CENT TRENTE-DEUXIÈME JOURNÉE.
Vendredi 17 mai 1946.
Audience du matin.
Le Tribunal a examiné longuement et avec soin les documents déposés par le Dr Siemers au nom de l’accusé Raeder. Nous n’avons pas l’intention de faire lire en audience les documents autorisés, puisque, de toute façon nous les avons déjà lus.
J’énumérerai maintenant les documents un par un.
Le document 66 pourra être utilisé comme argument, mais ne constituera pas une preuve. Le document 101 est rejeté. Les documents 102 à 105 sont admis. Le document 106 est rejeté. Le document 107 est admis. Le document 39 est rejeté. Le document 63 est admis. Le document 64 est rejeté. Le document 99 est rejeté. Le document 100 est admis. Les documents 102 à 107 sont admis. Le document 38 est rejeté. Le document 50 est rejeté. Le document 55 est rejeté. Le document 58 est rejeté. Les documents 29, 56, 57, 60 et 62 sont rejetés.
J’aurais dû inclure également dans ce groupe le document 28 qui, lui aussi, est rejeté. Les documents 31, 32, 36, 37 et 39 sont rejetés. Le document 41 est admis. Le document 99 a déjà été refusé, ainsi que le document 101. Le document 59 est admis. Le document 68 est rejeté. Le document 70 est rejeté. Le document 72 est rejeté. Le document 74 est rejeté. Le document 75 est admis. Le document 77 est admis. Le document 79 est admis. Le document 80 est admis. Le document 84 est admis. Le document 85 qui figure à la page 82 du volume 5, est admis. Le document 87 est rejeté. Le document 88 est admis. Le document 91 est admis. Le document 13 est admis. Le document 27 est admis. Le Ministère Public peut, s’il le désire, demander à interroger contradictoirement le témoin qui a établi ce document.
C’est l’amiral Böhm.
L’amiral Böhm, oui. Le document 83 est admis. Le document 34 est admis. Le document 48 est rejeté.
Ne suis-je pas allé trop vite, Docteur Siemers ? Avez-vous les derniers numéros ?
Oui, j’ai tout entendu.
Monsieur le Président, le Tribunal nous a demandé hier de fournir si possible l’origine du document PS-1014. Le Dr Siemers a exprimé le même désir. C’est le document US-30. J’ai fait faire des recherches et nous avons quelques renseignements que nous aimerions produire. Je tiens à faire remarquer que les documents PS-1014, PS-798 et L-3, sont des documents concernant tous ce même discours prononcé à l’Obersalzberg, le 22 août 1939. Ils ont été déposés par M. Aldermann, membre du Ministère Public américain, le 26 novembre 1945. Je mentionnerai également que le document L-3, cité hier par le Dr Siemers, a été déposé uniquement dans un but d’identification, comme le prouve le procès-verbal de ce jour-là, 26 novembre 1945. Il a reçu, le numéro USA-28 uniquement pour l’identification. M. Alderman a précisé à l’époque, comme le montre le procès-verbal, que ce document n’a pas été déposé comme preuve, mais qu’il nous parvint grâce à la bonne volonté d’un journaliste et que par la suite, les documents PS-798 et PS-1014 ont été trouvés parmi des documents saisis. Ils concernaient tous ce même discours prononcé à l’Obersalzberg. C’est alors que M. Alderman les a déposés.
Ces documents PS-798 (USA-29) et PS-1014 (USA-30), ont été découverts par les Forces armées américaines. Voici comment : ils ont été retirés des bâtiments de l’OKW à Berlin, et au cours des différents voyages et transferts qui ont précédé leur classement définitif, ils ont été sous le contrôle du général Winter, pris en charge par la Wehrmacht, puis transportés dans trois trains à Saalfelden, dans le Tyrol autrichien. Plus tard, le général Winter ordonna que tous les documents qu’il avait en garde fussent remis aux Forces alliées, ce qui fut fait. Ces documents particuliers furent remis avec d’autres papiers par le général Winter et des membres de son état-major. Le 21 mai 1945, ils furent emmenés de Saalfelden où ils étaient entreposés sous le contrôle du général Winter, et remis à la section de documentation de la 3e armée américaine à Munich, où ils furent classés par le Department G-2 « Suprême Headquarters of thé American Expeditionary Force » avec l’aide de fonctionnaires de l’OKW et de l’OKH. Le 16 juin 1945, ces documents, ainsi que d’autres, furent emportés dans six camions du Quartier Général de la 3e armée à Munich, et transférés au « US Group Control Council Number 32 », à Seckenheim en Allemagne, lequel était installé dans les locaux de l’I.G. Farben. Ces documents étaient placés dans les casiers au troisième étage du bâtiment, sous bonne garde. La tâche de rassembler, de trier, de cataloguer ces documents fut exécutée entre le 16 juin et le 30 août 1945 sous le contrôle du colonel britannique Austin, aidé du personnel du suprême A. G., du G-2 Document Center, de la G-2 Operational Intelligence Section, de la 6889 Berlin Document Section et de la British Enemy Document Unit, ainsi que de la British Military Intelligence Research Section.
Du 5 juillet 1945 au 30 août 1945, ces documents ont été examinés par des membres du Ministère Public américain. Le lieutenant Margolies, membre de notre service, actuellement dans cette enceinte, enleva lui-même ces documents PS-798 et PS-1014 des dossiers où ils se trouvaient parmi les archives de l’OKW saisies, les transféra à Nuremberg et les déposa au centre de documentation, où ils sont, depuis lors, sous bonne garde.
