CENT TRENTE-SIXIÈME JOURNÉE.
Mercredi 22 mai 1946.
Audience de l’après-midi.
Amiral, pour terminer mes questions sur la Russie, je voudrais vous montrer le document UK-45 (URSS-113), présenté par la Délégation soviétique du Ministère Public.
Il s’agit d’une communication émanant de l’État-Major naval, en date du 29 septembre 1941, adressée au groupe Nord, c’est-à-dire à l’amiral Carls. Sous la rubrique II, elle rapporte une conversation entre l’amiral Fricke et Hitler, au cours de laquelle « le Führer a décidé de faire disparaître la ville de Saint-Pétersbourg de la surface du globe ».
On accuse Raeder de n’avoir fait aucune opposition à un projet si monstrueux et on le blâme d’avoir permis à l’État-Major naval de transmettre une telle communication. Je vous demande si vous étiez au courant de ce message en 1941 ? (Au Tribunal.) Monsieur le Président, permettez-moi de vous présenter mes excuses, car je n’ai malheureusement, pour l’instant, aucune photocopie de ce document. J’ai tenté de me la procurer... On vient justement de me l’apporter. Puis-je me permettre de présenter celle-ci maintenant, au lieu de la simple copie du document ?
Je crois avoir l’original sous les yeux, si je ne me trompe ?
Non, amiral, c’est un exemplaire conforme à la photocopie, fait spécialement pour mon usage, et comprenant tous les paragraphes et indications de noms qui figurent sur l’original. Étiez-vous au courant de cette missive, en 1941 ?
Je ne l’ai jamais eue sous les yeux en 1941 ; c’est aujourd’hui que je la vois pour la première fois.
Croyez-vous que le Grand-Amiral Raeder aurait vu ce message avant sa transmission, bien que vous n’en ayez pas eu connaissance vous-même ?
C’eût été chose fort étonnante. Toutes les communications présentées au Grand-Amiral Raeder me passaient d’abord entre les mains et j’y portais toujours une indication telle que « Le Commandant en chef en a pris connaissance » et j’y apposais mon paraphe en guise de confirmation ou alors je marquais « Cet ordre ou cette directive doit être soumis au Commandant en chef » et j’y mettais également mes initiales.
Je n’ai encore jamais vu cet ordre photocopié que vous me présentez là ; je n’en ai jamais eu connaissance et j’estime qu’il est impossible que le Grand-Amiral Raeder l’ait vu, car, le 29 septembre 1941, j’étais bien portant et exerçais mes fonctions à Berlin.
Amiral, que savez-vous de la question de Leningrad et de la Marine ?
Je me souviens qu’au cours d’une de nos conférences quotidiennes, un officier de l’État-Major naval fit un rapport sur les plans de l’Armée concernant Leningrad — non pas Saint-Pétersbourg — Leningrad. Là-dessus, Raeder exprima le désir qu’au cours des opérations, on prît garde à ce que Leningrad en tout cas tombât si possible, parfaitement intacte entre nos mains, car il avait besoin des chantiers et des terrains environnants pour des travaux de construction de la Marine. Il fallait donc communiquer à l’Armée cette nécessité urgente, étant donné notre intention de transférer certains de nos chantiers plus à l’Est, devant le danger croissant d’attaques aériennes. Autant que je m’en souvienne, nous avions déjà commencé le déplacement des installations d’Emden vers l’Est et nous désirions également, comme Raeder, évacuer Wilhelmshaven et en fixer les installations le plus à l’Est possible.
Il spécifia surtout que la ville devait être endommagée, le moins possible, car il n’y aurait pas sans cela de logements disponibles pour les ouvriers. Voilà tout ce que je puis vous dire honnêtement sur la question de Leningrad.
Savez-vous que ce désir de Raeder fut repoussé par Hitler, qui prétendait que la chose était impossible ?
Non, je ne me souviens pas que cette question fût abordée de nouveau, car je crois que les opérations dans le Nord atteignirent rapidement le point mort.
D’autres officiers supérieurs vous ont-ils jamais parlé de ce document ?
Non, je n’ai jamais rien entendu dire au sujet de ce document et je ne vois pas pourquoi quiconque m’en aurait parlé.
Monsieur le Président, si le Tribunal le veut bien, je voudrais présenter un document qui m’a été accordé et porte le numéro Raeder-111 ; il me semble très pertinent sur la question que nous discutons et se trouve dans mon livre de documents VI, page 435. C’est un affidavit du Grand-Amiral Hans Bütow, en date du 21 mars 1946 ; comme il est très bref, je voudrais le lire.
Quelle page, dites-vous ?
A la page 435 du livre de documents VI, document Raeder-111 :
« Pendant la période allant du 20 juin 1941 au 20 octobre 1941, c’est-à-dire celle qui entre en ligne de compte pour le document URSS-113 (I) (UK-45), j’étais commandant de la Marine en Finlande. J’étais sous les ordres du Commandant en chef du groupe Nord, l’amiral Caris. Je déclare que je n’ai jamais eu connaissance du document URSS-113 (UK-45), représentant une communication de l’État-Major naval au groupe Nord, en date du 29 septembre 1941 ; dans le cas où l’amiral Carls l’eût communiqué à ses subordonnés, il eût sans aucun doute été porté à ma connaissance. Pour autant que je sache, personne d’autre dans le secteur sous mes ordres n’a reçu cette communication.
« Moi-même, je n’ai eu connaissance de cet ordre de Hitler qu’en novembre 1945, à l’occasion d’un entretien avec M. le docteur Siemers, l’avocat du Grand-Amiral Raeder.
Je n’ai jamais été questionné au sujet de cet ordre par d’autres officiers, surtout par d’autres commandants de la Marine. Il est clair que les autres commandants n’ont pas non plus eu connaissance de cet ordre. »
Puis viennent ensuite l’attestation et la signature du magistrat principal du grand État-Major de la Marine, devant lequel cette déclaration a été faite sous la foi du serment. (Au témoin.) Amiral, je voudrais aborder maintenant une autre question, la prétendue guerre d’agression qu’aurait projetée Raeder contre l’Amérique. Raeder a-t-il jamais essayé de pousser le Japon à entreprendre une guerre contre l’Amérique ?
Non, jamais. Nous n’avons jamais eu de conférences militaires avec le Japon avant son entrée en guerre. Au contraire, il a mis Hitler en garde contre une guerre avec l’Amérique, étant donné la supériorité navale de l’Angleterre et sa coopération avec l’Amérique.
Pour quelles raisons avez-vous mis Hitler en garde, vous, Raeder et le Haut Commandement de la Marine ?
Tout d’abord, pour les raisons déjà citées, c’est-à-dire des motifs de stratégie générale que Raeder garda en vue pendant toute la guerre. Raeder considérait l’ennemi avant tout sur mer, et non sur terre. Si la plus grande puissance navale du monde s’alliait à l’Angleterre, déjà supérieure à nous, la guerre prendrait alors pour nous des proportions qui nous dépasseraient de très loin. En outre, par les rapports de notre attaché naval à Washington, le vice-amiral Witthöft, Raeder était très bien renseigné sur le potentiel énorme dont disposaient les États-Unis. Je dirais également, à propos de la mise sur pied de guerre de toute l’économie, que Witthöft nous avait rapporté, quelques mois avant la guerre, que l’augmentation énorme des chantiers navals et installations permettrait aux Américains de construire 1.000.000 de tonnes de navires par mois. De tels chiffres étaient fort éloquents et représentaient pour nous en même temps un terrible avertissement de ne pas sous-estimer la valeur immense du potentiel d’armement des États-Unis.
Le Ministère Public pense que l’on peut conclure, au contraire, que Raeder, le 18 mars 1941 — d’après son journal de guerre — aurait proposé au Japon d’attaquer Singapour.
C’était là, à mon avis, une mesure absolument exacte et une proposition parfaitement correcte, logiquement d’accord avec le raisonnement de Raeder. Ce qui l’intéressait, c’était de porter atteinte aux centres stratégiques importants de l’Angleterre. Qu’il ait tenté d’améliorer notre situation est clair et compréhensible, mais jamais il ne proposa au Japon de faire la guerre à l’Amérique, mais bien plutôt à l’Angleterre.
Ces questions stratégiques furent-elles jamais le sujet d’entretiens militaires entre Raeder et vous, d’une part, et les autorités militaires japonaises d’autre part ?
Non, je vous ai déjà dit qu’avant son entrée en guerre, nous n’avons jamais eu d’entretiens d’ordre militaire avec le Japon. L’attitude japonaise était extrêmement réservée.
Raeder a-t-il jamais parlé du fait que le Japon devait attaquer Pearl-Harbour ?
Non, nous entendîmes parler de cela pour la première fois à la radio.
Amiral, au cours de votre activité au Commandement suprême de la Marine ou dans votre commandement de Trondheim, n’avez-vous jamais rien su au sujet du traitement des prisonniers de guerre alliés par la Marine allemande ?
Je répondrai que je n’ai jamais eu connaissance d’un seul cas où des prisonniers de guerre alliés, tant qu’ils se sont trouvés entre les mains de la Marine, n’eussent pas été traités correctement et avec courtoisie.
Je pourrais me référer à la déclaration du commandant anglais du sous-marin de poche qui attaqua le Tirpitz dans l’Alta Fjord ; à son retour de captivité et alors qu’il venait d’être décoré de la Victoria Cross, ce commandant déclara à la presse qu’il voulait souligner le traitement particulièrement correct et courtois qu’il avait reçu de la part du commandant du Tirpitz.
Je pourrais citer un cas de mon propre domaine en Norvège, où des membres de la résistance norvégienne, en civil, furent traités tout aussi correctement et courtoisement. J’ai été chargé d’une enquête sur ces cas particuliers, en présence des autorités britanniques et c’est ainsi que je pus constater combien le traitement avait été correct.
A quel moment avez-vous été chargé d’une telle enquête par le Gouvernement militaire britannique ?
Après la capitulation.
Je vous demande pardon, non par le Gouvernement militaire, mais par la Marine britannique.
La Marine britannique à Trondheim, où j’étais amiral Commandant en chef.
Et les cas qui vous furent présentés et ont été étudiés ensuite par l’amiral britannique compétent ne soulevèrent aucune réclamation ?
Non aucune. Les prisonniers me furent confiés et on me demanda de procéder à une enquête écrite.
Et le résultat...
Et le résultat fut clair et net et n’occasionna aucune réclamation.
Et vous avez présenté votre rapport à l’officier britannique compétent ?
Oui, c’était même lui qui m’avait chargé de cette enquête.
Amiral, le cas de l’Athenia a été abordé ici bien souvent et le Tribunal en est informé. Pour gagner du temps, je vous demanderai donc de répondre brièvement et de me dire simplement ceci : le Haut Commandement de la Marine, Raeder et vous-même, saviez-vous au début de septembre 1939, que l’Athenia avait été coulé par un sous-marin allemand ?
Non, le Commandant en chef des sous-marins rapporta, le 3 septembre, que l’Athenia n’avait pu être coulé par un sous-marin allemand, étant donné que le bâtiment le plus proche — si je me le rappelle bien — se trouvait à peu près à 70 milles marins d’où avait eu lieu le naufrage.
Quand avez-vous appris que c’était un sous-marin allemand qui avait coulé l’Athenia ?
Je crois que ce fut deux ou trois semaines plus tard, après le retour du sous-marin.
