CENT TRENTIÈME JOURNÉE.
Mercredi 15 mai 1946.

Audience de l’après-midi.

Dr SERVATIUS

Monsieur le Président, je vous prie tout d’abord de bien vouloir permettre à l’accusé Sauckel de ne pas assister aux audiences du 16 au 18 inclus, afin de préparer sa défense.

LE PRÉSIDENT

Oui. Pour préparer sa défense ? Bien.

M. DODD

Monsieur le Président, je voudrais proposer qu’avant de rappeler le témoin Puhl, le témoin Thoms soit d’abord cité. Je crois que cela nous fera gagner du temps. D’après ce que je sais de la déposition qui va avoir lieu, je conclus que le Tribunal sera amené peut-être à poser au témoin Puhl certaines questions, après avoir entendu le témoin Thoms. Et, pour agir correctement envers les uns et les autres, je voudrais aussi proposer que le témoin Puhl soit ici présent quand le témoin Thoms déposera. Je crois que cette possibilité devrait lui être accordée.

LE PRÉSIDENT

Y voyez-vous une objection, Docteur Sauter ?

Dr SAUTER

Non, Monsieur le Président

LE PRÉSIDENT

Bien. Appelez Thoms comme témoin et faites asseoir Puhl dans la salle, afin qu’il puisse suivre les débats.

(Le témoin Thoms gagne la barre.)
LE PRÉSIDENT

Comment vous appelez-vous ?

TÉMOIN ALBERT THOMS

Albert Thoms.

LE PRÉSIDENT

Veuillez répéter ce serment après moi : Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien. » (Le témoin répète le serment.)

LE PRÉSIDENT

Vous pouvez vous asseoir.

M. DODD

Monsieur le Président, je sais bien que le témoin a été appelé pour un contre-interrogatoire. Mais il y a une ou deux questions qui sont maintenant importantes et qui ne sont pas mentionnées dans l’affidavit. Pour gagner du temps, je voudrais les poser avant le contre-interrogatoire.

LE PRÉSIDENT

Très bien, je vous en prie.

M. DODD

Monsieur Thoms, vous avez fait une déclaration le 8 mai 1946, n’est-ce pas ?

TÉMOIN THOMS

Oui.

M. DODD

Et vous l’avez signée ?

TÉMOIN THOMS

Oui.

M. DODD

Tout ce qu’elle renferme est donc vrai ?

TÉMOIN THOMS

Oui.

M. DODD

Et, naturellement, c’est encore vrai aujourd’hui ?

TÉMOIN THOMS

Oui.

M. DODD

Veuillez y jeter un coup d’œil et vous en assurer encore une fois : est-ce la déclaration que vous avez écrite, Monsieur Thoms ?

TÉMOIN THOMS

Oui.

M. DODD

Bien. J’ai encore une ou deux questions à poser à ce sujet. Monsieur le Président, je dépose cette pièce sous le numéro USA-852. (Au témoin.) Vous connaissez cette personne assise à votre gauche ?

TÉMOIN THOMS

Oui.

M. DODD

C’est M. Puhl, n’est-ce pas ?

TÉMOIN THOMS

Oui.

M. DODD

II était vice-président de la Reichsbank quand vous y étiez employé ?

TÉMOIN THOMS

Oui.

M. DODD

Vous êtes-vous jamais entretenu avec M. Puhl de dépôts spéciaux quelconques effectués à la Reichsbank et sur lesquels vous deviez garder le secret le plus absolu ?

TÉMOIN THOMS

Oui.

M. DODD

Dites-nous quand cette conversation a eu lieu, ce qui y a été dit et qui y était encore présent.

TÉMOIN THOMS

Cette conversation a eu lieu à l’été 1942. Je fus appelé auprès de M. le président Puhl par le chef du service de la caisse, M. Frommknecht. Celui-ci me conduisit auprès de M. Puhl qui me confia qu’une transaction d’un genre particulier allait être engagée avec la direction des SS. Dois-je donner des détails ?

M. DODD

Répétez-nous tout ce qu’il vous a dit.

TÉMOIN THOMS

M. Puhl m’a dit que l’affaire devait être traitée d’une façon tout à fait secrète et confidentielle. Il s’agissait non seulement de prendre livraison d’objets rentrant automatiquement dans le cadre de la marche normale des affaires de la Reichsbank, mais aussi de la réception de bijoux et autres choses de valeur. Je lui ai objecté que nous n’avions pas le personnel compétent nécessaire à la réalisation de telles affaires, ce à quoi il m’a répliqué qu’il fallait trouver une possibilité de les réaliser. J’ai alors proposé de faire remettre le tout à la caisse principale du Gouvernement du Reich, là où était concentré tout le butin de l’Armée. Mais M. Puhl fut d’avis que l’affaire ne devait pas être exécutée par l’intermédiaire de la caisse principale, mais par la Reichsbank elle-même, et d’une autre façon. J’ai donc suggéré d’avoir recours au crédit municipal de Berlin, comme il avait été procédé précédemment lors de la réquisition des biens et fortunes des Juifs. M. le président Puhl se déclara d’accord.

M. DODD

Quand la première de ces livraisons eut-elle lieu ?

TÉMOIN THOMS

La première livraison fut opéré au cours du mois d’août, autant que je m’en souvienne.

M. DODD

1942 ?

TÉMOIN THOMS

Oui, 1942.

M. DODD

Est-ce que le nom de Melmer, M-e-l-m-e-r, signifie quelque chose pour vous ?

TÉMOIN THOMS

Melmer était le nom du SS qui, par la suite, transporta ces valeurs à la Reichsbank, et c’est sous ce nom que furent enregistrées plus tard dans les livres de la banque toutes les livraisons des SS.

M. DODD

Avez-vous jamais mentionné le nom de Melmer à Puhl, et lui-même vous l’a-t-il jamais cité ?

TÉMOIN THOMS

Le nom de Melmer ne m’a pas été signalé par M. Puhl mais c’est moi-même qui lui en ai fait part, car je devais lui faire un rapport sur la marche de toute cette entreprise, et surtout sur la liquidation des affaires touchant la réalisation des valeurs. La contre-valeur, d’après une proposition de la direction des SS, en fut transmise au ministère des Finances, à un compte au nom de « Max Heiliger ». J’ai, en son temps, brièvement rapporté ce fait à M. le président Puhl.

M. DODD

Avez-vous jamais dit à Puhl de quoi se composaient les livraisons des SS ?

TÉMOIN THOMS

Après quelques mois, M. le président Puhl me demanda comment allait l’affaire Melmer. Je lui déclarai que, contrairement à ce que nous avions pensé, c’est-à-dire qu’il ne s’agirait que de livraisons peu importantes, celles-ci au contraire augmentaient et que, outre les monnaies d’or et d’argent, elles contenaient aussi énormément de bijoux, des bagues d’or, des alliances, des fragments d’or et d’argent, des dentiers et toutes sortes d’objets en or et en argent.

M. DODD

Quelle fut sa réaction lorsque vous lui avez dit qu’il s’agissait de bijoux, d’argent, de dents en or, etc. ?

TÉMOIN THOMS

Permettez-moi d’ajouter quelque chose. J’ai mentionné, en particulier, que s’était amassé un dépôt de douze kilogrammes de perles et que, de toute ma vie, je n’en avais jamais vu une quantité aussi invraisemblable.

M. DODD

Un instant. De quoi s’agissait-il ?

TÉMOIN THOMS

De perles et de colliers de perles.

M. DODD

Lui avez-vous dit aussi que vous receviez une certaine quantité de montures de lunettes ?

TÉMOIN THOMS

Pour l’instant je ne puis le jurer, mais je lui ai décrit le caractère général de ces envois, et probablement employé aussi le mot de « lunettes », mais je ne voudrais pas le dire sous serment,

M. DODD

Puhl n’est-il jamais allé dans les chambres fortes lorsqu’on inventoriait tout ce matériel ?

TÉMOIN THOMS

A plusieurs reprises, M. Puhl visita les coffres de la banque afin d’inspecter les dépôts d’or et se renseigner sur leur aménagement. Les livraisons de l’affaire Melmer se trouvaient dans un compartiment spécial d’une des chambres fortes principales, de sorte qu’à ces occasions M. Puhl a dû voir les caisses et les sacs de ces livraisons. A proximité, c’est-à-dire dans le couloir contigu, le contenu des livraisons Melmer était trié. Je suis convaincu que M. Puhl, en parcourant ces chambres fortes, a dû voir tous ces objets, car tout était exposé ouvertement sur les tables et quiconque visitait les caves pouvait s’en rendre compte.

M. DODD

Environ vingt à trente personnes assortissaient ces articles, n’est-ce pas, avant de les envoyer à la fonte ou au crédit municipal pour qu’ils fussent vendus ?

TÉMOIN THOMS

Non, si de vingt à trente personnes, au cours de la journée, descendaient dans les caves pour les besoins du service, par contre, quatre ou cinq fonctionnaires seulement étaient chargés du triage et de la préparation de ce matériel.

M. DODD

Et chacun de ceux qui vous étaient subordonnés devait garder le secret ? Il leur était sévèrement interdit d’en parler ?

TÉMOIN THOMS

Une consigne rigoureuse, à la banque, interdisait de parler des affaires secrètes ; il était interdit également d’en parler à un collègue de la même division, autant que le collègue en question ne participait pas aux mêmes travaux, de sorte que...

M. DODD

C’était donc, n’est-ce pas, une affaire exceptionnellement confidentielle ? Il ne s’agissait pas simplement d’un secret ordinaire ? N’est-il pas exact qu’en ce qui concernait ces fournitures, un secret d’une importance toute spéciale était imposé ?

TÉMOIN THOMS

C’est exact, c’était une affaire tout à fait, exceptionnelle qui devait être tenue particulièrement secrète et dépassait même le cadre des autres affaires secrètes, car il m’était même strictement défendu d’en parler à qui que ce fût ; mais, lorsque je pris congé du président Puhl après notre première entrevue, je lui dis qu’il fallait que j’en instruise le caissier principal car, en fin de compte, mes supérieurs devaient pourtant être informés de cette affaire.

M. DODD

Un rapport sur ces dépôts Melmer n’a-t-il pas été adressé au directoire ?

TÉMOIN THOMS

Non. La communication a été faite verbalement. C’était un cas exceptionnel, et, les livraisons une fois liquidées, il n’en a été fait qu’un décompte intitulé « compte Melmer ». Ce décompte a été remis par la caisse principale au service des devises qui, de son côté, s’en arrangea avec le directoire de la Reichsbank.

