CENT TRENTIÈME JOURNÉE.
Mercredi 15 mai 1946.
Audience du matin.
(Le témoin Puhl est introduit.)Voulez-vous donner votre nom complet.
Emil Johann Rudolf Puhl.
Répétez ce serment après moi : « Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète le serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Témoin Puhl, vous avez été vice-président de la Reichsbank ?
Oui.
Si je suis bien informé, vous avez appartenu au directoire de la Reichsbank au temps du Dr Schacht ?
Oui.
Lorsque le Dr Schacht démissionna, vous avez été l’un des rares qui restèrent à la Reichsbank ?
Oui.
Sur la proposition de l’accusé Funk, vous avez été nommé vice-président de la Reichsbank par Hitler ?
Oui.
A quel moment ?
Dans le courant de 1939.
Dans le courant de 1939. Vous avez déjà déclaré que vous étiez vice-président. Je suppose que c’est parce que l’accusé Funk ne venait pas des milieux bancaires alors que vous étiez un spécialiste de ces questions. L’accusé Funk avait en outre à diriger le ministère de l’Économie du Reich. Est-ce exact ?
Oui, mais il y avait une deuxième raison, c’était la séparation des pouvoirs entre direction et service du personnel.
C’est donc vous qui aviez la direction effective des affaires ?
Oui.
C’est pour cela que vous aviez le titre de vice-président-directeur ?
Oui. Puis-je dire quelques mots à ce sujet ?
Uniquement s’ils sont nécessaires à la compréhension de notre affaire.
Oui. La direction de la Reichsbank était confiée à différents membres du directoire de la Reichsbank. Chaque membre avait la pleine responsabilité de son service. Le vice-président était seulement le primus inter pares qui présidait les conférences, représentait le directeur vis-à-vis de l’extérieur et réglait différentes questions de politique bancaire et économique.
Témoin, l’accusé Funk a déjà demandé votre témoignage en décembre. Vous le savez ? Et l’on vous a interrogé dans le camp où vous vous trouvez actuellement, à Baden-Baden, je crois.
Aux environs de Baden-Baden.
On vous a interrogé à ce sujet le 1er mai ?
Oui.
Deux jours plus tard vous avez été interrogé à nouveau ?
Oui.
Le 3 mai ?
Oui.
Savez-vous pourquoi on ne vous a pas interrogé le 1er mai sur les questions qui ont fait l’objet de votre interrogatoire du 3 mai ?
J’ai devant moi l’affidavit du 3 mai.
3 mai... Il a trait aux affaires avec les SS ?
Oui, mais dès le 1er mai on m’a questionné, très brièvement seulement. Le 3 mai on m’a interrogé plus en détail.
Lors de votre interrogatoire du 1er mai, vous n’avez pas mentionné ces affaires de la Reichsbank avec les SS ?
Mais parfaitement, je l’ai fait.
Vous l’avez fait ?
Oui, j’ai fait une brève déclaration.
Lors de l’interrogatoire du 1er mai ?
Oui. En tout cas, avant déjà, et la déclaration du 3 mai n’était qu’un rapport détaillé de ce qui avait été déjà traité en peu de mots.
J’ai sous les yeux votre interrogatoire du 1er mai... Je l’ai relu aujourd’hui et aucune mention n’est faite de ces affaires avec les SS. Ce dont vous parlez maintenant doit donc avoir fait l’objet d’un autre interrogatoire encore ?
Oui.
Monsieur le Président, je crois pouvoir être de quelque secours dans cette confusion. Le questionnaire qui fut autorisé par le Tribunal a été rempli le 1er mai et, le même jour, un membre de notre service a aussi interrogé de son propre chef ce témoin. Mais cet interrogatoire n’a rien à voir avec le questionnaire. Je pense que c’est là la source de la confusion.
Très bien.
Vous a-t-on parlé à deux reprises de ces affaires des SS ?
Aux environs du 1er mai, oui, deux fois.
L’affidavit du 3 mai, vous en souvenez-vous encore ? C’est l’affidavit qui traite des affaires avec les SS. Ce que vous y avez déclaré est-il exact ?
Oui.
Témoin, entre temps, c’est-à-dire depuis le 3 mai, vous a-t-on interrogé à nouveau ?
Oui.
Quand ?
Ici, à Nuremberg.
Quand, s’il vous plaît ?
Ces jours derniers.
C’est aujourd’hui mercredi. Quand était-ce ?
Vendredi, lundi, mardi.
Hier, par conséquent ?
Oui.
Au sujet de cette affaire ?
Oui.
Vous a-t-on montré un film aussi ?
Oui.
Une fois ou deux fois ?
Une fois.
Aviez-vous déjà vu ce film ?
Non.
Avez-vous reconnu clairement ce que montre ce film ?
Oui.
Je vous demande cela, Monsieur Puhl, parce que le film passe très rapidement et c’est un film très court. Pour cette raison, le Ministère Public l’a présenté deux fois afin que l’on puisse nettement reconnaître ce qui y est photographié. Par la simple présentation de ce film, avez-vous pu vous rendre compte de ce qu’il voulait montrer ?
Oui.
Alors voulez-vous, s’il vous plaît, me dire ce que vous y avez vu ?... tout simplement ce que vous avez vu dans le film ou ce que vous avez cru y voir.
Oui. Le film a été pris devant les coffres de notre banque à Francfort-sur-le-Main. Derrière les vitres des portes, on pouvait voir les coffres fermés qui y avaient été ouvertement déposés. C’est l’aspect qu’offrent toutes les chambres de dépôts des banques. Devant ces coffres étaient étalés, ouverts, différents récipients, où se trouvaient quelques objets : de la monnaie, des bijoux, des perles, de l’argent, des montres.
Quelles montres ?
De gros réveils.
Rien d’autre ? N’avez-vous rien vu d’autre dans ce film ?
A part ces objets ?
Oui, disons à part ces objets de valeur. Vous n’aviez rien vu d’autre que ce qu’on y gardait ?
Non.
Ces seuls objets de valeur ? Continuez, je vous prie.
Je me rendis compte que, parmi ces objets de valeur, se trouvaient des monnaies, probablement en argent, et certainement des devises américaines.
Bon.
Il est étonnant que l’on nous ait donné ces objets à garder car si nos fonctionnaires l’avaient su, ces devises auraient été immédiatement remises à l’office compétent. C’était un devoir de remettre les devises à l’office des devises. De plus, nos fonctionnaires savaient très bien que les devises étrangères étaient particulièrement recherchées. Il en était de même pour les pièces de métal. Régulièrement, elles auraient dû être remises au Trésor, c’est-à-dire achetées par le Reich pour son propre compte.
C’est ce qui a attiré votre attention ?
Oui.
C’est ce que vous avez remarqué, et rien d’autre, dans ce film ?
Non.
Témoin, c’est ainsi que les choses de valeur qui lui étaient confiées étaient conservées à la Reichsbank. Je me suis demandé cependant si la Reichsbank gardait en réalité ces valeurs confiées comme l’indique ce film. C’est pourquoi j’attache un grand intérêt à la question suivante : en votre qualité de vice-président directeur de la Reichsbank, savez-vous comment, à la Reichsbank, à Berlin ou à Francfort, où ce film a été tourné, les valeurs confiées étaient gardées dans les coffres ?
Oui.
Je vous en prie.
L’installation extérieure de Berlin était semblable à celle de Francfort et à celle de toutes les grandes banques. Ces valeurs en dépôt, nous les appelions, en langage bancaire, des « dépôts en coffres ». Ces coffres se trouvaient dans une pièce affectée à cet effet. Les déposants payaient suivant l’importance de leurs dépôts.
A Berlin ou à Francfort, par exemple, les valeurs étaient-elles gardées ainsi qu’on l’a vu dans ce film ?
Je retire de ce film l’impression que ces valeurs dont nous parlions avaient été spécialement amenées là pour la prise de vue.
Pour la prise de vue. Vous souvenez-vous, par exemple, d’un sac portant l’inscription « Reichsbank Francfort » ?
Oui, je puis confirmer avoir vu un sac avec l’inscription « Reichsbank ». Quant à l’inscription « Reichsbank Francfort », je ne puis l’affirmer.
Si je m’en souviens bien, il portait l’inscription « Reichsbank Francfort » ; c’est pour cela que nous en avons conclu que ce film avait été tourné à Francfort, ce que le Ministère Public a confirmé également.
Je ne voudrais pas vous interrompre mais je crois qu’il faut être minutieux en la matière. Deux erreurs d’une certaine importance ont été commises. Nous n’avons pas montré ce film deux fois devant le Tribunal et ce sac ne portait pas l’inscription « Francfort » mais simplement « Reichsbank ». C’est le film de Schacht qui a été projeté deux fois car il avait été tourné trop vite.
Témoin, voulez-vous, s’il vous plaît, continuer à répondre à mes questions ? La Reichsbank a-t-elle gardé des objets en or dans de tels sacs ?
Je comprends votre question de la façon suivante, Monsieur : si des tiers déposaient chez nous des objets de valeur, ces derniers étaient-ils conservés dans des sacs ouverts. Est-ce exact ?
J’ignore les manipulations auxquelles vous vous livriez.
Nous avions des dépôts en coffres. Mais il peut également s’agir d’un sac qui soit fermé ; c’est très possible.
Comme je m’en suis rendu compte moi-même dans les banques de Munich, témoin, les affaires qui, pendant la guerre, avaient été remises et confiées en dépôt, se trouvaient sans exception dans des caisses ou dans des coffres fermés, de telle sorte que la banque ne savait pas du tout ce qu’ils renfermaient. A la Reichsbank, cela se passait-il autrement ?
Non, cela se passait de la même façon, et ce qu’il y a de curieux dans cette affaire, c’est le titre « Reichsbank » sur le sac. Probablement c’était un sac provenant de notre stock et non pas d’un tiers.
Donc, en me permettant de le répéter afin d’exclure tout doute, de tels objets confiés en dépôts fermés étaient remis dans des enveloppes fermées ?
Oui.
Ou bien on les envoyait au service des coffres-forts ?
Le mot dépôt peut être générateur d’erreur. Les coffrets fermés allaient au Trésor. J’emploie notre mot. Ce Trésor était constitué par des coffres-forts dans lesquels ces enveloppes ou coffrets étaient déposés. Indépendamment de cette institution il y avait les dépôts ouverts. Les dépôts ouverts sont ceux qui peuvent être gérés. Ces dépôts se trouvaient dans une partie toute différente du bâtiment que ce qu’on appelait le trésor principal.
Dans notre cas, les dépôts ouverts n’entrent pas en ligne des compte ?
Non.
Eh bien, témoin, j’en viens maintenant aux dépôts des SS. Ces dépôts n’étaient pas à Francfort, mais probablement à Berlin, à la Banque centrale ?
