper l’Angleterre elle aussi de ses importations. Tel était l’objet de ce mémorandum.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Vous dites que ce mémorandum contenait des observations sur la façon d’obvier aux mesures britanniques en leur opposant des contre-mesures allemandes efficaces ?

TÉMOIN WAGNER

Oui, c’était le but explicite de ce mémoire.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Dans cette étude se trouve une phrase, au deuxième paragraphe C, 1, prévoyant que la guerre sur mer doit en principe être conduite conformément au droit des gens en vigueur, mais que néanmoins des mesures décisives pour l’issue de la guerre pourront être prises, même si elles ne cadrent pas avec le droit des gens en vigueur.

L’État-Major naval d’opérations voulait-il en général s’affranchir du droit des gens ? Ou quelle est la signification de cette phrase ?

TÉMOIN WAGNER

Cette question fut, à un moment donné, étudiée à fond et très discutée à l’État-Major naval d’opérations. Je voudrais rappeler à ce propos qu’à la page 2 du mémorandum, au premier paragraphe, il est dit expressément que le plus profond respect des exigences d’une morale chevaleresque devait, au combat, présider à tous les moments de la guerre sur mer. On prévenait ainsi un surcroît de férocité dans la guerre sur mer. Nous étions cependant de l’avis que l’évolution des techniques modernes avait créé des conditions de combat qui justifiaient et réclamaient une révision complète du Droit maritime.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

A quels perfectionnements techniques pensez-vous ?

TÉMOIN WAGNER

Je pense avant tout à deux facteurs. D’abord l’utilisation sur une échelle sans précédent de l’avion dans la guerre sur mer. Du fait de la rapidité et du champ visuel étendu de l’avion s’étaient tracées, le long des côtes des belligérants, des zones dans lesquelles il ne pouvait plus être question de liberté des mers. Le second facteur est l’introduction d’instruments électriques de détection qui, dès le début de la guerre, permirent de localiser un adversaire même invisible et d’engager des moyens contre lui.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Il est dit dans le mémorandum que des mesures décisives pour l’issue de la guerre pourraient être décidées même si elles nécessitaient un remaniement du Droit maritime. Est-ce qu’on en vint à prendre des mesures de ce genre ?

TÉMOIN WAGNER

Non, en tout cas pas immédiatement. Entre temps, je crois que ce fut le 4 novembre, les États-Unis proclamèrent cette « zone de combat américaine ». Cela découlait explicitement du fait que les opérations militaires dans cette zone y rendaient réellement la navigation dangereuse pour les navires américains. Avec cette notification du Gouvernement des États-Unis certains points du mémorandum se trouvèrent aussitôt dépassés. Dans la pratique, nous nous en sommes tenus à des mesures du genre de celles qui avaient été prises des deux côtés pendant la première guerre mondiale déjà.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Englobez-vous dans ces mesures les mises en garde de ne pas naviguer dans certaines zones ?

TÉMOIN WAGNER

Oui.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Certains documents évoqués par le Ministère Public, GB-194 et GB-226, autorisent les sous-marins à attaquer sans avertissement dans certaines zones tous les navires. Cela date de janvier 1940. De plus, l’attaque devait, si possible, passer inaperçue pour laisser supposer une rencontre de mines. Voulez-vous dire au Tribunal de quelles régions maritimes il s’agissait en l’occurrence. Je vous fais parvenir dans ce but une carte marine que je présente au Tribunal comme document Dönitz n° 93. Voulez-vous nous dire ce qu’il faut remarquer sur cette carte ?

TÉMOIN WAGNER

Au milieu de la carte figurent les Iles britanniques. Cette zone maritime étendue qui est hachurée sur les bords représente « la zone de combat américaine » mentionnée précédemment. Les zones hachurées le long des côtes anglaises, ce sont les zones d’opérations assignées aux sous-marins allemands. Elles sont désignées par les lettres A à F suivant l’époque de leur proclamation.

FLOTTENRICHTER KRANZBUHLER

Pouvez-vous nous dire jusqu’à quelle profondeur les sous-marins allemands opéraient dans ces zones ?

TÉMOIN WAGNER

Je crois qu’ils opéraient jusqu’à 200 mètres de profondeur.

FLOTTENRICHTER KRANZBUHLER

Est-ce là une profondeur qui permet, dans de bonnes conditions, l’utilisation des mines ?

TÉMOIN WAGNER

Parfaitement. A 200 mètres l’utilisation pure et simple de toutes sortes de mines de fond est possible.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Maintenant, certaines dates sont inscrites dans les secteurs. Voulez-vous nous donner les raisons pour lesquelles ces secteurs furent déclarés zones d’opérations à ces dates et dans cet ordre ?

TÉMOIN WAGNER

Étaient déclarées zones d’opérations les secteurs où se manifestait une activité de combat du fait d’une concentration du trafic ennemi, de la défense ennemie et des forces que nous engagions. Ce furent d’abord les régions au nord et au sud du secteur que les Allemands avaient prévenu avoir miné, le long de la côte est de l’Angleterre et, à part cela, le canal de Bristol. On voit, par suite, indiqué pour la zone A baignant la côte est de l’Ecosse, la date du 6 janvier, pour le canal de Bristol, la date du 12 janvier et enfin, pour l’extrémité sud de la zone dangereuse à l’est de Londres, celle du 24 janvier. Plus tard, selon l’évolution dans la pratique des opérations, de nouveaux secteurs furent proclamés zones de combat tout autour de la Grande-Bretagne et, en fin de compte, le long des côtes françaises.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Combien de temps prit cette évolution ?