Monsieur le Président, j’attire votre attention sur le document, qui précise la date du 27 septembre. (Au témoin.) Savez-vous que le secrétaire d’État von Weizsäcker déclara le 3, 4 ou 5 septembre qu’il ne s’agissait pas d’un sous-marin allemand ? Lorsqu’il fut établi qu’il s’agissait réellement d’un sous-marin allemand, que fit Raeder ?
De prime abord, la supposition qu’il ne s’aggissait pas d’un sous-marin allemand était pleinement justifiée et le secrétaire d’État von Weizsäcker agit de parfaite bonne foi, ainsi que nous d’ailleurs. Lorsque cette erreur fort regrettable se dévoila, Raeder en fit part à Hitler qui ordonna qu’il ne désirait pas qu’on revînt sur la déclaration faite par le ministère des Affaires étrangères ; il donna l’ordre à tous ceux qui avaient pris part à cette affaire de garder le silence à ce sujet, je crois, jusqu’à la fin de la guerre.
Vous a-t-on fait jurer le secret ?
Personnellement, je n’ai pas juré le secret, ni Raeder non plus. Nous étions les seuls je crois, du Haut Commandement, à part l’amiral Fricke, qui étions au courant de cette affaire, et nous aurions volontiers prêté serment.
Ce fut donc sur l’ordre de Hitler que vous avez dû exiger le serment du secret de la part de ceux qui étaient au courant ?
Oui, il s’agissait principalement des membres de l’équipage du sous-marin en cause, dans la mesure où ils savaient quelque chose de l’erreur commise.
Le Ministère Public reproche à l’amiral Raeder de ne pas avoir été trouver M. von Weizsäcker pour lui dire qu’il s’agissait bien d’un sous-marin allemand et de n’avoir pas déclaré à l’attaché américain : « Malheureusement, c’était bien un sous-marin allemand ».
Cela nous est aussi venu à l’idée, mais nous pensions que tout ce qui pourrait donner lieu à un malentendu politique avec l’Amérique devait, si possible, être évité. Le fait de remettre toute cette histoire en cause soulèverait l’opinion publique. Songeons, par exemple, à l’affaire du Lusitania au cours de la première guerre mondiale. Il eût été bien stupide de ressusciter cette affaire, après si peu de temps, de soulever l’opinion publique, allant même jusqu’à risquer de forcer l’entrée en guerre des État-Unis.
Ce sont les raisons pour lesquelles Hitler donna cet ordre ?
Ce sont les raisons qui, en fin de compte, nous firent partager le même avis.
Vous avez dit que c’était pour ne pas ressusciter cette affaire. Mais malheureusement, comme vous le savez, elle l’a été, effectivement, le 23 octobre 1939, quand le Völkischer Beobachter publia un malencontreux article intitulé : « Churchill a torpillé l’Athenia ». Vous en souvenez-vous ?
Oui, en effet. Cet article fut publié sans la connaissance de Raeder et sans aucune complicité avec la Marine. Même aujourd’hui, j’ignore encore qui en fut l’auteur. Il émanait du ministère de la Propagande et je dirais qu’il suscita chez Raeder et chez nous tous à l’État-Major naval, une vive indignation, non seulement du fait que cette question était remise en cause, mais surtout par la teneur de l’article, qui, volontairement ou non — nous ne savions pas au juste — dénaturait certainement les faits.
Nous étions obligés de nous taire. Dans quelle mesure le ministère de la Propagande avait été influencé par Hitler dans la publication de cet article, nous n’en savions rien. Nous n’avions pas eu la moindre possibilité de discuter cette affaire avec le ministère de la Propagande et nous fûmes extrêmement surpris, quelques semaines plus tard, lorsque cet article parut dans le Völkischer Beobachter. Notre indignation fut d’autant plus profonde et surtout celle de Raeder, qu’il était tout à fart contraire à ses principes que des hommes politiques étrangers fussent attaqués de la sorte, et, en outre, les faits étaient complètement dénaturés.
De plus — et ceci avait peut-être aussi son importance — il s’agissait en l’occurrence de l’antagoniste même de Raeder, que celui-ci ne désirait en aucune façon amoindrir dans l’opinion allemande, car il le prenait bien trop au sérieux : ce n’était pas moins que Churchill lui-même.
Une question pour conclure : le ministère de la Propagande vous a-t-il téléphoné, à vous et à Raeder, avant la publication de l’article ?
Non, jamais.
J’en arrive à la conclusion de mon interrogatoire, c’est le dernier point...
Docteur Siemers, c’est à peu près la sixième dernière question que vous posez !
Je vous prie de m’excuser, Monsieur le Président, il doit y avoir eu erreur dans la traduction. La précédente était la dernière question sur l’affaire de l’Athenia et maintenant c’est réellement la dernière question de mon interrogatoire. (Au témoin.) Le Ministère Public reproche à Raeder de n’avoir pas accordé son appui au général von Fritsch, après que celui-ci eut été acquitté par un tribunal ; Raeder est accusé aussi de n’avoir pas usé de son influence pour réhabiliter Fritsch dans ses fonctions et dans sa dignité. Est-ce vrai ?
Non, ce n’est pas exact. Raeder, au début de l’année 1939, me remit tous les dossiers de l’affaire du général von Fritsch, pour les garder en sécurité. C’est alors qu’il me fit part de l’impression profonde que lui avait faite ce procès et il me dit également qu’il avait offert au général von Fritsch de lui procurer une réhabilitation complète, jusque dans ses fonctions ; mais que von Fritsch le remercia et lui déclara en personne qu’il ne reprendrait jamais son ancien poste, qu’il n’y songeait même pas après ce qui s’était passé, et que, par conséquent, il demandait à Raeder de ne déployer aucun effort dans ce but. D’ailleurs, Fritsch et Raeder s’estimaient beaucoup — il serait peut-être exagéré de dire qu’ils étaient liés par l’amitié — mais il m’est souvent arrivé de rencontrer Fritsch, même après son renvoi, dans la maison de Raeder.
Je vous remercie, amiral. Monsieur le Président, je n’ai plus de questions à poser.
D’autres avocats ont-ils des questions à poser au témoin ?
Monsieur l’amiral Schulte-Mönting, vous avez mentionné a l’instant le traitement correct subi par les prisonniers de guerre ayant attaqué le Tirpitz. Voulez-vous parler de l’attaque du mois de novembre 1943, dans l’Alta Fjord ?
Oui, c’est de cette attaque que je parlais.
S’agissait-il d’un sous-marin dont l’équipage se composait de deux hommes ?
Je ne sais pas si l’équipage se composait de deux ou de trois hommes, mais c’était en tout cas un sous-marin de poche. Plusieurs sous-marins prirent part à l’attaque, quelques-uns furent coulés. Le commandant de celui qui réussit, je crois, à envoyer au but sa mine magnétique fut fait prisonnier.
Et ce commandant fut traité conformément au principes établis par la Convention de Genève ?
Absolument.
Je vous remercie.
Le Ministère Public désire-t-il procéder à un contre-interrogatoire ?
Témoin, je voudrais d’abord vous poser quelques questions au sujet de l’Athenia. Je pense que vous êtes d’accord pour reconnaître que l’article paru dans le Völkischer Beobachter était déshonorant ; c’était un mensonge indigne de paraître dans un journal ?
Je n’ai rien entendu en allemand.
Je vais répéter ma question. M’entendez-vous, maintenant ? Êtes-vous d’accord que l’article qui parut dans le Völkischer Beobachter sur l’Athenia était absolument déshonorant ?
Oui, je suis parfaitement d’accord ; c’était un article déshonorant, mensonger et déshonorant.
Veuillez garder les écouteurs je vous prie, ce sera plus pratique, car j’ai plusieurs questions à vous poser. Et vous dites que l’accusé Raeder, lui aussi, trouva cet article déshonorant ?
Très certainement.
Et qu’a-t-il fait pour manifester son mécontement ?
A cette occasion, il estima les intérêts de l’État plus importants qu’un simple article de journal ; et ces intérêts exigeaient alors qu’on évitât à tout prix des complications avec les États-Unis.
Il semble que cette attitude soit parfaitement caractéristique de la part de Raeder, durant la période qui s’étend de 1928 à 1943, et qu’il ait toujours fait passer ce qu’il estimait être les intérêts de l’État nazi avant les principes de moralité, d’honneur et de dignité. N’est-il pas vrai ?
Non, je ne le crois pas. Je pense qu’à cette occasion il agit comme l’eût fait un bon patriote.
Et bien, en parlant de l’invasion de la Russie, par exemple, vous avez déclaré au Tribunal qu’aussi bien au point de vue moral que stratégique, Raeder était opposé à l’invasion de la Russie. Pourquoi n’a-t-il donc pas donné sa démission ?
Pour vous répondre, je mentionnerai d’abord la réponse de Hitler aux objections de Raeder à une guerre contre la Russie, qui prétendait ne voir aucune possibilité d’éviter un conflit et pour les raisons suivantes : d’abord à cause de l’impression personnelle que lui, Hitler, avait reçue lors de la visite de Molotov, qui avait eu lieu entre temps — par « entre temps », je veux dire entre l’émission de la directive et son exécution ; ensuite, à cause du fait que les négociations économiques auraient été menées par les Russes, non seulement avec une extrême lenteur, mais, ainsi que Hitler l’exprima, en exerçant du chantage ; et troisièmement parce que, ainsi qu’il l’avait appris de l’État-Major général allemand, le déploiement des troupes russes avait pris des proportions tellement menaçantes que lui, Hitler, ne pouvait attendre que l’attaque vînt de l’adversaire, en raison du danger aérien qui pesait sur le Brandebourg et la capitale et sur toute la zone industrielle de Silésie. Raeder, là-dessus, se vit naturellement contraint d’admettre ces arguments, ne pouvant soutenir le contraire.
Vous ne voulez pourtant pas dire que vous pensiez que la guerre entre l’Allemagne et la Russie fût une guerre défensive, de la part de l’Allemagne ?
Non. Nous estimions que la concentration des troupes de part et d’autre avait atteint un point tel que l’orage pouvait se déchaîner d’un moment à l’autre ; or, du point de vue militaire, dès qu’un conflit paraît inévitable, on préfère remporter les avantages que peut offrir l’initiative dans l’attaque.
L’invasion de la Russie fut une agression brutale de la part de l’Allemagne, vous êtes d’accord sur ce point, n’est-ce pas ?
Oui, je le reconnais,
Je vous demanderais maintenant de regarder le document L-79, qui se trouve à la page 74 du livre de documents britannique n° 10. C’est le procès-verbal de la conférence de Hitler du 23 mai 1939, dont vous avez parlé dans votre déposition ce matin. Je pense que vous l’avez lu, témoin ?
Puis-je examiner le document, je vous prie ? Je n’ai encore jamais vu ce procès-verbal. Si on me posait des questions à ce sujet, il faudrait que je le lise d’abord en entier.
Vous n’avez pas besoin de le faire. Vous avez déposé ce matin au sujet de la discussion que Raeder avait eue avec vous au sujet de cette conférence. Par exemple, vous a-t-il dit que Hitler avait déclaré, le 23 mai 1939 : « Il n’est pas question d’épargner la Pologne ; nous avons seulement à prendre la décision d’attaquer à la première occasion. Nous ne pouvons nous attendre à une répétition de l’affaire de Tchécoslovaquie ; il y aura la guerre ».
