CENT TRENTE-QUATRIÈME JOURNÉE.
Lundi 20 mai 1946.
Audience du matin.
(L’accusé Raeder vient à la barre.)Le Dr Horn désire poser encore quelques questions.
Avec la permission du Tribunal, je poserai encore quelques questions au témoin.
Monsieur le Grand-Amiral, est-il exact que le 24 avril 1941, une « Patrouille de neutralité » composée de navires de guerre américains ait dépassé d’au moins 1.000 milles marins la limite de 300 milles marins ?
Je ne me souviens pas exactement de la date, mais il est certain que ce dépassement des limites eut lieu à un moment donné.
Est-il exact qu’au début du mois de juin 1941, une loi américaine déclara la confiscation des navires étrangers bloqués par la guerre dans les ports de l’Amérique du Nord ? Parmi eux se trouvaient vingt-six navires italiens et deux navires allemands ?
Là encore, je ne peux pas dire la date exacte. Cela eut lieu au cours de l’été 1941. Il s’agissait surtout de navires italiens et de quelques navires allemands, mais je ne peux pas donner les chiffres exacts.
En juin 1941, les États-Unis se déclarèrent ouvertement prêts à accorder à l’Union Soviétique toute l’aide possible. Vous êtes-vous entretenu avec Hitler de cette mesure, et quelle a été son attitude à ce sujet ?
Oui, c’est un fait. Il s’agissait également de prêt sans intérêt ou de quelque chose de ce genre. Je dois en avoir parlé avec Hitler, mais je ne peux pas dire exactement quelle était son opinion à ce sujet. Ce que je peux dire, c’est que toutes les mesures prises à cette époque-là n’ont modifié en rien l’attitude que nous avions prise. C’est justement en juin que j’eus une conversation avec Hitler, au cours de laquelle je lui exposai que, jusqu’à présent, nous n’avions pas touché aux navires de guerre américains et que nous continuerions à agir de la même façon malgré les désavantages certains que cela entraînait pour nous, désavantages dont j’ai déjà parlé ici.
En 1941, le ministre de la Guerre américain Stimson, le ministre de la Marine Knox et le ministre des Affaires étrangères Hull, demandèrent à plusieurs reprises, dans des discours officiels, que la flotte américaine assurât la sécurité des transports de matériel de guerre vers la Grande-Bretagne. Le 12 juillet 1941, le ministre de la Marine Knox fit connaître à des représentants de la Presse l’ordre donné par Roosevelt de tirer sur les navires allemands. Comment Hitler et vous-même avez-vous réagi en face de cette action contraire à la neutralité ?
Ces faits sont exacts, et ils sont notoires. Hitler donna l’ordre formel de ne tirer en aucune circonstance, sauf pour nous défendre. C’est ce qui se passa par la suite dans les cas des deux destroyers Greer et Kearny.
Je vous remercie, je n’ai pas d’autres questions à poser.
Je suis informé que l’accusé Göring n’assiste pas à l’audience de ce matin.
Accusé, vous avez lu, à l’époque de sa publication, le livre du capitaine Schüssler : La lutte de la Marine contre Versailles ?
Oui.
Voudriez-vous le regarder, à la page 26 du livre de documents n° 10, page 123 du livre de documents allemand. Le capitaine Schüssler vous avait bien dit qu’il avait l’intention d’écrire ce livre ?
Oui. Je peux dire à ce sujet que nous avons été incités à écrire ce livre parce que, dans la Marine, nous avions été attaqués par des milieux nationaux-socialistes qui nous reprochaient de ne pas avoir, avant 1933, suffisamment travaillé à renforcer la Marine. C’est pour cela que toutes ces choses furent mentionnées dans ce livre.
Et ce livre fut distribué aux officiers supérieurs de la Marine ?
Oui, et en tout cas, tout officier supérieur qui voulait avoir ce livre pouvait l’avoir.
Voudriez-vous vous reporter à la page 127 ou à la page 27 du livre anglais où est reproduite la préface. La fin du premier paragraphe déclare que ce livre donne une image exacte de la lutte de la Marine contre les dispositions intolérables du Traité de Versailles.
Oui.
Et, au troisième paragraphe :
« Ce mémorandum a également pour but de mettre en lumière les services rendus par ces hommes qui, sans être toujours connus de tous les milieux, ont accepté délibérément la responsabilité de se consacrer à la lutte contre le Traité de Paix. »
Oui.
Reconnaissez-vous, accusé, que cette préface représente d’une façon générale mais néanmoins exacte, les intentions de la Marine en vue de tourner les dispositions du Traité de Versailles ?
Oui, pour tourner les dispositions du Traité de Versailles dans la mesure où cela était nécessaire pour remédier à notre impuissance, pour les raisons que j’ai exposées ces derniers jours. C’était là une question d’honneur pour chacun de nous.
Voulez-vous maintenant tourner la page. C’est à la page 28, Votre Honneur, et à la page 126 du texte allemand. (A l’accusé. ) Nous avons là un sommaire. Vous voyez qu’il comprend quatre sections. La première traite des « Premières mesures de défense contre l’application du Traité de Versailles » et les énumère. Passons là-dessus. La seconde traite des « Mesures autonomes d’armement prises à l’insu du Gouvernement du Reich et du Corps législatif ».
Dans les deux cas, il est indiqué : « Depuis la fin de la guerre jusqu’à l’occupation de la Ruhr, en 1923 » et « De 1923 jusqu’à l’affaire Lohmann en 1927 ». Dans les deux cas, je suis hors de cause.
Nous verrons. De 1922 à 1924, vous étiez inspecteur de l’instruction de la Marine, à Kiel, n’est-ce pas ?
J’étais inspecteur des services d’instruction, c’est-à-dire des écoles, du perfectionnement des aspirants, de la formation des « Führergehilfen » et « Führerstabsgehilfen » qui étaient une sorte d’officiers d’État-Major, etc. Je n’avais rien à faire avec les questions de combat.
On vous a demandé si vous étiez inspecteur de l’instruction. Vous avez répondu « oui », n’est-ce pas ?
Prétendez-vous dire au Tribunal qu’en tant qu’inspecteur de l’instruction vous n’aviez pas une connaissance très complète des armes dont vous disposiez ?
Non, il ne s’agissait pas du tout d’armes dont l’existence était connue de tous, mais, comme je l’ai dit précédemment, d’établir des emplacements de pièces, ou de transporter des canons de la mer du Nord à la mer Baltique ; ce travail était fait par un commando spécial qui était dirigé directement par le chef de la Marine. Entre autres spécialistes, le lieutenant de vaisseau Raenkel était chargé de ces questions d’artillerie. Personnellement, j’étais à Kiel, et à Kiel même et aux environs, il n’y avait pas de pièces de marine, ni rien de ce genre.
Passons donc à la période suivante : de 1923 à 1927. De 1925 à 1928 vous étiez le chef de l’arrondissement maritime de la Baltique ?
Oui.
Prétendez-vous que vous ignoriez ces mesures autonomes d’armement prises à l’insu du Gouvernement du Reich ?
Non, je n’avais rien à faire avec ces choses. Je l’ai déjà dit, c’était le chef de la direction de la Marine qui s’occupait de ces choses. Je savais, d’une manière générale...
Je ne vous demande pas si vous vous en occupiez, je vous demande si vous prétendez ne pas avoir été au courant. Vous étiez parfaitement au courant, n’est-ce pas ?
Je savais d’une manière générale que des mesures de ce genre étaient prises.
Voyons maintenant la section III : « Projets de travaux d’armement, tolérés par le Cabinet du Reich, mais faits à l’insu du Corps législatif ». Le Corps législatif comprenait le Reichstag et le Reichsrat, n’est-ce pas ?
Oui, mais j’ai déjà dit récemment qu’il n’appartenait pas au Commandant en chef de l’Armée de traiter de ces problèmes avec le Reichstag, mais au Gouvernement. M. Severing pourra le confirmer.
Nous entendrons M. Severing lorsqu’il déposera. Pour le moment, je voudrais que vous disiez au Tribunal...
Je dis la même...
Un moment, vous n’avez pas encore entendu ma question. Qu’avez-vous dit au capitaine Schüssler ? Lui avez-vous dit qu’il était absolument faux de prétendre que la Marine eût eu quoi que ce fût à faire dans les mesures prises à l’insu du Reichstag ? Avez-vous tenté de corriger les déclarations du capitaine Schüssler ?
Non, je n’ai pas corrigé son livre. Je n’en avais pas le temps.
Avant d’en venir à la section IV, veuillez vous reporter... Votre Honneur, c’est la page 32 du livre anglais, à la page 186 du livre allemand.
C’est là un extrait de la section II du livre du capitaine Schüssler, traitant du réarmement économique ; il figure sous le titre : « Conditions de travail difficiles ». (A l’accusé.) Avez-vous trouvé ? Cela commence par : « Les conditions de travail étaient souvent difficiles ». Trouvez-vous ? Le titre est : « Conditions de travail difficiles. »
Oui, je vois : « Conditions de travail difficiles ».
Je voudrais que vous examiniez la dernière partie de ce paragraphe. Je voudrais tout d’abord mettre en lumière le fait qu’il s’agit de la période comprise entre 1923 et 1927, avant que vous ne fussiez chef de la Marine ; c’est pourquoi je voudrais vous interroger à ce sujet. « Il se présentait, en outre, de nombreuses difficultés pour la Tebeg ; le camouflage de nos objectifs et de notre travail, les distances qui nous séparaient... l’impossibilité de régler aucune question, même de moindre importance, par téléphone, et la nécessité d’éviter dans la mesure du possible tout échange de correspondance et de correspondre en tout cas sous la forme de lettres personnelles au moyen de noms d’emprunt et des codes. »
Ne saviez-vous pas que c’était de cette façon que l’on opérait ?
Non, en réalité je ne savais presque rien de la « Tebeg », de la « Navis » ou de ces choses ; mais j’estime qu’il est tout à fait normal que ces gens aient travaillé de cette façon, parce qu’à ce moment-là la mentalité d’une grande partie du peuple allemand était telle qu’on ne pouvait pas lui faire confiance et c’était courir un grand danger que de faire connaître ces choses. De plus, à mon arrivée, la « Tebeg » était dissoute.
Voulez-vous revenir maintenant à la page 126 du volume 4, page 28 du texte anglais, et examiner les déclarations du capitaine Schüssler pour la quatrième période : « Réarmement camouflé sous la direction du Cabinet du Reich. (De 1933 à la liberté de l’armement en 1935) ». Reconnaissez-vous que le capitaine Schüssler donne une description fidèle de vos méthodes de travail, de 1933 à 1935 ?
Comment les désigne-t-il ? Où cela figure-t-il ?
A la section IV.
« Réarmement camouflé sous la direction du Cabinet du Reich » ?
Reconnaissez-vous que ce soit là une description fidèle de votre activité de 1933 à 1935 ?
Certainement. Je faisais cela sur l’ordre du chef de l’État, qui prenait garde à ce que l’on n’allât pas trop loin dans ce domaine, afin que ne soient pas gênées ses intentions de conclure un accord avec l’Angleterre, et en ce qui concerne la Marine, il autorisa fort peu de choses. Il aurait pu procéder immédiatement à la mise en chantier de huit cuirassés, de nombreux destroyers, de nombreux torpilleurs qui n’étaient pas encore construits, et il n’en fit rien parce qu’il ne voulait pas donner l’impression d’un réarmement de grande envergure. Il autorisa simplement deux...
Vous avez déjà expliqué tout cela. Mais la question importante est la « forme camouflée » sous laquelle vous agissiez au moment ou vous négociiez l’accord naval. Vous ne vouliez pas que l’on connût les mesures que vous aviez prises en opposition au Traité, ni que l’on sût jusqu’où vous étiez déjà allé. Voilà donc le fait brutal : vous vouliez obtenir l’accord naval sans révéler ce que vous aviez déjà fait. Est-ce cela ?
