CENT TRENTE-CINQUIÈME JOURNÉE.
Mardi 21 mai 1946.
Audience de l’après-midi.
(Le témoin Karl Severing est à la barre.)Le Tribunal ne siégera pas samedi matin. Monsieur Dodd, pourriez-vous nous dire où nous en sommes en ce qui concerne les documents de l’accusé von Schirach, de l’accusé Sauckel et de l’accusé Jodl ?
En ce qui concerne von Schirach, nous attendons la décision du Tribunal quant aux documents dont nous avons entendu la lecture samedi. Pardon, ceci se rapporte à Seyss-Inquart. Je n’étais pas certain que les documents fussent prêts. Ils le sont tous, traduits et déjà assemblés sous forme de livres.
Sera-t-il encore nécessaire de délibérer sur ces documents ?
Je ne crois pas, Monsieur le Président.
Très bien. Nous pouvons donc admettre que de nouvelles délibérations à ce sujet sont inutiles.
Non, nous n’avons pas besoin d’argumenter sur les documents de von Schirach. En ce qui concerne Sauckel, j’ai demandé à mes collègues français où en sont les choses, puisque ce sont eux qui ont la responsabilité principale. Et autant que cela entre en ligne de compte pour le, Ministère Public, j’apprends que M. Herzog, du Ministère Public français, doit arriver d’un moment à l’autre. Il pourra nous donner des indications précises.
Bien. Nous pourrons donc en terminer avec cela plus tard. Schirach, en tout cas, est prêt à continuer ?
Il est prêt à continuer.
Très bien.
Sir David a les renseignements qui concernent l’accusé Jodl.
Votre Honneur, en ce qui concerne les documents Jodl, la question est la suivante : le Dr Jahrreiss m’a montré, peu avant Pâques, un recueil provisoire de documents dont tous, excepté quatre, avaient été déjà produits. C’est pourquoi ils n’ont été l’objet d’aucune objection. Votre Honneur, les quatre autres documents étaient tous très courts ; je considère deux d’entre eux comme contestés, car ils se rapportent à de soi-disant crimes de guerre commis par l’un des Alliés. Mais étant donné leur brièveté, Votre Honneur, j’ai cru que le mieux serait de les traduire, car chacun d’eux ne comprend qu’une page environ, de sorte qu’une fois traduits, tout obstacle tombera, et le Tribunal pourra prendre rapidement sa décision.
Bien. Puisqu’il n’y a que quatre documents, dont deux pourraient être contestés, on pourra en terminer quand viendra le moment d’en entendre la lecture.
Il n’y en a que deux, Votre Honneur.
Nous n’aurons donc pas besoin d’une audience spéciale ?
Non, Votre Honneur, certainement pas. Nous pouvons en finir en quelques minutes.
Monsieur le Président, je voudrais dire quelques mots au sujet des documents de Jodl. A cause d’un seul document, nous avons précisément de grosses difficultés. Il s’agit de l’affidavit Lohmann, que nous avons produit en allemand et qui n’a pas été traduit en anglais, sous prétexte que seuls les documents acceptés par le Ministère Public pouvaient l’être, et le Ministère Public se base sur ce principe qu’il ne peut se prononcer sur ce document parce qu’il n’est pas traduit en anglais. J’ai voulu présenter au Tribunal cette brève intervention, dans l’espoir que le Tribunal en décidera.
Monsieur le Président, contre l’affidavit Lohmann, qui est très court et qui porte essentiellement sur le caractère de Jodl, nous n’avons réellement rien à objecter, mais force m’est de remarquer que le Tribunal ne l’a pas encore expressément admis. Le Tribunal a ordonné...
S’il a été accepté pour être traduit, cela suffit absolument.
Votre Honneur, je suis entièrement d’accord ; il ne s’agit que d’une seule page.
Oui, très bien. Alors, faites-le traduire.
Plaise au Tribunal. A cette phase du cas Raeder, il semble opportun au Ministère Public de déclarer qu’il ne désire pas provoquer un contre-interrogatoire du témoin Lohmann, aussi bien sur les documents présentés au Tribunal que sur les faits mentionnés dans l’affidavit qui ont été traités par mon honorable collègue Sir David Maxwell-Fyfe hier même, lors du contre-interrogatoire de Raeder, compte tenu du fait aussi que nous gagnerons du temps.
Est-ce que d’autres représentants du Ministère Public désirent contre-interroger Lohmann ?
Non, Votre Honneur.
Est-ce que l’un des avocats désire poser des questions à Lohmann ?
Très bien. Autant que je sache, le témoin Lohmann a été gardé ici ; il serait bon d’informer l’huissier audiencier qu’il n’a pas besoin d’attendre.
Monsieur le Président, je désire, au nom du Ministère Public français, prendre position relativement aux documents qui ont été produits par l’avocat de l’accusé Sauckel. Je n’ai rien à objecter contre la production de ces documents ; mais, bien entendu, avec cette réserve qu’après leur production une décision soit prise à leur sujet. Nous n’avons, en tout cas, aucune objection à élever contre la présentation et la traduction de ces documents.
Pensez-vous qu’il soit nécessaire ou désirable que nous consacrions une discussion spéciale à l’admissibilité de ces documents ? Ou bien cela peut-il se faire au cours de l’examen du cas Sauckel ? Je viens d’apprendre que les documents ont été examinés dans le but de les faire traduire. Ils sont maintenant traduits. Si vous estimez nécessaire qu’un débat ait lieu quant à leur admissibilité avant que nous entamions l’examen du cas Sauckel, nous aimerions le savoir. Autrement, ils seront examinés au cours de l’audience consacrée à Sauckel.
Je crois, Monsieur le Président, qu’il suffit que le Tribunal les examine au cours de l’examen du cas de l’accusé Sauckel. Il ne me paraît pas indispensable qu’une discussion soit consacrée spécialement à ces documents.
Très bien.
Monsieur le ministre Severing, autant que je peux le constater, vous n’avez pas encore, par inadvertance, répondu clairement à une question que je vous ai posée. En ce qui concerne les camps de concentration, vous avez dit avoir entendu parler de cas particuliers, que vous avez énumérés. Afin d’éviter tout malentendu, je voudrais encore vous demander pour conclure : avez-vous eu connaissance des assassinats en masse dont il a été parlé au cours de ce Procès, à Auschwitz par exemple, où environ 2.000 personnes étaient brûlées chaque jour après leur passage dans les chambres à gaz ? Avez-vous eu connaissance de ces faits avant la débâcle ou bien n’en saviez-vous rien ?
Je n’ai rien su de ces massacres, qui ne furent connus en Allemagne qu’après l’écroulement du régime hitlérien, en partie par la presse ou par les débats du Procès.
Monsieur le ministre, qu’ayez-vous pu entreprendre, vous et vos amis du Parti, sous le régime national-socialiste, contre le régime de terreur national-socialiste que vous aviez, en partie, révélé ? Avez-vous été soutenu, dans ce but, d’une façon quelconque, par l’étranger ?
