CENT TRENTE ET UNIÈME JOURNÉE.
Jeudi 16 mai 1946.

Audience de l’après-midi.

Dr SIEMERS

Monsieur le Président, je voudrais tout d’abord présenter une requête de pure forme : me serait-il possible d’avoir à l’audience une seconde secrétaire, en plus de celle que j’ai déjà. Cette personne était présente ce matin, et l’on vient de lui dire qu’elle n’avait pas accès à la salle d’audience. Elle attend à la porte.

LE PRÉSIDENT

Mais oui, certainement.

(L’accusé Raeder revient à la barre.)
Dr SIEMERS

Monsieur le Grand-Amiral, vous veniez de voir l’affidavit du Dr Sùchting. Je vous demande s’il est exact que... ou plutôt, de crainte que vous ne vous embrouilliez, je vais vous poser la question de la façon suivante : pour quelles raisons la Marine fut-elle amenée à augmenter le tonnage des navires de ligne dans une proportion de 20 % ?

ACCUSÉ RAEDER

A l’origine, nous n’avions pas eu cette intention. Mais à l’époque où nous avons recommencé à construire des navires de ligne, nous nous sommes rendus compte qu’en tous cas nous n’en n’aurions qu’un très petit nombre et l’idée nous vint d’augmenter leur capacité de résistance pour les rendre le moins vulnérables possible. Il n’était pas question de renforcer leur armement, mais simplement d’augmenter leur stabilité et leur capacité de résistance aux canons ennemis.

Pour cette raison, un nouveau système fut alors adopté pour intensifier le compartimentage à l’intérieur des bateaux, ce qui demandait beaucoup d’acier. Le tirant d’eau et le tonnage furent ainsi augmentés. C’était, à mon avis, très regrettable, car nous avions prévu des navires avec un tirant d’eau relativement faible. Les embouchures de nos fleuves, l’Elbe, la Weser, le Jade, sont si peu profondes que les navires ayant un grand tirant d’eau ne peuvent naviguer sur tous ces neuves. C’est pourquoi ces navires ont été construits plus larges, de façon à diminuer leur tirant d’eau. La construction de ces cloisons longitudinales et transversales accrut le tirant d’eau et le déplacement.

Dr SIEMERS

Ces changements désavantageux, qui se produisirent en cours de construction, étaient-ils dus à un certain manque d’expérience de la part des constructeurs ?

ACCUSÉ RAEDER

Oui, puisque les constructeurs et les ingénieurs du Haut Commandement de la Marine et des grands chantiers navals n’avaient pas construit de gros navires de guerre depuis très longtemps, ils manquaient d’expérience. Le Haut Commandement de la Marine dut donc imposer aux chantiers de construction des modifications ultérieures. C’était un inconvénient que j’ai essayé de surmonter avec beaucoup de peine.

Dr SIEMERS

La construction de ces quatre navires de ligne amena-t-elle un tonnage dépassant la limite autorisée par l’accord naval ?

ACCUSÉ RAEDER

Non. Jusqu’au début des hostilités, le tonnage total autorisé n’a pas été dépassé.

Dr SIEMERS

Messieurs, à ce propos, je voudrais me référer au document Raeder n° 8 qui a déjà été produit dans le livre de documents Raeder 1, à la page 40, sous le paragraphe II. Dans cet affidavit, Lohmann donne des chiffres, montrant quel était le tonnage de la Marine de guerre que l’Allemagne était autorisée à avoir d’après l’accord naval. Je vous demande de bien vouloir en prendre acte, sans que je vous en lise tous les chiffres. Ce qui est important, c’est qu’en comparaison avec les chiffres de la Marine britannique, l’Allemagne avait le droit de disposer de 183.750 tonnes de navires de ligne. Elle avait alors trois croiseurs cuirassés de 30.000 tonnes, de sorte que, d’après cet affidavit, il restait encore une marge de 153.750 tonnes. A propos du document Raeder-127, je voudrais apporter une légère modification, car le Grand-Amiral Raeder, en lisant cet affidavit, a constaté que le vice-amiral Lohmann s’était trompé sur un chiffre. Somme toute, l’erreur est insignifiante, mais dans un but d’équité et d’exactitude, j’ai cru devoir la signaler au vice-amiral Lohmann. Au lieu de 30.000, on doit lire 34.000 tonnes, de sorte qu’il y a une différence, non pas de 153.750 tonnes, mais de 149.750.

D’après l’accord naval, nous avions le droit de construire 146.000 tonnes, chiffre définitif, de sorte que le résultat reste inchangé. L’erreur du vice-amiral Lohmann provient sans doute du fait que, comme le Tribunal le sait, nos moyens matériels sont très limités.

ACCUSÉ RAEDER

Puis-je ajouter une remarque à mes explications antérieures ? Dans l’indication de ces tonnages, on s’est écarté des termes de l’accord, en ne donnant que les tonnages et tirants d’eau, tels qu’ils étaient à l’origine, et non ceux qui résultaient des changements intervenus en cours de construction.

Dr SIEMERS

De plus, je voudrais attirer l’attention du Tribunal sur le fait suivant : l’accord naval de 1937 fut modifié par le Protocole de Londres du 30 juin 1938. Je me réfère au document Raeder n° 16. Ma secrétaire vient de me dire qu’il n’est pas ici pour l’instant. Je le présenterai ultérieurement. C’est le dernier document du premier livre de documents Raeder, à la page 97. Puis-je rappeler au Tribunal que le document C-23 est daté de février 1938. Aux termes de ce Protocole, et sur la proposition du Gouvernement britannique la limitation à 35.000 tonnes du tonnage des navires de ligne fut modifiée car le Gouvernement britannique tout comme le Gouvernement allemand s’était rendu compte que ce chiffre était trop bas. Comme le montre ce document, à dater du 30 juin 1938, le tonnage des navires de ligne fut porté à 45.000 tonnes. C’est ainsi que cette différence, à laquelle il est fait allusion dans le document C-23, fut rendue effective quelques mois plus tard.

J’en viens maintenant à un autre sujet, à savoir la question de votre participation au plan concerté élaboré pour la conduite des guerres d’agression. Il s’agit-là des prétendus documents-clés que le Ministère Public a produits. Comme vous avez assisté aux discours adressés par Hitler aux commandants en chef, je dois vous prier de commenter ces documents.

Le premier document est le numéro PS-368, dit document Hossbach (USA-25), qui se trouve dans le livre de documents n° 10 de la Délégation britannique, à la page 81. C’est le discours de Hitler du 5 novembre 1937.

Monsieur le Grand-Amiral, avez-vous vu ce document de Hossbach avant le Procès ?

ACCUSÉ RAEDER

Non, je n’ai vu ni document, ni procès-verbal d’un discours de Hitler. Aucun procès-verbal n’était officiellement rédigé. Ce n’est que plus tard, à partir de 1941 je crois, qu’ils furent sténographiés. Il ne s’agit pas d’un véritable procès-verbal, puisque le document est rédigé sous forme de discours indirect. C’est, comme nous l’avons su, l’auteur qui l’a rédigé cinq jours après le discours.

Dr SIEMERS

Le document en question, quoique très important, ne comporte pas, contrairement aux autres documents, de liste de destinataires ; il a été rédigé cinq jours après le discours et ne porte même pas la mention secret. Pouvez-vous dire où ce procès-verbal a été déposé ?

ACCUSE RAEDER

Je n’en ai aucune idée. Peut-être l’aide de camp en question a-t-il gardé ce procès-verbal dans son coffre-fort.

Dr SIEMERS

Vous n’avez donc de ce discours, huit ou neuf ans après, qu’une idée très générale ?

ACCUSÉ RAEDER

Oui.

Dr SIEMERS

Le document a été lu ici en entier par le Ministère Public et contient, on ne peut le nier, de sérieuses allusions à une guerre d’agression. Par exemple, il est question d’un héritage testamentaire, du problème de l’espace vital, de la haine contre l’Angleterre et la France. Il y est dit que le réarmement étant désormais terminé, le premier but est d’anéantir la Tchécoslovaquie et l’Autriche.

Je vous prie d’expliquer au Tribunal quel fut alors sur vous l’effet de ce discours et de dire comment il se fait que vous n’y ayez pas attaché autant d’importance que ne le fit, par exemple, M. von Neurath, qui, lui aussi, y assistait ? Comment, malgré ce discours, continuiez-vous à penser que Hitler suivrait la politique traditionnelle et ne chercherait pas à obtenir de solution par la force ?

ACCUSÉ RAEDER

En manière d’introduction, je dois dire que l’affirmation contenue dans l’exposé des charges du Ministère Public, et d’après laquelle un groupe de nazis influents se seraient rencontrés pour examiner la situation, ne donne pas du tout une idée exacte de ce qui s’est alors passé. Hitler avait convoqué les personnes mentionnées dans le document afin de leur expliquer les probabilités de l’évolution politique et pour leur donner les instructions nécessaires.

J’aimerais maintenant faire une remarque générale sur la nature des discours de Hitler — car on va désormais en parler beaucoup — Hitler parlait longuement et remontait très loin dans le passé. Et surtout, chacun de ses discours avait un but particulier, qui variait avec l’auditoire. Très dialecticien, il était également passé maître dans l’art du bluff. Il revenait sur des expressions frappantes, suivant le but qu’il poursuivait. Il donnait libre cours à son imagination. Il se contredisait également souvent dans des discours successifs. On ne savait jamais où il voulait finalement en venir. Quand son discours était terminé, il était difficile d’en préciser le but. En principe, ses discours produisaient une impression plus profonde sur les personnes qui l’entendaient rarement que sur celles qui étaient déjà familiarisées avec sa façon de parler. Il ne s’agissait jamais de prendre conseil mais, comme on l’a dit, de donner des ordres à ne pas discuter. Le but du discours du 5 novembre 1937 était, comme le maréchal Göring l’a dit au début...

Dr SIEMERS

Excusez-moi. Il s’agit du début de ce discours du 5 novembre ?