Non, c’est défigurer le sens de mes paroles. Nous ne voulions pas, en faisant connaître ces mesures, gâter inutilement les bons rapports existant entre l’Angleterre et l’Allemagne. En elles-mêmes, ces mesures étaient absolument justifiées et de peu d’importance.
Nous y viendrons dans un moment. Je voudrais simplement, avant de quitter le problème de ces travaux entrepris dans la Marine, vous poser une question sur un autre livre. Vous savez que le colonel Scherff avait projeté d’écrire une histoire de la Marine allemande. Je ne voudrais pas qu’il y ait un malentendu sur ce point. Si j’ai bien compris la situation, vous avez autorisé le colonel Scherff à se servir des archives de la Marine mais, en dehors de cela. Vous n’avez rien vu de son travail ?
Je n’ai jamais vu son livre ; c’est ici que j’en ai vu pour la première fois la table des matières, au cours de mon premier interrogatoire. Je ne lui ai d’ailleurs pas donné d’ordre ; il a reçu cet ordre du Führer et j’ai donc autorisé le chef des archives de la Marine à l’assister dans son travail.
C’est exactement ce que je viens de vous dire. Je voudrais maintenant que vous vous reportiez au livre de documents 10 (a) ; il commence à la page 1 dans la version anglaise et également à la page 1 du texte allemand. A la page 3, vous trouverez le projet de table des matières de cet ouvrage. C’est à la page 3 de la version anglaise et vraisemblablement à la page 3 du livre de documents allemand.
Veuillez maintenant voir le titre de la section II : « Incorporation de la Marine à l’État national-socialiste », et ensuite :
« a) Le national-socialisme dans la Marine avant 1933... »
Où est-ce ? Je ne l’ai pas encore trouvé.
Section II de la table des matières.
Non, il doit s’agir de quelque chose de tout à fait différent. Je ne vois pas... Oui, j’ai trouvé maintenant.
Regardez donc la section II qui est intitulée : « Incorporation de la Marine à l’État national-socialiste ». Vous avez ensuite les titres se rapportant à une trentaine de pages :
« Le national-socialisme dans la Marine avant 1933, La prestation de serment de la Marine au Führer, L’adoption de l’insigne du Parti, Le premier changement de pavillon et le nouveau pavillon de guerre ».
Êtes-vous d’accord avec cet exposé du colonel Scherff. Pensez-vous qu’il corresponde aux faits et que ces événements puissent, à juste titre, être décrits comme l’incorporation de la Marine à, l’État national-socialiste ?
Il est bien évident, je l’ai dit récemment ici, que la Marine, la Wehrmacht, devaient nécessairement avoir certains points communs avec l’État national-socialiste. On ne peut pas avoir, dans un État monarchique, une Marine démocratique, mais il faut qu’il y ait une certaine concordance dans les principes. C’est moi qui décidai de la mesure dans laquelle ces principes devaient être adoptés afin que la situation soit nette, la Marine conservant son indépendance interne, tout en ayant, vis-à-vis de l’État national-socialiste, une position sans équivoque. Je ne vois d’ailleurs pas de texte, mais seulement des titres.
Cette description ne vous choque pas ; voilà ce que je voulais préciser, et je ne désire pas m’arrêter plus longtemps sur ce point.
Mais les titres ne veulent rien dire. Il se pourrait, par exemple, que dans le texte on dise que la Marine de guerre ne s’est pas véritablement intégrée à l’État national-socialiste. Je n’en sais rien. Il en est de même pour la Flotte. Il est évident...
Je ne voudrais pas que nous perdions notre temps là-dessus. Au cours de votre interrogatoire principal, vous avez traité de trois questions que je ne veux pas reprendre en détail. Je désire simplement vous les rappeler pour vous poser à leur sujet une question d’ordre général. Vous pouvez mettre de côté ce document, je ne m’en occuperai pas plus longtemps. Voulez-vous mettre ce document de côté et écouter attentivement la question suivante. Vous avez été interrogé sur les vedettes rapides, sur votre liste de contrôle, ce long document de septembre 1933, et sur la question des croiseurs auxiliaires camouflés en navires de transport « O ». Aurai-je résumé correctement votre déposition quand j’aurai dit que vous avez reconnu que le Traité avait effectivement été violé, mais que ces infractions n’étaient, à chaque fois, que d’ordre secondaire ? Est-ce là un résumé fidèle de votre déclaration ?
Non.
Dans ces conditions, reprenons-la en détail. Contestez-vous que les événements relatifs aux vedettes rapides, à votre liste de contrôle et aux navires de transport « 0 » aient effectivement eu lieu ? Je croyais avoir compris que vous aviez reconnu leur existence...
Non, ils ont eu lieu, comme je l’ai dit. Par exemple, ces croiseurs auxiliaires n’ont pas été construits parce que nous n’avions pas le droit de le faire. Mais nous avions le droit de faire des plans et de choisir les bâtiments qui, en cas de guerre, en cas d’agression de l’Allemagne par un autre pays, pourraient servir à cet usage. Cela ne constituait pas une infraction. Si cela en avait été une, je le reconnaîtrais, sans plus. De même, l’installation d’un bureau de construction de sous-marins aux Pays-Bas n’était pas une violation du Traité de Versailles. Le texte était totalement différent. Je ne sais pas quel était le troisième point dont vous parliez.
Vous vous souvenez d’un document reproduisant une longue liste établie par vous-même ?
Oui, bien entendu.
Et j’avais compris, peut-être me suis-je trompé, que vous aviez reconnu l’existence de ces faits et que vous aviez dit : « Ce sont des choses sans importance ».
Oui, c’est un fait. C’étaient des choses sans importance, mais elles étaient absolument indispensables dans l’intérêt de la défense de l’Allemagne.
J’aimerais maintenant vous interroger sur un de vos officiers, le vice-amiral Assmann. Aviez-vous confiance en lui ?
C’était un excellent historien.
Voudriez-vous répondre à ma question ? Était-ce un officier en qui vous aviez confiance ?
J’avais confiance en lui dans la mesure où je pensais qu’il écrirait correctement l’Histoire.
C’est ce que je voulais savoir. Voulez-vous passer maintenant à un nouveau document, le numéro D-854 que je dépose, Votre Honneur, sous le numéro GB-460. C’est un extrait de toute une série d’exposés sur des considérations de tactique et d’opérations de la Marine allemande et sur les mesures qui en ont découlé pour son relèvement, entre 1919 et 1939. Il émane des archives du vice-amiral Assmann et du vice-amiral Gladisch, qui travaillaient à la section historique de l’Amirauté allemande.
Voudriez-vous ne pas les examiner pour le moment, accusé ; je désire d’abord vous poser une ou deux questions, après quoi vous pourrez en prendre connaissance. Reconnaissez-vous que, dans presque tous les domaines de l’armement qui intéressaient la Marine, le Traité de Versailles a été violé dans la lettre, et plus encore dans son esprit. Le reconnaisez-vous ?
Non, certainement pas dans tous les domaines, car dans le domaine le plus important, nous étions bien en deçà des limites prévues par le Traité de Versailles, comme je l’ai d’ailleurs montré très clairement ici. Peut-être avons-nous enfreint ses prescriptions à rebours, en ce sens que nous n’avons pas fait tout ce que nous étions autorisés à faire.
Voudriez-vous donc examiner ce document. Dès le début, vos officiers déclarent :
« Comme cela a déjà été dit, dans la plupart des domaines de l’armement auxquels la Marine était intéressée, le Traité de Versailles a été violé dans sa lettre, et plus encore dans son esprit, bien longtemps avant le 16 mars 1935, ou du moins cette violation avait-elle été préparée. »
Vos amiraux se trompaient-ils en disant cela ? Est-ce cela que vous prétendez ?
Puis-je savoir à quelle page ce passage se trouve ; je n’en ai pas encore pris connaissance. Oui, il dit : « Dans la plupart des domaines de l’armement... »
Ce n’est pas le cas, car en ce qui concerne la...
C’est exactement ce que je vous demande. Est-ce exact ?
Non, ce n’est pas exact, car nous n’avons même pas construit autant de bâtiments que nous y étions autorisés ; encore une fois, comme je l’ai déjà dit, ces violations...
Vous avez déjà dit cela.
Ces violations étaient...
Nous connaissons l’état de vos chantiers navals. Vous nous avez déjà donné cette explication, et il s’agit de savoir quelle en est la valeur. Je ne veux pas discuter avec vous, mais simplement vous poser cette question : prétendez-vous que les amiraux de votre section historique se trompent dans cette phrase que je viens de vous lire ?
Oui, je le maintiens : sous cette forme, c’est faux.
Bien. Le Tribunal en décidera. Passons à la déclaration de l’amiral Assmann. Elle continue ainsi :
« Ceci ne se passa nulle part aussi tôt, ni d’ailleurs dans des circonstances aussi difficiles que pour la construction d’une nouvelle arme sous-marine. Le Traité de Versailles n’était en vigueur que depuis quelques mois (depuis le 10 janvier 1920), qu’il était déjà violé sur ce point. »
Êtes-vous d’accord là-dessus avec l’amiral Assmann ?
Non, il a tort, car c’est justement sur ce point qu’il n’a pas été violé, et le fait que cette affaire ait commencé si tôt s’explique par le fait que les anciens commandants et officiers de sous-marins, ainsi que les techniciens des sous-marins, étaient sans emploi et s’offrirent à maintenir à l’étranger la technique des sous-marins ; c’est pour cela que ces faits ont eu lieu si tôt. Mais cela ne me regardait pas, car je n’avais absolument rien à dire dans ce domaine, puisque j’étais aux archives de la Marine.
Comment pouvez-vous alors affirmer avec tant de certitude que l’amiral Assmann se trompe ? Je croyais que vous aviez dit qu’il était un bon historien. Il n’avait pas à remonter très loin : il ne remonte qu’à vingt ans en arrière.
Même un bon historien peut se tromper, en particulier lorsque les documents dont il se sert sont faux. J’ai simplement dit que j’avais confiance.
Vous avez dit, de manière très détaillée... Le premier paragraphe traite du Japon.
Ce qu’il dit sur la construction de sous-marins est faux.
Voyons donc dans quelle mesure il se trompe. Ne nous occupons pas du premier paragraphe qui traite de la construction de navires pour le Japon, mais prenons le second. Voyez-vous le paragraphe qui commence par : « Dès 1922... ?
« Dès 1922, trois chantiers navals allemands fondèrent en Hollande, sous un nom d’emprunt hollandais, un bureau de construction de sous-marins allemands, qui employait environ trente ingénieurs et techniciens.
En 1925, un chantier naval hollandais construisit, d’après les plans de ce bureau qui jouissait du soutien financier et personnel du commandant de la Marine, deux sous-marins de 500 tonnes pour la Turquie. Le capitaine de vaisseau Lohmann a été directement intéressé à la solution de cette affaire. »
Est-ce exact ?
Nous l’avons reconnu, car cela ne constitue en aucune manière une violation du Traité de Versailles.
Nous n’en discuterons pas ; mais de toute façon il est exact que l’amiral Assmann a raison sur ce point. Il parle ensuite de la Finlande et de l’Espagne. Puis, à la fin du paragraphe, après qu’il ait été question de l’Espagne, il dit :
« En octobre 1927, le chef de l’État-Major directeur de la Marine, l’amiral Zenker, qui malgré toutes les difficultés politiques à l’intérieur avait assumé cette responsabilité, chargea le département des constructions de la Marine d’entreprendre en Espagne la mise en chantier. L’étude du projet et l’élaboration des plans avaient été accomplies par le bureau hollandais. Achevé en 1931, le bâtiment fit des voyages d’essai et des exercices de plongée au départ de Cadix et de Carthagène, sous direction allemande... et avec un personnel composé d’officiers, d’ingénieurs, d’étudiants des constructions navales, et de contremaîtres allemands. »
C’est bien exact, n’est-ce pas ?
