CENT VINGT-HUITIÈME JOURNÉE.
Lundi 13 mai 1946.
Audience de l’après-midi.
Le Tribunal suspendra l’audience cet après-midi à 16 h. 30 pour pouvoir délibérer en chambre du conseil.
Amiral Wagner, avec le temps, des relations étroites se nouèrent entre Adolf Hitler et le Grand-Amiral Dönitz ? Cette affinité tenait-elle au fait que le Grand-Amiral se serait montré particulièrement accommodant aux désirs du Führer ?
Non, absolument pas. Dès le début de ses activités de Commandant en chef de la Marine de guerre, le Grand-Amiral Dönitz s’opposa violemment à Hitler. Hitler avait l’intention de faire envoyer à la ferraille les grosses unités de la Marine de guerre, c’est-à-dire ce qui restait des cuirassés et des croiseurs. Le Grand-Amiral Raeder s’était déjà opposé à cette intention.
Cet aspect de la question est déjà connu, amiral. Vous n’avez pas besoin de l’aborder plus en détail.
Bien. Cependant la considération que Hitler ressentait pour Dönitz tenait au fait que les déclarations du Grand-Amiral étaient toujours dignes de foi et parfaitement exactes. Le Grand-Amiral attachait une importance particulière à ce que même les développements défavorables, les échecs, les fautes, fussent discutés sans détours, objectivement, et de manière concise par le Grand Quartier Général. En exemple, je mentionnerai que le Grand-Amiral m’avait donné l’ordre de...
Je ne crois pas que nous ayons besoin d’exemple de cette sorte. Une déclaration d’ordre général suffit amplement ; cela ne fait aucun doute.
Le Grand-Amiral se montrait-il prêt à se conformer d’une quelconque façon aux désirs politiques du Führer ou du Parti ?
Non. De tels désirs n’ont été, d’après moi, formulés par le Parti, qu’en trois occasions, auprès de la Marine de guerre. Il y eut tout d’abord la question religieuse qui fut surtout discutée sous l’amiral Raeder ; il devrait être, en gros, connu que la Kriegsmarine conserva son organisation religieuse et même la développa. Un deuxième désir du Parti voulait que, sur le modèle russe, on introduisît des commissaires politiques à l’intérieur de la Wehrmacht. Dans ce cas particulier, l’amiral Dönitz alla lui-même trouver Hitler et empêcha l’exécution de ce projet. Cependant, après le 20 juillet 1944, Bormann obtint malgré tout l’introduction de NSFO, d’officiers directeurs nationaux-socialistes dans l’Armée, mais malgré ce qu’aurait voulu le Parti, ce ne furent pas des sortes de commissaires politiques, mais de simples officiers qui dépendaient des commandants d’unités et qui n’avaient en aucune façon le droit d’intervenir dans les questions de commandement. En troisième lieu, le Parti aurait voulu enlever à la Wehrmacht le droit de juger les affaires politiques.
Cette question nous est déjà connue, amiral. Vous dressiez procès-verbal des visites au Grand Quartier Général du Führer, est-ce exact ?
Oui.
Toute une série de ces procès-verbaux a été présentée ici comme preuve. Veuillez expliquer au Tribunal quel objet vous poursuiviez en dressant ces procès-verbaux des visites au Grand Quartier Général du Führer ?
Par ces procès-verbaux, le chef de l’État-Major d’opérations, le chef des Armements navals et le chef des services administratifs généraux de la Marine, c’est-à-dire les trois personnalités dominantes du Haut Commandement de la Marine, devaient être tenues au courant de tout ce qui s’était déroulé en présence du Grand-Amiral, dans la mesure où cela avait un intérêt quelconque pour la Marine de guerre. Et c’était ma tâche.
Vous venez de dire :
« tenues au courant de tout ce qui s’était déroulé en présence du Grand-Amiral ». Est-ce que cela signifie qu’il a forcément assisté personnellement à tout ce que vous avez consigné dans ces procès-verbaux ?
Pas forcément. Il arrivait fréquemment que le Grand-Amiral, au cours de ces examens de la situation, lorsque les sujets traités l’intéressaient peu les conférences se déroulant dans de grandes salles, se retirât dans une autre partie de la pièce pour régler des questions personnelles ou discuter avec d’autres participants à la conférence de certaines questions maritimes.
Il pouvait très bien m’arriver, dans ces circonstances, d’entendre certaines choses et d’en dresser un procès-verbal dont le Grand-Amiral n’avait pas eu connaissance personnellement. De cette façon, il les apprenait, tout au moins par la suite, par mon procès-verbal.
Je vous fais transmettre maintenant un procès-verbal rédigé par vous, sur les entretiens du 20 février 1945. Il porte le numéro GB-209 et est reproduit au livre de documents du Ministère Public, page 68. Ce document comporte des considérations sur un abandon de la Convention de Genève par l’Allemagne.
Veuillez nous donner des détails sur cette affaire, de la façon dont vous vous la rappelez.
Deux à trois jours environ avant la rédaction de ce procès-verbal, c’est-à-dire aux environs du 17 ou 18 février 1945, je reçus un appel téléphonique de l’amiral Voss, du Grand Quartier Général qui se trouvait alors à Berlin, et j’appris que Hitler, en raison de la propagande anglo-saxonne à l’Ouest, un véritable appel à la désertion adressé à nos troupes, avait exprimé l’intention d’abandonner la Convention de Genève.
Quel en était le but ?
D’après l’impression que j’ai eue sur le moment, visiblement de faire comprendre aux troupes et au peuple allemand que la captivité ne présenterait plus aucun avantage. Là-dessus, jai tout de suite téléphoné à l’État-Major naval d’opérations, car je considérais ce projet comme absolument mauvais, et j’ai demandé qu’on étudiât la question tant du point de vue militaire que de point de vue international. Le 19, à l’examen de la situation, Hitler revint à parler de cette question, et cette fois-ci, pas à propos des événements du front de l’Ouest, mais des attaques aériennes des adversaires occidentaux sur les villes ouvertes allemandes. Les attaques sur Dresde et sur Weimar avaient déjà eu lieu. Il donna ordre au Grand-Amiral d’étudier les suites de l’abandon de la Convention de Genève au point de vue conduite de la guerre navale. On n’attendait pas d’ailleurs de réponse immédiate et elle ne le fut pas non plus. Le Generaloberst Jodl était également des plus opposés à ce projet et s’efforça d’obtenir l’appui du Grand-Amiral. Là-dessus, on décida un entretien. C’est précisément la conférence à laquelle fait allusion le procès-verbal au paragraphe n° 2.
Ill s’agit de la conférence du 20 février, amiral ?
Oui.
Qui prit part à cette conférence ?
Le Grand-Amiral Dönitz, le Generaloberst Jodl, l’ambassadeur Hewel et moi.
Quel fut l’objet de ces conversations ?
L’objet en était le projet du Führer d’abandonner la Convention de Genève. Le résultat en fut l’opinion unanime de tous les participants que cette mesure constituait une faute. A côté des raisons militaires, un tel abandon de la Convention de Genève aurait signifié, d’après nous, avant tout une perte de la confiance du peuple allemand et de l’Armée dans les dirigeants, parce que la Convention de Genève était généralement reconnue comme le symbole même du Droit international.
Dans votre procès-verbal figure une phrase : « Il conviendrait de prendre les mesures considérées comme nécessaires sans les annoncer au préalable et à tout prix de ne pas perdre la face vis-à-vis du monde extérieur ».
Que signifie cette phrase ?
Cette phrase signifie qu’aucun acte de sauvagerie ne devait être commis. Si le Haut Commandement considérait comme nécessaire de prendre des mesures en réponse aux bombardements aériens de villes ouvertes allemandes, ou bien en réponse aux incitations à la désertion à l’Ouest, il fallait, dans ce cas, s’en tenir à des mesures visiblement nécessaires, à des mesures conformes au Droit. Il ne fallait pas, en annonçant l’abandon en bloc de toute la Convention de Genève, se mettre soi-même dans son tort aux yeux du monde et aux yeux de son propre peuple et décider des mesures dépassant de beaucoup le cadre des mesures nécessaires et justifiables en apparence.
A-t-on parlé, a-t-on pensé en l’occurrence à quelque mesure bien déterminée ?
Non. Je me rappelle très exactement qu’il n’a jamais été question de mesures bien déterminées au cours des différentes conférences. Il s’agissait simplement d’une question d’ordre général : abandonner la Convention de Genève ou non.
Est-ce que vous avez su quelque chose de l’intention prétendue d’Adolf Hitler de faire fusiller 10.000 prisonniers de guerre en représailles de l’attaque contre Dresde ?