TÉMOIN WAGNER

La dernière zone fut proclamée le 28 mai 1940.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Est-ce que les neutres avaient été prévenus de ne pas entrer dans ces zones ?

TÉMOIN WAGNER

Oui. Il avait été communiqué aux neutres, dans une note officielle, que la zone de combat des États-Unis était à considérer dans son ensemble comme dangereuse et qu’ils devaient se limiter, dans la mer du Nord, aux régions à l’est et au sud des champs de mines allemands qui se trouvaient au nord de la Hollande.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

En quoi diffère la situation révélée par cette carte marine de la déclaration allemande de blocus, en date du 17 août 1940 ?

Il s’agit, Monsieur le Président, d’une déclaration que je vous soumets comme document Dönitz-104, qui est reproduit à la page 214 de votre livre de documents. (Au témoin) En quoi diffère cette situation de celle consécutive à la déclaration de blocus du 17 août ?

TÉMOIN WAGNER

En ce qui concerne l’étendue des zones d’opérations déclarées dangereuses, il n’y avait pratiquement pas de différence, comme le déclara également le Premier Ministre Churchill à cette époque à la Chambre des Communes. La différence résidait en ce que, jusqu’à cette époque, nous nous étions cantonnés aux zones précédemment mentionnées le long des côtes anglaises, alors qu’ensuite nous avons inclus la zone de combat américaine dans les zones d’opérations. La déclaration de blocus provenait du fait qu’entre temps la France avait abandonné la lutte et que maintenant l’Angleterre était devenue le centre de gravité de toute l’activité militaire.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Est-ce que la zone de blocus allemande correspondait à peu près en dimensions à la zone de combat américaine ?

TÉMOIN WAGNER

Oui, elle coïncidait presque exactement avec la zone de combat américaine. On n’y avait apporté que quelques petites rectifications.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Monsieur le Président, je voudrais verser au dossier une autre carte marine, le document Dönitz-92, sur lequel...

LE PRÉSIDENT

Je crois que le moment est venu de suspendre l’audience.

(L’audience est suspendue.)
FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Monsieur le Président, je présente comme document Dönitz n° 94 une carte de la zone du blocus allemand, en date du 17 août. (Au témoin.) Amiral Wagner, quelles étaient, pour répéter cela une fois encore, les limites de la zone de blocus allemande par rapport à celles de la zone de combat américaine ?

LE PRÉSIDENT

Je croyais que vous nous aviez déjà dit que la zone de blocus était la même que la zone américaine. N’est-ce pas ?

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Oui, Monsieur le Président. Je pensais qu’on n’avait pas eu le temps avant la suspension de le bien faire comprendre. (Au témoin.) Quelle était la pratique suivie par l’adversaire dans cette zone d’opérations ? Y en avait-il une ?

TÉMOIN WAGNER

Oui, la pratique de l’adversaire était semblable à la nôtre. Dans les zones contrôlées par nous, dans la Baltique, dans la partie orientale de la mer du Nord, dans le Skagerrak et également plus tard dans les eaux norvégiennes et françaises, l’ennemi mettait en œuvre sans avertissement tous les moyens de combat utiles, sans nous avoir informé au préalable de quelle façon il coulerait nos navires, sous-marins, mines, avions ou navires de surface. Il en était de même dans ces zones pour les neutres, les Suédois en particulier.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Je voudrais maintenant vous présenter une déclaration du Premier Lord de l’Amirauté britannique, qui est reproduite à la page 208 du volume IV du livre de documents. C’est une déclaration du 8 mai 1940. J’ai constaté, Monsieur le Président, que le livre de documents britannique l’a malheureusement reproduite de façon erronée. C’est pourquoi je me permettrai de la lire dans l’original. Je lis le texte original : « C’est pourquoi nous avons limité nos opérations dans le Skagerrak à des opérations sous-marines. Afin de rendre cette activité aussi efficace que possible, les restrictions habituelles imposées à l’action de nos sous-marins ont été levées. Ainsi que je l’ai dit à la Chambre des Communes, tout navire allemand sera coulé le jour, et la nuit, tout navire qui se présentera ». Je dépose ce document sous le numéro Dönitz-102.

LE PRÉSIDENT

Quelle est la rectification que vous avez introduite dans le texte que nous avons devant nous ? « Tout navire sera coulé le jour et tout navire allemand la nuit ». Est-ce cela ?

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Monsieur le Président, le texte correct est : « Tout navire allemand sera coulé le jour, et la nuit tout navire... »

LE PRÉSIDENT

Oui, j’ai dit le contraire : « ...la nuit tout navire... » Très bien.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Amiral Wagner, que signifiait cette déclaration, dans la pratique, pour les bateaux allemands ?

TÉMOIN WAGNER

Cela signifiait : « Tout navire allemand, de jour comme de nuit, devait être, dans ces régions, coulé sans avertissement ».

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Et qu’est-ce que cela signifiait pour les navires neutres ?

TÉMOIN WAGNER

Cela signifiait que tout navire neutre devait être dans ces zones coulé de nuit sans avertissement.

LE PRÉSIDENT

Docteur Kranzbühler, le document est par lui-même assez éloquent. Il n’est nul besoin de le voir interprété pour nous par un témoin qui n’est pas juriste.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Très bien. (Au témoin.) Dites-moi donc, alors, à partir de quelle date, d’après les expériences allemandes, cette sorte de guerre sous-marine fut pratiquée dans le Skagerrak ?