Oui, mais l’ingénieur du département de constructions de la Marine, ainsi que tout le personnel que vous venez de nommer, avaient été mis en congé par la Marine.
Voyez donc la dernière phrase :
« Ce bâtiment, qui est maintenant le sous-marin turc Gür, devint le prototype du U-25 et du U-26. »
Oui.
Il parle ensuite des sous-marins de 250 tonnes qui furent construits en Finlande, et si vous passez à la dernière phrase du paragraphe suivant :
« Le sous-marin finlandais fut le premier modèle étudié et réalisé en Allemagne ; le bureau hollandais n’est intervenu que pour l’exécution des détails. Ce bâtiment finlandais de 250 tonnes devint le prototype des bâtiments U-1 à U-24. »
Oui.
Et la phrase suivante :
« La construction et les essais définitifs de ce prototype permirent d’obtenir, de 1933 à 1935, les pièces des bâtiments U-1 à U-24, longtemps avant la réception de l’ordre de montage, et de procéder aux préparatifs de ce montage dans la mesure où le permettait la conservation du secret. »
Oui.
Veuillez maintenant passer à la page 156. Vous voyez d’où émane la citation suivante :
« Au début de 1935 — c’est-à-dire six mois avant la conclusion de l’accord naval anglo-allemand — il y avait six bâtiments de 250 tonnes prêts à être montés ; six bâtiments de 275 tonnes et deux de 750 tonnes pour lesquels on en était aux travaux préparatoires. Quatre mois environ étaient nécessaires au montage des petits bâtiments, et dix environ à celui des gros, à dater du 1er février 1935 mais tout le reste était encore assez incertain. »
Voyons maintenant la suite :
« C’est précisément dans le domaine de la construction des sous-marins que l’Allemagne s’est probablement le plus écartée des limitations imposées par l’accord anglo-allemand. Si l’on tient Compte du tonnage des bâtiments déjà commandés, 55 sous-marins environ auraient pu être prévus pour 1938. En réalité, 118 étaient prêts et en construction.
Les préparatifs pour la nouvelle arme sous-marine avaient été entrepris de si bonne heure et de façon si poussée et si précise, que onze jours après la conclusion de l’accord naval anglo-allemand qui autorisait la construction de sous-marins, le 29 juin 1935, le premier sous-marin pouvait être mis en service. »
Voyez maintenant cette phrase écrite par l’amiral Assmann. Et nous avons vu, d’après une centaine de documents, quels étaient vos rapports avec l’amiral Assmann. Il dit :
« C’est précisément dans le domaine de la construction des sous-marins que l’Allemagne s’est probablement le plus écartée des limitations imposées par l’accord naval anglo-allemand. »
Au cours de votre déposition, vous avez dit pendant plusieurs heures au Tribunal que vous aviez négocié cet accord de votre plein gré, que vous en étiez très fier et que vous étiez prêt à lui accorder tout votre appui. Prétendez-vous, devant ce Tribunal, que vos amiraux se trompaient en disant que c’est dans le domaine de la construction des sous-marins que l’Allemagne s’est le plus écartée des limitations de ce traité librement négocié ?
C’est là un jugement entièrement faux. J’ai déclaré ici que tant que des négociations n’avaient pas été entamées avec l’Angleterre au sujet de ce traité, tous les préparatifs que nous avions faits n’avaient eu lieu qu’à l’étranger, et que dans la mesure où probablement...
Accusé, vous pourrez donner vos explications...
Je vous prie de ne pas m’interrompre.
Prenons les choses dans l’ordre et ne vous mettez pas en colère. Répondez à ma question, après quoi vous pourrez donner vos explications. Répondez donc d’abord à ma question : prétendez-vous que l’amiral Assmann se trompe lorsqu’il dit, dans cette première phrase, que c’est précisément dans « le domaine de la construction des sous-marins que l’Allemagne s’est écartée le plus des limitations imposées par l’accord anglo-allemand » ? L’amiral Assmann se trompe-t-il lorsqu’il dit cela ? Est-ce cela que vous prétendez ? Voilà ma question.
Il se trompe sur ce point, je l’ai déjà dit.
Monsieur le Président, j’ai l’impression que ces questions ne portent pas sur des faits. Ce sont des questions d’interprétation juridique. Ce n’est là qu’une discussion juridique sur l’interprétation de l’article 191 du Traité de Versailles.
Le Tribunal estime que la question est tout à fait pertinente. Dans ses explications, l’accusé peut naturellement faire valoir que, d’après lui, cela ne constituait pas une infraction au Traité ; il peut nous donner son opinion à ce sujet, en tant que chef de la Marine allemande.
Veuillez prendre maintenant la deuxième phrase...
Mais j’aimerais terminer, si c’est possible. Je peux donner une explication à ce sujet.
Il ne s’agissait donc que de préparatifs faits à l’extérieur de l’Allemagne. On a dit que des techniciens allemands avaient pris part à la construction de bâtiments finlandais. C’est exact ; il n’était pas interdit aux techniciens allemands d’aider les techniciens finlandais à élaborer des plans de sous-marins. Il est exact également que, plus tard, ce sous-marin...
Je suis désolé de vous interrompre, mais cette phrase ne porte pas sur cette première période. Il s’agit ici de la période postérieure à l’accord anglo-allemand de 1935, et voilà sur quoi je voudrais que vous me répondiez. L’affaire finlandaise avait eu lieu longtemps auparavant.
J’en suis toujours à la période précédant l’accord. On m’a reproché d’avoir fait fabriquer des pièces de sous-marins à l’étranger. Et, en fait...
Je sais, mais ne voyez-vous pas que...
Je n’ai pas encore répondu. Non...
Ce n’est pas là-dessus que je vous interroge. Je voudrais que vous répondiez à la question que je vous pose. Je ne vous interroge plus sur le Traité de Versailles, mais sur l’affirmation de l’amiral Assmann, suivant laquelle vous ne vous êtes pas tenus aux restrictions de l’accord naval anglo-allemand de 1935. Ce que vous avez fait en Finlande après 1920 n’a rien à voir avec la question. C’est tout ce que j’avais à dire. Maintenant, vous pouvez donner vos explications.
C’est absolument faux. C’est en particulier dans le domaine de la construction des sous-marins que nous nous sommes limités le plus et, en 1938, nous n’avions même pas encore les 45 % qu’on nous avait autorisés à construire. Nous demandâmes alors l’autorisation d’atteindre les 100 %. Ceci fut discuté, suivant le texte de l’accord, au cours d’un entretien amical avec l’Amirauté anglaise, qui eut lieu dans les derniers jours de 1938, puis mis en application. Au début de la guerre, nous n’avions nullement atteint les 100 %, et notre construction de sous-marins était toujours en retard. L’amiral Assmann se trompe donc entièrement, car il n’avait pas suivi ces questions d’assez près. Je peux en donner ma parole.
Voyez donc les phrases suivantes. Elles se rapportent...
De quelles pages voulez-vous parler ?
Page 156. Je vais la relire très lentement :
« Si l’on tient compte du tonnage des bâtiments déjà commandés, 55 sous-marins environ auraient pu être prévus pour 1938. En réalité, 118 étaient prêts et en construction. »
Voulez-vous dire que l’amiral Assmann se trompe également sur ce point ?
Excusez-moi, je n’ai toujours pas trouvé le passage que vous lisez. Quelle ligne ?
Avez-vous trouvé la phrase, accusé ?
Oui, je l’ai maintenant.
L’amiral Assmann dit donc que « Si l’on tient compte du tonnage des bâtiments déjà commandés, 55 sous-marins environ auraient pu être prévus pour 1938. » Ceci avant qu’il n’ait seulement été question de 45 % à 100%. « En réalité, 118 étaient prêts et en construction ».
Prétendez-vous que l’amiral Assmann se trompe en donnant ces chiffres ?
Mais certainement, puisqu’en 1939 nous sommes entrés en guerre avec quarante sous-marins, je crois. Ou bien c’est une faute d’impression, ou bien ces chiffres sont absolument faux. Comme vous le savez, nous sommes entrés en guerre avec vingt-six sous-marins capables d’aller dans l’Atlantique, et une certaine quantité d’unités plus petites. Je ne peux pas dire exactement ce que nous avions en chantier au début de la guerre. On m’a précisément reproché de n’avoir pas fait mettre en chantier suffisamment de sous-marins en temps utile. Je conteste absolument cette phrase.
Vous prétendez donc, accusé, que les chiffres de l’amiral Assmann sont incompatibles avec les déclarations que vous avez faites au Tribunal sur le nombre de sous-marins avec lequel vous êtes entré en guerre ?
Oui.
Je serais reconnaissant à Sir David s’il lisait cette phrase entièrement, c’est-à-dire s’il lisait également la note n° 6 qui figure après le chiffre 118 et les mots « en construction ». La note n° 6, qui ne figure pas dans la traduction, dit ceci : « Le chef de la section du budget de la Marine B n° E 311/42, très secret, 19 novembre 1942. » Ce chiffre, Monsieur le Président, se rapporte donc à une époque ultérieure et non pas à l’année 1938.
Je serais extrêmement reconnaissant si, après l’expérience que je viens de faire, on voulait bien à l’avenir me remettre non seulement l’exemplaire allemand, mais aussi la traduction anglaise. Je serais très reconnaissant à Sir David de vouloir bien prendre des mesures à cet effet.
Ne pourriez-vous faire traduire en, anglais le passage que vous venez de mentionner, en attendant le moment où vous interrogerez à nouveau le témoin. Vous faites allusion à une note qui a été ajoutée au passage traduit en anglais. Voulez-vous relire ce passage ?
Sir David a lu ceci :
« En réalité, 118 bateaux étaient prêts ou en construction. Voilà ce qu’a lu Sir David. Après les mots en construction il y a un chiffre 6 qui signifie « note n° 6 ». Voici quelle est la note n° 6 : Chef de la section du budget de la Marine, B n° E. 311/42, très secret, 19 novembre 1942 (page 19) ».
Cela montre par conséquent que ce chiffre de 118 doit figurer à la page 19 de ce document de l’administration du budget de la Marine, daté de 1942. Ce chiffre 118 ne se rapporte donc pas à l’année 1938, mais à une époque ultérieure.
Je suis en mesure de donner une autre explication qui soit possible.
Monsieur le Président, je vais vérifier. Il n’y a aucune différence entre le texte allemand et le mien, qui établit que « 55 sous-marins environ auraient pu être prévus pour 1938 et qu’en réalité 118 étaient terminés et en construction ».
Mais pas en 1938.
En fait, Monsieur le Président, mon distingué adversaire, le Dr Siemers, aura toutes facilités pour s’expliquer à ce sujet... S’il y a un point litigieux, je l’examinerai, mais voici le texte qui contient le passage en question. Le contenu de cette note pourra être examiné à nouveau par le Dr Siemers.
Sir David, vous pourriez peut-être examiner la note, pour voir si ce n’est pas plutôt le rapport qui date de 1942, plutôt que la construction ? Je propose que vous lui demandiez si cette note ne permet pas de voir si ce n’est pas plutôt le rapport qui a été établi en 1942, et non pas les sous-marins qui ont été construits à cette date.
Ma traduction de cette note dit : « Chef de la section du budget de la Marine ». Suit la référence à la note, en date du « 19 novembre 1942 ». Cela semble confirmer entièrement la suggestion de l’éminent juge américain, suivant laquelle ce ne serait là qu’une référence au rapport, sans plus. On ne peut que supposer que 1942 est la date de la construction des sous-marins, et il vaudrait mieux, si le Dr Siemers n’a rien à objecter au texte que j’ai lu, qu’il réserve la discussion de ce point litigieux pour son prochain interrogatoire de l’accusé.