Oui.
Je vous prie de me parler des entretiens que vous avez eus avec l’accusé Funk au sujet de ces dépôts des SS. Je vous prie de réfléchir avant chaque réponse et de rassembler vos souvenirs. Dites-moi tout d’abord de quoi vous avez parlé avec l’accusé Punk lorsque, pour la première fois, vous avez discuté de ces dépôts des SS ?
Je me réfère à mon affidavit du 3 mai. L’entretien que j’eus avec Funk fut des plus simples. Les SS nous avaient demandé d’utiliser les installations de notre banque pour y déposer les valeurs que — a-t-on dit — les caves de leurs bâtiments ne protégeaient pas suffisamment. Je pense, pour éviter toute erreur, que lorsque je dis SS il s’agit toujours de la section économique des SS.
Oui, et de quoi a parlé l’accusé Funk ? A-t-il indiqué avec précision les objets qui devaient être confiés à votre garde ?
Il s’agissait d’objets de valeur ramenés par les SS des territoires de l’Est. Ces objets étaient entreposés dans leurs caves et elles désiraient qu’ils fussent gardés en lieu sûr.
L’accusé Funk a-t-il indiqué en détail de quels objets de valeurs il devait s’agir ?
Non, pas en détail, mais il a parlé de valeurs telles que or, devises, argent, bijoux.
Or, devises, argent, bijoux...
A propos desquels je dois ajouter que l’or et les devises devaient de toute façon être remis à la Reichsbank.
Or, devises, argent et bijoux ?
Oui.
Et ces objets avaient dû être confisqués dans les territoires de l’Est ?
Oui.
L’accusé Funk vous a-t-il donné des détails sur les raisons de ces confiscations, indiqué au détriment de quelles personnes elles avaient été exécutées ?
Non, car l’entretien fut très bref.
Et qu’avez-vous répondu ?
J’ai répondu qu’il était très ennuyeux pour nous de faire de telles affaires avec les SS et j’ai élevé des objections. Je dois ajouter que la Reichsbank a toujours été très circonspecte en ce qui concerne, par exemple, les valeurs qui nous étaient confiées par le service de recherches des devises étrangères, le service des investigations de la douane et d’autres organismes de ce genre.
Pour quelle raison aviez-vous des scrupules, en ce qui concerne précisément les SS ?
Parce qu’on ne pouvait pas savoir où de telles relations d’affaires pouvaient conduire.
Mais, témoin, la réponse ne me suffit pas. Est-ce parce que vous ou l’accusé Funk ne vouliez rien avoir à faire avec les SS ou bien y avait-il une autre raison motivant vos scrupules ?
Oui, il faut répondre par la négative au premier terme de votre question. Un refus fondamental n’existait pas et ne pouvait pas exister, car chaque organisme allemand ou chaque service allemand était autorisé par la loi à utiliser les services de la Reichsbank. Ces affaires spéciales provenant de confiscations et de saisies étaient similaires aux confiscations des services des devises et étaient gênantes parce qu’on ne savait jamais où cela pouvait nous mener.
Donc, si je vous comprends bien, vous avez fait certaines objections — si ce n’est pas exact, rectifiez, je vous prie — parce que ces affaires étaient gênantes pour la Reichsbank, sortaient du cadre normal de vos tractations et vous étaient tout aussi désagréables que les dépôts provenant des services des douanes ou des services des devises ?
Oui, mais il nous faut parachever cette mise au point car on nous dit qu’il s’agissait de venir en aide aux SS en nous occupant de ces affaires. Il était clair, en effet, que dans ces dépôts se trouvaient des devises, des valeurs, de l’or, et que les SS n’avaient pas la compétence nécessaire pour s’occuper de ces choses-là.
On vous apporta alors ces objets ?
Oui, mais il y eut encore une étape. Cette conversation terminée, le chef du service économique des SS, un nommé Pohl, l’Obergruppenführer Pohl, m’a demandé une entrevue. Je l’ai convoqué dans mon bureau ; il m’a alors répété ce que je savais déjà et m’a déclaré qu’il serait très heureux que nous prenions ces valeurs en charge le plus rapidement possible.
Que lui avez-vous dit alors ?
J’ai confirmé ce que nous avions décidé et lui ai dit : « Nommez des fonctionnaires de votre service, je préviendrai le mien et ils discuteront ensemble les détails techniques ».
Et, si je puis y revenir, qu’est-ce que l’accusé Funk a dit lorsque, au cours du premier entretien, vous lui avez déclaré que vous n’aimiez pas beaucoup vous charger de cette affaire, car elle pouvait être une source d’ennui ?
Il m’objecta qu’il fallait absolument aider les SS, d’autant plus que, soulignons-le, ces dépôts passaient au compte du Reich.
A-t-on parlé d’utiliser ces objets, de fondre l’or, par exemple, sous la responsabilité de la Reichsbank ?
On n’est pas entré dans les détails, mais on nous a simplement dit que les fonctionnaires de la Reichsbank devaient mettre leurs bons offices à la disposition des SS.
Je ne comprends pas très bien. Les « bons offices », cela veut dire que les fonctionnaires de la Reichsbank avaient à prendre ces objets en dépôts pour les conserver ?
Oui.
Mais vos employés devaient-ils aller plus loin ?
Oui, dans la mesure où les SS viendraient retirer des coffres, ce qui devait être remis.
Comme par exemple l’or en pièces, les devises, etc. ?
Oui.
Pour en revenir à la question déjà posée, avez-vous vu alors ce que les SS ont déposé ?
Personnellement non. Cela se passait loin de mon bureau, dans un autre bâtiment, dans les caves du trésor, où ma qualité de vice-président ne me permettait pas de me rendre sans raison.
Mais en votre qualité de vice-président vous vous êtes rendu plusieurs fois dans ces locaux ?
Il était dans mes habitudes, à l’occasion, tous les trois mois environ, de parcourir ces locaux lorsqu’il y avait une raison, par exemple guider un visiteur, inaugurer une nouvelle installation ou pour une raison qui dépassait le simple cadre des services des caisses et du personnel.
A part cela, en votre qualité de vice-président, vous n’aviez naturellement rien à faire avec les clients ?
Non.
Et la même question, témoin, je voudrais vous la poser au sujet de l’accusé Funk. L’accusé Funk, qui n’appartenait qu’à moitié à la Reichsbank, s’est-il souvent rendu dans ces locaux de dépôts ? Si oui, pourquoi et combien de fois a-t-il vu ce que les SS ont déposé ?
Funk s’est rendu dans ces locaux à des occasions spéciales, pour conduire des visiteurs étrangers par exemple. Combien de fois, je ne puis évidemment le savoir. Je ne puis savoir non plus s’il a vu les dépôts des SS ; cela dépend de ce que lui ont montré les fonctionnaires qui avaient la garde des coffres.
Témoin, ces objets déposés par les SS, les avez-vous vus personnellement ?
Non, jamais.
Jamais ?
Jamais.
Croyez-vous que l’accusé Funk les ait vus ?
Je ne peux naturellement pas le savoir. Tout dépend de savoir si les employés lui ont dit spécialement : voici le dépôt des SS.
k Vous ne pouvez probablement pas nous dire comment ces objets étaient entreposés et emballés ?
Non.
En caisses ou...
Je ne sais pas.
Est-ce que vous avez parlé à plusieurs reprises à Funk de ces dépôts des SS ?
Je crois me souvenir que non, mais probablement j’ai dû lui en parler une deuxième fois lorsque M. Pohl vint me voir, car il était de mon devoir de tenir Funk au courant de toutes ces affaires.
A-t-on donné, à la direction de la Reichsbank, une importance particulière à toute cette affaire ? En aurait-on parlé à plusieurs reprises ou bien n’était-ce qu’une question secondaire désagréable ?
Cette question a été examinée à fond au conseil de direction, puis on n’en a plus parlé.
Vous ne vous souvenez donc pas en avoir parlé plus tard avec Funk. Cependant, il se pourrait qu’après vous être entendu avec le SS-Obergruppenführer Pohl, vous en ayez encore brièvement parlé. Vous ai-je bien compris ?
Oui.
Témoin, vous dites dans votre affidavit que, parmi les affaires déposées par les SS (c’est le paragraphe 5), se trouvaient des bijoux, des montres, des montures de lunettes, des plombages en or — il s’agit probablement d’appareils de prothèse dentaire — et d’innombrables objets pris par les SS à des Juifs et à d’autres victimes des camps de concentration. D’où tenez-vous ces renseignements ?
Je le sais par mes interrogatoires de Francfort.
Vous le savez donc parce que, lors de vos interrogatoires à Francfort, après votre captivité, on vous l’a raconté ?
Et on me l’a montré...
Lorsque vous étiez en liberté et que vous gériez la Reichsbank en qualité de vice-président, vous ne le saviez pas ?
Non, car — je le répète à nouveau — à la direction nous n’avons jamais parlé de cette affaire ; elle n’avait pas, en effet, le caractère d’une opération de politique monétaire ni d’une opération bancaire importante et ne présentait aucun intérêt d’ordre général.
Témoin, si en 1942 vous aviez su qu’il s’agissait d’affaires que les SS avaient volées à de nombreuses victimes des camps de concentration, les auriez-vous acceptées en dépôt ?
Non.
Qu’auriez-vous fait ?
Nous aurions alors cherché une solution et nous aurions déterminé l’attitude que devaient adopter les banques en général en face d’un tel problème.
Qui aurait pris cette décision ?
Le directoire de la Reichsbank en tant que corps constitué, et on aurait soumis cette déclaration au président pour qu’il la contresignât.
Avez-vous une idée quelconque... Je dois dire que vous vous êtes exprimé de façon erronée tout à l’heure en parlant de votre affidavit. Vous avez antérieurement déclaré : « Il parvint à notre connaissance que les SS essayaient de transformer en espèces ces objets d’or ». Et aujourd’hui vous dites que vous ne l’avez appris qu’après le début de votre captivité. Si donc je vous comprends bien...
Docteur Sauter, je ne comprends pas pourquoi vous dites « antérieurement ». C’est pourtant la phrase qui, dans l’affidavit, suit celle dont vous parlez ?
Oui, Monsieur le Président.
Pourquoi parlez-vous alors au passé ?
Dans son affidavit le témoin a dit... si l’affidavit est exact et s’il n’y a pas de malentendus...
Je voudrais vous faire remarquer que la première phrase est celle-ci : « Le matériel déposé par les SS comprenait tous ces articles pris à des Juifs et à d’autres victimes des camps de concentration ». Puis il continue : « Il parvint à notre connaissance que les SS essayaient de transformer en espèces ces objets d’or ». Or, vous lui dites maintenant que cette phrase précédait l’autre, ou du moins c’est ce que j’ai compris.