M. DODD

Voyons, le directoire devait pourtant donner son approbation sur le règlement de cette affaire ? Vous ne pouviez cependant pas traiter une telle affaire sans l’approbation du directoire ?

TÉMOIN THOMS

Pour tout trafic d’or, toutes les directives devaient émaner du directoire ou être approuvées par lui. Je n’étais donc pas habilité à prendre une initiative, quelle qu’elle fût. En général, ces prescriptions portaient la signature d’au moins deux fonctionnaires et étaient remises à un membre du directoire. Ce fut donc un cas exceptionnel : l’affaire, cette fois, fut traitée verbalement.

M. DODD

Monsieur Thoms, vous avez vu le film, à midi ? Nous vous avons montré un film, n’est-ce pas ?

TÉMOIN THOMS

Oui.

M. DODD

Après avoir vu ce film, pouvez-vous nous dire s’il donne une image exacte des livraisons, telles quelles ont été opérées à la Reichsbank par les SS ?

TÉMOIN THOMS

Je puis répondre à cela que ce film et les projections que j’en ai vues sont un exemple typique des livraisons Melmer. Avec cette restriction toutefois que les premières qui ont été faites n’étaient en rien comparables aux énormes quantités que j’ai vu projeter dans ce film, elles n’augmentèrent que par la suite, de sorte que les quantités que nous avons vues dans le film n’avaient pas encore été inventoriées par la Reichsbank. Car elles se trouvaient jusque là renfermées dans des caisses et des coffres cadenassés. Toutefois, d’une façon générale, ce que j’ai vu dans le film constitue une image typique des livraisons Melmer.

M. DODD

Bien. Approximativement — je n’attends pas une réponse absolument précise — indiquez-moi à peu près combien vous avez reçu de ces livraisons des SS.

TÉMOIN THOMS

Autant que je m’en souvienne, plus de 70 livraisons, peut-être 76 ou 77. Je ne puis le dire avec précision, mais cela doit être à peu près exact.

M. DODD

Je vous remercie. Je n’ai pas d’autre question à poser.

Dr SAUTER

Témoin, quelle est votre profession ?

TÉMOIN THOMS

Conseiller de la Reichsbank.

Dr SAUTER

Quel est votre domicile ?

TÉMOIN THOMS

A Berlin, Steglitz. Après avoir été sinistré à Potsdam, Neu-Fahrland.

Dr SAUTER

Vous êtes-vous présenté volontairement pour être entendu par le Ministère Public ? Si non, que s’est-il passé ?

TÉMOIN THOMS

On m’a demandé...

Dr SAUTER

Veuillez attendre un peu après ma question, afin de permettre la traduction. Entre les questions et les réponses, veuillez laisser un bref intervalle.

TÉMOIN THOMS

J’ai reçu l’ordre de venir ici.

Dr SAUTER

De qui ?

TÉMOIN THOMS

Du Ministère Public, probablement.

Dr SAUTER

Êtes-vous en liberté ?

TÉMOIN THOMS

Oui, je suis en liberté.

Dr SAUTER

Avez-vous reçu cet ordre par écrit ?

TÉMOIN THOMS

Non, j’ai été prié verbalement, hier, à Francfort, de me rendre à Nuremberg.

Dr SAUTER

A Francfort ? Vous habitez Francfort, maintenant ?

TÉMOIN THOMS

Oui.

Dr SAUTER

Bien, Monsieur Thoms. Où habitiez-vous le 8 mai, c’est-à-dire il y a une semaine aujourd’hui ?

TÉMOIN THOMS

Le 8 mai de cette année ?

Dr SAUTER

Vous êtes bien M. Thoms, n’est-ce pas ?

TÉMOIN THOMS

Oui.

Dr SAUTER

Oui, le 8 mai, il y a une semaine ?

TÉMOIN THOMS

A Francfort.

Dr SAUTER

C’est là que vous avez été interrogé ?

TÉMOIN THOMS

C’est exact, c’est à Francfort que j’ai été interrogé.

Dr SAUTER

Est-ce bien l’affidavit que le Ministère Public vous a présenté tout à l’heure ?

TÉMOIN THOMS

Oui.

Dr SAUTER

Comment cet affidavit a-t-il été provoqué ? Étiez-vous témoin volontaire ou non ?

TÉMOIN THOMS

J’attire votre attention sur le fait que déjà l’année dernière, lorsque j’exerçais mes fonctions à Francfort, les services américains ont eu de moi — et ce, volontairement de ma part — des détails sur les affaires que je connaissais, relatives au trafic d’or de la Reichsbank.

Dr SAUTER

Bien. C’est donc volontairement que, l’année dernière, vous vous êtes offert comme témoin ?

TÉMOIN THOMS

Non comme témoin dans cette affaire. Je me suis mis simplement à la disposition des services américains intéressés pour éclaircir les affaires de la Reichsbank.

Dr SAUTER

Bien. A propos de cette affaire, n’avez-vous jamais eu d’entretien avec le président de la Reichsbank, Funk ?

TÉMOIN THOMS

Non, jamais, pendant mon activité de service, je n’ai eu l’occasion d’approcher M. le ministre Funk.

Dr SAUTER

Savez-vous d’une façon positive, peut-être même d’une autre source, si M. le président de la Reichsbank Funk avait une connaissance approfondie de ces affaires, ou l’ignorez-vous ?

TÉMOIN THOMS

Je ne puis rien en dire car ce genre d’affaires se traitait dans un milieu plus élevé qui ne m’était pas accessible.

Dr SAUTER

II m’intéresserait de savoir ceci : ce dépôt — je ne sais comment vous l’appeler exactement — portait le nom de Melmer ?

TÉMOIN THOMS

Je me permets de faire remarquer qu’il ne s’agissait pas de dépôt mais de livraisons qui étaient faites sous le nom de Melmer. Et il incombait à la Reichsbank, autant qu’il s’agissait de cette opération qu’elle avait effectivement à réaliser, de prendre en charge leur contenu et, autant qu’il ne s’agissait pas d’affaires purement bancaires, d’être en quelque sorte le curateur chargé de la réalisation de ces objets.

Dr SAUTER

Plus lentement, je vous prie. Pourquoi cette affaire de dépôt — qu’on nomme cela dépôt ou autrement — n’a-t-elle pas été réalisée au nom des SS, mais sous le nom de « Melmer » ? Vous, témoin, avez-vous demandé des explications à quelqu’un à ce sujet ?

TÉMOIN THOMS

J’ai déjà dit, au début de l’interrogatoire, qu’il s’agissait d’une affaire à tenir particulièrement secrète, dans laquelle le nom du client devait être dissimulé. C’était donc agir dans ce cas selon le désir et l’ordre de M. le président Puhl, qui avait à décider, quant à la conduite de cette affaire.

Dr SAUTER

Est-ce que dans ces chambres fortes où étaient déposées ces valeurs, uniquement des fonctionnaires de la Reichsbank avaient accès, ou d’autres personnes y sont-elles descendues également, par exemple des clients des coffres ?

TÉMOIN THOMS

La Reichsbank n’avait pas de clientèle privée. Nous n’avions donc pas de dépôts fermés appartenant à des clients quelconques de la Reichsbank, en tout cas pas dans ces sous-sols. Les dépôts de la clientèle privée se trouvaient dans un autre sous-sol, de sorte qu’il n’y avait aucun contact entre les dépôts de la banque et ceux des clients.

Dr SAUTER

Mais des fonctionnaires y sont descendus en assez grand nombre ? C’est ce que vous avez déjà dit ? Je ne comprends pas très bien une chose. D’une part, vous avez déclaré que ces objets gisaient épars sur les tables et que tout le monde aurait pu les voir ; d’autre part, à la fin de votre déposition, vous avez dit que ces objets étaient dans des caisses et des coffres fermés. Comment expliquez-vous cela ?

TÉMOIN THOMS

J’ai déclaré que les objets étaient livrés et conservés dans des caisses et des coffres fermés à clef. Mais, lors du tri et de la manipulation, il fallait chaque fois ouvrir le lot qui venait d’être livré, en faire l’inventaire et le peser. Cela ne pouvait se faire qu’en étalant le contenu, pour en faire le compte, le peser et le renfermer ensuite dans de nouveaux récipients.

Dr SAUTER

Avez-vous peut-être exposé votre propre point de vue à M. Puhl ? Vous êtes conseiller de la banque, c’est-à-dire un haut fonctionnaire. Ne vous lui avez-vous pas exprimé des scrupules quelconques quant à cette affaire ? Je vous demande de bien réfléchir à la question, comme à votre réponse, car elle est faite sous serment.

TÉMOIN THOMS

Tout d’abord, je tiens à répondre que j’appartiens au groupe intermédiaire des hauts fonctionnaires, ceci accessoirement. Ensuite, il va de soi... ou plutôt je dirai ceci : quand un fonctionnaire a exercé ses fonctions depuis trente ans et plus dans une même administration et que, au cours d’une telle carrière, il a eu l’impression que la direction de la Reichsbank était irréprochable, je crois qu’il ne peut se permettre d’avoir des scrupules et que, pour un cas spécial, quand on lui ordonne de garder le silence sur une affaire, il n’aura aucune appréhension à le réaliser. J’ai déjà expliqué que la notion de « butin » ne nous était pas inconnue non plus, à nous, fonctionnaires de la banque, car, suivant la réglementation adoptée, tout le butin saisi par l’Armée était livré directement à la « Caisse principale du Reich », c’est-à-dire à la caisse gouvernementale, et nous étions amenés à concevoir tout naturellement que le butin des troupes des SS devait passer par la Reichsbank. Contre un règlement de cette sorte, un fonctionnaire de la Reichsbank ne peut se défendre. Quand il est chargé d’une mission de la part de la direction de la Reichsbank, il l’exécute, en vertu du serment qu’il a prêté.

Dr SAUTER

Si je vous comprends bien, Monsieur Thoms, vous nous dites que, tout au moins au début, vous avez considéré que cette affaire était correcte ?

TÉMOIN THOMS

Au début ? Même au cours de l’exécution, je l’ai considérée comme absolument correcte.

Dr SAUTER

N’avez-vous jamais eu la pensée qu’elle pouvait être considérée comme criminelle ?

TÉMOIN THOMS

J’aurais certainement eu des doutes si j’avais eu alors l’expérience et la connaissance que je possède aujourd’hui.

Dr SAUTER

Oui, il en est de même pour nous tous.