Plus loin, à la page 76 : « Le Führer doute fort de la possibilité d’une solution pacifique avec l’Angleterre. Nous devons nous préparer à un conflit... L’Angleterre est donc notre ennemie, et la lutte avec elle sera une lutte à mort ».
Deux alinéas plus bas :
« Les bases aériennes belges et hollandaises doivent être occupées militairement et les déclarations de neutralité de ces pays doivent être ignorées. »
Je pense que ces déclarations de Hitler témoignent de sa politique délibérée et que celle-ci fut effectivement réalisée dans l’action. N’est-ce pas ?
Tout d’abord, je dois relever une erreur. Je croyais que vous m’aviez présenté un compte rendu sur la Russie et non sur la Pologne. J’entrevoyais une autre écriture, et je croyais que c’était un autre document. S’il s’agit du compte rendu dont je parlais ce matin, il me faut répéter que Raeder n’approuva pas les termes belliqueux du procès-verbal dont se servit Schmundt.
Un instant, témoin, je vous prie. J’ai lu certains extraits de ce document et je suppose que vous avez entendu leur interprétation. Êtes-vous d’accord avec moi sur le fait que ces extraits expriment la politique de Hitler à cette époque et que cette politique fut effectivement suivie ? (Gardez-donc vos écouteurs ; je sais que c’est difficile. Vous pouvez les écarter lorsque vous parlez.) Maintenant, tâchez de répondre à ma question.
Je voudrais faire remarquer à ce sujet que Hitler, dans ses discours, poursuivait toujours un but défini ; il voyait dans la préparation à la guerre un moyen de pression politique. La « guerre des nerfs » (expression courante non seulement en Allemagne, mais entendue dans les airs par delà les frontières mêmes de l’Europe), lui semblait un moyen d’éviter la guerre, tout autant qu’un moyen de pression.
Ce document, lui aussi, renferme des contradictions qui permettent de conclure que Hitler lui-même ne songeait pas sérieusement qu’une guerre se déclencherait. Je pourrais vous le prouver en vous signalant, par exemple, qu’il déclare que l’Êtat-Major général n’a pas à s’occuper de cette question, alors que, vers la fin du discours, il dit que toutes les branches de la Wehrmacht doivent se réunir pour étudier ce problème. Il affirme qu’une guerre avec la Pologne ne doit en aucun cas entraîner un conflit avec l’Angleterre ; c’est à la politique d’empêcher cela. Mais, au paragraphe suivant, on peut lire : « Mais si l’on en vient à une guerre tout de même, je porterai des coups rapides, durs et décisifs ». Plus loin, il dit encore : « Cependant, il me faut au moins dix à quinze ans pour m’y préparer », et il conclut en déclarant : « Le programme de construction de la Marine ne sera modifié en rien ».
Or, si à ce moment Hitler avait sérieusement pensé que, dans un temps relativement court, il y aurait un conflit avec la Pologne, il n’aurait jamais affirmé, d’abord, que nous aurions le temps jusqu’en 1943, et ensuite, qu’il n’y aurait aucun changement pour la Marine. Il aurait plutôt dit à Raeder, tout au moins en confidence : « Mettez sur pied en toute hâte un programme important de construction de sous-marins, car j’ignore quelle tournure vont prendre les événements ».
Mais il est établi, n’est-il pas vrai, que l’opération « Fall Weiss » était alors en préparation jusque dans les moindres détails, je veux dire la campagne projetée contre la Pologne ?
Cette opération était prête à un tel point que, lorsqu’elle fut rapportée à la dernière minute, nous pensions qu’il ne nous serait pas possible d’atteindre nos bâtiments en mer par radio. Il nous sembla que c’était là une façon extrême d’exercer une pression par la guerre des nerfs. Étant donné que tout avait été rapporté à la dernière minute, nous étions convaincus qu’il ne s’agissait que d’une pression politique, non pas d’une entrée en guerre. Ce n’est que lorsque nous avons entendu le bruit du canon que nous avons compris que la guerre était inévitable. Moi-même, je crois...
Il serait utile que vous tâchiez de répondre aussi brièvement que possible.
Je voudrais passer maintenant de la Pologne à la Norvège. Vous nous avez dit que la première conférence de l’accusé Raeder con-, cernant la Norvège eut lieu le 10 octobre. Je vous prie d’écouter la lecture du compte rendu de cette conférence tel qu’il figure au journal de l’amiral Assmann, à la date du 10 octobre 1939 :
« Le Commandant en chef de la Marine déclare que l’occupation des côtes de Belgique n’offre aucun avantage pour guerre sous-marine ; souligne importance bases norvégiennes (Trondheim). »
Je prétends que l’intérêt de la Marine allemande en Norvège, en vue de bases pour sous-marins se faisait sentir à ce moment-là. N’est-ce pas ?
Puis-je prendre connaissance de ce document ? Je ne le connais pas.
Vous allez voir l’original, si vous voulez vous assurer que je l’ai lu tel qu’il est. (Le document est remis au témoin.)
Je ne trouve pas dans cette phrase d’intention belliciste. Il y est dit expressément qu’il fait ressortir l’importance d’obtenir des bases en Norvège.
C’est ce que je vous demande. Et savez-vous que, le 3 octobre, l’accusé Raeder faisait émettre un questionnaire traitant des possibilités d’étendre les opérations plus au Nord, et des bases dont il serait opportun pour l’Allemagne de se saisir ?
Je me référe au document C-122, Monsieur le Président. Il se trouve à la page 91 du livre de documents n° 10(a). Si vous voulez regarder ce document, témoin, vous y lirez, à la deuxième phrase :
« Il faut vérifier s’il serait possible d’obtenir des bases en Norvège, en utilisant une pression combinée germano-russe, dans le but d’améliorer notre situation stratégique et tactique. Les problèmes suivants sont donc à examiner... » Suivent les divers points : « a ) Quelles sont les bases norvégiennes à prendre en considération ? b ) Ces bases pourraient-elles être saisies par la force militaire contre le gré de la Norvège, s’il faut en venir aux armes ? c ) Quelles sont les possibilités de défense une fois l’occupation accomplie ? d ) Faudrait-il aménager ces ports complètement comme bases, ou présentent-ils déjà certains avantages comme ports de ravitaillement ? (Le Commandant en chef des sous-marins estime que ces ports seraient de grande utilité comme bases de ravitaillement et d’approvisionnement pour les sous-marins de passage, naviguant dans l’Atlantique.) »
Et, finalement :
« e ) Quels seraient les avantages décisifs pour la conduite de la guerre sur mer, d’une base située dans le nord du Danemark, telle que Skagen, par exemple ? »
Je suggère que ces documents montrent que l’invasion de la Norvège était envisagée en Allemagne. N’est-il pas vrai ?
Non, je ne trouve pas que ces considérations purement théoriques et techniques sur la question des bases qui pourraient nous être utiles pour la conduite de la guerre dénotent des intentions agressives. J’ai dit ce matin que, autant que je sache, l’amiral Carls écrivit à Raeder dans ce sens, en septembre déjà, exprimant ses préoccupations à ce sujet et décrivant la stratégie qu’il préconisait en cas d’une occupation de la Norvège par les Alliés.
Vous avez mentionné ce matin une des sources de renseignements de l’amiral Raeder ; mais il y en a une que vous n’avez pas indiquée ; celle du traître norvégien Quisling. Les relations entre Raeder et Quisling étaient très étroites, n’est-ce pas ?
Jusqu’en décembre 1939, il n’y eut entre Raeder et Quisling absolument aucun contact. Raeder fit alors la connaissance de Quisling et ce fut leur première et dernière rencontre.
Mais, après décembre, le représentant de Quisling, Hagelin, se rendit fort souvent auprès de Raeder, n’est-ce pas ?
Je ne crois pas que Hagelin ait jamais été voir Raeder avant la visite de Quisling, à moins que je ne me trompe fort. Je crois qu’il vit Raeder pour la première fois lorsqu’il accompagna Quisling.
Oui, mais par la suite, Raeder maintint un contact très étroit avec le groupement de Quisling, ce groupe de traîtres, n’est-ce pas ?
Non, Raeder n’eut rien à faire avec le mouvement Quisling.
Connaissez-vous un homme qui s’appelle Erich Giese, Walter Georg Erich Giese, qui était employé au Commandement suprême de la Marine à Berlin ?
Je n’ai pas compris le nom.
Giese, G-i-e-s-e. Il était — une partie de ses fonctions consistait à recevoir les personnes qui rendaient visite au Commandant en chef — il était aux ordres de l’aide de camp du commandant en chef, et il perdit sa place en avril 1942. Vous vous en souvenez sans doute ?
Veuillez me répéter encore une fois son nom, je vous prie ? On me l’a épelé, mais je ne l’ai pas bien saisi. S’agit-il d’un Norvégien ?
Non, c’est un Allemand, un employé au Commandement suprême de la Marine de guerre. Sa tâche consistait à recevoir les personnes qui venaient rendre visite au Commandant en chef, à noter les demandes d’entretien et à tenir une liste des visites auprès du Commandant en chef. Vous avec maintenant sous les yeux une déposition sous serment de cet homme, le document D-722, déposé sous le numéro GB-479.
Le témoin a-t-il répondu à la question ?
Non, pas encore, Monsieur le Président.
Je viens d’entendre le nom. L’homme dont vous parlez se tenait dans l’antichambre du bureau de l’aide de camp. Il ne dépendait pas de lui de savoir qui pouvait être admis auprès de l’amiral ; c’était moi qui en décidais. Je faisais demander aux personnes le motif de leur visite. M. Hagelin ne se rendit jamais auprès de Raeder avant la visite de Quisling, c’est-à-dire avant décembre 1939.
Je ne suggère pas cela, mais je veux dire qu’après décembre 1939, Raeder et le groupement Quisling eurent des rapports très étroits. Je vais vous lire un extrait de la déposition de cet homme. Page 3 du texte anglais, Monsieur le Président :
« Je puis déclarer ce qui suit au sujet des préparatifs qui aboutirent à l’action entreprise contre le Danemark et la Norvège : il arriva très fréquemment qu’un fonctionnaire du Parti appartenant au service de politique étrangère de Rosenberg, prît un rendez-vous au nom de M. Hagelin et d’un autre monsieur dont je ne me rappelle pas le nom pour l’instant, pour voir le Commandant en chef ; le plus souvent, ils étaient reçus immédiatement. J’avais également des instructions selon lesquelles, si un certain M. Hagelin se présentait personnellement, je devais l’introduire immédiatement auprès du Commandant en chef. Peu de temps après, en parcourant le dossier des comptes rendus et d’après certaines conversations qui eurent lieu dans le bureau, j’appris que c’était un agent secret norvégien. Le représentant du service de politique étrangère de Rosenberg, qui l’accompagnait souvent et dont je ne me rappelle plus le nom, me parla aussi et me fit des confidences ; c’est ainsi que j’eus vent des conférences Raeder-Rosenberg et des préparatifs pour la campagne de Norvège. D’après tout ce que j’entendis, je puis dire que Raeder était à l’origine de cette entreprise, qui avait reçu l’entière approbation de Hitler. On camoufla l’opération en lui donnant l’apparence d’une attaque qui serait dirigée contre la Hollande et l’Angleterre.