Non. Le témoin a déclaré aujourd’hui qu’il n’a appris qu’au cours de son interrogatoire de Francfort que ces objets provenaient de victimes de camps de concentration. Mais l’affidavit doit être compris, à mon avis, de la façon suivante : il a voulu dire à ce moment qu’il le savait déjà par les SS avant son arrestation Ce n’est manifestement pas exact. C’est pour cela que j’ai demandé au témoin si cette façon de s’exprimer ne prêtait pas à un malentendu.
Il est donc exact, témoin — si je puis le répéter — que le fait qu’il s’agissait d’objets appartenant à des victimes de camps de concentration ne fut connu de vous que lors de votre interrogatoire ?
Oui.
Et quand avez-vous eu connaissance de ce qui se trouvait dans le dépôt, qu’il y avait des dents en or, par exemple ?
Je ne l’ai pas su, car aucun inventaire n’a été remis au directoire par la caisse ou par le trésor sur les détails de cette affaire.
Vous ne l’avez donc su que maintenant, après votre arrestation ?
Les détails, oui.
Bien. Maintenant vous parlez d’un accord qui, d’après les indications de Funk, serait intervenu entre Himmler, le Reichsführer SS, et le ministre des Finances du Reich. Que savez-vous de cela ?
Ce que j’en ai déjà dit tout à l’heure. De prime abord il était clair que la contrepartie des objets déposés chez nous devait être mise au compte du ministre des Finances.
Pas des SS ?
Non, pas des SS.
Pourquoi pas des SS ? C’étaient pourtant les SS qui avaient fait le dépôt, n’est-ce pas ?
Oui, mais les SS estimaient qu’elles agissaient pour le compte du Reich.
Savez-vous, témoin, que ces objets de valeur confisqués ou volés par les SS à l’Est étaient, en principe, à la disposition du ministre des Finances du Reich ?
Je n’ai pas très bien compris votre question. Cela n’a-t-il trait qu’à ces affaires ou à toutes les affaires confisquées, à tous les objets de valeur ?
Je parle de tous les objets de valeur : or, devises, etc. que les SS ont pris. Tous devaient être remis à la disposition du ministre des Finances et non pas de la Reichsbank.
L’équivalent ?
Oui, l’équivalent.
La valeur équivalente fut portée au crédit du ministère des Finances.
A ce propos, témoin je puis peut-être vous remettre deux comptes. Je ne sais pas si vous les avez déjà vus. Ce sont des comptes de la caisse principale de votre banque.
Oui, ils nous étaient destinés.
Je voudrais d’abord que vous les regardiez et que vous me disiez si vous en avez eu connaissance déjà et à quoi ils ont trait.
J’ai déjà vu ces deux photocopies lors de mes interrogatoires.
Pas avant ?
Non, pas avant, et de ces deux photocopies il ressort que la valeur de ces objets devait être portée au crédit de la caisse principale du Reich. La caisse principale du Reich est un service du ministère des Finances.
Il s’agit probablement de cette entente dont vous avez entendu parler, aux termes de laquelle ces affaires appartenaient au ministère des Finances et, en fin de compte, au Reich.
Oui.
Eh bien, témoin, je vais vous poser encore une question à ce sujet. J’aimerais savoir si, là encore, il y a un malentendu. L’affidavit rapporte que Funk vous aurait dit que ces questions devaient rester absolument secrètes ; aujourd’hui vous ne nous en parlez pas, bien que nous ayons l’affidavit. Est-ce exact ? Est-ce un malentendu ?
Le secret ? Non.
Oui.
Naturellement, ces questions devaient être tenues secrètes, mais en général le secret s’appliquait à toutes les tractations bancaires.
Témoin, cette déclaration ne nous satisfait certainement pas. Lors de votre interrogatoire du 3 mai, avez-vous dit — c’est ce que je vois ici — que cette affaire devait être entourée du secret le plus absolu, ou vous êtes-vous exprimé autrement ?
Non, le texte de l’affidavit est exact. Cette affaire devait être tenue absolument secrète.
Et pourquoi ?
Pourquoi ? Parce que de telles affaires restent en général secrètes et qu’on n’a pas coutume de les crier sur les toits, d’autant plus que ces objets venaient de l’Est. Je répète ce que j’ai déjà dit : nous faisions notre possible pour ne pas être mêlés à des opérations portant sur des objets confisqués.
Avez-vous été frappé par le fait que l’accusé Funk ait parlé d’un secret ?
Non.
Cela ne vous a pas frappé ?
Pas particulièrement.
Pas particulièrement ?
Non. Je me rendis compte seulement après cette conversation que nous devions garder le secret absolu sur tous les objets que nous refusions qui provenaient du service des devises ou des douanes.
Oui, mais vous décrivez cette affaire comme si d’un côté vous l’aviez crue parfaitement légale, et d’un autre côté comme si vous trouviez, en tant qu’expert en la matière, le secret tout à fait normal. On se demande alors pourquoi, dans ces conditions, on a parlé de secret ?
Je crois que c’est parce que M. Funk avait été prié de garder le secret et qu’il a transmis ce désir.
Vous l’a-t-il dit ?
Non, je ne m’en souviens pas.
Vous ne lui avez pas demandé pourquoi il fallait garder ce secret absolument — vous maintenez ce mot : absolument ?
Oui, il fallait, en la matière, imposer aux employés une consigne rigoureuse du secret.
Et vous, comme vice-président directeur, qu’avez-vous répondu ?
Je n’ai rien répondu, car, si on convient de quelque chose, on tient compte de la convention.
Mais vous ne savez pas si on en était convenu ?
Oui, je crois qu’on en était convenu.
C’était possible ?
Oui.
Et, si je puis me répéter, ces objets qui sont arrivés, vous ne les avez même pas vus ?
Non.
Vous ne savez probablement pas non plus quelle était leur importance ?
Non, je ne le sais pas non plus. Je n’ai pas vu non plus de décompte, ni d’inventaire. Cela ne relevait pas de notre compétence et, en définitive, on n’a jamais soumis à un membre du directoire le détail de toutes les opérations.
Je vous demande cela, car à l’occasion de la discussion de cette affaire, on a prétendu que des wagons entiers étaient arrivés. Des wagons entiers...
Vous riez déjà, mais vous rirez davantage lorsque je vous dirai qu’on a parlé de quarante-sept wagons d’or qui vous étaient destinés et dont vous n’auriez rien su ?
Je n’en ai jamais entendu parler.
Vous n’en avez rien su ? Témoin, quittons ce point et venons en au second point de votre affidavit de mai. Ce sera très court.
Ce M. Pohl, le SS-Obergruppenführer Pohl, dont vous avez parlé tout à l’heure, vous le connaissiez déjà en 1942 je crois ?
Oui, mais c’était la première fois qu’il se rendait dans mon bureau.
Mais ce n’est pas un reproche. Ce n’est que la constatation d’un fait. Vous le connaissiez, et probablement à cause de la première opération de crédit qui précéda.
Oui, c’est possible.
L’accusé Funk prétend, dans la mesure où il s’en souvient, que cette affaire à laquelle il n’attachait pas une importance particulière à cette époque eut lieu en 1940, peu de temps avant l’autre affaire. Est-ce vraisemblable ?
C’est possible. Je ne le nie pas, mais je ne puis le confirmer, car je n’ai pas la date du crédit en mémoire.
Et vous dites maintenant dans votre affidavit, au sujet de ce crédit, que la Reichsbank avait ouvert aux SS un crédit de 7.000.000 à 12.000.000 destiné, je crois, à lui permettre de se libérer d’engagements qu’elles avait auprès d’une autre banque. Et vous dites notamment que ce crédit a été utilisé pour le financement de la construction de matériaux dans des usines dirigées par les SS et employant des ouvriers provenant des camps de concentration ?
Témoin, ce qui m’intéresse ici, c’est moins le financement en tant que tel qui fait partie de votre activité professionnelle — le montant indiqué de 7.000.000 à 12.000.000 n’avait d’ailleurs rien d’exagéré — que la question suivante : d’où tenez-vous que cette somme devait servir à des usines des SS employant de la main-d’œuvre provenant des camps de concentration ? D’où le savez-vous ?
La demande de crédit provenait du service économique des SS, que j’ai déjà mentionné. Ce service avait un certain nombre d’entreprises en Allemagne, pour lesquelles il lui fallait de l’argent. La banque d’escompte était prête à donner des crédits mais seulement sous la forme normale de crédits commerciaux, c’est-à-dire : le créancier devait nous remettre un bilan, nous faire un rapport périodique sur sa productivité, le statut financier, les prévisions, bref, tout ce qu’un débiteur doit communiquer à son créancier. Le président de la banque d’escompte dirigea ces discussions et les délégués de la section économique qui présentaient les bilans furent également mis au courant de ce programme de production qui avait ceci de particulier du point de vue du bilan que le compte des salaires était assez faible. La question s’est donc posée d’elle-même : d’où venait cette faiblesse des salaires ? Le président de la banque d’escompte en a référé au conseil d’administration.
Vous parlez toujours de la banque d’escompte ; cela peut intéresser le Tribunal. Est-ce une branche de la Reichsbank, dépendait-elle également de l’accusé Funk ? Voulez-vous nous le dire ?
Oui, cette Golddiskontbank fut fondée aux environs de 1920 comme institution complémentaire de la Reichsbank. Elle n’est pas destinée uniquement à soutenir l’exportation mais aussi la production. Du point de vue capital de fondation...
Cela ne nous intéresse pas.
Presque toutes les obligations étaient entre les mains de la Reichsbank, ainsi que la direction. Elle avait un conseil d’administration présidé par le président de la Reichsbank, qui était représenté à ce conseil d’administration par un vice-président, le deuxième vice-président de la Reichsbank. Au conseil d’administration, siégeait une série de membres du directoire de la Reichsbank, ainsi que le secrétaire d’État au ministère de l’Économie et au ministère des Finances.
Cela ne nous intéresse pas de savoir quels étaient les directeurs de la Golddiskontbank.
Témoin, j’ai déjà dû vous interrompre tout à l’heure. Je voulais vous dire que cela ne présentait aucune importance pour le Procès ; ce qui m’intéresse, et ce qui intéresse le Tribunal, c’est de savoir si l’accusé Funk, dans la mesure où vous vous en souvenez, était au courant de l’utilisation de ces crédits et s’il savait que l’on employait dans ces usines de la main-d’œuvre de camps de concentration. En étiez-vous informé ou non ?
Je pourrais le supposer, mais je ne peux le savoir. De toute façon, il était notoire que ce crédit était destiné à ces usines.