TÉMOIN THOMS

Oui, c’est juste. Mais je dois les réprimer ces doutes, je ne peux les admettre, car cette affaire n’était pas connue que de moi seul, mais aussi de la direction de la Reichsbank, de la direction de la caisse principale, car tous les soirs les valeurs des coffres étaient enlevées par un directeur adjoint de la caisse principale, de sorte que, seule, l’exécution technique m’incombait ; la responsabilité de la rectitude de l’opération échappait à ma compétence.

Dr SAUTER

La responsabilité, je ne sais pas. Mais je vous ai demandé si vous aviez jamais eu des doutes ? A quel moment avez-vous considéré toute l’affaire comme criminelle ? L’avez-vous crue criminelle ?

TÉMOIN THOMS

Nous avons supposé qu’il s’agissait de biens que les SS, après avoir incendié en partie des villes dans l’Est, en particulier Varsovie, avaient, par la suite, saisis dans les maisons, et que ce butin avait été envoyé à la banque.

Dr SAUTER

Comme butin ?

TÉMOIN THOMS

Oui. On ne peut pas prétendre, lorsqu’un bureau militaire envoie du butin à la banque, que cette livraison doive être considérée comme criminelle par le fonctionnaire chargé de la manipulation.

Dr SAUTER

Lors de la prise en charge de ces objets, avez-vous pensé, ou est-ce que M. le vice-président Puhl vous a dit ou y a fait allusion, tout au moins que ces bijoux d’or avaient été pris aux victimes des camps de concentration ?

TÉMOIN THOMS

Non.

Dr SAUTER

Vous n’avez pas pensé à cela ?

TÉMOIN THOMS

Non.

Dr SAUTER

Vraiment pas ?

TÉMOIN THOMS

Une fois, nous avons lu sur quelques étiquettes le nom d’« Auschwitz » et celui de « Lublin ». J’ai dit, à propos de Lublin, que nous avions trouvé ces annotations sur quelques liasses de billets de banque qui nous avaient été envoyés et qui furent envoyés à la banque d’État polonaise pour examen. Quelques jours plus tard, après avoir été inventoriés, ces paquets nous revinrent. Il devenait donc évident que cette livraison ne pouvait provenir d’un camp de concentration puisque nous l’avions reçue par la voie bancaire officielle. En ce qui concerne Auschwitz, je ne puis vraiment pas dire aujourd’hui sur quelle sorte de colis se trouvaient ces étiquettes. Mais il se peut aussi qu’elles aient été attachées à des billets quelconques, qu’il s’agissait peut-être de livraison de devises étrangères provenant de camps de concentration. Il y avait d’ailleurs des prescriptions selon lesquelles les prisonniers de guerre ou tous autres prisonniers pouvaient, dans le camp, changer leurs billets contre une autre monnaie, de sorte que, de là aussi, les livraisons pouvaient être effectuées légalement.

Dr SAUTER

Si je comprends bien le sens de votre déclaration, vous considériez encore ces opérations comme légales, c’est-à-dire conformes à la loi, lorsque, en 1943, vous avez lu l’inscription « Lublin » ou « Auschwitz » sur quelques colis. Est-ce que, là encore, vous croyiez que c’était légal ?

TÉMOIN THOMS

Oui.

Dr SAUTER

Pourquoi alors, dans votre déclaration non faite sous serment, il est vrai, du 8 mai 1946, vous avez présenté les choses quelque peu différemment ? Puis-je vous lire la phrase en question ?...

TÉMOIN THOMS

Je vous en prie.

Dr SAUTER

...et vous me direz alors si je vous ai mal compris ou si c’est un malentendu de la part du fonctionnaire. Il y est déclaré, après que vous avez dit que vous trouviez l’affaire légale :

« Un des premiers indices de l’origine de ces objets fut révélé par une liasse de papiers... » je suppose que c’étaient des valeurs...

TÉMOIN THOMS

Non, j’ai dit de billets de banque.

Dr SAUTER

« ... qui portait le cachet de « Lublin ». Ce fut au début de 1943. « Une autre révélation fut fournie par des colis qui portaient le cachet « Auschwitz ». Nous savions tous qu’il s’y trouvait des camps de concentration. Avec le dixième envoi, en novembre 1943 » — auparavant donc — « on découvrit des dents en or. Et la quantité de dents en or s’accrut d’une façon inaccoutumée. »

Et ainsi de suite, d’après votre déclaration du 8 mai. Je vous demande maintenant : cela a-t-il le même sens que ce que vous venez de déclarer ou bien, à votre avis, cela signifie-t-il autre chose ?

TÉMOIN THOMS

A mon avis, cela concorde avec ma déposition. La chose est ainsi : nous ne pouvions supposer que des envois provenant des camps de concentration pouvaient être illégaux. Nous avons simplement constaté que, peu à peu, ces envois augmentèrent. Un envoi de billets de banque provenant des camps de concentration n’était pas nécessairement illégal. Il pouvait s’agir de confiscations officielles. Nous ne connaissions d’ailleurs pas les règlements appliqués dans les camps. Peut-être les gens avaient-ils le droit de vendre les valeurs qu’ils possédaient ou de les donner en paiement.

Dr SAUTER

Personne n’aurait vendu volontairement des dollars, comme vous en avez vus dans le film ?

TÉMOIN THOMS

Je remarquerai que je n’avais pas l’impression que ces billets de banque devaient absolument provenir des camps de concentration. J’ai simplement dit que, sur ces paquets de coupures, se trouvait la mention « Lublin ». Cela pouvait se rapporter à un camp, mais ne prouvait pas que ces billets dussent provenir précisément du camp de concentration. Il en va de même pour Auschwitz. Ce nom a surgi soudainement, et cela pouvait provoquer une certaine suspicion ; mais il ne constituait aucune preuve pour nous et ne donnait pas lieu au soupçon, ni, de notre part, à formuler des objections, des critiques, quant aux expéditions qui nous venaient des SS.

Dr SAUTER

Par conséquent, et vu la façon dont vous conceviez ces faits, vous n’avez évidemment jamais été amené à en saisir M. le vice-président Puhl, ou la direction, ou à leur exprimer des doutes quelconques ?

TÉMOIN THOMS

J’ai attiré l’attention de M. le président Puhl sur la composition de ces envois, et cela peu de mois après la première livraison. M. Puhl en connaissait donc la nature. Si des critiques avaient dû être formulées contre ces livraisons, c’est du président Puhl qu’elles auraient dû venir. Il savait à quoi s’en tenir.

Dr SAUTER

Oui, mais vous nous avez dit tout à l’heure que rien ne vous avait frappé dans la composition de ces envois. Vous les avez considérés comme du butin de guerre, et maintenant vous dites avoir attiré à ce sujet l’attention de M. le président Puhl et qu’il eût dû en être frappé.

TÉMOIN THOMS

Je n’ai pas dit cela. Je n’ai pas dit que M. le président Puhl aurait dû être frappé, mais seulement que, s’il y avait eu des objections à faire, c’est de lui qu’elles eussent dû émaner, car. il connaissait la nature des envois aussi bien que moi. Si un soupçon devait naître, ou une objection être soulevée, ce soupçon aurait été ressenti beaucoup plus fortement par lui que par moi-même.

Dr SAUTER

Vous nous avez dit précédemment que le secret le plus absolu avait été prescrit. Mais, à ce propos, vous avez également mentionné que d’autres affaires, abstraction faite de celle des SS, avaient dû être expressément tenues secrètes. Est-ce exact ?

TÉMOIN THOMS

Oui.

Dr SAUTER

Vous n’avez pas besoin de nous citer des noms. Je voudrais simplement savoir quelles sont ces autres affaires.

TÉMOIN THOMS

Elles étaient en liaison étroite avec le développement des opérations de guerre ; elles avaient trait à la gestion de l’or, comme aussi des devises, etc.

Dr SAUTER

Donc, nullement criminelles ?

TÉMOIN THOMS

Non, nullement criminelles.

LE PRÉSIDENT

Docteur Sauter, le Tribunal trouve que vous vous écartez trop du sujet avec des questions relatives à d’autres dépôts.

Dr SAUTER

Oui, mais il a déjà été répondu à la question Monsieur le Président. (Au témoin.) En ce qui concerne le secret ce qui m’intéresse, ce sont ces dépôts des SS arrivant à la Reichsbank. Autant qu’ils ont été liquidés par votre banque, et ainsi que j’en conclus des documents produits, ils étaient pris en compte par votre caisse principale ? Et à qui étaient envoyés ces règlements de comptes ?

TÉMOIN THOMS

Ils ont été envoyés directement à la direction des SS ou, plus exactement, c’est Melmer qui venait les prendre directement à la banque.

Dr SAUTER

D’autres services ne les ont-ils pas reçus ?

TÉMOIN THOMS

Ils étaient alors remis officiellement au services des devises étrangères.

Dr SAUTER

Au service des devises étrangères ? Donc, à un service de l’État ?

TÉMOIN THOMS

Non. C’est une division de la Reichsbank qui assure la liaison avec le directoire.

Dr SAUTER

Est-ce que ces relevés de comptes n’ont pas été transmis au ministère des Finances ?

TÉMOIN THOMS

L’agent de liaison Melmer a toujours reçu deux relevés. J’ignore si la direction des SS en a remis un exemplaire au ministère des Finances.

Dr SAUTER

Lors de ces règlements, ces affaires ont été réellement traitées confidentiellement, comme des affaires secrètes ?

TÉMOIN THOMS

Oui.

Dr SAUTER

Par exemple, lors du règlement de comptes avec le crédit municipal ?

TÉMOIN THOMS

Lors de ce règlement, le client ne fut pas désigné.

Dr SAUTER

Où furent envoyées les dents en or ?

TÉMOIN THOMS

C’est la Monnaie prussienne qui les a fondues. L’or a été raffiné, et cet or pur est alors revenu à la Reichsbank.

Dr SAUTER

Vous avez dit tout à l’heure qu’au début de 1943, je crois, il vous était arrivé des objets portant le cachet « Auschwitz ».

TÉMOIN THOMS

Oui, je ne me souviens plus très bien de la date, je crois que c’était en 1943.

Dr SAUTER

Vous avez dit : « Nous tous, savions qu’il y avait là un camp de concentration ». Est-ce qu’au début 1943 vous le saviez déjà ?

TÉMOIN THOMS

Je peux, naturellement, maintenant...

Dr SAUTER

Oui, maintenant nous le savons tous. Mais à cette époque-là, le saviez-vous ?