Si vous limitez votre question à me demander ce que mes amis politiques et moi pouvions faire et ce que nous avons fait après le 30 janvier 1933 pour lutter contre la terreur hitlérienne, il me faut vous dire : peu de chose. Cela se bornait à ce que, dans quelques villes, les adversaires du nazisme se réunissaient et discutaient comment, au moins dans la propagande, on pouvait lutter contre la terreur hitlérienne. Une révolte ouverte était impossible. Je tiens cependant à attirer l’attention sur ce point : le 30 janvier, personnellement, j’ai fait une tentative décisive ou qui, à mon avis, aurait pu être décisive, pour lutter contre le régime hitlérien. En automne 1931, j’avais eu un entretien avec le chef de la direction de l’Année, von Hammerstein, et, au cours de cette conversation, von Hammerstein me déclara que la Reichswehr n’admettrait pas que Hitler prît le siège de la présidence du Reich. Je me souvins de cette conversation et, le 30 janvier 1933, je fis demander à M. von Hammerstein s’il était prêt à avoir un entretien avec moi. A cette occasion, je voulais lui demander s’il était toujours d’avis que la Reichswehr, non seulement ne se plierait pas à un régime hitlérien, mais encore s’opposerait à un pareil régime. M. von Hammerstein me fit répondre qu’il était, en principe, disposé à avoir avec moi un entretien, mais que le moment était mal choisi. Cet entretien n’a jamais eu lieu.
Si vous me demandez, maître, si mes amis politiques, dans tous leurs efforts pour lutter contre le régime hitlérien, tout au moins au point de vue propagande, en ont trouvé les moyens, grâce à l’aide de personnalités étrangères, que l’on aurait pu intéresser comme antifascistes, il me faut, vous dire : malheureusement, non. Au contraire, avec une peine infinie, nous avons souvent constaté que des membres du parti ouvrier anglais, non pas des personnalités officielles, mais des particuliers, étaient les hôtes de Hitler et, une fois rentrés en Angleterre, glorifiaient le Chancelier Hitler comme un apôtre de la paix. Je nommerai simplement Philip Snowden, et le doyen du parti travailliste Lansbury par exemple. Je voudrais à ce sujet ajouter ceci : en l’année...
L’attitude de partis politiques dans d’autres pays n’a rien à voir avec les questions que nous avons à trancher ici, absolument pas.
Je crois que cela suffit. Je n’ai plus d’autres questions à poser ; je vous remercie, Monsieur le ministre.
Monsieur le ministre, à l’époque où vous exerciez vos fonctions, le chiffre de 100.000 hommes autorisé par le Traité de Versailles pour l’armée régulière a-t-il été dépassé ?
Je n’en ai pas eu officiellement connaissance, mais je ne crois pas que ce fût le, cas.
Savez-vous quelque chose quant au fait que, à la fin de 1932, la Société des Nations a consenti, ou tout au moins laissé espérer, que les effectifs seraient portés à 300.000 hommes ?
A cet égard non plus, je ne peux officiellement donner aucune indication. Je puis cependant déclarer ceci : je reçus en 1932, d’un de mes amis du Parti, le Dr Rudolf Breitscheid, qui était membre de la Société des Nations, une lettre dans laquelle il me parlait de bruits qui couraient à ce sujet, mais à cette communication s’en ajoutait une autre...
Docteur Laternser, nous ne croyons pas que des bruits, dans ce Procès, soient pertinents. Il dit qu’il ne peut pas nous donner de renseignements officiels ; puis il commence à nous rapporter des rumeurs. Nous ne voulons pas entendre parler de rumeurs.
Monsieur le Président, ce que dit le témoin dépasse un peu les rumeurs, et je crois que vous pourrez en juger vous-même, vraisemblablement, quand il aura répondu complètement à la question.
Il parle de rumeurs. Si vous avez une autre question à poser, vous pouvez la lui poser.
Est-ce que l’augmentation de l’Armée de 100.000 à 300.000 hommes s’est manifestée en quelque sorte sous une forme tangible, par exemple sous la forme de débats ou d’échanges d’avis avec d’autres services ?
Je viens de dire que le Dr Rudolf Breitscheid était membre de la Société des Nations et que les communications qu’il m’avait faites reposaient sûrement sur des bases solides. Il m’a dit que l’augmentation des effectifs avait été envisagée, probablement aux dépens de la Police. C’est de cela que le Dr Rudolf Breitscheid m’a informé.
Je vous remercie, je n’ai plus d’autres questions à poser.
Monsieur le ministre, vous nous avez dit à l’instant que vous n’aviez eu connaissance des assassinats de Juifs à Auschwitz qu’après la débâcle. Avez-vous eu connaissance d’autres faits et d’autres mesures prises contre les Juifs et que vous pourriez désigner comme actes criminels ?
J’ai vécu personnellement encore un fait de ce genre. En 1944, un de mes amis de Bielefeld, Karl Henkel, a été arrêté, envoyé dans un camp de travail près d’Emden et fusillé le troisième jour.
Savez-vous qui l’avait arrêté, quelle autorité ?
C’est la Gestapo de Bielefeld qui l’a arrêté.
Cela a-t-il été fait au cours d’une rafle ? Ou bien était-ce un cas individuel ?
Je pense que c’était un cas individuel.
Avez-vous entendu parler à cette époque de plusieurs cas individuels ?
En 1944, je n’ai pas entendu parler de cas individuels d’assassinats, mais de déportations, de certaines villes de Westphalie, vers des lieux inconnus.
Quelle était l’autorité chargée de ces transports ?
Je ne peux pas vous le dire exactement. Je suppose que c’était la Gestapo.
Êtes-vous d’avis que la grande masse de la population avait connaissance de ces faits ?
Des transports, oui, car le plus souvent ils étaient pratiqués ouvertement.
Êtes-vous d’avis que les gens en avaient pleinement connaissance, comme les membres des organisations, par exemple le SS moyen, ou bien pensez-vous que le SS moyen en savait davantage qu’un autre.
Oh oui, puisqu’il était informé de la destination de ces transports.
J’ai cru comprendre, pourtant, que vous avez dit que ces transports n’étaient pas escortés par les SS ; vous avez parlé de la Gestapo.
Oui, j’ai dit avoir supposé que la Gestapo avait ordonné les arrestations et les pillages, mais je n’ai pu assurer que seule la Gestapo en assumait la responsabilité.
Et les autres mesures, en dehors des déportations, par exemple un pogrom local, si j’ai bien compris, vous n’en avez pas entendu parlez souvent ?
Des pogroms locaux, il s’en est produit en 1938.
Lors de ces mesures, que nous avons entendu mentionner souvent, avez-vous fait vos propres constatations ou bien étiez-vous chez vous ?
J’étais chez moi. Je n’ai pu, après coup, que constater les effets de ces pogroms, c’est-à-dire que des magasins juifs avaient été détruits et des synagogues incendiées.
Et à quelles organisations ou à quels groupes imputez-vous ces événements ?
Ce n’est sans doute pas un jugement valable, mais je le dis très ouvertement, aux SA ou aux SS.
Et comment basez-vous cette accusation justement sur ces deux groupes ?
Parce que les membres de ces groupements à Bielefeld, où j’habitais, étaient précisément désignés comme les auteurs de ces incendies de synagogues.
Par qui ?
Par la population en général, et même désignés par leurs noms.
Vous avez eu connaissance des camps de concentration. Pouvez-vous encore vous rappeler à quelle date, tout d’abord ? Il est important de constater au moins en quelle année.
Non, je ne peux le dire pour l’instant. Je ne le peux qu’en citant tel cas particulier. Par exemple, le premier crime commis dans un camp de concentration m’a été connu lorsque j’ai appris qu’au camp de Papenburg, l’ancien député au Reichstag et préfet de Police d’Altona avait été fusillé. Ce pouvait être en 1935 ou en 1936, je ne le sais plus exactement.