TÉMOIN WAGNER

Avec certitude, à partir du 8 avril 1940. Mais je crois me rappeler que le 7 avril déjà on l’avait pratiquée.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Est-ce qu’à cette époque, c’est-à-dire vers le 7 et 8 avril, cette zone avait déjà été déclarée dangereuse ?

TÉMOIN WAGNER

Non. La première déclaration de cette nature eut lieu le 12 avril 1940 pour cette zone.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Je vous fais transmettre une carte marine des zones notifiées comme dangereuses par les Britanniques. Ce sera le document Dönitz-92.

Je vous demande de bien vouloir expliquer brièvement au Tribunal la signification de cette carte.

TEMOIN WAGNER

Cette carte reproduit d’après la documentation allemande les zones notifiées comme dangereuses par l’Angleterre dans les eaux européennes. De particulière importance sont les zones suivantes : d’abord le secteur délimité dans la Deutsche Bucht le 4 septembre 1939, c’est-à-dire le deuxième jour de la guerre ; puis la zone dangereuse à laquelle j’ai déjà fait allusion, du Skagerrak et du sud de la Norvège, déclarée telle à la date du 12 avril 1940 ; puis encore la zone de la Baltique déclarée dangereuse le 14 avril 1940. Les autres zones furent déclarées dangereuses dans le combat de 1940 également.

Je voudrais encore remarquer que d’après mes souvenirs toutes ces zones furent déclarées minées, à l’exception de la Manche et du golfe de Biscaye déclarés, le 17 avril 1940, dangereux d’une façon générale.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Maintenant, ces zones étaient-elles effectivement contrôlées par les unités de la Marine et de l’Aviation britanniques, ou bien y avait-il un trafic allemand comme auparavant ?

TÉMOIN WAGNER

Il y eut même un trafic allemand très intense dans ces zones. Ainsi la Baltique, qui sur toute sa largeur est-ouest, sur 400 milles marins environ, avait été déclarée zone dangereuse, fut pratiquement, pendant toute la guerre, contrôlée par nous. Dans cette zone, se pratiquait un trafic commercial très intense, tout le transport de minerai de fer venant de Suède et des envois correspondants vers la Suède.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Ce trafic se faisait-il sur des bateaux neutres ou sur des bateaux allemands ?

TÉMOIN WAGNER

Ce trafic se faisait sur des bateaux soit allemands, soit suédois. Mais il y avait aussi d’autres neutres qui y participaient, par exemple la Finlande. La situation était semblable dans le Skagerrak, où, en plus des renforts allemands, passaient également une grande partie du ravitaillement destiné à la population norvégienne. Naturellement des navires furent perdus, tant allemands que neutres.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Je suppose que des marins allemands et neutres moururent en ces circonstances ?

TÉMOIN WAGNER

Évidemment, il y eut des pertes en vies humaines.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Les navires marchands allemands, à l’époque où ces zones furent déclarées zones d’opérations, étaient-ils armés, c’est-à-dire fin 1939, début 1940 ?

TÉMOIN WAGNER

Jusqu’au milieu de 1940, les navires marchands allemands ne furent absolument pas armés. Plus tard, on procéda à leur armement, un armement relativement faible, des armes légères anti-aériennes surtout et d’abord sur les routes maritimes particulièrement attaquées.

Ne furent armés dès le début que les navires ravitailleurs de la Marine allemande, c’est-à-dire les navires chargés de ravitailler les croiseurs et les croiseurs auxiliaires allemands qui opéraient dans l’Atlantique.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Je vous présente maintenant un document du Ministère Public, le GB-193, reproduit dans le livre de documents du Ministère Public, à la page 29. Ce document traite d’une proposition du Commandant en chef des sous-marins : « ... dans la Manche, torpillage sans avertissement des navires naviguant tous feux éteints ». Pouvez-vous me dire quelles sont les considérations qui motivaient les déclarations consignées dans ce document ?

TÉMOIN WAGNER

La signature que porte ce papier montre qu’il s’agit d’une étude de « lu » c’est-à-dire du rapporteur des questions sous-marines à l’État-Major naval d’opérations.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Qui était-ce ?

TÉMOIN WAGNER

C’était le lieutenant de vaisseau Fresdorf qui était sous mes ordres.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Ces considérations étaient-elles réellement dictées par la situation, furent-elles approuvées par l’État-Major naval d’opérations ou qu’est-ce que cela avait affaire avec vous ?