Non, je n’ai jamais entendu parler de cela.
Est-ce que l’expression :
« ne pas perdre la face » n’est pas quelque peu mystérieuse, et ne signifie-t-elle pas camoufler certains faits réels ?
A mon avis, il est certain qu’il ne pouvait être question de secret, car ni des représailles contre les attaques aériennes, ni des mesures d’intimidation dans la question des désertions ne pouvaient être efficaces, si on les tenait secrètes.
Combien de temps a duré cette conférence dont vous avez dressé le procès-verbal ?
Je voudrais vous demander de quelle conversation il s’agit ?
II s’agit de la conférence du 20 février, au cours de laquelle ont été prononcées les phrases dont je viens de vous donner lecture.
Je pense que cette conférence a duré dix minutes ou un quart d’heure.
Votre procès-verbal en est donc un résumé assez poussé ?
Parfaitement. Je n’y ai consigné que les points importants.
Est-ce que l’amiral Dönitz a exprimé lui-même au Führer sa façon de juger ce projet et son rejet ?
Si j’ai bonne mémoire, il n’en est pas venu jusque là. On en était arrivé à penser que Hitler, dès la question posée au Grand-Amiral, avait déduit de la physionomie de ce dernier et de l’attitude des autres participants, le rejet pur et simple de son projet. De notre côté, nous avons communiqué notre prise de position par écrit à l’OKW et n’avons plus, par la suite, entendu parler de toute cette affaire.
Je vous soumets maintenant un autre procès-verbal qui a été présenté sous le numéro GB-210. Il se trouve à la page suivante du livre de documents du Ministère Public et concerne les conférences tenues au Grand Quartier Général du Führer entre le 29 juin et le 1er juillet 1944.
Au 1er juillet, vous trouvez la mention suivante :
« A propos de la grève générale de Copenhague, le Führer déclare que, seule, la terreur peut être opposée à la terreur ». Cette expression est-elle survenue au cours d’une conversation entre Hitler et le Grand-Amiral Dönitz, ou en quelles circonstances ?
II s’agit d’une expression de Hitler au cours d’un examen de la situation. Cette expression n’était adressée ni à l’amiral Dönitz, ni à la Marine de guerre de façon générale.
Si elle n’était pas adressée à la Marine de guerre, comment se fait-il que vous l’ayez fait figurer à votre procès-verbal ?
J’ai fait figurer au procès-verbal toutes les déclarations qui pouvaient présenter un intérêt quelconque pour la Marine de guerre. Le Haut Commandement de la Marine de guerre était naturellement intéressé à la grève générale de Copenhague parce que nos navires étaient réparés à Copenhague et que Copenhague était un point d’appui maritime.
Quels furent les destinataires de ce procès-verbal ?
D’après la liste des destinataires qui figurent ici à la page 4, seuls le Commandant en chef et le 1er bureau de l’État-Major naval d’opérations reçurent ce papier.
Est-ce que l’État-Major naval d’opérations avait quoi que ce fût à voir dans le traitement des ouvriers des chantiers navals au Danemark ?
Non, rien du tout. Les chantiers dépendaient uniquement, depuis 1943, du ministère de l’Armement.
Le Ministère Public voit dans cette déclaration et dans l’envoi à un service du Haut Commandement, une invitation à traiter ces ressortissants sans ménagements. Est-ce que cela correspond en quoi que ce soit à l’esprit de ce procès-verbal ?
Il ne saurait en être question. Ce procès-verbal servait uniquement à renseigner les différents services du Haut Commandement.
Je vous transmets maintenant un autre document qui porte le numéro USA-544. Il est reproduit au livre de documents du Ministère Public aux pages 64 et 65. Il s’agit d’une note du spécialiste de Droit international de l’État-Major naval d’opérations, concernant le traitement des saboteurs. Est-ce que vous connaissez cette note ?
Oui, je l’ai paraphée à la première page.
A la fin de cette note se trouve cette phrase : « En ce qui concerne la Marine, il resterait à vérifier si l’on ne pourrait pas profiter de l’incident pour, après en avoir référé au Commandant en chef de la Marine, s’assurer que tous les services intéressés sont pleinement avertis du traitement à réserver aux membres des commandos. »
Est-ce qu’on en référa au commandant de la Marine qui était, depuis dix jours, le Grand-Amiral Dönitz ?
Non, on n’en référa jamais à l’amiral, comme il ressort d’ailleurs de différentes observations en tête du document.
Je vous prie de vous expliquer.
Le spécialiste de Droit international du bureau IA de l’État-Major naval d’opérations m’avait fait cette proposition, en ma qualité de chef de l’État-Major naval d’opérations, par l’intermédiaire du rapporteur au bureau IA des opérations. Ce dernier avait, dans une note manuscrite, écrit à côté de ses initiales : « Les commandants subordonnés ont pris connaissance ». Il avait donc pris position contre le projet du spécialiste de Droit international et considérait comme superflu tout commentaire de ces ordres au sein de la Marine de guerre.
En ce qui me concerne, j’ai examiné la question et je suis arrivé à la conclusion suivante : il fallait donner raison au rapporteur aux opérations. J’ai fait venir chez moi l’expert de Droit international, le Dr Eckardt, pour lui faire part oralement de ma décision et lui rendre ce papier. Ainsi fut abandonné le projet d’une conférence chez le Commandant en chef de la Marine pour commenter cet ordre.
Vous souvenez-vous si, à une époque ultérieure, le Grand-Amiral Dönitz se vit exposer l’ordre relatif aux commandos ?
Non, je ne saurais le dire.
Je vous ai présenté le rapport GB-208, sur l’affaire de la vedette lance-torpilles de Bergen. Il s’agit d’un cas qui est examiné au livre de documents britannique, aux pages 66 et 67. Avez-vous entendu parler de l’incident avant ce Procès ?
Non, simplement au cours des dépositions faites à l’occasion de ce Procès.
Des documents provenant du Tribunal Militaire britannique, présentés ici par le Ministère Public au cours du contre-interrogatoire, j’ai déduit qu’avant l’exécution de l’équipage de cette vedette lance-torpilles, deux coups de téléphone avaient été donnés, entre le chef du service de sécurité à Bergen et le SD de Oslo, et entre les SD de Oslo et de Berlin. Pouvez-vous vous rappeler si une telle communication téléphonique eut lieu entre le SD d’Oslo et vous ou un de vos collaborateurs du Haut Commandement de la Marine ?
Une semblable communication n’a, en aucune façon, eu lieu avec moi ni, à ma connaissance, avec aucun autre officier de mon service ou du Haut Commandement.
Croyez-vous d’ailleurs qu’il ait été possible au SD d’Oslo de se mettre en liaison avec le Haut Commandement de la Marine ?
Non, j’estime que c’est absolument impossible. Si le SD d’Oslo voulait se mettre en liaison avec quelque service central à Berlin, il ne pouvait le faire que par l’intermédiaire des services dont il dépendait, c’est-à-dire le RSHA.
Je vous propose maintenant un autre document, le GB-212, qui est reproduit à la page 75 du livre de documents du Ministère Public. On y évoque l’exemple d’un commandant de camp de prisonniers allemands. Il y est dit qu’il faisait soudainement et discrètement disparaître, avec l’assistance des gardiens du camp, ceux qui, parmi ses occupants, se faisaient remarquer comme communistes. Est-ce que vous avez eu connaissance d’un tel incident ?
Oui, j’ai eu connaissance d’un tel incident. En fait, nous reçûmes un jour la nouvelle, je crois par un grand blessé qui avait été échangé, que le commandant allemand d’un camp de prisonniers de guerre en Australie, où se trouvait détenu l’équipage du croiseur auxiliaire Cormoran, avait fait assassiner secrètement un homme de cet équipage, qui avait déployé des activités d’espionnage et était traître à sa patrie.
Mais, dans cet ordre il n’est pas question d’espion, mais de communiste. Comment expliquez-vous cela ?
On ne parle pas de communiste, mais de communistes, au pluriel.
Communistes, au pluriel.
A mon avis, cela s’explique simplement par le fait qu’on a voulu camoufler le véritable état de choses, afin de ne pas donner envie au service de renseignement ennemi de chercher à approfondir l’affaire et éviter ainsi des difficultés à l’Oberfeldwebel cité. Voilà pourquoi on a donné cette version des événements.
Le Ministère Public soviétique a exprimé l’opinion qu’il fallait y voir l’effet d’un plan prévoyant l’élimination discrète de tous les communistes. Pouvez-vous nous donner des détails sur l’origine de cet ordre ; pouvez-vous dire si un tel plan existait ou si cela est discutable ?
