CENT TRENTE-SEPTIÈME JOURNÉE.
Jeudi 23 mai 1946.
Audience du matin.
Le Tribunal admet les documents suivants de l’accusé Seyss-Inquart, contre lesquels le Ministère Public avait précédemment soulevé des objections : numéros 11, 47, 48, 50, 54 et 71. Il rejette par contre les autres documents auxquels on avait également fait objection. Je vais les énumérer : numéros 5, 10, 14, 19 b, 21, 22, 27, 31, 39, 55, 60, 61, 68, 69. J’en ai terminé.
Monsieur le Président, hier soir à la fin de l’audience, le défenseur de l’amiral Raeder a déposé un certain nombre de documents parmi lesquels le document n° 105 du livre 5. Ce document est extrait du Livre Blanc allemand n° 5. C’est le témoignage d’un vieillard de 72 ans, luxembourgeois, établi en Belgique depuis six mois seulement, et qui affirme avoir rencontré, au mois d’avril 1940, 200 soldats français en Belgique. Ces soldats, qu’il dit français, étaient avec des chars.
J’avais demandé à votre Tribunal de m’autoriser à faire des objections contre ce document 7 du Livre Blanc n° 5, dont l’original n’a jamais été présenté et n’est pas reproduit dans le Livre Blanc, comme c’est le cas pour un certain nombre des documents du Livre Blanc allemand. Il est nécessaire qu’au nom de la France et de la Belgique une protestation formelle, catégorique, soit élevée contre une telle assertion. A aucun moment il n’est entré en Belgique, avant l’invasion de ce pays par les armées allemandes, de troupes françaises.
La lecture du document 105 du livre 5 de l’amiral Raeder laisse deviner d’où provient l’erreur de Grandjanet dont le témoignage est invoqué.
J’ai dit au Tribunal que c’était un homme de 72 ans, luxembourgeois. A la question qui lui a été posée par les autorités allemandes, sur le point de savoir comment il avait reconnu que les soldats qu’il avait vus étaient français, il a répondu : « J’ai reconnu avec certitude que c’étaient des soldats français, car je connais bien leur uniforme. En outre, j’ai reconnu les soldats à la langue qu’ils parlaient en s’entretenant avec moi. »
En ce qui concerne l’uniforme, le Tribunal sait qu’au moment où les événements se produisaient, l’Armée belge avait un uniforme de la même couleur que l’Armée française et un casque de la même forme.
En ce qui concerne la langue, le Tribunal sait qu’une grande partie des populations belges établies le long de la frontière du Luxembourg parlent le français et que les soldats belges qui sont recrutés dans ces régions parlent eux-mêmes le français.
Enfin le Tribunal se souviendra que ce témoin, qui est un vieillard, n’était que depuis six mois en Belgique et n’avait probablement qu’une expérience partielle des choses belges et notamment de l’Armée belge.
En tout cas, nous affirmons, au nom de la France et au nom de la Belgique, qu’avant le 10 mai 1940 aucune troupe française organisée n’a pénétré en Belgique et que les isolés qui sont entrés en Belgique y ont été internés.
Oui, Docteur Siemers.
Messieurs, je rappelle brièvement les faits suivants : Il s’agit d’un document tiré du Livre Blanc, document au sujet duquel on a déjà statué ici et qui m’a déjà été accordé. Je propose que l’on enjoigne au Ministère Public d’avoir à produire l’original de ce document pour le cas où il voudrait en contester l’authenticité. Je me conforme ainsi à une décision du Tribunal qui prévoit que le détenteur de l’original doit proposer de le déposer ou qu’une demande doit être adressée à la même fin à quiconque l’a en sa possession. A ma connaissance, cet original est entre les mains du Ministère Public puisque tous les originaux qui se trouvaient à Berlin au ministère des Affaires étrangères ou dans les services d’évacuation et l’ensemble des originaux de ces Livres Blancs sont tombés aux mains des Alliés.
Que voulez-vous dire par « l’original » ? Cet original, je suppose que c’est celui du Livre Blanc ? Est-ce ce dont vous parlez ?
Oui, je parle en ce moment, Monsieur le Président, de l’original de ce procès-verbal judiciaire.
Il provient du Livre Blanc. C’est un document imprimé, je suppose ? Je ne crois pas qu’il contienne l’original de la déclaration de ce Luxembourgeois.
Le Livre Blanc groupe un nombre considérable de documents et les originaux sont eux-mêmes en la possession du ministère des Affaires étrangères. Il s’agissait en partie des archives du Grand État-Major français et également de comptes rendus judiciaires. Quant au contenu de ce document...
Monsieur Dubost, vous ne demandez pas cependant que ce document ne soit pas admis ? Le Tribunal prendra en considération les faits que vous avez soulignés.
C’est une demande tendant à obtenir du Tribunal que ce document soit écarté, Monsieur le Président, en même temps qu’une protestation contre l’affirmation de la Défense selon laquelle des soldats français auraient violé la neutralité belge dans le courant du mois d’avril.
Que le Tribunal me permette d’ajouter quelques explications. Le Livre Blanc que nous avons actuellement entre les mains est composé de deux parties. Une première partie reproduit des textes et une seconde partie donne des photocopies de ces textes. Dans la première partie, qui reproduit simplement les textes, figure le document dont je demande au Tribunal qu’il soit écarté. Nous l’avons cherché dans la partie qui reproduit en photocopies les documents publiés dans la première partie et nous ne le trouvons pas. Ce qui nous permet de dire au Tribunal que l’original de ce document, dont nous demandons qu’il soit écarté, n’a pas été reproduit dans le Livre Blanc allemand puisqu’il ne figure pas dans la deuxième partie.
Monsieur le Président, je crois que toutes les explications de M. Dubost ont trait à la valeur probatoire de ce document et ne mettent nullement en question le caractère officiel de ce document. Que ce soit là un document régulier, la chose me paraît évidente puisqu’il s’agit d’un procès-verbal judiciaire qui consigne les déclarations du dénommé Grandjanet. Tout ce que M. Dubost a d’ailleurs avancé concerne plus le contenu du document que sa valeur probatoire. C’est pourquoi je vous prie de bien vouloir admettre comme auparavant ce document et considérer qu’il a son importance par rapport aux autres qui m’ont été accordés ou plutôt accordés au Dr Horn pour son livre de documents concernant la Belgique et la Hollande. Si le livre de documents, dans sa deuxième partie, ne contient aucune photocopie...
Bien, Docteur Siemers. Monsieur Dubost, le Tribunal prendra en considération l’objection soulevée.
Puis-je encore mentionner, Monsieur le Président, que si la photocopie, objet des critiques de M. Dubost, ne figure pas dans le livre, cela provient de ce que le procès-verbal judiciaire, dans son texte original, est rédigé en allemand et que les fac-similés de ce livre sont exclusivement ceux de documents qui, dans leur texte original, étaient rédigés en français. Si la chose est nécessaire, j’aurai recours au témoignage du conseiller secret von Schnieden à propos de ce procès-verbal, étant donné qu’il était à l’époque parfaitement au courant de tous les procès-verbaux de ce genre au classement desquels il avait contribué.
Très bien, le Tribunal prendra l’objection en considération.
Monsieur le Président, avec la permission du Tribunal, j’aimerais présenter le questionnaire envoyé au chef de la flotte américaine, l’amiral Nimitz, questionnaire que j’ai reçu avant-hier et qui entre temps est allé au service de traduction. Si le Tribunal le permet, je le ferai maintenant, pour conclure nos explications sur les Grands-Amiraux Dönitz et Raeder ?
Le Ministère Public l’a-t-il vu ?
Oui.
Nous avez-vous apporté des copies ?
J’avais été informé que les copies destinées au Tribunal seraient transmises par l’intermédiaire du Secrétaire général.
Ce document ne peut être lu tant que nous n’aurons pas de copies. Nous devons renvoyer sa lecture jusqu’au moment où nous aurons des copies.
En voilà deux copies en anglais, une en français. Je vous transmets ce document, le document Dönitz-100.
Docteur Kranzbühler, les juges soviétiques n’ont pas de copie de ce document dans leur propre langue Aussi vous le présenterez plus tard.
Et maintenant, l’avocat de l’accusé von Schirach désire-t-il prendre la parole pour son client ?
Messieurs les juges, j’ai l’intention, tout d’abord, d’entreprendre personnellement l’interrogatoire de l’accusé von Schirach et, au cours de cet interrogatoire, à l’occasion de chaque question particulière, de porter immédiatement à votre connaissance les passages du livre de documents qui en traitent. A la suite de l’interrogatoire de l’accusé, j’appellerai les quatre témoins et, pour terminer, j’ai l’intention de présenter le reste des documents pour autant que ces documents ne l’auront pas déjà été lors de l’interrogatoire de l’accusé. Je pense, Monsieur le Président, que vous êtes d’accord avec cette façon de procéder. J’appelle donc tout d’abord à la barre Baldur von Schirach.
Voulez-vous répéter le serment après moi : « Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien. » (L’accusé répète la formule du serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Témoin, quand êtes-vous né ?
Le 9 mai 1907.
En somme, il y a quelques jours que vous avez 39 ans ? Vous êtes marié depuis quatorze ans, n’est-ce pas ?
Oui.
Vous avez quatre enfants. Quel âge ont-ils ?