Telle est l’histoire de ces deux documents qui ont hier fait l’objet des questions du Dr Siemers, qui y attachait de l’importance et semble avoir émis des doutes sur leur authenticité. Je crois que le rapport que j’ai fourni sous la forme d’une déclaration signée du lieutenant de vaisseau Hopper, lève tout doute sur l’origine de ces documents et sur leur sort. Je crois en toute loyauté devoir le dire, car le Dr Siemers estima nécessaire de faire allusion à ces dures paroles attribuées à Hitler ; ces documents ont été déposés pour montrer que ces gens parlaient effectivement de guerre d’agression. La lecture des trois documents montrera clairement au Tribunal que, dans l’essentiel, ils concordent. Il y a naturellement quelques différences dans l’expression, mais la raison importante de leur production au Tribunal est de prouver que ces gens ont parlé de guerre d’agression. Je dois dire que je ne suis pas étonné de voir mon contradicteur sensible à cette remarque, mais je crois que la preuve laissée sans réponse, montre, au point où en sont les choses, que tout ceci a été non seulement exprimé, mais exécuté.
Messieurs, sans doute s’agit-il d’une erreur de traduction. Nous avons cru comprendre que le document 106 avait été écarté une première fois et admis ensuite dans le groupe des documents 102 à 107.
Je crains que ce ne soit une erreur de ma part. J’ai dit que le groupe de documents 102 à 107 était admis, mais j’ai dit également que le 106 avait été refusé, et il a été rejeté. C’est donc moi le seul fautif. Le numéro 106 est rejeté.
Le 106 a été rejeté. Mais les documents de 102 à 107 le sont-ils aussi ?
Non... Je vais vous donner les chiffres exacts : 102, 103, 104, 105 et 107 sont admis.
Très bien, Monsieur le Président. Nous nous réservons d’apporter au cours des débats des explications complémentaires sur les documents 102 à 107.
Oui.
Monsieur le Président, puis-je faire une remarque se rapportant aux déclarations de M. Dodd. Je n’avais aucun doute et à plus forte raison, je n’en ai actuellement aucun sur le sort qu’ont subi les documents depuis leur saisie. Je sais que l’on a agi avec une absolue correction et M. Dodd n’a parlé que de cela. Je crois que l’important est de savoir s’il est possible d’établir à la suite de quelles circonstances ces documents se trouvaient mêlés à d’autres papiers, car on en pourrait déduire s’ils appartenaient à tel ou tel aide de camp. Ont-ils été, par exemple, trouvés avec les papiers Hossbach ou avec les dossiers Schmundt ? Dans ce dernier cas, est-il possible qu’ils aient appartenu à cet aide de camp ?
Tout cela, Docteur Siemers, porte sur la valeur probante du document, n’est-ce pas ? Il n’y a pas de doute qu’un document signé a plus de poids qu’un document anonyme. Tout cela sera pris en considération par le Tribunal lorsqu’il examinera le document. Mais l’admissibilité dépend du fait qu’il s’agit d’un document allemand saisi ou trouvé par les Forces alliées.
Monsieur le Président, je n’ai pris la parole à ce sujet que parce qu’il m’est désagréable de penser que la Délégation américaine pourrait mal interpréter ma requête concernant ce document. Je ne m’élève pas contre la façon dont il a été saisi, mais je dis simplement qu’on ne sait pas avec quels documents il se trouvait, et j’ai été frappé de ce qu’aujourd’hui, M. Dodd a traité de façon absolument identique la question de l’origine des trois documents sur lesquels porte le litige, alors que le 26 novembre 1945, M. Alderman a déclaré que l’un des trois semblait être contestable, du fait de son origine douteuse : il s’agit du document L-3 et c’est pourquoi il l’a retiré.
Je puis maintenant, s’il plaît au Tribunal, poursuivre l’interrogatoire de l’accusé Raeder ? (A l’accusé.) Monsieur le Grand-Amiral, nous avons encore, pour terminer, quelques questions à vous poser, concernant le complot. Je crois que cela ira vite. Je vous prie de regarder le document C-155, il s’agit du GB-214, livre de documents 10, page 24 ; livre de documents de la Délégation britannique, page 24. C’est votre note du 11 juin 1940, qui fut envoyée à soixante-quatorze services de la Marine, et que le Ministère Public a qualifiée de pièce justificative. L’Accusation en déduira que, dès l’été 1939, vous saviez qu’une guerre était imminente. Je vous prie de répondre brièvement à ce reproche.
Il existe les preuves les plus diverses établissant que je ne comptais d’aucune façon sur Une guerre en automne et, en raison du médiocre réarmement de la Marine allemande, c’était bien naturel. J’ai clairement exprimé à Swinemünde, dans une allocution aux officiers de sous-marins, qu’il n’y avait pas à compter là-dessus.
Et ce fut la raison pour laquelle vous avez rédigé le document C-155 ?
La raison en était la suivante : il y avait eu un certain nombre de ratés dans l’emploi des torpilles ; c’était imputable au fait qu’elles n’étaient pas encore aussi perfectionnées qu’elles auraient dû l’être au début d’une guerre. En outre, les officiers, du fait que la guerre avait éclaté si brusquement, étaient fréquemment d’avis qu’il était plus opportun de donner d’abord à l’arme sous-marine le plus grand développement possible, afin d’avoir, en cas de guerre, le plus grand nombre possible de bâtiments. Je me suis élevé contre cette conception, en donnant précisément comme motif qu’il ne fallait pas s’attendre à une telle guerre. Et à la page 6, paragraphe 8, je répète, à la deuxième ligne, que le Führer a, jusqu’au dernier moment, espéré que la menace d’une « explication » avec l’Angleterre pourrait être différée jusqu’en 1944 ou 1945. Je parle d’un conflit menaçant. C’est-à-dire de quelque chose que l’on ne recherche pas précisément, mais que l’on craint plutôt.
Il y a un autre document-clé c’est le PS-789 (USA-23), le très long discours prononcé par Hitler, le 23 novembre 1939, devant les commandants en chef.
Monsieur le Président, ce document se trouve dans le livre de documents n° 10, page 261. C’est encore un discours de Hitler et on ignore qui en a rédigé le procès-verbal. La signature et la date manquent. Du fait qu’il est identique aux deux autres documents, il est inutile de poser des questions à ce sujet. (A l’accusé.) J’aimerais simplement savoir, Grand-Amiral, si ce discours reflète une idée bien déterminée, une arrière-pensée précise de Hitler ?