D’abord, cet ordre fut adressé aux services du personnel qui avait à assurer le recrutement des jeunes officiers et sous-officiers pour la Kriegsmarine. Il s’agissait de six ou sept services. Pour le reste, je peux simplement dire que, bien entendu...
Un instant, amiral, s’il vous plaît !
Docteur Kranzbühler, est-il nécessaire d’entrer dans tous ces détails ? La question est la suivante : est-ce que l’ordre fut donné ou non de supprimer les personnes de cette catégorie ? Mais n’entrez pas dans les détails, à la suite de quoi, par exemple, cet ordre a vu le jour.
Je vais donc poser la question de la façon suivante : (Au témoin.) A-t-on, dans la Marine, donné l’ordre ou formulé le vœu de faire disparaître systématiquement et discrètement les communistes ?
Non, un tel plan ou un tel ordre n’exista jamais. Il allait sans dire qu’il y avait un assez grand nombre de communistes à l’intérieur de la Marine de guerre. C’était une chose que les gradés savaient, et ces communistes ont aussi bien que n’importe quel autre Allemand rempli leur devoir d’Allemands, dans leur immense majorité.
Le Ministère Public reproche à l’amiral Dönitz d’avoir encore, au printemps de 1945, prêché la résistance à outrance, et il voit là une preuve de nazisme fanatique. Est-ce que vous considériez la chose de cette façon, vous, ainsi que la grande masse des officiers de la Marine de guerre ?
Non, l’attitude du Grand-Amiral ne fut pas considérée comme dénotant un quelconque fanatisme politique, mais comme naturelle pour un soldat qui cherche à remplir son devoir jusqu’au bout. Je suis convaincu que c’était là le point de vue d’une majorité écrasante de la Kriegsmarine, aussi bien parmi les officiers supérieurs que les sous-officiers et les équipages.
Monsieur le Président, je n’ai pas d’autre question à poser à ce témoin.
Est-ce que quelqu’autre membre de la Défense désire poser des questions au témoin ?
Amiral Wagner, vous avez déjà indiqué brièvement les postes que vous occupiez. J’aimerais bien, en complément, savoir également avec précision qui, à l’État-Major de la Marine, occupait, sous le Grand-Amiral Raeder, le poste le plus élevé et ce, pendant les années décisives d’avant guerre et de la guerre ? Qui fut chef d’État-Major pendant les deux dernières années qui ont précédé la guerre, et au début de la guerre ?
Le chef d’État-Major de la Marine fut, de 1938 à 1941, l’amiral Schniewind, de 1941 jusqu’au départ de l’amiral Raeder, et même après l’amiral Fricke.
C’étaient donc les deux officiers qui occupaient les postes les plus élevés à l’État-Major de la Marine, sous l’amiral Raeder ?
Oui, c’étaient les deux conseillers les plus immédiats du Grand-Amiral.
Et l’État-Major de la Marine avait plusieurs bureaux ?
Oui, il se composait de plusieurs bureaux qui étaient désignés par des chiffres.
Quels étaient les principaux bureaux ?
Le principal bureau de l’État-Major de la Marine était l’État-Major d’opérations qui portait le numéro 1.
Et les autres bureaux 2, 3, de quoi s’occupaient-ils ?
C’étaient le bureau des transmissions et le bureau des renseignements.
Qui dirigeait l’État-Major d’opérations ?
De 1937 à 1941, ce fut l’amiral Fricke ; de 1941 jusqu’au départ du Grand-Amiral Raeder, et même au-delà, j’en assumai la direction.
Par conséquent, vous avez travaillé pendant de longues années sous les ordres du Grand-Amiral Raeder. Je vous prie donc d’abord de nous renseigner brièvement sur l’attitude de principe de Raeder du temps où vous étiez à l’État-Major de la Marine.
Sous la direction de l’amiral Raeder, la Marine de guerre adopta une attitude pacifique et se développa en accord avec l’Angleterre. Les questions de types de navires de formation, d’entraînement tactique, avaient la vedette. De guerres d’agression, l’amiral Raeder n’en a jamais parlé au cours des conférences auxquelles j’ai assisté. Il n’a jamais non plus exigé de nous de quelconques travaux préparatoires en ce sens.
Vous rappelez-vous que Raeder, en 1940 et en 1941, s’était expressément prononcé contre une guerre avec la Russie ?
Oui. Il était très nettement opposé à une guerre contre la Russie, et ce, pour deux raisons : d’abord, il estimait que la rupture du Pacte d’amitié avec la Russie était inadmissible et constituait une faute. En second lieu, il était convaincu que nous devions concentrer, par raison stratégique, toutes nos forces contre l’Angleterre. Lorsqu’en automne 1940, il s’avéra que l’invasion de l’Angleterre n’était pas réalisable, le Grand-Amiral se prononça pour une stratégie méditerranéenne afin de mettre en échec sur ce théâtre la politique d’encerclement pratiquée par la Grande-Bretagne.
La Marine allemande, par le fait des livraisons, a eu de nombreuses relations avec la Russie, à l’époque de l’amitié russo-allemande. Est-ce que ces rapports se sont toujours déroulés dans de bonnes conditions pour ce dont vous êtes au courant ?
Oui. Je sais que nombre de livraisons furent faites par la Marine de guerre à la Russie, notamment des canons lourds, des bateaux non terminés et autre matériel de guerre.
Et la Marine s’est toujours efforcée de s’en tenir à cette attitude amicale définie par le Traité ?
Parfaitement. C’était conforme aux idées du Grand-Amiral.
Amiral, le Ministère Public a reproché à Raeder de ne s’être jamais soucié des stipulations du Droit international, d’avoir délibérément rompu des accords internationaux lorsqu’il estimait y avoir intérêt. Est-ce que vous pourriez nous renseigner de façon générale sur les idées de Raeder à ce sujet ?
Oui. C’est absolument faux. Le Grand-Amiral Raeder attachait une grosse importance à ce que chaque mesure étudiée par la Marine le fût aussi au point de vue du Droit international. A cet effet, nous avions, à l’État-Major naval, un expert spécial en matière de Droit international avec lequel, en notre qualité de spécialistes, nous collaborions presque quotidiennement à l’État-Major d’opérations.
Le Ministère Public a, en outre, reproché à Raeder d’avoir conseillé une guerre avec les USA, d’avoir essayé d’amener le Japon à déclarer la guerre aux États-Unis. Puis-je vous demander de vous prononcer à ce sujet ?
Je considère ce reproche comme totalement injustifié. Je sais que le Grand-Amiral attachait une importance particulière à ce que toutes les mesures de guerre navale, et précisément au cours de l’année critique 1941, fussent examinées de façon approfondie quant aux conséquences qu’elles pouvaient entraîner aux États-Unis. Et il a même renoncé à toute une série de mesures militairement justifiées afin d’éviter des incidents avec les États-Unis. Ainsi, pendant l’été de 1941, il a retiré ses sous-marins d’un vaste secteur maritime le long des côtes des États-Unis alors que cette zone pouvait être considérée sans plus comme la haute mer. Il a interdit une opération de poses de mines déjà commencée contre le port britannique d’Halifax, au Canada, pour éviter à tout prix que, par hasard, un navire des États-Unis ne saute sur ces mines. Il a enfin interdit d’attaquer les destroyers anglais dans l’Atlantique nord, car à la suite de la remise de cinquante destroyers américains à la Grande-Bretagne, on pouvait confondre les destroyers anglais et américains. Tout cela à une époque où les États-Unis, en pleine paix avec l’Allemagne, avaient occupé l’Islande, à une époque où les États-Unis réparaient les bateaux de guerre britanniques dans leurs chantiers, à une époque où les forces navales militaires américaines avaient reçu l’ordre de signaler à la flotte anglaise toute unité allemande, ou enfin le Président Roosevelt avait donné l’ordre en juillet 1941, à ses forces navales, d’attaquer tout sous-marin allemand en vue.
Est-ce que l’amiral Raeder a jamais déclaré à l’État-Major naval qu’une guerre avec les États-Unis n’était pas à craindre, que les sous-marins américains, la flotte américaine n’étaient d’aucune valeur.
Non. Raeder, en tant que spécialiste, ne pouvait faire de telles remarques.
Est-ce que, tout au contraire, Raeder n’a pas expressément déclaré avoir conscience de la force de la flotte américaine et dit qu’on ne pouvait pas lutter à la fois contre ces deux grandes puissances navales qu’étaient la Grande-Bretagne et l’Amérique ?