ACCUSÉ RAEDER

Oui, du début de ce discours. Il me déclara qu’il s’était déjà entretenu auparavant avec le Führer. Celui-ci désirait faire pression sur l’Armée pour hâter quelque peu son réarmement qui allait, à son avis, trop lentement. Le discours porta sur l’Autriche et la Tchécoslovaquie, qu’il voulait anéantir, comme il le dit dans un passage. Il déclara que la date limite serait 1943-1945, car ensuite notre situation allait empirer. Mais tout se passerait plus tôt à deux conditions : d’abord, s’il y avait des troubles intérieurs en France, ensuite, si une guerre se déclenchait en Méditerranée à laquelle participeraient l’Angleterre, la France, l’Italie et probablement l’Espagne, ce qui me paraissait extraordinaire. Je ne pouvais comprendre cette déclaration d’après laquelle l’armement des forces terrestres, maritimes et aériennes devait être terminé en novembre 1937, car la Marine n’avait pas encore un seul navire de ligne en service, et il en était de même pour l’Aviation et pour l’Armée. Nous n’étions nullement préparés à la guerre, et une guerre contre l’Angleterre, par exemple, eut été une pure folie.

Pour moi, les phrases marquantes de son discours sont les suivantes : « L’Angleterre et la France ont déjà éliminé la Tchécoslovaquie Je suis convaincu que l’Angleterre et la France n’interviendront pas ». Et, eh troisième lieu, le fait que, quelques mois auparavant, en juillet 1937, le deuxième accord naval avait été signé. Ces trois faits m’assuraient que Hitler ne chercherait pas à donner une solution belliqueuse aux problèmes de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie. En tout cas, il était alors question des Sudètes, et il semblait pencher vers une solution pacifique.

C’est pourquoi ce discours ne me donna nullement l’impression que Hitler voulait alors transformer sa politique de paix en une politique de guerre.

Je puis supposer que M. von Neurath, ignorant le but du discours, ait pu être influencé différemment. Mais avec le recul du temps, je suis amené à penser qu’on a exagéré la portée de ce discours dans le but d’expulser M. von Neurath du cabinet, car j’ai appris que Hitler avait déjà l’intention de le remplacer par M. von Ribbentrop. Mais ce n’est qu’une hypothèse a posteriori.

Pour moi, les conclusions à tirer de ce discours ne sont autres que celles-ci. La construction de la flotte dans la proportion de 1 à 3 par rapport à l’Angleterre, devait être poursuivie, et l’on devait s’efforcer d’entretenir des relations amicales avec l’Angleterre. Il fallait également respecter la proportion fixée par l’accord récemment intervenu.

Dr SIEMERS

Et il ressort du quatrième paragraphe à la fin de ce document que le Feldmarschall von Blomberg et le General-oberst von Fritsch déclarèrent à plusieurs reprises, en commentant la situation, qu’il était nécessaire que l’Angleterre et la France ne devinssent pas nos ennemis. Ceci fait encore l’objet de commentaires ultérieurs qui montrent que von Blomberg et von Fritsch étaient inquiets, et pour une fois opposés au Führer. Après le discours, vous vous êtes entretenu avec von Blomberg. Est-il exact que celui-ci, qui ne peut malheureusement pas être interrogé, et que von Fritsch, qui est également mort, aient vu clair dans ces exagérations de Hitler et aient exprimé leurs pressentiments en essayant ainsi d’intervenir ? De quoi von Blomberg vous a-t-il entretenu à l’issue de ce discours ?

ACCUSÉ RAEDER

Blomberg et Fritsch...

LE PRÉSIDENT

Docteur Siemers, vous ne devez pas essayer de poser des questions impliquant déjà la réponse. Vous mettez dans la bouche du témoin ce que vous voulez qu’il réponde. Si vous voulez…

Dr SIEMERS

Je le regrette, Monsieur le Président. Ma tâche est un peu difficile, car ces deux personnes n’existent plus maintenant.

LE. PRÉSIDENT

S’ils sont morts, nous n’y pouvons rien. Mais si vous désirez apprendre quelque chose à ce sujet, ce doit être du témoin. Vous n’avez pas à le dire vous-même.

Dr SIEMERS (à l’accusé)

Quelle était l’impression de Blomberg après ce discours et que vous a-t-il dit par la suite ?

ACCUSÉ RAEDER

Je crois que Blomberg a déclaré lui-même, dans un questionnaire pour le Feldmarschall Keitel, que lorsque nous, militaires, avons quitté la salle, attendu qu’il était souvent avec le Führer, que, là encore, il ne fallait pas prendre la chose trop au serieux. Lui aussi pensait que le Führer réglerait ces questions d’une façon pacifique. Et comme le Dr Siemers l’a dit, Blomberg et Fritsch ont tous deux attiré l’attention du Führer sur le fait qu’en aucun cas, l’Angleterre et la France ne devaient intervenir, puisque l’Armée allemande n’était pas à même de leur faire face.

Je puis ajouter que, dans ce cas, je me suis volontairement abstenu de faire de telles objections, car, après tout, il arrivait tous les jours que lorsque je rencontrais le Führer, je lui dise : « Ceterum censeo  : nous devons conserver la même ligne de conduite si nous voulons éviter les complications avec l’Angleterre » et il répétait chaque fois que c’était là son intention.

Il est caractéristique qu’aussitôt que le Commandant en chef de l’Armée de terre, le Generaloberst von Fritsch eut déclaré après ce discours qu’il lui serait impossible de prendre en Égypte la permission qu’il avait projetée pour sa santé, au cours de l’hiver 1937-1938, le Führer soit revenu sur sa décision en disant que l’affaire n’était pas si pressée, qu’il pouvait aller prendre son repos sans inquiétude, ce qu’il fit d’ailleurs. Voilà qui montre qu’il s’agissait encore d’exercer une pression. Tel fut le discours du 5 novembre 1937. En fait, Hitler n’a à cette époque anéanti ni la Tchécoslovaquie, ni l’Autriche ; mais en 1938, la question fut résolue pacifiquement, sans effusion de sang et même avec l’accord des autres Puissances.

Dr SIEMERS

Toujours à ce propos, je puis présenter le document de l’année suivante, le Raeder n° 23, livre de documents n° 2, page 127. Le 30 septembre 1938 — il est inutile que je parle encore de Munich, car l’accusé n’y a pas directement participé — Hitler et Chamberlain firent une déclaration commune d’après laquelle l’accord signé la veille et l’accord naval anglo-allemand étaient considérés comme symbolisant le désir des deux nations de ne plus jamais se faire la guerre. Le reste du document est bien connu.

J’en viens ensuite au second document-clé produit par le Ministère Public, le numéro L-79, dit « Petit Schmundt ». C’est le numéro USA-27, n° 10 du livre de documents de la Délégation britannique, à la page 24.

Ce document, malgré sa longueur étonnante, a été lu en entier par le Ministère Public, de sorte que je n’en lirai pas d’extraits. Puis-je rappeler au Tribunal qu’il y est dit qu’on ne pourrait remporter d’autres succès sans effusion de sang et qu’il y est écrit à la date du 23 mai 1939, se rapportant à la Pologne, que l’enjeu n’était pas Dantzig, mais la conquête de l’espace vital.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous nous indiquer votre référence ? Vous dites page 24, livre de documents n° 10.

Dr SIEMERS

74.

LE PRÉSIDENT

C’était 74 ?

Dr SIEMERS

Oui. Je m’excuse. (A l’accusé.) On y parle de l’espace vital et du fait que le problème de la Pologne va de pair avec un conflit avec les Puissances occidentales. Hitler déclare que la seule façon d’en sortir est d’attaquer la Pologne à la première occasion.

Malheureusement, il s’agit encore d’un document non daté. Savez-vous quand le lieutenant-colonel Schmundt a préparé ce rapport ?

ACCUSÉ RAEDER

Non. Je ne le sais malheureusement pas.

LE PRÉSIDENT

Pourquoi dites-vous que ce document n’est pas daté ?

Dr SIEMERS

Monsieur le Président, aucune date n’est donnée sur l’élaboration de ce document. Il n’y a que la date de la conférence : 23 mai. Dans le cas du document de Hossbach, la conférence a eu lieu le 5 novembre, mais Hossbach ne l’a rédigé que cinq jours plus tard, le 10 novembre, d’après les souvenirs qu’il en avait. Mais nous ne savons pas si Schmundt l’a rédigé un jour, cinq jours ou quatre semaines après.

LE PRÉSIDENT

A-t-on prouvé que le document du 5 novembre à été rédigé cinq jours plus tard ?

Dr SIEMERS

Non. Le document du 5 novembre montre qu’il a été rédigé cinq jours plus tard. Le document porte en haut la date « Berlin, le 10 novembre 1937 : notes sur la conférence de la Chancellerie du Reich, en date du 5 novembre 1937 ».

LE PRÉSIDENT

Bien. Le fait est donc établi.

Dr SIEMERS (à l’accusé)

Témoin, dans le cas de Schmundt, il n’y a pas d’indication ?

ACCUSÉ RAEDER

Non.

Dr SIEMERS

Vous ne savez pas à quelle époque il fut rédigé ?

ACCUSÉ RAEDER

Non. Je ne l’ai jamais su.

Dr SIEMERS

Vous n’aviez jamais vu ce document avant le Procès ?

ACCUSÉ RAEDER

Non.

Dr SIEMERS

Ce document est-il une reproduction exacte, en tous points, du discours de Hitler, ou la déclaration que vous avez faite à propos du document Hossbach est-elle également valable pour celui-ci ?

ACCUSÉ RAEDER

Elle est encore plus valable. Ce document est, à mon avis, le moins clair de tous ceux qui concernent un discours de Hitler, car une grand partie des déclarations sont, comme j’ai essayé de le montrer, dénuées de tout fondement. L’aide de camp a déclaré qu’il ne faisait que rapporter l’esprit des explications.