TÉMOIN THOMS

Je ne puis le dire avec certitude. Cette confirmation, je l’ai faite maintenant en reconnaissant que... Oh ! pardon, c’est vraisemblablement... la vérification de ces lots n’a dû vraisemblablement n’avoir eu lieu qu’en 1945, ou à la fin de l’automne 1944. Il est possible qu’à cette époque, quelque chose ait transpiré au sujet d’Auschwitz.

Dr SAUTER

Non, vous avez dit, au chiffre 14 de votre déclaration :

« Un des premiers indices de l’origine de ces objets — donc, visiblement la provenance des camps de concentration — fut révélée par une liasse de papiers estampillée « Lublin ». C’était au début de 1943. « Un autre indice put permettre d’établir que certains lots portaient le cachet « Auschwitz ». Nous savions tous » — et je l’ai déjà souligné tout à l’heure pour de bonnes raisons — « que ces endroits étaient le siège de camps de concentration. »

Et ainsi de suite. Je répète donc ma question : maintenant, nous le savons tous, évidemment, mais vous, Monsieur le conseiller de banque, est-ce que vous saviez en 1943, qu’à Auschwitz se trouvait un vaste camp de concentration ?

TÉMOIN THOMS

A cette forme positive de question, je dois répondre non ; je ne l’ai pas su, mais...

LE PRÉSIDENT

Docteur Sauter, il n’a pas parlé d’un vaste camp de concentration à Auschwitz.

Dr SAUTER

Non, Monsieur le Président, c’est une exagération de ma part. Mais nous savons tous maintenant qu’il s’y trouvait un camp de concentration gigantesque.

LE PRÉSIDENT

Le savait-il ? Savait-il qu’il y avait là un immense camp de concentration en 1943 ? Il ne l’a pas dit.

TÉMOIN THOMS

A cela, je peux dire : non. Mais admettons que cette fiche « Auschwitz » provenait d’une livraison faite peut-être en 1943. L’inventaire cependant ne se fit que bien plus tard, et j’ai fait cette déclaration après avoir été à Francfort, de sorte que le nom d’Auschwitz m’était déjà familier. J’admets qu’il y a peut-être quelque exagération à me dire maintenant, après coup, que c’était bien un camp de concentration. Mais je sais qu’à cette époque, notre attention fut éveillée par le nom d’Auschwitz et je crois que nous avons même posé la question : « Quel rapport y a-t-il ? » Nous n’avons pas reçu de réponse et n’avons plus jamais rien demandé.

Dr SAUTER

J’ai encore une dernière question. Aujourd’hui, le Ministère Public nous a remis un document PS-3947. C’est, semble-t-il, le projet d’un mémorandum qu’un service quelconque de la Reichsbank a élaboré pour le directoire. Il porte la date du 31 mars 1944. On y trouve, page 2, la phrase que je vous lis parce qu’elle a trait aussi bien à l’accusé Funk qu’à l’accusé Göring :

« Le maréchal du Reich, Commissaire général au Plan de quatre ans, informe la Reichsbank par lettre du 19 mars 1944, dont copie ci-jointe » — la copie n’est pas jointe, du moins, je ne l’ai pas — « que les encaisses considérables de l’Office principal fiduciaire de l’Est, en argenterie, bijoux, etc. doivent, en vertu d’une ordonnance de Messieurs les ministres Funk et comte Schwerin von Krosigk — ministre des Finances — être remises à la Reichsbank. La liquidation de ces objets devra s’effectuer de la même façon que lors des livraisons « Melmer ».

Voilà pour la citation. Mais l’accusé Funk vient de me dire qu’il n’avait absolument rien su d’une telle ordonnance, qu’une convention de ce genre, ou une telle lettre, lui était totalement inconnue, et qu’il ignorait tout des dépôts Melmer.

M. DODD

J’élève une protestation contre la forme de l’interrogatoire. J’ai déjà fait des objections à cet effet. La réponse est faite « à perdre haleine » avant même que le témoin ait pu entendre la question en son entier. Ce n’est pas une forme correcte d’interrogatoire.

LE PRÉSIDENT

Docteur Sauter, vous savez sûrement, n’est ce pas, que vous n’avez pas le droit de témoigner vous-même ? Vous n’êtes pas habilité à répéter ce qu’a dit Funk, à moins qu’il ne s’agisse de sa propre déposition.

Dr SAUTER

Monsieur le Président, ce n’est pas un de nos témoins, c’est un témoin qui s’est offert volontairement au Ministère Public.

LE PRÉSIDENT

Docteur Sauter, la question n’est pas de savoir qui a cité ce témoin. Vous répétiez ce que Funk vous a dit. Vous ne vous êtes nullement référé à ce que Funk a déclaré à l’interrogatoire. Vous n’avez pas le droit de le faire.

Dr SAUTER (au témoin)

Vous étiez bien conseiller de la Reichsbank n’est-ce pas ? Savez-vous quelque chose au sujet de ces ordonnances qui, dans la lettre du 31 mars 1944, sont mentionnées par un service de la Reichsbank, et si l’accusé Funk y a participé d’une façon quelconque ?

TÉMOIN THOMS

Je crois me souvenir qu’il y eut réellement une ordonnance aux termes de laquelle l’or du service fiduciaire de l’Est devait être livré aussi à la Reichsbank. Je ne suis pas tout à fait certain qu’il s’agissait là d’une rédaction spéciale, faite par le directeur adjoint de la caisse principale, M. Kropp, pour le directoire de la Reichsbank, mais je suis à peu près sûr que cette ordonnance fut réellement mise en vigueur à l’origine. Toutefois, je soulignerai que la caisse principale, se dissociant du service des métaux précieux, s’était prononcée contre l’admission de ces valeurs parce qu’il lui était techniquement impossible d’assumer, à la longue, la responsabilité de semblables livraisons aussi volumineuses, d’objets aussi hétéroclites. Grâce à l’intervention de M. Kropp, on obtint que cette ordonnance fût annulée, de sorte qu’aucun envoi de l’Office fiduciaire de l’Est, à destination de la caisse principale, ne fut exécuté. Mais je crois être certain qu’à l’origine il existait une ordonnance, telle que celle que vous venez de lire.

Dr SAUTER

Avez-vous vu personnellement cette ordonnance ?

TÉMOIN THOMS

Je crois que dans les dossiers du service des métaux précieux se trouvent des copies de cette ordonnance et ces dossiers sont entre les mains du Gouvernement américain.

Dr SAUTER

Cette ordonnance a-t-elle été signée par l’accusé Funk ?

TÉMOIN THOMS

Je ne puis le dire.

Dr SAUTER

Ou par quelque autre service ?

TÉMOIN THOMS

Pour l’instant, je ne puis vraiment pas le dire. Mais je ne puis l’admettre, car si dans un texte il est dit « pour M. le ministre des Finances et par ordre du Président du conseil Göring », il faut bien que cela ait été signé par un autre service.

Dr SAUTER

Monsieur le Président, je n’ai pas d’autres questions à poser au témoin.

M. DODD

Pourrai-je poser une ou deux questions ?

LE PRÉSIDENT

Oui.

M. DODD

Il n’y avait aucune exagération, n’est-ce pas, dans le fait que vous avez trouvé une étiquette portant le mot « Auschwitz » dans l’une des livraisons ?

TÉMOIN THOMS

Non. J’ai bien trouvé cette étiquette.

M. DODD

J’ai tout lieu de croire que vous avez trouvé dans ces livraisons quantité d’objets portant des inscriptions, et qu’il y a certainement quelque chose qui vous a rappelé Auschwitz ?

TÉMOIN THOMS

Oui.

M. DODD

Qu’était-ce ?

TÉMOIN THOMS

Je présume... je veux dire que je crois, maintenant, me souvenir que la chose s’est faite en liaison avec un camp de concentration, mais ne puis le dire. Je suis d’avis que cela a dû se passer plus tard. C’est réellement...

M. DODD

Je n’insisterai pas davantage. Je veux seulement faire comprendre au Tribunal que vous nous avez dit vous souvenir d’Auschwitz et que cela avait pour vous une telle signification que, même après la défaite de l’Allemagne, vous vous en souvenez encore ? Est-ce exact ?

TÉMOIN THOMS

Oui.

M. DODD

Je n’ai pas d’autres questions à poser.

M. BIDDLE

Vous avez dit qu’il y eut environ 77 livraisons. Est-ce exact ?

TÉMOIN THOMS

Oui, même un peu plus.

M.BIDDLE

De quelle importance étaient les livraisons ? Étaient-elles faites avec des camions ?

TÉMOIN THOMS

Cela variait. Mais en général, en partie dans des voitures de tourisme, en partie dans des camions ; cela dépendait ; si l’on envoyait par exemple, des billets, le volume en était restreint et le poids moindre. S’il s’agissait d’argenterie, le poids étant évidemment plus grand, c’était une camionnette qui amenait ces livraisons.

M. BIDDLE

Une livraison se composait-elle habituellement de plusieurs camionnettes ou camions ?

TÉMOIN THOMS

Non, les livraisons n’étaient pas si importantes. Un camion tout au plus à la fois.

M. BIDDLE

Encore une question : vous avez dit que ces articles étaient enfermés dans de nouveaux récipients ?

TÉMOIN THOMS

Oui, la Reichsbank les mettait dans des sacs ordinaires, qui portaient l’inscription « Reichsbank ».

M. BIDDLE

Dans des sacs marqués au nom de la Reichsbank ?

TÉMOIN THOMS

Oui, sur lesquels il y avait l’inscription « Reichsbank ».

LE PRÉSIDENT

Le témoin peut se retirer.

(Le témoin Puhl vient à la barre.)
LE PRÉSIDENT

Docteur Seidl voulez-vous poser des question à Monsieur Puhl ? (Au témoin.) Vous vous souvenez avoir prêté serment ?

TÉMOIN PUHL

Oui, Monsieur le Président.

Dr SEIDL

J’ai quelques questions à vous poser à propos du document PS-3947 (USA-850). Vous venez d’entendre dire, alors que des questions étaient posées au témoin Thoms, que dans cette lettre est contenu un paragraphe qui concerne le maréchal Göring dans ses rapports avec l’Office fiduciaire de l’Est. Est-il exact que cet office était un service officiel, créé par une loi, et dont le droit de réquisition avait été également bien défini par une loi ?

TÉMOIN PUHL

En ce qui concerne la deuxième partie de votre question, je ne puis répondre de mémoire, car je ne suis pas juriste. L’Office fiduciaire de l’Est était un service officiel. Mais je suis incapable de dire pour le moment s’il a été créé en vertu d’une loi ou d’un décret.

Dr SEIDL

D’après vous, cet office a-t-il eu affaire, d’une façon quelconque au service central économique des SS, au service Vogt-PohI ?