Oui. Il régnait, à cette époque, un conflit assez aigu entre Hitler et le Commandant en chef de l’Armée de terre ainsi qu’une nette divergence de vues avec les généraux, chefs d’armées, au sujet de l’offensive à l’Ouest, et le Führer les réunit afin de leur faire connaître son point de vue. Il exposa — j’étais moi-même présent — que jusqu’alors, en prenant ses décisions, il avait toujours eu raison, et que sa conception de prendre l’offensive à l’Ouest, autant que faire se pourrait, même à l’automne, lui donnerait encore raison. Il termina en s’exprimant d’une façon très brutale, mentionnée dans le troisième avant-dernier paragraphe. Il y est dit : « Je ne reculerai devant rien et je supprimerai quiconque sera contre moi ». Ceci s’adressait aux généraux. L’offensive à l’Ouest ne put cependant avoir lieu qu’au printemps, parce que les conditions atmosphériques l’interdirent plus tôt.
Nous avons déjà entendu ces détails lors de l’administration des preuves. Je crois que nous pouvons nous en passer. Vient ensuite le dernier document C-126, que vous avez également sous les yeux, GB-45, et qui se trouve dans le livre de documents 10 (a), page 92. En ce qui concerne les préparatifs de guerre contre la Pologne, l’Accusation a produit ce document du 22 juin 1939 de l’OKW, signé de Keitel, parce qu’à ce document fut annexé un tableau chronologique pour le « Cas Blanc », c’est-à-dire pour le cas de la Pologne. Ce document, ou ces instructions, contiennent-elles, selon vous, une précise et visible intention d’agression ?
En aucune façon. Il y avait à prévoir, en tout cas, des problèmes dont l’exécution s’échelonnait sur de longues périodes, comme par exemple la question de savoir si nos navires-écoles, qui avaient l’habitude, en été, d’entreprendre des croisières, devaient prendre le large ou attendre. Cette décision ne devait être prise qu’au début du mois d’août. En liaison avec cet ordre, j’ai adressé à chacune des préfectures maritimes l’ordre du 2 août, qui fait partie de ce document, les instruisant des dispositions à prendre en vue de l’intervention des sous-marins de l’Atlantique pour l’exécution du « Cas Blanc ». Je lis les premières lignes, puisque ce sont les termes mêmes, qui importent :
« On trouvera ci-joint une instruction relative aux dispositions à prendre, au cas où l’exécution du « Cas Blanc » serait maintenue, en vu d’une intervention prudente des sous-marins destinés à être envoyés dans l’Atlantique.
Le chef de l’arme sous-marine enverra ses ordres à l’Etat-Major naval jusqu’au 12 août. La décision concernant le départ des sous-marins pour l’Atlantique interviendra probablement avant la mi-août. Au cas où ces opérations ne devraient pas avoir lieu, cette instruction devra être détruite au plus tard le 1er octobre 1939.
Il n’était donc nullement décidé que de telles opérations auraient lieu ; c’était au contraire une sage mesure de précaution qui, en tout cas, devait être prise en vue du « Cas Blanc ».
Monsieur le Grand-Amiral, vous avez déclaré que Hitler vous a toujours répété, surtout lorsque vous lui parliez en tête-à-tête, qu’il n’y aurait pas de guerre ?
Oui.
Particulièrement avec l’Angleterre ?
Oui.
Cependant, le 3 septembre 1939, la guerre avec l’Angleterre fut déclarée. En avez-vous alors parlé à Hitler, et dans ce cas, à quelle occasion ?
Je me suis trouvé, le 3 septembre au matin, entre 10 et 11 heures, je crois, je ne puis plus indiquer l’heure exacte, à la Chancellerie du Reich, où j’avais été convoqué. L’Etat-Major naval m’avait déjà informé que l’ultimatum de la France et de l’Angleterre nous était parvenu. Arrivé dans le cabinet de travail du Führer, j’y ai trouvé déjà réunies un certain nombre de personnes. Je me souviens simplement que l’adjoint du Führer, Hess, était présent, mais je ne puis plus dire qui, en outre, était là. J’ai été frappé du fait que Hitler s’est montré extraordinairement embarrassé à mon égard, en me disant que, contrairement à tous ses espoirs, désormais la guerre avec l’Angleterre était imminente et que l’ultimatum était arrivé. Ce fut une expression de gêne, comme jamais auparavant je ne lui en avais vu.
J’en viens maintenant au reproche de l’Accusation suivant lequel, Monsieur le Grand-Amiral, vous auriez approuvé le national-socialisme de la façon la plus large. Puis-je demander au Tribunal de se reporter au document D-481. C’est le GB-215 du livre de documents 10 (a), page 101. Il concerne la prestation de serment des fonctionnaires publics et des militaires.
L’Accusation, s’appuyant sur ce document, a exposé, Monsieur le Grand-Amiral, que vous avez solennellement prêté serment, le 2 août 1934, à Adolf Hitler, et non plus à la patrie. Le 15 janvier 1946, il a été dit textuellement : « Le Tribunal, constatera que Raeder dans son serment a remplacé « patrie » par « Führer ». Je ne le comprends pas et je vous prierais de me dire s’il est exact que vous ayez, d’une façon quelconque, été pour quelque chose dans cette substitution dans le texte du serment, du mot Hitler au mot patrie.