Témoin, cette réponse ne me satisfait pas, car les SS, comme vous avez dû l’apprendre entre temps, avaient différentes entreprises dans lesquelles il n’y avait pas de main-d’œuvre venant des camps de concentration, par exemple : la fabrique de porcelaine d’Allach, où n’a dû être employé aucun interné de camps de concentration, ou les installations thermales...
Je m’élève contre la façon de procéder de la Défense, qui donne pratiquement au témoin les réponses avant de poser les questions.
Savez-vous si les SS avaient des entreprises dans lesquelles les internés des camps de concentration n’étaient pas employés ?
Je ne pouvais évidemment pas connaître toutes les entreprises des SS, ni savoir si telle ou telle employait des internés ou non.
Est-ce qu’au cours de cette conférence où l’on a parlé de ces crédits l’accusé Funk était présent ?
Non, il n’était pas présent. Nous employions toujours la même procédure : présenter des rapports.
L’accusé Funk a-t-il discuté avec les personnes qui ont présenté des observations sur les comptes de salaires ?
Non, c’est le président de la Golddiskontbank qui l’a fait.
C’est donc le président de la Golddiskontbank et non l’accusé Funk qui l’a fait ? Dans ce cas, Monsieur le Président, je n’ai pas d’autre question à poser à ce témoin.
Je n’ai que quelques questions à poser, Monsieur le Président. (Au témoin.) A qui avez-vous parlé, en dehors des représentants du Ministère Public, depuis votre arrivée à Nuremberg ? Avez-vous vu des documents ? Avez-vous eu des entretiens à Nuremberg avec des personnes étrangères au Ministère Public ?
Je ne connais pas exactement tous les noms. Il y avait un M. Kempner, M. Margolies...
Je ne vous demande pas les noms des membres du Ministère Public ; je vous demande simplement à qui vous avez parlé depuis que vous êtes arrivé à Nuremberg ? Vous n’avez pas besoin de réfléchir beaucoup. Avez-vous parlé avec quelqu’un d’autre ou non ?
Seulement avec mes co-détenus dans le couloir de notre prison.
Personne d’autre ?
Personne.
En êtes-vous absolument sûr ?
Absolument, oui.
Est-ce que vous n’avez pas parlé, à la section des témoins, au Dr Stuckart, du témoignage que vous vouliez donner ce matin. Voulez-vous me répondre ?
Le Dr Stuckart est un co-détenu que j’ai rencontré dans le couloir de notre aile de la prison.
Je ne vous demande pas cela. Je vous demande si vous ne lui avez pas parlé, il y a un jour ou deux de votre témoignage concernant cette affaire.
Non.
Je crois qu’il est très important de vous rappeler que vous déposez ici sous la foi du serment. Je vais vous demander encore une fois si vous n’avez pas parlé au Dr Stuckart de votre témoignage ou de faits concernant Funk.
Non, j’ai parlé de questions générales.
Vous n’avez pas parlé à quatre ou cinq personnes de votre témoignage ou des faits qui sont discutés ici ?
Non, absolument pas.
Bien. Connaissez-vous un certain Thoms : T-h-o-m-s ?
Thoms est un fonctionnaire de la Reichsbank ; il était employé dans les sous-sols de la Reichsbank.
Vous le connaissez ?
Oui.
Vous lui avez parlé de ces objets déposés par les SS, Monsieur Puhl ?
A M. Thoms, non.
Vous ne lui avez jamais parlé ?
Non. A Nuremberg, je n’ai pas vu M. Thoms, et à Francfort je ne l’ai vu que de loin.
Je ne parle pas de Nuremberg maintenant. Oublions-le un instant. Je parle du temps durant lequel ces dépôts sont restés à la Reichsbank. Avez-vous parlé de ces dépôts avec M. Thoms ?
Oui, comme il est dit dans l’affidavit.
Ne vous occupez pas de cet affidavit. J’ai quelques questions à vous poser, et c’est surtout celle du secret qui m’intéresse. Qu’avez-vous dit à ce M. Thoms sur le secret à garder sur ces dépôts ?
Je dois ajouter que j’ai d’abord parlé à M. Tonetti qui était le responsable. Thoms venait ensuite. J’ai dit à ces deux personnes qu’on nous avait demandé de garder le secret sur cette question.
Avez-vous dit qu’il fallait garder le secret et n’en parler à personne, qu’il y avait là une obligation très stricte de garder le secret, que c’était un accord spécial, et que si quelqu’un posait des questions il fallait répondre qu’il était interdit d’en dire le moindre mot ? Avez-vous dit cela à M. Thoms à la Reichsbank ?
En substance, oui.
C’est ce que je voulais savoir. Pourquoi avez-vous dit à Thoms qu’il ne devait pas en parler, qu’il était absolument interdit d’en parler, que c’était extrêmement secret, puisqu’il était soumis à l’obligation ordinaire du secret qui lie les employés de banque sur toutes les transactions bancaires ?
Parce que M. le président Funk m’avait personnellement transmis ce désir.
Je crois qu’il y a peut-être quelque confusion. J’ai compris, et je crois que le Tribunal a compris aussi, que vous avez expliqué à l’avocat de Funk que le secret attaché à cette transaction n’était pas extraordinaire, mais qu’il s’agissait simplement du secret professionnel que garantissaient les banques à leurs clients. Ce n’est évidemment pas le cas ici, n’est-ce pas ?
Comme je l’ai déclaré tout à l’heure, cette affaire s’est passée ainsi : les objets confisqués qui venaient à la banque étaient en général refusés par nous ; si nous faisions une exception, un secret tout spécial s’imposait évidemment.
Je voudrais que vous répondiez directement à cette question : n’y avait-il pas une raison spéciale d’observer un secret tout particulier sur ces dépôts des SS ? Répondez par oui ou par non.
Je ne m’en suis pas aperçu.
Alors, pourquoi avez-vous dit à Thoms que c’était extrêmement secret, qu’il ne devait répondre à aucune question à ce sujet, et devait dire qu’il n’avait pas le droit d’en parler ? Vous ne donniez pas de telles instructions pour les affaires ordinaires ?
J’avais reçu moi-même de telles instructions.
C’était peut-être le cas mais c’était un secret tout spécial et vous ne procédiez pas comme cela habituellement.
En général, nous refusions les objets confisqués. Si nous faisions une exception au vu et au su de tout le monde, cela constituait un précédent, c’est ce que nous voulions absolument éviter.
Vous ne vouliez pas non plus en parler par téléphone avec Pohl, n’est-ce pas. Vous lui avez demandé de venir dans votre bureau.
Oui.
Pourquoi, puisqu’il s’agissait de transactions normales ?
Parce qu’on pouvait écouter les conversations téléphoniques et qu’ainsi d’autres services auraient pu en être informés.
Vous n’aimiez pas beaucoup parler au téléphone, n’est-ce pas ? Vous n’avez jamais téléphoné de la Reichsbank, n’est-ce pas ? Vous savez très bien qu’il y avait une raison spéciale de ne pas utiliser le téléphone, et il me semble que vous devriez donner cette raison au Tribunal.
Oui. La raison était la suivante : comme je l’ai dit à plusieurs reprises, on m’avait tout de suite exprimé le désir de voir cette affaire rester secrète, et ce secret devait être respecté également dans les conversations téléphoniques.
Vous prétendez toujours que cette affaire dont vous avez dit au Dr Kempner qu’elle était une « ignominie » n’était pas une transaction entourée d’un secret spécial ? Il me semble que le mot « ignominie » est clair, n’est-ce pas ?
Oui.
Que veut dire ce mot allemand « Schweinerei » Il signifie que c’était un peu pourri, n’est-ce pas ?
Cela veut dire qu’il était préférable pour nous de ne pas nous en occuper.
Vous avez plusieurs fois téléphoné à Thoms pour vous renseigner sur les dépôts des SS, n’est-ce pas ?
Non, j’ai vu Thoms assez peu souvent. Je suis resté plusieurs mois sans le voir, car il lui était très difficile de venir dans mon bureau.
Je ne vous ai pas demandé si vous le voyiez souvent, je vous ai demandé si vous ne lui aviez pas téléphoné pour lui demander ce qu’il advenait de ces dépôts.
Non. A partir de ce moment, je ne me suis plus intéressé à cette affaire. Il aurait fallu aussi un état de la caisse.
Bien. Avez-vous dit à Thoms d’entrer en contact avec le Brigadeführer Frank ou avec l’Obergruppenführer Wolff, des SS ?
Oui. Je répète ce que j’ai dit tout à l’heure. Lorsque Pohl est venu me trouver, il m’a dit qu’il chargerait deux personnes de traiter avec la Reichsbank, et ce sont ces deux personnes-là dont j’ai transmis les noms à la caisse.
Sous quel nom ont été faits ces dépôts à la Reichsbank ?
Je n’ai su ce nom sous lequel le dépôt avait été effectué qu’à Francfort, en étudiant les dossiers.
Connaissez-vous le nom de Melmer, M-e-l-m-e-r ?
Je l’ai entendu lorsque j’étais à Francfort.
N’avez-vous pas téléphoné une fois à M. Thoms pour lui demander ce qu’il advenait des dépôts Melmer ?
Je n’ai pas très bien compris, s’il vous plaît.
J’ai dit : n’avez-vous pas téléphoné une fois à M. Thoms pour lui demander ce qu’il advenait des dépôts Melmer ?
Non, je ne pouvais pas du tout poser cette question, car je ne connaissais pas le nom de Melmer.
Vous ne saviez pas que Melmer était le nom d’un SS ?
Non, je ne le savais pas.
Je voudrais que vous regardiez un affidavit de M. Thoms, daté du 8 mai 1946. Vous l’avez d’ailleurs déjà vu hier, n’est-ce pas ? Répondez à cette question, s’il vous plaît. Témoin, avez-vous vu cet affidavit hier, celui que je viens de vous faire remettre ?
Parfaitement.
Vous verrez dans le paragraphe 5 que Thoms, qui a fait cet affidavit, déclare vous avoir rendu visite. Vous lui auriez dit que la Reichsbank gérerait ces dépôts pour le compte des SS qui vous remettraient l’or, l’argent et les devises. Vous avez déclaré de plus que les SS avaient l’intention de déposer d’autres objets, des bijoux, par exemple, et que vous deviez trouver un moyen de vous en sortir. Il vous proposa, Monsieur Puhl, « de transmettre les objets à la Reichshauptkasse, comme on avait fait pour les prises de la Wehrmacht, ou bien de les faire remettre par le Reichsführer SS directement au Mont-de-piété, afin que la Reichsbank n’ait plus à s’en occuper, comme dans le cas des biens juifs confisqués. Puhl me dit que ceci n’entrait pas en ligne de compte et qu’il fallait s’entendre pour que rien ne transpirât de ces opérations portant sur des valeurs de caractère exceptionnel ». Et, plus loin :
« Cette conversation avec Puhl eut lieu environ quinze jours avant la première livraison du 26 août 1942 ; elle se déroula dans le bureau de M. Puhl ; nous étions seuls présents. Je ne sais plus si M. Frommknecht y assista tout le temps ; Puhl dit qu’il était très important de n’en parler à personne et de garder là-dessus le secret absolu ; il ajouta qu’il s’agissait d’une opération spéciale et que si on me posait des questions, je devais répondre que je n’avais pas le droit d’en parler ».