Dr SIEMERS

Il l’a inscrit au milieu de la première page où il écrit : « Reproduit en substance ». Veuillez expliquer au Tribunal quelle fut alors l’impression que fit sur vous ce discours et dire pourquoi, malgré tout, vous pensiez que Hitler ne projetait pas une guerre d’agression ?

ACCUSÉ RAEDER

Je voudrais encore vous faire remarquer que l’exposé des charges du Ministère Public mentionne que des conversations ont eu lieu sur la portée à donner à l’exécution du plan. Et cela ne rend pas compte du véritable caractère du discours. Le sens de toute la première partie du discours est, comme je l’ai dit, extrêmement vague. Tandis que dans le discours de 1937, il indiquait 1943 à 1945 comme dates limites et signalait la possibilité d’une date antérieure sous certaines conditions improbables, Hitler parle ici d’une solution possible dans quinze à vingt ans. Il déclare que la Pologne est toujours dans le camp ennemi malgré le traité d’amitié et que son intention secrète est d’agir contre nous à la première occasion et qu’il a donc l’intention de l’attaquer dès que ce sera possible. Le problème polonais est inséparable d’un conflit avec les Puissances occidentales, mais il ne faut pas admettre que ce conflit éclate au même moment. S’il n’est pas sûr qu’au cours d’un conflit germano-polonais une guerre reste exclue avec les Puissances occidentales, il est peut-être préférable alors de se retourner contre l’Angleterre et la France. Il déclare encore que nous ne pouvons pas nous permettre d’entrer en conflit avec l’Angleterre à cause de la Pologne, dans une guerre sur deux fronts telle que celle qu’avaient déclarée les incapables de 1914. Ensuite, l’Angleterre — et ceci est relativement nouveau — est à la pointe du combat contre l’Allemagne. Nous devons préparer une guerre longue contre l’Angleterre en plus de l’attaque par surprise. Il est surprenant que nous devions nous efforcer, au début d’une telle guerre, de porter un coup décisif à l’Angleterre. Le but est de la mettre à genoux.

Suit alors une partie tout à fait nouvelle…

LE PRÉSIDEN

Docteur Siemers, l’accusé semble vouloir tirer de cette lecture un argument sur ce document. Ce n’est pas là un témoignage. Si le témoin peut nous parler de ce qui s’est produit au cours de cette réunion, il lui est loisible de le faire.

Dr SIEMERS

A l’aide de ce document, il répète les idées qu’exprima alors Hitler et souligne les contradictions contenues dans son discours.

LE PRÉSIDENT

Il n’appartient pas à un témoin qui doit se borner à déposer, d’argumenter sur les contradictions qui se manifestent dans les différents passages du document. Il nous a déjà dit que les discours successifs de Hitler se contredisaient généralement, et nous pouvons nous rendre compte par nous-mêmes, d’après le document, si une partie en est incompatible avec une autre.

Dr SIEMERS

N’est-il pas significatif, Monsieur le Président, que les déclarations confuses de Hitler aient alors influencé le témoin au point de lui faire dire que tels et tels points en sont faux ? Et que la tendance générale que nous faisons ressortir ici ne peut pas être exacte ? Si je comprends bien le témoin, Hitler a dû faire des réserves mentales dans ses remarques si contradictoires aux commandants. Mais nous pouvons peut être abréger. Monsieur le Grand-Amiral, veuillez, suivant le désir du Tribunal, n’exposer que l’effet que vous avez ressenti et déclarer quels furent, à votre avis, les dessins particuliers qui ressortent de ce document.

ACCUSÉ RAEDER

En opposant le sens de ces phrases, je voulais simplement montrer combien ce discours était embrouillé. A la fin, se trouve une seconde partie dans laquelle sont exprimées les opinions académiques et doctrinaires sur la conduite de la guerre, ainsi qu’une conclusion disant que Hitler désirait également créer au sein de l’OKW un groupe d’études destiné à examiner tout ce qui touchait à la préparation de la guerre, à évaluer les armes individuelles, etc. sans la participation des états-majors généraux dont il ne désirait pas la collaboration. Il voulait laisser ces questions à sa propre initiative. C’était donc la formation d’un groupe d’études qui motiva son discours.

LE PRÉSIDENT

Docteur Siemers, je vous ai déjà dit que le Tribunal pense que toutes ces discussions n’apportent pas de preuves. Ce ne sont là que controverses sur ce document. Si l’on nous faisait part de tout ce qui pourrait constituer des souvenirs de ce qui s’est produit au cours de cette réunion, il y aurait preuve : mais on n’apporte pas de preuve lorsqu’on ne fait que discuter sur un document.

Dr SIEMERS

Monsieur le Président, le témoin n’a-t-il pas le droit de dire quelle influence eut sur lui l’évolution des idées de Hitler ? Le Ministère Public a prétendu que Hitler et Raeder avaient participé à un complot.

LE PRÉSIDENT

Il peut nous dire qu’il ne les comprenait pas ou affirmer qu’il ne les croyait pas sincères.

Dr SIEMERS

A ce propos, je voudrais indiquer que si le témoin s’est référé à ce point, ce n’est que parce que c’est le seul passage que le Ministère Public n’a pas lu. Il n’a pas lu, je l’ai remarqué immédiatement, les passages relatifs au groupe d’études. C’est en réalité le résultat auquel Hitler voulait en venir. (A l’accusé.) Est-ce qu’à la suite de ce discours, Grand-Amiral, il y eut quelque chose de changé dans votre branche d’activité ?

ACCUSÉ RAEDER

Non. La conclusion tirée en était tout d’abord que le programme de construction navales devait être poursuivi comme par le passé et, en second lieu, que les programmes d’armement devaient être mis au point en 1943-1944. Tels étaient les faits dont j’avais à tirer moi-même les conséquences. A cette époque, en outre, je fus profondément impressionné par le discours que Hitler prononça à l’occasion du lancement du Bismarck à Hambourg. Il déclara que la Wehrmacht étant l’instrument le plus rigoureux de la guerre, devait s’efforcer de préserver la paix fondée sur une véritable justice. Ce fut, à propos des intentions de Hitler, ce qui me frappa le plus à l’époque.

Dr SIEMERS

La flotte était-elle alors capable de remplir cette fonction ?

ACCUSÉ RAEDER

Non ; elle en était alors complètement incapable.

LE PRÉSIDENT

Docteur Siemers, s’il y a dans ce document des passages qui n’ont pas été lus et auxquels vous attachiez de l’importance, vous pouvez les lire maintenant : quant au reste, le Tribunal estime que votre tâche doit se borner à demander au témoin quels sont les souvenirs qu’il conserve de cette réunion ; s’il peut compéter le document sur les événements qui se sont déroulés au cours de la réunion, il est justifié à le faire. Le Tribunal n’a pas l’intention de vous empêcher de lire des passages du document qui n’ont pas encore été lus ou d’apprendre du témoin ce qui a pu se passer à cette réunion.

Dr SIEMERS

J’avais compris que le témoin mentionnait ses souvenirs sur le groupe d’études dont le Ministère Public n’a pas parlé. Le témoin, qui connaît également le document, a signalé en même temps que le groupe d’études y était aussi mentionné. Tout me semble être très clair, et peut-être puis-je lire la phrase en question ?

LE PRÉSIDENT

Oui, certainement.

Dr SIEMERS

Sous le paragraphe 3, vers la fin du document L-79, il est dit : « Étudier les points faibles de l’ennemi. Ces études ne doivent pas être confiées aux états-majors généraux. Le secret n’en serait plus assuré. Le Führer a donc décidé d’ordonner la création, au sein de l’OKW, d’un petit état-major d’études, composé de représentants des trois armes et, si l’occasion s’en présente, des trois commandants en chef, c’est-à-dire d’État-Major général. Cet état-major tiendra le Führer constamment au courant ; il étudiera du point de vue théorique les plans d’opérations et les préparatifs qui en découlent… »

LE PRÉSIDENT

Un instant… Il manque un passage dans la traduction anglaise. On lit, dans l’exemplaire que j’ai devant moi : « Ces études ne doivent pas être confiées aux états-majors généraux : le secret n’en serait plus assuré ». Puis, il y a : « Cet état-major tiendra le Führer constamment au courant et restera en liaison avec lui ». Mais je ne crois pas que ce soit très important. Veuillez continuer.

Dr SIEMERS

Le paragraphe concernant le groupe d’études a été apparemment omis dans la traduction anglaise. Je continue : « Le but de certains règlements ne regarde personne en dehors du groupe. Quelle que soit l’ampleur de l’augmentation de l’armement de l’adversaire, il viendra bien un jour à bout de ses ressources, et les nôtres grandiront. Les Français peuvent disposer de 120.000 hommes par classe. On ne nous forcera pas à la guerre, mais nous n’y succomberons pas. »

Ce groupe d’études, en effet, élimina les commandants en chef, et c’était là le but de Hitler. Si je suis bien informé, le reste a été lu par le Ministère Public. Il est question du dessin ultérieur et du principe bien connu de tout tenir secret, et enfin le fait, bien connu du témoin, que le programme de constructions navales ne devait pas être modifié et resterait fixé à 1943-1944. (A l’accusé) Si à cette époque Hitler projetait une guerre d’agression, aurait-il dû accélérer l’armement d’une branche quelconque de la Marine ?

ACCUSÉ RAEDER

Naturellement, il aurait dû accélérer toutes les constructions navales.

Dr SIEMERS

Est-ce qu’on n’aurait pas dû hâter surtout la construction des sous-marins ?

ACCUSÉ RAEDER

Bien sûr et à plus forte raison, car leur construction demandait moins de temps.

Dr SIEMERS

Combien aviez-vous de sous-marins à cette époque ?

ACCUSÉ RAEDER

Je ne puis pas le dire exactement. Vingt-six, je crois.

Dr SIEMERS

Si je me souviens bien, le Grand-Amiral Dönitz a déjà répondu qu’il y en avait quinze qui étaient à même de naviguer dans l’Atlantique, et qu’il y en avait vingt-six en tout.