Non, ce reproche m’est totalement incompréhensible. Toute cette affaire n’a jamais confiné à la cérémonie et je me demande comment quiconque l’a observée peut le prétendre. Le Commandant en chef von Blomberg et les trois chefs de la Wehrmacht ont été, dans la matinée du 2 août, convoqués chez Hitler. Nous étions dans son cabinet de travail, Hitler nous fit approcher de son bureau et, sans la moindre cérémonie, ni solennité, nous prétâmes le serment, serment qu’il nous lut, en sa qualité de Chef de l’Etat et de Commandant suprême de la Wehrmacht. Ce serment nous le répétâmes. Nul d’entre nous n’avait participé à sa rédaction, et cela ne nous avait été nullement demandé. C’eût été d’ailleurs absolument inhabituel. Le serment allait à la personne de Hitler ; jamais auparavant il n’avait été prêté à la patrie. Au contraire, j’ai prêté serment, une fois à l’Empereur et Chef suprême des Armées, une autre fois à la République de Weimar, et le troisième serment à la personne du Chef de l’Etat et Commandant suprême de la Wehrmacht, Hitler. Dans ces trois cas, j’ai prêté serment à mon peuple et à ma patrie, ce qui est tout à fait normal.
Monsieur le Grand-Amiral, lorsqu’on vous convoqua à cette réunion du 2 août, saviez-vous, auparavant, de quoi il s’agissait ?
Je suppose que par le truchement de la chancellerie, il aura été communiqué à mes aides de camp que je devais m’y rendre en vue de la prestation de serment, mais je ne puis plus le dire avec certitude ; je le suppose.
C’était le lendemain de la mort de Hindenburg ?
Oui.
Le lendemain de la mort de Hindenburg ?
Oui.
Le texte du serment vous était-il connu auparavant ?
Non, mais il était inscrit sur une feuille, et je suppose qu’on nous en a donné connaissance auparavant, dans le bureau du Führer.
Puis-je préciser ici, Monsieur le Président, que le texte du serment est contenu dans le document précité, et qu’il constitue, d’ailleurs une loi du Reich. (A l’accusé.) L’Accusation affirme que le 30 janvier 1937, vous êtes devenu membre du Parti, par cela même que l’Insigne d’Or du Parti vous avait été décerné. Voulez-vous vous expliquer sur ce point qui a déjà été mentionné, très brièvement, je vous prie ?
Lors de la remise de l’Insigne d’Or, le Führer souligna qu’il s’agissait de la plus haute distinction honorifique qu’il pût alors décerner. Je ne pouvais absolument pas devenir membre du Parti, car il était manifeste que les militaires ne pouvaient l’être. C’est pour cette raison qu’une telle affirmation n’est pas concevable.
La Constitution interdisait aux militaires de devenir membres du Parti ?
Oui, elle le leur interdisait. J’ajouterai, pour éviter tout malentendu, que, aussi bien d’après la Constitution de Weimar que selon les instructions de Hitler, la qualité de membre du Parti leur était interdite.
Etiez-vous opposé au Parti, en raison de vos opinions chrétiennes fortement caractérisées et de votre attitude envers l’Eglise ? Comment, en quelques mots, cela s’est-il manifesté ? Avez-vous eu des difficultés avec le Parti à cet égard ?
En général, je n’ai pas eu de graves difficultés avec le Parti et j’attribue cela à l’énorme prestige dont jouissait la Marine, aussi bien en Allemagne que dans le Parti même. Si quelques frictions se produisaient parmi les inférieurs, je les faisais toujours aplanir par les supérieurs, au besoin par les préfets maritimes et les chefs d’escadres, qui agissaient alors. S’il en surgissait de plus graves, elles m’étaient soumises et j’en faisais mon affaire. Enfin, s’il s’agissait de questions d’ordre primordial, je les transmettais à l’OKW. Comme je ne laissais jamais passer quoi que ce fût qui émanât du Parti, toutes les relations ont vite favorablement évolué et je pus, dans la suite, éviter tout froissement à la troupe, de sorte que de tels cas ne se reproduisirent pas. Nous étions dans la Marine, favorisés sous ce rapport, parce que nous n’avions pas à nous préoccuper de questions territoriales et que nos regards étaient constamment dirigés vers la mer et les ports, où seule la Marine régnait.
Des difficultés, j’en ai eu, certes, et d’essentielles de la part de Heydrich, en personne, après l’avoir exclu de la Marine en 1929, lorsqu’un jury d’honneur l’eut condamné pour avoir agi malhonnêtement envers une jeune fille. Il m’en a toujours voulu et a tenté, à différentes reprises, de me nuire auprès des chefs du Parti, ou de Bormann, et même auprès de Hitler ; mais j’ai toujours réussi à réfuter ses accusations, de sorte qu’elles n’eurent aucune influence sur mes rapports en général.
Cette attitude de Heydrich influa, en quelque sorte, également sur celle de Himmler, et là encore, je me voyais obligé de lui adresser de temps à autre un avertissement énergique, ce qui avait, dans la plupart des cas, un effet salutaire.
Je ne voudrais pas m’étendre davantage en citant d’autres cas, en particulier ceux qui concernaient, par exemple, le service de la Sûreté, mais je n’ai pas subi véritablement d’attaques directes en raison de mon attitude à l’égard de l’Eglise. Il n’y a guère eu que le mot de Goebbels que j’ai appris par mon co-accusé Hans Fritzsche : j’aurais été le « drap rouge » du Parti, justement en raison de mon attitude à l’égard de l’Eglise. On ne me l’a cependant fait sentir d’aucune façon.
Je crois que l’éducation religieuse à laquelle vous attachiez tant d’importance pour la Marine n’a pas besoin d’être longuement exposée ici, car je produirai un affidavit sans le lire du doyen des aumôniers de la Marine, Ronnberger, que vous connaissez depuis des années, dans lequel cette question est traitée d’une façon suffisamment claire et précise. Je voudrais seulement vous poser encore une question : vis-à-vis de Hitler, n’avez-vous pas, à plusieurs reprises, insisté pour qu’une éducation religieuse fût reconnue indispensable, aussi bien pour les militaires que pour les marins ?
Oui, à différentes reprises, ce fut le cas. Et dans la Marine, j’ai maintenu cette attitude sans aucune hésitation jusqu’à la fin.