Oui. Il voyait très clairement, et nous aussi, que l’entrée en guerre des États-Unis signifiait un renforcement exceptionnel de la puissance ennemie.
Amiral, maintenant, le Grand-Amiral Raeder a-t-il jamais, dans son journal de guerre, proposé au Japon d’attaquer Singapour ? Est-ce que à ce propos on n’a jamais parlé de Pearl Harbour à l’État-Major naval ?
Non, en aucune façon. L’attaque des Japonais contre Pearl Harbour fut, tant pour le Grand-Amiral que pour l’État-Major naval et, à ma connaissance, également pour les autres services allemands, une surprise totale.
N’y avait-il donc pas de constants entretiens et conférences entre les Marines japonaise et allemande ?
Non, avant l’entrée en guerre du Japon, il n’y eut pas, à ma connaissance, de conversations militaires entre l’Allemagne et le Japon.
Je voudrais maintenant vous montrer le document C-41. Monsieur le Président, il s’agit du numéro GB-69. Ce document sera plus tard présenté par le Ministère Public britannique, dans le livre de documents 10 (a) sur le cas Raeder. Dans le livre du Ministère Public contre Raeder, il n’est pas encore reproduit. Je ne sais pas si le Tribunal dispose déjà du livre de documents 10 (a) nouvellement constitué où il figure à la page 18.
Vous pouvez le verser au dossier maintenant, si vous le voulez. Ainsi vous pourrez le présenter au témoin.
Le Ministère Public l’a déjà produit.
Bien.
II s’agit d’un écrit signé de l’amiral Fricke et daté du 3 juin 1940. Il porte le titre « Extension de certaines zones et problèmes relatifs aux points d’appui ». Il s’agit là de considérations assez poussées sur certains projets d’avenir. (Au témoin.) Je voudrais vous demander si Raeder donna l’ordre de rédiger ce mémorandum, comment, en bref, on en arriva à ce mémorandum ?
Non, l’amiral Raeder ne donna pas d’ordre pour ce mémorandum. Il s’agit ici de considérations théoriques, personnelles, de l’amiral Fricke pour le cas d’une évolution nouvelle de la guerre. Elles sont très fantaisistes et n’auraient été d’aucune utilité pratique.
A l’État-Major naval, discuta-t-on, délibéra-t-on de l’étude de ce document sur une assez grande échelle ?
Non, à mon avis, seuls les rapporteurs aux opérations ont eu connaissance de ce document dont l’aspect extérieur seul prouve déjà qu’il ne saurait s’agir d’une étude commandée par le Grand-Amiral qui devait être poussée. Ce n’est au contraire qu’un écrit de circonstance où l’amiral Fricke a consigné ses pensées du moment.
Cette étude, ou plutôt cet écrit, a-t-il été transmis à quelque service extérieur ?
Je crois me rappeler que cet écrit n’a été transmis à aucun service extérieur et qu’il ne quitta pas l’État-Major d’opérations. Même le Grand-Amiral, si j’ai bonne mémoire, n’en a pas eu connaissance, d’autant plus qu’il est visible sur ce document qu’il ne l’a pas contresigné.
Est-ce que vous possédez une photocopie de cet écrit ?
Oui.
Porte-t-il d’autres signes dont on pourrait déduire qu’il a été soumis au Grand-Amiral Raeder ? Comment procédait-on donc en général à l’État-Major naval en la matière ?
Tout écrit qui devait être soumis au Grand-Amiral portait en première page, dans la marge gauche, la mention v.A.v. : « A présenter avant départ », ou bien n. E. v. « A présenter dès arrivée », ou bien b. L. v. « A présenter en cours d’examen de la situation ». A cet endroit, le Grand-Amiral signait au crayon vert ou bien des officiers de son État-Major personnel portaient une remarque pour faire savoir que la pièce lui avait été présentée.
Aucune remarque de ce genre ne figure sur la pièce ?
Non.
Je voudrais maintenant vous présenter le document C-38, document du Ministère Public portant le numéro GB-223. Il se trouve dans le livre de documents Raeder du Ministère Public, page 11.
La guerre entre l’Allemagne et la Russie commença le 22 juin 1941. D’après l’avant-dernière page du document que vous avez devant vous, l’OKW avait, dès le 15 juin, c’est-à-dire une semaine avant que la guerre n’éclatât, autorisé l’attaque des sous-marins ennemis au sud de la ligne Memel-extrêmité sud de l’île d’Oeland, et cela à la demande de l’État-Major naval. Le Ministère Public reproche de ce fait à l’amiral d’avoir, là encore, préparé une guerre d’agression. Malheureusement, le Ministère Public n’a présenté que la dernière page de ce document. Il n’a pas soumis la première et la seconde pages. S’il l’avait fait, sans doute ce reproche n’eût pas subsisté. Je vais vous présenter, témoin, ce quelles contiennent. Je cite.
« Le 12 juin, vers 20 heures, l’un des bateaux avant-postes placés par précaution des deux côtés de Bornholm signale aux environs de Adlergrund (20 milles marins au sud-ouest de Bornholm) un sous-marin inconnu faisant surface et se dirigeant vers l’Ouest. Au signal de reconnaissance ES il répond, après quelque temps, par une lettre n’ayant aucune signification particulière. »
La citation est terminée. Je vous demanderai justement de nous expliquer ce que cela veut dire, quand un sous-marin ne répond pas au signal ES.
En temps de guerre, entre les -bâtiments de guerre de notre flotte, existait le système des signaux de reconnaissance qui se composait d’une demande et d’une réponse dont on pouvait sans plus déduire l’identité du bâtiment et s’il appartenait à notre marine. Toutes les fois qu’un appel ES recevait une réponse erronée, il fallait en déduire qu’il s’agissait d’un bâtiment étranger.
A-t-on constaté dans d’autres cas que des bâtiments étrangers avaient été repérés dans la Baltique ?
Oui. Je me souviens que dans certains autres cas encore des sous-marins inconnus furent signalés devant des ports allemands de la Baltique. Les vérifications faites ultérieurement et portant sur la répartition de nos propres sous-marins à cette époque firent ressortir qu’il ne pouvait s’agir que de sous-marins étrangers.
Ces faits furent-ils les seuls à inciter l’État-Major naval à demander qu’on l’autorisât déjà à user de son armement à cette époque ?
Oui, exclusivement.
On reproche un cas analogue au sujet de la Grèce. On a constaté ici, au Tribunal, à l’aide du journal de guerre, que le 30 décembre 1939, l’État-Major naval proposait que des bateaux grecs, dans la zone américaine de blocus, entourant l’Angleterre, fussent traités en bateaux ennemis. Comme la Grèce était neutre à l’époque, on reprocha à Raeder d’avoir violé sa neutralité. Je vous demande de nous dire quelle fut la raison qui incita l’État-Major naval et son chef Raeder à adresser cette demande à l’OKW.
Nous avions été informés que la Grèce avait mis à la disposition de la Grande-Bretagne la plus grande partie de sa flotte de commerce qui était passée sous contrôle britannique.
Et il est exact, n’est-ce pas, que les bateaux grecs n’ont pas été traités dans l’ensemble comme navires ennemis et que cela ne concerne que la zone de blocus autour de l’Angleterre.
Parfaitement.
Le cas suivant, de même nature, est celui de juin 1942, lorsque l’État-Major naval demanda à l’Oberkommando de l’autoriser à attaquer les bateaux brésiliens, bien qu’à ce moment le Brésil fût encore neutre. La guerre avec le Brésil commença deux mois plus tard environ, le 22 août. Quelles étaient les raisons qui motivèrent cette demande ?
Nous recevions de sous-marins dans les eaux sud-américaines des renseignements selon lesquels ils étaient attaqués par des bâtiments qui ne pouvaient partir que de bases brésiliennes. La première chose que nous fîmes fut de demander un supplément d’informations, d’étudier à fond la question. Tout se confirma. De plus, je crois me rappeler que, déjà à cette époque, il était généralement connu que le Brésil avait mis à la disposition des État-Unis, en guerre avec nous, ses points d’appuis navals et aériens.
Cette demande était donc fondée sur une violation de neutralité à imputer au Brésil ?
Oui.
Je voudrais vous présenter maintenant les documents C-176 et D-658. Le document C-176 porte aussi le numéro GB-228. Ces deux documents découlent de l’ordre sur les commandos c’est-à-dire de l’ordre prescrivant l’extermination des troupes de sabotage. Le Ministère Public a reproché à l’amiral Raeder un cas qui advint en décembre 1942 dans l’estuaire de la Gironde, près de Bordeaux. Dans ce document C-176, à la dernière page, il est dit, et je vais citer textuellement : « Les deux prisonniers britanniques ont été, conformément à l’ordre du Führer, fusillés en présence d’un officier du SD, par un peloton comprenant un officier et seize hommes détaché par la Kommandantur du port de Bordeaux ».