TÉMOIN WAGNER

Il s’agit ici d’idées quelque peu romantiques d’un jeune rapporteur qui n’avaient rien à voir avec la réalité. La situation était bien plutôt la suivante : à cette époque, c’est-à-dire en septembre 1939, la seconde vague du corps expéditionnaire britannique fut envoyée de Grande-Bretagne en France. Ces transports étaient effectués le plus souvent de nuit et sans signalisation. A cette époque, coexistait également, et cela pour des raisons politiques, un ordre de ne pas arraisonner ni attaquer les navires marchands français. Il est clair que de nuit on ne peut distinguer un bateau français sans feux d’un bateau britannique sans feux, de même qu’on ne peut distinguer de nuit — ou du moins très difficilement — un navire de commerce d’un navire de guerre. Ces ordres avaient donc pour résultat que celui qui voulait éviter des confusions n’attaquait pas la nuit et que les transports de troupes britanniques ne se voyaient nullement inquiétés. Cela amena des situations absolument grotesques. Il fut ainsi établi qu’un sous-marin allemand, qui se trouvait dans une position d’attaque favorable, avait laissé passer un transport de troupes britannique de 20.000 tonnes chargé à plein, simplement parce qu’une confusion était possible. L’État-Major naval d’opérations reconnut que le commandant de l’arme sous-marine avait absolument raison quand il déclarait que, dans ces conditions, on ne pouvait pas mener de guerre navale. Lorsqu’un navire sans feux navigue dans une zone de combat où ont lieu, de surcroît, d’importants mouvements de troupes et un important trafic de ravitaillement, il se rend lui-même suspect et ne peut s’attendre à ce qu’on suspende pour lui les opérations pendant la nuit. Il ne s’agit donc nullement d’expliquer ou d’excuser le torpillage sans avertissement d’un tel navire en prétextant d’une confusion, mais il s’agit d’une tout autre chose que l’on ne peut pas mettre en doute, à savoir que ce navire en circulant tous feux éteints se rend lui-même responsable de la confusion et du torpillage sans avertissement.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Il est mentionné dans cette note que les commandants de sous-marins, après le torpillage sans avertissement d’un navire marchand, doivent indiquer sur leur journal de bord qu’ils l’ont pris pour un bateau de guerre et que l’ordre a dû en être donné verbalement aux commandants de sous-marins.

Cette façon de voir est-elle exacte et cela a-t-il été vraiment réalisé dans la pratique ?

TÉMOIN WAGNER

Non, je n’ai jamais rien vu de semblable chez nous.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

A-t-on ordonné très clairement aux commandants de sous-marins d’attaquer sans avertissement dans la Manche, les bateaux naviguant tous feux éteints ?

TÉMOIN WAGNER

Oui, cet ordre a été explicitement donné, mais rien de plus.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Si les considérations de ce jeune officier ne sont pas exactes et s’il n’y a pas eu d’ordres correspondants de donnés, comment se fait-il que ces considérations soient reproduites dans le journal de guerre de l’État-Major naval d’opérations ?

TÉMOIN WAGNER

Ce papier ne fait pas partie directement du journal de guerre de l’État-Major naval d’opérations. Le journal de guerre par lui-même était signé du rédacteur en chef d’État-Major de l’État-Major d’opérations, de moi-même et du Commandant en chef de la Marine de guerre. Il s’agit ici du travail d’un rapporteur qui était destiné aux archives et qu’on qualifiait de supplément au journal de guerre.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Cela signifie donc que les considérations des techniciens étaient conservées comme documentation, qu’elles aient ou non été acceptées, qu’elles aient été mises en pratique ou non ?

TÉMOIN WAGNER

Parfaitement. Toute cette documentation était rassemblée et conservée pour le cas où l’on pouvait en tirer parti ultérieurement.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

L’État-Major naval d’opérations eut-il connaissance des événements survenus après le torpillage du Laconia, et approuva-t-il les mesures prises par le Commandant de l’arme sous-marine ?

TÉMOIN WAGNER

L’Etat-Major naval d’opérations surveilla comme toujours toutes les liaisons radiophoniques du commandant. des sous-marins lors de l’affaire du Laconia . Elle approuva les mesures prises par lui. Elle ne s’étonna pas d’ailleurs que le commandant des sous-marins interrompît toute opération de sauvetage dès la première attaque aérienne contre le sous-marin.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

L’État-Major naval d’opérations eut-il connaissance de l’ordre du commandant des sous-marins interdisant formellement aux sous-marins de procéder à des opérations de sauvetage.

TÉMOIN WAGNER

Cet ordre fut lui aussi relevé parmi les ordres radiophoniques donnés par le commandant des sous-marins.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Cet ordre fut-il interprété à l’État-Major naval d’opérations comme s’il ordonnait d’abattre tous les naufragés ?

TÉMOIN WAGNER

Non, personne n’eut cette idée.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Monsieur le Président, j’aimerais pouvoir poser maintenant au témoin quelques questions se rapportant au crédit qu’il faut accorder aux dépositions du témoin Heisig. Mais je voudrais d’abord savoir si l’on ne voit pas d’objection à ce que je pose ces questions au témoin puisque ma documentation sur le témoin Heisig s’est vue rayée de la liste des documents recevables.

LE PRÉSIDENT

Les questions que vous vous proposez de poser au témoin auraient-elles pour but de montrer que le témoin Heisig n’est pas une personne au serment de laquelle on peut croire ? Est-ce là votre but ?

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Mon idée générale est de montrer dans quelles conditions les déclarations du témoin Heisig ont pris naissance. C’est la déclaration qui a été présentée ici au Tribunal.

LE PRÉSIDENT

Que voulez-vous dire par « prendre naissance » ?

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Il s’agit de préciser les facteurs qui ont déterminé le témoin Heisig à faire cette déclaration.

LE PRÉSIDENT

Comment peut se formuler de façon précise la question à poser ? Vous pouvez la formuler. Abandonnons le témoin jusqu’à ce que nous ayons compris ce qu’est cette question.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Je voudrais demander au témoin : « Le témoin Heisig vous a-t-il révélé à la suite de quoi il avait été amené à faire la déclaration sous serment présentée ici comme preuve par le Ministère Public ? »

LE PRÉSIDENT

La question que vous posez telle que je l’ai notée, se formule ainsi : « Le témoin Heisig vous-a-t-il révélé les conditions dans lesquelles a été rédigé son affidavit ? »

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Oui, parfaitement.

LE PRÉSIDENT

Que comptez-vous démontrer par cette communication que Heisig aurait faite au témoin ?