« Un jour, Quisling lui-même fut annoncé par Hagelin auprès du Commandant en chef et fut immédiatement reçu. Le capitaine de corvette Schreiber, de la Marine de réserve, qui devint par la suite attaché naval à Oslo et connaissait à fond la situation en Norvège, joua aussi un rôle dans toutes ces négociations. Il collabora avec le parti Quisling et ses agents à Oslo. »
Il n’est pas vrai que M. Hagelin ait été reçu par l’amiral Raeder. M. Giese ne peut absolument pas être au courant de ces choses, car il se tenait dans une antichambre, deux bureaux plus loin. S’il avait noté peut-être que Hagelin avait été reçu par moi, cela aurait pu être exact. Il est un fait qu’en son temps, après la visite de Quisling et de Hagelin, je lui ai dit que si son chemin le conduisait de nouveau à Berlin et s’il avait des renseignements d’intérêt pour la Marine, je lui serais reconnaissant de me les faire tenir.
Voulez-vous dire que l’accusé Raeder n’a jamais vu Hagelin ?
Il n’a pas fait sa connaissance avant la visite de Quisling, en décembre 1939. Et, après cela, il ne le reçut plus.
Mais il reçut effectivement Hagelin, le 14 décembre 1939, et l’amena auprès de Hitler, n’est-ce pas ?
Il était accompagné de Quisling, c’est exact. Mais il n’eut jamais d’entretien particulier seul avec Raeder.
Ce matin, vous avez parlé de l’entretien entre Quisling et Raeder, du 12 décembre 1939, et vous avez déclaré qu’on n’avait pas discuté politique au cours de cette conversation.
Par le mot « politique », je veux dire les questions politiques du point de vue national-socialiste, c’est-à-dire la politique nationale-socialiste en Norvège. Nous avons uniquement discuté des questions politiques concernant la Marine.
Je ne veux pas discuter avec vous ce que vous entendez par le mot « politique ». J’accepterai la définition classique allemande selon laquelle la politique est la poursuite de la guerre par d’autres moyens. Si vous voulez regarder le document C-64, toutefois, vous verrez que des problèmes politiques furent bel et bien discutés le 12 décembre. C’est un compte rendu de Raeder adressé à Hitler. 11 se trouve à la page 31 du livre de documents 10 (a), Raeder a écrit au deuxième paragraphe :
« Comme conséquence du conflit russo-finlandais, les sentiments, anti-allemands en Norvège se sont renforcés. L’influence de l’Angleterre est très forte, surtout grâce à Hambro, président du Storting, un Juif et un ami de Hore-Belisha, qui a beaucoup de poids en Norvège actuellement. Quisling est convaincu qu’il y a un accord entre l’Angleterre et la Norvège pour l’occupation éventuelle de la Norvège ; auquel cas, la Suède serait aussi contre l’Allemagne. Le danger que la Norvège soit occupée par l’Angleterre est très grand et cela pourrait se produire sous peu ; A partir du 11 janvier 1940 le Storting, donc le Gouvernement norvégien, ne sera plus constitutionnel, étant donné que le Storting a violé la constitution, en prolongeant son mandat d’une année. »
Vous avez beaucoup discuté de politique au cours de cette conférence, me semble-t-il. Vous avez dit que l’accusé Raeder désirait la paix avec la Norvège. Était-ce la paix avec une Norvège qui aurait eu à sa tête le traître Quisling.
En réponse à votre première question, je dirai que le procès-verbal indique ce qui suit :
« Le Commandant en chef de la Marine fait remarquer que, lors de tels offres, il est très difficile de juger jusqu’à quel point les personnages en cause désirent servir les intérêts de leur propre parti et combien ils entendent favoriser ceux de l’Allemagne ; c’est dire que la prudence s’impose. »
Or, cette remarque que contient le document que vous venez de me présenter, corrobore ce que je tente d’affirmer, à savoir qu’aucune question de parti ou questions réclamant un accord basé sur l’idéologie ne fut abordée entre l’amiral Raeder et Quisling. C’est pourquoi j’ai affirmé que Raeder ne discuta pas de politique avec lui et se limita aux questions de fait. Que Quisling, lors de sa visite, ait effleuré certains sujets en guise de préambule, c’est probable. Mais Raeder est sur ses gardes et se demande : « Que veut cet homme ? Désire-t-il servir les intérêts du Parti ou veut-il, au fond, se tenir à l’écart ? »
En tout cas, l’accusé Raeder lisait plutôt les rapports de Quisling que ceux de l’ambassadeur d’Allemagne à Oslo, qui étaient sensiblement différents de ceux du traître norvégien, n’est-ce pas ?
Je crois que Raeder n’a jamais lu les rapports de l’ambassadeur allemand à Oslo ; personnellement, en tout cas, je ne les connais pas.
Eh bien, le Tribunal possède maintenant tous les documents à ce sujet. Je ne poursuivrai donc pas cette question. Je voudrais vous demander ensuite des précisions sur les relations existant avec les États-Unis d’Amérique. Quand l’Amirauté allemande a-t-elle eu connaissance, pour la première fois, des intentions japonaises d’attaquer les États-Unis ?
Je ne puis parler qu’au nom de Raeder et de moi-même : autant que je sache, ce ne fut qu’au moment de l’attaque sur Pearl-Harbour.
Mais vous aviez reçu une communication de votre attaché naval à Tokio, avant l’attaque sur Pearl-Harbour, laissant entendre qu’une attaque contre les États-Unis était imminente, n’est-il pas vrai ?
Sur Pearl-Harbour ? Non.
Mais contre les forces des États-Unis. Regardez donc le document D-872, qui sera déposé sous le numéro GB-480. Vous constaterez que ce sont des extraits du journal de guerre de l’attaché naval allemand à Tokio. La première inscription est en date du 3 décembre 1941 :
« 18 heures
L’attaché naval a invité plusieurs officiers du ministère de la Marine japonaise. Il semblerait, d’après leur conversation, que les négociations avec Washington puissent être considérées comme absolument interrompues et que l’on puisse envisager sans le moindre doute qu’une action militaire de la part des Japonais sera déclenchée dans le Sud d’un moment à l’autre. »
Et, le 6 décembre 1941 : « Conversation avec le capitaine de frégate Shiba ». Le compte rendu de cette conversation fut envoyé à Berlin sous la forme du télégramme suivant :
« 1. La semaine dernière, l’Amérique a proposé un pacte de non-agression entre les États-Unis, l’Angleterre, la Russie et le Japon. En considération du Pacte tripartite et des fortes exigences formulées, le Japon a refusé cette offre. Les négociations en sont donc au point mort.
2. Les Forces armées japonaises avaient prévu ce développement et avaient consenti au départ de Kurusu uniquement dans le but de donner l’impression au peuple que tous les moyens avaient été tentés pour trouver une solution.
3. Les Forces armées japonaises sont persuadées, depuis trois semaines déjà, que la guerre est inévitable, même si les États-Unis, à la dernière minute, faisaient des concessions importantes. Des mesures en conséquence vont donc être prises. »
Je ne veux pas lire tout le document, mais à la fin il dit :
« L’état de guerre avec la Grande-Bretagne et les États-Unis sera certainement déclaré avant Noël. »
En supposant que ce message vous soit parvenu avant le 8 décembre, vous avez dû être mis au courant des plans de l’attaque perfide des Japonais contre les États-Unis, n’est-ce pas ?
Je ne comprends pas très bien. J’ai déjà déclaré que nous n’avions eu aucun contact avec les spécialistes ou attachés japonais à Berlin. J’ai affirmé que nous avons eu connaissance de l’attaque de Pearl-Harbour par la radio, et je ne vois pas quelle différence existerait si, le 6 décembre, l’attaché à Tokio nous avait fait part de ses impressions ou des conclusions qu’il aurait tirées de renseignements dont nous ne pouvions pas contrôler l’origine. Cela n’a rien à faire avec le fait que nous aurions conseillé aux Japonais, à Berlin, d’attaquer l’Amérique.
Voulez-vous dire par là que vous n’avez eu aucun entretien à Berlin avec l’attaché japonais ?
Autant que je sache, il n’y eut aucune conférence officielle entre les représentants des deux Amirautés, à savoir conférences officielles d’opérations entre la SKL et le personnel de l’Amirauté japonaise.
Monsieur Elwyn Jones, avant d’en finir avec ce document, je crois que vous feriez bien d’en lire le cinquième alinéa.
Je cite le cinquième alinéa, Monsieur le Président :
« 5. Addenda. Attaché naval. Aucune précision n’est donnée concernant l’heure « H » de déclenchement de l’offensive dans le Sud. Néanmoins tout porte à croire qu’on peut s’y attendre dans les trois semaines à venir, avec des attaques dirigées simultanément contre le Siam, les Philippines et Bornéo.
6. L’ambassadeur ne sait pas que je vous transmets ce télégramme, mais il est au courant de ces renseignements. »
Je voudrais maintenant...
En me référant aux dernières déclarations du témoin, je ne sais pas si j’ai bien compris ses explications antérieures. Comme j’ai cru le comprendre, il a déclaré que l’Amirauté allemande n’avait appris qu’après Pearl-Harbour les intentions japonaises d’attaquer les États-Unis, et non pas qu’il avait pour la première fois entendu parler de Pearl-Harbour par la radio. C’était le premier renseignement qui lui parvenait sur ces intentions agressives.
C’est exact, Monsieur le Président. (Au témoin.) Je prétends, témoin, que vous connaissiez parfaitement les intentions japonaises d’attaquer les États-Unis, avant l’incident de Pearl-Harbour.
Je ne sais pas si vous voulez insister sur Pearl-Harbour même, que sur le fait que nous ayons été avisés, avant l’attaque de Pearl-Harbour, de l’imminence d’un conflit, par un télégramme de Tokio. On m’a demandé si nous étions au courant du fait d’une attaque sur Pearl-Harbour et j’ai répondu non. J’ai dit qu’il n’y eut à Berlin aucune conférence entre la SKL et les représentants de l’Amirauté japonaise. Ce que vous me présentez maintenant...
Je vais m’occuper de cette question, mais je voudrais lire auparavant ce que votre Commandant en chef a dit à ce sujet et qui n’est pas conforme à vos déclarations. Le 10 novembre 1945, au cours de son interrogatoire, l’amiral Raeder a déclaré, en réponse à la question suivante, document D-880 (GB-483) :
« Question
De telles questions étaient-elles traitées uniquement par des représentants des Affaires étrangères ou avec la collaboration de la Marine et de l’OKW ? »
L’accusé Raeder répond :
« Non, les négociations furent menées par le ministère des Affaires étrangères, et le Japon était représenté par Oshima, qui était, un officier. C’est en tant que délégué qu’il négocia avec le ministère des Affaires étrangères, mais il était suffisamment qualifié pour examiner ces questions du point de vue militaire. Les autorités militaires avaient depuis longtemps déjà poursuivi des négociations avec les attachés militaire et naval, concernant les divers besoins des Japonais... Tout ceci avait été discuté et tiré au clair avec les attachés militaire et naval. »
Voilà une version tout à fait différente de celle que vous nous avez donnée, n’est-ce pas, témoin ?
Il y a deux autres questions dont je voudrais m’occuper. Je ne sais pas, Monsieur le Président, s’il ne serait pas temps de suspendre l’audience.