De ce qui est noté avant et que je ne citerai pas, car les termes sont les mêmes, il se dégage que le SD était mêlé directement à cette affaire et avait pris directement contact avec le Quartier Général du Führer. Je vous demande donc si l’État-Major naval, avant l’exécution de ces deux prisonniers, avait su quoi que ce soit de cette affaire, s’il a entendu parler de cet ordre direct de Hitler dont j’ai parlé ?
L’État-Major naval n’a jamais été touché par un ordre direct de Hitler demandant l’exécution des prisonniers de guerre de Bordeaux. Il avait été mis au courant du déroulement tactique de cette opération de sabotage de Bordeaux mais, à part cela, n’avait rien appris de l’autre question.
Donc l’État-Major naval ou, plus exactement, le Grand-Amiral Raeder, n’a pas au préalable eu connaissance de cette affaire et n’en a pas discuté ?
Oui, je suis certain que ce fut le cas.
Monsieur le Président, je me permettrai d’attirer l’attention du Tribunal sur le fait qu’il ne s’agit pas, avec ce journal de guerre, de celui dont il est toujours question généralement, c’est-à-dire du journal de guerre de l’État-Major naval, mais du journal de guerre du commandant des Forces navales de l’Ouest qui, par conséquent, était inconnu de l’État-Major naval. C’est ce qui explique que l’État-Major naval n’a pas eu vent de l’affaire.
Vous parlez présentement du document C-176, n’est-ce pas ?
Oui, et également du document D-658. Il s’agit bien là du journal de guerre de l’État-Major naval.
Quelle en est la référence ?
Document D-658, dont se dégage les faits suivants : d’après le communiqué de la Wehrmacht, les deux soldats furent exécutés entre temps. Cette mesure aurait découlé de l’ordre spécial du Führer. C’est ce qu’a soutenu le Ministère Public lui-même et cela montre — j’y reviendrai plus tard — que l’État-Major naval ne savait rien de cette affaire, car dans son journal l’insertion figure au 9 décembre, alors qu’en réalité tout ne se passa que le 11.
Le moment serait peut-être favorable de suspendre l’audience.
Amiral, je vous présente maintenant le document C-124. Monsieur le Président, C-124 c’est le document URSS-130. Il s’agit en l’occurrence d’une lettre de l’État-Major naval adressée le 29 septembre 1941 au Groupe Nord. Objet : avenir de la ville de Saint-Pétersbourg. Dans cette communication au Groupe Nord, il est dit que le Führer s’est décidé à faire rayer de la surface du globe la ville de Saint-Petersbourg. La Marine n’avait au fond rien à voir à la chose, mais l’information fut tout de même transmise au Groupe Nord. (Au témoin.) Je reviens tout de suite sur la question, témoin, mais je voudrais préalablement vous demander de me dire — vous avez bien la photocopie de l’original auprès de vous — si Raeder a pu avoir vu Cette lettre avant son départ ?
Conformément à mes déclarations précédentes, le Grand-Amiral Raeder n’a pas vu cette lettre, car elle ne porte aucune remarque, aucun signe qui le confirme.
Et maintenant, la question la plus importante : eu égard à cette information monstrueuse mentionnée par Hitler au paragraphe 2, pourquoi l’État-Major naval a-t-il transmis cette information, bien que la Marine n’eût rien à voir à cela à la vérité ?
L’État-Major naval avait demandé que, lors des bombardements de Leningrad, de l’occupation ou de l’attaque de cette ville, les installations portuaires, les chantiers et toutes les installations maritimes fussent épargnées pour que l’on pût se servir plus tard de la base comme point d’appui. Cette demande fut rejetée comme cela ressort des déclarations de Hitler consignées dans la lettre, paragraphe 3. Nous devions porter ce fait à la connaissance de l’amiral Carls pour qu’il comprît qu’en cas d’occupation ultérieure de Saint-Petersbourg il ne devait pas compter pouvoir utiliser le port comme point d’appui.
Étant donné l’importance de cette déclaration, je me permets de citer au Tribunal le passage décisif auquel le témoin a fait allusion tout à l’heure au paragraphe 3 du document URSS-130. Je cite :
« La requête initiale de la Marine de voir épargner les chantiers, le port et toutes les installations portuaires importantes est connue de l’OKW. Toutefois, en raison de la ligne générale de conduite adoptée pour Saint-Petersbourg, elle a été jugée irréalisable. »
Voilà donc le point décisif que l’État-Major naval communiquait au Generaladmiral Carls, Commandant en chef du Groupe Nord.
C’était la seule raison de cette lettre.
Savez-vous si le Generaladmiral Carl entreprit quelque chose à la suite de cette lettre ? Est-ce qu’il l’a retransmise d’une manière ou d’une autre, ou bien que savez-vous ?
A ma connaissance, cette lettre n’a pas été retransmise. D’ailleurs, il n’était nullement question d’une diffusion, car elle était exclusivement destinée au Groupe Nord. A la suite de cette lettre, le Generaladmiral Carls arrêta les préparatifs de remise en service prévus pour les installations portuaires et disposa pour d’autres usages du personnel prêt. C’est la seule mesure qui fut prise et qui pouvait l’être par la Marine de guerre à la suite de cette lettre.
Je me permets d’informer le Tribunal que, dans mon livre de documents Raeder, je soumettrai sur la question, sous le numéro 111, une déclaration sous serment qui confirme les faits mentionnés par le témoin, à savoir que rien n’a été retransmis par le Groupe Nord, de sorte que les officiers supérieurs de la Marine n’ont jamais rien appris de cette pièce. Il s’agit en l’occurrence d’une déclaration sous serment de l’amiral Bütow, qui commandait, à l’époque, en Finlande. J’y reviendrai lorsque je donnerai mes explications sur l’amiral Raeder. Je n’ai pas d’autre question à poser au témoin.
Quelqu’autre avocat désire-t-il poser de nouvelles questions au témoin ? (Pas de réponse.)
Le Ministère Public peut commencer son contre-interrogatoire.
Plaise au Tribunal. Pour ce qui est des questions que le Dr Siemers a posées, j’attendrai le contre-interrogatoire de l’accusé Raeder afin d’éviter toute répétition. (Au témoin.) D’après ce que je déduis du témoignage de l’accusé Dönitz et du vôtre, vous affirmez que la Marine allemande n’a absolument rien à se reprocher dans le traitement des navires de commerce neutres. Est-ce exact ?
Oui.
Et l’accusé a également déclare que la Marine allemande a observé scrupuleusement les ordres définissant l’attitude à adopter vis-à-vis des navires neutres et que les neutres avaient été prévenus par avance de ce qu’ils pouvaient .et ce qu’ils ne devaient pas faire. Est-ce exact ?
Oui.
L’amiral Dönitz a dit aussi qu’il n’était pas question de chercher à tromper les Gouvernements neutres. Ceux-ci avaient été méthodiquement prévenus de ce que leurs navires ne devaient pas faire. C’est bien cela ?
Oui.
Je voudrais simplement vous rappeler quelles furent les étapes de mesures concernant les neutres, d’après ce qui ressort des documents de la Défense. D’abord, le 3 septembre, des ordres furent donnés de respecter strictement toutes les règles de la neutralité et tous les traités internationaux reconnus normalement. Il s’agit du document D-55, page 139, Monsieur le Président.
Dans le livre de documents britannique ?
Non, dans le livre de documents de la Défense, Dönitz n° 55. (Au témoin.) Et le 28 septembre, les neutres se virent avertis d’avoir à éviter tout changement de cap sujet à caution, tout zigzag, etc. Document Dönitz-61, page 150.
Le 19 octobre, cet avertissement fut répété et l’on fit comprendre aux neutres qu’il serait préférable pour eux d’éviter les convois. C’est le document 62, page 153. Le 22 octobre, nouvel avertissement en ce sens : Dönitz-62, page 162. Le 24 novembre, on fait savoir aux neutres que la sécurité de leurs bateaux dans les eaux entourant les îles britanniques et le long des côtes françaises ne pouvait plus être garantie. C’est le document Dönitz-73, page 206. Puis, à dater du 6 janvier, certaines zones furent déclarées dangereuses. C’est bien exact, n’est-ce pas ?