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Je voudrais démontrer par là même, Monsieur le Président, que Heisig était soumis à une certaine influence, en ce sens qu’il supposait à tort pouvoir aider un camarade par ses déclarations.

LE PRÉSIDENT

Qui a demandé l’affidavit de Heisig ?

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Je n’ai pas compris, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Heisig a pourtant fourni un affidavit ?

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Oui.

LE PRÉSIDENT

C’était bien pour le Ministère Public ?

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Oui, c’est exact.

LE PRÉSIDENT

Et vous avez demandé à le contre-interroger ?

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Je l’ai interrogé sur cet affidavit, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Vraiment !

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Oui, je l’ai interrogé. Je lui ai présenté les contradictions entre son affidavit et la déposition qu’il a faite ici devant le Tribunal.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Monsieur le Président, je n’ai pas relu le compte rendu d’audience depuis dix jours environ. Mais je l’ai lu à l’époque et, si j’ai bonne souvenance, il n’a jamais été soutenu au témoin Heisig qu’il ait donné son affidavit sous une quelconque pression, ce que l’on affirme maintenant, n’est-ce pas ? Monsieur le Président se souviendra que, bien que nous possédions l’affidavit, nous avons pourtant fait venir le témoin Heisig. Il a affirmé que les déclarations de son affidavit étaient vraies, et a ensuite déposé avec tous les détails voulus sur chacune des questions retenues. Nous avons alors donné la possibilité au Dr Kranzbühler de le contre-interroger pour mettre en évidence les contradictions relevés entre son affidavit et la déposition à l’audience. C’est exactement ce qu’à l’instant le Dr Kranzbühler disait se proposer de faire.

LE PRÉSIDENT

Le Dr Kranzbühler vient de dire, je crois, qu’il l’avait réellement, lui aussi, contre-interrogé.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Il l’a contre-interrogé sur les contradictions existant entre son affidavit et ses déclarations à l’audience. Le témoin avait été cité pour être soumis à un contre-interrogatoire et si l’on soutient maintenant que cet affidavit n’a été obtenu que par des procédés inadmissibles, on aurait pu faire état de cette opinion à ce moment-là. La question eût pu alors être tranchée. Monsieur le Président, je m’oppose à l’examen de cette question à un moment où le témoin Heisig n’est plus là et où nous ne sommes plus en mesure de procéder à une instruction, ni de recueillir les éléments de preuve. Cela aurait pu être fait au moment de la déposition de Heisig et nous aurions pu apporter la preuve contraire.

Monsieur le Président, pour parler strictement, il s’agit clairement ici de deux choses différentes. S’il s’agit du point de savoir si les déclarations de Heisig sont dignes de crédit ou bien ont été faites sous une pression quelconque, il est tout à fait possible de débattre ici si nous devons les recevoir ou non. Mais s’il ne s’agit que du crédit à accorder d’une façon générale aux déclarations de Heisig ; je formulerai les mêmes objections que celles que j’ai soulevées samedi contre l’admissibilité en général des preuves relatives au crédit à accorder à un témoin.

LE PRÉSIDENT

Je ne crois pas que l’on prétende que des pressions aient été exercées par le Ministère Public sur Heisig. Je ne comprends pas. C’est ce que vous prétendez, Docteur Kranzbühler ?

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Non pas de pressions, mais une peinture inexacte au témoin.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

J’avais compris que le Dr Kranzbühler — tant mieux si je me suis mépris — prétendait vouloir prouver qu’une certaine influence avait été exercée. C’est le mot, je crois, qu’il a employé.

LE PRÉSIDENT

Je crois qu’il ne prétend pas qu’une pression ait été exercée de la part du Ministère Public ; il s’agit plutôt de l’influence exercée par l’idée fausse que le témoin s’est faite de pouvoir ainsi aider un camarade.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Très bien. Dans ces conditions, Monsieur le Président, il n’est donc question que du crédit à accorder aux témoins, qui tombe sous l’objection générale que j’ai déjà formulée : si nous voulons rassembler des preuves sur leur bonne foi, les débats se prolongeront ad infinitum.

LE PRÉSIDENT

Docteur Kranzbühler, le Tribunal admettra votre question dans ce cas particulier, mais n’y voyez aucune règle générale sur l’admissibilité de semblables questions.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Je vous remercie infiniment, Monsieur le Président. (Au témoin.) Amiral Wagner, vous êtes resté interné ici en décembre avec le témoin Heisig, n’est-ce pas ?

TÉMOIN WAGNER

Oui, du 1er au 5 décembre.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Que vous a raconté Heisig sur les idées qui l’ont amené à faire sa déclaration sous serment ?

TÉMOIN wagner

Il m’a personnellement rapporté les faits suivants : on lui aurait dit au cours de l’interrogatoire que le lieutenant Hoffmann, officier de quart du capitaine Eck, avait déclaré avoir interprété à l’époque l’allocution prononcée par le Grand-Amiral Dönitz à Gotenhafen, à l’automne 1942, comme une injonction de supprimer les naufragés. Et on aurait expliqué à Heisig : « Si vous confirmez ces déclarations de Hoffmann, vous sauverez alors à peu près certainement Eck, Hoffmann et les deux autres condamnés à mort. Vous éviterez l’ouverture d’une procédure judiciaire contre le capitaine Möhle Ce faisant, il est vrai, vous chargez le Grand-Amiral Dönitz, mais les charges relevées contre lui sont si écrasantes que sa vie est perdue de toute façon ». Pour le reste, il me raconta, sans sollicitation de ma part, qu’il était, à l’époque de l’allocution du Grand-Amiral, dans un état d’agitation intérieure très poussé. Il venait de quitter Lübeck où il avait constaté et vécu les conséquences terribles d’une attaque aérienne, sinon vécu, du moins constaté après coup. Il ne pensait en lui-même qu’à tirer vengeance de méthodes aussi brutales, et il est fort possible que ces dispositions intérieures aient influencé la manière dont il a interprété l’allocution du Grand-Amiral Dönitz.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

J’en viens maintenant à un autre point.