Docteur Siemers, vous pourrez soulever cette question au moment de l’interrogatoire et au cours de l’examen. Vous pourrez, en attendant, nous remettre une traduction de cette note.
Monsieur le Président, je suis entièrement d’accord. Je n’avais d’ailleurs exprimé que le désir d’obtenir un exemplaire de la traduction anglaise des documents qui viennent d’être présentés.
Votre Honneur reconnaîtra que c’est pour moi une charge très lourde que d’être obligé de constater maintenant, pendant le contre-interrogatoire, quels sont les passages dont la traduction est incomplète, et de traduire moi-même tout ce qui manque, bien que la Délégation britannique dispose d’une traduction anglaise. C’est pourquoi je crois qu’il serait plus simple que Sir David eût la bonté de mettre à ma disposition une traduction anglaise.
Sir David, pourrez-vous lui faire remettre une traduction de tous les nouveaux documents ?
Certainement, Monsieur le Président. Le Tribunal en a d’ailleurs donné l’ordre et tout est prêt. Vous avez certainement reçu la traduction anglaise ?... Certainement, Votre Honneur, chaque fois que je déposerai un nouveau document, une traduction en sera remise au Dr Siemers.
Il doit y avoir eu une erreur.
Vous l’aurez sans faute. (A l’accusé.) Passons maintenant à un autre membre de votre État-Major. Vous nous avez parlé assez longtemps du budget de la Marine. Vous souvenez-vous d’un intendant de la Marine appartenant à votre section, l’intendant de la Flotte Thiele, de l’OKM, section E, c’est-à-dire section du budget de l’Amirauté allemande ? Vous rappelez-vous ?
Certainement. Me permettrez-vous, Monsieur le Procureur, d’ajouter quelque chose au sujet de ce chiffre 118 ? Je viens de penser à quelque chose au sujet de ce n° 6 et du chef de la section du budget de la Marine. Il est parfaitement possible que l’amiral Assmann ait ici confondu deux choses. Les sous-marins et tous les autres bâtiments étaient inclus au budget, qui constituait la décision définitive. Ce budget était élaboré à la fin de l’année et publié avant le début de l’année à laquelle il s’appliquait. Étant donné l’apparition brutale de ce chiffre important, il est parfaitement possible que ce chiffre 118 résulte de cet accord avec l’Angleterre conclu le 30 ou 31 décembre 1938. Il est parfaitement possible qu’à la suite de cela nous ayons fait figurer sur cet état tous les sous-marins que nous étions encore autorisés à construire, jusqu’à concurrence de 100%. Cela ne signifie pas pour autant que nous ayons entrepris la construction de ces bâtiments en 1938. D’ailleurs, je crois même que nous aurions pu commencer, puisque c’est sur le nombre de navires terminés au cours d’une année que portait l’autorisation.
Je crois que c’est cette explication, qui m’est venue à l’esprit à la vue des mots « Section du budget de la Marine », qui est la bonne.
Le texte dont dispose le Tribunal porte « jusqu’à 1938 ». Je ne veux pas discuter avec vous, les chiffres parlent d’eux-mêmes.
J’aimerais maintenant que vous vous reportiez au document D-855, qui deviendra GB-461. C’est un extrait d’une conférence de ce M. Thiele dont je viens de parler, conférence prononcée au Centre de perfectionnement des officiers d’administration de la Marine, à Prague, le 12 juillet 1944. L’extrait que je désire vous soumettre figure à la page 22 et est intitulé « Plan de constructions navales ». Y êtes-vous ? C’est à la page 22. Titre : « Plan de constructions navales ». Le paragraphe commence ainsi : « L’époque du plus large développement de la Marine arriva au moment de la prise du pouvoir. Dès la première année qui suivit, en mars 1935, on passa à la construction de croiseurs de bataille d’un déplacement de 27.000 tonnes. Un vaisseau de ce type fut mis en chantier. C’était là, pour la Marine, et sous une forme qu’avant peu de temps il nous deviendrait impossible de déguiser, une violation d’une des clauses les plus importantes pour nous du Traité de Versailles. »
L’intendant de la Marine Thiele a-t-il raison d’avoir dit cela dans sa conférence ?
Naturellement, c’était une violation. Mais j’ai expliqué ici assez longuement qu’il ne s’agissait pas de la construction de nouveaux croiseurs de bataille, mais des deux cuirassés que nous avions l’autorisation de construire et qu’en 1934, Hitler m’autorisa simplement à augmenter le déplacement de ces bâtiments afin de pouvoir en renforcer le blindage ; j’en déduis que ce n’est qu’en mars 1935, lorsque la conclusion de l’accord était certaine et qu’il était également certain que quelques mois plus tard l’Angleterre nous autoriserait à construire des navires de ce type, ce n’est qu’à ce moment-là que les plans de ces navires de 26.500 tonnes furent acceptés par le Führer et que furent mis en chantier ces bâtiments qui devaient constituer les premiers navires de ligne du nouveau programme. C’est à ce moment-là que furent ajoutées les trois tourelles de 280, c’est-à-dire les armes offensives, qu’il n’avait pas approuvées en 1934.
Vous semblez être plus en accord avec ces déclarations qu’avec les précédentes. Voyons ce qu’il dit deux phrases plus loin, sur les sous-marins.
« Les sous-marins, dont la construction ne devait, sous aucun prétexte, être connue du monde extérieur, furent construits en pièces détachées qui furent stockées dans des hangars ; il n’y eut plus qu’à les assembler quand fut proclamée la liberté des armements. »
L’intendant de la Marine Thiele n’a-t-il pas raison sur ce point ?
Oui, il a raison. Nous l’avons reconnu.
Voyons le point suivant.
Je pourrais peut-être compléter ma déclaration. Nous...
Oui, mais soyez le plus bref possible. Je ne vous empêche pas de parler, mais tâchez d’être bref.
Bien entendu ; mais je dois terminer ma défense. Nous avons donc fait construire à l’étranger les pièces détachées des sous-marins, et ce n’est qu’au début de 1935 que nous les avons fait rentrer en Allemagne et que nous les avons fait assembler, au moment où la conclusion de l’accord naval anglo-allemand était certaine.
Bien. Vous dites que vous aviez prévu le traité ; mais voyons ce qu’il dit à la phrase suivante :
« La troisième de ces clauses du Traité de Versailles qui étaient les plus désastreuses pour nous, la limitation du personnel à 15.000 hommes, fut également négligée dès la prise du pouvoir. Le total du personnel de la Marine s’élevait à 25.000 hommes en 1934 et, en 1935, l’année de l’accord naval de Londres, à 34.000 hommes. »
L’intendant de la Marine Thiele a-t-il raison sur ce point ?
Oui, c’est admis. Il est clair que nous devions former notre personnel à temps pour pouvoir disposer des équipages nécessaires lorsque nous aurions des Forces navales plus importantes.
Veuillez examiner un instant le document qui figure à la page 3 du livre de documents 10, auquel vous avez fait allusion au cours de votre interrogatoire. C’est le document C-23, relatif au déplacement du Scharnhorst, du Gneisenau, du Tirpitz, du Bismarck et d’autres bâtiments.
Vous connaissez ce document ? Nous en avons déjà parlé.
Oui, je le connais.
Il porte la date du 18 février 1938. L’Allemagne ne dénonça le traité naval anglo-allemand qu’au moment où l’Angleterre accorda sa garantie à la Pologne, quatorze mois plus tard, en avril 1939. Pourquoi n’avez-vous pas simplement notifié à la Grande-Bretagne que le déplacement s’élevait, dans un but de protection, à 20 % de plus qu’il n’était prévu. Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ?
Je ne peux plus vous le dire aujourd’hui. Nous avons expliqué l’autre jour comment le déplacement avait, à la suite de modifications peu souhaitables, augmenté peu à peu, à notre propre détriment...
Oui, accusé, je m’en souviens très bien. Nous connaissons les raisons de cet accroissement du déplacement, et je ne pense pas que cela puisse vous nuire si vous ne nous les exposez pas à nouveau. Mais voyez donc le bas de cette page ; vous y trouverez les raisons dont vous ne vous souvenez plus :
« D’après A-IV, il n’apparaît pas utile d’indiquer un tonnage plus élevé que celui que feront connaître sous peu l’Angleterre, la Russie et le Japon, par exemple, à bref délai, afin de ne pas faire porter sur nous-mêmes la responsabilité d’une course aux armements. »
N’est-ce pas là la raison ?
Oui, nous pensions à l’avenir. Nous ne voulions à aucun prix donner l’impression que nous avions augmenté la puissance offensive de nos bâtiments.
Accusé, je vais passer maintenant à un autre sujet ; je vous exposerai d’une manière aussi brève et aussi concise que possible — comme vous allez pouvoir vous en rendre compte — l’accusation du Ministère Public : à savoir que pendant vingt ans, de 1918 à 1938, vous-même et la Marine allemande avez pris part à une entreprise de duperie froidement délibérée sur les obligations qui vous étaient imposées par les Traités. Voilà ce qui vous est reproché. Comprenez-vous ? Après ces documents, nierez-vous encore qu’il en soit ainsi ?
Évidemment. Nous n’avons pas agi délibérément, mais quand nous cherchions à tourner les clauses du Traité de Versailles, c’était pour tenter de défendre notre pays mieux qu’on ne nous permettait de le faire. J’ai montré ici que les dispositions les plus défavorables du Traité de Versailles étaient celles qui intéressaient la défense de notre pays ou l’attaque de notre pays de l’extérieur. En ce qui concerne les navires, je voudrais ajouter également que nous ne disposions que d’un nombre relativement restreint de navires terminés et que nous tenions à augmenter dans la mesure du possible nos possibilités défensives, c’est-à-dire la sécurité des mers, etc. Jamais nous n’avons dépassé la puissance offensive qui nous avait été accordée.
Accusé, je voudrais que vous compreniez bien le but de la série de questions que je vais vous poser. Je ne veux pas qu’il y ait de malentendu entre nous. J’estime que quand vous avez violé les traités et établi vos plans de constructions navales, c’était en fonction de la possibilité et, par la suite, de la probabilité d’une guerre. Je voudrais que vous repreniez le document que nous venons d’examiner : C-23. Reportez-vous à la page 5 du livre de document 10. Vous y verrez un mémorandum émanant, je crois, du Comité des plans, et adressé au Commandant en chef de la Flotte, l’amiral Carls. Nous connaissons déjà votre opinion sur l’amiral Carls. Vous pensiez qu’il était un excellent officier, et vous l’aviez proposé pour vous succéder.
Cela date donc de septembre 1938. C’est un document très secret qui porte le titre : « Examen d’une étude préparatoire à la guerre navale contre l’Angleterre ». On lit, sous la rubrique « A » :
« Approbation entière de l’esprit de cette étude ».
Voyez maintenant le paragraphe 1 :
« Si, selon la volonté du Führer, l’Allemagne désire acquérir et conserver la position d’une puissance mondiale, elle devra s’assurer non seulement des possessions coloniales suffisantes, mais encore des communications maritimes sûres, et du libre accès à l’Océan. »
Est-ce exact, accusé ?
Oui, c’est exact, je connais tout ce document.
Voyez donc le second paragraphe :
« Ces deux exigences ne sont réalisables qu’à rencontre des intérêts anglo-français, et elles limiteraient la position de puissances mondiales de ces pays. Il est peu vraisemblable que nous puissions les réaliser par des moyens pacifiques. La volonté de faire de l’Allemagne une puissance mondiale nous pousse donc nécessairement à entreprendre des préparatifs en vue d’une guerre. »
Est-ce exact ?