Page suivante, paragraphe 8, M. Thoms dit : « M. Puhl me dit que si j’avais des questions à poser à ce sujet, je devais me mettre en rapport avec le Brigadeführer Frank ou avec le Gruppenführer ou l’Obergruppenführer Wolff, de la section économique des SS. Je me souviens avoir reçu le numéro de téléphone de ce bureau et je crois me souvenir qu’il m’a été fourni par M. Puhl. Je téléphonai au Brigadeführer Frank à ce sujet, et il me déclara que les livraisons seraient faites par convois de camions dirigés par un SS du nom de Melmer. On se demanda s’il valait mieux que Melmer fût en uniforme ou en civil ».
Puis, paragraphe 10, il déclare : « Lors de la première livraison, bien que Melmer fut en civil, un ou deux SS en uniforme étaient de garde et, après une ou deux livraisons, la plupart des gens dans la Hauptkasse, et presque tout le monde dans mon bureau, étaient au courant des livraisons des SS. »
Puis, plus loin, paragraphe 12 : « Dans la première déclaration envoyée par la Reichsbank et signée par moi, je posais une question à Melmer concernant le compte auquel on devait porter ces biens. En réponse, Melmer me dit de vive voix que l’on devait en créditer le compte « Max Heiliger ». Je le confirmai par téléphone au chef de la comptabilité du ministère des Finances du Reich, M. Patzer et en fis part à Melmer dans ma seconde déclaration du 16 novembre 1942 ».
Voici maintenant le paragraphe 13 :
« Quelques mois plus tard, Puhl vint me trouver et me demanda des nouvelles des dépôts Melmer en me disant qu’il supposait que cette affaire était bientôt terminée. Je dis à Puhl, qu’à mon avis, la façon dont les faits s’étaient déroulés faisait supposer qu’ils ne faisaient que croître. »
J’attire maintenant votre attention sur le paragraphe suivant :
« Un des premiers faits qui nous firent soupçonner l’origine de ces objets fut qu’un paquet portait l’inscription « Lublin ». C’était au début de 1943. Puis nous vîmes d’autres articles portant le tampon « Auschwitz ». Nous savions tous que c’était l’emplacement d’un camp de concentration. En novembre 1942, la dixième livraison contenait des dents en or, dont le nombre ne fit que croître par la suite sur une vaste échelle. »
Et un autre paragraphe, mais je voudrais attirer votre attention sur le fait que Thoms dit que vous l’avez appelé et que vous lui avez demandé où en étaient les livraisons Melmer, et aussi sur le fait que vous avez insisté auprès de lui pour qu’il gardât le secret.
Maintenant que vous avez vu de nouveau cet affidavit — et vous souvenez avoir dit hier qu’il était absolument exact — je vous demande encore s’il n’y avait pas une raison tout à fait spéciale de garder le secret.
La lecture de cette déclaration montre clairement que le désir de garder le secret vient des SS. C’est conforme à ce que j’ai dit tout à l’heure ; les SS désiraient garder le secret sur tout cela. Ce désir alla si loin qu’ils inventèrent le nom de « Max Heiliger » pour la circonstance, dont le compte (la comptabilité le montre) devait être attribué au ministère des Finances. Tout ceci est donc conforme à mes relations suivant lesquelles ce secret particulier fut réclamé et obtenu par les SS et fut observé jusqu’au revirement de la valeur.
En ce qui concerne le second point, ma conversation avec Thoms, je ne me souviens pas d’une telle conversation parmi les nombreuses autres que j’eus à la banque. Je ne puis pas m’imaginer non plus que je l’aie prié de venir. C’aurait été tout à fait inaccoutumé. Je ne me souviens pas de l’expression « livraison Melmer » et je suppose qu’on a très simplifié le récit des événements afin d’être plus bref.
Ce n’est pas très important mais en tout cas il prétend que vous l’avez appelé au téléphone et ne l’avez pas convoqué. Je dépose cet affidavit sous le numéro USA-852.
Cet affidavit ne me semble pas avoir été fait sous la foi du serment.
Le témoin est ici à Nuremberg ; je le retiendrai jusqu’à ce qu’il prête serment et je déposerai ensuite l’affidavit. Je n’avais pas fait attention à cela. Le témoin est à notre disposition et je l’ai fait venir au cas où nous pourrions en avoir besoin. (Au témoin.) L’accusé Göring savait quelque chose de ces dépôts, n’est-ce pas ? Puisque nous parlons de cette question, qu’en savez-vous ?
Je ne sais pas si M. Göring en a su quelque chose.
Je voudrais vous montrer un document trouvé dans les archives de la Reichsbank C’est le numéro PS-3947. C’est un nouveau document, vous ne l’avez pas encore vu. C’est un mémorandum daté du 31 mars 1944 portant sur le sujet suivant :
« Utilisation des bijoux, etc. acquis par des services officiels au profit du Reich.
« Aux termes d’un accord verbal confidentiel entre le vice-président M. Puhl et le chef d’un service de Berlin, la Reichsbank s’est chargée de la réalisation des devises, locales ou étrangères, des monnaies d’or, d’argent, des métaux précieux, valeurs, bijoux, montres, brillants et autres objets. Ces dépôts seront inscrits sous le mot-code « Melmer ».
« Un grand nombre d’objets précieux ont été remis, dans la mesure où ils n’ont pas été fondus, après inventaire, au Mont-de-piété municipal, division III, service central, Berlin n° 4 Eisässerstrasse 74, pour en tirer le maximum de profit. » Je ne veux pas lire le tout, on parle encore du Mont-de-piété ; je voudrais cependant attirer votre attention sur le paragraphe commençant ainsi ;
« Le Reichsmarschall du Grand Reich allemand, délégué au Plan de quatre ans, a informé la Reichsbank, dans une lettre datée du 19 mars 1944, dont une copie est jointe, que les stocks d’objets d’or et d’argent, de bijoux, etc. du service central des séquestres des territoires de l’Est devaient être livrés à la Reichsbank, conformément à l’ordonnance du ministre du Reich Funk et du comte Schwerin von Krosigk. La réalisation de ces objets doit être faite de la même façon que pour les livraisons « Melmer ». Le Reichsmarschall a fait allusion à une opération similaire sur des objets acquis dans les territoires occupé de l’Ouest. Nous ne savons pas à quel service ces objets ont été livrés ni comment ils ont été réalisés. »
Suivent quelques phrases sur une enquête, sur les établissements de crédit, la description de cette affaire, etc.
Je voudrais tout d’abord vous demander : on dit dans le premier paragraphe : « Aux termes d’un accord verbal confidentiel entre vous et le chef d’un service de Berlin. » Quel était ce chef d’un service de Berlin avec lequel vous avez conclu cet accord confidentiel ?
C’était M. Pohl, et c’est la conversation dont nous avons parlé ce matin.
C’était M. Pohl des SS, n’est-ce pas ?
Oui.
Et c’est de cette transaction avec les SS que traite ce mémorandum ?
C’est un rapport de notre caisse et on a évité ici, puisque cela devait rester secret, les mots de « Service économique SS », ou autre, et on a employé le terme plus général : « Le chef d’un service de Berlin ».
Plus loin, ce même paragraphe déclare : « Les dépôts seront inscrits sous le nom-code « Melmer ». C’est le nom sur lequel je vous ai interrogé il y a quelques minutes, si vous vous souvenez bien ?
Je n’ai pas compris la question.
Dans la dernière phrase de ce paragraphe il est dit : « Tous les dépôts seront faits sous le nom de Melmer, M-e-l-m-e-r » au sujet duquel je vous ai interrogé il y a quelques minutes. Et vous m’avez dit que vous ne connaissiez pas ce nom.
Oui, et il ressort de ce rapport que je n’ai pas pu le connaître car c’est la caisse elle-même qui mentionne ici seulement qu’elle fera l’opération sous le nom de « Melmer ».
Je crois que si vous le lisiez, vous verriez que cela prouve exactement le contraire. Aux termes d’un accord verbal confidentiel entre vous-même et Pohl, des SS, la Reichsbank s’est chargée de la réalisation des monnaies, objets d’or et d’argent, etc. Les dépôts sont faits sous le nom-code de « Melmer ».
Vous ne voulez pas prétendre devant le Tribunal que vous ignoriez qu’une transaction se faisait sous un nom-code dans votre banque dont vous étiez vice-président. Vous aviez négocié directement avec les SS ? Vous voulez sérieusement le déclarer devant le Tribunal ?
Oui, le mot « Melmer » n’a jamais été prononcé en ma présence, mais nos directeurs de caisse pouvaient donner un nom-code aux comptes de leurs clients si ceux-ci ne désiraient pas donner leur propre nom et celui de leur établissement, et c’est de cette possibilité que la caisse a usé dans ce cas.
Vous observerez que c’est la seconde fois, depuis ce matin que nous rencontrons le mot « Melmer ». M. Thoms déclare que vous vous êtes servi de ce mot en lui parlant, et maintenant nous trouvons ce mot dans un document de votre propre banque qui est tombé entre nos mains. Et vous dites toujours que vous ignorez ce mot ?
Justement parce que ce mémorandum n’a pas été rédigé pour moi, mais pour le chef du service de la caisse. Pour le mettre au courant de ce qui était convenu, il explique sous quelle dénomination et sous quel chiffre il devra procéder à cette opération.
Monsieur Puhl, pouvez-vous me regarder une minute ? N’avez-vous pas dit au lieutenant Meltzer, au lieutenant Margolies et au Dr Kempner — ils étaient tous ensemble — que toute cette affaire avec les SS était un sujet de conversation général à la Reichsbank ? Ne l’avez-vous pas dit à ces messieurs, qui sont ici, deux à la table du Ministère Public, et un à côté de moi ? Vous les connaissez. Je voudrais que vous réfléchissiez avant de répondre à cette question.
Nous avons dit que le secret n’avait pas été gardé, car à la longue on ne peut rien garder secret dans une banque, mais cela n’a rien à voir avec ce que nous disons. Nous parlons des détails techniques de la conduite d’une opération de ce genre, qui ne sont pas divulgués. Mais nous ne pouvions naturellement pas éviter que l’affaire en soi fût connue.