Et plus tard, avez-vous entendu parler de cas semblables, ou bien en avez-vous eu directement connaissance ?
Directement, ce qui signifie d’une façon si certaine que je pourrais, en toute conscience, produire devant le Tribunal tout un matériel de preuves pour les cas que j’ai exposés ce matin.
Vous a-t-on dit que les camps de concentration étaient des lieux où l’on internait les adversaires politiques du régime, sans que rien ne leur arrivât de plus grave que la privation de leur liberté ?
Si l’on m’a dit cela ?
Si on vous l’a dit, si vous l’avez entendu dire ?
Non, au contraire. J’ai entendu dire que, parmi la population, les camps de concentration représentaient le summum de l’horrible.
Que voulez-vous dire par « la population » ? Y comprenez-vous aussi des fractions de la population ayant des rapports officiels avec le Parti, de modestes membres du Parti, des gens des SS, des SA, etc. ?
Je ne peux rien vous dire à ce sujet parce que j’ai aimé n’avoir d’entretiens qu’avec des adversaires du régime, presque exclusivement.
Croyez-vous que ces adversaires, avec lesquels vous vous êtes entretenu, constituaient un front unique contre tous ceux qui portaient un insigne du Parti ?
Non, cette question, maître, que vous agitez là, touche de larges couches de la population, de même que tout sentiment humain général d’indignation envers les faits dont la nouvelle était jusque là parvenue de ces camps.
Ma question avait pour but de savoir si cette indignation était également partagée par les gens qui arboraient l’insigne du Parti ?
Je le crois, seulement je ne peux l’affirmer au Tribunal comme un fait.
Est-ce que ces gens subissaient aussi cette énorme oppression à laquelle vous venez de faire allusion ?
Je pense qu’ils se sentaient en quelque sorte immunisés par leur appartenance au Parti.
Croyez-vous que beaucoup d’entre eux sont devenus membres afin de parvenir à cette si favorable immunisation ?
Oui, je le crois.
J’ai entendu dire que vous avez fait partie vous-même de la NSV. Est-ce exact ?
Non.
Est-il exact qu’après le 20 juillet 1944 vous avez été arrêté ?
J’ai déjà répondu à cette question ce matin. Non, je n’ai pas été arrêté.
Vous n’avez jamais été arrêté ?
Non, à l’exception du cas que j’ai énoncé ce matin.
N’avez-vous pas exprimé l’opinion que ce qui avait été réalisé dans le domaine social après 1933 avait été, dans les grandes lignes, l’idéal des Gouvernements précédents ?
En effet, j’ai exprimé cela de cette façon : ce qui était nouveau n’était pas bon, et ce qui était bon n’était pas nouveau.
Croyez-vous qu’un Allemand, qu’il fût membre du Parti ou SS ou non, devait connaître les faits qui se sont passés et dont vous n’aviez pas connaissance ?
Devait connaître, non, je ne vais pas jusque là, mais il pouvait en avoir connaissance.
Et que voulez-vous dire par « pouvait en avoir connaissance » ?
Par les membres des transports de colonnes, qui ne restaient pas toujours dans les camps de concentration, mais qui en revenaient après.
Et s’ils étaient liés par une sévère consigne de silence ?
Alors ils ne pouvaient rien raconter.
Connaissez-vous des cas où des gens ont été condamnés parce qu’ils avaient divulgué certaines choses ?
Non.
Vous n’avez pas entendu parler de tribunaux d’exception ?
Non, en tout cas pas de cette tâche spéciale des tribunaux d’exception.
Et pourtant les journaux mentionnaient des condamnations « d’écouteurs marrons » et de gens qui avaient fait courir de tels bruits, comme on disait. Vous ne les avez pas lus ?
Non.
Témoin, je n’ai qu’une question à vous poser. Vous nous avez dit ce matin qu’en 1919 vous étiez membre de l’Assemblée nationale de Weimar. Puis-je vous demander quelle attitude l’Assemblée nationale, et en particulier la fraction sociale-démocrate que vous dirigiez, a prise vis-à-vis du problème de l’Anschluss autrichien ?
Lors des sessions de l’Assemblée nationale de Weimar, j’étais commissaire du Reich et de l’État du pays rhénan et je n’ai pu que rarement participer aux séances. C’est pourquoi je ne sais pas en détail comment ces questions ont été posées ou formulées. Mais, ce que je sais, c’est que l’Assemblé nationale, presque unanimement, a manifesté sa volonté d’insérer dans la constitution un paragraphe ou un texte préconisant le rattachement de l’Autriche à l’Allemagne.
Je vous remercie. Je n’ai pas d’autres questions.
Est-ce que le Ministère Public désire contre-interroger le témoin ?
Monsieur le ministre, vous avez dit au Tribunal qu’en 1928 l’accusé Raeder vous a formellement assuré qu’il n’y aurait plus de violations du Traité de Versailles sans que le Cabinet du Reich en fût avisé. Est-ce que Raeder a respecté cette assurance ?
J’ai déjà déclaré ce matin que je ne pouvais me prononcer d’une manière aussi positive. Je ne peux que répéter que des infractions aux conventions du 18 octobre 192.8, de la part de la Marine, ne me sont pas connues.
Saviez-vous quelque chose, par exemple, de la construction à Cadix, en Espagne, d’un sous-marin de 750 tonnes, sous direction allemande, entre les années 1927 et 193l ?
Non, non.
Monsieur le Président, ce fait est justifié par le document D-854. Et saviez-vous, Monsieur le ministre, qu’après son achèvement, en 1931, ce sous-marin a effectué des essais sous direction allemande, avec du personnel allemand ?
Non, je n’en savais rien non plus.
Je crois qu’il a dit ne rien savoir de toutes ces violations.
Je vous cite certains faits et je vous donne à entendre, Monsieur le ministre, que vous avez peut-être été trompé à cette époque. Êtes-vous d’accord sur ce point ?
Oui, je ne nie pas avoir été trompé, mais je déclare de la façon la plus catégorique que j’ignorais tout de la construction d’un sous-marin.
Je voudrais que vous vous reportiez au document C-156. C’est un nouvel extrait de l’ouvrage du capitaine Schüssler : Le combat de la Marine contre le Traité de Versailles. Les insertions proviennent des pages 43 et 44 :
« En 1930, Bartenbach réussit à créer, également en Finlande, les conditions préalables à la construction d’un sous-marin répondant aux exigences militaires de la Marine allemande. Le chef de la Direction de la Marine, l’amiral Dr h. c. Raeder, se basant sur les exposés du chef de l’État-Major général de la Marine, le contre-amiral Hensinger von Waldegg et du capitaine Bartenbach, décida l’octroi des crédits nécessaires à la construction du bâtiment en Finlande. Un type de 250 tonnes fut choisi pour ce navire, de sorte que le montant de 1.500.000 Mark fut suffisant pour réaliser ce projet. L’idée prépondérante était de créer un prototype de sous-marin qui permît de préparer discrètement la construction du plus grand nombre possible d’unités pouvant être montées dans le délai le plus bref. »
Monsieur le ministre, saviez-vous que 1.500.000 Mark furent dépensés, en 1930, pour la construction de ce sous-marin ?
J’ai déclaré ce matin que j’ai été ministre de l’Intérieur du Reich de 1928 à 1930. Je crois qu’il est nécessaire de bien préciser ces dates. C’est le 30 mars 1930 que j’ai résilié mes fonctions. S’il est fait mention ici de l’année 1930 en général, il n’est pas impossible que les faits exposés ici se soient produits après le 30 mars.