4, 8, 11 et 13 ans.
Dans le Troisième Reich, vous étiez avant tout chef de la Jeunesse hitlérienne ?
Oui.
Quels postes avez-vous occupés sous ce rapport, aussi bien dans le Parti que dans l’administration ? Je vous prie de m’indiquer également combien de temps vous avez occupé ces différentes fonctions.
J’ai tout d’abord été, en 1929, chef de l’Union des étudiants nationaux-socialistes ; en 1931, je suis devenu Reichsführer des jeunes de la NSDAP, tout d’abord à l’État-Major de la direction suprême des SA ; en 1932, j’étais Reichsleiter à l’éducation des jeunes de la NSDAP ; en 1933, chef de la Jeunesse du Reich allemand, tout d’abord sous le ministre de l’Intérieur, Dr Frick, puis en 1934, toujours le même poste aux ordres du ministre de l’Éducation du Reich Rust. En 1936, le chef de la Jeunesse allemande devint autorité suprême du Reich et, à ce titre, je fus placé directement sous les ordres du Führer et Chancelier du Reich.
Quels étaient, parmi ces postes, ceux qui relevaient du Parti et ceux qui relevaient de l’État ?
Les fonctions occupées au Parti étaient celles de Reichsführer des jeunes de la NSDAP et de Reichsleiter à l’éducation des jeunes. Comme postes d’État : chef de la Jeunesse allemande d’abord, comme je l’ai dit, avec le ministre de l’Intérieur, puis avec le ministre de l’Éducation, enfin de façon autonome.
En 1940, vous avez été déchargé de certaines de ces fonctions. Quelles sont celles dont vous avez été privé à la direction de la Jeunesse en 1940 et quels sont les postes que vous avez ultérieurement occupés jusqu’à la fin ?
En 1940, je renonçai à la direction effective de la Jeunesse, c’est-à-dire que j’abandonnais le poste de Reichsführer des jeunes de la NSDAP. Mais je gardais le poste de Reichsleiter à l’éducation de la Jeunesse et restais responsable de l’ensemble de la jeunesse. Je reçus en supplément les nouvelles fonctions de Gauleiter de Vienne, ce qui impliquait également les fonctions d’État de Reichsstatthalter de Vienne et de commissaire à la défense du Reich pour la dix-septième région militaire.
Témoin, nous allons d’abord revenir à votre activité de chef de la Jeunesse. Il existe de vous un affidavit du 4 décembre 1945, PS-3302. Dans cette déclaration sous serment, vous avez en décembre, déclaré devant le Ministère Public que vous vous reconnaissiez responsable de l’ensemble de l’éducation de la jeunesse du Troisième Reich ?
C’est exact.
Pensiez-vous, à l’époque où vous avez fait cette déclaration de culpabilité, que votre successeur, c’est-à-dire le Reichsjugendführer Axmann, était mort ?
Oui.
Vous avez cru qu’il était tombé lors des derniers combats ?
J’étais convaincu qu’il avait été tué à Berlin.
Mais entre temps, témoin, vous avez appris par certaines informations de presse que votre successeur, cet Axmann, vivait encore, n’est-ce pas ?
Oui.
Maintenez-vous toujours la déclaration dans laquelle vous revendiquiez la responsabilité totale de la direction de la jeunesse, ou bien prétendez-vous aujourd’hui limiter d’une façon quelconque cette responsabilité.
Je ne désire en aucune façon limiter la portée de cet affidavit. Bien que Hitler, dans les dernières années de sa vie, ait donné à la jeunesse des ordres que je ne connais pas et bien que mon successeur Axmann, particulièrement au cours de l’année 1944, ait également donné des ordres que j’ignore car, en effet, par suite des événements de guerre, aucune liaison n’était plus assurée entre nous, j’en reste à ma déclaration première. J’espère que le Tribunal me considère comme l’unique responsable de la jeunesse et qu’aucun autre chef de la jeunesse n’aura à comparaître devant ce Tribunal pour des faits dont j’assume seul la responsabilité.
Témoin, il m’intéresserait de savoir si vos méthodes d’éducation s’inspiraient pour l’essentiel de principes et de directives reçus de Hitler, de quelque service du Parti ou bien d’une quelconque administration d’État ou si vos méthodes d’éducation ont été déterminées par les expériences que vous aviezaccumulées pendant votre jeunesse, vous et les chefs de mouvements de jeunes qui vous entouraient alors ?
C’est votre dernière assertion qui est exacte. Bien entendu, l’éducation de la Jeunesse hitlérienne était basée sur l’idée nationale-socialiste. Mais les principes à proprement parler éducatifs ne venaient pas de Hitler. Ils n’avaient pas non plus été conçus par d’autres chefs du Parti. C’est la jeunesse elle-même qui les avait imaginés, mes collaborateurs et moi.
Voudriez-vous maintenant exposer au Tribunal peut-être plus en détail, comment vous en êtes arrivé vous-même à ces principes et à ce système d’éducation de la jeunesse, d’après l’éducation que vous aviez reçue vous-même, votre évolution personnelle, etc.
Je crois que le plus simple est de vous esquisser l’histoire de ma propre jeunesse très brièvement et en même temps de vous dépeindre les organisations de jeunesse avec lesquelles j’entrais en contact. J’économiserai ainsi un temps considérable lors de mes déclarations ultérieures.
Mon père servait en qualité d’officier d’active dans le régiment des cuirassiers de la garde impériale. Je suis né à Berlin. Un an plus tard, mon père prenait sa retraite et partait pour Weimar où il prenait la direction du théâtre de la Cour, plus tard « théâtre national de Weimar ». C’est ainsi que j’ai grandi à Weimar et cette ville qui, dans un certain sens, est la patrie de chaque Allemand, c’est elle que je considérais comme ma ville natale. Mon père avait quelque fortune. La maison de mes parents était riche de vie intellectuelle et artistique, de littérature et de musique surtout. Mais à côté et au-dessus de ces possibilités éducatives de la maison familiale, l’ambiance de la ville même, l’ambiance du Weimar classique et post-classique a beaucoup influé sur mon développement intellectuel.
C’est avant tout pourtant le genius loci, le génie du lieu, Goethe, qui, très tôt, exerça sur moi ses sortilèges. C’est précisément à cause de ces expériences de jeunesse que plus tard, d’année en année, je ramenais la jeunesse à Weimar, vers Goethe.
Le premier, document qui, sous ce rapport, a quelque importance pour moi, est le document 80, qui prouvera ce que je viens de dire. Dans ce document, on se réfère brièvement à l’un des nombreux discours que je fus amené à tenir de par mon activité de dirigeant de la jeunesse, devant de jeunes chefs réunis. Dans ce discours je demandais à la jeunesse d’en revenir à Goethe.
Puis-je vous interrompre un instant, Monsieur von Schirach ? Dans ce numéro 80, Monsieur le Président, qui setrouve à la page 133 du livre de documents Schirach, figure un court rapport sur des assises nationales culturelles de la Jeunesse hitlérienne à Weimar. C’est en l’occurrence un rapport de l’année 1937 mais, comme l’accusé vous l’a déjà dit, de semblables assises culturelles de la Jeunesse hitlérienne de tout le Reich avaient lieu tous les ans à Weimar, la ville de Schiller et de Goethe. Dans ce rapport, document n° 80 du livre de documents Schirach, on parle notamment d’un discours de l’accusé Sur l’importance de Goethe dans l’éducation de la jeunesse nationale-socialiste. On y mentionne que Schirach s’était alors exprimé ainsi, je cite textuellement...
Vous n’avez pas besoin de nous le lire, Docteur Sauter. Il y est uniquement question de Goethe.
Dans ce cas, Monsieur von Schirach, voulez-vous continuer ?
A Weimar n’avait pas seulement lieu le congrès culturel annuel du Reich : l’assemblée des chefs de la Jeunesse hitlérienne y tenait aussi ses assises chaque année. De même s’y déroulaient les cérémonies que nous appelions les représentations solennelles de la jeunesse allemande à Weimar. Ce qui importe dans la circonstance, c’est que, dans ce discours, j’ai cité un mot de Goethe qui fut pour ainsi dire le leitmotiv de tout mon travail éducatif : « La jeunesse ne cesse de se façonner au contact de la jeunesse ». Même mon adversaire le plus acharné ne peut pas passer sous silence le fait qu’auprès de la jeune génération allemande j’ai toujours été le propagandiste de Goethe à côté d’un propagandiste du national-socialisme.
Un certain M. Ziemer a produit contre moi un volumineux affidavit dans lequel il se prononce sur l’éducation que je donnais à la jeunesse, dont j’étais responsable. Je crois que M. Ziemer a légèrement bâclé sa tâche. Il aurait du moins pu envisager dans son exposé du système d’éducation nationale allemande, l’activité que j’ai déployée dans le domaine éducatif pour amener la jeunesse à assimiler l’œuvre de Goethe.
J’avais 10 ans lorsque j’entrai pour la première fois dans une organisation de jeunesse. J’avais donc juste l’âge auquel les garçons et les filles ont été, plus tard, admis dans le Jungvolk. Il s’agissait, comme on l’appelait, du « Jungdeutschlandbund », une organisation que le comte von der Goltz avait fondée, une sorte d’organisation scoute. Le comte von der Goltz et Haeseler, s’inspirant du mouvement boy-scout britannique, avaient créé en Allemagne des mouvements éclaireurs et l’une de ces organisations était précisément ce « Jungdeutschlandbund » dont je viens de parler. Il joua un rôle important dans l’éducation de la jeunesse jusqu’aux environs de 1918-1919.