A ce propos, Monsieur le Président, je me permets de produire le document Raeder n° 121, dans mon livre de documents Raeder n° 6, page 523. Je ne désire pas abuser du temps dont dispose le Tribunal pour des questions sur les différends, concernant la religion, le Parti et la Marine. Je crois qu’il est suffisamment prouvé par ces documents que toute liaison entre l’Eglise et le national-socialisme était finalement impossible et, dans ce domaine, Bormann est le représentant de cette conception. De l’exposé que j’ai apporté, je lirai le premier paragraphe. Je cite :
« Des conceptions nationales-socialistes et des conceptions chrétiennes sont incompatibles. Les Eglises chrétiennes bâtissent sur l’ignorance humaine et s’efforcent de maintenir cette ignorance dans le plus grand nombre possible de classes de la population, car de cette façon seule, les Eglises chrétiennes peuvent conserver leur puissance. Le national-socialisme, par contre, repose sur des bases scientifiques. »
Et au deuxième paragraphe, la dernière phrase : « Si donc, à l’avenir, notre jeunesse n’entend plus parler de ce christianisme, dont la doctrine est bien inférieure à la nôtre, il disparaîtra de lui-même. »
Et à la deuxième page, à la fin : « De même que l’influence nuisible des astrologues, diseurs de bonne aventure et autres charlatans, est écartée et réprimée par l’Etat, toute influence possible de l’Eglise doit être éliminée sans pitié. Ce n’est que lorsqu’on y sera parvenu que la conduite de l’Etat exercera son influence complète sur les citoyens. Alors seulement, le peuple et le Reich seront assurés de leur existence pour tout l’avenir ».
La mentalité de l’accusé, en matière religieuse, étant suffisamment établie, tout cela démontre, je crois, quel contraste existait entre le Parti et l’accusé. (A l’accusé.) Au sujet du complot, le Ministère Public vous a, en outre, reproché d’avoir appartenu au Conseil secret de cabinet et au Conseil de défense du Reich. Veuillez vous exprimer très brièvement à ce sujet, ces questions ayant été déjà tellement traitées, je suppose que personne ne désire plus en entendre parler. Etiez-vous membre du Gouvernement ?
Non.
D’après le document PS-2098, qui devient GB-206, livre de documents 10, page 39, décret du Führer du 25 février 1938, le Commandant en chef de l’Armée de terre et vous-même aviez rang de ministre du Reich ? L’Accusation prétend que, de ce fait, vous étiez membre du cabinet, que vous étiez autorisé à participer aux réunions et que vous l’avez fait. Est-ce exact ?
Non. Je n’étais pas ministre du Reich, mais en avais simplement le rang. La cause en fut, je crois, que le général Keitel fut élevé au même rang que les ministres du Reich, car dans l’exercice de ses fonctions au ministère de la Guerre, il avait fréquemment affaire à eux et il dut être mis à égalité de rang et de droits. Or, Brauchitsch et moi qui étions plus anciens que Keitel, avons obtenu les mêmes prérogatives. Je n’étais nullement membre du cabinet, mais il était prévu dans l’ordonnance que par ordre ou sur demande du Führer, je pouvais participer à une séance du cabinet. On avait sans doute pensé que, s’il y avait lieu de fournir des explications techniques, ma présence pouvait être utile. Cela ne s’est d’ailleurs jamais produit, car depuis lors, aucune réunion de cabinet ne s’est tenue.
Je peux ajouter que, dans le paragraphe 2 de cette ordonnance, il est dit : « Les Commandants en chef pourront, à ma demande, prendre part aux réunions du cabinet ».
Oui. Et en ce qui concerne le Conseil de cabinet secret, je n’ai besoin que de confirmer ce que Hitler m’a dit lui-même, à savoir que ce conseil secret n’avait été constitué qu’en l’honneur du ministre des Affaires étrangères, M. von Neurath, qui avait résigné ses fonctions, et pour donner l’impression, à l’intérieur du pays comme au dehors, que M. von Neurath continuerait à être consulté relativement aux questions de politique étrangère. Ce conseil de cabinet ne s’est jamais réuni.
L’Accusation vous a reproché d’avoir prononcé un discours le jour de la Commémoration des Héros, le 12 mars 1939, d’y avoir annoncé une lutte sans merci contre le bolchevisme et la juiverie internationale.
Je dois remarquer, Messieurs, que ce discours, malheureusement, n’a été reproduit par l’Accusation que sous forme d’extrait, selon un point de vue subjectif, dans le livre de documents, et je crois qu’il serait utile de connaître ce discours en entier. Il va de soi que je n’en donnerai pas lecture, mais désire simplement le déposer comme document Raeder-46. Dans mon livre de documents n° 3, page 235, est contenue cette phrase. C’est la page qui rapporte la citation du Ministère Public. Je vous prie de nous faire connaître votre point de vue sur ce point.
Puis-je lire quelques phrases brèves donnant le ton général du discours ?
Je ne doute pas que le Tribunal vous y autorise. Je vous prie toutefois de ne lire que quelques phrases vraiment essentielles, comme l’a fait le Ministère Public.
Page 7, sixième ligne, il est dit...
Pardon, c’est à la page 235, sur la même page que la citation du Ministère Public.