Vous avez dit que le réarmement qui se poursuivait, alors que vous apparteniez au Gouvernement, était purement défensif. Quand vous êtes-vous rendu compte que le réarmement poursuivi par le Gouvernement national-socialiste n’était pas défensif, mais, au contraire, offensif ? A quel moment êtes-vous arrivé à cette conclusion ?
A partir du 30 janvier 1933 ; car, dès l’instant où eurent lieu l’élection de Hitler et sa nomination de Chancelier du Reich, nous fûmes persuadés, mes amis politiques et moi, que cela signifierait en même temps la guerre.
De sorte que vous saviez, dès l’accession des nazis au pouvoir, que le Gouvernement nazi avait l’intention d’employer la force ou la menace pour parvenir à ses fins politiques. Est-ce exact ?
Je ne sais pas si « savoir » ou « être convaincu » sont deux choses identiques. Mais j’en étais convaincu ainsi que mes amis politiques.
Je désire vous poser encore une ou deux questions au sujet de l’accusé von Papen. Est-ce que von Papen a employé la violence dans l’exécution du coup d’État qui le porta au pouvoir en juillet 1932 ?
Personnellement, M. von Papen n’a jamais employé la force, mais il l’a ordonnée. Lorsque le 20 juillet 1932, je me suis refusé à passer les affaires du ministère prussien de l’Intérieur, de plein gré, au successeur nommé par M. von Papen, je lui ai déclaré que je n’y étais nullement disposé et, pour accentuer encore davantage cette protestation, j’ai ajouté que je ne céderais qu’à la force. Ce recours à la force eut lieu le soir du 20 juillet, dans mon cabinet. Apparurent alors le nouveau préfet de Police de Berlin, accompagné de deux officiers de Police. J’ai alors demandé à ces messieurs s’ils étaient habilités par le Président du Reich et par le chancelier à procéder à cette exécution, et lorsqu’ils répondirent affirmativement, je leur déclarai qu’afin de ne pas donner prétexte à une effusion de sang, je quitterais mon ministère.
L’accusé Papen a-t-il, une fois au pouvoir, épuré la Police et les offices gouvernementaux des adversaires du nazisme ?
Bien des indices faisaient présumer que l’intention était bien d’épurer la Police de ses éléments républicains et de les remplacer par d’autres, dévoués à M. von Papen, et plus tard aux nazis.
Je voudrais vous poser encore une ou deux questions relatives à l’accusé Göring.
L’accusé Göring a déposé le 13 mars 1946 que l’institution de la détention de protection ou « Schutzhaft » existait déjà avant la prise du pouvoir par les nazis. Est-ce exact ?
L’institution de la détention de protection existait, puis-je dire, en théorie, et a même été formulée, en dernier lieu, dans la loi prussienne sur l’administration de la Police, au paragraphe 15. Dans l’exercice de mes fonctions, il n’en a jamais été fait usage dans la vie civile normale. Mais les clauses du paragraphe 15 de cette loi précisaient expressément que, si un individu était mis en détention préventive, l’administration était tenue de le traduire en justice dans un délai de vingt-quatre heures. Cela n’a rien de commun avec la détention de protection qui fut imposée à de paisibles citoyens pendant des dizaines d’années.
Et, bien entendu, il n’y eut pas de camps de concentration en Allemagne avant le régime nazi ?
Jamais.
Combien, parmi vos collègues et amis du parti social-démocrate, ont été assassinés dans des camps de concentration, alors que Göring était encore chef de la Gestapo ?
Il m’est très difficile de donner des chiffres. On pourrait dire 500, on pourrait dire aussi bien 2.000. On est en train d’établir des listes sûres. J’estime à 1.500 au moins le nombre des sociaux-démocrates ou fonctionnaires de syndicats ou rédacteurs qui ont péri.
Combien de chefs communistes, à votre avis, ont été assassinés tant que Göring est resté à la tête de la Gestapo ?
J’estime que si l’on considère aussi comme chefs communistes, les fonctionnaires des syndicats qui étaient d’appartenance communiste, on arriverait à un chiffre sensiblement égal.
Göring a-t-il eu personnellement connaissance de ces exécutions ?
Je ne puis pas le dire. Si je voulais répondre à cette question, je devrais me demander à moi-même ce que j’aurais fait dans le cas où, parmi mes obligations, il m’eût également incombé d’administrer des camps dans lesquels il était décidé du sort de centaines de milliers de personnes. Je ne sais si le Tribunal trouverait quelque intérêt à entendre citer deux exemples qui se situent au cours de mon mandat : en 1925, j’ai dû installer un camp pour des fugitifs venant de Pologne...
Vous n’avez pas besoin de préciser, Monsieur le ministre.
Non ? En tout, cas, j’aurais considéré comme mon suprême devoir de rechercher s’il avait été procédé selon des principes humanitaires. Je n’ai pas l’impression que cela se soit jamais produit. J’ai toujours appelé l’attention de mes fonctionnaires de la Police sur ce qu’ils étaient les serviteurs du peuple, que chacun devait, dans ces camps, être traité avec humanité. Je leur disais que jamais plus, en Allemagne, ne devait retentir le cri de « Gare à la Police ! » et quand j’ai eu l’impression que des prisonniers sans défense avaient été maltraités par la Police, j’ai moi-même demandé que des sanctions fussent prises contre des agents ou autres fonctionnaires.
En tant que ministre de l’Intérieur, étiez-vous au courant de la terreur organisée par les SA contre la population hostile au nazisme, dans les années qui ont suivi 1921 ?
Oui ; la surveillance des dites organisations de défense était, certes, au cours de mes années d’exercice en Prusse, l’une de mes plus importantes tâches. Et les SA se sont révélées comme la plus brutale de ces organisations. Elles chantaient des chansons telles que : « Place aux chemises brunes ! » Et c’est avec une même arrogance qu’elles s’ouvraient partout le passage, là où elles ne rencontraient aucune résistance appréciable. Un autre chant grossier semblait exprimer leur programme : « Les Juifs à la potence ! Collez-les au mur ! » C’est ainsi que les SA ont sauvagement agi partout où elles pouvaient exercer librement leur terrorisme. Elles ont livré les batailles de la Saale contre ceux qui pensaient autrement : il ne s’agissait alors nullement des bagarres habituelles au cours de la lutte électorale entre les partis politiques, mais c’était une terreur organisée. Lors du premier boycottage des Juifs en 1933, elles ont monté la garde auprès de leurs magasins pour en détourner leurs clients habituels. Elles ont, comme le Tribunal l’a déjà appris, organisé les actes de terreur du 8 novembre 1938. En 1930 également, beaucoup des magasins juifs ont été endommagés à Berlin, sans doute comme prélude à l’assemblée du Reichstag où, comme on sait, les nationaux-socialistes firent leur entrée au nombre de 107.
Pour terminer, je voudrais vous poser une ou deux questions au sujet de l’accusé Schacht. A quel moment avez-vous entendu dire pour la première fois que des conversations s’étaient engagées entre M. Schacht et les chefs du parti ouvrier national-socialiste ?
C’est en 1931 qu’un communiqué de l’administration policière de Berlin m’apprit que des conversations avaient eu lieu entre M. Schacht et les chefs du parti ouvrier national-socialiste.