LE PRÉSIDENT

Sir David !

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Si le Ministère Public le désire, on pourra naturellement faire revenir Heisig pour nous permettre d’examiner la question plus à fond.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Votre Honneur, Heisig n’est plus ici ; c’est ce qui créera des difficultés si nous procédons ainsi. Cependant, nous pourrons étudier la question, Monsieur le Président, et nous sommes reconnaissants au Tribunal de son autorisation.

LE PRÉSIDENT

Heisig n’est plus détenu ? C’est ce que vous vouliez dire ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui, Monsieur le Président. Il a été remis en liberté.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Heisig fait des études de médecine à Munich. On peut facilement le toucher.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je vous remercie.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER (au témoin)

A partir de quand avez-vous, en tant qu’amiral, été affecté spécialement au Commandant en chef de la Marine de guerre ? Et quelles étaient vos tâches à ce poste ?

TÉMOIN WAGNER

A partir de la fin juin 1944. Le but de mon commandement était le suivant : Après la réussite de l’invasion anglo-saxonne dans le nord de la France, le Grand-Amiral Dönitz escomptait une intensification des hostilités. Il pensait qu’un jour ou l’autre il serait obligé d’abandonner l’État-Major naval d’opérations, soit qu’il fût amené à demeurer pour assez longtemps ou même de façon permanente au Quartier Général pour rester perpétuellement au courant de l’évolution d’ensemble de la guerre, soit encore qu’un transfert de l’État-Major naval d’opérations fût rendu nécessaire en raison des attaques aériennes toujours plus intenses sur la région de Berlin. C’est la raison pour laquelle le Grand-Amiral voulait garder dans son entourage immédiat un officier de marine assez ancien, familier des problèmes de la guerre sur mer et connaissant le fonctionnement des services de l’État-Major d’opérations. Ma tâche consistait donc, pour ainsi dire, à maintenir la liaison entre le Commandant en chef de la Marine de guerre, l’État-Major naval d’opérations et les autres services du Haut Commandement, pendant tout le temps où le Grand-Amiral aurait pu être amené à quitter le Haut Commandement.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Avez-vous régulièrement accompagné le Grand-Amiral lors de ses visites au Quartier Général du Führer ?

TÉMOIN WAGNER

Oui, à partir de l’époque indiquée, je l’ai régulièrement accompagné.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Je vous fais maintenant remettre une liste de ces visites, présentée par le Ministère Public comme document GB-207. Ce document se trouve à la page 56 du livre de documents du Ministère Public. Je vous prie de considérer cette liste et de me dire si les dates qui y sont indiquées sont, en général, exactes.

TÉMOIN WAGNER

Pour l’essentiel, les dates sont exactes. La liste est incomplète vers la fin car il y manque tout ce qui concerne l’époque entre le 3, non, le 10 et le 21 avril 1945. Au cours de ces journées, le Grand-Amiral prit part une dernière fois à la discussion de la situation au Quartier Général du Führer. Par ailleurs, il me semble que la liste des personnes présentes est incomplète. Je ne connais pas non plus quelles sont les raisons qui ont amené la rédaction de cette liste.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Après examen approfondi de cette liste, pouvez-vous nous dire si le Grand-Amiral Dönitz rencontra ces personnes aux dates indiquées, ou bien si l’on doit simplement comprendre que ces personnes se trouvèrent en même temps que lui au Quartier Général ?

TÉMOIN WAGNER

Oui, si ces personnes ont participé à la discussion de la situation militaire ; alors, le Grand-Amiral Dönitz les a pour le moins vues. Mais fréquemment se trouvaient, au Quartier Général du Führer, des personnalités importantes qui ne participaient pas à la discussion de la situation militaire et que le Grand-Amiral ne voyait pas si des entretiens n’avaient pas été spécialement fixés avec elles.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

A quelle occasion l’amiral Dönitz se rendit-il...

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Monsieur le Président, toutes les fois que le témoin mentionne qu’une de ces listes n’est pas complète, j’aimerais bien qu’il spécifie laquelle car nous pouvons faire venir l’original allemand ici et le comparer avec l’affidavit.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Je crois que le témoin a seulement dit que d’autres personnes encore avaient pris part à ces conférences, et qu’il manquait un certain nombre de conférences à la fin. Je voudrais savoir si je dois continuer à l’interroger en détail sur la question. Peut-être le Ministère Public le fera-t-il plus tard en contre-interrogatoire.

LE PRÉSIDENT

Sir David aimerait que le témoin mentionnât les intéressés, s’il le peut. Il aimerait qu’il les nommât avec précision, s’il le peut.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Très bien. (Au témoin.) Pouvez-vous, pour chacune de ces dates, indiquer de façon précise si les personnes présentes sont bien nommées, s’il y en avait d’autres, ou bien si l’amiral Dönitz n’y assistait pas.