ACCUSÉ RAEDER

Oui.

Dr SIEMERS

Monsieur le Grand-Amiral, au cours de l’hiver 1938-1939, avez-vous eu un entretien avec Sir Nevile Henderson au sujet des relations anglo-allemandes ?

ACCUSÉ RAEDER

Oui, une brève conversation lors d’une réception chez le Führer ; je me suis trouvé avec l’ambassadeur Henderson et, pendant un instant, avec M. von Neurath, et nous avons discuté la question — soulevée par moi — de savoir pourquoi l’Angleterre n’avait pas accepté la proposition allemande de fixer le rapport de forces à 1 et 3, et ne tirerait pas certaines conclusions de ces relations réciproques. Henderson a répondu, sans que quelqu’un d’autre ait abordé ce sujet : « Oui, on étudiera cette question à l’avenir, quand le problème colonial aura été résolu ».

J’ai, plus tard, rapporté cette réponse au Führer afin de m’en servir pour maintenir une politique amicale à l’égard de l’Angleterre.

Dr SIEMERS

Nous sommes maintenant à l’été 1939. Grand-Amiral, avez-vous, au cours de l’été, après le discours du 23 mai 1939, conféré avec Hitler au sujet du danger général de guerre, et que vous a-t-il dit ?

ACCUSÉ RAEDER

Chaque fois que je parlais au Führer, j’abordais toujours la question del’Angleterre, ce qui l’ennuyait quelque peu. Je désirais le persuader de la possibilité de pratiquer à l’égard de l’Angleterre la politique de paix qu’il avait lui-même préconisée au début de son régime. Il me rassurait toujours en me disant que c’était là son intention, me laissant croire qu’il n’y avait pas de danger de conflit avec l’Angleterre, tout au moins à ce moment-là.

Dr SIEMERS

J’en viens maintenant au troisième document-clé : c’est le discours prononcé par Hitler devant les commandants en chef, le 2 août 1939, à l’Obersalzberg. Il y a deux documents : PS-1014 et PS-798 ; le premier est USA-30 et se trouve dans le livre de documents Raeder-10 (a) à la page 269 ; le second est USA-29 et se trouve dans le même livre à la page 266.

A propos du document PS-1014 dont je possède ici l’original tel que le Ministère Public l’a produit, je désirerais présenter une requête de pure forme. Ce document figure au procès-verbal de l’audience de l’après-midi du 26 novembre 1945 (Tome II, page 293). Je proteste contre l’utilisation de ce document. Je demande que ce document soit rayé du procès-verbal pour la raison suivante…

LE PRÉSIDENT

De quel document parlez-vous maintenant ? De PS-1014 ?

Dr SIEMERS

PS-1014, livre de documents Raeder-10 (a), à la page 269 (USA-30).

LE PRÉSIDENT

Très bien ; quelles sont vos raisons ?

Dr SIEMERS

Les lacunes qui ont déjà été signalées dans les autres documents ont encore plus d’importance ici. Ce document n’est rien d’autre que deux morceaux de papier portant l’en-tête : « Deuxième discours du Führer, du 22 août 1939 ». L’original n’a pas d’en-tête, pas de numéro de dossier, pas de numéro d’ordre, pas de mention « secret », pas de signature, pas de date, pas de…

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal aimerait voir l’original, Docteur Siemers.

Dr SIEMERS

Il n’y a pas de date, pas de signature, ni aucune indication de l’origine du document. Il est intitulé : « Second discours…, bien que l’on soit certain que Hitler n’ait fait à cette date qu’un seul discours. Il a à peine une page et demi…

LE PRÉSIDENT

Lorsque vous dites qu’il n’y a pas de date, il y a un passage du document lui-même qui précise pourtant qu’il s’agit du second discours prononcé par le Führer, le 22 août 1939.

Dr SIEMERS

J’ai dit qu’il y avait une en-tête, mais pas de date.

LE PRÉSIDENT

Mais vous dites qu’il n’y a pas de date.

Dr SIEMERS

Il n’y a pas la date à laquelle ces notes furent rédigées. Il y a seulement la date supposée du discours.

Messieurs, sur tous les documents que le Ministère Public a produits, même sur les procès-verbaux, vous trouverez la date de la réunion et la date de la rédaction du procès-verbal ; vous trouverez aussi l’endroit où ce procès-verbal a été rédigé, le nom de la personne qu l’a rédigé, une mention « secret » ou autre. De plus, il est certain que Hitler a parlé pendant deux heures et demie. Je crois qu’il est également admis que Hitler parlait très vite. Il est impossible qu’un procès-verbal ne comporte qu’une page et demie s’il doit rendre approximativement la signification et le contenu d’un discours de deux heures et demie. Je soumettrai ultérieurement l’original du document PS-798. Je ne suis pas un expert en écriture ni en machines à écrire, mais il est visible que ce document, qui ne porte pas non plus de signature et dont nous ne connaissons pas l’origine, est écrit sur le même papier avec la même machine à écrire.

LE PRÉSIDENT

Vous dites que vous ne savez pas d’où ce document émane. C’est un document saisi, auquel est joint un affidavit, comme pour tous les autres documents saisis.

Dr SIEMERS

Oui, mais je serais reconnaissant au Ministère Public, pour un document aussi important, d’avoir l’amabilité de rétablir les faits historiques en indiquant plus exactement l’origine. Parce qu’il n’est signé ni par Schmundt, ni par Hossbach, ni par quelqu’un d’autre, ne porte pas de numéro et ne se compose que de quelques feuilles volantes.

LE PRÉSIDENT

Je ne sais pas si le Ministère Public peut le faire, mais il me semble qu’il est un peu tard pour présenter cette requête.

M. THOMAS J. DODD (Avocat Général américain)

Monsieur le Président, je ne puis, pour l’instant, donner les origines exactes de ce document, mais je pense que nous pourrons fournir tous renseignements au Tribunal s’il le désire. Mais comme Monsieur le Président a bien voulu nous le faire remarquer, il s’agit d’un document saisi, et tout ce que la Défense déclare à ce sujet semble bien porter sur sa force probante plutôt que sur son admissibilité.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal aimerait, si possible, savoir où a été trouvé ce document.

M. DODD

Je m’efforcerai de le savoir.

Dr SIEMERS

Monsieur le Président, M. Dodd a dit tout à l’heure que je m’y prenais bien tard pour élever mon objection. Je crois, si mes souvenirs sont exacts, que des objections ont été présentées à plusieurs reprises.

LE PRÉSIDENT

Je crois que c’est moi qui ai fait cette remarque, et non pas M. Dodd.

Dr SIEMERS

Je vous demande pardon… Je crois qu’à plusieurs reprises la Défense a élevé des objections au moment de l’exposé du Ministère Public ; on a alors décidé que nous pourrions faire toutes nos déclarations ultérieurement, c’est-à-dire quand nous aurions à notre tour la parole.

LE PRÉSIDENT

Docteur Siemers, je voulais simplement dire qu’il ne sera peut-être pas possible maintenant de vérifier exactement l’origine du document, alors que si cette question avait été soulevée plus tôt, les recherches n’en auraient été que facilitées. Voilà mon avis. Avez-vous une autre raison à donner pour que l’on raye le contenu de ce document du procès-verbal ?

Dr SIEMERS

Oui, je voudrais indiquer, Monsieur le Président, que ma requête n’a pas tellement été formulée pour des raisons de forme, mais plutôt pour des raisons de fond. Les mots décisifs contenus dans ce document ont été répétés à longueur à longueur de journée pendant cinq ou six mois par le Ministère Public.

« Destruction de la Pologne, objectif principal. But : élimination des forces vitales et non pas chercher à atteindre une certaine ligne ». Ces mots n’ont pas été prononcés et les commandant en chef allemands n’auraient pas accepté de se lancer dans une telle guerre. C’est pour cela qu’il importe de déterminer si ce document est authentique. Puis-je, à ce propos, rappeler au Tribunal qu’une troisième version de ce discours a été mentionnée au cours de ce Procès (document L-3). Elle est beaucoup plus accablante encore que les deux précédentes et a été publiée dans la presse du monde entier. Chaque fois que l’on entend parler de ce discours, on le qualifie de grotesque et de brutal. Je crois donc que, dans l’intérêt de la vérité historique, il faut s’assurer si Hitler s’exprima alors en termes si brutaux. En fait, j’avoue qu’il a employé des termes frappants, mais pas ceux-ci. Et c’est la réputation de tous les commandants en chef présents qui est en jeu. Laissez-moi citer les derniers mots :

« Fermez vos coeurs à la pitié, adoptez une attitude brutale ». De telles paroles n’ont jamais prononcées. Et je me verrai obligé de le prouver par l’audition d’un autre témoin, l’amiral Böhm. Je prie donc le Tribunal de se prononcer sur ma requête à l’effet de faire disparaître ce document du procès-verbal. Je voudrais encore ajouter que ce document est mentionné à maintes reprises dans ce procès-verbal. Si le Tribunal le désire, je rechercherai tous ces passages ; je n’en ai trouvé que quatre ou cinq dans le procès-verbal allemand. Si c’est nécessaire, j’indiquerai tous ceux du procès-verbal anglais. Ce document a été présenté le 26 novembre 1945, à l’audience de l’après-midi. (Tome II, page 293.)

LE PRÉSIDENT

Je ne crois pas que vous ayez à vous donner cette peine. La question en ce moment est seulement de savoir si ce document doit être écartée du procès-verbal. S’il doit l’être, nous saurons bien découvrir les passages où il se trouve. C’est là tout ce que vous désirez ?

Dr SIEMERS

J’ai encore une question à poser au Grand-Amiral Raeder. (A l’accusé.) Les paroles que je viens de citer : « Adoptez une attitude brutale ; éliminez les forces vitales… » ont-elles été prononcées par Hitler dans son discours ?