Avez-vous eu des relations quelconques avec Schacht en 1944 ?
Non, j’ai même, si cela est de quelque intérêt ici, décliné toute relation. Bien qu’ayant toute mon estime en tant que technicien, c’était pour moi, quant à la politique, un homme dont il fallait se méfier. En accédant au front de Harzburg, il a trahi la cause de la démocratie. Ce n’était pas seulement, de sa part, un acte d’ingratitude, car c’est grâce à la démocratie qu’il est devenu président de la Reichsbank, mais aussi une grosse faute. Car lui et d’autres, de même rang social, par leur participation au front de Harzburg, ont pour ainsi dire rendu présentables les nationaux-socialistes. C’est la raison pour laquelle je ne pus, le 20 juillet 1944, accepter d’être mis en relation avec Schacht et, lorsqu’en mars 1943, je fus pressenti en vue de faire partie d’un gouvernement qui devait provoquer la chute de Hitler, invoquant ces intrigues de Schacht et d’autres motifs, j’ai opposé un refus catégorique.
Pour quelles raisons ?
Je viens justement d’y faire allusion. Avec mon ami Leuschner qui, avec d’autres jeunes sociaux-démocrates, von Harnack, Weber et Maas, a été pendu, j’ai discuté de la composition d’un tel gouvernement. Leuschner m’informa que, vraisemblablement, un général deviendrait Président du Reich, et un autre, ministre de la Guerre. Je lui ai fait alors remarquer que l’on attribuerait probablement à M. Schacht le rôle d’un dictateur financier ou d’un dictateur économique car, déjà précédemment, ses aptitudes pour un tel poste avaient dû s’affirmer, grâce à ses relations réelles ou supposées avec les milieux d’affaires américains. Mais ces relations entre M. le Dr Schacht et, pour employer le jargon national-socialiste, la plutocratie et le militarisme, me parurent, pour la cause de la démocratie et en particulier pour la cause des sociaux-démocrates, tellement compromettantes, que je ne voulus sous aucun prétexte devenir membre d’un cabinet dans lequel M. Schacht aurait dû être dictateur financier.
Je vous remercie.
Désirez-vous interroger à nouveau le témoin, Docteur Siemers ?
Monsieur le Ministre, M. le représentant du Ministère Public vient de parler de la construction d’un sous-marin en Finlande et d’un autre à Cadix. Au jujet de la construction du sous-marin à Cadix, il s’est reporté au document D-854. J’ai lieu de supposer que vous ne connaissez pas ce document ?
Docteur Siemers, le témoin a dit qu’il ne savait rien de ces deux incidents.
Je vous remercie. Ne vous souvenez-vous pas qu’entre le Grand-Amiral Raeder et le ministre Gröner, il a été question de ce sous-marin de Finlande ?
Je ne me le rappelle pas.
Vous ne le savez pas ? Une question très importante : est-il exact que l’entente conclue le 18 octobre 1928, tendait à ce que le Commandant en chef de la Marine fût tenu d’informer le ministre de la Reichswehr, et à ce que celui-ci, de son côté, informât les autres membres du cabinet ?
Pour autant que je m’en souvienne, l’entente et l’engagement des deux Commandants en chef avaient pour but, avant tout, de tenir le cabinet au courant de toutes les questions. Pratiquement, ainsi que vous venez, maître, d’y faire allusion, ce n’était réalisable que si, tout d’abord, le ministre de la Défense était informé et s’il pouvait ensuite transmettre ses informations au cabinet.
En somme, il n’existait pour Raeder aucune obligation de vous rendre compte d’une façon courante ou de comparaître devant le cabinet ?
C’eût été là une mesure tout à fait impossible, tout comme la séance de cabinet du 18 octobre, déjà inusitée en soi. Les membres du cabinet ne comprenaient que des ministres ou leurs représentants officiels.
Au point de vue technique, la conduite des affaires incombait toujours au ministre de la Reichswehr ?
Techniquement, au ministre ; politiquement, au cabinet.
Je vous remercie. Je n’ai plus de questions à poser au témoin.
Sur quelle ordonnance légale reposait la destitution de vos fonctions de ministre de l’Intérieur de Prusse, le 20 juillet 1932 ?
La dispense de mes obligations ?
Oui, la dispense de vos obligations.
Elle reposait sur l’article 48.
Qui a promulgué des décrets-lois en vertu de l’article 48 ?
Ces décrets-lois ont été promulgués par le Président du Reich qui, seul, était qualifié pour le faire.
Le fait que, le 20 juillet, et dans les circonstances qui ont été décrites, vous ayez été évincé de votre ministère, est-il imputable à ce que ses instigateurs, von Papen et Hindenburg, fussent d’avis que ce décret-loi était de plein droit, alors que vous pensiez qu’il ne reposait sur aucune base légale et qu’en conséquence vous restiez à votre poste ?
J’estimais — opinion à laquelle le Reichsgericht s’est rallié plus tard — que le Président du Reich avait qualité, certes, pour promulguer, en vertu de l’article 48, des décrets pour le maintien de l’ordre et de la tranquillité publique. Et s’il ne reconnaissait chez les ministres de Prusse, et en particulier en ma propre personne de ministre de la Police, aucune garantie du maintien de la sécurité et de l’ordre en Prusse, il avait alors le droit de nous démettre de nos prérogatives de police et de nous exclure en particulier aussi d’autres fonctions exécutives. Mais il n’avait nullement le droit de nous révoquer en qualité de ministres.
Avez-vous connaissance que la juridiction suprême, le Conseil d’État (Staatsgerichtshof), a décidé le 25 octobre 1932 que l’ordonnance du 20 juillet 1932 du Président du Reich était conciliable avec la Constitution du Reich autant qu’elle commettait le chancelier aux fonctions de Reichskommissar pour la Prusse, et l’habilitait à retirer provisoirement les pouvoirs des ministres prussiens et à s’en charger lui-même ?
Je viens précisément de citer cet arrêté du Reichsgericht.
Encore une question : est-ce que M. von Papen, lorsqu’il procéda en qualité de Reichskommissar à des modifications dans le personnel, a fait appel, pour la Police, à des nationaux-socialistes ?
Je n’en ai pas eu connaissance, car le caractère politique des fonctionnaires de la Police ne ressortait pas nettement. C’était, certes, le cas pour les Oberpräsidenten, Regierungspräsidenten et préfets de Police, mais non pour chaque fonctionnaire en particulier.
Est-il exact que M. von Papen a fait appel, pour occuper la position clef de préfet de Police de Berlin, à l’ancien préfet de Police d’Essen, Melcher, c’est-à-dire à un homme qui, déjà sous votre autorité, avait été préfet de Police dans une ville importante ?
C’est exact.
Je vous remercie.
Le témoin peut se retirer ; le Tribunal va suspendre l’audience. Combien de témoins avez-vous encore ?
J’ai encore les témoins baron von Weizsäcker et le vice-amiral Schulte-Mönting, chef d’État-Major. L’audition de Schulte-Mönting va durer quelque temps, celle du baron Weizsäcker sera brève, en ce qui me concerne.
Bien.
Puis-je demander au Tribunal de bien vouloir appeler le baron von Weizsäcker comme témoin ?
Voulez-vous, s’il vous plaît, m’indiquer vos nom et prénoms.
Ernst von Weizsäcker.
Voulez-vous répéter ce serment après moi :
« Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité, et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien. »
Baron von Weizsäcker, au début de la guerre, vous étiez secrétaire d’État au Ministère des Affaires étrangères ? Est-ce exact ?