Non, vous ne comprenez pas. Nous ne parlons pas de cela. Je pense que vous devez vous souvenir — cela s’est passé il y a seulement un jour ou deux — que vous avez eu une conversation avec ces messieurs, dans ce bâtiment même. Je vous demande maintenant si vous ne leur avez pas dit que l’histoire de la transaction des SS avec la banque était de notoriété publique à la banque ?
Il courait dans la banque des rumeurs au sujet de cette opération mais les détails n’en étaient naturellement pas connus.
Avez-vous quelque exemple au sujet du rôle que vous avez joué ? Je crois que cette question est justifiée par votre témoignage. Vous inquiétez-vous de ce que vous avez fait dans cette affaire ?
Non. Personnellement, je n’ai plus rien eu à voir dans cette affaire une fois qu’elle a été entreprise. Et comme vous pouvez le voir dans l’affidavit de M. Thoms, il avoue lui-même que, pendant des mois, il ne m’a même pas vu. Cette affaire n’a jamais été exposée dans les conférences du directoire et jamais on ne nous a demandé de décision.
Vous savez pourtant que l’accusé Funk a déclaré à la barre des témoins que c’est vous qui lui avez parlé le premier des affaires des SS. Est-ce aussi votre version ?
Non. Dans mes souvenirs, c’est au cours du premier entretien avec le président Funk qu’il m’a dit que pour les raisons que j’ai indiquées tout à l’heure, nous devions rendre service aux SS en prenant des « dépôts », c’est le terme dont on s’est servi.
Vous avez employé une expression plus forte l’autre jour lorsque vous avez dit : « Pouvez-vous croire que Himmler m’ait parlé au lieu de s’adresser à Funk ? » Vous vous souvenez d’avoir dit cela à ces messieurs ?
Je n’ai pas compris la dernière question.
Ce n’est pas très important. Je vous demandais si vous ne vous souveniez pas avoir déclaré à ces messieurs, les lieutenants Melzer et Margolis, que Himmler ne se serait pas adressé à vous qui n’étiez que vice-président de la banque, mais à Funk. Lorsqu’on vous a communiqué que Funk avait dit que c’était vous qui aviez commencé cette affaire, vous avez été très indigné. Vous ne vous en souvenez pas ?
Si.
Vous avez, à cette occasion, manifesté une grande irritation. Vous en souvenez-vous ?
Oui.
Enfin cette question : prétendez-vous sérieusement qu’avant d’être interrogé à Francfort, vous ne connaissiez ni l’existence, ni la nature de ces dépôts ? Après l’affidavit de Thoms, cette pièce que je viens de vous montrer, et tout l’interrogatoire de ce matin, voulez-vous conclure votre témoignage en déclarant que vous n’avez jamais su ce qui se trouvait dans ces dépôts ?
L’affidavit produit ce matin, ou la déclaration de la caisse qui m’a été présentée aujourd’hui, m’a été montré pour la première fois à Francfort. Je ne l’ai jamais vu auparavant et je ne me suis jamais occupé des détails de cette affaire, et ne pouvais pas le faire, étant vice-président et responsable de la politique générale économique et monétaire, des crédits et des questions similaires. D’autant plus que nous avions à notre service de caisse tout un état-major de collaborateurs particulièrement qualifiés, qui auraient dû informer le directoire de la banque si c’eût été nécessaire.
Naturellement, vous ne niez pas que vous saviez qu’il y avait dans ce dépôt des bijoux de l’argent et d’autres objets ?
De prime abord, on a employé le mot allemand « Schmucksachen » qui veut dire bijoux.
Eh bien, nous allons voir quels étaient les objets que vous saviez être contenus dans ces dépôts. Vous saviez qu’il y avait des bijoux, quelques bijoux ? Vous saviez qu’il y avait des devises, des pièces de monnaie, d’autres articles. - Vous ignoriez seulement qu’il y avait des dents en or, n’est-ce pas ?
C’est certainement vrai. On savait, on l’avait dit dès le début, M. Pohl m’avait dit que ces dépôts étaient constitués en grande partie d’or, de devises, de monnaies d’argent, et il a ajouté également « de quelques bijoux ».
Dans ces conditions, je crois que vous pouvez répondre simplement à ma question : vous saviez donc que tout ce qui est mentionné dans votre affidavit, à l’exception des dents en or, était déposé par les SS. Vous ne comprenez pas cette question ? Je ne crois pas qu’elle soit très compliquée. Vous n’avez pas besoin de lire quelque chose, Monsieur Puhl. Regardez simplement ici. Je vous demande si vous connaissiez tous les objets qui sont mentionnés dans votre affidavit, à l’exception des dents en or ?
Je savais qu’il y avait des bijoux, mais je ne savais pas en quoi ils consistaient dans le détail.
Mais je ne vous demande pas de détails, je vous demande simplement si vous saviez qu’ils s’y trouvaient. Vous saviez qu’il y avait là des pièces de monnaies et différents articles. Ce sont les seules choses mentionnées, à l’exception des dents en or, qui sont les seules dont vous semblez n’avoir jamais connu l’existence.
Oui. Je savais en gros qu’il s’agissait de valeurs en or et en devises et que les bijoux, je le répète encore une fois...
Et les joyaux...
Je savais qu’il y avait des joyaux.
Donc, la seule chose que vous ignoriez était l’existence des dents en or ? C’est tout ce que je vous demande. Pourquoi ne répondez-vous pas à ma question ? Cela ne vous prendra pas très longtemps. N’était-ce pas exact ? La seule chose dont vous ne saviez rien c’étaient les dents en or ?
Non.
Qu’est-ce qui est encore mentionné et dont vous ne connaissiez pas l’existence ?
Par exemple, on parle encore de montures de lunettes.
Vous ne le saviez pas non plus ? Alors je vais l’ajouter. Montures de lunettes et dents en or. Vous ignoriez ces deux choses ?
Dans le rapport qui m’avait été fait, on n’avait employé que le terme général « Schmucksachen » ou bijoux.
Les deux choses pour lesquelles vous vous inquiétez le plus sont donc les montures de lunettes et les dents en or.
Je n’ai plus de question à poser, Monsieur le Président.
Un instant, je vous prie. Ne faites pas sortir le témoin. (Au témoin.) Avez-vous une copie de votre affidavit ?
Du 3 mai, oui.
N’en avez-vous qu’une copie ?
Je vais regarder. Oui, je n’en ai qu’une copie.
Voulez-vous me la remettre, je vous prie. Ce document recevra une référence et figurera au procès-verbal. Il faut lui donner un numéro.
Monsieur le Président, je crois qu’il a déjà été déposé comme preuve.
Non, pas ce document-ci. C’est le document que le témoin avait devant lui. Il porte quelques notes manuscrites et il est rédigé en anglais. Monsieur Dodd, voulez-vous regarder ce document.
Très bien. Je crois qu’il deviendra le document USA-851, c’est le nombre suivant.
Je crois qu’il y a encore au sujet de cet affidavit une question susceptible d’être utile au Tribunal. (Au témoin.) Monsieur Puhl, vous avez tapé vous-même ou écrit ou dicté une partie de cet affidavit ?
On m’a présenté un brouillon terminé et je l’ai modifié sur les points nécessaires.
Un instant. Et ensuite, après l’avoir rectifié, vous l’avez signé ?
(Signe de tête.)
Ne hochez pas la tête, répondez ; vous avez dit qu’on vous avait présenté un brouillon terminé que vous avez modifié. Je vous demande si l’avez ensuite signé ?
Oui.
Avez-vous, sur l’original, marqué vos initiales à chaque passage que vous avez modifié, à tous les passages que vous vouliez voir modifier ?
Non, nous l’avons recopié et il a été entièrement recopié...
Je sais que vous l’avez recopié. N’avez-vous pas marqué les passages que vous vouliez faire modifier et indiqué comment vous vouliez les modifier ?
Oui, mais c’était insignifiant. Par exemple le mot « Reichsbank » était remplacé par « Golddiskontbank », et autres rectifications de forme.
J’ai pensé qu’il pourrait être utile au Tribunal de savoir que ce document avait été recopié et paraphé.
Très bien.
Témoin, je voudrais vous poser quelques questions : l’accusé Funk était-il le premier qui vous ait parlé de ces transactions ?
Oui.
Funk vous a-t-il dit quelle personnalité des SS lui en avait parlé ?
Himmler.
C’est Himmler qui en avait parlé à Funk ? Qui était encore présent au moment où Himmler en parla à Funk ?
Je l’ignore.
Vous ne savez pas si Pohl s’y trouvait aussi ?
Je ne puis le dire, mais je peux préciser que de prime abord le nom du ministre des Finances a été prononcé ; j’ignore s’il était là en personne.
Funk vous a-t-il répété ce que Himmler lui avait dit ?
Il l’avait prié de mettre à la disposition des SS les installations de la Reichsbank.
Peu de temps après, vous avez saisi le directoire de cette question ?
Oui.
Funk assistait-il à cette conférence ?
Non, il n’y était pas.
Qu’avez-vous dit au directoire ?
J’ai fait un bref rapport sur la transaction.
Qu’avez-vous dit ?
J’ai rapporté en quelques mots mon entretien avec M. Funk, ma conversation avec M. Pohl, et j’ai confirmé le fait que la Reichsbank devait prendre dans ses caves des valeurs des SS.
Le directoire a-t-il approuvé cette opération ?
Oui, il n’y a pas eu d’objection.
Cependant l’accusé Funk vous a dit que ces objets venaient de l’Est, n’est-ce pas ?
Oui.
Qu’avez-vous compris par cette expression « venaient de l’Est » ?
En gros la Pologne, la Pologne occupée. Mais évidemment cela pouvait comprendre aussi certains territoires russes.
Vous saviez que c’étaient des biens confisqués, je pense ?
Oui.
Vous avez dit à Pohl que la banque se chargerait de la manipulation de ces objets ?
Pohl me pria de mettre les services de la banque à la disposition de ses hommes. J’avais accepté.
Par ces prestations, prévoyait-on aussi le tri, la mise en sacs, le classement des objets ?
Non, il n’en a pas été question.
Je ne vous ai pas demandé si l’on en avait parlé, je vous ai demandé si les prestations comprenaient le tri des objets et leur rangement dans des récipients ou des sacs ? L’avez-vous fait ?
Oui. Cela dépendait de la décision des directeurs des caisses ; s’ils le croyaient nécessaire, ils pouvaient le faire.
Est-ce que cela a été fait ?
Je ne puis pas le savoir. C’est une affaire intéressant la caisse.
Bien ; j’en ai terminé.
Monsieur le Président, je voudrais encore poser deux brèves questions.
Très bien, Docteur Sauter.
La première question, témoin, est celle-ci : on vous a demandé qui vous avait parlé ici ces derniers jours ?