ACCUSÉ RAEDER

A mon avis, non. Je crois que la version présentée par l’amiral Böhm, d’après les notes qu’il a rédigées au cours de l’après-midi du même jour, est celle qui est la plus proche de la vérité.

Dr SIEMERS

Monsieur le Président, afin d’éclaircir définitivement cette question, je présente le document Raeder n° 27, livre de documents n° 2, à la page 144 ; c’est une reproduction régulière de ce discours.

ACCUSÉ RAEDER

Voulez-vous me donner également le livre de documents n° 2, Docteur Siemers ?

Dr SIEMERS

C’est le texte du discours, conforme au manuscrit de l’amiral Hermann Böhm. Celui-ci était présent lors du discours de Hitler, le 22 août 1939, à l’Obersalzberg et il a pris des notes. Il les a transcrites sous leur forme actuelle le même soir du 22 août 1939, à l’hôtel Vier Jahreszeiten, à Munich. J’ai authentifié la copie de l’original, qui est écrit de la main même de l’amiral Böhm. J’ai cité ce dernier à plusieurs reprises à d’autres occasions. Il confirmera que le discours a été prononcé tel que je l’ai présenté ici. La comparaison des deux documents établit que les paroles telles que « l’attitude brutale » ne sont contenues dans ce discours. Elle établit en outre que…

SIR DAVID MAXWELL-FYFE (Procureur Général adjoint britannique)

L’argument du Dr Siemers porte certainement sur la force probante. Il a déclaré que la comparaison des deux documents faisait ressortir tel ou tel point. Je viens de lire la fin de l’affidavit de l’amiral Böhm, qui contient, je le soutiens, l’essentiel de toutes les idées exprimées dans le document PS-1014. Mais que ce soit vrai ou non, c’est une question de force probante. Nous ne pouvons, à mon humble avis, entrer dans des comparaisons intrinsèques pour nous prononcer sur l’admissibilité du document. On aurait fort à faire en comparant les documents en détail. C’est une question que nous n’avons pas à débattre.

LE PRÉSIDENT

Oui. Le Tribunal voulait simplement savoir ce que le Dr Siemers avait à dire sur cette question.

Dr SIEMERS

Une comparaison du document avec le PS-798 qui constitue la version la plus longue et la meilleure…

LE PRÉSIDENT

Docteur Siemers, comme vient de le dire Sir David, une simple comparaison des deux ou trois documents ne nous aide en rien pour nous prononcer sur leur admissibilité. Nous savons de quoi il retourne. C’est un document allemand, saisi parmi tant d’autres.

Dr SIEMERS

Je comprends. Je ne faisais cette déclaration que pour montrer que je ne proteste pas pour des raisons de forme, mais parce que la question est d’importance. Pour prouver…

LE PRÉSIDENT

Il vous sera possible, au cours de votre plaidoirie, de critiquer ce document quant à sa force probante. Vous pourrez alors signaler qu’il ne soutient pas la comparaison avec un document plus détaillé rédigé par l’amiral Böhm, ou avec d’autres documents.

Dr SIEMERS

Parfaitement. Pour expliquer ma requête de pure forme, je me réfère à ma déclaration sur le caractère formel du document que j’ai présenté.

LE PRÉSIDENT

Oui, très bien. La requête tendant à la suppression du procès-verbal du document PS-1014 est rejetée.

(L’audience est suspendue.)
LE PRÉSIDENT

Le Ministère Public a-t-il compris que le Tribunal désirerait avoir des renseignements sur l’origine du document ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui, Monsieur le Président, nous allons faire notre possible pour en obtenir.

LE PRÉSIDENT

Et pour le document PS-798 également.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui, Monsieur le Président.

Dr SIEMERS

Monsieur le Grand-Amiral, je vous ai présenté le document Raeder-27, qui est la version de Böhm, et vous l’avez lu. Est-ce que dans l’ensemble, et d’après vos souvenirs, cette reproduction est correcte ?

ACCUSÉ RAEDER

Oui. A mon avis, cette version est celle qui est la plus proche de la réalité. Je me rappelle tout particulièrement que Hitler a consacré une grande partie de ses explications au fait que la France et l’Angleterre n’interviendraient pas et a donné les raisons de cette attitude. Il en donna beaucoup et je n’ai pas vu ce passage précis dans les autres reproductions du discours.

Dr SIEMERS

Dans la version du document PS-798 (USA-29), il est dit textuellement : « Je crains seulement qu’au dernier moment il y ait un cochon qui me propose quelque plan d’arbitrage ». A-t-il employé ces mots ?

ACCUSÉ RAEDER

D’après mes souvenirs, certainement par. Le Führer n’avait pas l’habitude d’employer de pareilles expressions dans les discours qu’il faisait aux généraux.

Dr SIEMERS

D’autre part, cette version montre que Hitler avait alors décidé d’attaquer la Pologne. Je vous demande de nous décrire brièvement quelle impression fit alors sur vous le discours. Dites-moi aussi pourquoi, malgré cela, malgré ce discours qui, même dans cette version, est agressif, vous avez gardé votre poste de Commandant en chef de la Marine.

ACCUSÉ RAEDER

J’avais sans aucun doute l’impression que la situation était sérieuse et extrêmement tendue. Le fait cependant que Hitler insista dans son discours sur le fait que la France et l’Angleterre n’interviendraient pas, le fait aussi que le ministère des Affaires étrangères, Ribbentrop, quitta Moscou le même jour où, nous dit-on, il venait de signer un traité, tout cela me donnait, ainsi qu’aux autres auditeurs, le ferme espoir que, là encore, il y avait eu une démarche intelligente de la part de Hitler et qu’il finirait par tout arranger de façon pacifique. Je ne voyais donc, à cette époque, aucune raison de démissionner. J’aurais considéré cela comme une pure désertion.

Dr SIEMERS

Messieurs, je voudrais à ce propos présenter, en raison de leur correspondance chronologique, les deux documents : Raeder-28 et 29,et je vous prie de bien vouloir en prendre acte, sans que je m’y attarde davantage. (A l’accusé.) Le Ministère Public a présenté le document C-155 et vous a accusé…

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Des documents dont vient de parler le Dr Siemers, les numéros 28 et 29, le premier est un mémorandum du général Gamelin, et le second une lettre du général Weygand au général Gamelin, du 9 septembre 1939. Vous vous souviendrez que le Ministère Public a déclaré que ces documents n’étaient pas pertinents et le Ministère Public maintient cette objection. Je ne veux pas interrompre l’interrogatoire du Dr Siemers plus qu’il n’est nécessaire. S’il ne fait que demander au Tribunal de prendre acte de ces documents, et n’a pas l’intention de les utiliser, il serait peut-être à propos — pour ne pas interrompre l’interrogatoire — que je ne fasse qu’indiquer que nous maintenons nos objections contre ces documents. Naturellement, je suis à la disposition du Tribunal.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal a-t-il autorisé leur traduction et leur insertion dans le livre de documents, et limité là leur utilisation ultérieure ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Aucune disposition ultérieure n’a été prise à leur encontre, et c’est pourquoi la voie reste libre aux objections, si j’ai bien compris la situation.

LE PRÉSIDENT

Nous pourrions peut-être nous en occuper maintenant.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Nous pourrions peut-être nous en occuper maintenant.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Comme il plaira au Tribunal.

Dr SIEMERS

Si je puis dire quelque chose à ce sujet…

LE PRÉSIDENT

Nous allons nous occuper d’abord de l’objection et nous vous entendrons après.

Dr SIEMERS

Comme vous le voudrez, Monsieur le Président. C’est une simple question de formalité. Je crois que Sir David a fait une légère erreur à propos du document Raeder n° 28. Le Ministère Public ne s’est nullement opposé à la présentation de ce document, mais à celle du document 29.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Mon adversaire a parfaitement raison : nous ne nous sommes pas opposés à la traduction du n° 28 mais ce document est rangé dans la même objection dans la même catégorie que la numéro 29, et je maintiens une objection. Je m’excuse auprès du Tribunal si j’ai donné l’impression d’avoir auparavant formulé une objection. Le numéro 28 est une lettre du général Gamelin à M. Daladier, datée du 1er septembre 1939, dans laquelle le général Gamelin donne son point de vue sur le problème de la neutralité de la Belgique et du Luxembourg, point de vue qui contredit celui du Gouvernement français. J’estime que cette opinion du général Gamelin est en elle-même trop éloignée des questions soulevées au cours de ce Procès, pour avoir une valeur probatoire quelconque. Indépendamment du contenu de ce document, il se trouve que celui-ci est extrait du Livre Blanc du ministère des Affaires étrangères allemand et provient des archives secrètes de l’État-Major général français, dont les Allemands n’ont pu s’emparer avant le mois de juin 1940. Donc, et c’est là ma deuxième raison, il ne peut se rapporter à une opinion formulée par l’accusé Raeder au mois de septembre 1939.

Le deuxième document, Monsieur le Président, est, comme je l’ai dit au Tribunal, une lettre adressée par le général Weygand, qui était à ce moment-là Commandant en chef des troupes françaises du Levant, au général Gamelin. Il contient un plan du général Weygand, sur des opérations militaires éventuelles en Grèce. Ces opérations n’ont pas eu lieu avant le mois de juin 1940, époque à laquelle un armistice a été signé par le maréchal Pétain, non pas pour toute la France, mais au nom d’une certaine partie du peuple français. Ce document ne peut se rapporter à octobre 1940, époque à laquelle la Grèce fut envahie par les Italiens, ni à la situation à la fin de 1940 et au début de 1941, où l’invasion de la Grèce commença à être prise en considération dans les directives et dans les ordres d’opération allemands qui ont été présentés au Tribunal.

C’est le premier point. Le second argument est que ce document n’a pas pu être saisi avant juin 1940, et ne peut être déterminant de l’état d’esprit de cet accusé aux mois d’août et septembre 1939.