Beaucoup plus important cependant pour mon évolution fut le stage que je fis dans un « Waldpaedagogium ». C’était un établissement d’éducation dirigé à la campagne par un collaborateur du pédagogue bien connu Hermann Lietz. Là, je fus initié à des disciplines psychologiques que, plus tard, sur une base différente...
Docteur Sauter, pensez-vous que l’éducation reçue par l’accusé soit matière dont doive être entretenu le Tribunal. C’est l’éducation dont il a été le promoteur qui nous importe, ce qu’il a appris aux autres et non pas ce qu’il a appris lui-même.
Monsieur le Président, l’accusé voudrait vous prier de bien vouloir l’autoriser à expliquer un peu sa propre jeunesse, en particulier parce qu’il veut vous prouver par là même que les principes sur lesquels il a basé son système éducatif ne lui venaient pas de Hitler, ni d’un service quelconque du Parti, mais qu’ils se sont dégagés des expériences qu’il avait faites en propre dans sa jeunesse. Il importe donc, jusqu’à un certain point, pour le Tribunal, de se demander sur quels principes l’accusé a fondé son système d’éducation et comment il en est arrivé à ces principes. C’est ce que l’accusé vous prie de bien vouloir l’autoriser à expliquer.
Docteur Sauter, l’accusé a déjà pris un temps considérable à nous exposer le début de sa jeunesse et l’éducation qu’il a reçue. Le Tribunal pense qu’il devrait abréger et ne pas perdre plus de temps à traiter de son éducation propre. Ce qui importe, c’est de connaître le genre d’éducation qu’il a inculquée à la jeunesse allemande et non celle qu’il a reçue lui-même.
Bien entendu, nous tiendrons compte de vos désirs, Monsieur le Président. (A l’accusé.) Monsieur von Schirach, voudriez-vous résumer vos déclarations de façon à ce qu’elles soient les plus brèves possible.
Je peux le faire très brièvement.
Oui, je vous en prie.
L’idée de Lietz était de donner à la jeunesse une éducation telle que, dès l’école, on lui enseignât ce qu’était l’État. Sa communauté scolaire était un état en miniature et, dans cette communauté scolaire, on en arrivait à ce que les jeunes se régissent par eux-mêmes. J’indiquerai simplement que Lietz développa aussi des idées déjà exposées longtemps avant lui par Pestalozzi et le grand Jean-Jacques. Toutes ces méthodes modernes d’éducation remontent en quelque sorte à Rousseau, qu’il s’agisse d’Hermann Lietz, des boys-scouts, du mouvement éclaireur ou du « Wandervogelbund » allemand. En tout cas, cette idée de laisser se régir dans une communauté scolaire les jeunes gens par eux-mêmes est à l’origine de mon idée, que la jeunesse devait se diriger elle-même. Ma pensée était d’inculquer dès l’école à la jeune génération les idées que, quatre-vingts ans plus tôt, Fröbel avait prônées. Lietz voulait aussi, dès l’école, prendre en main la jeune génération.
Je puis peut-être encore indiquer très brièvement qu’en 1898 Lietz commença son travail éducatif et que la même année, dans une ville sud-africaine, le major britannique Baden-Powell, se voyant bloqué par des rebelles, entraîna des jeunes à partir en éclaireurs dans les forêts, ce qui fut à l’origine de son propre mouvement scout, qu’en la même année 1898, Karl Fischer fondait le mouvement du « Wandervogel » à Berlin-Steglitz.
Témoin, je pense que nous pouvons, accédant ainsi au désir de Monsieur le Président, en terminer avec ce chapitre qui n’a qu’un caractère préliminaire. Si je vous ai bien compris, vous avez dit que les principes que vous avez appliqués plus tard, après être devenu Reichsjugendführer, vous les avez découverts par vous-même et par les mouvements de jeunesse d’alors. Est-ce exact ?
Oui, essentiellement. Les bases de mon activité ultérieure doivent être cherchées là.
A ce point de vue, il m’intéresserait encore de savoir une chose : est-ce que cette éducation, à l’époque, avait quelque tendance politique ou antisémite ? Comment aussi en êtes-vous venu à vous occuper de questions politiques ?
Non, cette éducation n’était d’aucune tendance politique et aucunement antisémite, car Lietz appartenait à l’entourage du démocrate Naumann, à celui de Damaschke.
Comment en êtes-vous alors arrivé à la politique ?
Entre temps la révolution avait éclaté. Mon père...
Vous parlez de la révolution de 1918-1919 ?
Oui, de la révolution de 1918-1919. Mon père avait été chassé de son poste par les Rouges. L’assemblée nationale de Weimar avait été réunie, la République de Weimar établie. Nous avions un système parlementaire, nous avions une démocratie ou ce que nous considérions tout au moins comme tel en Allemagne, car je doute que c’en eût été une véritable. C’était l’époque de 1923. Je me trouvais au domicile paternel. C’était une 23 mal 46période d’insécurité générale, de misère et de mécontentement. Nombre de familles estimées avaient, avec l’inflation, été réduites à la mendicité. Les économies de l’ouvrier et du bourgeois avaient fondu complètement. Le nom de Hitler commençait à percer, après les événements du 9 novembre 1923. On ne savait, à l’époque, rien de précis sur son compte et il était impossible de se renseigner. Ce n’est qu’avec ce Procès que mes compatriotes et moi avons appris quelles avaient été les intentions de Hitler.
Je n’étais pas national-socialiste à l’époque et, avec quelques jeunes gens de mon âge, j’entrai dans un mouvement de jeunesse qui portait le nom de « Knappenschaft ». Cette organisation avait certaines attaches avec le bloc populaire, mais n’était liée à aucun parti. Ses mots d’ordre, très simples, étaient camaraderie, patriotisme et contrôle de soi. Nous étions environ une centaine de jeunes gens dans ma ville natale qui, dans le cadre de cette organisation de jeunesse, combattions la mollesse de la jeune génération d’après-guerre, et aussi la démoralisation, la dissipation des adolescents. J’avais alors 16 ans et, pour la première fois, je rencontrais le socialisme. Dans ce milieu se rencontraient des jeunes gens de toutes les professions, des ouvriers, des artisans, des fils de paysans, de jeunes employés. Il y avait aussi des gens plus âgés parmi nous qui occupaient déjà un poste dans la vie, et aussi quelques-uns qui avaient fait la guerre mondiale. Par les conversations que j’eus avec ces camarades, j’appris à mesurer alors dans toute leur ampleur les conséquences du Traité de Versailles.
La situation de la jeunesse était alors la suivante : l’étudiant pouvait espérer se tirer d’affaire en travaillant et y arriver tant bien que mal. Mais après, selon toute probabilité, il irait rejoindre le prolétariat des diplômés, car aucun espoir pour lui d’exercer sa profession. Le jeune ouvrier avait peu de chances de trouver une place d’apprenti. Pour lui il ne restait comme perspective rien d’autre que la sordide misère des gens en chômage. C’était une génération à laquelle personne ne viendrait en aide, si elle ne se tirait d’affaire elle-même.
Ce milieu dont vous faisiez partie, lorsque vous aviez 16 ans, comment a-t-il été amené petit à petit au national-socialisme ?
Oui, tout naturellement.
Et comment cela ?
Une certaine agitation régnait en Allemagne centrale. Je n’ai qu’à rappeler le nom de Max Hölz, le chef de bande communiste, pour évoquer la situation d’alors. Même après que l’ordre eût apparemment été rétabli, la situation était telle qu’il nous était impossible de tenir des réunions entre Allemands, réunions que les communistes s’employaient à disperser. C’est ainsi qu’on fit appel à nous, jeunes gens, pour assurer la protection des réunions patriotiques. Nous l’avons fait. Nous avons d’ailleurs eu des blessés. Un de nous, un certain Garschar, fut abattu par les communistes, mais de cette façon nous avons rendu possible de nombreuses réunions nationalistes qui n’auraient pu se tenir autrement sous la République de Weimar. Nous devions protéger aussi les réunions nationales-socialistes, en nombre croissant d’ailleurs, car c’est tout particulièrement contre elles que la terreur communiste était dirigée.
Au cours de ces activités, je fis la connaissance de hautes personnalités nationales-socialistes. Mais je n’étais pas encore connu personnellement comme orateur. J’entendis le comte Reventlow. Je crois que j’entendis aussi Rosenberg. J’ai entendu parler Streicher et j’ai assisté aux tout premiers débuts oratoires de Sauckel, qui devait d’ailleurs, peu de temps après, être nommé Gauleiter du parti national-socialiste en Thuringe. C’est de cette façon...
De quelle époque parle-t-il en ce moment ?
Il s’agit de l’année 1924, c’est-à-dire un an après le putsch hitlérien. (A l’accusé.) C’est de cette façon donc témoin, que le milieu auquel vous apparteniez s’est vu entraîner vers le parti national-socialiste. Est-ce que des lectures n’eurent pas leur rôle à jouer, certaines lectures d’inspiration nationale-socialiste par exemple ?