TÉMOIN PUHL

Je ne l’ai jamais observé.

Dr SEIDL

Il est donc manifestement exclu, tout au moins par la lecture de cette lettre que l’Office fiduciaire de l’Est ait eu des rapports quelconques avec l’affaire Melmer ?

TÉMOIN PUHL

C’est très vraisemblable, oui.

Dr SEIDL

Vous avez mentionné ce matin qu’au nombre des affaires dont il répugnait à la Reichsbank de s’occuper, étaient comprises celles relevant des bureaux de poursuites douanières, comme aussi des bureaux du contrôle des devises. La fin du paragraphe relatif au maréchal Göring contient une phrase se rapportant à l’utilisation des objets confisqués dans les territoires occupés de l’Ouest. Est-il exact que, justement dans les territoires de l’Ouest, les services du contrôle des devises et le service des recherches des douanes ont fait un butin considérable ?

TÉMOIN PUHL

La valeur totale des objets saisis par ces deux services ne m’est évidemment pas connue. Mais je doute fort qu’elle soit si extraordinairement considérable. Toujours est-il qu’il s’agissait de sommes importantes, principalement en devises étrangères.

Dr SEIDL

Je n’ai pas d’autres questions à poser.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Dodd, voulez-vous poser d’autres questions ?

M. DODD (au témoin)

Après avoir entendu le témoignage de M. Thoms, avez-vous quelque chose à changer à votre déposition de ce matin ?

TÉMOIN PUHL

Non.

M. DODD

Et votre affidavit, fait sous la foi du serment, doit rester tel qu’il est ?

TÉMOIN PUHL

Oui.

M. DODD

C’est tout, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Savez-vous qui est ce Kropp qui a signé le document PS-3947 du 31 mars 1944, au-dessous des mots « Caisse principale » ?

TÉMOIN PUHL

Kropp était un fonctionnaire de notre caisse et d’une classe relativement élevée.

LE PRÉSIDENT

A quel service ?

TÉMOIN PUHL

A la caisse.

LE PRÉSIDENT

Je vous remercie. Le témoin peut se retirer. (Le témoin quitte la barre.)

Oui, Docteur Siemers.

Dr SIEMERS

Puis-je demander au Grand-Amiral Raeder, de prendre place au banc des témoins ? (Le témoin Raeder se rend à la barre.)

Je me permets de rappeler que j’avais posé la question de principe : la Marine a-t-elle été constituée dans un but défensif ou offensif ? Le témoin désire répondre à cette question, en se référant à des fractions de son discours de 1928. C’est le document Raeder n° 6, livre de documents I, page 5. Le discours commence à la page 17. (A l’accusé.) Je vous en prie.

ACCUSÉ RAEDER

Je commencerai par dire que le ministre Severing, que j’ai demandé comme témoin, a, de son propre chef, apporté ici ce discours, car il s’en souvient encore depuis 1928.

Dr SIEMERS

Monsieur le Président, il figure dans le livre de documents, page 16. C’est la lettre de Raeder au ministre Severing du 8 octobre 1928. Severing m’a remis ce discours lorsqu’il est arrivé à Nuremberg pour témoigner.

ACCUSÉ RAEDER

Je cite, à la page 17, cinquième alinéa du bas, afin de raccourcir la phrase pour les interprètes :

« La Wehrmacht » — je parle naturellement en premier lieu de la Marine, mais je sais qu’il n’en va pas différemment aujourd’hui dans l’Armée — « après avoir travaillé depuis 1919 avec le plus grand dévouement et une entière fidélité à sa consolidation intérieure et à son entraînement, est devenue, telle qu’elle est constituée aujourd’hui, qu’il s’agisse de l’officier ou du simple soldat, et grâce au degré d’instruction actuel comme à sa mise au point, un appui solide et sûr, je dirai même, en raison de la puissance militaire qui lui est propre — étant données les conditions intérieures du Reich — le plus solide et le plus sûr appui de notre patrie allemande, du Reich allemand, de la République allemande et de sa constitution, et elle est fière de l’être. »

Je passe à la page 3, sixième ligne :

« Si l’État doit subsister, cette force ne peut être qu’à la disposition des pouvoir constitutionnels et de personne autre, non plus des partis politiques. La Wehrmacht doit s’abstenir de toute politique et ne doit être composée que de soldats, imbus de la nécessité de se refuser à toute activité politique. C’est le plus grand et durable mérite du précédent ministre de la Reichswehr Noske, que d’avoir, dès le début, reconnu ce principe et d’avoir constitué la Wehrmacht dans ce sens, comme aussi de son successeur, le ministre Dr Gessler qui, intimement convaincu, l’a suivi dans cette voie. »

Je parle ensuite de la composition de la Marine, et je continue à la page 4, septième ligne ; c’est peut-être la phrase la plus importante :

« La première, à mon avis, des conditions préliminaires pour l’intime conviction du soldat, c’est de savoir qu’il a la ferme volonté d’exercer son métier dans la pratique, si la patrie fait appel à lui. Les gens qui ne veulent plus jamais de guerre ne peuvent vouloir être soldats. On ne peut incriminer la Wehrmacht, à mon avis, d’avoir inculqué à ses soldats un esprit viril et guerrier, non pas avec la volonté de faire la guerre, même une guerre de revanche, ou une guerre d’agression, ce qui, selon l’opinion de tous les Allemands serait un crime, mais au contraire la volonté de défendre la patrie, les armes à la main, en cas de nécessité. »

Je passe au dernier paragraphe de la page 4 :

« On doit le comprendre, car cela correspond au caractère essentiel de la Wehrmacht qui s’efforce d’être, autant que possible, en situation de faire son devoir, même dans les conditions actuelles créées par des restrictions imposées par le Diktat de Versailles. »

J’en viens aux tâches de la petite Marine, page 5, deuxième paragraphe, sixième ligne :

« Pensez, je vous prie, à l’étendue du littoral allemand de la mer Baltique et de la mer du Nord, surtout des côtes essentiellement prussiennes, qui resteraient exposées à l’invasion et à la rançon, même de la part du plus petit État maritime, si nous ne disposions pas, tout au moins dans le cadre du Diktat de Versailles, de forces navales modernes et mobiles. Pensez avant tout à la situation de la Prusse orientale, qui, en cas de fermeture du Corridor, serait complètement réduite aux communications par mer, aux transports qui devraient passer directement sous le feu des points d’appui des nations étrangères, et qui, par conséquent, seraient extrêmement exposés en temps de guerre, voire même rendus impossibles, si nous ne disposions pas de navires capables de combattre. Souvenez-vous encore, je vous en prie, des rapports reçus sur l’impression produite par les visites de nos croiseurs-écoles et de notre flotte à l’étranger, où la tenue exemplaire de leurs équipages a fait conclure, déjà en 1922, à l’amélioration de la situation intérieure du Reich, ce qui n’a fait que rehausser, dans une large mesure, le prestige du Reich allemand. »

Voilà pour ce discours.

Dr SIEMERS

Monsieur le Grand-Amiral, vous avez, de 1928...

LE PRÉSIDENT

Si vous passez maintenant à un autre sujet, nous pouvons suspendre l’audience.

(L’audience est suspendue.)
Dr SIEMERS

Monsieur le Grand-Amiral, bien au-dessus de ce Procès s’élève la phrase : « Les guerres d’agression sont un crime ». Nous venons de constater, d’après votre discours, que vous aviez prononcé cette phrase en janvier 1928 déjà, bien avant le Pacte Kellogg. Je voudrais, pour en terminer, vous demander encore ceci : ce principe, énoncé en 1928, est-il resté le même pendant tout le temps où vous êtes demeuré à la tête de la Marine ?

ACCUSÉ RAEDER

Bien entendu.

Dr SIEMERS

En corrélation avec le Traité de Versailles, je voudrais produire maintenant un affidavit, parce que quelques chiffres sont ici indispensables et plus faciles à présenter par écrit que par une audition de témoins. Il s’agit de l’affidavit II, du vice-amiral Lohmann, document Raeder-8, livre de documents I, page 39.

Je me permets, pour l’information du Tribunal et afin d’éviter tout malentendu, d’attirer son attention sur ce fait : l’amiral Lohmann n’a rien à voir avec le capitaine de vaisseau Lohmann qui, vers 1920, fut si connu, et même devint célèbre. Le Tribunal se souvient peut-être qu’il a été parlé de l’affaire Lohmann, à propos des infractions au Traité de Versailles.

L’ex-capitaine Lohmann est mort en 1930 et n’avait rien de commun avec le signataire de cet affidavit, le vice-amiral Lohmann. Je rappellerai également à ce sujet que l’affaire Lohmann se situe à une époque antérieure à la prise de commandement de l’accusé Raeder, et qu’en 1928 elle était déjà close.

De l’affidavit Lohmann, je cite la déclaration I.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous citer ce vice-amiral Lohmann comme témoin ?

Dr SIEMERS

Non, je ne l’avais pas désigné comme témoin, mais je me suis contenté d’un affidavit à cause des chiffres relativement nombreux. Le Ministère Public britannique a déjà déclaré être d’accord pour la production de cet affidavit, mais en raison des nombreux points soulevés, demande que l’amiral Lohmann soit contre-interrogé. Sir Savid s’est entendu avec moi à ce sujet.

LE PRÉSIDENT

Oui, bien. Mais vous n’avez pas besoin de citer tous les chiffres du tonnage. Il n’est sans doute pas nécessaire de lire tout cela ?

Dr SIEMERS

Non, je n’en ai pas l’intention. Je voudrais simplement faire remarquer qu’il ne s’agit pas ici de l’affidavit avec les chiffres du tonnage, mais du document Raeder 8, page 39.

LE PRÉSIDENT

Oui, je l’ai trouvé. Mais il contient aussi beaucoup de chiffres de tonnes.

Dr SIEMERS

Je me permets de lire le paragraphe 1 :

« I. Dans le cadre du Traité de Versailles, l’Allemagne était autorisée à construire huit cuirassés. L’Allemagne n’en construisit cependant que trois, à savoir, le Deutschland, l’Amiral Scheer et le Graf Spee. » Je passe la suite.

« II. L’Allemagne était autorisée, dans le cadre du Traité de Versailles, à construire huit croiseurs. L’Allemagne n’en construisit cependant que six. »

Pour déférer au désir du Tribunal, je passe les détails. « III. L’Allemagne était autorisée, dans le cadre du Traité de Versailles, à construire 32 destroyers ou torpilleurs. L’Allemagne ne construisit que 12 destroyers et aucun torpilleur. » (A l’accusé) En somme, dans l’exécution de son programme naval, l’Allemagne n’a, en aucune façon, utilisé les possibilités accordées par le Traité de Versailles, et si je vois juste, s’était abstenue de construire des armes offensives, en l’espèce, de gros bâtiments. Puis-je vous demander de vous expliquer brièvement à ce sujet ?