Pour des raisons de commodité, Monsieur le Président, je viens de faire une liste des documents contre lesquels nous soulèverons des objections. Il y en a un ou deux autres que mes collègues français et soviétiques m’ont demandé de présenter, et je m’en occuperai au moment opportun.

J’aimerais rappeler au Tribunal que les documents sont classés en quatre groupes d’intérêt géographique qui s’opposent aux autres classifications que le Tribunal a prises en considération. Le premier groupe est constitué par les documents concernant les Pays-Bas. Le deuxième, qui est intitulé : Groupe G, sur la liste que je viens de présenter au Tribunal, concerne la Norvège. Le troisième a trait à la Grèce, et le document Raeder-29 en est un exemple. Le quatrième groupe, appelé groupe D sur la liste, se rapporte aux propositions et aux suggestions qui furent faites par différentes personnalités militaires à propos des champs pétrolifères du Caucase ou des opérations dans la région du Danube.

La même objection que j’ai formulée contre les documents Raeder-28 et 29 s’appliquera en général à ces groupes et j’ai cru devoir attirer l’attention du Tribunal sur le fait qu’ils sont irrecevables déjà du fait de leur appartenance à un groupe déterminé.

Monsieur le Président, le Tribunal a fait connaître sa décision lors de l’audience du matin du 2 mai 1946. Et vous avez dit à ce moment-là, Monsieur le Président : « La question de leur recevabilité sera tranchée dès qu’ils seront traduits. »

M. DUBOST (Procureur Général français adjoint)

Messieurs, je demande au Tribunal l’autorisation de m’associer publiquement aux déclarations que Sir David vient de faire et de proposer quelques exemples qui montreront clairement le crédit qui doit être accordé aux documents du Livre Blanc. La Défense demande que le Tribunal tienne compte d’un document publié dans le Livre Blanc allemand n° 5 sous numéro 8. Ce document rapporte la déclaration d’un prisonnier français qui aurait soi-disant déclaré avoir été en Belgique depuis le 15 avril ; mais le Livre Blanc allemand ne donne ni le nom de ce prisonnier, ni aucune indication permettant d’identifier son unité. Nous n’avons aucun des renseignements nécessaires pour juger si une telle déclaration est pertinente. Nous nous trouvons donc devant un document qui n’est pas authentique et ne possède aucune valeur probatoire.

De même, la Défense demande qu’un numéro 102 du même livre de documents soit retenu par le Tribunal. Je prie le Tribunal de m’autoriser à faire quelques observations pour montrer l’esprit tendancieux dans lequel ces documents ont été rassemblés par les autorités allemandes dans le Livre Blanc.

J’indique tout d’abord que ce numéro 102 n’est pas cité in extenso . La Délégation française s’est reportée au texte du Livre Blanc allemand. Nous l’avons lu attentivement. Ce document n’est qu’un ordre préparatoire d’opérations défensives organisées par les autorités belges à la frontière franco-belge et face à la France. Nous n’avons consulté les autorités militaires belges. Cet ordre a été une manifestation de la volonté du Gouvernement belge de défendre la neutralité de la Belgique sur toutes ses frontières. Il est donc contraire à la vérité de vouloir prouver par ce document l’existence de contacts d’états-majors entre Bruxelles, Paris et Londres, contacts qui auraient été en contradiction avec la politique de neutralité préconisée alors.

Le commentaire donné par le ministère des Affaires étrangères allemand dans l’introduction du Livre Blanc allemand, page 11 du texte français, a surpris la bonne foi des avocats et n’a certainement pas induit en erreur l’amiral Raeder qui est un militaire. En effet, c’est au prix d’un mensonge que le commentateur officiel affirme d’abord que l’expression « la ligne générale Tournai-Antoing, le canal de Mons à Condé, Saint-Ghislain, Binche, est partie en territoire belge, partie en territoire français ». Il suffit de se reporter à une carte pour constater que toutes ces localités sont toutes en territoire belge et toutes distantes de la frontière française de plusieurs dizaines de kilomètres. Cette ligne est, par endroits, à soixante kilomètres de la frontière française.

Que le Tribunal me pardonne cette intervention. Il m’a paru utile de l’éclairer par un exemple probant sur la valeur des preuves apportées par le Livre Blanc allemand.

LE PRÉSIDENT

Docteur Siemers, le Tribunal pense que le moyen le plus pratique serait d’entendre maintenant vos arguments sur ces documents, non seulement sur les documents 28 et 29, mais sur les autres documents, non seulement énumérés sur la liste de Sir David Maxwell-Fyfe. Le Tribunal en délibérera à la fin de l’audience et rendra sa décision demain matin.

Dr SIEMERS

Monsieur le Président, je vous serais reconnaissant de me permettre de procéder d’une manière quelque peu différente. J’aimerais attirer votre attention sur le fait qu’un débat très long s’est déjà déroulé sur des documents à la suite duquel le Tribunal a pris une décision. Je pense que le commentaire de tous les documents nous ferait actuellement perdre beaucoup de temps, d’autant plus que la cohérence des documents apparaîtra d’elle-même au cours de mon exposé. Je pense que si je traite maintenant de la liste présentée par Sir David, je devrai établir tous les faits qui seront apportés au cours des témoignages ultérieurs. Je pensais que la décision du Tribunal de présenter d’abord les documents dans le livre de documents avait pour but de gagner du temps et que les objections auraient pu être élevées une à une au fur et à mesure de la présentation des documents.

LE PRÉSIDENT

Je sais. Mais il y a beaucoup de documents. Si l’on accepte votre proposition, il faudra entendre une argumentation à propos de chaque document de la liste de Sir David. Il y en a trente ou quarante, je crois.

Dr SIEMERS

Sir David a déjà dit qu’il se basait sur des groupes géographiques différents. C’est pourquoi on n’élevera pas d’objections contre un document particulier mais contre chaque groupe de documents et chaque groupe de questions. Par exemple, dans le cas de la Norvège, on pourra faire des objections contre tous les documents norvégiens, et dans le cas de la Grèce, contre tous les documents grecs. Ce procédé serait le plus commode, parce que, de toute façon, je m’occuperai de la Norvège et de la Grèce, tandis qu’en commençant maintenant, je serais amené à répéter deux fois les mêmes choses. Mais, bien entendu, je me conformerai à la décision du Tribunal. Je crains simplement que l’on perde énormément de temps avec cette façon de procéder.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Monsieur le Président, je voudrais seulement dire un mot sur la procédure. Je pensais que le Dr Siemers et moi-même avions déjà fait perdre assez de temps au Tribunal en discutant sur ce sujet, car les arguments concernant la pertinence des documents doivent naturellement être les mêmes. Que ces documents soient, de toute évidence, non pertinents et n’aient pas, de ce fait, à être traduits, ou qu’ils soient admissibles, mes arguments resteront de toute façon les mêmes. Et je n’ai pas l’intention de répéter au Tribunal les explications que je lui ai déjà données. Le Dr Siemers s’est étendu pendant une heure et demie sur ce sujet que nous avions déjà traité au préalable et j’espérais qu’ayant déclaré, comme je l’ai fait, que je maintenais ce que j’avais précédemment dit au Tribunal, le Dr Siemers pourrait abréger les choses et dire qu’il se fiait aux arguments si complets fournis au Tribunal. C’est pourquoi je crois qu’il serait préférable de s’occuper de ce sujet maintenant en évitant de livrer ce problème à nos considérations ultérieures.

LE PRÉSIDENT

Docteur Siemers, le Tribunal pense que vous devez aborder ces questions maintenant et il espère que vous le ferez brièvement, puisque vos arguments à ce sujet ont déjà été présentés. Il pense que vous devez y procéder maintenant, sans discuter sur chaque document qui se présente. Le Tribunal possède déjà ces documents, mais il reconsidérera l’affaire et prendra une décision.

COLONEL POKROVSKY (Procureur Général adjoint soviétique)

Monsieur le Président, puisque le Tribunal a décidé de laisser le Dr Siemers discuter sur la question posée par Sir David et différents autres Procureurs, je me vois obligé de mentionner encore trois documents à la présentation desquels s’oppose notre Ministère Public. Le Ministère Public soviétique désirerait s’opposer à la présentation de cinq documents, dont deux (documents Raeder-70 et 88) ont déjà été à la disposition du Tribunal. Il me reste uniquement à mentionner les trois autres, de sorte que le Dr Siemers pourra y répondre plus facilement. Ce sont les documents Raeder-13, 72 et 83.

Le numéro 13 est la copie d’un rapport du capitaine Lohmann. La pensée qui y est exprimée ne peut être que celle d’un parfait nazi. On y trouve l’idée insensée que la révolution mondiale est le but de la propagande de l’Armée rouge et que cette dernière cherche partout à la provoquer. Je considère qu’il ne serait pas raisonnable que le Tribunal admette des documents où sont contenues des idées si fantaisistes et si dénuées de tout sens politique.

Ma deuxième objection concerne le document Raeder-27. C’est le compte rendu que Böhm a fait de sa propre initiative du discours de Hitler à l’Obersalzberg. Le Tribunal a déjà rejeté la demande du Dr Siemers d’admettre deux documents traitant des mêmes questions et souligné qu’il ne désirait pas comparer l’authenticité de documents différents se rapportant au même sujet.

Je trouve que, puisque le Tribunal a déjà à sa disposition, parmi les documents admis, deux procès-verbaux du discours de Hitler, il n’est pas nécessaire d’y joindre le troisième procès-verbal, puisqu’il contient des remarques honteuses, diffamatoires et calomnieuses sur l’Armée rouge et les dirigeants de l’URSS. Ni elle, ni eux, ni nous-mêmes, représentants de l’État soviétique, n’admettrions que de telles remarques soient versées au dossier.