Oui.
Vous vous souvenez que, le 3 septembre 1939 — donc, le premier jour de la guerre entre l’Angleterre et l’Allemagne — le paquebot anglais Athenia a été torpillé au nord-ouest de l’Écosse. A bord de ce bateau se trouvaient des passagers américains. Naturellement, ce torpillage a suscité une vive émotion. Je vous prie de dire au Tribunal de quelle façon vous avez traité cette affaire sur le plan politique.
Je me souviens de ce cas, mais je ne sais avec certitude cependant s’il s’agit d’un vaisseau britannique ou américain. Quoi qu’il en soit, cette affaire m’a causé un grand souci. Je me suis renseigné auprès de l’État-Major naval pour savoir si un bâtiment de guerre allemand quelconque pouvait être incriminé. Sur la réponse négative que j’ai obtenue, j’ai prié le chargé d’affaires américain, M. Alexandre Kirk, de venir me voir, et je l’ai informé que le torpillage de l’Athenia ne pouvait être attribué à un navire de guerre allemand. J’ai prié le chargé d’affaires d’enregistrer cette déclaration et de câbler à Washington, avec cette remarque qu’une telle communication était d’une importance primordiale, aussi bien dans l’intérêt allemand que dans l’intérêt américain.
Monsieur von Weizsäcker, vous vous étiez mis en rapport, au préalable, avec la Marine ?
Oui.
A ce premier contact, avez-vous eu affaire au Grand-Amiral Raeder en personne, ou à quelque autre officier ?
Je ne saurais plus le dire, je ne pourrais plus préciser ce détail ; j’ai reçu, en tout cas, le renseignement décisif qu’un bateau allemand n’était pas en cause. Cela me suffisait.
Est-ce qu’à la suite de cela, le même jour ou peu de temps après, vous êtes allé rendre visite au Grand-Amiral Raeder, et avez-vous discuté cette question avec lui ?
Je crois me souvenir que oui.
Raeder vous a-t-il dit, à cette occasion, qu’il ne pouvait s’agir d’un sous-marin allemand parce que, des informations données par les sous-marins, il avait été démontré que le sous-marin le plus proche se trouvait à une trop grande distance, c’est-à-dire à 75 milles marins environ ?
Raeder m’a informé qu’un sous-marin allemand ne pouvait être mis en cause. Quant aux détails relatifs à la distance à laquelle les sous-marins pouvaient être du lieu du torpillage, il se peut qu’il les. ait mentionnés, mais je ne puis plus aujourd’hui le confirmer avec certitude.
Au cours de cet entretien avec Raeder, avez-vous également parlé de la nécessité qu’il y avait de tout faire pour éviter une guerre avec les États-Unis, ou même des incidents comme celui du Lusitania dans la guerre précédente ?
Je l’ai certainement exprimé avec une certaine emphase car, à ce moment-là, j’avais présents à la mémoire des incidents analogues datant de la première guerre mondiale. J’ai sûrement insisté sur la nécessité impérieuse d’éviter toute action militaire susceptible d’étendre la guerre encore davantage et de diminuer ainsi ce que j’appelais alors « la substance neutre ».
Raeder était-il du même avis que vous ?
Autant que je m’en souvienne, certes oui.
Êtes-vous convaincu, Monsieur von Weizsäcker, que Raeder vous a donné des informations conformes à la vérité dans ce qu’il vous a dit sur l’Athenia ?
Bien entendu.
Le 27 septembre 1939, le sous-marin U-30 est rentré de sa croisière, c’est-à-dire trois semaines après le torpillage, et son commandant a déclaré que, par erreur, il avait torpillé l’Athenia. Il ne s’en était pas rendu compte immédiatement et ce n’est qu’après coup qu’il l’avait appris par les messages de la radio. Raeder en eut connaissance fin septembre et en parla à Hitler, afin de se concerter sur la conduite à tenir. Hitler donna l’ordre de garder le silence. Tout cela a déjà été exposé ici. Je vous prie de me dire si vous avez eu connaissance du fait, constaté après coup, du torpillage par un sous-marin allemand ?
Non, en aucune façon.
Avez-vous eu connaissance de l’ordre, donné par Hitler, de garder le silence ?
De cela non plus, naturellement.
Je vous fais présenter maintenant le document PS-3260 et je vous prie de l’examiner. C’est l’article intitulé : « Churchill torpille l’Athenia », extrait du Völkischer Beobachter, du 23 octobre 1939. Vous souvenez-vous de cet article ? Lisez-le d’abord en entier.
Oui, je vais d’abord le lire.
Monsieur le Président, pour l’information du Tribunal, je me permets de préciser qu’il s’agit du document GB-218, dans le livre de documents anglais 10 (a), page 99. (Au témoin.) Vous avez lu cet article, Monsieur von Weizsäcker. Je vous prie de me dire si vous vous souvenez avoir lu cet article en son temps.
Je me souviens en effet qu’un tel article a été publié à cette époque.
Alors, puis-je vous demander quel a été votre sentiment lorsque vous avez eu connaissance de cet article ?
Je l’ai considéré d’une fantaisie perverse.
Vous avez condamné cet article ?
Évidemment.
Bien qu’à l’époque vous ne sachiez point encore qu’il s’agissait d’un sous-marin allemand ?
La question de savoir si c’était ou non un sous-marin allemand ne pouvait modifier en rien mon jugement sur cet article.
Vous estimez, par conséquent, que cet article était répréhensible, même s’il ne s’était pas agi d’un sous-marin allemand ?
Certainement.
Le Ministère Public prétend que le Grand-Amiral Raeder aurait inspiré cet article et lui en fait un reproche de moralité d’autant plus grave que, lui, savait, contrairement à vous-même, que c’était un sous-marin allemand qui avait procédé au torpillage. Tenez-vous pour vraisemblable une telle action, de la part de Raeder, et croyez-vous possible qu’il ait inspiré l’article ?
Un instant, Docteur Siemers, vous pouvez uniquement questionner le témoin sur ce qu’il savait et ce qu’il faisait, mais vous ne pouvez pas lui demander de deviner ce que Raeder a fait.
Excusez-moi, Monsieur le Président, je pensais que, eu égard à l’affidavit de ce matin, il était convenu qu’une opinion pouvait être exprimée. Je m’abstiendrai donc.
De quel affidavit parlez-vous ?
Celui au sujet duquel j’avais adressé une requête aux fins de faire rayer l’expression d’une opinion ; l’affidavit de Dietmann.
C’est là une tout autre question.
Monsieur von Weizsäcker, avez-vous entendu dire à cette époque que Raeder eût été à l’origine de cet article ?
Non, je ne l’ai pas entendu dire, et d’ailleurs je ne l’aurais jamais cru. J’estime absolument impossible qu’il ait inspiré un article de ce genre ou qu’il ait pu l’écrire.
Après en avoir pris connaissance, estimez-vous qu’il faille en rendre responsable le ministère de la Propagande ?
Je ne puis que répondre négativement à cette question : on ne peut imputer cet article ni à Raeder, ni aux Affaires étrangères.
Monsieur von Weizsäcker, à votre avis, s’est-il agi, lors des infractions de la Marine au Traité de Versailles, notoirement établies, de cas particulièrement graves et, lourds de conséquences ?