Plaise au Tribunal. En ce qui concerne l’extrait de l’interrogatoire de l’accusé Raeder que j’ai lu, je voulais qu’il soit parfaitement clair que l’accusé traitait alors des relations générales entre les autorités allemandes à Berlin et les représentants japonais. Je ne veux pas donner l’impression au Tribunal que c’était des négociations faites spécifiquement en vue d’une attaque contre l’Amérique. Je ne voudrais pas induire le Tribunal en erreur sur ce point. (Au témoin.) Êtes-vous au courant de l’exécution, en décembre 1942, de deux membres de l’infanterie de Marine britannique qui avaient participé à une opération de commando dans l’estuaire de la Gironde, par une section de la Marine allemande aux ordres du commandant de la Marine à Bordeaux ?
J’en ai eu connaissance plus tard.
Avez-vous eu connaissance de ce qui fut mentionné au journal de guerre de la SKL à propos de cette exécution ?
Non ; à Nuremberg, l’avocat m’a fait voir une certaine inscription, mais je n’ai pas pu reconnaître si elle provenait du journal de guerre de la SKL ou non.
Il a été suggéré à la fois par le défenseur de Dönitz et celui de Raeder, que l’inscription du D-658 contenant la phrase suivante : « Une telle mesure serait conforme à l’ordre spécial du Führer, mais représente néanmoins une innovation dans le domaine du Droit international, étant donné que ces soldats étaient en uniforme », que cette inscription, dis-je, n’aurait pas été portée au journal de guerre de la SKL. Or, vous connaissez les initiales de l’accusé Raeder, n’est-ce pas ? Je voudrais donc que vous regardiez l’original du document D-658, afin qu’il soit irréfutablement établi que ces faits ont été rapportés dans le journal de guerre de la SKL. Avec la permission du Tribunal, je verserai au dossier la photocopie du document dont l’original sert actuellement à un autre but ; le document D-658 portait le numéro GB-229, et il conviendrait peut-être d’appeler la photocopie de l’original D-658 (a) et GB-229 (a). C’est bien le journal de guerre de la SKL, n’est-ce pas ?
Oui, je le reconnais comme tel.
Et la SKL était parfaitement au courant de cet affreux assassinat de marins à Bordeaux, n’est-il pas vrai ?
Dans le journal de guerre, je constate — c’est du moins mon impression — que plus tard, le 9 décembre, elle a été informée de l’exécution.
Et son commentaire laconique fut...
Dans le communiqué de la Wehrmacht, il est dit : « Selon le communiqué de la Wehrmacht, les deux soldats ont été fusillés entre temps ». C’est ce que mentionne le journal de guerre de la SKL, je le reconnais.
Et la SKL de commenter, avec humanité : « Cela représente une innovation dans le domaine du Droit international, étant donné que ces soldats étaient en uniforme ».
Il y a encore un point sur lequel je tiens à vous interroger : vous affirmez bien que la Marine allemande a mené la guerre en mer avec une parfaite correction ?
Je prétends que la Marine allemande a mené une guerre navale très chevaleresque. Et ceci n’a absolument rien à voir avec le fait qui est rapporté dans le journal de guerre de la SKL et qui provient du communiqué de la Wehrmacht, selon lequel deux soldats ont été fusillés et que ceci était conforme à l’ordre spécial du Führer, mais, comme l’ajoute la SKL, cela représentait une innovation dans l’histoire de la guerre navale. Celle-ci aussi...
J’en viens maintenant à une autre question ; vous avez dit, d’une façon générale...
Puis-je dire encore, pour conclure simplement, que cette note supplémentaire fut confirmée et que la Marine, c’est-à-dire Raeder, n’a pas pu intervenir. Si vous me demandez si j’approuvais un tel ordre, ou quelque chose de ce genre, je vous donnerai alors mon avis personnel sur les questions dont Raeder et moi avons discuté.
Mais vous savez que Raeder était Commandant en chef de la Marine, et qui donc aurait eu de l’influence en Allemagne si ce n’était les commandants en chef ? Voilà une affaire qui mettait directement en jeu l’honneur des Forces armées allemandes et malgré cette violation flagrante de la protection dont auraient dû bénéficier ces soldats britanniques selon la Convention de Genève, on constate que Raeder resta en fonctions malgré le fait qu’ils furent volontairement assassinés.
C’est une altération de la vérité. Je prends position de la manière suivante : le fait est que, dans cette guerre, pour la première fois, on a eu recours à une forme de sabotage, soit à l’arrière des lignes au moyen de parachutages ou autres...
Un instant ! Il s’agissait de soldats en uniforme, ainsi que le constate lui-même le journal de guerre de la SKL.
Il faut que je dise quelque chose sur l’ordre qui précéda. Le préambule de l’ordre indique que, étant donné qu’il ressortait des ordres alliés qu’on avait saisis aux termes desquels — je ne me souviens pas des termes exacts — ces soldats n’avaient pas à se soucier de faire des prisonniers allemands mais plutôt de les abattre en remplissant leur mission de « commando », les directives suivantes étaient données.
A l’époque, j’ai évidemment discuté cette question avec Raeder et je ne puis citer que mon opinion personnelle. J’étais enclin à considérer ce préambule comme vraisemblable, parce que j’estime que si, par exemple, j’ai recours au sabotage sur les arrières ennemis, je ne peux évidemment pas prendre la peine de faire des prisonniers, car alors l’effet de surprise est nul. Par conséquent, si un groupe de trois à cinq hommes entreprend ce qu’on appelle une mission de commando, pour commettre des destructions derrière le front, ces hommes ne peuvent se charger de prisonniers, sans risquer d’être tués eux-mêmes ou d’être reconnus prématurément, avant l’accomplissement de leur tâche. J’ai donc été d’avis que ce préambule était vraisemblable, et je l’ai déclaré franchement.
Et vous estimez donc que l’exécution de ces deux soldats britanniques était parfaitement justifiée ? C’est là votre position dans cette affaire, n’est-ce pas ? Répondez par oui ou par non, je ne veux pas discuter avec vous sur ce point.
Je n’ai jamais affirmé une chose pareille, mais j’ai déclaré plutôt qu’il s’agissait ici d’un fait dont nous n’avions eu connaissance que par le communiqué de la Wehrmacht et que ni Raeder ni le Haut Commandement n’avaient été consultés à ce sujet. Voilà ce que j’ai constaté.
Le dernier point sur lequel je désire vous interroger est le suivant : vous avez déclaré estimer que l’Allemagne avait mené la guerre sur mer avec une parfaite correction. Je désire que vous vous reportiez au document D-873, qui deviendra GB-481, et qui représente le livre de bord du sous-marin U-71. En date du 21 juin 1941, alors que l’accusé Raeder était Commandant en chef de la Marine allemande il est inscrit :
« En vue un canot de sauvetage du pétrolier norvégien John P. Pederson à la dérive avec une voile. Trois survivants y gisent épuisés sous une toile goudronnée et ne sont apparus que lorsque le sous-marin s’éloignait à nouveau. Ils ont déclaré que leur bateau avait été torpillé vingt-huit jours auparavant. Ai repoussé la requête qu’ils présentaient d’être pris à bord, leur ai fourni de l’eau et du ravitaillement et leur ai donné le point et la distance à la côte d’Islande. Le canot et équipage étaient dans un tel état, qu’étant donné le temps, on ne pouvait guère supposer qu’il y eût espoir de secours. Signé : Flachsenberg. »
Voilà donc ce qui constitue votre conception d’une guerre chevaleresque ?
Je constate que le commandant a fait ce qu’il pouvait faire, étant donné les conditions et le temps qui l’empêchaient de les prendre à son bord. Il leur lança un sac de vivres et leur indiqua comment atteindre la côte. Je ne vois pas ce qu’il y a là d’inhumain. S’il les avait abandonnés sans leur donner de vivres et sans leur donner le point, vous pourriez présenter vos conclusions.
Mais il aurait pourtant pu prendre à bord trois hommes d’un bateau torpillé...
Non, je ne crois pas que vous puissiez juger de cela. Seul, le commandant lui-même responsable du sous-marin pourrait le faire. Il faudrait constater quel temps il faisait, car il est dit ici : « Mer assez agitée ». Cela pouvait aussi...
Pourtant le commandant du sous-marin a dû leur parler, il était donc matériellement possible de les prendre à bord ; mais il les a abandonnés à leur destin, sachant pertinemment qu’il les livrait ainsi à la mort.
Non, en aucune manière. En ce cas, il n’aurait pas eu besoin de leur donner des vivres et des indications pour atteindre la côte. Pourquoi pensez-vous qu’ils étaient voués à la mort ? D’ailleurs...
La dernière phrase indique clairement que le commandant du sous-marin savait parfaitement qu’il les abandonnait à la mort. Je prétends qu’il aurait pu les prendre à son bord et ainsi agir humainement, s’il en avait été capable.
Non ; je ne sais pas quelle était la situation dans laquelle se trouvait le sous-marin, s’il était en mesure de prendre à bord des prisonniers. Je dois supposer que vous n’avez jamais connu les conditions qui règnent dans un sous-marin, autrement vous ne jugeriez pas comme vous le faites. L’équipage d’un sous-marin est en plongée souvent pendant des semaines, chaque centimètre cube d’espace est utilisé et le bateau est exposé nuit et jour aux plus grands dangers ; on ne peut donc déclarer simplement qu’il eut été humain de prendre encore d’autres hommes à bord. D’ailleurs, le commandant lui-même dit qu’étant donné le mauvais temps, les chances de secours étaient minimes.
Je n’ai plus de questions à poser, Monsieur le Président.
Monsieur l’amiral, j’ai quelques questions à vous poser sur un certain nombre de points soulevés par M. Elwyn Jones.
On vous a présenté un document signé d’Assmann, daté du 10 octobre 1939, en affirmant qu’il prouve que Raeder ne voulait occuper la Norvège que pour obtenir des bases norvégiennes. Je voudrais vous lire l’inscription en entier et je vous prierais alors de prendre position sur l’ensemble du document :
« Le Führer est d’accord pour que les deux seuls croiseurs ne soient pas encore engagés maintenant. La Russie a offert des points d’appui près de Mourmansk...
« Question du siège de l’Angleterre. Le Führer et le Commandant en chef de la Marine sont d’accord pour refuser toutes les protestations des neutres, même au risque de faire entrer les États-Unis dans la guerre, ce qui paraît certain si celle-ci se prolonge. Plus la guerre est menée avec brutalité, plus l’effet sera atteint rapidement, plus la guerre sera brève.
« Capacité de construction de sous-marins. Pour raisons politiques, le Führer rejette la proposition d’obtenir des sous-marins de Russie ou de les faire construire là-bas. Le Commandant en chef de la Marine déclare qu’il n’y a aucun avantage pour la guerre sous-marine à saisir la côte belge ; souligne la valeur de points d’appui en Norvège (Trondheim), avec l’aide de la pression russe. Le Führer va examiner la question. (Document D-879, déposé sous le numéro GB-482.)
Amiral, ce document dans son ensemble représente-t-il un éclaircissement complet du problème norvégien ?
Non, absolument pas.
Ai-je raison de croire qu’on y traite un grand nombre de questions, mais qu’une seule question stratégique intéressant la Norvège...
Monsieur le Président, la traduction telle que je l’ai entendue est « qu’il n’y aurait aucun avantage à occuper les bases norvégiennes » ; or, le texte du document traduit indique au contraire que « Raeder souligne l’importance d’obtenir des bases norvégiennes ». Je n’émets aucune critique, mais il importerait peut-être de s’assurer une traduction exacte.