Ici, à Nuremberg ?
Oui, à Nuremberg. Vous avez entendu que différents représentants du Ministère Public ont parlé de cette affaire avec vous durant ces derniers jours. Je voudrais que vous confirmiez si je vous ai parlé ?
Non, je vous vois aujourd’hui pour la première fois de ma vie.
C’est ce que je voulais faire constater pour des raisons de correction. Un deuxième point m’intéresserait : au cours de ces négociations — vous l’avez déjà déclaré, mais après les objections du Ministère Public, je voudrais vous l’entendre répéter — lors de toutes ces conversations, ou dans les documents produits que vous avez lus, a-t-on jamais dit qu’il s’agissait d’objets venant de camps de concentration ?
Le mot camp de concentration n’a été prononcé ni dans la conversation avec M. Funk, ni dans celle avec M. Pohl.
Ainsi M. Funk n’a fait aucune allusion en ce sens ?
Non.
Dans ce cas, Monsieur le Président, je n’ai pas d’autre question à poser.
Le témoin peut se retirer. L’audience est suspendue.
Monsieur Dodd, vous avez déposé le document PS-3947, n’est-ce pas ?
Oui, Monsieur le Président, je l’ai déposé sous le numéro USA-850, je crois.
Oui, c’était le 850. Et la copie de l’affidavit de Puhl était bien le 851 ?
Oui, Monsieur le Président, c’est exact. Je n’ai pas déposé l’autre affidavit, car nous nous sommes aperçus que le témoin n’avait pas prêté serment. Je me propose de le faire faire et, avec votre permission, je le ferai postdater. J’ai le témoin ici. Cette question ne peut pas être remise indéfiniment et je ne veux pas la faire traîner. Je voudrais déposer cet affidavit dès que nous aurons obtenu le serment. Si quelqu’un veut le demander, je suggère respectueusement que le Dr Sauter le dise maintenant. Le témoin Thoms n’est pas prisonnier, Monsieur le Président, il est en liberté.
Vous voudriez le citer maintenant ?
Si l’on doit le citer, Monsieur le Président, je suggère qu’on le fasse le plus tôt possible.
S’il doit être contre-interrogé, il doit être cité maintenant.
Je voudrais volontiers l’avoir à ma disposition.
Monsieur le Président, je prends la parole au nom du Dr Kauffmann, pour l’accusé Göring.
L’accusé Göring m’a prié de poser deux questions au témoin Puhl au cours de son nouvel interrogatoire. Ces questions portent vraisemblablement sur le document que le Ministère Public a soumis au témoin Puhl au cours de son contre-interrogatoire. Il s’agit du document PS-3947.
Le Ministère Public a cité un extrait qui figure à la page 2 de ce document au paragraphe 3 ; cet alinéa commence par les mots :
« Le maréchal du Grand Reich allemand, délégué au Plan de quatre ans... »
Un instant, Docteur Seidl, si vous désirez poser des questions au témoin au nom de l’accusé Göring, vous pouvez le faire ; nous ferons comparaître Puhl de nouveau.
Monsieur le Président, la difficulté n’est pas là. L’accusé Göring a déclaré — à mon avis, avec raison — qu’il ne pourrait poser ses questions au témoin sur une base solide que si on lui donnait la possibilité de lire préalablement le document sur lequel s’est appuyé le Ministère Public. C’est pourquoi j’ai voulu, pendant le contre-interrogatoire, faire remettre à l’accusé Göring par le soldat de garde le document PS-3947. On me l’a refusé, en s’appuyant sur un ordre donné par le commandant de la prison, ordre stipulant qu’on ne devait plus soumettre de documents à des accusés dont le cas avait déjà été traité.
Bien que le document ait été lu, l’accusé Göring et vous-même devez naturellement l’avoir entre les mains, mais le témoin doit être cité pendant l’audience. L’accusé Göring et vous pouvez voir le document, mais le témoin doit être appelé tout de suite pour être interrogé.
On n’a donné lecture que de quelques extraits de ce document et, à mon avis, l’accusé Göring est dans son bon droit en disant qu’il a besoin de voir tout le document pour poser une question pertinente. Je crois qu’il n’y a que deux possibilités : le Ministère Public renonce à apporter de nouvelles preuves concernant les accusés dont le cas est déjà réglé, même en contre-interrogatoire, ou bien l’on donne aux accusés la possibilité de prendre connaissance des documents nouvellement introduits au cours des débats. Pour les documents dont on ne lit que des extraits, ce n’est possible qu’en mettant le document entier à la disposition de l’accusé.
Ce document n’a guère plus d’une page et il n’y a qu’un seul paragraphe qui intéresse Göring. Ce paragraphe a déjà été lu. Quand je dis une page, je veux dire une page dans le texte anglais. Vous devez avoir sous les yeux une traduction allemande.
Il y a trois pages et demi dans mon document.
Il n’y a qu’un paragraphe qui s’applique à Göring.
Monsieur le Président il s’agit simplement de savoir si au cours de l’audience j’ai le droit de soumettre cette photocopie à l’accusé Göring. Si c’est possible — et je ne vois pas pourquoi ce ne le serait pas — je me trouverai dans très peu de temps en mesure de poser des questions au témoin Puhl, si c’est nécessaire. Mais, à mon avis, l’accusé a raison de dire qu’on ne peut de façon valable prendre position contre un document sur la base d’extraits.
Monsieur le Président, je peux peut-être vous aider. Je signale que le Dr Seidl a eu le document en mains pendant dix minutes au cours de la suspension ; d’autre part, je voudrais signaler que le Ministère Public ne prétend pas empêcher l’avocat de voir le document. Ce n’est qu’une mesure de sécurité.
Peut-être seriez-vous satisfait, Docteur Seidl, si nous ordonnons le rappel du témoin à deux heures, afin que vous puissiez lui poser les questions que vous désirez. Il aura naturellement le document. Il l’a en ce moment, et Göring pourra l’avoir également.
Mais voilà précisément la difficulté, Monsieur le Président, j’ai le document, mais en raison des règles en vigueur jusqu’ici l’accusé Göring ne pourra pas en prendre connaissance.
Remettez dès maintenant le document à Göring.
Je n’ai pas le droit de le faire.
Mais je vous dis de le faire ; nous vous en donnons l’autorisation.
Docteur Sauter, désirez-vous contre-interroger Thoms, le témoin dont la déclaration a été déposée ?
Oui, volontiers.
Vous désirez le faire ?
Oui, Monsieur le Président.
Puis-je faire une remarque au sujet de la déclaration du Dr Seidl ? Il ne s’agit pas simplement du document que le Dr Seidl voulait remettre à l’accusé Göring, il s’agit là d’une question de principe ; un avocat a-t-il le droit de soumettre à un accusé des documents présentés en cours d’audience ? Jusque là, c’était autorisé, mais la police a décidé depuis que les accusés dont le cas avait été traité au début n’avaient plus le droit de recevoir communication de documents de la part de leurs avocats dans la salle d’audience. Nous considérons, nous autres avocats, qu’on nous porte ainsi préjudice, car comme le montre le cas de Göring il peut arriver qu’un accusé soit encore intéressé aux débats ultérieurs. C’est pourquoi nous demandons au Tribunal qu’à l’avenir les avocats soient autorisés, même pendant l’audience, à remettre des documents aux accusés, même si leur cas particulier a déjà été traité. Voilà ce que le Dr Seidl voulait vous demander. Monsieur le Président, puis-je faire encore une remarque ?
Oui, Docteur Sauter, vous désirez ajouter quelque chose ?
Oui ; pourrais-je encore attirer l’attention du Tribunal sur un point : jusqu’ici, nous n’avions pas le droit de soumettre des documents aux prisonniers que nous faisions venir dans la pièce de la prison aménagée à cet effet. Lorsque j’ai des documents dont je désire entretenir mon client, je suis obligé de lui en donner intégralement lecture dans cette pièce. Lorsque dix, douze ou quinze avocats s’y trouvent en même temps, il est presque impossible...
Docteur Sauter, le Tribunal estime que tout document remis à l’avocat peut également être remis à l’accusé, son client, par l’avocat lui-même. On ne tiendra pas compte du fait que le cas de l’accusé a déjà été traité.
Nous vous en sommes très reconnaissants, Monsieur le Président, et nous espérons que nous ne nous heurterons pas à des difficultés d’exécution, maintenant que vous avez statué sur le fond.
Et maintenant, désirez-vous contre-interroger Thoms ?
Oui, Monsieur le Président.
Thoms est-il ici ? Peut-on le faire comparaître tout de suite ?
Il est en route pour venir ici. Il doit être déjà dehors.
L’officier attaché au Tribunal peut-il aller voir s’il est là ?
Monsieur le Président, je n’ai pas eu le temps de lui faire prêter serment pour l’affidavit car je ne l’ai pas encore vu.
Oui, mais on pourra lui faire prêter serment quand il viendra pour le contre-interrogatoire.
Monsieur le Président, cet homme n’est pas là.
Il va arriver.
Il n’est pas là ?
Il va arriver. Il était dans le bureau du lieutenant Meltzer il y a une minute, et on est allé le chercher.
On pourra le faire comparaître cet après-midi à deux heures, après l’autre témoin. Docteur Siemers, êtes-vous prêt ?
Messieurs, je désire vous faire remarquer que j’ai l’intention de présenter mes explications de la façon suivante : je voudrais, me conformant à la suggestion du Tribunal, entendre Raeder en qualité de témoin sur les documents que le Ministère Public a produits à sa charge. J’ai soumis tous ces documents à Raeder de telle sorte qu’il les ait sous les yeux lorsqu’il sera au banc des témoins et que nous ne perdions pas de temps à présenter chaque document séparément. La Délégation britannique a bien voulu faire réunir dans un volume qui porte le numéro 10-A tous les documents qui ne se trouvaient pas dans le livre de documents de Raeder. Je pense que le Tribunal a sous les yeux ce volume de documents. Pour simplifier le travail des auditeurs, je citerai les pages des documents en spécifiant s’il s’agit du livre de documents anglais 10-A ou 10. D’autre part, j’ai l’intention — si le Tribunal le juge bon — de déposer également les documents de mon livre de documents qui se rapportent aux questions que je vais poser. Je vous remercie. Je prie le Grand-Amiral Raeder de venir à la barre des témoins.
Veuillez décliner votre nom entier ?
Erich Raeder.
Voulez-vous répéter après moi les termes du serment : « Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète le serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Monsieur le Grand-Amiral, je vous prie tout d’abord de bien vouloir exposer brièvement au Tribunal votre vie et votre carrière.