Je ne puis répondre qu’indirectement à cette question. Les détails ne me sont pas connus. Mais je crois qu’il est à peine concevable qu’il se fût agi de violations graves, car justement dans la Marine, il est particulièrement facile de contrôler le respect des clauses d’un traité. On ne peut mettre des vaisseaux en chantier sans que cela se voie. Je me vois donc obligé d’admettre que ces violations étaient de faible nature.
Monsieur von Weizsäcker, à votre avis, l’accusé Raeder a-t-il préparé une guerre d’agression, ou connaissez-vous un cas faisant ressortir l’attitude de Raeder...
Docteur Siemers, c’est justement ce qui constitue l’accusation portée contre l’accusé Raeder et sur laquelle il appartient au Tribunal de se prononcer.
Monsieur von Weizsäcker, ne vous êtes-vous pas, en février 1939, dans le train de Hambourg à Berlin, entretenu avec l’amiral Raeder ? A quelle occasion ? Et de quoi avez-vous parlé ?
Il est exact que je me suis rencontré avec l’amiral Raeder dans le train de Hambourg à Berlin, après un lancement à Hambourg. A cette occasion, l’amiral m’a raconté qu’il venait de faire un rapport à Hitler, lui exposant que l’état de l’armement de la Marine interdisait, pour des années encore, toute guerre contre l’Angleterre. Je suppose que c’est là la réponse que vous attendiez de moi.
C’était en février 1939 ?
C’était à l’occasion du lancement du Bismarck.
Le Tribunal pourra s’y retrouver parce que le lancement du Bismarck est mentionné dans les archives.
Ce devait être au printemps, en février ou en mars.
Est-ce que les déclarations de Raeder vous ont tranquillisé ?
J’ai été heureux d’entendre cette explication de la part dé Raeder, car elle ne pouvait...
Cela ne nous intéresse en rien de savoir si cette explication l’a tranquillisé ou non.
Selon vous, et d’après ce que vous savez, en tant que spécialiste de, la Marine ou comme politicien, a-t-il eu de l’influence sur Hitler ?
Docteur Siemers, le témoin peut nous dire ce que Raeder a dit, mais il ne peut nous dire s’il parlait en qualité de politicien ou d’amiral. Si vous voulez savoir aussi s’il était en uniforme...
Monsieur von Weizsäcker, avez-vous eu des conversations avec Raeder ou avec d’autres personnalités ?
A quel sujet ?
Sur l’influence exercée par Raeder sur Hitler ?
Il était notoirement connu que des arguments politiques, présentés par des militaires, pouvaient difficilement avoir une influence sur Hitler, mais par contre, seuls des arguments d’ordre militaire et technique pouvaient l’influencer. Dans ce sens, il se peut qu’une influence quelconque ait été exercée.
Monsieur von Weizsäcker, au cours de l’hiver 1938-1939, a eu lieu le grand dîner diplomatique habituel à Berlin, dîner auquel vous avez assisté, je crois. Raeder s’y est entretenu avec Sir Nevile Henderson sur la restitution éventuelle des colonies.
Docteur Siemers, pourquoi ne lui posez-vous pas la question, au lieu de lui dire ce qui est arrivé ?
Mais non, Monsieur le Président...
C’est pourtant ce que vous faites.
Non, pardon, il s’agit d’un entretien entre Raeder et Sir Nevile Henderson, et non entre M. von Weizsäcker et Sir Nevile Henderson. Je pose la question suivante : Monsieur von Weizsäcker, avez-vous eu de semblables entretiens avec Sir Nevile Henderson ou avec quelque autre diplomate britannique ? Ou savez-vous quelque chose sur leur façon de penser ?
Je ne peux pas me rappeler avoir parlé, de mon côté, à des diplomates britanniques, de la question coloniale. Je sais par contre que, durant les années 1934 à 1939, la question coloniale a été abordée à diverses reprises par le Gouvernement britannique, soit à titre officiel, soit à titre officieux ou semi-officiel, d’une manière amicale et conciliante. Je crois me rappeler, par exemple, avoir lu dans un procès-verbal relatant la visite de deux ministres britanniques à Berlin, qu’à cette occasion aussi, la question coloniale avait été discutée d’une manière très conciliante.
Monsieur von Weizsäcker, pouvez-vous nous dire quelque chose au sujet du comportement et de la réputation de la Marine au cours de l’occupation en Norvège ?
Il est toujours très difficile pour une puissance occupante de se rendre populaire. Mais, avec cette réserve et, si je suis bien informé, la Marine a joui en Norvège d’un bon, et même d’un très bon renom. Cela m’a été confirmé par des amis norvégiens à diverses reprises, pendant la guerre.
Vous avez connu ces amis norvégiens alors que vous étiez ambassadeur à Oslo ? Quand était-ce ?
J’ai été ambassadeur à Oslo de 1931 à 1933.
Une dernière question. On a produit hier un document D-843. Il porte la signature de Bräuer qui, à cette époque, en 1940, était membre de l’ambassade d’Oslo. Je vais vous remettre ce document.
Dois-je le lire en entier ?
Il suffirait, je crois, d’y jeter un coup d’œil, surtout vers le milieu du document. Monsieur le Président, c’est le GB-466, qui a été versé hier au dossier. D’après ce document, Bräuer dit que le danger d’un débarquement britannique en Norvège n’est pas si grand qu’on le suppose de l’autre côté, et il ne parle que de mesures destinées à provoquer l’Allemagne. (Au témoin.) Que pouvez-vous dire au sujet de ces déclarations de Bräuer ? Sont-elles exactes ?
Bräuer n’était pas seulement membre de l’ambassade ; c’était l’ambassadeur lui-même. Je suppose qu’il a rédigé un rapport objectif ou, veux-je dire, subjectivement exact, cela va de soi. Que ces informations, objectivement, aient été justifiées, c’est une autre question ; autrement dit, savoir si Bräuer était exactement renseigné sur les intentions des forces militaires ennemies, c’est une autre question.
Monsieur von Weizsäcker, qu’en résulta-t-il après coup, lorsque vous avez été informé par les Affaires étrangères ? Les inquiétudes de Raeder étaient-elles justifiées, ou plus justifiées encore que le jugement formulé par Bräuer ?
Je dois avouer que ma conception personnelle correspondait à celle de Bräuer, mais que, par la suite, elle s’est avérée non conforme à la réalité, et que les suppositions émises par la Marine à ce moment-là étaient justifiées ou, tout au moins, plus justifiées que le jugement donné par l’ambassadeur.
Je vous remercie. Je n’ai pas d’autres questions à poser, Monsieur le Président.
Un avocat désire-t-il encore poser des questions ?
Témoin, le 23 août 1939, un Pacte de non-agression a été signé entre l’Allemagne et l’Union Soviétique. Est-ce que, en dehors de ce Pacte de non-agression, d’autres conventions ont été conclues ce même jour entre ces deux Gouvernements ?
Monsieur le Président, le témoin a été cité pour répondre à des questions précises, à la demande du Dr Siemers. A mon avis, la question posée maintenant par le Dr Seidl n’a rien à voir avec le cas que nous examinons, et c’est pourquoi elle devrait être rejetée.
Vous pouvez poser votre question, Docteur Seidl.
Je vous demande à nouveau, Monsieur von Weizsäcker, si, le 23 août 1939, d’autres conventions ont été conclues entre les deux Gouvernements qui n’étaient pas contenues dans le Pacte de non-agression ?
Oui.
Dans quel document étaient contenues ces conventions ?