Quel est le... Avez-vous donné un numéro de dépôt à ce document ?
Non, Monsieur le Président. Il s’agit d’une inscription du journal d’Assmann.
Oui, je le sais, mais j’aimerais savoir le numéro de dépôt.
J’en ferai faire un extrait et lui donnerai un numéro de dépôt, ce soir même, Monsieur le Président.
Ce sera le numéro GB-482, n’est-ce pas ?
Oui, c’est exact, Monsieur le Président.
Monsieur le Président, c’est la même date. Je vous prie de m’excuser si cela ne concorde pas, mais la pièce dont j’ai eu le texte tout à l’heure m’a été prêtée aimablement par M. Elwyn Jones lui-même.
Vous voudrez bien régler ensemble la question de l’exactitude de la traduction.
Très bien, Monsieur le Président.
En tout cas, amiral, les deux inscriptions datent du 10 octobre, c’est-à-dire de la même conférence. Ai-je donc raison en disant qu’il s’agissait d’un grand nombre de questions stratégiques dont aucune d’entre elles ne fut l’objet d’un examen complet et définitif ?
Non, cet ensemble de questions n’a aucun rapport avec l’entretien extrêmement complet et détaillé entre Hitler et Raeder sur l’occupation de la Norvège. Le problème de la Norvège, à savoir son occupation, fut abordé, et quelques points furent discutés, dont Raeder prit note, comme d’habitude, sur son carnet. Indépendamment de la question d’une nécessité éventuelle d’occuper la Norvège, on examina par la même occasion la question générale d’une acquisition possible de points d’appui à l’extérieur du territoire allemand.
Donc, on discuta la question de Mourmansk, qui avait été offert par la Russie ?
De la Russie jusqu’à la Belgique, toute la côte, partout où s’offrait une possibilité ou un avantage stratégique quelconque pour la Marine.
Si, dans le journal de guerre, il se trouve une phrase entre guillemets ayant trait à cet entretien de Hitler et de Raeder, cela indique-t-il qu’on cite les paroles mêmes de Hitler ? Peut-on supposer cela ?
Lorsqu’il est dit...
Monsieur le Président, la traduction a maintenant été vérifiée et la version qui correspond exactement à l’original du document est la suivante : « Raeder souligne d’importance d’obtenir des bases norvégiennes ».
Veuillez continuer, Docteur Siemers.
J’ai compris ce qui a été dit, Docteur Siemers. Puis-je dire quelque chose à ce sujet.
Certainement, vous vouliez ajouter quelque chose ?
Oui, j’ai compris qu’on disait que Raeder aurait attiré l’attention de Hitler sur la nécessité d’acquérir des bases de sous-marins et qu’à cet effet il aurait mentionné l’aide de la Russie ainsi que la possibilité d’obtenir des bases en Norvège. Mais je ne vois là-dedans aucune intention agressive.
Monsieur le Président, afin de gagner du temps, j’ai demandé au Dr Kranzbühler de vérifier la traduction. Le texte allemand — et je voudrais attirer l’attention là-dessus — est le suivant : « Le Commandant en chef de la Marine signale l’importance d’obtenir des bases à obtenir en Norvège ». Ce qui diffère un peu de la traduction anglaise. Mais je me permettrai de revenir là-dessus plus tard. (Au témoin.) Amiral, M. Elwyn Jones a présenté une déclaration sous serment de Walter Giese. Je vous serais reconnaissant de la regarder encore une fois. C’est le document D-722 et la première ligne est la suivante : « Je suis né le 24 novembre 1900 à Stettin et suis fils du maçon Ernst Giese ». Puis : « Je me tenais dans l’antichambre du Commandant en chef, aux ordres de l’aide de camp ». Puis, dans le même paragraphe : « A midi, l’aide de camp me remettait le livre des procès-verbaux pour l’enfermer dans le coffre-fort ».
A la page 2, on lit : « Personnellement, je voyais rarement le Commandant en chef lui-même. Il m’arrivait seulement parfois de lui remettre ou de lui reprendre de dossier de correspondance très secrète ».
Ai-je donc raison, amiral, de supposer que Giese était un genre de planton ou d’agent de transmission ?
Oui ; en vue d’économiser un certain nombre de postes d’officiers, nous avions fait occuper un certain nombre de fonctions par des civils, par des hommes que nous estimions dignes de notre confiance. La surveillance du coffre-fort et la garde des clefs étaient en réalité la tâche du sous-ordre de l’aide de camp dont nous avons d’ailleurs supprimé l’emploi plus tard. Giese avait servi pendant plusieurs années comme second maître dans la Marine, et ensuite pendant douze ans comme secrétaire dans l’administration, ce qui lui avait procuré une certaine expérience de la tenue des dossiers.
Tout cela figure déjà dans le document. S’il s’y trouve une inexactitude, interrogez le témoin là-dessus, mais tout y est précisé, comme l’a décrit l’amiral. Vous gaspillez le temps du Tribunal par ces répétitions inutiles.
Monsieur le Président, je crois que ce que M. Elwyn Jones a soulevé était également dans le document ; c’est une question d’interprétation. On a attiré l’attention du témoin sur certains points très précis, et je vous prie de m’excuser si je me suis trompé ; je croyais avoir le droit de revenir à mon tour sur certains points du document.
Si vous désirez le faire, attirez donc notre attention sur les paragraphes qui vous intéressent.
Je puis répondre brièvement, Giese n’avait aucune vue sur les faits eux-mêmes, et même si, sans autorisation, il avait examiné le procès-verbal de l’aide de camp qui n’était pas un sténogramme, mais des notes personnelles pour servir d’aide-mémoire, il n’aurait pu en tirer une impression juste sur la conférence sans y avoir assisté lui-même. En outre, il ne lui appartenait pas, dans l’antichambre, de décider qui pouvait être admis auprès du Commandant en chef, mais c’était plutôt l’affaire de l’aide de camp ou la mienne. Il ne savait même pas qui devait être admis, et c’est donc une affirmation ou une supposition vraiment audacieuse lorsqu’il déclare qu’un individu comme Hagelin se rendait chaque fois auprès de Raeder plutôt que de me voir d’abord. A ce propos, je dirais que Hagelin me rendit visite quatre ou cinq fois environ.
Croyez-vous que Giese ait été présent lorsque Raeder s’entretenait avec Hitler ?
Giese ? Non, jamais. Giese se tenait dans l’antichambre et était chargé d’obtenir les communications téléphoniques pour Raeder.
Docteur Siemers, personne ici n’a jamais prétendu, et M. Elwyn Jones moins que tous, que Giese était présent au cours des entretiens entre Raeder et le Führer ou entre Raeder et Hagelin.
Monsieur le Président, c’est sa déclaration sous serment, dans laquelle il dit — et je désire attirer votre attention là-dessus — page 5 du document : « D’après tout ce que j’ai entendu, je puis dire que Raeder était à l’origine de cette entreprise, qui avait reçu l’entière approbation de Hitler ». Comment pouvait-il savoir cela ?
Je pourrais souligner que moi-même, en tant que chef d’État-Major, n’assistais pas à ces entretiens personnels. Giese, lui, était obligé de rester à côté du téléphone et aucune possibilité ne s’offrait à lui de se renseigner, si ce n’était de laisser libre cours à son imagination.
Cela suffit, je vous remercie. J’en viens maintenant au document D-872, qui est le journal de guerre de l’attaché naval au Japon ; ce journal a donné lieu à l’assertion que vous deviez savoir que le Japon attaquerait l’Amérique le 7 décembre. Le télégramme mentionné ici est daté du 6 décembre. Quand supposez-vous l’avoir reçu ?
Voulez-vous dire par moi, personnellement ?
Oui, ou Raeder.
Pas avant le lendemain matin.
Donc le 7 décembre ?
Oui, au plus tôt. Dans ce cas, le chef de l’État-Major naval avait à décider si, pour des raisons stratégiques, le télégramme devait être présenté immédiatement ou non.
Amiral, vous souvenez-vous de ce document ?
Oui.
Pearl-Harbour est-il mentionné dans ce document ?
Non. C’est justement ce que j’ai essayé d’expliquer, c’est que Pearl-Harbour n’a rien à voir avec ce télégramme de l’amiral Wennecker ; ce dernier s’inspira de ses sources de renseignements ou de ses propres suppositions en formulant ses conclusions dans ce télégramme, sans pouvoir citer des faits précis. Nous recevions d’innombrables télégrammes de ce genre ; parfois les suppositions étaient exactes, parfois erronées.
Amiral, le Ministère Public a présenté ce télégramme comme preuve que des négociations militaires avec le Japon avaient eu lieu. Ai-je raison de dire qu’il s’agit ici seulement d’une communication concernant des éventualités ?
Oui, évidemment. J’ai déjà tenté d’expliquer qu’il n’y eut aucune conférence militaire entre les État-Majors navals. Mais l’attaché naval était chargé d’étudier et de transmettre tous les renseignements.
On vous a présenté, de plus, un document qui n’a pas été versé au dossier. Il s’agit d’un interrogatoire de Raeder du 10 novembre 1945. Je me permets de vous prier de vous reporter au bas de la page 5 de ce document que je vous fais soumettre et, au passage, qui a été lu, à la page 6.
Monsieur Elwyn Jones, ce document devrait porter un numéro, n’est-ce pas ?
Ce sera le document GB-483, Monsieur le Président.
Au bas de la page 5 de cette pièce, le document n° C-75 est-il mentionné ?
Non.
Je crois que vous faites erreur, amiral, ou alors c’est moi qui me trompe.
J’ai un texte anglais... Est-ce le texte anglais que vous voulez dire ?
Oui, le texte anglais, car il n’existe pas en allemand.
Vous voulez dire le dernier alinéa ?
Je crois que c’est la dernière ou l’avant-dernière ligne. Les chiffres indiquant les pages sont très indistincts. Peut-être n’avez-vous pas la bonne page ?
Monsieur le Président, il s’agit dans cet interrogatoire du document C-75. Je crois que le témoin le trouvera sans tarder. Il a été fait mention de ce document dernièrement et, conformément au désir exprimé par le Tribunal, je le verse au dossier (C-75). C’est la directive n° 24 au sujet de la coopération avec le Japon ; je remets ce texte in extenso et il devient le document Raeder n° 128. Le Tribunal se souviendra...
A-t-il déjà été versé au dossier, le C-75 ?
Je le verse maintenant.
Non, mais a-t-il déjà été versé une fois au dossier ? A-t-il déjà été présenté comme preuve ?
Vous vous souviendrez, Monsieur le Président, que le Ministère Public avait déposé le document C-75 sous le numéro USA-151.
C’est tout ce que je désirais savoir ; s’il a déjà été versé au dossier, il est inutile de lui donner un nouveau numéro, n’est-ce pas ?
Monsieur le Président, puis-je vous signaler qu’il faudrait lui donner un nouveau numéro, car seule la première partie du document a été présentée par le Ministère Public.
Il a déjà été déposé sous le numéro USA-151, Monsieur le Président.
Je crois que nous ne devrions pas donner un nouveau numéro à des extraits de documents déjà versés au dossier ; si le document à déjà été déposé et si vous voulez en utiliser une partie, vous pouvez lui donner le même numéro, voilà tout.
Mais, Monsieur le Président, si le Ministère Public n’a présenté que les trois premiers alinéas du document, je ne puis...