Non. Le 24 novembre, c’est un avertissement d’ordre tout à fait général qui fut donné selon lequel l’ensemble de la zone de combat américaine devait être considérée comme dangereuse. Les diverses zones qui, à partir de janvier, devinrent zones d’opérations, ne furent pas signifiées car elles rentraient dans le cadre de ce premier avertissement. De plus, ces distinctions n’avaient d’intérêt que pour la Kriegsmarine.
C’est justement ce que je voulais éclaircir. Les zones qui, à partir du 6 janvier, furent déclarées dangereuses, ne le furent pas ouvertement, n’est-ce pas ?
Parfaitement. Les neutres furent avertis le 24 novembre que toutes les zones qui furent plus tard, à partir de janvier, déclarées une à une zone d’opérations, étaient devenues dangereuses pour la navigation.
Mais, après le 6 janvier, à la suite de la délimitation de chaque zone, vous n’avez plus publié aucun avertissement, est-ce exact ?
C’est exact. Après l’avertissement général, nous n’avons plus publié aucun avertissement concernant chacune de ces différentes zones en particulier.
Vous ne soutenez pas, n’est-ce pas, que cet avertissement où vous déclariez dangereux un immense secteur vous autorisait à couler sans avertissement les bateaux neutres ?
Si. Je suis d’avis que dans cette zone qui était, tant par nous que, préalablement, par les État-Unis, considérée comme dangereuse, il n’était plus nécessaire d’avoir des égards spéciaux pour les neutres.
Voulez-vous dire par là, qu’au 24 novembre, tous les Gouvernements neutres furent prévenus que leurs navires seraient coulés sans avertissement s’ils entraient dans cette zone ?
Je dis que, le 24 novembre, tous les Gouvernements neutres furent informés officiellement que la zone de combat américaine était en totalité à considérer comme dangereuse et que le Reich allemand ne pouvait être rendu responsable des pertes qui surviendraient à la suite d’opérations dans ce secteur.
C’est tout à fait différent. Ne laissons se glisser aucune erreur. Voulez-vous dire qu’après cet avertissement vous pouviez couler n’importe où à l’intérieur de cette zone, et sans avertissement, tous les bateaux neutres ?
Je n’ai pas très bien compris les derniers mots.
Voulez-vous dire par là que vous pouviez, à partir du 24 novembre, couler sans avertissement dans cette zone les navires neutres ?
Je suis d’avis qu’à partir de ce moment nous étions autorisés à ne plus avoir d’égards pour la navigation neutre. Toute discrimination donnée à nos sous-marins aurait signifié pour eux ne plus pouvoir, sur-le-champ, couler aucun bateau ennemi.
Il s’agit en l’occurrence d’égards particuliers. Soutenez-vous que étiez habilités à couler tout bateau neutre, quel qu’il fût, à le couler intentionnellement, qu’il eût été reconnu neutre ou non ?
Je crois que vous pouvez répondre à cette question par oui ou par non.
Oui, je suis de cet avis.
Voulez-vous dire en quoi cela cadre avec les règlements de la guerre sous-marine ?
Je ne me sens pas qualifié pour une discussion juridique sur cette question. C’est une question de Droit international.
En tout cas, c’est ce que vous avez fait, n’est-ce pas. Vous avez partout, dans cette zone, coulé les navires neutres à vue et sans avertissement ?
Parfaitement. Mais pas n’importe où dans cette zone, simplement dans les zones d’opérations fixées par nous et les navires neutres...
Partout où vous le pouviez, n’est-ce pas ? Partout où vous le pouviez ?
Dans les zones d’opérations fixées par nous, nous avons coulé sans avertissement des bateaux neutres, parce que nous étions d’avis qu’il s’agissait là, autour des côtes ennemies, de zones surveillées qui n’avaient plus à être considérées comme haute mer.
Et vous avez décidé, dès le début de la guerre, de procéder ainsi. N’est-ce pas exact ? Vous l’aviez bien décidé ?
Dès le début de la guerre, nous étions bien décidés à nous conformer strictement aux accords navals de Londres.
Voulez-vous considérer le document qui a été déposé hier. Monsieur le Président, il s’agit du document D-851, produit sous le numéro GB-451, un mémorandum du 3 septembre.
Où est-il ?
Monsieur le Président, c’est le seul document nouveau qui ait été produit par sir David Maxwell-Fyfe au cours du contre-interrogatoire. (Au témoin.) Voulez-vous considérer le troisième paragraphe : « La Marine est arrivée à la conclusion qu’avec les forces dont nous disposons le maximum de dommages ne pourra être infligé à l’Angleterre que si les sous-marins se voient autorisés à utiliser, sans avoir à se signaler dans la zone interdite délimitée sur la carte ci-jointe, leur armement sans limitation contre la navigation ennemie et neutre ». Soutenez-vous encore que vous n’aviez pas l’intention, dès le début de la guerre, de couler sans avertissement les navires neutres, aussitôt que Hitler vous y autoriserait ? Le prétendez-vous toujours ?
Oui, intégralement. Dans cette lettre, il est dit, au premier paragraphe : « Dans les pièces ci-jointes adressées par l’OKW à la Marine de guerre, est débattue la question d’une guerre sous-marine sans merci contre l’Angleterre ». Je ne peux pas me prononcer sur ces pièces si on ne les porte pas à ma connaissance.
Vous étiez à l’État-Major général à ce moment-là ? Vous étiez chef du bureau I-A ? Ce point de vue a bien été soutenu par votre département, n’est-ce pas ?
Parfaitement. J’ai déjà dit que nous étions décidés, après en avoir conféré avec le ministère des Affaires étrangères, à nous en tenir strictement aux accords de Londres aussi longtemps que nous ne posséderions pas la preuve que la Marine de commerce britannique était utilisée à des fins militaires, sous le contrôle militaire. Il ne s’agit présentement et de toute évidence que d’une information, d’un échange de vues avec le ministère des Affaires étrangères...
Je ne vous ai pas demandé des considérations générales sur le document. Nous pouvons le lire nous-mêmes. Votre but était de terroriser les petits pays neutres, de leur faire craindre d’entreprendre des transports légitimes. Est-ce exact ?
Non.
N’est-ce pas là la raison pour laquelle, dans l’ordre que vous avez donné en janvier 1940, sont exceptés du risque de se voir couler sans avertissement des pays plus importants ? Voulez-vous considérer le document C-21. Il s’agit de la pièce GB-194, à la page 30 du livre de documents, en anglais, du Ministère Public, pages 59 et 60 de l’exemplaire en allemand. Considérez donc la deuxième insertion page 5. En date du 2 janvier 1940 : « Compte rendu de I-A... ». C’est vous, n’est-ce pas ? C’était vous, est-ce exact ?
Oui, mais je n’arrive pas à trouver ce que vous citez.
A la page 5 de l’original, à la date du 2 janvier 1940. « Compte rendu de I-A sur l’ordonnance de la Wehrmacht, de l’OKW, en date du 30 décembre, relative à l’intensification de la guerre sur mer et dans les airs avec le « Cas Jaune » :
« Par cette ordonnance la Kriegsmarine autorise, dès que la guerre « commencera à s’intensifier de façon générale, les sous-marins à « couler sans avertissement tous les navires dans les eaux avoisinant les côtes ennemies où l’emploi de mines est possible. Dans « ce cas, il faudra faire croire à l’extérieur à la rencontre de mines. « La manœuvre du sous-marin et le choix des armes doivent en « découler. »
Cela n’a rien à voir avec les navires de commerce anglais armés. Ce n’est pas, tout au moins, la raison mentionnée, n’est-ce pas ? La raison de cette ordonnance est qu’elle servait vos opérations du « Cas Jaune ».
Je n’ai pas compris la dernière phrase.
Vous ne prétendez pas pour/vous justifier que les Anglais armaient leurs navires marchands. La raison que vous donnez, c’est que c’était nécessaire à l’intensification de la guerre avec le « Cas Jaune ». Pourquoi ?
La traduction allemande est si mauvaise qu’il est à peine possible de comprendre les questions.
Je vais vous poser la question encore une fois. Le prétexte de cette ordonnance est l’intensification de la guerre avec le « Cas Jaune ». Vous voyez donc, n’est-ce pas, qu’il n’est pas question, pour la motiver, de navires de commerce anglais armés ? C’est exact, n’est-ce pas ?
Je vous prie de me permettre tout d’abord de lire en toute tranquillité ces papiers.
Naturellement. Vous les avez pourtant rédigés vous-même.
Non, ce n’est pas moi qui les ai rédigés. Cette mesure, oui, faisait en fait partie des avertissements que nous avons fait parvenir le 24 novembre 1939, aux Gouvernements neutres.