Je ne sais naturellement pas ce que mes camarades lisaient, à l’exception cependant d’un livre que j’indiquerai tout de suite. Je sais simplement ce que j’ai moi-même lu. Je lisais les écrits du penseur de Bayreuth, Chamberlain, je lus aussi Fondements du XIX e siècle, les écrits d’Adolf Bartels, son Histoire mondiale de la Littérature et son Histoire de la Littérature nationale allemande. C’étaient là des œuvres...
Docteur Sauter, je vous ai déjà dit que nous ne désirions pas connaître l’histoire complète de l’éducation de l’accusé. Il nous cite maintenant toute une série de livres qu’il a lus. Mais cela ne nous intéresse pas.
Oui, Monsieur le Président.
Je voudrais simplement faire remarquer, en une phrase, que ces œuvres n’étaient pas particulièrement antisémites mais que tout de même la question de l’antisémitisme revenait perpétuellement tout au long de ces œuvres. Le livre antisémite que je lus à l’époque qui fit pencher la balance et qui influença fortement aussi mes camarades...
S’il vous plaît...
... était le livre de Henry Ford, Le Juif international. Je l’ai lu, je suis devenu antisémite. Ce livre avait eu à l’époque, sur moi et sur mes amis, une influence considérable parce que nous considérions Henry Ford comme le symbole de la réussite et également le représentant d’une politique sociale progressiste. Dans cette pauvre et pitoyable Allemagne d’alors, la jeunesse regardait vers l’Amérique. Et, outre ce grand bienfaiteur, Herbert Hoover, c’était Henry Ford qui représentait l’Amérique pour nous.
Docteur Sauter, le Tribunal est d’avis, comme je vous l’ai déjà dit deux fois, que ce qui a influencé l’éducation de l’accusé ne nous intéresse pas. J’aimerais ne plus avoir à le répéter et si vous ne pouvez pas limiter ses déclarations et les maintenir dans le sujet, je serais obligé d’interrompre sa déposition.
Oui, Monsieur le Président, mais n’est-il pas intéressant pour le Tribunal qui doit juger l’accusé et son comportement de savoir comment l’accusé est devenu national-socialiste, comment il est devenu antisémite ? J’aurais pensé...
Non, cela n’est d’aucun intérêt pour le Tribunal.
Témoin, quand avez-vous alors fait la connaissance de Hitler et comment en êtes-vous venu à entrer dans le Parti ?
Il me faut dire que ce n’est pas à cause de mon antisémitisme que je suis devenu national-socialiste, mais à cause du socialisme. Je connaissais déjà Hitler en 1925. Il venait de quitter Landsberg am Lech. Son temps de forteresse était terminé. Il vint à Weimar et parla. A cette occasion, je lui fus même présenté. Le programme de communauté nationale qu’il développa me plut énormément, car j’y retrouvais en grand ce dont nous avions, avec nos camarades, fait l’expérience au sein de notre organisation de jeunesse. Il m’apparut comme l’homme qui ouvrirait la voie à notre génération. Je croyais qu’avec lui la nouvelle génération pouvait espérer du travail, des moyens d’existence, du bonheur. Je voyais en lui l’homme qui nous libérerait des chaînes du Traité de Versailles. Je suis persuadé que, sans Versailles, jamais Hitler n’aurait connu une telle ascension. Le Diktat amena la dictature.
Témoin, quand avez-vous adhéré au Parti ?
C’est en 1925 que je devins membre du Parti. Simultanément, j’entrais en même temps que tous mes camarades dans les SA.
Vous aviez 18 ans alors ?
Oui.
Pourquoi êtes-vous entré dans les SA ?
Les SA assuraient la sécurité des réunions et au sein des SA nous ne faisions que continuer à exercer, dans le cadre du Parti, une activité que nous exercions auparavant dans le cadre de notre organisation de jeunesse.
En 1926, témoin, alors que vous aviez 19 ans, il y eut une journée nationale du Parti à Weimar ?
Oui.
A cette occasion, vous avez, à ma connaissance, parlé personnellement à Hitler. Est-ce exact ?
Oui. J’avais déjà parlé à Hitler un an auparavant. Je le rencontrai à nouveau. Il prit la parole à Weimar à l’occasion de diverses manifestations de masse. Il revint encore à Weimar au cours de la même année mais, cette fois, pour s’adresser à un petit comité. Il rendit avec Rudolf Hess une visite à ma famille et, à cette occasion, suggéra que je pourrais peut-être aller étudier à Munich.
Pourquoi ?
Il pensait que je devais connaître la centrale du Parti, me familiariser avec ses méthodes de travail. Mais je voudrais tout de suite remarquer que je n’avais nullement à l’époque l’intention d’entrer dans la politique. Cependant, j’étais, bien entendu, très intéressé par cette enquête sur le mouvement, au lieu même où il avait été fondé.
Vous êtes alors parti pour Munich et vous êtes livré à ces études ?
Oui, je suis parti pour Munich mais tout d’abord je ne me suis pas soucié du Parti. Je m’occupais d’études germaniques, historiques, d’histoire de l’Art, j’écrivais aussi et j’entrais en contact à Munich avec beaucoup de gens qui n’étaient pas directement des nationaux-socialistes mais qui appartenaient, si je puis m’exprimer ainsi, à la périphérie du mouvement national-socialiste. J’habitais alors dans la maison de mon ami, l’éditeur Bruckmann, qui...
En 1929, vous êtes devenu chef du mouvement de l’enseignement supérieur. Je crois que vous avez été élu, non pas nommé, mais élu ?
Les choses commencèrent ainsi : j’assistais à Munich aux réunions du Parti. Je rencontrais aussi dans le salon de Bruckmann, Hitler, Rosenberg et beaucoup d’autres qui, plus tard, jouèrent un rôle en Allemagne. A l’université j’adhérai au groupe de l’enseignement supérieur de l’Union des Étudiants nationaux-socialistes.
Continuez, Monsieur von Schirach. Vous venez de nous déclarer avoir appartenu à ce groupe de l’enseignement supérieur à Munich. Voulez-vous poursuivre ?
Et je commençai à m’occuper activement de ce groupement. Je parlai d’abord à mes camarades de mes propres travaux dans le domaine littéraire. Ensuite, je me mis même à faire des conférences aux étudiants sur le mouvement national-socialiste. J’organisai des réunions d’étudiants hitlériens à l’université de Munich. Je fus choisi pour ce que l’on appelait l’ASTA (Allgemeiner Studentenausschuss), le comité général étudiant de l’université. Du fait de ces activités à l’université, j’avais de plus en plus des contacts avec la direction du Parti.
En 1929, le Reichsführer de l’Union des étudiants nationaux-socialistes se retira et alors se posa la question de savoir qui prendrait la direction de toute l’organisation pour l’enseignement supérieur. A l’époque, Rudolf Hess, sur l’ordre du Führer, posa la question aux différents groupes de l’enseignement supérieur qui appartenaient au mouvement national-socialiste de l’enseignement supérieur et la plupart de ces groupes demandèrent que je sois élu chef de l’Union des étudiants nationaux-socialistes. Fait curieux, je fus le seul des chefs de la direction du Parti qui ait été élu. C’est un événement qui ne s’est jamais reproduit dans l’histoire du Parti.
Vous voulez préciser par là que tous les autres ont été nommés et que vous seul avez été élu ?
J’ai été élu et cette élection confirmée.
Vous avez été élu, si je ne me trompe, à la Journée des étudiants de Gratz en 1931 ?
Ce n’est pas exact, c’est faux. Je ne parle présentement que du mouvement national-socialiste de l’enseignement supérieur. Je reviendrai plus tard sur cette autre question.
J’étais donc le chef du mouvement national-socialiste de l’enseignement supérieur et je réorganisai ce mouvement. Je commençais ma carrière d’orateur. En 1931...
Il nous suffit de savoir qu’il est devenu chef pour l’enseignement supérieur. Qu’il ait été élu ou non, cela n’a pas d’importance.
Monsieur le Président, je m’efforce continuellement en tout cas d’écourter cet exposé. Je pense que vous me permettrez encore une simple question à ce sujet. (A l’accusé.) Témoin, en 1931, vous avez été, à ma connaissance, lors du Congrès général des étudiants allemands et autrichiens, élu à l’unanimité je crois, président de cette organisation ? Est-ce exact ?
Il n’est pas exact...
Je vous en prie, soyez bref, Monsieur von Schirach.
Maître, ce n’est pas exact. En 1931, lors du Congrès général des étudiants allemands, auquel prenaient part tous les étudiants allemands, tous les étudiants autrichiens et des Sudètes, un de mes collaborateurs proposé par moi fut élu à l’unanimité chef de toute la jeunesse étudiante. Ce fut là un épisode très important pour la jeunesse, et même pour le Parti. Deux ans avant la prise du pouvoir, la jeunesse académique accordait en bloc ses suffrages à un national-socialiste. Après ce Congrès des étudiants de Gratz, j’eus avec Hitler un...
Je crois que le moment est venu de suspendre l’audience.
Témoin, avant la suspension d’audience, vous en étiez resté à votre élection en 1929 aux fonctions de chef des étudiants de l’enseignement supérieur. Deux années plus tard, Hitler vous nommait chef de la Jeunesse du Reich. Comment se fit cette nomination ?