ACCUSÉ RAEDER

Certainement, c’est tout à fait exact. En soi, il est, à proprement parler, étonnant que le Traité de Versailles, durant cette période, ait été utilisé dans une si faible mesure. C’est ce qui m’a d’ailleurs été reproché à l’avènement du Gouvernement national-socialiste, car on n’avait pas tenu compte que les gouvernements précédents, non plus que le Reichstag, n’avaient été nullement disposés à nous accorder ces bâtiments, et que nous avions dû tout d’abord lutter énergiquement. Mais l’inachèvement de notre programme naval n’était, proportionnellement, en rien comparable aux légères infractions au Traité de Versailles que nous avons commises, avant tout afin d’assurer ce que j’appellerai une misérable défense côtière, pour les cas d’extrême urgence.

Dr SIEMERS

Je reviendrai plus tard à ce document C-32. Il est donc manifestement établi que l’Allemagne, le Traité de Versailles étant en vigueur, et particulièrement la Marine, n’a pas profité des facilités accordées, notamment en ce qui concernait la construction de navires de combat. D’autre part, et ainsi qu’il appert des documents produits par le Ministère Public — et cela est de notoriété historique — il a été contrevenu, dé la part de la Marine, aux stipulations du Traité. Je désirerais donc examiner chacune de ces infractions qui ont été exposées par le Ministère Public avec une grande précision, et commencer par traiter le reproche général qui vous a été fait, et que j’ai déjà mentionné, d’avoir commis ces infractions à l’insu du Reichstag et du Gouvernement. Ce reproche est-il justifié ?

ACCUSÉ RAEDER

En aucune façon. Je me dois de répéter que ces infractions ne me sont imputables que du moment où je suis devenu à Berlin Commandant en chef des forces navales, c’est-à-dire le 1er octobre 1928. De ce qui s’est produit antérieurement, je ne suis nullement responsable. Le cas Lohmann, que vous venez de mentionner, était déjà réglé, liquidé. Et, lorsque l’affaire fut découverte, le ministre de la Reichswehr, Groener, avait ordonné, aussi bien à la Marine qu’à l’Armée, qu’on lui fît part de toutes les infractions en cours. De ce moment, il devait traiter lui-même cette question avec le colonel von Schleicher, son conseiller politique. Il liquida l’affaire Lohmann, et cette liquidation était encore en cours lorsque je pris mon commandement.

Le 1er octobre 1928, le ministre de la Guerre avait déjà pris la décision de reporter sur le Gouvernement tout entier, à cette époque le Gouvernement Müller-Severing-Stresemann, toutes les dérogations et infractions au Traité de Versailles, car il ne croyait plus pouvoir supporter seul cette responsabilité. En conséquence, après que je me fus précisément mis au courant de toutes ces affaires, il convoqua le 18 octobre un Conseil de cabinet auquel furent conviés le chef de la direction de l’Armée, le général Heye, et moi-même, ainsi que quelques chefs de services des deux administrations ; au cours de ce Conseil de cabinet, devant l’ensemble des ministres, le général Heye et moi fûmes tenus d’énumérer ouvertement quelles infractions étaient imputables à l’Armée et à la Marine. Le Gouvernement Müller-Severing-Stresemann en prit alors la responsabilité pleine et entière, en déchargea le ministre de la Guerre qui demeura encore responsable de l’exécution. Nous fûmes dès lors obligés de rendre compte au ministre de la Guerre de tout ce qui se ferait à l’avenir, et nous ne pûmes désormais prendre d’initiatives. Le ministre de la Guerre traita les affaires en collaboration avec le ministre de l’Intérieur, Severing, qui fit preuve d’une grande compréhension des nécessités les plus diverses.

Dr SIEMERS

Au cours de ce Conseil de cabinet, le général Heye et vous-même avez produit une liste de ces légères infractions ?

ACCUSÉ RAEDER

Parfaitement.

Dr SIEMERS

Et là-dessus, le Gouvernement vous a déclaré :

« C’est nous qui en prenons la responsabilité » ?

ACCUSÉ RAEDER

Parfaitement.

Dr SIEMERS

Est-ce que, en conséquence, dans les années qui suivirent, vous avez agi en communauté de vue avec le Gouvernement du Reich ?

ACCUSÉ RAEDER

Oui. Le ministre de la Guerre, Groener, était particulièrement susceptible à cet égard. Il avait supprimé tous les fonds secrets et il tenait essentiellement à tout savoir et à connaître ce qu’il devait approuver. De cette façon seulement croyait-il pouvoir assumer la responsabilité devant le Gouvernement.

En ce qui concerne le Reichstag, je n’avais absolument rien à y voir. Les chefs militaires n’avaient pas le droit de traiter de semblables affaires avec ses membres ; bien au contraire, toute négociation avec le Reichstag incombait au ministre de la Guerre ou, par ordre, au colonel von Schleicher. Je n’ai donc jamais été en situation de circonvenir le Reichstag, de quelque façon que ce fût. Je n’avais l’occasion de discuter avec les membres du Reichstag qu’à la Commission du budget, où je me trouvais à côté du ministre de la Guerre et pouvais compléter, par des détails techniques, ses propres explications.

Dr SIEMERS

Ainsi donc, à partir de 1928, c’est-à-dire depuis votre entrée en fonctions, il n’existait plus de fonds secrets attribuables au programme naval, sans approbation du Gouvernement ?

ACCUSÉ RAEDER

Sans approbation du Gouvernement et, avant tout, du ministre de la Défense nationale, qui nous répartissait les crédits ; il en était de même pour tous les autres budgets.

Dr SIEMERS

Je me permets de prier le Tribunal de bien vouloir, à ce sujet, consulter le document Raeder-3, déjà produit :

« Constitution de l’Empire allemand », livre de documents I, page 10, article 50. Il est court et s’exprime ainsi :

« Tous les décrets et décisions du Président du Reich, y compris ceux concernant la Wehrmacht devront, pour leur validité, porter le contreseing du Chancelier du Reich ou du ministre compétent. Ce contreseing engage la responsabilité. »

Tel est le principe constitutionnel qui servit de base au Gouvernement Müller-Severing-Stresemann, en octobre 1928.

Une fraction importante du programme de reconstruction de la Marine consistait en ce que les vaisseaux de ligne et les croiseurs démodés de la guerre précédente durent être remplacés. Je me permets, à ce propos, de soumettre au Tribunal le document Raeder n° 7, livre de documents I, page 23 Il s’agit du programme de remplacement des constructions navales. Ce programme, ainsi qu’il ressort de la page 24, alinéa 2, chiffre 2, fut présenté par une décision du Reichstag. Dans ce même document, j’indiquerai en outre, page 24, chiffre 3, qu’il s’agit de la construction de trois cuirassés, et qu’il est précisé que ces travaux pourront se prolonger jusqu’en 1938. Ce chiffre est important, Messieurs. L’Accusation a voulu conclure à des intentions agressives du fait fortuit qu’en 1930 fut établi un programme qui s’étendait jusqu’en 1938. Ce programme de 1930 avait le même but en 1938 et, ainsi que l’Accusation l’admettra, n’a rien à voir avec une guerre d’agression. (A l’accusé.) La proposition de ce programme naval a bien été faite, n’est-ce pas, par le Gouvernement, et vous avez simplement exécuté les travaux préliminaires ?

ACCUSÉ RAEDER

Oui.

Dr SIEMERS

Cela s’applique-t-il seulement au programme de 1930, ou bien a-t-il été procédé de la même façon dans les années qui suivirent ?

ACCUSÉ RAEDER

Ce programme avait été présenté et systématiquement accepté par le Reichstag. Mais les crédits nécessaires à la mise en chantier de chaque bâtiment devaient, pour le budget de l’année correspondante, être à nouveau accordés. De sorte que, pour la réalisation du programme en son entier, Gouvernement et Reichstag étaient absolument d’accord.

Dr SIEMERS

En ce qui concerne ce programme de remplacement, je me référerai encore à deux points afin d’abréger d’autant l’interrogatoire. A la page 26, je ne citerai rien — je demande seulement qu’il en soit pris connaissance — mais me bornerai à faire remarquer que l’ancienneté de tous les vaisseaux de ligne y est soulignée et, en conséquence, la nécessité de les remplacer. Dans le programme exposé à la page 27 du livre de documents, il est expressément mentionné que, à sa quatre-vingt-neuvième séance du 18 juin 1929, le Reichstag a décidé de demander au Gouvernement de présenter un projet de loi pour un programme échelonné sur un certain nombre d’années. L’opinion publique d’alors, comme il ressort du programme lui-même, est reflétée dans la Frankfurter Zeitung du 15 août 1928, qui insiste sur ce fait qu’un croiseur cuirassé n’a pleinement de valeur que s’il fait partie d’une escadre. La Frankfurter Zeitung, c’était notoire, était le meilleur journal allemand, et ce n’est qu’en 1943, en pleine guerre, la dictature nationale-socialiste s’étant de plus en plus accentuée, qu’elle fut interdite. Je me permets de citer encore une seule phrase de la page 29 :

« La construction de cuirassés devra s’échelonner le plus possible, afin de maintenir d’une façon continue l’activité du chantier naval de Wilhelmshaven. La durée idéale de construction est de trois ans environ. Et, conformément au principe suivant lequel cette activité doit être de longue durée, cette méthode continuera à être appliquée de sorte que la période de construction puisse, pour chaque cas, être prolongée autant que possible. »

Voilà, je crois, qui démontre suffisamment que l’on n’avait aucune intention agressive car, autrement, on aurait hâté davantage la construction.