Oui, tout cela est exact.
Voyons donc le troisième paragraphe :
« La guerre contre l’Angleterre signifie dans le même temps la guerre contre l’Empire, contre la France, probablement aussi contre la Russie, et contre bon nombre de pays d’outre-mer ; en fait, environ la moitié ou les deux tiers du monde entier. »
Je ne vous poserai pas de questions là-dessus, les faits nous l’ont montré.
Oui, mais je voudrais dire quelque chose à propos de ce document.
Excusez-moi. Nous allions si vite que je ne pensais pas que des explications fussent nécessaires.
En 1938, comme on l’a dit ici à plusieurs reprises, l’attitude du Führer vis-à-vis de l’Angleterre était devenue beaucoup plus intransigeante malgré les efforts entrepris par le général von Blomberg et par moi-même pour lui montrer qu’il n’en était pas de même en Angleterre et que nous pouvions vivre en paix avec elle/Malgré cela, le Führer déclara qu’il fallait s’attendre à ce qu’un jour ou l’autre l’Angleterre s’opposât à ses plans. Jamais il n’avait pensé, de lui-même, à mener une guerre d’agression contre l’Angleterre, et nous, dans la Marine, nous y pensions encore bien moins ; j’ai d’ailleurs montré que je n’ai rien fait d’autre que de tenter de l’en dissuader. En 1938, il nous ordonna de préparer, comme, nous l’avions déjà fait pour d’autres possibilités de guerre — ce qui était d’ailleurs dans les attributions de la direction de la Wehrmacht — une étude sur la façon dont se déroulerait une guerre contre l’Angleterre et de lui exposer quels seraient nos besoins dans ce cas. Cette étude fut faite, et j’exposai au Führer que nous ne pourrions jamais réunir des forces suffisantes pour entreprendre avec des chances de succès une guerre contre l’Angleterre. Il aurait été fou de dire le contraire. Je lui dis — et ceci a été mentionné à plusieurs reprises — que nous pourrions, pour 1944 ou 1945, créer une flotte de combat réduite, avec laquelle nous pourrions entreprendre une guerre économique contre l’Angleterre ou attaquer ses voies maritimes commerciales, mais que nous ne serions jamais en mesure de remporter avec ces moyens une véritable victoire sur l’Angleterre. J’envoyai cette étude, qui avait été établie sous ma direction, à l’État-Major naval, à l’amiral Carls, qui avait un jugement très clair dans ces questions. Il estima qu’il était de son devoir d’exposer dans l’introduction à sa réponse, par laquelle il nous donnait son approbation, les conséquences qu’aurait pour nous une guerre avec l’Angleterre, à savoir qu’il en résulterait une autre guerre mondiale, guerre que ni lui, ni nous dans la Marine, ni personne dans la Wehrmacht, ne souhaitait, ni d’ailleurs Hitler non plus, à mon avis. D’où cette déclaration. Il disait que si nous devions faire la guerre à l’Angleterre, il nous faudrait tout d’abord avoir accès à l’Océan, et qu’ensuite nous devions attaquer les voies commerciales anglaises dans l’Atlantique. Ce n’est pas qu’il nous proposât d’entreprendre de nous-mêmes un tel projet, mais il pensait à l’éventualité d’une guerre qui éclaterait contre notre volonté. Il était de notre devoir d’étudier à fond cette question.
Il dit : « Elle » — la guerre contre l’Angleterre — « ne peut être justifiée et ne saurait avoir de chances de succès que si elle est préparée dans le domaine économique aussi bien que sur les plans politiques et militaires... » Et plus loin : « ... et si elle est faite dans le but d’ouvrir à l’Allemagne un débouché sur l’Océan ». Je voudrais maintenant voir comment vous l’avez préparée.
Tout cela est très clair et très exact.
Voyons donc comment vous avez préparé cette guerre dans le domaine économique. Commençons par là puisque c’est de cela que vous avez parlé en premier lieu. Voulez-vous examiner le document C-29, à la page 8.
Sir David, je crois que nous pourrions suspendre l’audience, avant d’aborder ce point.
Je vous disais tout à l’heure, accusé, que j’allais vous poser quelques questions au sujet du document C-29, qui figure à la page 8 du livre de documents anglais 10, et aux pages 13 et 14 du livre de documents allemand. Vous vous souvenez que ce document expose des directives d’ordre général sur l’exportation, directives données par la Marine allemande à l’industrie allemande d’armement...
Oui.
... et vous nous avez dit, à propos de ce document, que vous désiriez que vos services ne fissent pas preuve d’étroitesse d’esprit pour des questions qui n’étaient pas absolument secrètes, mais, qu’en outre, votre politique générale consistait à développer le commerce extérieur des usines allemandes d’armement afin de pouvoir, le plus tôt possible, satisfaire aux demandes accrues de la Marine allemande.
Est-ce exact ? Est-ce là un résumé correct, ou dois-je le répéter ?
Oui, mais il convient de dire à ce sujet que j’ai déclaré à deux reprises que nous espérions alors que les dispositions du Traité de Versailles seraient assouplies, car les négociations en vue du désarmement étaient alors entrées dans une phase relativement favorable et nous avions déjà les gouvernements présidés par von Schleicher et von Papen qui, l’un et l’autre, avaient fait preuve d’une grande compréhension pour les besoins de la Wehrmacht et étaient vigoureusement intervenus dans ce sens à la Conférence du désarmement. On pouvait donc s’attendre à une évolution tout à fait légale de ces problèmes et, d’autre part, toute notre industrie n’était en mesure de fabriquer des armements qu’en faible quantité. Elle devait donc être renforcée. Mais j’insiste encore sur le fait que tout cela n’avait rien à voir avec le régime hitlérien et que c’est par hasard que cette ordonnance a paru le 31 janvier.
Je ne crois pas cependant que vous me contredirez sur le fait que les lignes générales de votre politique économique en faveur de l’industrie des armements consistait à développer le commerce extérieur, afin de pouvoir satisfaire par la suite aux exigences toujours accrues de l’intérieur. C’est bien ce que vous préconisiez, n’est-ce pas ? L’industrie allemande d’armement devait immédiatement accroître son commerce extérieur afin de pouvoir satisfaire aux exigence de l’intérieur dès que celles-ci augmenteraient. Est-ce bien cela ?
Parfaitement. C’est exact ; mais je n’ai pas compris une de vos expressions. Avez-vous dit « Eigenhandel » (commerce intérieur) ou « Eisenhandel » (commerce du fer). Je n’ai pas compris...
« Aussenhandel » (commerce extérieur).
Commerce extérieur, parfaitement. Nous voulions que notre industrie fût capable de concurrencer celles des autres États, afin qu’elle fût dans une situation plus favorable et augmentât sa puissance.
Je vais maintenant vous demander de passer au document C-135, qui se trouve à la page 20 du livre de documents anglais, et à la page 73 du livre de documents allemand.
Le livre 10 ?
Oui, dans le livre 10, Votre Honneur. (A l’accusé.) Vous vous souvenez de ce document ? Vous en avez parlé. Vous disiez...
Oui, on en a parlé à propos de l’affidavit Lohmann.
Oui. C’est un document de... d’avril 1933, si j’en juge d’après les dates dont nous avons parlé tout à l’heure ; vous avez déclaré au Tribunal, au cours de votre déposition, que c’est par un pur hasard que l’année 1938 avait été mentionnée, et qu’il s’agissait de la même période.
Oui, on a dit à plusieurs reprises que l’année 1938 avait été mentionnée.
Ce fait a-t-il été mentionné dans un document de la République de Weimar ? Voulez-vous regarder l’avant-dernier paragraphe qui figure à la page 74 du texte allemand, et à la page 21 du document anglais. C’est l’alinéa du milieu du paragraphe 3 : « Le chancelier Adolf Hitler avait très nettement exigé, sur le plan politique, la mise sur pied dans un délai de cinq ans, c’est-à-dire avant le 1er avril 1938, d’une armée qu’il pourrait jeter dans la balance comme instrument de puissance politique ».
Est-il exact que Hitler ait posé cette nette exigence sur le plan politique ?
Oui, dans la mesure où je peux m’en souvenir, il avait demandé en 1933 l’institution d’une sorte de plan quinquennal, et il s’est trouvé que cette année 1938 coïncidait avec l’année qui était prévue dans notre plan de constructions navales ; ces directives avaient manifestement été données pour toute la Wehrmacht, car dans la Marine nous agissions, dès 1935, sur les bases de l’accord naval, qui nous donnait le droit de réarmer dans la proportion de 1 à 3, et non pas suivant d’autres plans particuliers.
La question qui m’intéresse est la suivante : Hitler vous a-t-il dit qu’il voulait que cette force pût être jetée dans la balance comme instrument de puissance politique ? Vous a-t-il dit cela ?
Je ne m’en souviens plus exactement aujourd’hui, mais je crois que c’est une expression parfaitement courante que de dire que l’on utilise son armée comme un instrument qui peut être jeté dans la balance au cours de négociations politiques, afin de ne pas être — comme cela s’était passé jusqu’alors — le jouet des autres nations. Je ne vois pas en quoi cette opinion peut être suspecte.
Bref, Hitler vous a déclaré : « Je veux avoir, en 1938, une armée avec laquelle je puisse faire la guerre, s’il devient nécessaire de la faire ». C’est bien ce que cela veut dire, et c’est bien ainsi que vous l’avez compris, n’est-ce pas ?
Non. Il n’était absolument pas question de guerre, mais du fait que nous devions tenir notre place dans le cercle des nations et ne plus être mis à l’écart, comme cela s’était passé jusqu’alors.
Et si quelqu’un vous avait lancé un défi, vous auriez été en mesure de combattre. C’est cela ?
C’est évident. Si l’on nous avait attaqués, nous voulions pouvoir nous défendre ; c’est ce que nous ne pouvions pas faire auparavant.
Prenons donc le premier exemple où vous avez envisagé de combattre. Prenez le livre de documents 10 (a), document C-140, à la page 104 de la version anglaise, et à la page 157 du texte allemand. Vous vous souvenez de cette directive du maréchal von Blomberg, sur le retrait de l’Allemagne de la Société des Nations et de la Conférence du désarmement. Il y a là des directives assez détaillées sur les mesures militaires que vous prendriez si les membres de la Société des Nations appliquaient des sanctions à votre égard ; autrement dit, vous étiez tout à fait prêts...
Oui.
... pour une guerre qui aurait surgi à l’occasion de cette politique de paix ; c’est bien cela, n’est-ce pas, et cette note indique tous les préparatifs à faire ?
Ces préparatifs furent faits, si j’ai bonne mémoire, onze jours après notre départ de la Société des Nations, et il va sans dire que si le Führer pensait qu’à la suite de ce départ qui, en soi, était un geste pacifique, des mesures guerrières, des sanctions seraient prises contre nous, nous devions nous défendre et que si une telle attaque semblait possible, nous devions faire des préparatifs en conséquence.
Vous reconnaissez donc que, dès octobre 1933, la politique étrangère de Hitler pouvait provoquer une guerre immédiate, n’est-ce pas ?
Non, je ne pensais pas qu’une mesure telle que notre départ de la Société des Nations où nous avions toujours été injustement traités parce que nous n’avions pas de puissance derrière nous, pût déclencher une guerre avec une puissance quelconque. Malgré tout, il était normal de compter avec une pareille éventualité.
Je comprends. Cela me suffit.
Voyons maintenant, dans le même livre de documents, le document C-153, à la page 107 du texte anglais, et aux pages 164 à 167 du texte allemand. C’est, si vous vous en souvenez, votre plan d’armement pour la troisième phase de l’armement. Je voudrais d’abord que vous regardiez le paragraphe 3. Aux points a et b de ce paragraphe, vous indiquez les principes généraux de vos instructions :
« a) Pour les chefs militaires, une base positive pour les considérations stratégiques.