Après le Congrès des étudiants à Gratz en 1931, dont le succès avait beaucoup impressionné Hitler, j’eus un entretien avec lui. Hitler revint alors sur l’entretien que nous avions eu antérieurement. Il m’avait demandé comment il se faisait que le mouvement national-socialiste de l’enseignement supérieur se développait si rapidement alors que les autres organisations nationales-socialistes ne suivaient pas. Je lui avais dit à ce moment-là qu’on ne pouvait traiter les organisations de jeunesse comme des succursales de parti politique. La jeunesse devait s’organiser elle-même, et j’ai même développé alors l’idée d’une république de jeunes, idée qui m’était venue des expériences de la communauté scolaire de Lietz.
Mais, en 1931, Hitler me demanda si je ne voulais pas prendre la direction des organisations de jeunesse nationales-socialistes. Il s’agissait d’associations de jeunes, de la Jeunesse hitlérienne, de l’organisation scolaire nationale-socialiste qui existait aussi alors. Différents hommes avaient déjà entrepris de les diriger, tels que l’ancien chef des SA Pfeffer, le Reichsleiter Buch, mais sans grand résultat.
Je donnai mon accord et devins Reichsjugendführer de la NSDAP et affecté provisoirement à l’État-Major du chef supérieur des SA, Röhm. En cette qualité de chef de la jeunesse du Reich à l’État-Major de Röhm, j’avais le grade de SA-Gruppenführer, et gardai ce grade lorsque, six mois plus tard, je devins indépendant. C’est ainsi que je suis devenu SA-Obergruppenführer, beaucoup plus tard d’ailleurs, et à titre honorifique. Pour ma part, je n’ai pas porté l’uniforme SA depuis 1933.
Vous êtes donc devenu en 1931 Reichsjugendführer de la NSDAP ?
Oui.
C’était sans doute une fonction du Parti ?
Oui.
En 1932, vous êtes ensuite devenu Reichsleiter ? Vous aviez 25 ans, à cette époque ? Comment cela se fit-il ?
J’ai déjà dit précédemment que j’avais déclaré à Hitler que la jeunesse ne pouvait pas être l’annexe d’une autre organisation, mais qu’elle devait être indépendante, se diriger elle-même. Elle devait devenir indépendante, et en exécution d’une promesse que Hitler m’avait faite à ce moment, je devins six mois plus tard Reichsleiter indépendant.
Reichsleiter indépendant ? Vous dépendiez donc directement du chef du Parti, Hitler ?
Parfaitement.
Avec quels moyens matériels cette organisation de jeunesse a-t-elle été créée ?
Avec les fonds de la jeunesse elle même.
Comment récoltiez-vous ces fonds ? Vous faisiez des collectes ?
Les garçons et les filles acquittaient des cotisations. De ces cotisations, une partie était conservée aux directions régionales des services correspondants aux Gauleitungen du Parti ou aux directions de groupes chez les SA. Une autre partie allait au Reichsjugendführer. La Jeunesse hitlérienne a ainsi créé son organisation par ses propres moyens.
Je serais maintenant intéressé par la chose suivante : la Jeunesse hitlérienne que vous avez fondée et qui portait le nom de Hitler acquit-elle de l’importance seulement après la prise du pouvoir et à cause de cette prise du pouvoir, ou bien quelle était auparavant l’importance de cette organisation de jeunesse que vous aviez créée ?
La Jeunesse hitlérienne, avant la prise du pouvoir en 1932, était déjà le plus grand mouvement de jeunesse de l’Allemagne. Mais je désirerais encore ajouter que ces différentes organisations de jeunesse nationales-socialistes que je trouvai à mon entrée en fonctions, je les ai réunies en un seul grand mouvement de jeunesse. Ce mouvement de jeunesse était le plus important d’Allemagne, bien avant que nous ne prenions le pouvoir.
Le 2 octobre 1932, la Jeunesse hitlérienne organisa une réunion à Potsdam. Plus de 100.000 jeunes de tous les coins d’Allemagne s’y rendirent sans que le Parti eût à mettre à leur disposition un seul pfennig. Les jeunes fournirent eux-mêmes la totalité des fonds nécessaires. Du seul nombre de participants à cette manifestation il ressortait qu’il s’agissait là du plus grand mouvement de jeunesse.
Donc, plusieurs mois avant la prise du pouvoir, plus de 100.000 membres prenaient déjà part à cette réunion de Potsdam ?
Parfaitement.
Le Ministère Public vous reproche de vous être, après la prise du pouvoir — en février 1933 je crois — emparé du Comité national des organisations de jeunesse allemandes, je répète : du Comité national des organisations de jeunesse allemandes. Est-ce exact et contre qui cette entreprise était-elle dirigée ?
C’est exact. Ce comité cependant n’était pratiquement qu’un bureau de statistiques dépendant du ministre de l’Intérieur du Reich. Ce bureau était dirigé par un général en retraite, Vogt, qui, plus tard, devint l’un de mes collaborateurs les plus zélés. Cette prise en mains du comité national fut un acte révolutionnaire, une entreprise que la jeunesse décida dans son intérêt car, de ce jour, commença à se concrétiser cette idée d’une république des jeunes à l’intérieur même de l’État. C’est tout ce que j’ai à dire sur cette question.
Le Ministère Public vous reproche, en outre, témoin, d’avoir, en 1933, c’est-à-dire après la prise du pouvoir, dissous le « Grossdeutsche Bund ». Qu’était-ce que ce « Grossdeutsche Bund » et pourquoi l’avez-vous dissous ?
Le « Grossdeutsche Bund » était une organisation de jeunes, ou plutôt une association de mouvements de jeunesse à tendance « grand-allemande ». C’est pourquoi je suis très étonné d’entendre le Ministère Public me reprocher la dissolution de ce « Grossdeutsche Bund ».
Nombre des membres de cet organisme étaient nationaux-socialistes. Entre les quelques associations réunies dans ce Bund et la Jeunesse hitlérienne, il n’y avait pas, en fait, une grosse différence ?
Je désirais la jeunesse unique et le « Grossdeutsche Bund » était de tendance séparatiste. Je m’opposai à cela et nous eûmes en public, l’amiral von Trotha, qui dirigeait le « Grossdeutsche Bund » et moi, de vives controverses. Finalement, le « Grossdeutsche Bund » fut intégré à la Jeunesse hitlérienne. Je ne me rappelle plus avec précision si l’interdit fut prononcé par moi contre cette organisation. Je sais simplement que des membres de cette organisation vinrent me trouver, que j’eus un entretien avec l’amiral von Trotha, suivi d’une réconciliation. Jusqu’à sa mort, l’amiral von Trotha resta ensuite l’un de mes auxiliaires les plus empressés.
A la suite de quoi les jeunesses marxistes furent-elles interdites ?
Je crois que l’interdiction des jeunesses marxistes, si je me souviens bien, eut lieu à la suite de celle des syndicats. Je n’ai plus à ma disposition une documentation assez précise pour pouvoir le dire. En tout cas, d’un point de vue purement juridique, je n’étais pas autorisé, en 1933, à prononcer une telle interdiction. Seul le ministre de l’Intérieur pouvait le faire. Le droit d’interdire les organisations de jeunesse, je ne l’ai eu de jure qu’à partir du 1er décembre 1936 à proprement parler. Que les organisations de jeunesse marxistes dussent disparaître, c’était pour moi une évidence. D’ailleurs, à propos de l’interdiction en elle-même, j’affirmerai simplement que la jeunesse ouvrière allemande n’a pas vu réaliser son idéal socialiste par les gouvernements marxistes de la République, mais bien par la Jeunesse hitlérienne et sa camaraderie.
Vous avez d’abord été Reichsführer de la NSDAP. C’était là une fonction du Parti. Et après la prise du pouvoir, vous êtes devenu chef de la Jeunesse du Reich allemand et c’était là une fonction d’État. Étiez-vous, du fait de ces fonctions d’État, compétent en matière scolaire, étiez-vous responsable des écoles primaires ?
Pour le système scolaire, était seul compétent en Allemagne, le ministre du Reich pour la Science, l’Éducation et la Culture. J’étais, quant à moi, compétent en matière d’éducation extra-scolaire. La loi du 1er décembre 1936 disait : pour tout ce qui ne ressort pas des parents ni de l’école. Dépendaient de moi cependant quelques écoles qui nous étaient propres, les écoles « Adolf Hitler », qui n’étaient pas soumises au contrôle de l’État. Mais elles furent créées un peu plus tard.
De même pendant la guerre la « Kinderlandverschickung », c’est-à-dire l’organisation qui assurait l’évacuation des enfants hors des grandes villes et des zones menacées de bombardements, m’avait chargé de l’instruction de ces enfants évacués dans des camps. Mais, en général, je dois rejeter toute espèce de compétence en matière d’éducation scolaire en Allemagne.
Cette jeunesse que vous aviez à éduquer en dehors de l’école s’appelait HJ, c’est-à-dire Jeunesse hitlérienne. Est-ce que l’appartenance à la HJ était obligatoire ou volontaire ?