Peu avant cette citation, on lit à la sixième ligne : « Il a rendu au peuple allemand la confiance en lui-même et en ses propres moyens forces et l’a ainsi rendu capable de reconquérir par ses propres le droit sacré qui lui avait été refusé du temps de son impuissance, comme aussi la possibilité d’envisager courageusement les monstrueux problèmes du temps présent et de les résoudre. Ce faisant, le peuple allemand et son Führer ont réalisé, pour la paix de l’Europe et du monde, plus que certains voisins ne sont en état de le reconnaître aujourd’hui. »
Vient alors la phrase où je parle de la lutte contre le bolchevisme et le judaïsme international, que le Ministère Public a mentionné. Je tiens à faire remarquer brièvement à ce sujet que, d’après les expériences de 1917 à 1919, le communisme et le judaïsme international avaient miné considérablement la force de résistance du peuple allemand et avaient ensuite acquis, tant au point de vue politique qu’économique, une influence aussi exorbitante que désastreuse. On ne devait donc pas s’étonner, selon moi, que le Gouvernement national-socialiste se fût appliqué à désagréger cette grave et pesante influence et, si possible, de l’éliminer. Si, dès lors, le Gouvernement national-socialiste a jugé bon de recourir, dans cette voie, à des mesures très énergiques, des mesures très dures qui ont abouti aux lois de Nuremberg, dont il va de soi que je regrette la rigueur, je ne pouvais cependant pas, dans un discours prononcé en public par ordre du Gouvernement d’Etat, exprimer des opinions personnelles diamétralement opposées, dans la mesure où elles s’accordaient avec ma conscience. Il fallait également tenir compte de ce qu’un tel discours devait obligatoirement s’adresser à un certain milieu. Il ne s’agissait d’ailleurs que d’une courte phrase, alors que bien d’autres points étaient au premier plan. Sous ce rapport, je demande à lire encore deux courtes phrases : « De là, cette prétention à l’égalité des droits et de considération avec tous les autres peuples, égalité qui, seule, peut constituer la garantie d’une communauté de paix sur le globe terrestre ».
Puis, la phrase finale de la page 235 : « A nous, soldats, dans le cadre de communauté allemande, le Führer a assigné une tâche de protecteurs et de défenseurs de notre patrie et de notre paisible travail de reconstitution sociale, comme aussi d’éducateurs de jeunes gens aptes au service qui nous sont tous confiés ».
La phrase suivante a été lue par le Ministère Public parce que j’ai mentionné que les jeunes gens devaient être instruits non seulement dans la pratique des armes, mais également initiés aux idées du national-socialisme, à la façon dont il concevait le monde et l’existence, et que nous devions marcher côte à côte avec le Parti.
J’ai constamment représenté le point de vue que la Wehrmacht ne devait pas être un corps étranger dans l’Etat, que, dans une monarchie, une Wehrmacht républicaine était impossible, ou inversement, dans une démocratie, une Wehrmacht d’esprit monarchique, et qu’en conséquence, il fallait que notre Wehrmacht fût intégrée dans l’Etat national-socialiste, de même qu’il était indispensable qu’une véritable communauté nationale pût subsister. Il appartient donc aux chefs de la Wehrmacht de faire adopter par leur arme les excellents principes nationaux et sociaux de l’Etat national-socialiste et que le mode de vie s’en inspire, tout comme je l’ai fait moi-même en tant que Commandant en chef de la Marine. C’est de cette façon qu’il fut possible d’incorporer judicieusement la Wehrmacht, de lui éviter toute incartade ou exagération et de constituer une communauté dans l’Etat.
Enfin, au bas de la page 236 :
« Cette nation avait besoin d’une nouvelle et véritable paix, d’une paix de justice et d’honneur, d’une paix sans haine. Le monde, lui aussi, a besoin de paix. Ce qu’une faible Allemagne n’a pu obtenir, une Allemagne puissante l’a conquis. Sauvegarder cette paix de la nation allemande envers et contre tous, tel est le fier devoir de la Wehrmacht allemande. »
Et, tout à la fin de ce document, à la douzième ligne, il est dit, au bas de la page :
« Qu’au soldat d’en face que nous respectons comme le représentant chevaleresque de son pays, soit adressé cette parole de soldat : Ce dont l’Allemagne a besoin et ce qu’elle veut, c’est la paix. Son travail de reconstruction a besoin d’une longue série d’années pour être accompli dans la quiétude ».
Je crois que ces citations suffiront.
Oui, cela suffira. Qu’il me soit seulement permis d’indiquer au Tribunal que, dans la traduction anglaise, page 236 — autant que je m’en souvienne — une phrase est soulignée, celle-ci : « La Wehrmacht et le Parti sont indissolublement liés ». C’est ce que l’Accusation a produit sans rien souligner d’autre. En réalité, dans l’original, beaucoup d’autres passages l’ont été, notamment ceux que le Grand-Amiral Raeder vient de lire et qui ont trait à la paix. (A l’accusé.) Monsieur le Grand-Amiral, l’Accusation vous a adressé des reproches au sujet de tous les actes politiques du national-socialisme. Je suis donc obligé de vous interroger quant à votre participation aux opérations dans certains pays où le concours de la Marine paraît, à priori, surprenant. De quelle façon avez-vous participé aux mesures relatives à l’Anschluss de l’Autriche ?
La Marine n’avait rien à voir à l’Anschluss et elle n’y a pris aucune part.
Avez-vous fait des préparatifs quelconques ?
Non, dans le cas de l’Autriche, il n’y avait pas de préparatifs à faire. Le cas de l’Autriche est rapporté dans le document C-175. Mais il ne s’agit là que d’une instruction visant les dispositions d’ensemble à prendre par la Wehrmacht en cas de guerre, et valable dès le 1er juillet 1937.
Pardon. Je me permets de préciser que le document C-175 est le document US-69, livre de documents de la Délégation britannique 10 (a), page 117. Le Ministère Public a tenu ce document pour très important. C’est pourquoi je vous prie de vous expliquer à ce sujet.
Il s’agit de la composition d’une liste établie chaque année dans tous les pays ; des cas qui, suivant la situation politique, peuvent surgir au cours de l’année et qui nécessitent, cela se conçoit, des préparatifs indispensables. Mais en ce qui concernait la Marine, elle n’avait aucune suite à lui donner quant à l’Autriche.
Je ne suis pas certain que nous ayons entendu la référence exacte ; il nous semble qu’il s’agit du document C-157 (US-69) 10 (a), mais je n’ai pas entendu le numéro de la page.
Page 117.
Est-ce C-175 ou C-157 ?