TÉMOIN WAGNER

Je peux dire, sans me tromper, que cette liste est incomplète, car il n’arrivait jamais que le Feldmarschall Keitel ou le Generaloberst Jodl ne fussent pas. présents au Quartier Général. Or, pour le 4 mars 1945, par exemple, aucun des deux n’est mentionné sur la liste, ni au 6, ni au 8 mars non plus. J’en conclus donc que cette liste ne peut en aucune façon être complète, alors qu’à d’autres endroits, par exemple au 18 mars 1945, on voit apparaître le nom de Jodl.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Le point décisif me semble être celui de savoir si l’amiral Dönitz assista à toutes ces conférences au Quartier Général du Führer. Pouvez-vous le confirmer ?

TÉMOIN WAGNER

Je ne peux naturellement pas confirmer de mémoire l’exactitude de ce qui est consigné pour chaque date, mais j’ai l’impression que la liste, à cet égard, est exacte car la fréquence des visites du Grand-Amiral au Quartier Général correspond tout à fait aux indications de cette liste, et quelques sondages au hasard me démontrent que les dates correspondent.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

A quelle occasion le Grand-Amiral Dönitz se rendait-il au Quartier Général du Führer ? Quelles en étaient les raisons ?

TÉMOIN WAGNER

Le but principal des fréquentes visites du Grand-Amiral, de plus en plus fréquentes à la fin de la guerre, résidait dans son intention de se tenir étroitement au courant de l’évolution générale de la guerre, afin de bien avoir en main la Marine de guerre et d’orienter convenablement la guerre sur mer. A côté de cela, il avait aussi souvent, très souvent, un certain nombre de questions à soumettre ou à discuter que le Grand-Amiral n’avait pas le pouvoir de trancher par lui-même ou qu’en raison de leur importance il voulait soumettre lui-même ou se proposait de discuter personnellement avec les représentants de l’OKW ou de l’État-Major général.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Y avait-il à chaque fois un rapport personnel de l’amiral Dönitz au Führer ?

TÉMOIN WAGNER

Les choses se passaient ainsi : le gros des questions à rapporter au Führer était présenté par le Grand-Amiral Dönitz au cours de la discussion de la situation militaire, dans le cadre de la présentation de la guerre sur mer.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Un instant. Le Grand-Amiral assistait-il chaque fois à la discussion sur la situation militaire quand il se trouvait au Quartier Général du Führer ?

TÉMOIN WAGNER

Le Grand-Amiral participait au moins à la principale discussion journalière de la situation.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Qu’appelez-vous principale discussion de la situation ?

TÉMOIN WAGNER

D’abord, chaque jour à midi, avait lieu un examen de la situation militaire, qui durait plusieurs heures. C’est ce que j’appelle la principale discussion de la situation.

A côté de cela il y eut aussi, pendant des mois, le rapport du soir et un rapport de nuit, sans compter les rapports exceptionnels auxquels le Grand-Amiral ne participait que lorsqu’on devait discuter de questions particulièrement importantes pour l’orientation de la guerre, de questions de poids. Alors, dans ces cas, comme je l’ai dit, il y assistait.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Vous avez dit que la plupart des questions que le Grand-Amiral avait à poser au Führer étaient abordées au cours de l’examen de la situation. Y avait-il cependant, en plus, des comptes rendus personnels ?

TÉMOIN WAGNER

Il était rare que le Grand-Amiral fasse directement son rapport à Hitler. Par contre, des conversations personnelles avec les représentants de l’OKW et des autres services de l’Armée figuraient à l’ordre du jour du Grand Quartier Général.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Je voudrais encore apprendre de vous quelque chose de plus sur cette discussion de la situation.

Le Ministère Public se représente cet examen de la situation comme une sorte de cabinet de guerre au sein duquel Ribbentrop, par exemple, proposait des mesures de politique extérieure, Speer parlait de la production, Himmler des questions de sécurité. Est-ce exact ? Qui donc participait à ces rapports ? Qui y participait régulièrement et qui y participait exceptionnellement ?

TÉMOIN WAGNER

Participaient généralement à la discussion de la situation, les personnes suivantes : les participants réguliers de l’OKW, le Feldmarschall Keitel, le Generaloberst Jodl, le général Buhle, le capitaine de vaisseau Assmann, le commandant Büchs et quelques autres officiers de l’État-Major général. Ensuite le chef d’Êtat-Major général de l’Armée de terre, avec un ou deux adjoints, le plus souvent aussi le chef d’État-Major général de l’Aviation accompagné d’une personne. Autres participants réguliers : le chef de la direction du personnel de l’Armée, en même temps premier aide de camp du Führer, le général Bodenschatz jusqu’au 20 juillet 1944, le vice-amiral Voss, représentant permanent du Grand-Amiral, le Gruppenführer Fegelein, qui était le représentant permanent de Himmler, l’ambassadeur Hewel, le chargé d’affaires Sonnleitner, représentant permanent des Affaires étrangères, le chef de la Presse du Reich, le Dr Dietrich Très souvent, y participait aussi le Commandant en chef de l’Aviation et, plus rarement, Himmler. S’y ajoutait encore une participation variable d’officiers spécialisés de l’État-Major général de l’Armée surtout, et également d’officiers supérieurs de passage au Quartier Général, commandants d’unités de l’Armée et de l’Aviation en campagne.

En plus de cela, vers la fin de la guerre, assistèrent à l’examen de la situation militaire, de plus en plus fréquemment : le ministre du Reich Speer, ministre de l’Armement et, beaucoup plus rarement, également le ministre des Affaires étrangères von Ribbentrop.