L’adhésion à la HJ fut volontaire jusqu’en 1936. En 1936 parut la loi sur la Jeunesse qui a déjà été mentionnée et selon laquelle toute la jeunesse allemande devenait Jeunesse hitlérienne. Les modalités d’application de cette loi ne furent publiées qu’en mars 1939 et ce n’est que pendant la guerre, en mai 1940, qu’à la direction de la Jeunesse du Reich, on émit l’idée d’un service obligatoire de la jeunesse et que l’opinion publique se saisit de la question.
J’ajoute que mon remplaçant, Lauterbacher, à qui j’avais donné les pleins pouvoirs alors que j’étais au front, déclarait à cette époque publiquement, dans une réunion à Francfort, en 1940 je crois, que puisque 97% des jeunes classes s’étaient fait porter volontaires pour la HJ, il était devenu nécessaire de diriger les 3% restant sur le service obligatoire de la jeunesse.
Monsieur le Président, puis-je à ce propos vous renvoyer à deux documents du livre de documents Schirach, le numéro 51...
Je n’ai pas très bien compris ce qu’a dit l’accusé. Il a déclaré que l’affiliation a été volontaire jusqu’en 1936, qu’à cette époque la loi sur la HJ avait été promulguée et avait été différée jusqu’en 1939 ou quelque chose d’approchant. Est-ce bien ce qu’il a déclaré ?
Parfaitement, c’est bien cela. Jusqu’en 1936, si vous permettez, Monsieur le Président, l’entrée dans la HJ a été absolument volontaire. Puis en 1936 la loi sur la HJ a été promulguée, prévoyant que les garçons et les filles devaient faire partie des Jeunesses hitlériennes. Mais les modalités d’exécution de cette loi, l’accusé ne les a fait connaître qu’en 1939, si bien que, pratiquement, l’entrée dans les Jeunesses hitlériennes resta volontaire jusqu’en 1939.
C’est bien cela, accusé ?
C’est exact. Parfaitement.
Tout ce que je viens de vous exposer, Monsieur le Président, ressort de deux documents du livre de documents Schirach, document 51, page 91 et document 52, je répète, document 52, à la page 92 et, à propos de ce dernier document...
Très bien, Docteur Sauter, j’admets vos déclarations ainsi que celles de l’accusé. Je voulais simplement comprendre correctement de quoi il s’agissait. Vous pouvez poursuivre.
Et dans le dernier document sont aussi mentionnés ces 97% dont l’accusé vous a dit tout à l’heure qu’ils étaient entrés volontairement à la HJ, si bien qu’il ne manquait plus que 3%. Puis-je continuer ? (A l’accusé.) Comment, témoin, les parents envisageaient-ils la question ? Désiraient-ils voir leurs enfants entrer ou- non à la HJ ?
Il y avait naturellement des parents qui ne voyaient pas d’un très bon œil leurs enfants aller à la HJ. Toutes les fois que je m’adressais par la radio aux jeunes ou à leurs parents, plusieurs centaines de lettres m’arrivaient de ces derniers. Parmi ces lettres, il s’en trouvait très souvent où les familles élevaient des objections contre la HJ et même exprimaient leur hostilité à son égard. J’ai d’ailleurs toujours considéré cela comme une preuve de particulière confiance de la part des parents. Je voudrais souligner que jamais, lorsque des parents retiraient leurs enfants de la HJ, je n’ai exercé de pression quelconque ou contrainte. J’aurais perdu, en agissant autrement, toute la confiance des familles. Et c’est sur cette confiance que s’appuyait tout mon travail d’éducation. Je crois, à l’occasion, devoir remarquer que ceux qui croiraient pouvoir mettre sur pied et diriger avec succès une organisation de jeunesse par la force se font des idées complètement fausses.
Témoin, les jeunes qui n’entraient pas dans les. Jeunesses hitlériennes étaient-ils, pour cette raison, désavantagés ?
Les jeunes qui n’entraient pas à la HJ étaient désavantagés en ce sens qu’ils ne pouvaient pas participer à nos camps, à nos voyages et à nos concours sportifs. Ils restaient en quelque sorte spectateurs des activités de la jeunesse et ils couraient le danger de se perdre dans l’envie.
N’y avait-il pas certaines professions pour lesquelles l’appartenance à la HJ était une des conditions de l’admission ?
Naturellement.
De quels métiers s’agissait-il ?
Par exemple la profession d’instituteur. Il est clair qu’un professeur ne peut pas éduquer la jeunesse s’il ne la connaît pas. C’est pourquoi nous exigions que les jeunes professeurs, qui seraient bientôt amenés à exercer, fussent passés par la HJ. Le jeune professeur devait être familiarisé avec le genre de vie des élèves qu’on lui confiait.
Mais cela ne valait que pour quelques professions. Pour les autres, on n’exigeait pas d’avoir appartenu aux Jeunesses hitlériennes, n’est-ce pas ?
Je ne puis vous répondre en détail. D’ailleurs, je crois que toute discussion serait superflue puisque tous les jeunes appartenaient à la HJ.
Témoin, vous savez que le Ministère Public reproche également aux accusés le « Führerprinzip ». Je vous demande si ce principe du chef valait également pour la HJ, sous quelle forme il y était appliqué ? Je vous rappelle qu’en l’occurrence il s’agit de ce principe du chef dont les témoins nous ont entretenus ici.
Naturellement la Jeunesse hitlérienne avait pour règle de base le principe du chef. Seulement, nos méthodes, à nous, dirigeants de la jeunesse, se distinguaient fondamentalement de toutes celles des autres organisations nationales-socialistes. Par exemple, à la direction des Jeunesses hitlériennes, nous avions chacun coutume de nous ouvrir des questions qui nous préoccupaient. A nos sessions de dirigeants régionaux, de vives controverses s’élevaient. J’ai été moi-même jusqu’à apprendre à mes collaborateurs à combattre certaines affirmations. Cependant, lorsque nous nous étions prononcés sur une mesure et que j’avais donné des instructions ou des ordres, toute discussion cessait. Les dirigeants de la jeunesse, c’est-à-dire les jeunes cheftaines et chefs, après des années de coopération au service d’une tâche commune, ne formaient plus qu’un, bien qu’ils fussent plusieurs milliers. Résultat de l’amitié. Il est tout à fait clair que dans une telle équipe, la transmission des ordres et des instructions se faisait suivant des processus entièrement différents de ceux des organismes militaires ou d’une autre organisation politique.
Témoin...
Puis-je encore ajouter qu’une éducation basée sur un ascendant naturel, comme c’était le cas à la Jeunesse hitlérienne, est quelque chose qui n’est pas du tout étranger à la jeunesse. Ce genre de tutelle n’a jamais, chez nous, dégénéré en dictature.
Témoin, on vous reproche d’avoir éduqué la jeunesse dans un esprit militaire et, à ce propos, on rappelle que votre Jeunesse hitlérienne portait un uniforme. Est-ce exact ? Et pourquoi les Jeunesses hitlériennes portaient-elles l’uniforme ?
Je me suis longuement expliqué à ce sujet. Je crois que quelques documents illustreront très bien mes explications. J’ai toujours considéré l’uniforme comme le symbole de la camaraderie. L’uniforme était le symbole d’une communauté sans classes. Un fils d’ouvrier portait les mêmes vêtements qu’un fils de professeur d’université. La jeune fille de famille portait le même costume que la fille du journalier. Ainsi se faisait l’unité. Cet uniforme n’avait aucune signification militaire.
A propos de cette question d’uniforme, Monsieur le Président, puis-je peut-être vous demander de prendre connaissance des documents 55, 55 (a) et 117 du livre de documents von Schirach, dans lesquels l’accusé exprimait, il y a de longues années déjà, les mêmes manières de voir qu’aujourd’hui.
Je vous demanderai simplement, Monsieur le Président, de pouvoir rectifier un lapsus à la page 98, document 55, je répète donc : document n° 55, page 98 du livre de documents. Vers le bas de la page, sous la rubrique « Page 77 », numéro de la page de l’œuvre de Schirach d’où est tirée la citation, il est dit : « Le fils du millionnaire lui-même n’avait pas d’autres droits ». Je ne sais, Messieurs, si vous avez trouvé le passage. Page 77 du livre de Schirach, ou bien page 98 du livre de documents, document 55, où figure vers le bas de la page la citation suivante : « Le fils du millionnaire lui-même n’avait pas d’autres droits ». Il faut lire : « ...n’avait pas d’autre tenue » et c’est par méprise qu’est écrit : « ...n’avait pas d’autres droits ». Je vous prie donc de rectifier. Il ne s’agit pas de droits, mais de tenue.
Très bien.
Merci beaucoup (A l’accusé.) Je poursuis, témoin, votre interrogatoire. On vous reproche d’avoir, par votre enseignement, préparé psychologiquement la jeunesse à la guerre, d’avoir pris part à une conspiration qui permit au mouvement national-socialiste de s’assurer une suprématie totale en Allemagne, de préparer et déclencher ensuite des guerres d’agression. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?
Je n’ai participé à aucune conspiration. Je ne puis considérer comme participation à une conspiration le fait d’être entré au parti national-socialiste. Le programme de ce Parti avait été autorisé et publié. Le Parti était reconnu aux élections. Hitler n’a non plus jamais dit, ni lui ni aucun de ses collaborateurs d’ailleurs : « Je m’emparerai du pouvoir par un coup d’État ». Tout au contraire, il ne cessa de déclarer, non pas une fois, mais cent fois : « Je veux triompher de ce système parlementaire par des moyens légaux, de ce système qui d’année en année nous conduit un peu plus à la ruine ».