Je suis né en 1876 à Wandsbek près de Hambourg. Je suis entré dans la Marine en 1894 et ai été nommé officier en 1897. Avancement normal : deux années à l’académie de la Marine ; et au cours de chacune de ces années, trois mois pour l’étude des langues en Russie pendant la guerre russo-japonaise. De 1906 à 1908, séjour au ministère de la Marine du Reich au département des renseignements de Tirpitz. Je m’occupais de la presse étrangère et de la rédaction de la Revue de la Marine et du Nautikus.
De 1910 à 1912, officier de pont à bord du Hohenzollern, yacht impérial. De 1912 jusqu’au début de 1918, j’ai d’abord été premier officier d’État-Major de la Marine et chef de l’État-Major de l’amiral Hipper, commandant les croiseurs de combat. Après la première guerre mondiale, à l’Amirauté, chef du département central auprès de l’amiral von Trotha. Puis, pendant deux ans, j’ai exercé les fonctions de rédacteur de l’Histoire de la guerre navale aux archives de la Marine. Ensuite, contre-amiral de 1922 à 1924, inspecteur de l’éducation et de l’instruction de la Marine. De 1925 à 1928, vice-amiral, chef de la station maritime de la mer Baltique à Kiel.
Le 1er octobre 1928, j’ai été nommé chef de la direction de la Marine à Berlin par le Président du Reich von Hindenburg, sur la proposition de Groener, ministre de la Guerre du Reich. En 1935, je fus nommé Commandant en chef de la Marine de Guerre et en 1939, le 1er avril, Grand-Amiral. Le 30 janvier 1943, j’ai résigné mes fonctions de Commandant en chef de la Marine de guerre et j’ai reçu le titre d’amiral inspecteur de la Marine de guerre sans qu’il fût lié à ce titre une fonction quelconque.
Je voudrais revenir sur un point. Vous avez dit que vous aviez été nommé en 1935, Commandant en chef de la Marine de guerre. Si j’ai bien compris, il s’agissait simplement d’une nouvelle dénomination ?
Oui, c’était simplement une nouvelle dénomination.
En somme, vous êtes resté chef de la Marine de 1928 à 1943.
C’est exact.
Sur la base du Traité de Versailles, l’Allemagne ne possédait qu’une armée de 100.000 hommes et une Marine de 15.000 hommes et 1.500 officiers. En proportion de l’étendue du Reich, l’armée était par conséquent extrêmement réduite. Je vous demande si l’Allemagne était, vers 1920, en mesure de se défendre avec cette armée contre des attaques éventuelles de ses voisins et quels étaient les dangers avec lesquels l’Allemagne devait compter au cours de ces années ?
A mon avis, l’Allemagne n’était absolument pas en mesure de se défendre elle-même contre des attaques, même venant des plus petits États, car elle ne disposait d’aucune arme moderne tandis que les pays avoisinants — et parmi eux, tout spécialement la Pologne — étaient pourvus des armes les plus modernes. Même les ouvrages de fortifications modernes avaient été enlevés à l’Allemagne. Vers 1920, l’Allemagne devait envisager constamment le risque...
Un instant, je vous prie. Vous pouvez poursuivre maintenant.
Vers 1920, l’Allemagne devait envisager constamment le risque d’une attaque de la Pologne sur la Prusse orientale pour annexer ce territoire séparé de l’Allemagne par le Corridor. Ce danger se présentait d’une façon particulièrement grave pour l’Allemagne au moment où Vilna venait d’être occupée en pleine paix par les Polonais et où le territoire de Memel était enlevé à la Lituanie. D’autre part, dans le Sud, Fiume avait été occupé sans que la Société des Nations ou un État quelconque eût formulé de protestations. Le Gouvernement allemand de cette époque savait fort bien que la seule chose que l’Allemagne ne pût plus permettre, pendant cette période d’impuissance, c’était que la Prusse orientale fût occupée et séparée du reste de l’Allemagne. Le but de nos efforts était donc de nous organiser de telle façon que nous pussions nous opposer par tous les moyens à une attaque de la Pologne en Prusse orientale.
Vous venez de dire que l’on craignait une telle attaque. Mais en fait, dans les années 1920 et suivantes, n’y eut-il pas souvent des violations de frontières ?
Oui, cela s’est produit très souvent.
Est-il exact que ces périls n’avaient pas seulement été reconnus par vous ou par les milieux militaires mais aussi par les gouvernements d’alors, et en particulier par les sociaux-démocrates.
Parfaitement. J’ai déjà dit que le Gouvernement lui-même était résolu à empêcher une telle attaque.
Le Ministère Public vous a reproché d’avoir adopté une attitude contraire au Droit international et aux traités internationaux bien avant Hitler.
Le 1er octobre 1938, vous êtes devenu chef de la direction de la Marine : vous occupiez donc le poste le plus important de la Marine allemande. Vous êtes-vous donné entièrement à la tâche de reconstituer la Marine allemande dans le cadre du Traité de Versailles de façon à pouvoir protéger tout particulièrement la Prusse orientale ?
Oui, je m’y suis employé de toutes mes forces et je considérais que cette reconstruction de la Marine allemande était la tâche de ma vie. Pendant toute la période de reconstruction, la reconstitution de la Marine s’avérait particulièrement difficile, c’est pourquoi j’ai eu constamment à lutter d’un côté ou d’un autre pour pouvoir la réaliser. C’est ainsi que je suis devenu un peu partial, car cette lutte pour la reconstitution de la Marine, à laquelle je devais me donner tout entier m’empêchait de me mêler de questions qui n’intéressaient pas cette reconstruction. Dans le cadre de cette reconstruction, en dehors de la renaissance du matériel, je me suis employé à la formation d’un corps d’officiers d’élite et d’équipages bien instruits et surtout bien formés.
Le Grand-Amiral Dönitz a déjà exposé ici quel fut le résultat de cette éducation de nos officiers et de nos hommes et je voudrais simplement confirmer ici que ces équipages de la flotte allemande se sont faits remarquer en temps de paix, en Allemagne comme à l’étranger, par leur bonne conduite et leur tenue et que, pendant la guerre, ils se sont tous conduits jusqu’à la fin selon la morale du combattant, qu’ils ont combattu d’une façon exemplaire, qu’ils n’ont jamais participé à aucune atrocité et que même dans les territoires qu’ils occupaient — par exemple en Norvège — ils se sont attiré l’estime de la population pour leur attitude digne et correcte.
De ce que vous avez assumé pendant quinze ans la direction de la Marine et que vous avez, pendant ces quinze années, travaillé à la reconstruction de la Marine, on peut déduire que vous êtes responsable en tant que chef de la Marine de tout ce qui a été fait dans le cadre de cette reconstruction.
J’en suis pleinement responsable.
Si je ne commets pas d’erreur, il n’y a qu’une restriction, dans le temps, à partir du 1er octobre 1928.
Oui, en ce qui concerne le matériel.
A qui étiez-vous subordonné en ce qui concerne la reconstruction de la Marine ? Vous ne pouviez pas agir de façon absolument indépendante ?
J’étais subordonné, d’abord au ministre de la Reichswehr et, par celui-ci, au Gouvernement du Reich ; j’étais également subordonné pour ces questions au Commandant en chef de la Wehrmacht. Ce commandant en chef a été de 1925 jusqu’en 1934 le Président du Reich, le Generalfeldmarschall Hindenburg et, à sa mort, le 1er août 1934, Adolf Hitler.
Monsieur le Président, je voudrais à ce propos vous soumettre le document Raeder n° 3. Il s’agit d’un court extrait de la constitution du Reich allemand. L’article 47 est ainsi conçu (Raeder n° 3, livre de documents I, page 9) :
« Le Président du Reich assume le Commandement suprême de toutes les forces armées du Reich. »
Je vous soumets ensuite la loi de défense du Reich sur laquelle j’aurai l’occasion de revenir par la suite — c’est le document Raeder-4, livre de documents I, page 11 — et j’attire votre attention sur le paragraphe 8 de la loi de défense du Reich dont le texte est ainsi conçu :
« Le commandement est exclusivement entre les mains de l’autorité légale.
« Le Président du Reich est Chef suprême de toutes les Forces armées. Sous son autorité, le ministre de la défense du Reich exerce le droit de commandement sur l’ensemble des Forces armées. A la tête de l’Armée de terre du Reich se trouve un général ayant le titre de chef de la direction de l’Armée de terre et à la tête de la Marine du Reich, un amiral ayant le titre de chef de la direction de la Marine. »
Ces paragraphes sont restés en vigueur intégralement sous le régime national-socialiste. J’attire simplement votre attention sur ce texte parce qu’il s’en dégage ce qu’a dit le témoin : en ce qui concerne la reconstruction de la Marine, il occupe la troisième place : le Président du Reich, le ministre de la défense du Reich, puis l’officier le plus élevé dans la hiérarchie militaire.
(A l’accusé.) Monsieur le Grand-Amiral, le Ministère Public vous accuse d’avoir reconstitué la Marine, premièrement en violation du Traité de Versailles ; deuxièmement, à l’insu du Reichstag et du Gouvernement du Reich ; troisièmement avec l’intention d’entreprendre des guerres d’agression. Je voudrais, à ce propos, vous demander si la reconstruction de la Marine répondait à des besoins défensifs ou à des buts d’agression. Je vous prie de faire une séparation dans le temps et de me parler simplement de la période placée sous le signe du Traité de Versailles, c’est-à-dire la période allant de 1928 au 18 juin 1935, date de l’accord naval anglo-allemand. Ma question est donc la suivante : est-ce que dans ce laps de temps la reconstruction de la Marine a eu pour but la constitution de forces agressives comme le prétend le Ministère Public ?
La reconstruction n’a jamais eu de buts agressifs. Dans une certaine mesure, elle fut accomplie en infraction au Traité de Versailles. Avant de passer aux détails de cette question, je voudrais demander l’autorisation de lire quelques passages d’un discours que j’ai prononcé en 1928 à Kiel et à Stralsund, les deux plus grandes bases de la Marine, devant la population civile au cours d’une semaine historique. J’ai soumis ces discours au ministre Severing lorsque je suis entré en fonctions parce qu’ils constituaient mon programme. Je me souviens que Severing me considérait alors avec une certaine méfiance. C’est...
Un instant. Je crois que le Tribunal donnera son accord parce que des déclarations de 1928 caractérisent l’attitude de Raeder à cette époque d’une façon plus nette que ne peuvent le faire ses souvenirs actuels. C’est pourquoi je dépose ce discours sous le numéro Raeder-6, livre de documents I, page 15. Le discours lui-même commence à la page 17. Je lis...
Oui ?
Monsieur le Président, cela prendra peut-être cinq à dix minutes c’est pourquoi je vous demande s’il n’est pas opportun de suspendre l’audience. Mais je suis prêt à continuer.
Nous allons suspendre l’audience.