Je crois que la liste est ainsi complète.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Lors de ces examens, qui faisait l’exposé et en quoi consistait-il ?

TÉMOIN WAGNER

La discussion avait pour unique but de renseigner Hitler sur la situation militaire. L’Etat-Major général de l’Armée de terre présentait la situation sur le front de l’Est, et l’OKW sur tous les autres théâtres d’opérations pour les trois armes. Les choses se déroulaient de la façon suivante : Tout d’abord, le chef de l’État-Major général de l’Armée de terre présentait la situation sur le front de l’Est, puis le Generaloberst Jodl décrivait la situation sur tous les autres théâtres d’opérations. Tout de suite après, séparément pour chaque théâtre d’opérations, le capitaine de vaisseau Assmann, de l’OKW, présentait la situation navale, et, en tout dernier lieu, le commandant Büchs, de l’OKW, la situation aérienne.

Entre temps, se poursuivaient très fréquemment, souvent pendant des heures, des discussions sur des questions spéciales d’ordre militaire, types de chars, types d’avions, etc. Avec la présentation de la situation aérienne, se terminait le rapport. Nous quittions la salle. J’ai très souvent vu alors l’ambassadeur Hewel, portant sous le bras un dossier visiblement des Affaires étrangères, s’approcher de Hitler et lui en donner connaissance sans que nous ayons été mis au courant de son contenu.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Lors de ces discussions, procédait-on à des votes ou se bornait-on à conférer, ou bien quelqu’un donnait-il des ordres ?

TÉMOIN WAGNER

Au cours de ces rapports, toutes les questions d’ordre militaire étaient discutées et c’est souvent le Führer qui en décidait, s’il n’était pas nécessaire de procéder à un supplément d’information avant de prendre la décision.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Que faisait, par exemple, le ministre des Affaires étrangères, von Ribbentrop, lorsqu’il était présent ?

TÉMOIN WAGNER

Je n’ai vu le ministre des Affaires étrangères, von Ribbentrop, que cinq ou six fois peut-être, assister à ces rapports. Je ne peux pas arriver à me souvenir qu’il ait procédé à la moindre déclaration pendant toute la durée du rapport. Il participait à ces rapports simplement pour se renseigner personnellement sur la situation militaire.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Et le ministre Speer, que faisait-il ?

TÉMOIN WAGNER

Le ministre Speer, lui aussi, n’abordait que très rarement les questions d’armement pendant le rapport. Je sais que les questions d’armement étaient toujours traitées entre Hitler et Speer lors de réunions spéciales. Toutefois, en la matière, quelques exceptions isolées sont possibles.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Qu’y faisait Himmler ou son représentant permanent Fegelein ? Parlaient-ils de questions de sécurité, ou quelle était leur tâche ?

TÉMOIN WAGNER

Non, les questions de sécurité n’étaient jamais abordées lors de l’examen de la situation militaire. Himmler et son représentant se manifestaient, et cela très souvent, pour tout ce qui concernait les Waffen SS, et Fegelein avait toujours à donner des informations sur le recrutement, l’organisation, l’armement, le transport, l’utilisation des divisions SS. A cette époque, j’ai l’impression que les divisions SS jouaient encore un rôle particulièrement important parce que, de toute évidence, elles constituaient une réserve stratégique importante, et que la question était souvent abordée.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

J’ai là le procès-verbal de l’une de ces séances, rédigé par vous. Il porte le numéro GB-209. Il n’est pas reproduit au livre de document. Il y est dit, au troisième paragraphe — je vous en lis une phrase :

« Le représentant du Reichsführer SS au Grand Quartier Général du Führer, le SS-Gruppenführer Fegelein, transmet la demande d’avis du Reichsführer : quand peut-il compter sur l’arrivée des Panthers — des tanks — venant de Libau ? »

Est-ce un cas typique des questions qui occupaient le Gruppenführer Fegelein ?

TÉMOIN WAGNER

Oui. Ces sortes de questions revenaient en permanence.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

A la fin de la guerre, Kaltenbrunner a été vu à plusieurs reprises. A-t-il parlé ou fait quelque rapport ?

TÉMOIN WAGNER

Je ne peux me rappeler aucune déclaration de Kaltenbrunner au cours de l’exposé de la situation militaire.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Quel rôle jouait l’amiral Dönitz lors de ces rapports militaires ?

TÉMOIN WAGNER

Même en présence du Grand-Amiral Dönitz, la situation navale était présentée par le représentant de l’OKW, le capitaine de vaisseau Assmann. Mais le Grand-Amiral profitait de l’exposé de la situation navale soit en bloc à la fin, soit séparément à l’occasion de chaque théâtre d’opérations, pour parler des questions qu’il se proposait de traiter.

Pour toutes les questions de guerre sur terre ou de guerre aérienne qui n’avaient rien à faire avec la guerre sur mer, pour toutes ces questions-là, le Grand-Amiral n’était pas consulté, ni ne se prononçait à leur sujet. Dans ses déclarations, il se limitait strictement au domaine de la Marine de guerre. Cependant, il s’opposait des plus énergiquement à ce qu’une tierce personne cherchât à s’immiscer dans ces questions de guerre sur mer lorsqu’il étudiait la situation.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Monsieur le Président, j’arrive ici à la fin d’un chapitre. Si le Tribunal estime que l’on peut suspendre l’audience...

LE PRÉSIDENT

Bien. L’audience est levée.

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.)