Le troisième document est le Raeder n° 83. C’est un extrait du Livre Blanc allemand. Puisque l’autenticité de celui-ci a déjà été contestée par M. Dubost, je considère qu’on ne peut pas s’y fier, surtout en ce qui concerne le document en question. Il y a plusieurs remarques blessantes pour l’URSS, qui n’ont absolument aucun fondement politique, et concernant les rapports de l’URSS avec la Finlande. Donc, pour ces motifs politiques, je demanderai au Tribunal d’exclure ce document 83 de la liste qui lui a été présentée par le Dr Siemers. De plus, il est absolument évident que ce document n’est pas pertinent. Voilà ce que j’avais à dire.

Dr SIEMERS

A mon grand regret, je constate que nous ne sommes pas plus avancés dans notre discussion sur les documents. Car nous parlons de documents qui n’ont pas été mentionnés au cours du débat primitif sur la question qui a eu lieu le 1er mai. J’avais cependant pensé que je pouvais me baser au moins sur ce principe que les documents qui n’avaient pas été discutés pouvaient être considérés comme autorisés. Mais je constate maintenant qu’ils font l’objet de discussions. Il est extrêmement difficile…

LE PRÉSIDENT

Docteur Siemers, le Tribunal estime que vous faites erreur, car il est évident qu’un document qui n’a pas été traduit ne peut être admis ni par le Ministère Public, ni par le Tribunal, et le fait que le Ministère Public ne s’y oppose pas à un certain moment ne l’empêche pas de le faire ultérieurement, après traduction.

Dr SIEMERS

Il y a des documents à propos desquels on m’a dit que le Ministère Public n’avait pas élevé d’objections, et je croyais que c’était définitif. De même…

LE PRÉSIDENT

Je croyais que vous m’aviez compris. Voilà ce que j’ai dit : le Ministère Public, en ne s’opposant pas à la présentation d’un document avant sa traduction, ne s’engage nullement à ne pas s’y opposer après sa traduction. Vous avez bien compris ?

Dr SIEMERS

Je prendrai donc ces documents dans l’ordre. Je commence d’abord par les documents que le colonel Pokrovsky…

LE PRÉSIDENT

Non, Docteur Siemers, le Tribunal ne va pas s’occuper de ces documents un par un. Si vous pouvez vous en occuper par groupes, faites-le. Sir David a déjà fait la même chose. Je ne vous dis pas d’adopter la même classification, mais le Tribunal ne veut pas entendre discuter ces documents un à un.

Dr SIEMERS

Pardonnez-moi, c’est un malentendu. Je voulais commencer par ces documents, auxquels le colonel Pokrovsky a fait objection parce qu’il y a certaines obscurités. Je ne me suis pas rendu compte que le colonel Pokrovsky a parlé de groupes de documents ; je croyais qu’il avait parlé de cinq documents séparés et je croyais pouvoir traiter ces documents un par un, quoique je n’eusse pas tout à fait compris. Cependant, je veux bien commencer, s’il le faut, par le premier groupe dont a parlé Sir David. Dois-je d’abord…

LE PRÉSIDENT

Lorsque vous dites que vous allez traiter les documents un par un, vous vouliez dire tous les documents les uns après les autres ? Je ne vous propose pas…

Dr SIEMERS

Non, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Vous pouvez parler d’abord de ceux du colonel Pokrovsky, si vous le désirez.

Dr SIEMERS

Le colonel Pokrovsky s’oppose tout d’abord au document Raeder n° 13, daté de 1935. Le colonel Pokrovsky peut fort bien présenter des objections contre le contenu de ce document, mais je ne comprends pas très bien comment on peut affirmer qu’un document n’est pas pertinent du seul fait qu’une certaine phrase est prétendument tendancieuse. Je crois que je pourrais trouver, dans les documents que l’on a présentés au cours des six derniers mois, des phrases à caractère de propagande. Je n’arrive pas à imaginer que ce soit là une objection, et j’aimerais rappeler au Tribunal que, tout au début du Procès, lorsque nous parlions de l’Autriche, il a refusé une objection présentée par la Défense à propos d’une certaine lettre. La raison de cette objection était que son auteur aurait pu être cité comme témoin. Là-dessus, le Tribunal décida avec raison que cette lettre pouvait constituer un moyen de preuve. La question litigieuse portait sur la force probante. Le Tribunal a accepté le document. J’aimerais dire à ce propos que le compte rendu d’une conférence faite dans une université constitue aussi un document. La conférence portait sur l’accord naval, et je crois que…

LE PRÉSIDENT

Docteur Siemers, en avez-vous fini avec le document n° 13 ? Vous dites que le document est pertinent dans sa presque totalité, bien qu’une phrase puisse en être qualifiée de tendancieuse, et qu’il ne faut pas le rejeter. C’est là ce que vous voulez dire ?

Dr SIEMERS

Non, je dis que c’est un document qui est lié aux preuves et que la Délégation soviétique ne peut pas me le refuser puisqu’il s’agit d’une conférence faite en 1935. Je ne comprends pas du tout que le colonel Pokrovsky ait parlé de propagande à propos de ce document.

LE PRÉSIDENT

Je ne comprends pas du tout ce que vous voulez dire. Je pensais avoir formulé votre point de vue. Je croyais que vous aviez établi que le document était pertinent en lui-même et ne pouvait être rejeté pour une phrase soi-disant tendancieuse. Voilà votre argumentation : faites-la valoir en une ou deux phrases et le Tribunal examinera la question. Je ne vois pas pourquoi le Tribunal perdrait son temps à discuter sur quelque chose d’autre.

Dr SIEMERS

Le colonel Pokrovsky, si j’ai bien compris l’interprète, s’est opposé à un deuxième document, le document Raeder-27. C’est le discours de Hitler à l’Obersalzberg, le 22 août 1932. J’ai essayé de comprendre...

LE PRÉSIDENT

39, il doit s’agir de 1939. (Remarque de l’interprète

Monsieur le Président, il a dit 1932, mais pensait, je crois, 1939.)

Dr SIEMERS

C’est le document Raeder n° 27. Il m’est très difficile d’exprimer mon opinion sur ce point, car je n’ai pas compris les objections du colonel Pokrovsky. Il s’agit...

LE PRÉSIDENT

L’objection était la suivante : il n’était pas nécessaire d’avoir un troisième compte rendu du discours. Il y en a eu deux auxquels vous vous êtes opposé, et il a dit qu’on n’en avait pas besoin d’un troisième.

Dr SIEMERS

Je crois pouvoir faire remarquer alors que la Délégation soviétique n’est pas d’accord avec la Délégation américaine sur le compte rendu de ce discours. Car le représentant de la Délégation américaine a déclaré qu’il désirait déposer tout compte rendu meilleur que quiconque serait susceptible de découvrir. Je souscris donc entièrement au point de vue de la Délégation américaine, et je crois d’ailleurs qu’il n’est pas nécessaire de dire quoi que ce soit sur la pertinence d’un discours qui a été prononcé peu avant la déclaration de guerre.

Le document Raeder-83 est le troisième auquel s’est opposé le colonel Pokrovsky. C’est le compte rendu de la sixième session du Conseil suprême du 28 mars 1940 où fut voté un ordre du jour portant la mention « Très secret ». Dans ce document, le Conseil suprême, c’est-à-dire les dirigeants alliés, décida que les Gouvernements français et britannique adresseraient le lundi 1er avril une note aux Gouvernements norvégien et suédois. Dans le contenu de cette note, se trouve une référence à la question des intérêts vitaux ; on y dit que l’attitude éventuelle des neutres serait considérée par les Alliés comme contraire à leurs intérêts vitaux, ce qui provoqua à leur encontre une réaction adéquate. Sous le chiffre 1 (c) du document, on lit :

« Toute tentative de l’Union Soviétique visant à obtenir de la Norvège une base sur la côte atlantique serait contraire aux intérêts vitaux des Alliés et provoquerait de leur part une réaction adéquate. »

LE PRÉSIDENT

Vous n’avez pas besoin de lire le document ; vous pouvez nous dire quel en est le sens. Il semble contenir une objection à une attaque ultérieure contre la Finlande, qui serait considérée par les Alliés comme contraire à leurs intérêts vitaux. C’est tout.

Dr SIEMERS

Monsieur le Président, c’est justement cette expression « intérêts vitaux » qui est décisive. Je ne veux pas, ainsi que semble toujours le croire le Ministère Public, faire d’objection et avoir toujours recours à l’argument du « Tu quoque  ». Je veux simplement montrer quelle était alors la situation du point de vue du Droit international et établir qu’à l’époque où l’amiral Raeder tournait ses regards vers la Norvège, la Grèce, etc., les Alliés avaient les mêmes préoccupations et basaient leurs conceptions sur la même notion du Droit international qui, soutenu par Kellog, était que l’instinct de conservation existait toujours. Je puis établir ce que j’avance à l’aide de ce document.

LE PRÉSIDENT

Sir David vous a objecté que le document n’a pas pu tomber entre les mains des autorités allemandes avant la défaite de la France.