« b) Pour les chefs politiques, un tableau exact de ce qui peut être réalisé avec les moyens militaires disponibles à un moment donné. »
Parfaitement, il est évident qu’un plan de ce genre doit avoir ce but.
Et vos chefs politiques devaient faire leurs plans en comptant avec les forces qui seraient à votre disposition en vue d’une guerre ; c’est bien cela que vous prévoyiez alors ?
Mais oui, cela va sans dire. J’ai dit au Führer : « Je peux mettre à votre disposition tels ou tels moyens militaires cette année ». Le chef de l’État devait savoir sur quoi il pouvait compter. Cela n’a rien à voir avec un plan de guerre, et dans tous les États on procède de même. D’autre part, je ne puis pas intervenir auprès des chefs politiques pour leur dire ce qu’ils doivent faire, j’ai simplement à les mettre au courant de ce dont je dispose. Je n’avais donc rien à voir avec la politique, mais j’ai fait ce qui était nécessaire, et ce que l’on a fait dans tous les pays.
Voyons maintenant le paragraphe 7. Je ne veux pas discuter avec vous sur le fait de savoir si les États basent l’argumentation de leur politique étrangère sur autre chose que la guerre ; mais voyez le paragraphe 7 :
« Tous les préparatifs pour l’armement, théoriques et pratiques, devront être faits en ayant pour premier objectif d’être prêt à combattre sans qu’il y ait de période d’attente. »
C’est-à-dire que, dans la mesure où il s’agissait de la Marine, il fallait que vous fussiez prêt à une guerre immédiate, que la Marine pût être mise immédiatement sur le pied de guerre ?
Non, non, il s’agit là simplement de toutes les choses qui devaient être agréées ; le plan d’armement énumérait donc ce qu’il était le plus important d’attribuer à la Marine. Je dirai qu’il s’agissait des moyens de combat nécessaires à une lutte déclenchée sans période d’attente, c’est-à-dire en langage clair, la flotte active, qui devait toujours être prête. Il fallait qu’elle fût maintenue en état de préparation permanent et qu’elle obtînt d’abord tout ce dont elle avait besoin. C’est seulement par la suite qu’on s’occuperait d’autres questions telles que le logement des équipages, par exemple, questions qui n’intéressaient pas directement le combat.
Je crois que ceci correspond parfaitement à ce que j’affirme, à savoir que la Marine devait être prête à faire la guerre. Vous venez d’en donner là votre version.
Voulez-vous passer maintenant à la page 68 du livre de documents 10, page 285 du livre de documents allemand. C’est le document C-189, Votre Honneur. (A l’accusé.) J’en viendrai maintenant à un point que vous avez soulevé au cours de votre interrogatoire et que je dois contester. Vous dites, au paragraphe 2 :
« Le Commandant en chef de la Marine est d’avis que plus tard » — je vous prie de remarquer les mots plus tard — la flotte devra en tous cas être développée contre l’Angleterre et en conséquence, à partir de 1936, les grosses unités devront être armées de canons de 35 centimètres. »
Prétendez-vous devant ce Tribunal que « gegen England » ne veut pas dire « contre » dans le sens d’un antagonisme, mais simplement « par rapport à » ? Dites-vous cela sérieusement ?
J’ai déjà dit l’autre jour qu’il s’agit essentiellement de l’alignement sur les autres navires. Jusque-là, nous nous étions alignés sur la Marine française qui avait des pièces de 33 centimètres. Puis l’Angleterre dépassa la France et monta sur ses bâtiments des pièces de 35,6 centimètres. Puis, comme je l’ai déjà dit, la France dépassa l’Angleterre à nouveau en adoptant le calibre de 38 centimètres. Je dis donc au Führer que nos pièces de 28 que nous croyions pouvoir utiliser contre les cuirassés français du type Dunkerque ne seraient plus assez puissantes et que nous devions adopter le calibre immédiatement supérieur, c’est-à-dire 35,6, calibre qu’avaient adopté les Anglais. Mais, en fin de compte, nous ne le fîmes pas, car les Français adoptèrent des pièces de 38 centimètres, et notre type Bismarck s’aligna sur les Français.
Ces équivalences entre les calibres et les classes des bâtiments étaient habituelles et étaient également...
Vous nous avez déjà dit cela et ma question est tout à fait simple : quand, dans le texte original allemand de ce document, vous dites « gegen England » (contre l’Angleterre) ; cela signifie exactement la même chose que dans votre chanson « Wir fahren gegen Engelland » — Nous marchons contre l’Angleterre — « contre », dans un sens d’hostilité et non pas dans le sens de « par rapport à l’Angleterre » ? Voilà ce que je prétends et vous pouvez me répondre très brièvement.
Prétendez-vous dire au Tribunal que « gegen England » veut dire « par rapport à l’Angleterre » ?
C’est exactement ce que je veux dire, car il y a les mots « développer par rapport à l’Angleterre » et à ce moment-là nous n’avions pas encore conclu l’accord naval. Je n’allais donc pas penser entreprendre une politique hostile à l’Angleterre.
Reportez-vous à la page suivante, c’est le document C-190, page 67 du livre de documents anglais, page 284 du livre de documents allemand. Il s’agit de votre conversation avec Hitler le 2 novembre 1934, au cours de laquelle vous avez discuté de l’augmentation des crédits à accorder à la Marine. Voyez la fin du premier paragraphe où sont exposées les raisons de Hitler : « Il considérait comme vital que la Marine fût renforcée de la manière prévue » — écoutez bien « car il ne serait pas possible de faire la guerre si la Marine ne pouvait pas assurer la sécurité des importations de minerai Scandinave ».
Prétendez-vous toujours que dès 1934 vous n’envisagiez pas de faire la guerre ? Pourquoi Hitler aurait-il alors tenu ces propos ? C’est là un des points essentiels de la stratégie navale allemande :
« Il ne serait pas possible de faire la guerre si la Marine ne pouvait pas assurer la sécurité des importations de minerai Scandinave. »
N’envisagiez-vous pas, dès novembre, de faire la guerre ?
Hitler disait que la Marine de guerre était réorganisée afin que, si une guerre devenait nécessaire, elle pût défendre le pays en faisant usage de ses armes. Elle n’était pas faite pour autre chose et cette idée était évidemment un des fondements essentiels de l’existence d’une marine en Allemagne, car il y avait beaucoup de gens qui pensaient qu’une marine de guerre n’était pas nécessaire.
Ce que je veux vous faire comprendre, c’est ceci : vous avez déclaré au Tribunal que la Marine était purement défensive, que tous vos préparatifs étaient purement défensifs et je prétends, moi, que Hitler envisageait de faire la guerre et examinait quels seraient les objectifs d’une marine au cours de la guerre, quelques mois avant la dénonciation des clauses militaires du Traité de Versailles. Vous étiez tous prêts à faire la guerre si elle était nécessaire, et vous le saviez. N’était-ce pas cela ?
C’est là une interprétation tout à fait erronée, Monsieur le Procureur. Il est évident qu’il faut envisager dès le temps de paix les éventualités qui peuvent se présenter et pour lesquelles une intervention défensive de l’Armée est nécessaire ; à cette époque, personne ne songeait à une guerre offensive, mais il fallait envisager tous les problèmes particuliers. Un des objectifs de la Marine était incontestablement de protéger les exportations de minerai suédois et norvégien en cas de guerre. C’est en vue de ces faits qu’elle devait être organisée.
Oui. Voudriez-vous regarder la phrase suivante, au deuxième paragraphe :
« Comme je faisais remarquer qu’il serait souhaitable, en cas de tension politique, de disposer au printemps 1935 de six sous-marins déjà montés... »
Vous faisiez donc des préparatifs en vue d’une tension politique ?
Oui.
Voyons donc ce que vous prépariez en 1936.
Donnez à l’accusé et au Dr Siemers le document D-806. C’est votre rapport du 11 novembre 1936, sur le programme de constructions de sous-marins et, après le premier alinéa, vous dites au deuxième :
« La situation politique et militaire exige l’extension urgente de notre flotte sous-marine, car elle constitue, en raison de son caractère combattif, une des parts les plus importantes de notre armement naval ; elle doit donc être prise en mains avec la plus grande énergie et achevée le plus rapidement possible. »
Prétendez-vous que ce que vous demandiez là eût un caractère purement défensif et que vous ne pensiez pas à la puissance offensive qui serait nécessaire en temps de guerre ?
Dans la mesure où mes souvenirs sont exacts, toute la situation politique me faisait penser qu’il était nécessaire de donner la priorité à la construction des sous-marins. Mais je n’ai jamais envisagé qu’une guerre pût être déclenchée par nous. Hitler me l’avait toujours répété. Mais il édifiait ses plans politiques et ceux-ci risquaient sans aucun doute de nous entraîner à la guerre si d’autres puissances s’opposaient à de telles entreprises politiques. En fait, on m’a reproché de ne pas avoir suffisamment poussé la construction des sous-marins.
Cependant vous y poussez suffisamment dans ce document. Vous étiez absolument au courant de « la situation politique et militaire » et vous y adaptiez votre armement naval, n’est-ce pas ?
A cette époque, non seulement je ne savais absolument rien de ce qui allait se produire, mais je savais que nous avions occupé la Rhénanie dans la même année et que Hitler, étant donné les nuages qui se levaient à l’horizon à la suite de l’occupation de la Rhénanie, faisait preuve de la plus grande prudence et nous avait fait savoir que nous devions être parés à l’éventualité d’un conflit. C’est pour cela qu’en 1936 on nous avait donné des directives spéciales, et je pris des précautions dans le cadre de ces considérations. J’avais pour devoir de prendre garde et, sur la base de mes observations et des conclusions que j’en tirais, de renforcer mes moyens le plus possible.
Le document précédent, au sujet duquel vous ne m’avez pas posé de questions, était exactement rédigé dans le même esprit. J’y demandais si, au cas de tension politique au début de 1935 — époque à laquelle l’accord naval n’était pas encore signé, ce ne fut fait qu’en juin — nous ne devions pas, peut-être, procéder au montage de six sous-marins. Je pensais à l’éventualité d’une tension, et je savais qu’en 1935 nous allions déclarer notre indépendance en matière d’armement.
Vous nous avez dit ce que vous saviez en 1936 ; passons maintenant à 1937. Je voudrais savoir exactement ce que vous en dites. Comme vous vous en souvenez, il s’agit du document Hossbach, PS-386, qui figure à la page 81 du livre de documents 10, et à la page 314 du livre de documents allemand.
Sir David, avez-vous donné le numéro de ce dernier document ?
Je vous remercie, Votre Honneur. C’est le numéro GB-462. (A l’accusé.) Avez-vous trouvé, page 314 du livre de documents allemand ?
Pouvez-vous m’indiquer le paragraphe ? J’ai...
La première chose que je voudrais vous demander se rapporte au troisième paragraphe, la dernière phrase, suivant laquelle Hitler aurait déclaré : « L’avenir de l’Allemagne dépend donc exclusivement de la solution du problème de l’espace vital. »
Ensuite, veuillez avoir l’obligeance de passer à la page 316, page 83 du livre de documents anglais, sept lignes plus bas à peu près ; Hitler dit :« La seule issue que l’on puisse envisager, encore qu’elle puisse nous sembler chimérique, consiste à acquérir un plus grand espace vital. »
Puis, il dit :
« L’histoire de tous les temps... a montré que toute expansion ne pouvait être réalisée... qu’en brisant une résistance. »
Enfin, dans un paragraphe séparé, il dit ;
« Pour l’Allemagne, la question est de savoir où les conquêtes les plus importantes pourront être réalisées aux moindres frais. »
C’est à la page 361, avez-vous trouvé ?
Puis-je commencer par la dernière phrase ? Elle est mal traduite.