Il n’y est pas parlé de l’avertissement du 24 novembre. S’il vous avait habilité, comme vous le prétendez, à couler les bateaux neutres, alors il n’était d’aucune nécessité de publier cette ordonnance spéciale ?
Non.
Non. Alors nous allons...
C’est pour des raisons militaires et politiques que nous avons ordonné que la rencontre de mines soit simulée. Telle est la particularité de cet ordre.
Avant qu’on en finisse avec ce document, considérez l’insertion du 18 janvier. Vous avez trouvé le 18 janvier ?
Oui.
C’est le véritable ordre demandant le torpillage sans avertissement. Vous voyez, à la dernière phrase :
« Restent exceptés de ces attaques les navires des USA, de l’Italie, du Japon et de la Russie ». La mention « Espagne » est ensuite ajoutée, mais au crayon. N’est-il pas vrai que vous alliez jusqu’à terroriser les petits États neutres, les maltraiter, mais que vous ne vouliez pas courir de risques avec les grands pays neutres ?
Il n’en est pas ainsi. Cela peut être expliqué de la manière suivante : évidemment, on accepte d’endosser certains préjudices militaires quand on peut en échange troquer quelques avantages politiques.
Ah ! oui, il s’agissait simplement pour vous de savoir quelle était l’ampleur des avantages politiques que vous retireriez. C’est tout, n’est-ce pas ?
Il est évident que toutes les péripéties de la guerre étaient fortement influencées par le profit politique que pouvait en tirer le pays.
Et parce que les Danois et les Suédois n’étaient pas en mesure d’élever de sérieuses protestations, vous couliez leurs bateaux sans avertissement ? C’est juste, n’est-ce pas ?
Ce que vous donnez comme raison de notre attitude n’est nullement exact.
Quelle est la différence ?
Nous coulions dans cette zone tout neutre, à l’exception de ceux qui présentaient un intérêt politique déterminé.
Oui, mais vous n’accordiez, à cette époque, aucun intérêt politique à la Norvège, à la Suède, au Danemark, et pour cette raison vous couliez leurs bateaux à vue. C’est juste, n’est-ce pas ?
Nous les avons coulés parce que, malgré nos avertissements, ils entraient dans ces zones.
Oui, mais si un bateau russe ou japonais entrait dans ces eaux, nous n’alliez pas le couler ?
Non, pas à cette époque.
Je vais simplement vous montrer la réalité de votre comportement. Voulez-vous considérer les documents D-846 et 847. Monsieur le Président, ce sont deux nouveaux documents ; je les présente sous les numéros GB-452, et GB-453. (Au témoin.) Considérez, je vous prie, le premier de ces documents : D-846. C’est un télégramme de votre ambassadeur à Copenhague, daté du 26 septembre 1939, c’est-à-dire avant que vous n’ayez publié votre premier avertissement et avant que ces zones aient été déclarées dangereuses. Deuxième phrase :
« Le torpillage de navires suédois et finlandais par nos sous-marins a causé ici une grosse émotion en raison des exportations danoises de denrées alimentaires vers l’Angleterre. »
Donc, vous avez commencé dès les premières semaines de la guerre à couler les navires de petits pays neutres, n’est-ce pas ?
Dans des cas isolés, oui, et il y eut toujours alors une raison spéciale à cela ; et je sais qu’il arriva plusieurs cas justement, de bateaux danois et suédois qui avaient attaqué nos sous-marins et les avaient forcés, par cette résistance, à les attaquer à leur tour.
Ne pensez-vous peut-être pas que cela arriva parce qu’on aurait pu rendre des mines responsables de l’accident ?
A ce moment-là, certainement pas.
Considérez, s’il vous plaît, le deuxième télégramme, du 26 mars 1940. Il provient à nouveau de l’ambassadeur d’Allemagne à Copenhague. Je lis le premier paragraphe.
« Le roi de Danemark m’a fait aujourd’hui appeler auprès de lui pour me dire l’impression profonde qu’avait fait sur lui et sur tout le pays le torpillage à vue, selon toute apparence, de six navires danois la semaine dernière. »
Je saute deux phrases.
« Je lui ai répondu que la cause de ces torpillages n’était pas encore très bien établie ; qu’en tout cas nos unités de marine s’en tenaient toujours strictement au règlement des prises ; que, cependant, tout navire naviguant à l’intérieur d’un convoi ennemi ou dans les environs devait en assumer lui-même les risques ; s’il y avait eu torpillage sans avertissement, cela devait être sans doute à imputer aux précédentes notifications allemandes. En même temps, j’ai fait remarquer les périls inconnus devant la côte anglaise où la navigation neutre serait toujours, par la nature des choses, engagée dans des situations compromettantes, en raison des mesures prises par les Anglais. Le roi a affirmé avec insistance qu’aucun navire danois ne naviguait en convoi, et qu’il ne serait sans doute jamais possible d’établir avec certitude les circonstances dans lesquelles ces bateaux avaient été coulés. »
Doutez-vous toujours maintenant que ces six navires aient été coulés délibérément et en vertu de votre politique de torpillage à vue ?
Je ne peux pas répondre à cette question sans vérifier le détail de ces cas. Toutefois, je pense que ces bateaux ont sans doute été coulés dans le secteur entourant les côtes britanniques où, en vertu des fortes mesures militaires de sécurité prises, il ne pouvait plus être question de haute mer.
Très bien, nous allons aborder un cas où je crois pouvoir vous fournir des détails. Voulez-vous considérer le document D-807. Monsieur le Président, il s’agit d’un nouveau document que je dépose sous le numéro GB-454. (Au témoin) Vous voyez, ce document est daté du 31 janvier 1940 et se rapporte au torpillage de trois navires neutres différents : le Deptford, le Thomas Walton et le Garoufalia. Le document se compose de trois parties. La première partie donne les faits tels que vous les connaissez. La deuxième renferme une note au ministre des Affaires étrangères, et la troisième est constituée par un projet de réponse que votre ministère des Affaires étrangères devait envoyer aux Gouvernements neutres.
Si vous voulez considérer la fin du document, vous constatez un I-A. Ce document émane donc de votre service :
« Il est suggéré de n’admettre, dans la réponse aux notes norvégiennes, que le torpillage par un sous-marin allemand du vapeur Deptford, mais par contre de nier le torpillage des deux autres vapeurs. »
Voulez-vous me suivre, s’il vous plaît :
« D’après les pièces jointes par le Gouvernement norvégien à ses notes, les raisons de suspecter une torpille d’avoir été la cause du naufrage semblent, à la vérité, aussi fortes dans les trois cas. Cependant, d’après le discours du ministre des Affaires étrangères norvégien en date du 19 janvier, la Norvège a l’air de suspecter assez fortement un sous-marin allemand du torpillage du Deptford alors que dans les deux autres cas il est reconnu qu’on pourrait, à la rigueur, prendre en considération l’éventualité d’un naufrage par mine. Le cas est improbable pour le vapeur Deptford, car d’autres bâtiments étaient déjà passés exactement au même endroit.
« Pour ce qui est du vapeur Thomas Walton, la thèse du naufrage par mine peut se défendre, car le torpillage eut lieu vers le soir, en l’absence de tout observateur et, d’autre part, il se produisit plusieurs explosions dans ce même secteur, dûes à des coups qui avaient manqué leur but.
« Il semble opportun de récuser le torpillage du vapeur Garoufalia, du fait déjà que ce navire, torpillé sans avertissement, était neutre et que, d’autre part, attaqué à la torpille électrique, aucun sillage n’a pu être observé à la surface. »
Prétendez-vous toujours, après tous ces détails, que vous ne cherchiez pas à abuser les neutres ? Ce sont pourtant les conseils que vous donniez, en qualité d’officier d’État-Major, à l’accusé Raeder, n’est-ce pas ?
Ce document n’émane pas de moi, mais de « I-i-a ».
De qui émane-t-il ?
De l’adjoint au spécialiste en matière de Droit international.
Vous ne l’auriez donc jamais vu ?
Je ne me souviens pas de cet écrit.
Pourquoi dites-vous qu’il émane de « I-i-a » ? Il porte bien « I-a » à la fin.
Si ce document a été envoyé, alors je l’ai également vu.