Et, en ma qualité de plus jeune député de la République au Reichstag, je n’ai pas déclaré autre chose à mes 60.000 électeurs ou cours de la campagne électorale. Et cela n’avait rien à voir avec une conspiration, avec des conciliabules toutes portes closes. Ce que nous voulions, nous l’avons loyalement porté à la connaissance de la nation et, pour autant que, sur cette terre, on lût les journaux, chaque étranger était également informé de nos buts et intentions.
Pour ce qui est de la préparation à la guerre, je dois dire que je n’ai pris part à aucune conférence, que je n’ai donné aucun ordre qui visât à la préparation d’une guerre d’agression. Je crois que ce fait est déjà ressorti des débats précédents. Je ne puis donc que déclarer que je n’ai pas participé à une quelconque conspiration. Je ne crois non plus nullement qu’il y ait eu conspiration. Cette idée de conspiration n’est pas compatible avec la notion de dictature. Un dictateur ne conspire pas, il ordonne.
Témoin, les dirigeants de la Jeunesse hitlérienne ont-ils fait quelque chose pour préparer les jeunes à la guerre ? Les ont-ils éduqués à des fins guerrières ?
Avant de répondre à cette question, il me faut, je crois, exposer brièvement la différence entre « instruction militaire » et « instruction pré-militaire ». A mon avis, le terme « instruction militaire » englobe tout entraînement avec armes de guerre et tout entraînement qui, avec ou sans armes de guerre, est conduit par du personnel militaire, par des officiers. L’entraînement, l’instruction pré-militaire, c’est, dans l’acception la plus large du mot, cet entraînement qui a lieu avant le service militaire, en l’occurrence une préparation spéciale au service militaire.
A la Jeunesse hitlérienne, nous avons été opposés à tout dressage militaire de la jeunesse que nous avons estimé contre-indiqué pour les jeunes. Je n’exprime pas là ma seule opinion, mais celle de milliers de mes collaborateurs.
Il est un fait, c’est que j’ai refusé de militariser la jeunesse comme cela avait été le cas en Allemagne auparavant et que j’ai rejeté pour la Jeunesse hitlérienne toute occupation militaire. J’ai, de tout temps, trouvé odieuses ces façons de jouer au petit soldat pour une organisation de jeunesse. Malgré tout le respect que je porte à la carrière d’officier, l’officier me paraît peu fait pour éduquer des jeunes, car il prend toujours un peu le ton de la cour de caserne et dirige des jeunes comme il dirigeait des militaires. C’est la raison pour laquelle, à la Jeunesse hitlérienne, aucun officier ne collaborait avec moi. Et justement ce refus d’employer des officiers pour diriger les jeunes m’amena parfois des critiques très violentes de la part de la Wehrmacht. Mais je voudrais souligner formellement que ces critiques ne venaient pas de l’OKW. Au contraire, Monsieur le Feldmarschall Keitel a toujours manifesté beaucoup de compréhension pour mes idées. Mais, au sein de la Wehrmacht, on critiquait sans cesse avec force ce refus généralisé des dirigeants de la jeunesse d’accepter des officiers parmi leur groupe. Le principe qui veut que les jeunes se dirigent par eux-mêmes n’a jamais été tourné en Allemagne.
Maintenant, pour en finir avec la question de savoir si les jeunes ont été préparés à la guerre et s’ils ont reçu une instruction militaire, je répondrai que l’essentiel des activités de la jeunesse allemande se ramenait à des concours professionnels, des cours professionnels de complément, des camps et des compétitions sportives. L’éducation physique, qui dans un certain sens pourrait être assimilée à de la préparation militaire, ne prenait qu’une très infime partie de notre temps.
J’aimerais citer à ce propos un exemple. Un district de la Jeunesse hitlérienne, le district de Hesse Nassau, le district correspond à peu près au Gau du Parti, donnait pour son budget de 1939 : voyages et camps : 9/20 ; activités culturelles : 3/20 ; sports et éducation physique : 3/20 ; service rural et autres prestations : 5/20.
Dans le même district, en 1944, un an donc avant la fin des hostilités, on relevait : pour les activités culturelles : 4/20 ; sports et éducation physique militaire : 5/20 ; service rural et autres : 6/20 ; pour l’évacuation des enfants à la campagne : 5/20.
A ce propos, j’indiquerai aussi brièvement que le même district, de 1936 à 1943, n’a rien dépensé pour l’éducation raciale. En 1944, pour l’éducation raciale, 20 Mark relevés au budget comme ayant servi à l’acquisition d’un volume illustré sur les maladies héréditaires et sexuelles. Mais ce même district, pendant la même période, allouait à une seule ville une subvention de 200.000 Mark pour permettre à ses jeunes d’assister aux représentations théâtrales.
Je ne peux abandonner la question de la préparation militaire ou paramilitaire sans parler du tir à petit calibre. Ce sport était très répandu parmi la jeunesse allemande. Il était pratiqué selon la réglementation internationale. L’article 177 du Traité de Versailles n’interdisait pas le tir à petit calibre. Il est indiqué dans cet article du Traité de Versailles que les associations de tir, de sport et de tourisme ne peuvent initier leurs adhérents au maniement et à l’emploi des armes de guerre, sans plus. La carabine de petit calibre n’est pas une arme de guerre. Nous utilisions pour nos tirs sportifs une carabine du genre carabine américaine de calibre 22. On la chargeait avec la cartouche Flobert 22 court ou 22 long.
J’aimerais maintenant ajouter que toutes nos activités de tir et activités prémilitaires sont résumées dans un manuel intitulé La Jeunesse hitlérienne sert. Ce livre ne fut pas seulement vendu en Allemagne, mais on pouvait également se le procurer à l’étranger. Sur ce livre, le « British Board of Education » en 1938 a porté un jugement dans son Opuscule pédagogique n° 109. Et, avec la permission du Tribunal, j’aimerais citer brièvement ce qui est dit dans cet Opuscule pédagogique sur le sujet. Je cite en anglais, (L’accusé cite en anglais le passage dont la traduction suit) :
« Loyalement, on ne peut pas dire que ce travail soit en lui-même plus militariste qu’aucun manuel de formation scoute, complet, approfondi et étendu tout à la fois. Quelque quarante pages sont consacrées évidemment à la théorie et à la pratique de la carabine de petit calibre à air comprimé, mais il n’y a rien dans ces pages dont on puisse raisonnablement se formaliser. Et le pire que l’on puisse dire de ces pages, c’est qu’elles peuvent être sans aucun doute recommandées à tout scout désirant se préparer au « badge » de tireur. »
Tout ce que je puis dire de l’état d’esprit de cette jeunesse, c’est qu’il n’était nullement militariste.
Nous pourrions peut-être y revenir plus tard lorsque nous aborderons une autre question relative à ce même sujet.
Vous dites que la jeunesse, la Jeunesse hitlérienne, était entraînée avec des carabines Flobert, avec du petit calibre, comme on dit. Est-ce que la jeunesse fut aussi initiée aux fusils de guerre, ou même à la mitrailleuse et à la mitraillette ?
En aucune façon.
Jamais ?
Non, pas un seul jeune Allemand ne fut, jusqu’à la guerre, initié à une quelconque arme de guerre, que ce fût un fusil d’infanterie, une mitrailleuse, un canon d’infanterie, etc. ; aucun exercice avec grenades à main amorcées ou même avec de simples grenades à main.
Monsieur le Président, dans le livre de documents Schirach, sont reproduits différents documents qui vous démontreront que les idées de l’accusé von Schirach en matière d’instruction militaire ou d’instruction prémilitaire de la jeunesse n’ont jamais en quoi que ce soit différé de celles qu’il vient d’exposer aujourd’hui. Notamment qu’il s’est toujours prononcé contre tout dressage militaire, contre des procédés de cour de casernes, etc. En particulier, il s’agit, dans le livre de documents Schirach, des documents 55, puis 122, 123, 127, 127 (a), 128 et 131. Je vous prie de bien vouloir en prendre connaissance. Ils renferment en gros ce que M. Schirach vient d’exposer brièvement. (A l’accusé.) A ce propos, Monsieur von Schirach, à propos de ce qu’on appelle la préparation militaire de la jeunesse, il m’intéresserait de savoir quelle influence exerçaient lés SA sur l’éducation de la jeunesse ?
Aucune. Les SA ont seulement essayé d’influencer l’éducation de la jeunesse.
De quelle façon ?
C’était en janvier 1939. Je me trouvais justement à Dresde à cette époque où j’avais ménagé une réunion au cours de laquelle on avait présenté quelque méthode de culture physique moderne pour fillettes. Je me souviens très bien de tout cela. J’étais donc à cette réunion ; on me montra un journal dans lequel était publiée une ordonnance de Hitler selon laquelle les deux plus vieilles classes de la Jeunesse hitlérienne devaient recevoir un entraînement prémilitaire des SA.
J’ai immédiatement protesté contre cette mesure et, à mon retour à Berlin, j’ai obtenu non pas qu’elle fût rapportée, car le nom de Hitler, pour des raisons de-prestige, figurait au bas de ce décret, mais qu’elle cessât d’avoir une action sur la jeunesse.