Je demande, en outre, qu’il soit pris connaissance, page 30, de ce que les frais de construction d’un cuirassé de 10.000 tonnes sont d’environ 75.000.000 de mark. Ce chiffre m’est important en tant que preuve, eu égard à la suite des débats au cours desquels sera établi le montant de la totalité des infractions au Traité de Versailles. Et, pour en terminer avec la page 30, je citerai encore quelques lignes sur le rôle dévolu à la Wehrmacht : « Quant à la Wehrmacht du Reich allemand, qui doit assurer la protection des frontières et le maintien de la paix, entrent en ligne de compte, depuis l’exécution du désarmement que, seule, la République allemande a accompli, les possibilités d’intervention suivantes : a) Rôle de défense en cas de spoliation de territoire ; b) Défense de la neutralité lors de conflits entre tierces nations. » (A l’accusé.) J’en arrive maintenant à chacune des infractions au Traité de Versailles, que l’Accusation vous impute. Je dépose donc à cet effet le document Raeder-1, livre de documents I, page 1, et me réfère à la page 3, article 191. Il s’agit du reproche formulé à rencontre de l’Allemagne d’avoir contrevenu au Traité de Versailles en construisant des sous-marins. Je cite :

« La construction et l’acquisition de tous bâtiments sous-marins, même à usage commercial, sont interdites à l’Allemagne. »

En ce qui concerne le fait certain que la Marine s’est intéressée à une maison hollandaise spécialisée dans la construction de sous-marins, de même qu’à un programme général de construction de bateaux et de sous-marins, j’aurais une question à vous poser, mais je crois, encore une fois pour gagner du temps, préférable que je donne lecture d’un passage de l’affldavit Lohmann-I, que je présente sous le numéro Raeder-2, livre de documents I, page 4. Je cite :

« D’après le Traité de Versailles, l’Allemagne n’avait le droit ni de construire, ni d’acquérir de sous-marins.

« La Marine s’intéressa à la maison N.V. Ingenieurskantoor voor Scheepsbouw, fondée à La Haye en juillet 1922, afin de se tenir au courant de la construction moderne des sous-marins. On avait l’intention d’exploiter, de cette façon, l’expérience acquise au profit de la Marine allemande pour le cas où, ultérieurement, les stipulations du Traité de Versailles seraient abolies à la suite de négociations, et la construction de sous-marins de nouveau permise au Reich. En outre, dans le même but, la Marine voulait former un petit noyau de personnel qualifié. La maison hollandaise était un simple bureau d’études. »

Messieurs, je tiens préalablement à attirer l’attention du Tribunal sur ce que, à cette place, une faute de traduction a été commise dans le texte anglais. Le mot « Konstruktion » a été traduit par « construction » ; or, « construction » signifie en allemand « Bau ». Ce n’était pas un bureau de construction. Autant que je sache, « Konstruction » doit être traduit par « design » (dessin, projet, plan). Comme ce point est d’une importance essentielle eu égard à l’article 191, j’ai tenu à faire cette rectification.

Je continue la lecture :

« Le premier sous-marin allemand fut mis en service le 29 juin 1935, une fois écoulé le délai à partir duquel il fut permis de commencer l’acquisition de pièces détachées pour la construction des sous-marins. »

Je rappelle qu’au moment de la mise en service du premier sous-marin, l’accord naval germano-anglais existait déjà, qui autorisait la construction de sous-marins. (A l’accusé.) Je vous demande si cet exposé de l’amiral Lohmann est exact ?

ACCUSÉ RAEDER

Parfaitement, il est conforme aux faits.

Dr SIEMERS

J’en viens maintenant au document du Ministère Public C-141 (USA-47). Vous le trouverez au livre de documents Raeder-10, à la page 22, dans le recueil de la Délégation britannique. Il s’agit de votre lettre du 10 février 1932 concernant l’armement en torpilles des vedettes rapides.

LE PRÉSIDENT

Est-ce que cela se trouve dans le livre de documents 10-A, ou dans le livre de documents 10 ?

Dr SIEMERS

Dans le livre de documents n° 10, c’est-à-dire dans l’ancien livre de documents.

LE PRÉSIDENT

Mes pages sont mal numérotées, mais j’y suis maintenant.

Dr SIEMERS

Je m’excuse, Monsieur le Président, les chiffres m’ont été donnés ainsi.

LE PRÉSIDENT

C’est exact dans les autres livres de documents.

Dr SIEMERS (à l’accusé)

L’armement en torpilles des vedettes rapides n’avait pas été expressément autorisé par le Traité de Versailles ; c’est pourquoi on vous en fait grief. Est-ce qu’il s’agit ici, à propos de cette infraction, uniquement des cinq vedettes rapides mentionnées dans ce document ?

ACCUSÉ RAEDER

Parfaitement. Il s’agissait de cinq patrouilleurs prévus dans le plan de remplacement et qui n’étaient pas armés.

Dr SIEMERS

Quel était le tonnage de ces bateaux ?

ACCUSÉ RAEDER

Certainement pas au-dessus de 40 tonnes, peut-être beaucoup moins.

Dr SIEMERS

A-t-on construit encore davantage de ces vedettes tant que le Traité de Versailles fut en vigueur ?

ACCUSÉ RAEDER

Je ne peux pas le dire avec certitude ; en tout cas, nous n’avons pas eu d’autres bateaux armés, en excédent.

Dr SIEMERS

Pardon, c’est ce que je veux dire, de bateaux armés ?

ACCUSÉ RAEDER

Non. Certes, nous avions le droit de construire 12 + 4 == 16 torpilleurs de 200 tonnes. Mais, à cette époque, on ne pouvait construire un torpilleur de 200 tonnes qui fût utilisable, à cause des moteurs et en raison de la tenue à la mer. En conséquence, nous laissâmes de côté, pour commencer, la construction de ces torpilleurs, et maintînmes en service de très vieux bâtiments datant du début du siècle, pour pouvoir entraîner les équipages. Il était impossible de combattre avec ces bateaux ; aussi, tant que nous ne pûmes les remplacer et afin d’avoir au moins quelques bâtiments, même de petit tonnage, qui fussent capables de combattre et être utilisés pour bloquer la Baltique, j’ai ordonné que les patrouilleurs fussent aménagés de telle sorte qu’on pût placer à bord des tubes lance-torpilles. Mais, en cette année 1932, alors que nous espérions obtenir quelque avantage à la Conférence du désarmement et afin de ne pas aggraver notre position par des infractions notoires, je ne fis armer qu’un seul bateau à la fois, à titre d’essai, pour adapter cet armement et fis achever cet armement par la suite, de façon qu’un seul bâtiment à la fois en fût pourvu. Nous ne projetâmes l’adaptation de tubes lance-torpilles à bord de toutes les vedettes rapides que lorsque la situation politique, c’est-à-dire après la conférence, le permettrait. C’est ce que j’expose au numéro 3 dans la phrase finale de ce document.

Dr SIEMERS

D’après votre exposé, ]e conclus que nous étions autorisés à construire 16 torpilleurs, soit un tonnage total de 2.300 tonnes ?

ACCUSÉ RAEDER

Oui.

Dr SIEMERS

Et au lieu de cela, vous n’avez construit que cinq vedettes rapides d’un tonnage global de 200 tonnes ?

ACCUSÉ RAEDER

Oui.

Dr SIEMERS

Finalement, en Ce qui concerne la phrase qui vous est reprochée par le Ministère Public, de n’avoir pas compris ces vedettes parmi les torpilleurs, vous n’avez absolument rien voulu tenir secret, mais votre intention était bien d’en saisir la Commission de contrôle au moment opportun ?

ACCUSÉ RAEDER

Parfaitement.

Dr SIEMERS

J’en viens maintenant au document le plus volumineux que le Ministère Public ait produit, à savoir : le document n° C-32 (USA-50) qui figure dans le livre de documents 10-A, page 8, c’est-à-dire dans le nouveau livre de documents de la Délégation britannique. Dans cette liste sont consignées toutes les infractions à la date du 9 septembre 1933. Le Ministère Public insiste avec raison sur le fait que cette récapitulation est très complète, et le Ministère Public l’a traitée à fond bien qu’il ne s’agisse, ainsi que je crois pouvoir le prouver, que de choses minimes. Je suis donc obligé, vis-à-vis des témoins, de prendre position quant à chacun des points traités.

L’infraction n° 1 se rapporte à la transgression du nombre de mines accordé. Dans la colonne 2 il est dit que, par le Traité de Versailles, ou plutôt par la Commission de contrôle, 1.665 mines nous avaient été concédées, mais que nous en possédions 3.675, c’est-à-dire environ 2.000 de trop. Je vous prie de dire au Tribunal jusqu’à quel point cette infraction qui est indéniable, peut avoir d’importance.

ACCUSÉ RAEDER

Je me permets d’observer, au préalable, que cette liste a été dressée pour notre délégué de la Marine à la Conférence du désarmement pour lui permettre, au cas où ces manquements seraient évoqués, de donner les explications nécessaires. C’est pourquoi elle est aussi détaillée bien qu’elle ne contienne en majeure partie que des faits insignifiants. D’autre part, je voudrais ajouter à ce que j’ai dit précédemment quant à l’éventualité d’une agression polonaise, que nous craignions toujours, vu la situation politique d’alors, que les Polonais, en cas d’invasion, pussent compter sur l’aide de la France par mer également et que des vaisseaux français, qui visitaient fréquemment le port polonais de Gdynia, franchissant les détroits du Belt et du Sund, ne vinssent entreprendre une action contre nos côtes. Pour cette raison, une protection de ces passages au moyen de mines jouait un rôle considérable. C’est en considération de ces éventualités que nous nous sommes résolus à cette infraction, afin de pouvoir au moins barrer les étroites entrées de la Baltique ce qui, naturellement, ne pouvait avoir qu’un caractère provisoire. Avec ces mines, on n’aurait pu établir de barrage que sur une distance de 27 milles marins. On aurait pu alors barrer une partie de la baie de Dantzig, où se trouve Gdynia, ou une partie des Belt, si l’on avait pu poser un barrage à plusieurs rangées de mines, le seul efficace, du moins pour un certain temps. Là aussi, il ne s’agissait que d’une simple défensive, mais, il est vrai, aussi d’une dérogation au nombre admis de mines, provenant des stocks de guerre encore existants.

Dr SIEMERS

Cette évaluation à 27 milles marins que vous venez de faire est bien en rapport avec le stock que possédait encore l’Allemagne ?

ACCUSÉ RAEDER

Oui.

Dr SIEMERS

Pas seulement la quantité excédentaire ?

ACCUSÉ RAEDER

Non, il s’agit de la quantité totale.

Dr SIEMERS

De sorte que cet excédent ne comporte que la moitié de ce total ?

ACCUSÉ RAEDER

Oui.

Dr SIEMERS

J’aimerais avoir encore une comparaison approximative. Il m’a été dit, à titre de comparaison, que du côté britannique, dans la première guerre mondiale, avaient été posées, dans la mer du Nord, de 400.000 à 500.000 mines. Est-ce que ce chiffre est à peu près exact ?

ACCUSÉ RAEDER

Ce doit être à peu près exact, mais je ne peux pas le dire de mémoire.