Oui, oui, je sais, je sais parfaitement bien cela, Vous avez le droit de déposer n’importe quelle partie du document. La seule question est de savoir quel numéro l’identifiera. Il se peut que je me trompe, mais, jusqu’à maintenant, je crois que nous n’avons jamais donné de nouveaux numéros à des documents qui ont déjà été versés au dossier, même si d’autres extraits sont versés au dossier par la suite.
Monsieur le Président, la situation du document C-75 est la suivante : le texte original en entier a été déposé sous le numéro USA-151, mais un extrait seulement a été incorporé au document anglais présenté ici devant le Tribunal.
Oui, je comprends. Tout ce qui me préoccupait, c’était le numéro de dépôt. Le document a déjà le numéro USA-151 et il me semblait que nous avions l’habitude de garder le même numéro. Vous pouvez donc présenter l’extrait que vous voulez ; et si c’est une question de traduction, je pense que le Ministère Public le transmettra pour vous au service de traduction. Mais il est inutile que vous lui donniez un nouveau numéro.
Je vous prie de m’excuser, Monsieur le Président, mais on m’avait récemment demandé de verser ce document à nouveau, c’est ce qui a créé le malentendu. Dans ces conditions, puisque j’apprends que le document a été déposé entièrement, je puis donc le retirer. Je serais reconnaissant si le Tribunal pouvait recevoir également la traduction complète en anglais et non pas seulement la traduction des deux premiers alinéas. (Au témoin.) Amiral, l’avez-vous trouvé en attendant ?
Oui, c’est à la page 7, comme vous le pensiez, et non à la page 5. Le document indique...
Je vous demande pardon... Il est donc bien exact que l’interrogatoire se réfère au document C-75 ?
Oui.
Le document C-75, amiral, est la directive n° 24 qui se rapporte à la coopération avec le Japon, et il y est dit : « Les principes suivants sont valables. Notre but commun dans la guerre est de vaincre l’Angleterre et ainsi d’empêcher l’entrée des États-Unis dans le conflit ».
En outre, le document mentionne aussi le fait que j’ai cité récemment, à savoir que Singapour devait être occupé par le Japon.
Or, le 10 novembre 1945, Raeder a pris position sur ce point, et vous le verrez à la page suivante, a déclaré ce qui a été cité tout à l’heure par M. Elwyn Jones. Puis-je vous prier de regarder encore une fois ce passage ? Il est indiqué... Je crois que c’est en haut de la page 6 ou peut-être la page 8...
En haut de la page 8. Je ne sais pas l’anglais aussi bien que l’allemand, mais je traduirais ainsi : « Si ce dont le Japon a besoin...
Si mes souvenirs sont exacts, c’est le mot « need » qui a été employé.
Oui, il se sert du mot « need » « ... and other things, things that the Japanese need... »
C’est-à-dire ce dont a besoin le Japon et autres choses nécessaires. Par conséquent, les entretiens dont parle Raeder ne se rapportent pas à des bases stratégiques ?
Non, ce sont deux choses absolument différentes.
De ce fait, la réponse de Raeder se rapporte uniquement à des questions d’équipement et de matériel ?
Oui, uniquement à des questions d’équipement et de matériel...
Je vous remercie.
... questions que nous discutions avec toutes les autres marines et pas seulement avec les Japonais.
J’en viens maintenant à l’ordre concernant les commandos au sujet duquel vous avez déjà déposé. Je voudrais pourtant vous demander ce qui suit : on vous a présenté le document D-658 qui indique que, d’après le communiqué de la Wehrmacht, les soldats ont été fusillés, alors qu’ils étaient en uniforme, et que l’ordre du Führer était un fait nouveau pour le Droit international. Le Commandant en chef de la Marine pour l’ouest de la France en a, je crois, rendu compte, et ce fait a figuré dans le communiqué de la Wehrmacht. Le rédacteur du journal de guerre a écrit : « Une innovation en Droit international ». Je ne suis pas militaire, et je vous demanderai si vous estimez que cette note constitue une critique de l’ordre en question ?
A cela, je crois devoir répondre que, normalement, le fait d’une exécution n’est pas mentionné dans le journal de guerre des opérations.
Je ne crois pas que ce soit là une question qui nous intéresse, de savoir s’il estime qu’un tel commentaire constitue une critique de l’ordre ou non.
Je crois qu’il voulait souligner qu’il s’agissait là de quelque chose de nouveau.
Laissons cela, amiral. Une question de fait : le Ministère Public avance, en outre, qu’il s’agissait de soldats portant l’uniforme. Le communiqué de la Wehrmacht précisait que l’exécution avait eu lieu le 9 décembre. Celle-ci, comme je l’ai déjà indiqué par ailleurs, ne s’effectua que le 11 décembre. Je vous présente maintenant le document UK-57 et vous prie de lire le second alinéa, sous le chiffre 4. Il est aussi intitulé : « Acte de sabotage de bâtiments allemands au large de Bordeaux » puis, « 12 décembre 1942 ». Je cite : « Quittant le sous-marin, les participants remontèrent deux par deux la Gironde dans de petits canots. Ils portaient un uniforme spécial vert olive. Après exécution des travaux de minage, ils coulèrent leurs embaractions et, revêtus de tenues civiles, ils tentèrent de s’évader par l’Espagne, avec l’aide de la population française ». Peut-on dire, en conséquence, que ces soldats se soient comportés d’une manière correcte, conformément aux prescriptions du Droit international ?
A mon avis, non.
Je n’ai pas d’autres questions à poser.
S’ils avaient eu la conscience tranquille, ils n’auraient pas eu besoin de porter des vêtements civils.
Excusez-moi, encore une dernière question : avez-vous, personnellement, dans le Haut Commandement, été consulté ou avez-vous reçu un renseignement quelconque à ce sujet avant cette exécution qui fut effectuée sur l’ordre direct du Führer ?
Non, nous n’avons pas été consultés et n’avons reçu aucun renseignement préalable à ce sujet.
Monsieur le Président, on a soulevé tout à l’heure la question de savoir si un document relatif à la Norvège avait été bien traduit. Je vais faire vérifier de quel numéro il s’agit. La traduction anglaise que j’ai devant moi n’est pas exactement conforme à l’original allemand ; il y a même des différences très notables. C’est le document GB-482. Je vais lire le texte original en allemand qui, à mon avis, est très différent de la traduction anglaise :
« Le Commandant en chef de la Marine déclare : la conquête des côtes belges ne comporte aucun avantage pour la guerre sous-marine ; signale importance obtenir bases norvégiennes (Trondheim), avec l’aide d’une pression russe. Le Führer examinera la question. »
Docteur Kranzbühler, cela n’épargnerait-il pas notre temps si l’on soumettait la phrase qui, d’après vous, est mal traduite, à un comité d’experts du service de traduction ?
Monsieur le Président...
Vraiment, il ne me semble pas que ce soit là une question qui vaille la peine de perdre du temps.
Excusez-moi, je ne savais pas que cela dût être examiné encore une fois.
Je crois qu’il vaut mieux soumettre cette question à nouveau et faire certifier la traduction.
Je vous demande pardon, Monsieur le Président, j’ai moi-même une question à poser au témoin.
Amiral, on vous a déjà présenté le document D-873, qui représente le journal de guerre de l’U-71 et se rapportait au ravitaillement de trois Norvégiens qui se trouvaient dans un canot de sauvetage. L’inscription était en date du 21 juin. J’ai déjà présenté au Tribunal, sous le numéro Dönitz-13, à la page 23 de mon livre de documents, une déclaration du même commandant Flachsenberg, selon laquelle ce sous-marin aurait quitté son port le 14 juin. Il se trouvait à l’ouest de la Norvège. Pouvez-vous me dire si, d’après cela, ce sous-marin se préparait, le 21 juin, à partir en opérations, ou s’il en revenait ?
Vous voulez que je vous le dise de mémoire ?
Non, en considérant les dates. Il a pris la mer le 14 juin, et cette inscription date du 21 juin.
Il partait en opérations.
Il partait en opérations. Comme vous savez, ce sous-marin jaugeait 500 tonnes. Un bâtiment de ce tonnage est-il en mesure d’entreprendre une opération demandant plusieurs semaines, en gardant trois personnes de plus à bord ?
Je ne le crois pas. Je ne suis pas suffisamment spécialisé pour donner un jugement définitif sur ce que représente une telle augmentation de poids à bord, surtout par rapport aux manœuvres nécessitées par les opérations, mais, en tout cas, je ne crois pas qu’un bâtiment de si petite taille, en cours d’opérations, eût été en mesure de prendre à bord des prisonniers. Je n’estime pas que c’eût été possible.
Je vous remercie.
Le témoin peut se retirer.
Donc, avec la permission du Tribunal, le témoin peut se retirer.
Monsieur le Président, conformément à ce que j’ai annoncé en commençant mes explications, j’ai déjà déposé la majeure partie de mes documents au cours de l’interrogatoire. Avec la permission du Tribunal, je me proposerai maintenant, aussi rapidement que possible, de présenter le reste des documents, avec quelques phrases d’introduction.
Je dépose le document Raeder n° 18, qui se trouve à la page 105 du livre de documents n° 2, et représente un extrait de l’ouvrage écrit par Churchill en 1935, intitulé Grands contemporains. Je prie le Tribunal de prendre acte de son contenu. Churchill indique qu’il y a deux possibilités : on ne sait pas si Hitler sera l’homme capable de déchaîner une fois encore une guerre mondiale ou s’il sera l’homme qui rétablira l’honneur et le sentiment de la paix parmi la nation allemande et qui ramènera l’Allemagne au premier rang de la grande famille des peuples de l’Europe.
Comme document Raeder n° 20, je dépose un court extrait de Mein Kampf d’Adolf Hitler, compte tenu du fait que le Ministère Public a déclaré qu’on pouvait percevoir dans cet ouvrage que Hitler voulait mener des guerres d’agression. Je montrerai au cours de ma plaidoirie finale ce qu’on peut déduire de cet ouvrage. Je prie le Tribunal de prendre acte du court extrait à la page 154 : « Pour suivre une telle politique, il n’y avait en Europe qu’une seule alliée, l’Angleterre ».
Le document Raeder n° 21 est un discours de Hitler au Reichstag le 26 avril 1942, que je verse comme preuve du fait que la liberté en Allemagne était de plus en plus restreinte et que la dictature devenait de plus en plus puissante.
Dans le livre de documents n° 4, le document Raeder n° 65, destiné à faciliter mon argumentation, est le texte de la Convention de La Haye sur les droits et les devoirs des neutres dans le cas d’une guerre sur mer. J’ai besoin de ce document pour mon exposé final en rapport avec le numéro Raeder-66, une déclaration du Dr Mosler, qui se trouve à la page 289, premier document du livre n° 4.
Pouvez-vous nous indiquer les pages ?
Page 289, Monsieur le Président. C’est le premier document dans le livre de documents n° 4.
Oui.