Oui, c’est justement à ce propos que je voulais vous interroger. Je voudrais simplement que vous nous disiez si vous avez entendu Hitler dire que le problème principal consistait à « réaliser aux moindres frais les conquêtes les plus importantes » ?
Non, le document anglais parle de « conquêtes » ; il n’y a rien de tel dans le document allemand, qui dit : « Le maximum d’avantages aux moindres risques » ; c’est une expression empruntée au sport et il n’est pas question de conquêtes.
Je suis tout prêt à admettre que cela vient à la suite du passage que je vous ai déjà exposé d’une manière détaillée, car je ne veux rien isoler du contexte. Estimez-vous que Hitler ait voulu dire que la seule issue pour l’Allemagne était d’obtenir un espace vital plus étendu, et que cela ne pouvait être réalisé qu’aux dépens d’autres nations ? Il a bien dit cela, n’est-ce pas ?
Oui, il l’a dit, et j’ai expliqué l’autre jour comment cela doit être entendu. Il parlait de l’Autriche et de la « Tchéquie » des Sudètes. Nous pensions que cette politique ne subirait pas de changements, et il n’y en eut pas, en effet. Il n’y eut de guerre ni contre la « Tchéquie », ni contre l’Autriche. Nous étions tous convaincus qu’il allait régler ces questions comme il avait fait pour tous les autres problèmes politiques délicats, c’est-à-dire par des moyens pacifiques. J’ai exposé tout cela très en détail.
C’est cela que j’allais vous demander et vous avez répondu par avance à la seconde de mes questions. Le reste du document traite de l’opération contre l’Autriche et la Tchécoslovaquie. Voudriez-vous vous reporter à la page 86 ? Vous serez d’accord avec moi pour admettre que le Feldmarschall von Blomberg et le général von Fritsch ne manifestaient guère d’enthousiasme pour les idées de Hitler ?
Oui.
Ils faisaient plutôt preuve d’une certaine antipathie ?
Oui.
Cela se passait en novembre 1937.
De tous temps, nous lui avions tous dit qu’en aucun cas il ne devrait entrer en guerre contre la France et l’Angleterre, et il nous avait approuvés. Mais j’ai déjà expliqué que tout ce discours avait un but bien précis et que, dans ce but, il exagéra considérablement ; il revint immédiatement sur son exagération quand lui apparut le danger que représentait une guerre avec la France et l’Angleterre.
C’est ce que j’allais vous demander. Cela se passait en novembre. En janvier, le Feldmarschall von Blomberg avait fait ce malheureux mariage, n’est-ce pas ?
Il me semble que c’était en janvier. Je ne me souviens plus exactement.
Et vous pensiez, n’est-ce pas, que c’était l’accusé Göring qui l’y avait poussé ?
Je n’ai jamais dit cela.
Vous ne l’avez pas dit ?
Non, pas que je sache ; je ne l’ai d’ailleurs jamais pensé.
Vous ne vous souvenez pas d’avoir fait une déclaration à Moscou à ce sujet ? Je vais vous la lire...
A qui ?
A Moscou, aux Russes.
« Au début de l’année 1938, je fis des expériences de nature personnelle qui, bien que ne touchant pas directement la Marine, étaient de nature à ébranler ma confiance, non seulement en Göring, mais également en la sincérité du Führer. La situation malheureuse dans laquelle se trouvait le Feldmarschall von Blomberg à la suite de son mariage le mettait dans l’impossibilité de se maintenir à son poste de Commandant en chef de la Wehrmacht. J’en vins par la suite à la conclusion que Göring, qui désirait ardemment obtenir, à la place de Blomberg, le poste de Commandant en chef de la Wehrmacht, avait encouragé ce mariage pour éliminer Blomberg alors que ce dernier croyait et disait que, dans le régime en vigueur, ce mariage était acceptable. Göring l’avait déjà fait surveiller dans le passé, comme je l’appris plus tard de sa propre bouche. »
N’avez-vous pas dit cela ?
A Moscou, peu après la débâcle, j’ai noté ce que je savais des raisons de la débâcle. J’ai rédigé ce document, dans les circonstances qui régnaient alors là-bas — où j’ai été traité d’une façon très chevaleresque — et je n’ai eu aucun scrupule à en informer le général en chef du commissariat à l’Intérieur quand on m’a demandé ce que j’avais fait.
Tout ce que je veux savoir, c’est si ce que vous avez dit est exact.
Oui. J’ai rédigé ces notes et il est également exact que j’ai eu par la suite l’idée que Göring avait favorisé ce mariage. Je crois qu’il me l’a dit ici même. Il a aidé Blomberg de telle manière que celui-ci ne sût pas de quoi il s’agissait exactement et à quel point cette affaire était grave.
Vous pensiez à l’époque que Göring avait encouragé ce mariage parce qu’il savait que cela obligerait Blomberg à quitter son poste de Commandant en chef, poste qu’il désirait occuper lui-même. N’était-ce pas ce que vous pensiez l’été dernier ?
Oui, c’est ce que je croyais l’été dernier, parfaitement, et il est incontestable que Göring aspirait à devenir Commandant en chef de l’Armée, mais le Führer lui-même fit avorter ce projet.
Voilà pour von Blomberg ; nous savons ce qu’il advint de lui. Après von Blomberg, votre choix tomba sur von Fritsch dont vous pensiez qu’il serait le meilleur commandant en chef, après le départ de von Blomberg ?
Parfaitement.
Vous avez signalé cela à Hitler ? Et...
Il m’avait interrogé et j’avais dit que je proposerais le baron von Fritsch. Mais le Führer me dit que ce n’était pas possible.
Oui, car certains reprochaient à von Fritsch d’être homosexuel, n’est-ce pas ? C’était la raison pour laquelle ce n’était pas possible.
Oui, il avait parlé, en termes généraux, d’une histoire de mœurs.
Vous faisiez partie du Tribunal qui instruisit cette affaire ? Göring en était président, vous en étiez membre ainsi que le général von Brauchitsch ?
Oui.
Et vous en avez conclu que l’accusation d’homosexualité portée contre von Fritsch avait été montée par la Gestapo. Vous comprenez ce que je veux dire ? Je crains que mon expression « frame up » soit malheureusement difficile à traduire.
Oui, c’est l’impression que m’avait faite toute cette affaire.
Parce que l’accusation avait été portée par un individu de caractère suspect qui, à votre avis, avait eu de nombreux rapports avec la Gestapo ; et au cours du procès, la collaboration de la Gestapo et du dénonciateur fut mise en lumière. C’est bien exact ? Vous en avez acquis la conviction au cours du procès, n’est-ce pas ?
Oui, parfaitement.
Vous êtes d’accord avec moi pour dire qu’il y avait eu, non pas une erreur, mais que le coupable était un capitaine de cavalerie, le Rittmeister von Fritsch, et non pas ce général ?
Oui, je suis parfaitement d’accord. Nous avons acquitté le baron von Fritsch étant donné que son innocence était prouvée. Aucun soupçon ne subsista sur sa conduite.
Vous l’avez acquitté, mais il ne fut pas réintégré dans ses fonctions par la suite ?
Non. Je suis allé le voir, car nous étions amis et je lui ai demandé s’il serait d’accord pour que j’allasse chez Hitler pour lui proposer de le réintégrer dans ses fonctions, lui, baron von Fritsch ; mais Fritsch me dit qu’il considérait cela comme absolument impossible, qu’il pensait que son autorité avait été suffisamment atteinte pour qu’il ne lui fût plus possible d’occuper le poste de Commandant en chef de l’Armée. Je ne pus malheureusement rien faire de plus. Je signalai ces faits au Führer, mais cela n’eut pas d’autres conséquences. Le Führer se contenta, au cours d’une importante réunion d’amiraux et de généraux, de confirmer l’innocence absolue du baron von Fritsch.
N’avez-vous pas dit ceci, en ce qui concerne l’incident von Fritsch :
« J’en suis venu à la ferme conviction que dans cette affaire, qui avait été soigneusement préparée, Göring avait également joué un rôle, car pour atteindre son but il lui était nécessaire d’éliminer tout successeur possible de von Blomberg... »
Vous souvenez-vous d’avoir dit cela ?
Je ne m’en souviens pas, mais je crois que c’était bien mon avis. Cependant, je dois dire en toute justice que l’acquittement de M. von Fritsch est dû, au premier chef, à la façon dont Göring mena les débats. Le témoin qui avait été cité mentait à tel point — il se contredisait toutes les dix minutes — que seul Göring put en venir à bout. Après avoir vu cela, j’étais fort heureux de n’avoir pas été nommé président de ce Tribunal, comme l’avait suggéré le ministre de la Justice. Je ne serais pas venu à bout de ces gens. Seule, l’intervention de Göring permit d’obtenir aisément l’acquittement.
Mais vous avez, je crois, déjà dit, qu’acquitté ou non, von Fritsch avait, de son propre avis, perdu toute autorité dans l’Armée allemande à la suite de l’accusation portée contre lui. Tel était le résultat. N’est-ce pas exact ?
C’était là l’opinion de M. von Fritsch. Personnellement, j’aurais insisté pour être réintégré dans mes fonctions si j’avais été acquitté de cette manière.
Ne vous sembla-t-il pas curieux que les deux personnes qui, le 5 novembre, avaient essayé de détourner Hitler d’une voie qui pouvait aboutir à la guerre aient été, l’une et l’autre, éliminées dans les deux mois ? Cela ne vous a pas semblé curieux ?
Je n’ai pas trouvé cela curieux et je ne pense pas qu’il y ait là aucun rapport. Si Hitler avait pensé à démettre de leurs fonctions les gens placés à des postes importants qui n’étaient pas de son avis pour des questions de ce genre, il aurait dû m’écarter depuis longtemps. Mais jamais il ne me dit rien à ce sujet, et jamais je ne remarquai qu’il eût dit quelque chose de ce genre quand je le contredisais. C’est précisément à propos de la question de la France et de l’Angleterre que je lui avais fait remarquer à plusieurs reprises que nous ne devions pas faire la guerre, et jamais je n’ai constaté qu’il m’en eût tenu rigueur.
Résumons la question. Six semaines après la disgrâce de Blomberg et le départ de von Fritsch, eut lieu l’AnschIuss de l’Autriche.
Prétendez-vous dire au Tribunal que vous ne saviez pas que l’on avait fait en secret des préparatifs militaires en vue de l’Anschluss de l’Autriche, alors qu’ils sont mentionnés au journal du général Jodl et que le maréchal Keitel, lui aussi, les avait exposés. Ne savies-vous pas qu’on avait menacé l’Autriche d’une opération militaire ?
Je crois n’avoir jamais participé à aucune conférence militaire au sujet de l’AnschIuss de l’Autriche, car je n’avais rien à faire avec ces questions. Je voudrais dire une fois pour toutes qu’en ce qui concerne les événements tels que l’AnschIuss de l’Autriche, j’en ai eu connaissance au moment où le Führer donnait ses instructions, car, que la Marine y prit part ou non, j’en recevais un exemplaire en tant que Commandant en chef de la Marine. Je reçus donc ces instructions dans ce cas également. Je ne me souviens malheureusement plus de la date, mais je suis certain que ces instructions ont été portées à ma connaissance.
Le point, sur lequel je voudrais insister — sans perdre trop de temps — c’est le suivant : le 5 novembre, Hitler déclara qu’il voulait obtenir l’Autriche en 1943 ou, au plus tard, en 1945, et même plus tôt si une occasion favorable se présentait. Quatre mois plus tard, en mars 1938, il prend l’Autriche après s’être débarrassé des gens qui s’étaient opposés à ses plans. Si vous n’êtes pas au courant de ces faits, ne perdons pas de temps là-dessus et examinons le cas de la Tchécoslovaquie, puisque vous avez reçu un ordre à ce sujet. Vous trouverez cela à la page 163 du livre de documents 10 (a), page 276 du livre de documents allemand : c’est la liste des destinataires des instructions concernant les opérations contre la Tchécoslovaquie. Ces instructions complètent l’ordre du 24 juin, et vous constaterez qu’on y stipule que l’exécution doit être assurée pour le 1er octobre au plus tard ; l’exemplaire n° 2 (a) pour destinataire le Commandant en chef de la Marine.