C-175. (A l’accusé.) S’agissait-il, à ce sujet, de préparatifs stratégiques pour différents cas éventuels ?
Oui. Différents cas, le « Cas Rouge » et par extension, le cas spécial « Rot Grün ». Il fallait les approfondir tous, sans qu’il faille pour cela leur donner une suite,
Monsieur le Président, à ce sujet, je voulais produire différents documents Raeder faisant ressortir que, précisément, des préparatifs analogues, parce qu’ils étaient nécessités par des motifs militaires et stratégiques, ont été faits également chez les Alliés, simplement pour en démontrer la nécessité. Pour l’instant, je m’en abstiendrai, parce que je ne peux distinguer assez rapidement les documents qui ont été accordés de ceux qui ont été rejetés. Peut-être, pourrais-je les produire en bloc en terminant, afin d’éviter maintenant des malentendus quant aux chiffres. (A l’accusé.) De quelle façon, vous et la Marine, avez-vous participé aux mesures concernant le pays des Sudètes ?
Dans une instruction...
Pardon. Voulez-vous voir le document de l’Accusation, PS-388 du Ministère Public. C’est le USA-126. Non, pardon, USA-26. Il se trouve dans le livre de documents de la Délégation britannique 10 (a), page 147. C’est le projet de la nouvelle instruction prévue pour le « Cas Vert » du 20 mai 1938.
Oui, j’ai l’instruction ici ; elle est du 20 mai 1938 et est destinée à la Marine : « La Kriegsmarine coopérera, par la mise en œuvre de la flottille du Danube, aux opérations de l’Armée. La flottille sera placée sous les ordres du Commandant en chef de l’Armée. A l’égard des opérations navales, il y aura lieu de prendre tout d’abord des mesures de sécurité, dans la mer du Nord et dans la Baltique, contre toute intervention inopinée d’autres Etats dans le conflit. Ces mesures devront être absolument limitées au strict nécessaire. Le secret devra en être assuré ».
Au cours des opérations, de fin septembre et début d’octobre, des mesures spéciales n’ont pas été nécessaires, et la flottille du Danube que nous avions récupérée en Autriche fut placée sous les ordres de l’Armée de terre.
Quelle était l’importance de cette flottille ?
Elle comprenait quelques petits vapeurs, des dragueurs de mines et une petite canonnière.
C’était là tout ce qui constituait la participation de la Marine ?
Oui, c’était tout.
De quelle façon avez-vous, vous et la Marine, participé aux préparatifs d’occupation du « reste de la Tchécoslovaquie », comme il est dit dans le document ? Il s’agit du document C-136 (USA-104) dans le livre de documents de la Délégation britannique 10 (a), page 101, en date du 21 octobre 1938. L’Accusation prétend que, dès le mois d’octobre, vous aviez été informé que la Tchécoslovaquie devait, quelque temps après, c’est-à-dire au mois de mars, être occupée. Veuillez vous en expliquer, je vous prie ?
Tout d’abord, cette instruction le donnerait à penser. Mais la rédaction démontre qu’il ne s’agit, cette fois encore, que de mesures en vue, de cas éventuels. Là aussi, il est question de la sécurité des frontières du Reich et de sa protection contre des attaques aériennes inopinées. Puis viennent les points 2 et 3, « Liquidation du reste de la Tchécoslovaquie », « Prise de possession du territoire de Memel ».
Sous le numéro 2, « Liquidation du reste de la Tchécoslovaquie, la première phrase est ainsi conçue : Il faut avoir la possibilité de détruire à tout moment le reste de la Tchécoslovaquie au cas où elle pratiquerait une politique hostile à l’Allemagne ».
C’est donc la condition préalable, contre ce pays, d’une action qui n’était aucunement certaine. Il en est de même du numéro 3, « Prise de possession du territoire de Memel, où il est dit : La situation politique, notamment des difficultés entre la Pologne et la Lituanie, peuvent rendre indispensable l’occupation du territoire de Memel par la Wehrmacht ».
Pardon. Je me permets de faire la remarque que, d’après mes documents, ce passage, dont le témoin vient de donner lecture, manque dans la traduction anglaise. Ceci dit afin qu’on ne le cherche pas inutilement. (A l’accusé.) S’agissait-il là-aussi d’un cas éventuel ?
Oui.
Le 3 septembre 1939, dès le début de la guerre, l’Athenia a été coulé. Du point de vue militaire, ce cas a déjà été éclairci par M. le Dr Kranzbühler. Mais je vous prie de bien vouloir, en votre qualité de Commandant en chef de la Marine prendre position et décrire ce fait, en tenant compte de ce que le Ministère Public a, précisément à ce sujet, formulé un reproche très grave et offensant, le reproche qu’intentionnellement, contrairement à la vérité, vous avez rendu l’Angleterre et Churchill responsable du naufrage de l’Athenia, alors que vous saviez pertinemment que l’Athenia avait été coulé par un sous-marin allemand. Comme preuve, l’Accusation a cité un article du 23 octobre 1939 du Völkischer Beobachter.
Monsieur le Président, c’est le numéro PS-3260 (GB-218) dans le livre de documents 10 de la Délégation britannique, page 97. (A l’accusé.) Voulez-vous éclaircir ce cas ?