Ces conventions étaient contenues dans un protocole secret.
En votre qualité de secrétaire d’État au ministère des Affaires étrangères, avez-vous lu ce protocole secret ?
Oui.
J’ai entre les mains un texte au sujet duquel l’ambassadeur Gaus n’a élevé aucun doute sur la reproduction exacte de ces conventions. Je vais vous présenter ce texte...
Un instant. Quel document lui présentez vous ?
Il s’agit du protocole additionnel secret du 23 août 1939.
N’est-ce pas un document que vous avez déjà produit au Tribunal et qui a été rejeté ? Est-ce le même document ?
C’est le document que j’ai présenté au Tribunal avec l’ensemble des preuves et qui a été rejeté par le Tribunal manifestement — du moins je le suppose — parce que je m’étais refusé à en indiquer la provenance. Mais le Tribunal m’avait autorisé à produire un nouvel affidavit de l’ambassadeur Gaus, à ce même sujet.
Vous ne l’avez pas fait ?
Non, mais je voudrais maintenant, pour aider la mémoire du témoin, donner lecture de ce texte au cours de mon interrogatoire et demander ensuite au témoin si, d’après ses souvenirs, cet écrit reproduit fidèlement ces conventions secrètes.
Messieurs, je proteste contre cette question pour deux raisons : premièrement, nous nous occupons ici du cas des Grands Criminels de guerre, et non de la politique étrangère d’autres États. Deuxièmement, le document que le Dr Seidl essaye de présenter au témoin a déjà été rejeté par le Tribunal parce qu’il est à proprement parler, apocryphe, et qu’il n’a par conséquent aucune valeur probante.
Me permettez-vous de répondre, Monsieur le Président ? Ce document est un fragment essentiel du Pacte de non-agression, qui a déjà été versé comme preuve par l’Accusation sous le numéro GB-145. Or, si je présente le texte au témoin...
L’unique question est de savoir si c’est le document qui a été rejeté par le Tribunal. Est-ce celui-là ?
Ce document n’a pas été admis comme preuve dans le dossier des preuves.
Bien, alors la réponse est oui.
Mais il me semble qu’il y a une différence avec la question de savoir si, au cours de l’interrogatoire, il est possible de présenter ce document au témoin. En ce qui me concerne, je répondrai à cette question par l’affirmative, parce que, au cours de l’interrogatoire contradictoire, le Ministère Public, de son côté, a la possibilité de présenter au témoin le document qu’il a entre les mains ; et c’est alors, au vu des déclarations du témoin, qu’il est constaté quel est le véritable texte ou si les deux textes coïncident.
D’où provient le document que vous voulez présenter au témoin ?
J’ai reçu ce document il y a -quelques semaines, d’un homme qui me semble digne de foi, d’un allié. Je ne l’ai eu qu’à condition de ne pas en dévoiler la provenance exacte, et cela me semble parfaitement compréhensible.
Vous avez dit que vous l’avez reçu il y a quelques instants ?
Il y a quelques semaines.
C’est le même document dont vous avez dit tout à l’heure que vous l’aviez déposé et que le Tribunal a rejeté ?
Oui, mais le Tribunal a également décidé que je pouvais à ce sujet présenter un nouvel affidavit de l’ambassadeur Gaus, et cette décision n’a de sens que si...
Oui, je sais, mais vous ne l’avez pas fait. Nous ne savons pas quel affidavit a donné le Dr Gaus.
Je possède déjà le nouvel affidavit de l’ambassadeur Gaus, mais il n’est pas encore traduit.
Monsieur le Président, je suis tout à fait d’accord avec le général Rudenko quand il élève des objections contre l’utilisation de ce document. Nous en ignorons totalement la source. En tout cas, il n’est pas dit que ce témoin ne se souvienne pas lui-même de ce soi-disant traité. Je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas l’interroger s’il veut le faire.
Docteur Seidl, vous pouvez demander au témoin jusqu’à quel point il peut encore s’en souvenir, sans lui présenter le document. Demandez-lui s’il se rappelle ce traité ou ce protocole.
Témoin, veuillez alors donner un aperçu sur cette convention, telle qu’elle est encore présente à votre mémoire.
Il s’agissait d’un additif secret radical et d’une très grande portée, annexé au Pacte de non-agression, qui avait été alors conclu. La portée de ce document était considérable parce qu’il concernait le partage des zones d’influence et qu’il comportait le tracé d’une frontière entre les territoires qui, le cas échéant, devaient revenir à l’Union Soviétique, et ceux qui, dans ce cas, devaient revenir à la zone d’influence allemande. A la zone d’influence russe devaient échoir la Finlande, l’Estonie, la Lettonie, une partie orientale de la Pologne et, d’après mes souvenirs, des dispositions avaient été également prises à l’endroit de certains territoires roumains. Tout ce qui se trouvait à l’Ouest des territoires mentionnés devait appartenir à la zone d’influence allemande.
Cette convention secrète, il est vrai, n’a pas été maintenue sous cette forme. Plus tard, en septembre ou en octobre de la même année, elle subit une certaine modification, un amendement fut apporté à l’accord primordial, et la différence essentielle entre les deux documents, selon mes souvenirs, consistait en ce que la Lituanie, ou du moins la plus grande partie de la Lituanie, était attribuée à la sphère d’influence soviétique, tandis que, inversement, en territoire polonais, la ligne de démarcation entre les deux zones d’influence était notablement déplacée vers l’Ouest.
Je crois avoir ainsi donné le contenu essentiel de la convention secrète et de l’additif ultérieur.
Est-il exact qu’en cas de modification territoriale le tracé d’une ligne de démarcation avait été décidé en territoire polonais ?
Je ne peux plus préciser si, dans ces protocoles, le terme de ligne de démarcation était mentionné ou s’il s’agissait d’une ligne de séparation des zones d’influence, dans le texte même.
Une ligne, a, en tout cas, été définie ?
Justement, la ligne dont je viens de parler, et je crois me rappeler également que plus tard, lors de la réalisation de cet accord, cette ligne a été maintenue dans son ensemble, sinon dans ses détails.
Et voici ma dernière question : vous rappelez-vous si ce protocole additionnel du 23 août 1939 contenait également un accord relatif au sort futur de la Pologne ?
Cette convention secrète impliquait certes une réglementation totalement nouvelle du sort futur de la Pologne. Il est donc tout à fait plausible qu’explicitement ou implicitement une telle réglementation eût été prévue par cette convention, mais je ne peux répondre du texte précis de l’accord.
Monsieur le Président, je n’ai pas d’autres questions à poser.
Témoin, avez-vous vu l’original de l’accord secret ?
J’en ai vu une photocopie, peut être aussi l’original. En tout cas, j’ai vu la photocopie et l’ai eue en main, à plusieurs reprises. J’en avais un exemplaire, enfermé dans mon coffre-fort.
En reconnaitriez-vous une photocopie si on vous la montrait ?
Oh, j’en suis sûr. Les signatures originales s’y trouvaient également, et cela aussi permettrait de la reconnaître.
Le Tribunal se retire pour délibérer.
Le Tribunal a délibéré sur le point de savoir si le document en possession du Dr Seidl doit être présenté au témoin. Attendu que le contenu de ce document original a été rapporté par ce témoin et par d’autres, et attendu que l’origine du document qui se trouve entre les mains du Dr Seidl est inconnue, le Tribunal a décidé de ne pas soumettre ce document au témoin.
L’audience est levée.