Passez maintenant à la page suivante : ce sont les instructions elles-mêmes. C’est la page 146 du livre de documents anglais, et 277-278 du livre de documents allemand. La première phrase du paragraphe 1 dit :
« Conditions politiques : j’ai pris la décision irrévocable d’abattre prochainement la Tchécoslovaquie au moyen d’une opération militaire. Il appartient aux chefs politiques d’attendre ou de provoquer le moment favorable au point de vue politique et au point de vue militaire. »
Puis-je demander où est ce passage, je ne l’ai pas trouvé.
C’est la première phrase du paragraphe 1 des instructions :
« Conditions politiques : j’ai pris la décision irrévocable d’abattre prochainement la Tchécoslovaquie au moyen d’une opération militaire. »
Toute la numérotation est embrouillée.
Je regrette, c’est aux pages 277 et 278.
J’y suis maintenant. Quelle est la date ?
28 mai 1938, c’est-à-dire six mois environ après la réunion à laquelle vous assistiez et au cours de laquelle Hitler avait déclaré qu’il attaquerait la Tchécoslovaquie à la première occasion. Cela ne vous a-t-il pas fait penser que le discours de Hitler en novembre n’était pas de simples paroles en l’air, mais un exposé de ses projets ?
Non, car il passa tout l’été à changer ses plans. Chaque mois intervenait une nouvelle décision, comme on peut le déduire du document PS-388. Je crois me souvenir que le 10 septembre eurent lieu certaines concentrations de troupes et que le même jour on entama des pourparlers ; le 1er octobre, eut lieu l’occupation pacifique des Sudètes, qui avait été approuvée à Munich par les autres puissances. Après les négociations de Munich...
Nous savons tout cela. Il est tout à fait clair...
Laissez-moi terminer, je vous prie.
Tels étaient, au mois de mai, les plans de Hitler, et le Führer avait déclaré dans ses discours qu’il avait décidé d’abattre, à la fin du mois de mai, la Tchécoslovaquie au moyen d’une opération militaire. Prétendez-vous dire au Tribunal qu’après avoir lu ces instructions, vous pensiez néanmoins que Hitler n’avait pas d’intentions agressives ? Voilà ma question.
Oui, à la fin de mai.
Quelle autre preuve voudriez-vous avoir que sa détermination personnelle d’abattre la Tchécoslovaquie ? Quelle meilleure preuve pouvez-vous demander ?
Il disait très souvent qu’il allait briser quelque chose, et il n’en faisait rien. Il a ensuite résolu le problème de façon pacifique. J’ajouterai que le 30 mai, je crois, après qu’on ait procédé à la mobilisation en Tchécoslovaquie, et c’est pourquoi il utilisa des termes aussi violents... A mon avis il était dans son droit, car la mobilisation tchèque ne pouvait être dirigée que contre l’Allemagne et, comme je vous l’ai dit, il avait changé d’avis trois ou quatre fois au cours de l’été, disant qu’il réservait sa décision ou qu’il ne voulait pas faire usage des armes.
Le Tribunal se souvient de l’ensemble de ce document PS-388. Je ne veux pas discuter sur ce point. Vous dites qu’il ne vous convainc pas. Quand Hitler entra à Prague le 15 mars 1939, quand il occupa la partie slave de la Bohême et de la Moravie, allant ainsi à rencontre de son principe « L’Allemagne aux Allemands », n’avez-vous pas pensé qu’il y avait une part de vérité dans ce qu’il avait dit le 5 novembre 1937, qu’il n’avait peut-être pas plaisanté, ni dit des paroles en l’air ?
Il avait donné des instructions dans lesquelles était indiqué qu’il fallait prévoir pour l’année :
1. La défense de l’Allemagne vis-à-vis de l’étranger.
2. La liquidation du reste de la Tchécoslovaquie pour le cas où elle ferait une politique hostile à l’Allemagne.
Je n’avais jamais entendu parler des négociations avec Hacha et de la décision, prise à leur issue, d’entrer en Tchécoslovaquie. Je savais simplement que, d’après ces instructions, il avait l’intention de prendre des mesures contre la Tchécoslovaquie au cas où ce pays ferait une politique anti-allemande ; la propagande d’alors déclarait que c’était effectivement le cas. Mais je n’avais rien à voir à l’entrée en Tchécoslovaquie pas plus qu’avec l’occupation des Sudètes, car tout ce que nous aurions pu fournir, c’est-à-dire notre petite flotte du Danube, était, pour la circonstance, aux ordres de l’Armée de terre, de sorte que je n’avais absolument pas à m’en occuper. Il n’y eut pas d’autres ordres militaires.
Vous répondez donc que même quand Hitler entrait à Prague en mars 1939, vous pensiez toujours qu’il n’avait aucune intention agressive. Est-ce bien ce que vous désirez faire croire au Tribunal ?
Parfaitement, je prie le Tribunal de le croire, car je pense qu’il n’avait pas l’intention de combattre, de faire la guerre à la Tchécoslovaquie. D’ailleurs, les pourparlers avec le Président Hacha aboutirent effectivement à éviter la guerre.
Vous avez entendu l’accusé Göring déclarer au cours de sa déposition qu’il avait dit au Président Hacha que Prague serait bombardée s’il n’acceptait pas. Si ce n’est pas là la guerre, cela n’en est pas très loin.
Pas très loin, en effet, c’est une menace.
Continuons donc et avançons de deux mois. Si vous ne vous en êtes pas aperçu en mars... le 23 mai, quand vous êtes arrivé à la chancellerie, il y avait là six officiers supérieurs, dont vous. Hitler déclara qu’il allait vous faire un exposé sur la situation politique. Cet exposé consista à vous dire : « Il ne nous reste que la solution d’attaquer la Pologne à la première occasion ». Lorsque vous avez entendu dire cela, le 23 mai ; pensiez-vous toujours qu’il n’avait pas d’intentions agressives ?
Je l’ai pensé encore longtemps après, exactement comme le général Jodl qui disait : « Puisqu’il a résolu le problème tchèque sur le plan politique, il faut espérer qu’il réglera de même la question polonaise sans effusion de sang ». Cela, je l’ai cru jusqu’au dernier moment, jusqu’au 22 août.
Jetez donc un coup d’œil — cela ne sera pas long — sur le document L-72 qui se trouve, je crois, à la page 74 du livre de documents 10. Je m’excuse, c’est à la page 298 du livre de documents allemand. Je ne veux pas vous interroger sur ce document, car le Tribunal en a déjà traité, mais je voudrais que vous voyiez qui étaient les assistants.
Je connais les personnes qui se trouvaient là.
Voyons donc : le lieutenant-colonel Schmundt, qui devint plus tard général et premier aide de camp de Hitler et qui fut tué le 20 juillet 1944 ; puis l’accusé Göring, Commandant en chef de l’Armée de l’air ; vous-même, en qualité de Commandant en chef de la Marine ; le général von Brauchitsch, Commandant en chef de l’Armée de terre ; le général Keitel, chef de l’OKW ; le général Milch, adjoint de Göring ; Halder, chef d’État-Major ; Schniewind, qui était votre chef d’État-Major, et Jeschonnek qui était, je crois, un chef d’État-Major ou un haut...
Chef d’État-Major de la Luftwaffe.
Oui. Et le colonel Warlimont, qui représentait le général Jodl. A votre avis, pourquoi Hitler avait-il réuni tous ces officiers et pourquoi leur a-t-il dit : « Il ne nous reste qu’à attaquer la Pologne à la première occasion » s’il n’avait pas d’intentions agressives ? Pourquoi toutes ces personnes étaient-elles là si ce n’est pour préparer la guerre ?
J’ai déjà expliqué que le but essentiel de cette réunion, comme cela ressort de la dernière partie de cet exposé, était une conférence purement académique sur la conduite de la guerre, conférence sur les bases de laquelle devait être créé un état-major d’études auquel s’étaient violemment opposés depuis longtemps les chefs de la Wehrmacht. J’ai déjà expliqué au début que son exposé était le plus confus que j’eusse jamais entendu en la matière, et qu’il ne donna aucune instruction à ce sujet ; les dernières lignes finissaient simplement par : « Les différentes armes de la Wehrmacht déterminent elles-mêmes les constructions à entreprendre. Aucune modification ne sera apportée au programme de constructions navales. Les programmes d’armement doivent être terminés pour 1943 ou 1944. » S’il disait cela, il était impossible qu’il eût l’intention, dans un proche avenir, de régler par les armes la question polonaise.
Prétendez-vous affirmer devant le Tribunal que lorsqu’il disait : « Nous ne pouvons pas nous attendre à une répétition de l’affaire de Tchécoslovaquie ; d’autres succès ne pourront pas être obtenus sans effusion de sang », vous n’y avez pas fait attention ? Déclarez-vous sérieusement au Tribunal que vous n’y avez pas fait attention ?
Oui, certainement, car je commençais à connaître Hitler et les exagérations de ses propos.
Vous aviez déjà reçu à cette époque les instructions en vue d’une attaque par surprise sur Dantzig, en novembre 1938. Vous aviez reçu le 3 avril des instructions pour le « Fall Weiss » et vous saviez que toute l’affaire était en train. Voudriez-vous sérieusement faire croire au Tribunal accusé, que vous doutiez encore, après le 23 mai, que Hitler eût l’intention de faire la guerre à la Pologne et qu’il fût tout prêt à engager la lutte contre la France et l’Angleterre si ces pays satisfaisaient aux obligations de leur garantie ? Je voudrais, avant la suspension d’audience, vous donner cette chance : prétendez-vous vraiment que vous en doutiez ?
Parfaitement. J’ai déjà dit qu’au mois d’août, j’en doutais encore. Ainsi, par exemple, si vous vous appuyez sur ce discours, je peux, moi, vous opposer, comme je l’ai déjà fait, le discours que Hitler avait prononcé quelques semaines auparavant à l’occasion du lancement du Bismarck, discours dans lequel il ne parlait que de la paix, de la véritable justice. Ces discours ont été déterminants pour moi. Ce n’est donc pas cette conclusion que j’avais tirée de ce discours, qui a été reproduit de manière si confuse, et la preuve en est que, pendant tout l’été, je n’ai pas fait à la Marine la moindre allusion au fait qu’une guerre pourrait éclater à l’automne. Cela m’a été confirmé ici même, et pourrait être confirmé par n’importe qui. Je plaçais très haut l’habileté politique de Hitler et j’étais convaincu, le 22 août encore, au moment où l’on nous informa du pacte avec la Russie, qu’il réussirait une fois encore à régler le conflit d’une manière pacifique. C’était ma conviction. On peut peut-être me reprocher de m’être trompé, mais je croyais avoir bien jugé Hitler.
Si je comprends bien, vous dites que, même le 22 août, vous ne pensiez pas que Hitler eût des intentions agressives ? Est-ce vraiment cela que vous voulez dire ?
Oui, et j’avais pour cela de bonnes raisons, puisque nous avions la perspective d’être les alliés de la Russie. Il avait exposé les nombreuses raisons pour lesquelles l’Angleterre et la France n’interviendraient pas ; et nous tous, qui étions réunis là, nous en tirions l’espoir sincère qu’il réussirait une fois encore à se tirer de cette affaire sans combattre.
Monsieur le Président, n’est-il pas temps de suspendre l’audience ?