Le fait est que le 3 septembre au soir, un jeune commandant de sous-marin, le commandant du sous-marin U-30, a torpillé au crépuscule, un paquebot britannique qui naviguait tous feux éteints, parce qu’il supposa, à tort, qu’il s’agissait d’un croiseur auxiliaire. Afin d’éviter un malentendu, je désire remarquer que de telles réflexions de la part du lieutenant de vaisseau Fresdorf, qui ont été déjà mentionnées ici, n’avaient encore joué aucun rôle à l’Etat-Major naval, relativement au torpillage de navires voyageant tous feux éteints dans la Manche et que ce commandant ne pouvait avoir connaissance de directives à cet égard. Au contraire, il savait que les croiseurs auxiliaires naviguaient sans feux, et il supposa qu’il s’agissait d’un croiseur auxiliaire qui était à l’entrée de la Manche au Nord-Ouest, venant d’Angleterre ou d’Ecosse. Il ne fit pas de compte rendu, car ce n’était pas nécessaire. La nouvelle qu’un sous-marin allemand avait torpillé l’Athenia a été répandue du côté anglais par un radiogramme, qui nous parvint dans la nuit du 3 au 4, et fut alors transmise aux différents services d’information. Le 4 septembre au matin, cette nouvelle nous parvint également à l’Etat-Major naval et je me fis rendre compte de la distance du lieu de naufrage à laquelle se trouvait notre plus proche sous-marin. On m’annonça 75 milles marins. A peu près au même moment, le secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, von Weizsäcker, qui avait été officier de Marine pendant la première guerre mondiale, ayant appris ce qui s’était passé, avait téléphoné à l’Etat-Major naval pour demander si c’était exact. Il ne m’a pas appelé personnellement. On lui répondit que, d’après nos informations, cela ne pouvait être exact, sur quoi, il fit venir le chargé d’affaires américain, M. Kirk, je crois, pour l’entretenir de cette affaire, parce que les radiogrammes avaient signalé que quelques Américains avaient péri lors de cet accident. Or, après les expériences de la première guerre mondiale, il savait combien il importait d’éviter tout incident avec l’Amérique. Il lui communiqua ce qu’il avait appris à l’Etat-Major naval. J’en fis de même auprès de l’attaché naval américain, M. Schrader, et cela en toute bonne foi. Je croyais pouvoir le lui affirmer en toute conscience, car nous non plus n’avions pas d’autres nouvelles. Je reçus alors, si ma mémoire est exacte, la visite du secrétaire d’Etat von Weizsäcker, avec qui j’étais très lié, qui me fit part de ce qu’il avait relaté au chargé d’affaires américain, et s’excusa même aussi auprès de moi de ne m’avoir pas téléphoné. Et l’affaire en resta là. En soi, le fait était tel que, s’il avait été normalement communiqué, nous n’aurions pas hésité à le faire connaître, à en indiquer la raison et à présenter nos excuses auprès des Etats intéressés. L’officier aurait été frappé d’une sanction disciplinaire.
J’ai aussi informé le Führer de cet événement à son Quartier Général, en lui affirmant que nous étions convaincus qu’un tel fait ne s’était pas produit. Il donna l’ordre de démentir, ce qui fut fait par le ministère de la Propagande, à qui l’ordre avait été transmis par mon service de Presse. Le sous-marin rentra le 27 septembre.
Pardonnez-moi de vous interrompre, Monsieur le Grand-Amiral. Cette date, Monsieur le Président, est établie par le document produit par l’Accusation, le D-659 (GB-221), livre de document 10. page 110.
Le commandant du sous-marin rentra le 27 septembre à Wilhelmshaven, et le Grand-Amiral Dönitz a déjà décrit comment il le reçut et comment il me l’envoya immédiatement par avion à Berlin. Le commandant du sous-marin me fit un compte rendu complet sur cette affaire, me confirma qu’il s’agissait d’une pure méprise et que ce ne fut que par les radiogrammes qu’il avait interceptés qu’il avait appris qu’il ne s’agissait pas d’un croiseur auxiliaire, mais d’un paquebot. Ce fait pouvant entraîner de graves conséquences politiques, j’en fis part au Führer, qui décida, la chose ayant été démentie, qu’il fallait la tenir rigoureusement secrète, non seulement envers l’étranger, mais aussi dans les services officiels et les milieux gouvernementaux. Il en résulta que je n’eus aucune possibilité d’en informer le secrétaire d’Etat von Weizsäcker ou d’envoyer un communiqué au ministère de la Propagande. L’ordre que j’ai adressé au chef de l’arme sous-marine était ainsi conçu : 1. Par ordre du Führer, le secret le plus absolu devra être tenu sur cette affaire ; 2. De mon côté, je n’ordonnerai aucune poursuite devant le tribunal militaire parce que le commandant a agi de bonne foi et qu’il s’agit d’une méprise ; 3. L’examen des conséquences politiques aura lieu au Commandement supérieur de la Kriegsmarine pour autant qu’il paraîtra encore opportun de faire quelque chose. Le commandant retourna à Wilhelmshaven et le Grand-Amiral Dönitz a déjà rapporté qu’il lui infligea une peine disciplinaire.
C’est alors qu’à notre grande surprise, un mois plus tard environ, parut cet article du Völkischer Beobachter dans lequel Churchill était accusé d’être la cause initiale de l’accident. Je n’ai pas eu la moindre idée préalable de cet article, et j’en aurais évité la publication : c’était une accusation absolument insoutenable, car je savais que c’était notre sous-marin qui avait torpillé ce navire, alors que le journal en rejetait la responsabilité sur notre adversaire, le Premier Lord de l’Amirauté.
J’ai appris, par la suite, que l’ordre d’écrire un tel article émanait de Hitler et, par l’intermédiaire du chef de la pressé, était arrivé au ministère de la Propagande, et que le ministre de la Propagande, autant que je m’en souvienne, le rédigea lui-même. Il était trop tard pour que je puisse l’empêcher. Ni moi, ni aucun de mes officiers ne l’a vu, et si l’un d’eux en avait eu connaissance, il serait certainement venu me trouver afin d’éviter qu’un tel article ne fût diffusé dans le monde. Mais il ne fallait plus s’attendre à quelque chose de tel puisque quatre semaines s’étaient écoulées déjà depuis que l’Athenia avait été coulé. Voilà l’affaire de l’Athenia.
Monsieur le Grand-Amiral, vous venez de dire que vous aviez appris que Hitler était au courant de cet article. Quand l’avez-vous su ?
Ici, par mon co-accusé Hans Fritsche.
Donc pas à cette époque ?
Non, pas du tout.
L’audience est levée.