Dr SIEMERS

Je suppose qu’une approximation suffit pour avoir une idée de l’ordre de grandeur.

Encore une courte question : est-il exact que l’arme aérienne, sous la direction du maréchal Göring, ait employé de 30.000 à 50.000 mines pour une seule action d’envergure contre les ports britanniques ? Le savez-vous aussi ?

ACCUSÉ RAEDER

J’ai entendu citer ce chiffre.

Dr SIEMERS

Nous en arrivons à la seconde infraction. Je cite :

« Entrepôt permanent de pièces d’artillerie destinées à des batteries A de la Baltique, provenant du littoral de la mer du Nord. »

Il s’agit ici de 96 pièces, dont six seulement, il est vrai, sont de gros calibre, les 90 autres de petit calibre. Dois-je vous prier d’exposer brièvement votre avis à ce sujet ?

ACCUSÉ RAEDER

Oui, il s’agit là d’une infraction de peu d’importance, véritablement. Un nombre de pièces relativement élevé nous avait été concédé pour les côtes de la mer du Nord, tandis que celles de la Baltique en avaient été dégarnies totalement, en conformité avec le Traité, car on voulait précisément se réserver le libre accès à la mer Baltique alors que nous avions, nous, le plus grand intérêt à pouvoir l’interdire en cas d’agression. C’est pour cette raison que nous avons entreposé des tubes de canons qui, certes, appartenaient à la mer du Nord, mais qui furent amenés sur la côte baltique pour y être réparés dans des hangars afin de pouvoir, en cas d’agression, les mettre en batterie sur la côte de la Baltique. La côte de la mer du Nord possédait une grande quantité de canons et était d’ailleurs, à cause des bas-fonds, plus facile à défendre que celle de la Baltique. Telle était la nature de l’infraction.

Dr SIEMERS

Il s’agissait donc pratiquement d’un simple déplacement de la mer du Nord à la mer Baltique et non d’une installation de batteries, mais seulement d’un entrepôt ?

ACCUSÉ RAEDER

Parfaitement, un simple déplacement.

Dr SIEMERS

Il est reproché, en outre de « n’avoir pas mis à la ferraille un certain nombre de canons » (chiffre 3). Il est mentionné en tout 96 canons, dont les dix plus gros, d’un calibre de 28 centimètres, ont été détruits. Voulez-vous prendre position à cet égard ?

ACCUSÉ RAEDER

Quand nous avions à fournir de nouveaux canons — pour le cuirassé Deutschland, par exemple, six pièces de 28 centimètres étaient commandées ou, pour le Deutschland et pour les croiseurs il en fallait 48 de 15 centimètres — nous devions mettre à la ferraille un nombre correspondant de vieilles pièces. Sur ce nombre, nous en avons en réalité détruit dix. Toutes les pièces ont été données à l’Armée pour être détruites, et nous avons reçu la confirmation qu’elles l’avaient été. Nous avons appris que l’Armée ne les avait pas, en réalité, données à la ferraille mais, exception faite pour les dix de 28 centimètres, qu’elles devaient être utilisées pour l’armement des fortifications à construire en cas d’agression, car l’Armée était totalement dépourvue de tels engins.

Dr SIEMERS

Je tiens à établir clairement que, par analogie, il s’agit d’une infraction commise bien avant votre entrée en fonctions comme Commandant en chef de la Marine.

ACCUSÉ RAEDER

Cela s’est passé entre 1919 et 1925, en grande partie. Je n’ai, en tout cas, pas été saisi de ces affaires.

Dr SIEMERS

Nous arrivons au chiffre 4 ; c’est, je crois, très simple :

« Dérogation aux emplacements prescrits par l’Entente pour les batteries côtières. »

ACCUSÉ RAEDER

Oui, autrefois, jusqu’à la guerre mondiale, les batteries lourdes, surtout, mais aussi les batteries moyennes, étaient placées très près l’une de l’autre et bien alignées. Après l’expérience de la guerre mondiale, on a disposé, dans les batteries, les pièces lourdes et moyennes, beaucoup plus éloignées les unes des autres, afin qu’un seul coup n’en détruisît pas plusieurs à la fois. Pour cette raison, nous avons décentralisé ces batteries lourdes et moyennes et séparé davantage les pièces. C’est pourquoi elles ne se trouvaient plus exactement sur les emplacements où elles étaient lors du Traité de Versailles. Autrement, il n’y eut rien de changé.

Dr SIEMERS

Ces dispositions, de nature purement techniques, n’auraient-elles pas été admises sans difficulté par la Commission de contrôle ?

ACCUSÉ RAEDER

Je ne peux le dire, parce que je n’ai jamais participé à ces négociations.

Dr SIEMERS

Le chiffre 5 traite de plates-formes pour batteries et de dépôts de munitions pour la défense contre avions. Dans la colonne 2, il s’agit encore de mise en place à d’autres endroits que ceux fixés par l’Entente. Ce que vous avez dit, quant au chiffre 4, s’applique-t-il également ici ?

ACCUSÉ RAEDER

Non, pas complètement, car nous voulions placer nos batteries contre avions là où elles nous auraient été particulièrement utiles et où nous aurions pu les utiliser complètement alors que la Commission ne désirait pas les y voir. Nous avons donc laissé les batteries où elles étaient, mais nous avons préparé, à d’autres emplacements, des plates-formes en bois de caractère très provisoire, afin de pouvoir, en cas d’attaque d’un ennemi quelconque, installer les pièces de DCA et les utiliser avec le maximum d’efficacité. De même...

Dr SIEMERS

Il s’agit donc simplement de plates-formes pour batterie contre-avions, et seulement en vue d’une défense ?

ACCUSÉ RAEDER

Oui, uniquement de plates-formes.

Dr SIEMERS

Puis vient le chiffre 6 : « Installation de plates-formes dans la région de Kiel. »

ACCUSÉ RAEDER

La région de Kiel était particulièrement dépourvue d’artillerie, parce que l’accès par le détroit jusqu’à Kiel devait être aussi peu armé et aussi dégagé que possible. C’est pour cette raison que l’établissement de pièces d’artillerie dans les environs de Kiel était interdit. Afin de pouvoir y placer rapidement des pièces quelconques en cas de danger, on y installa aussi des plates-formes.

Dr SIEMERS

Le Ministère Public a également lu le chiffre 7 :

« Transgression du calibre autorisé pour les batteries côtières. » « Batteries côtières » signifie pourtant qu’il s’agit bien de défensive. Le reproche a été quand même formulé.

ACCUSÉ RAEDER

Oui. Il est dit qu’à la place de six pièces de 15 cm, trois de 17 cm. ont été placées. C’est évidemment une dérogation en ce sens que les pièces auraient dû rester où elles étaient, mais il ne peut être vraiment pas établi si ces six pièces de 15 cm. n’auraient pas mieux valu que les trois de 17 cm. sur cette côte.

Dr SIEMERS

Je constate exactement qu’il s’agit d’un chiffre inférieur à celui qui a été accordé ?

ACCUSÉ RAEDER

Oui.

Dr SIEMERS

Au lieu de cinq pièces de 15 cm, trois de 17 cm. ?

ACCUSÉ RAEDER

Au lieu de six...

Dr SIEMERS

Oui, au lieu de six pièces on n’en a installé que trois dont le calibre est seul supérieur de 2 cm.

ACCUSÉ RAEDER

Oui.

Dr SIEMERS

Ensuite vient le chiffre 8 : « Armement des dragueurs de mines ».

ACCUSÉ RAEDER

Il s’agissait de vieux dragueurs de mines qui, en cas d’agression en mer Baltique, avaient pour mission de rechercher les mines, et aussi de contrôler les barrages de mines que nous voulions poser aux issues des détroits, et les protéger contre des forces légères. Pour cette raison, nous les avons pourvus chacun d’une pièce de 10,5 cm. et d’une mitrailleuse 30.

Dr SIEMERS

C’est-à-dire, pratiquement, d’un armement minimum ?

ACCUSÉ RAEDER

Du minimum d’armement.

Dr SIEMERS

Quant au chiffre 9, nous pouvons, je crois, en terminer rapidement : « Armement de six vedettes rapides et de huit bateaux R ». Les six vedettes rapides sont bien celles dont nous avons déjà parlé et qui sont mentionnées dans le document C-141 ?

ACCUSÉ RAEDER

Oui, il y a là : « Bateaux armés de torpilles ».

Dr SIEMERS

Ensuite le chiffre 10 : « Établissement de batteries d’exercice contre avions ». Est-ce qu’il y a vraiment là une infraction au Traité ?

ACCUSÉ RAEDER

Oui, c’étaient, de toute façon, des batteries contre avions. Mais elles étaient là pour l’unique raison que nous aimions avoir, à proximité des garnisons et des casernes, l’occasion de faire exécuter par nos hommes des exercices de tir contre avions ; c’est pourquoi nous les avons placées près des casernes, ce qui ne veut pas dire qu’on les aurait employées, à cette même place, en cas d’alerte. Il ne s’agissait là que d’une question d’opportunité, pour l’instruction des hommes.

Dr SIEMERS

Nous arrivons au chiffre 11.

ACCUSÉ RAEDER

Ces cas, pris séparément, deviennent de plus en plus ridicules. Je suis d’avis qu’ils nous font perdre du temps bien inutilement.

Dr SIEMERS

Je regrette, Monsieur le Grand-Amiral, d’être obligé de vous donner cette peine, mais je crois que c’est indispensable, en raison de ce que l’Accusation a donné lecture de presque tous les cas mentionnés dans le procès-verbal et, en portant son jugement, a tendance à interpréter ces arguments à votre désavantage.

ACCUSÉ RAEDER

Nous en arrivons maintenant à la « Salut-batterie Friedrichsort ». C’est à l’entrée du port de Kiel, là où les vaisseaux étrangers, quand ils entrent dans la baie, saluent d’un certain nombre de coups de canon, auxquels nous nous devons de répondre. A cet effet, deux canons de campagne de 7,7 cm. nous avaient été accordés, qui avaient été rendus inutilisables, c’est-à-dire qu’on ne pouvait leur faire tirer des projectiles, mais seulement des cartouches à blanc. Et, comme il y avait là des plates-formes de batteries, nous avons jugé opportun d’y placer quatre pièces de 8,8 cm. contre avions. Tout cela aussi était accompli bien avant que je ne fusse devenu chef de la Marine.

LE PRÉSIDENT

Nous allons suspendre l’audience.

(L’audience sera reprise le 16 mai 1946 à 10 heures.)