Monsieur le Président, cet épisode est rapporté dans le document n° 132 du livre de documents von Schirach. Il s’agit d’un exposé tiré du journal Das Archiv, périodique semi-officiel. J’aurais besoin de m’y référer pour prouver certaines choses. Au sujet des exercices de tir, j’aimerais pouvoir poser à l’accusé encore quelques questions. (A l’accusé.) A la Jeunesse hitlérienne, le tir occupait-il une grande place dans l’emploi du temps ? Une très grande place ou une place importante ?
Malheureusement, les pièces me manquent. Sans cela, il me serait loisible de vous répondre très exactement. En tout cas, il ne tenait pas une grande place dans l’entraînement de la Jeunesse hitlérienne.
Est-ce que cet entraînement au tir fut plus poussé, d’après votre propre expérience et vos observations, que celui de la jeunesse d’autres pays ?
Les exercices de tir étaient pratiqués par les jeunesses d’autres pays sur une bien plus grande échelle qu’en Allemagne.
L’avez-vous vérifié par vous-même ?
Je l’ai appris de mes nombreux collaborateurs qui étudiaient de façon permanente et approfondie l’entraînement que recevaient les jeunesses étrangères. Je le sais aussi d’après ce que j’ai pu moi-même constater.
Pensez-vous qu’il soit intéressant pour nous de savoir que d’autres nations se sont exercées au tir ? Je ne crois pas d’ailleurs que ce que vous avez avancé soit conforme à la vérité. De toute façon, la matière n’est pas pertinente.
J’aborde maintenant une autre question. Le Ministére Public — et je cite textuellement — a affirmé « que des milliers de garçons auraient été entraînés militairement » — je souligne, militairement — « par la Jeunesse hitlérienne pour la Marine, l’Aviation et l’arme blindée ; que plus de 7.000 instructeurs auraient appris le tir au fusil à plus de 1.000.000 de jeunes de la Jeunesse hitlérienne. »
J’en termine ainsi avec ce passage de l’Acte d’accusation qui se réfère à quelque manifestation de 1938. Je vous prie maintenant de vous pencher sur la question que nous abordons, celle des unités spéciales de la Jeunesse hitlérienne.
Le Ministère Public se réfère, si je ne fais pas erreur, à un discours tenu par Hitler. J’ignore comment Hitler en est arrivé aux chiffres qu’il cite. Je puis simplement, s’agissant de l’entraînement de ces groupes spéciaux, déclarer et attester qu’en 1938 la Jeunesse hitlérienne motorisée — c’est l’unité spéciale de notre organisation de jeunesse à laquelle le Ministère Public fait allusion et dont il pense qu’elle préparait à l’admission dans l’arme blindée — possédait 328 véhicules.
Pour toute l’Allemagne ?
Pour toute l’Allemagne. Elle disposait, en outre, des voitures appartenant à ses adhérents, soit 3.270, et des véhicules mis à sa disposition par le corps national-socialiste motorisé (NSKK), soit 2.000. En 1938, 21.000 jeunes ont donc obtenu leur permis de conduire. Je crois — mais je ne peux pas l’affirmer catégoriquement — que c’est là le double des permis de conduire obtenus en 1937. C’étaient des permis de conduire pour voitures de tourisme. Ces chiffres démontrent à eux seuls que la Jeunesse hitlérienne motorisée ne pouvait pas instruire du personnel pour notre arme blindée
La Jeunesse hitlérienne motorisée disposait de motocyclettes qu’elle utilisait pour faire des sorties en campagne. C’est naturellement exact que ces expériences seraient plus tard très précieuses pour l’Armée si ces jeunes étaient affectés aux troupes motorisées. Mais le jeune qui avait appartenu à la Jeunesse hitlérienne motorisée pouvait très bien entrer dans l’Armée de terre. Aucune pression n’était effectuée. Cette Jeunesse hitlérienne motorisée n’a pas été constituée sur la demande de la Wehrmacht, mais elle se constitua d’elle-même dès l’époque de la lutte pour la prise du pouvoir, longtemps avant cette dernière, du simple fait que les jeunes qui possédaient une motocyclette par besoin ne songeaient qu’à pouvoir s’en servir. Nous avons ainsi mis sur pied la HJ motorisée, utilisant ces jeunes comme estafettes entre nos différents camps, les employant comme chauffeurs des chefs qui m’étaient subordonnés. Plus tard, pour assurer un enseignement régulier à ces jeunes dans le domaine des moteurs en particulier, nous avons passé un accord avec le NSKK qui disposait d’écoles à cet effet et avait la possibilité d’instruire nos jeunes, C’est de la même façon que se sont développés les autres groupes.
La Jeunesse hitlérienne aérienne n’a jamais, par exemple, pratiqué le vol à moteur. Nous ne disposions que des planeurs. Il n’y avait à la Jeunesse hitlérienne qu’un seul avion à moteur, le mien, un petit « Klemm » de tourisme. Sans cela, la Jeunesse hitlérienne n’avait entre les mains, à part les planeurs, que des modèles réduits d’avions. La Jeunesse hitlérienne n’a pas seulement initié au vol à voile, dans la Rhön ou ailleurs, ses propres adhérents, mais encore des milliers de jeunes Anglais et étrangers. Nous avons eu chez nous des camps avec de jeunes Anglais venus pour le vol à voile et nous avons même fait du vol à voile en Angleterre.
La Jeunesse hitlérienne marine disposait-elle, par hasard, de bâtiments de guerre ?
Naturellement, elle ne disposait d’aucun navire de guerre, mais de temps à autre, grâce à l’amabilité de notre ancien Commandant en chef de la Marine de Guerre, Raeder, on lui offrait quelque vieux cotre avec lequel elle apprenait à ramer.
Les jeunes, par exemple, qui habitaient une ville comme Berlin, au bord du Wannsee, et pratiquaient les sports nautiques, pouvaient rentrer à la HJ Marine. Lorsqu’ils étaient incorporés dans la Wehrmacht, ils n’en étaient pas pour autant affectés à la Kriegsmarine. Un grand nombre d’entre eux allaient dans l’Armée de terre ou l’Aviation. Et il en était ainsi pour toutes les formations spéciales.
Témoin, vous déclarez donc qu’à votre avis la jeunesse n’a pas été préparée militairement à la guerre ?
Je désirerais être très précis en, la matière. L’entraînement que recevaient les groupes spéciaux était tel qu’il avait réellement une valeur prémilitaire. Les bases de l’enseignement que les jeunes recevaient à la HJ Marine avaient une valeur prémilitaire, sans considération de savoir si ces jeunes désiraient plus tard utiliser ces connaissances pour la pratique du sport ou entrer dans la Marine de Guerre. Pour ce qui est des groupes spéciaux de la Jeunesse, on peut poser, en fait, qu’un enseignement prémilitaire y était donné, mais non une instruction militaire. Nulle part à la Jeunesse hitlérienne les jeunes n’étaient préparés à la guerre ni non plus pour le service militaire, car les jeunes ne passaient pas directement de la HJ dans l’Armée. Ils passaient d’abord par le service du Travail.
Combien de temps restaient-ils au service du Travail ?
Six mois.
Et c’est après seulement qu’ils entraient dans la Wehrmacht ?
Oui.
Mais, à ce sujet, le Ministère Public fait valoir un accord conclu entre la direction de la Jeunesse hitlérienne et l’OKW en août 1939, présenté comme document PS-2398. Quels sont les faits qui amenèrent cet accord entre vous et l’OKW ?
Je ne me souviens pas des détails. Mais, autant que je me souvienne, aucun entretien n’eut lieu entre le Feldmarschall Keitel et moi au sujet de cet accord. Je crois que nous nous sommes entendus par correspondance.
Ce que je voudrais principalement remarquer c’est que de 1933 à 1945, un ou peut-être deux entretiens je crois, d’une demi-heure eurent lieu en tout entre Monsieur le Feldmarschall et moi. Quant à l’accord, il se fit en vertu des considérations suivantes : A la jeunesse, nous nous efforcions, et les dirigeants de la Wehrmacht également, de ne pas anticiper sur l’instruction militaire ultérieure. De plus, au bout d’un certain temps, les militaires avaient demandé que l’on n’enseignât rien aux jeunes qu’ils eussent à réapprendre d’une manière différente plus tard, dans la Wehrmacht. Je pense à la boussole, car cet exemple me vient justement à l’esprit. L’Armée de terre utilisait la boussole de marche d’infanterie ; à la Jeunesse, on utilisait pour les jeux topographiques les boussoles les plus diverses. Il eût évidemment été un non-sens de la part des moniteurs d’enseigner à leurs jeunes à se diriger avec une boussole Bezar par exemple, si plus tard, comme jeunes recrues, ils devaient apprendre à se servir d’une autre boussole. De même les termes à employer et la façon de décrire le terrain devaient être les mêmes dans la Jeunesse et dans l’Armée. C’est ainsi qu’on en vint à cet accord à la suite duquel, d’après mes souvenirs, de 30.000 à 60.000 chefs de la Jeunesse hitlérienne reçurent un entraînement à la fois sportif et topographique. Cette pratique sportive du terrain ne comprenait aucune initiation aux armes de guerre.
Monsieur le Président, j’en arrive à un autre chapitre. Peut-être vous conviendrait-il de suspendre maintenant l’audience.
L’audience est levée.