Je vais lire la suite de cette note afin que vous vous la rappeliez : « Les faits suivants ont été établis (c’est ce que vous écriviez au ministère des Affaires étrangères) :
« Le vapeur Deptford a été coulé le 13 décembre par un sous-marin allemand... »
Je m’excuse, j’aurais dû commencer plus haut :
« Il est suggéré de répondre de la manière suivante aux notes norvégiennes consécutives aux naufrages des vapeurs Deptford, Thomas Walton et Garoufalia :
« A la suite de la communication du Gouvernement norvégien, « la question du naufrage des vapeurs Deptford, Thomas Walton et Garoufalia a été étudiée de façon approfondie. Les faits suivants « ont été établis :
« Le vapeur Deptford a été coulé le 13 décembre par un sous- marin allemand, car il avait été reconnu comme navire ennemi armé. D’après le rapport du commandant du sous-marin, le naufrage n’a pas eu lieu dans les eaux territoriales, mais juste à la limite. Les forces navales allemandes ont reçu l’ordre strict de n’entreprendre aucune opération de guerre dans des eaux territoriales neutres. Si le commandant du sous-marin a mal calculé sa position, comme cela semblerait ressortir des constatations des autorités norvégiennes, et violé ainsi les eaux territoriales norvégiennes, le Gouvernement allemand le regrette en toute sincérité.
« A la suite de cet incident, les forces navales allemandes ont reçu l’ordre inconditionnel de continuer à respecter les eaux territoriales neutres. De ce fait, une nouvelle violation des eaux « territoriales norvégiennes — si une telle violation a déjà eu lieu — ne se reproduira pas.
« Pour ce qui est du naufrage des vapeurs Thomas Walton et Garoufalia, on ne peut les imputer aux sous-marins allemands, car aucun d’eux ne se trouvait dans le secteur maritime indiqué au moment où ces bateaux ont sombré. »
Ensuite, il y a un autre projet de réponse, mais rédigé à peu près dans le même sens.
Soutenez-vous encore, après ce document, que la Marine de guerre allemande n’a jamais cherché à tromper les neutres ?
Les neutres avaient été informés que ces zones étaient dangereuses du fait de la guerre. Nous considérions que nous n’étions pas obligés de les informer des mesures militaires qui rendaient ces zones dangereuses et de la cause de leurs pertes en navires.
C’est tout ce que vous avez à répondre sur ce document ? C’est un pur mensonge, n’est-ce pas ? Vous admettez qu’un bateau a été coulé parce que vous ne pouvez pas faire autrement. Mais vous niez les autres. Vous niez qu’il y ait eu un sous-marin allemand à proximité et vous racontez au Tribunal qu’il était légitime de ne pas avertir les neutres des mesures qui rendaient ces zones dangereuses, pour garder le secret sur les armes que vous employiez. Ne pourriez-vous pas trouver de meilleure réponse ?
Oui, certainement. Nous n’avions aucun espèce d’intérêt à ce que l’adversaire apprît avec quels moyens nous menions la guerre dans cette zone.
Vous admettez que l’un de ces bateaux a été coulé par un sous-marin. Pourquoi ne pas admettre les deux autres ? Pourquoi n’admettez-vous pas simplement que c’était le même sous-marin ?
Je suppose qu’il s’agissait d’une autre zone où la situation était différente.
Quelle est la différence ? Pourquoi ne dites-vous pas « Un de nos sous-marins s’est trompé ou n’a pas obéi aux ordres et est responsable des trois naufrages », ou bien vous auriez pu encore dire : « Nous vous avons prévenus que nous coulerions à vue tout navire entrant dans cette zone. De quoi vous plaignez-vous ? »
C’est sans doute que je ne l’ai pas jugé opportun.
On jugeait opportun de duper les neutres alors que vous, amiral de la Marine de guerre allemande, venez de me dire, il y a juste dix minutes, ne pas l’avoir fait. A la vérité, ces trois navires ont été coulés par le même sous-marin, n’est-ce pas ?
Je n’en ai pas eu connaissance jusqu’ici.
Moi, je vous dis qu’ils ont tous été coulés par le sous-marin 17-38 et aux dates suivantes : Deptford le 13 décembre, Garoufalia le 11 et Thomas Walton le 7 décembre. Contestez-vous cela ?
Je n’ai pas compris la dernière phrase.
Niez-vous ces détails ou ne vous en souvenez-vous plus ?
Je ne m’en souviens pas, j’estime même que c’est impossible.
Je vais vous indiquer un autre cas où vous avez dupé des neutres, et cette fois, des amis : les Espagnols. Voulez-vous considérer le document C-105. Monsieur le Président, il s’agit d’un nouveau document que je dépose sous le numéro GB-455. C’est un extrait du journal de guerre de l’État-Major naval, en date du 19 décembre 1940. (Au témoin.) C’est vous qui teniez personnellement le journal de guerre de l’État-Major naval à ce moment, n’est-ce pas ?
Non, je ne l’ai pas tenu, mais signé.
Vous le signiez, mais le lisiez-vous avant de le signer ?
Les passages essentiels, oui.
Regardez le litre : « Informations en provenance des neutres », et puis la rubrique : « Espagne » :
« Suivant rapport de l’attaché naval, un vapeur de pêche espagnol a été coulé par un sous-marin de nationalité inconnue entre Las Palmas et le cap Juby. L’équipage a été mitraillé dans les embarcations de sauvetage. Trois hommes gravement atteints. Débarqués à Las Palmas, le 18 décembre. On soupçonne les Italiens (éventuellement aussi le U-37). »
Et le 20 décembre, le lendemain :
« Le Commandant en chef de la flotte sous-marine sera mis au courant information espagnole relative torpillage vapeur de pêche espagnol par sous-marin de nationalité inconnue, le 16 décembre, entre Las Palmas et cap Juby, et prié d’examiner la question.
« On certifiera, sous la propre responsabilité de l’État-Major naval, à notre attaché naval à Madrid, qu’il ne peut être question de sous-marin allemand dans ce torpillage. »
Vous teniez pour possible, quand vous avez rendu compte de cela, qu’il se fût agi du 17-37, n’est-ce pas ?
Il me semble avoir appris entre temps qu’il ne s’agissait pas du U-37.
Je vais continuer à lire. En date du 21 décembre :
« Le U-37 signale : une torpille lancée contre un pétrolier du type Kopbard (7329) a dévié et probablement touché sous-marin Amphitrite qui convoyait le pétrolier. Pétrolier incendié. Vapeur espagnol St-Carlos (300) sans signes distinctifs coulé avec artillerie. Restent neuf torpilles. « D’après ce qui précède, le U-37 a donc torpillé le pétrolier français Rhône et le sous-marin Sfax, de même que le vapeur de pêche espagnol. »
Ensuite, nous trouvons dans la remarque suivante :
« Nous continuerons à prétendre vis-à-vis de l’étranger que dans cette affaire de torpillage il ne peut être question, étant donné le secteur mentionné, de sous-marin allemand ou italien. »
Maintenez-vous toujours que vous n’avez pas cherché à duper les neutres ?
Il s’agit là très nettement d’une manœuvre pour tromper les neutres. Je ne peux me rappeler cependant pour quelles raisons particulières on en avait décidé ainsi.
C’est pourtant peu honorable, n’est-ce pas ! Considérez-vous cette conduite à l’honneur de la Marine allemande ?
Non. Cela...
L’accusé Raeder a-t-il signé le journal de guerre ?
Parfaitement.
Avez-vous communiqué à l’accusé Dönitz la réponse que vous avez faite aux Espagnols et aux Norvégiens ?
Je ne m’en souviens plus.
Il devrait en avoir reçu une copie n’est-ce pas ?
Je ne vous ai pas compris.
Vous auriez dû lui envoyer une copie de votre note au ministère des Affaires étrangères, n’est-ce pas ?
C’est possible.
Colonel Phillimore, la signature de l’accusé Raeder figure-t-elle au bas du document C-105 ?
Monsieur le Président, je regrette, mais je ne l’ai pas vérifié. Cependant, comme l’a confirmé le témoin, c’était lui qui signait habituellement le journal de guerre, et le Commandant en chef le signait également, de temps en temps. (Au témoin.) C’est exact, n’est-ce pas, témoin ?
Oui. A la page suivante, au 21 décembre, figurent aussi bien ma signature que celles des amiraux Fricke et Schniewind et celle du Grand-Amiral Raeder.
Monsieur le Président, je serais très reconnaissant au Ministère Public de bien vouloir me remettre également les documents concernant l’accusé Raeder. On ne m’a remis aucun de ces documents et il m’est relativement difficile de me faire une idée de la question.
Je m’en excuse, Monsieur le Président, c’est de ma faute. Je vais m’assurer que, dès ce soir, le Dr Siemers entrera en possession de ces copies.
Nous allons maintenant lever l’audience jusqu’à demain matin.