Dr SIEMERS

J’en arrive à la classification indiquée par Sir David. Sir David a fait certaines déclarations fondamentales. A propos des documents Raeder-28 et 29, il a spécifié que l’un contenait les pensées du général Gamelin et l’autre celles du général Weygand et que ces pensées étaient alors inconnues des Allemands puisque ces documents n’étaient pas encore entre nos mains. La dernière affirmation est exacte. L’idée et le plan d’occuper la Grèce, de détruire les puits de pétrole de Roumanie étaient cependant connus des Allemands, et ceci par leur service de renseignements. Le Ministère Public n’a pas présenté les dossiers du Haut Commandement allemand, qui contiennent certains rapports. Puisque je ne possède pas ces documents, je crois qu’il serait juste qu’on me laissât la possibilité d’établir les faits réels, bien connus en Allemagne, et de les prouver. Je n’ai pas d’autres preuves. Que le Ministère Public trouve agréable de me priver des documents dont j’ai besoin pour ma défense, je le comprends ; mais le Ministère Public doit également comprendre que je considère qu’il est important que restent à ma disposition les documents qui établissent certains plans d’une façon définitive. On a reproché au Grand-Amiral Raeder d’avoir mené une guerre d’agression criminelle, en formulant des plans pour l’occupation de la Grèce. Le document Raeder-29 prouve que le général Weygand et le général Gamelin, le 9 septembre 1939, projetaient eux-mêmes l’occupation de Salonique, territoire neutre. S’il en est ainsi, je n’arrive pas à comprendre comment on peut tendre vers Raeder un doigt accusateur pour s’être occupé de ces plans un an et demi plus tard. Je crois donc que l’on devrait m’autoriser à produire des documents identiques, car ce n’est que par eux que l’on pourra comprendre les préparatifs militaires ainsi que leur portée, de même que leur aspect blâmable ou criminel. On ne peut comprendre les intentions stratégiques de l’accusé que si l’on sait à peu près quelles étaient les conceptions stratégiques qui avaient cours alors chez l’adversaire. Le raisonnement stratégique de l’amiral Raeder n’était pas fait à la légère mais dépendait des renseignements reçus sur les plans stratégiques de l’adversaire. Il y a là une activité réciproque qu’il faut comprendre pour nous mettre d’accord. C’est pourquoi, en considération de ce sujet si important, je prie le Tribunal de bien vouloir m’autoriser à produire ce document. Car, comme je vous l’ai déjà dit, je ne sais pas du tout comment je pourrais défendre ma cause en face des lourdes charges qui concernent la Norvège et la Grèce si l’on rejette mes documents. J’espère que l’on m’a bien compris : je n’affirme pas que nous connaissions ces documents. Mais le Gouvernement allemand en connaissait le contenu et je crois que cela suffit.

Nous voici de nouveau, Messieurs, au document Raeder-66 du groupe A. Il contient l’opinion du Dr Mosler, technicien du Droit international, sur l’affaire de Norvège. Puisque nous parlons toujours de gagner du temps, le rejet de cet article m’obligerait à reprendre l’argumentation point par point et je crois qu’il serait plus facile, à la fois pour le Tribunal, pour le Ministère Public et pour moi, que je présente à ce sujet des arguments juridiques d’ordre général.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Monsieur le Président, c’est un document qui contient une argumentation juridique. Si le Tribunal estime qu’il serait utile de faire valoir des arguments sous forme de documents, je retire volontairement mon objection. Mais il s’agit ici de quelque chose de tout à fait différent de ce que nous avons vu dans le document précédent. Et autant que je le puis, je voudrais vous apporter mon aide. Je profite de ce que je suis encore devant le microphone pour mentionner, comme je l’ai déjà fait, que deux autres documents rentrent dans la même catégorie. Le document Raeder-34 rentre dans le groupe B et le document 48 dans le groupe E. Monsieur le Président, j’ai déjà parlé du document 28.

Dr SIEMERS

Je ne discute plus le document 66. Je l’ai fait en réalité pour clarifier la situation. Les autres documents de ce groupe sont les documents 101 à 107. On ne peut pas dire que ce soit un groupe homogène. Un des documents concerne la Norvège, un autre la Belgique et un troisième le Danube. L’unité de ce groupe m’échappe. Au fond, ces documents ont un point commun : ils font ressortir, comme je l’ai déjà dit, qu’il existait un plan dans l’Etat-Major allié, comme en Allemagne, et que tous ces plans étaient basés sur ce critère de Droit international de la légitime défense des intérêts vitaux. Pour être bref, je voudrais surtout me référer au document Raeder-66 et, pour économiser du temps, je demande que les citations de ce document soient considérées comme le fondement de ce que j’ai à dire sur la légitime défense. Je me réfère aux citations des pages 3 et 4 du texte résumant l’opinion de cet expert.

La situation juridique y est clairement expliquée. Il est établi que, dans la question de l’occupation de la Norvège, nous ne nous occupions pas de savoir si les Alliés y avaient réellement débarqué, mais de savoir simplement si un tel plan avait existé. Nous ne nous occupions pas de la question de savoir si la Norvège y consentait ou non. Le danger d’un changement dans l’attitude d’un neutre confère le droit de prendre une mesure de compensation ou d’attaquer de son propre gré. Et ce critère fondamental a été maintenu dans tout le contenu de ce document auquel je me référerai dans ma plaidoirie.

Dans le groupe 101 à 107, je voudrais surtout insister sur le 107. A l’inverse des autres documents, il n’a aucun rapport avec le Livre Blanc. C’est un affidavit de Schreiber, qui fut attaché naval à Oslo à partir d’octobre 1939. Au début, j’avais dit qu’il me fallait citer ce témoin. Entre temps, j’ai renoncé à lui car, malgré des semaines de recherches, on n’a pas pu le trouver. J’en ai parlé à Sir David et au colonel Phillimore. On m’a dit qu’il n’y aurait aucune difficulté si Schreiber réapparaissait de lui-même soudainement.

Si, comme le Ministère Public le désire, on me retire ce moyen de preuve, à savoir l’affidavit de Schreiber sur les rapports que le Grand-Amiral Raeder recevait d’Oslo et, en outre, les documents établissant l’authenticité de ces rapports, je n’ai plus aucune preuve à faire valoir. D’ailleurs, Schreiber était à Oslo pendant l’occupation et il a, dans son affidavit, donné des commentaires sur la conduite de la Marine et sur les efforts du Grand-Amiral Raeder en face de la regrettable administration de Terboven. C’est pourquoi je prie le Tribunal de bien vouloir m’autoriser à produire cet affldavit ou bien à entendre Schreiber lui-même comme témoin. Évidemment, ce dernier procédé prendrait plus de temps. J’ai limité le nombre de mes témoins à un tel point qu’il me semble qu’étant donné la période de quinze ans que nous envisageons pour le cas Raeder, cet affidavit pourrait m’être accordé.

Quant au groupe B, je voudrais me référer à mes explications précédentes. Autant que je puis en juger, ce groupe semble être tout à fait hétérogène, mais je crois que tous ces documents font partie du Livre Blanc. Les remarques que j’ai déjà faites au Tribunal s’appliquent ici aussi.

LE PRÉSIDENT

Je crois que Sir David a reconnu qu’il y avait une certaine disparité entre ces groupes, mais il a indiqué leur correspondance géographique : un pour les Pays-Bas, un pour la Norvège, un groupe pour la Grèce et un pour le Caucase et le Danube qui se confond avec le groupe E. Voilà ce qu’il a dit. Ne pouvez-vous pas tenir compte de cette classification géographique ?

Dr SIEMERS

Très bien. J’ai déjà parlé de la Norvège et, à ce propos, je me réfère aux explications déjà données. J’ai parlé brièvement de la Grèce. Je voudrais dire qu’une double accusation a été portée : l’une, que des bateaux neutres, des bateaux grecs, ont été coulés ; l’autre, que la Grèce a été occupée à la suite de l’établissement d’un projet de guerre d’agression dirigée contre elle. J’ai déjà dit quelque chose au sujet de la seconde. Je voudrais dire, à propos des navires marchands grecs, que l’activité et l’attitude du témoin me paraissent justifiées en ce qu’il recevait des rapports analogues à ceux qui furent trouvés en France un mois plus tard. Raeder recevait les mêmes rapports lorsqu’il exprimait son point de vue à Hitler. Je voudrais prouver que ces rapports, qui lui parvenaient par le canal du service de renseignements, n’étaient pas inventés, mais qu’ils correspondaient à des faits précis.

Il en est de même des régions pétrolifères. Il existait un plan de destruction des puits de pétrole roumains, et même de ceux du Caucase. Ces deux plans avaient pour but de nuire à l’adversaire : à l’Allemagne seule dans le cas de la Roumanie, à l’Allemagne et à la Russie dans le cas du Caucase, car à l’époque la Russie entretenait des relations amicales avec l’Allemagne. Comme le montrent les documents, ces plans se trouvent sous la même forme que tous les autres documents présentés par le Ministère Public. Ces documents sont, eux aussi, « secrets », « très secrets », « personnels » et « confidentiels ». Le Ministère Public a toujours demandé pourquoi tous ces plans étaient secrets et confidentiels, estimant peut-être que leur contenu était équivoque. Ces documents contiennent des données d’intérêt stratégique, tout comme les documents présentés par le Ministère Public. C’est là quelque chose qui provient du fait même de la guerre, qui ne donne lieu à aucun reproche de ma part, et que le Ministère Public ne saurait reprocher à l’amiral Raeder.

Suit le groupe de documents Ribbentrop. Je ne puis que repéter ce que j’ai déjà dit. En les regardant superficiellement, je vois qu’ils ne sont pas aussi complets qu’ici. En conséquence, je crois qu’il est important de prendre les documents et d’étudier tout leur contenu du point de vue de Raeder plutôt que de celui de Ribbentrop. La chose a peut-être déjà été faite, comme le Tribunal le laissait entendre l’autre jour. Je pense cependant que le Ministère Public ne peut objecter qu’ils ont été, dans le cas de Ribbentrop, partiellement admis et partiellement refusés. Car certains documents accordés à Ribbentrop m’ont été refusés.

Nous passons ensuite au groupe E, et c’est la question du « Tu quoque  ». Je crois que j’en ai déjà assez dit sur ce sujet. Mais j’y reviens et je ne comprends pas pourquoi le Ministère Public n’est pas d’accord avec moi là-dessus. Je ne veux pas faire de reproche. Je ne dis pas : « Tu quoque  ». Je dis simplement qu’il existe des plans stratégiques dans toutes les armées du monde et qu’il y a des critères de Droit international qui sont valables pour les Alliés aussi bien que pour nous, et je vous prie de m’autoriser à faire des comparaisons de politique étrangère.

Je crois avoir traité toute la question, dans la mesure où il m’est possible de définir mon point de vue sur cinquante documents en un si court laps de temps. Je prie le Tribunal de ne pas rendre ma tâche plus difficile en refusant de m’accorder ces documents.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal va étudier soigneusement le cas de ces documents et va prendre vos arguments en considération. L’audience est levée.

(L’audience sera reprise le 17 mai 1946 à 10 heures.)