Ensuite, je prie le Tribunal de bien vouloir prendre en mains le livre de documents n° 5, du fait que les autres documents ont déjà été traités. Je dépose sous le numéro Raeder-100, dans le livre de documents n° 5, à la page 437, un document très secret extrait du Livre Blanc, se rapportant à une réunion du Comité de guerre français du 9 avril 1940, à laquelle assistaient Reynaud, Daladier, Gamelin, le général Georges, le ministre de l’Air, le ministre de la Marine et le ministre des Colonies. Il s’agit de la proposition de l’amiral Darlan d’entrer en Belgique. Elle fut soutenue par le général Gamelin, ainsi que par le ministre de la Défense nationale et de la Guerre. A la page 442, il est question de l’entrée en Hollande et, finalement, de l’entrée sur le territoire du Luxembourg. Comme le Tribunal connaît ce document dont il a été question au cours des débats, je n’en lirai pas les détails et me bornerai simplement à le prier d’en prendre acte. Je voudrais également signaler qu’à la page 443 de ce fort long document, il est question de l’occupation du port de Narvik et de l’intention de s’emparer des mines de Gallivare.
Je dépose ensuite le document Raeder n° 102, qui se trouve dans le même livre de documents, à la page 449, et représente un ordre du IIe régiment d’infanterie belge, en date du 13 avril 1940, se rapportant à des renseignements sur les troupes amies et à l’établissement d’une position fortifiée. Le document fait ressortir que les troupes « amies » désignées sont les troupes alliées.
Je dépose encore le document Raeder n° 103, page 452, qui est un document de l’État-Major français, en date du 16 avril 1940, concernant des dispositions de transports par chemin de fer de troupes françaises en Belgique. Je prie le Tribunal de prendre acte de ces documents que je ne lirai pas en détail.
Il en est de même pour le document Raeder n° 104, livre de documents n° 5, page 455, qui représente un ordre du 19 avril 1940 de la seconde division britannique, se rapportant aux mesures de sécurité à prendre en Belgique. Il s’y trouve une instruction analogue à celle qui est contenue dans un document présenté par le Ministère Public, à savoir l’instruction qui se rapporte à la prise de contact avec les autorités civiles belges.
Le document Raeder n° 105, page 459 du livre de documents n° 5, est la déclaration d’un citoyen luxembourgeois, dont il ressort que 200 Français en uniforme sont entrés en Belgique sept jours avant le début des hostilités entre l’Allemagne et la Belgique.
Plaise au Tribunal. J’avais eu tout d’abord l’intention, en ce qui concerne la personnalité de mon client, de ne rien présenter au cours de ce Procès, car je pensais que l’amiral Raeder jouissait d’une estime générale, à l’étranger comme dans son pays. Le premier exposé des charges contre Raeder ne m’a pas fait encore changer d’avis. Cependant, peu avant sa présentation, il a été modifié et est devenu beaucoup plus sévère à l’égard de Raeder, du fait qu’il contient des reproches sur le plan moral qui portent sérieusement atteinte à son honneur. Je ne doute pas que le Tribunal ne comprenne que je le prie, dans ces conditions, de me permettre de déposer quelques-uns des documents qui m’ont été accordés et qui se rapportent au caractère personnel de Raeder. Je dépose donc le document Raeder-119, qui se trouve à la page 514 du livre de documents n° 6. C’est une lettre que m’a adressée Madame von Poser, qui n’est pas une déclaration sous serment, et c’est intentionnellement que j’ai déposé l’original car, à mon avis, il s’en dégagera une impression plus directe qu’une déclaration sous serment que j’aurais été obligé de demander au préalable, en ma qualité de défenseur. Il en est de même en ce qui concerne une lettre assez longue du professeur Seibt, qui s’est adressé à moi de sa propre initiative. Je la dépose comme document Raeder n° 120, page 517 du livre de documents n° 6, et je serais reconnaissant au Tribunal de vouloir bien en prendre acte. Pour gagner du temps, je renoncerai à la lecture de cette lettre qui comporte six pages.
Je dépose ensuite le document Raeder n° 122, à la page 526 du livre de documents n° 6, qui est une lettre de M. Erich Katz, que je présente avec ses annexes et dont je prie le Tribunal de prendre acte. C’est l’un des cas où Raeder est intervenu d’une manière toute personnelle en faisant usage de son influence et de sa position ; il a utilisé le papier à lettre à en-tête du Commandant en chef de la Marine pour intervenir en faveur de M. Katz qui avait été attaqué comme étant Juif, et il réussit à le protéger. M. Katz m’a envoyé ces documents de sa propre initiative, simplement pour témoigner de sa reconnaissance.
Comme document Raeder n° 123, je dépose une lettre de Günter Jacobsen, qui représente un cas analogue. Jacobsen, lui aussi, sans être sollicité, s’est adressé à moi, de sa propre initiative, pour attester que Raeder avait sauvé son père qui, en tant que Juif, avait été accusé d’outrage à la loi raciale, du camp de concentration de Fuhlsbüttel — je crois que c’était encore une prison à ce moment-là — ce qui lui permit d’émigrer en Angleterre où il vit actuellement.
Je dépose comme document Raeder n° 124, un affidavit...
Monsieur le Président, je dois faire la déclaration suivante : les quatre documents qui viennent d’être mentionnés par le Dr Siemers représentent des lettres personnelles adressées au Dr Siemers par divers individus. Ce ne sont pas des déclarations faites sous serment, ni des questionnaires, et ces documents n’ont donc pas une valeur probatoire ; je suis d’avis qu’ils ne devraient pas être admis comme preuves. Beaucoup de lettres nous parviennent, et s’il fallait toutes les présenter au Tribunal, celui-ci aurait fort à faire pour établir la vérité et juger de leur valeur probatoire. C’est pourquoi, personnellement, je m’oppose à ce que l’on accepte ces documents comme preuves à décharge de l’accusé Raeder.
Monsieur le Président, permettez-moi...
Le Tribunal ne pense pas que la question ait une importance suffisante pour légitimer la forme d’une déclaration sous serment. Ces documents sont admis.
Je présente au Tribunal, comme document Raeder n° 124, une déclaration sous serment de Konrad Lotter, qui est très brève et, avec la permission du Tribunal, je lirai cette seule page :
« Le Grand-Amiral Raeder m’a toujours paru être un homme qui personnifiait les meilleures traditions de la vieille Marine impériale, et ce tout particulièrement au point de vue idéologique. Comme homme et comme officier, il était exemplaire. En 1941, lorsque la politique anti-chrétienne du régime hitlérien atteignit en Bavière son point culminant, lorsqu’on ferma les couvents et qu’on introduisit dans l’éducation de la jeunesse, l’intolérance la plus manifeste à l’égard de toutes les croyances, j’adressai à l’amiral un mémoire de douze pages dans lequel je lui exposais mes objections contre cette politique. L’amiral Raeder est immédiatement intervenu. Par son intermédiaire, je fus convoqué auprès du Gauleiter et ministre de l’Intérieur Wagner, à Munich. Après une série de discussions entre les représentants de l’Église, du Gouvernement et du Parti, on convint d’un accord avec les résultats suivants : on continua à réciter la prière dans les écoles, le Crucifix fut maintenu, etc. En outre, 59 prêtres qui avaient été frappés d’une amende de 500 Mark chacun furent graciés. La suppression des couvents fut également rapportée. Le Gauleiter Wagner dut répondre à Berlin... »
Docteur Siemers, tous ces documents, nous les avons lus récemment.
Dans ce cas, je demande simplement au Tribunal de prendre acte du reste.
Je dépose encore les deux documents suivants : Raeder n° 125 et Raeder n° 126. Le premier est une déclaration sous serment de l’ancien ministre de la défense du Reich, le Dr Otto Gessler, et le deuxième est un affidavit de l’aumônier de la Marine, Ronneberger, et je vous prie d’en prendre acte. Je voudrais qu’on me permette de lire la brève déclaration sous serment du Dr Gessler, car elle contient non seulement une appréciation purement personnelle, mais encore une réponse aux accusations portées contre Raeder :
« Je soussigné Gessler, connais personnellement le Grand-Amiral Raeder depuis 1925 environ, à l’époque où j’étais ministre de la défense nationale du Reich. Raeder était alors inspecteur de l’instruction de la Marine. J’ai toujours connu Raeder comme un homme aux sentiments irréprochables et chevaleresques, comme un homme pleinement conscient de son devoir. Quant aux reproches qui figurent dans l’Acte d’accusation, je n’en sais que peu de choses.
« Raeder me rendit visite à plusieurs reprises, lorsque je me trouvais à l’hôpital Hedwig, à Berlin, après avoir été relâché des prisons de la Gestapo, en mars 1945. Il prit des dispositions pour me faire rentrer chez moi, car j’étais malade et tout à fait épuisé. Je lui décrivis alors les mauvais traitements que j’avais subis, surtout les tortures qui m’avaient été infligées. Il en fut évidemment surpris et révolté et déclara qu’il le rapporterait au Führer. Je le priai aussitôt de n’en rien faire car, avant de m’infliger la torture, on m’avait déclaré officiellement que tout était fait sur l’ordre exprès de Hitler. Je savais, de plus, que je serais aussitôt arrêté de nouveau, car j’avais signé, lors de ma libération, la fameuse déclaration. Je n’avais pu obtenir aucune attestation de mon emprisonnement qui m’aurait permis d’obtenir un billet pour mon voyage de retour.
« Quant aux armements secrets de la Marine, je n’en ai rien su, ni pendant l’exercice de mes fonctions ni plus tard. Pendant la durée de mes fonctions, en janvier 1928, le Grand-Amiral Raeder n’en eût d’ailleurs pas été responsable, car il n’était pas encore Commandant en chef de la Marine.
« A l’époque du régime national-socialiste, je fus mis à l’écart par mon ancien service et traité avec froideur. Le Dr Raeder fut une des rares personnes qui y firent exception. Avant 1939, il m’invita sur le croiseur Nürnberg, quoique j’eusse décliné par deux fois son invitation. Lors de ma visite à Kiel, en juin 1939, il vint lui-même me présenter ses respects. A cette occasion, nous discutâmes de la situation politique. J’exprimai la crainte qu’une attaque contre la Pologne déclencherait une guerre européenne. Raeder déclara avec assurance qu’il estimait qu’il était hors de question que Hitler attaquât la Pologne. Plus tard, quand cet événement se produisit tout de même, je m’expliquai le fait en me disant que Hitler aimait à placer les chefs militaires les plus élevés eux-mêmes devant le fait accompli. »
Puis vient la mention « sous serment » et la signature du notaire.
Quant au dernier document Raeder n° 126, signé de l’aumônier de la Marine, Ronneberger, je prie le Tribunal d’en prendre acte, du fait qu’il est trop tard pour le lire. C’est un rapport précis donnant une vue d’ensemble sur les questions ecclésiastiques et religieuses au sein de la Marine.
Monsieur le Président, ceci, à l’exception de trois points, termine la présentation de mon exposé. Il me manque encore deux questionnaires qui ne me sont pas encore parvenus. Je demanderai la permission de vous les soumettre aussitôt reçus.
De plus, il y a encore le témoignage de l’amiral Böhm, qui m’a été accordé, mais l’amiral n’a pas encore pu comparaître pour raison de maladie. La Délégation britannique du Ministère Public, par l’intermédiaire de Sir David, a bien voulu se déclarer d’accord, le cas échéant, pour que ce témoin soit interrogé à une date ultérieure. Puis-je donc demander au Tribunal de le confirmer et, si possible, de permettre que l’amiral Böhm soit entendu à une date ultérieure. J’indiquerai dès maintenant que son interrogatoire ne couvrira pas un domaine aussi étendu que celui de l’amiral Schulte-Mönting, ainsi que le Tribunal s’en rendra compte par les requêtes que je lui ai soumises.
J’en ai terminé avec la présentation du cas Raeder.
L’audience est levée.