CENT TRENTE-SEPTIÈME JOURNÉE.
Jeudi 23 mai 1946.

Audience de l’après-midi.

Dr SAUTER

Témoin, quand l’audience de ce matin a pris fin, nous parlions de la question de la formation militaire ou prémilitaire de la jeunesse. J’en arrive à un sujet voisin : avez-vous, en votre qualité de chef de la jeunesse, soit dans vos articles, soit dans vos discours, soit dans vos ordres, essayé d’une façon quelconque, de créer une psychose de guerre dans les milieux de la jeunesse, et de diriger cette dernière dans la voie d’une guerre d’agression ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Non, je n’ai jamais dans mes discours à la jeunesse, dans mes ordres et directives, préparé la jeunesse à la guerre ; et même dans le cercle étroit de mes collaborateurs, je ne me suis jamais exprimé en faveur de cette idée. Tous mes discours, ou tout au moins leurs passages essentiels, sont réunis dans la collection Das Archiv. Une grande partie de mes discours est également rassemblée dans un livre appelé La révolution de l’éducation qui a été présenté au Tribunal. De toutes ces preuves, il ressort clairement que jamais je ne me suis adressé dans ce but à la jeunesse ; c’eût d’ailleurs été en contradiction flagrante avec mon but, qui était de la faire collaborer avec la jeunesse des autres nations.

Dr SAUTER

Peut-être puis-je à ce propos, Monsieur le Président, me référer au document qui se trouve dans le livre de documents sous le numéro Schirach-125 et au document n° 126, dans lequel l’accusé exprime son opinion sur la sauvegarde de la paix et le refus de la guerre. Je demande au Tribunal de bien vouloir en prendre acte.

Témoin, vous venez de parler de la collaboration de la jeunesse allemande avec la jeunesse d’autres nations. Pouvez-vous nous donner d’autres détails sur ce sujet et nous dire, en particulier, avec quelles organisations de jeunesse étrangères vous avez travaillé et tenté un rapprochement, sous quelle forme et dans quelle mesure ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Depuis 1933, j’ai tenté, dans une mesure croissante, de créer des camps d’échange avec des organisations de jeunesse d’autres pays. Des groupes de jeunesse français, anglais, belges, etc., et surtout italiens, cela va de soi, ont été nos invités. Je me souviens qu’en une seule année, en 1936 je crois, environ 200.000 jeunes étrangers furent hébergés dans nos Auberges de la jeunesse. A ce propos, il est peut-être important de faire remarquer que le système des Auberges de la jeunesse, que j’avais repris en 1933, fut développé par mes soins et fit finalement partie d’un système international d’Auberges de la jeunesse dont le président était tantôt Allemand, tantôt Anglais. Un accord international sur les Auberges de la jeunesse, permit à nos jeunes d’être hébergés dans les Auberges de la jeunesse des nations invitées. J’ai fait moi-même de grands efforts pour provoquer une entente avec la jeunesse française. Je dois à la vérité de dire que c’était une de mes idées préférées. Je crois que mes collaborateurs d’autrefois se rappelleront que j’ai tout fait pour la réaliser. J’ai fait rédiger le journal des cadres en français, tout au moins une fois, afin de renforcer cette entente entre la jeunesse française et la jeunesse allemande. Je suis allé à Paris et j’ai invité les enfants de 1.000 anciens combattants à venir en Allemagne. Fréquemment, de jeunes invités français sont venus visiter notre pays. Mais en dehors de cette entente avec la France, qui amena des complications entre le Führer et moi, j’ai collaboré avec de nombreuses autres organisations. Peut-être puis-je ajouter que cette collaboration franco-allemande dans le domaine de la jeunesse était surtout soutenue par l’ambassadeur Poncet à Berlin, le président du conseil Chautemps, et d’autres personnalités françaises, qui écrivaient sur ce sujet dans mon journal des cadres.

J’ai eu des échanges de vues avec les chefs de la jeunesse de tous les pays du monde, et j’ai moi-même entrepris de longs voyages pour visiter les organisations de jeunesse des autres pays et entrer en contact avec elles. La guerre a brusquement interrompu ce travail. Je ne veux pas manquer de dire ici que, pendant toute une année, j’ai placé tout le programme de la jeunesse sous le thème « compréhension » et que, dans tous mes discours, j’ai essayé de l’orienter vers une compréhension des autres peuples.

Dr SAUTER

Est-il exact, par exemple, que même au cours des années précédant la guerre, je crois même au cours des hivers 1937-1938 et 1938-1939, vous avez invité de vastes groupements de jeunes Anglais dans les camps de ski de la Jeunesse hitlérienne et que, réciproquement, d’importantes délégations de cadres et de membres de la Jeunesse hitlérienne ont été envoyés en Angleterre à la même époque, pour que les jeunes gens apprennent à se mieux connaître et à se comprendre mutuellement ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui, c’est bien exact. On organisa d’innombrables camps de jeunesse étrangère en Allemagne, et de jeunesse allemande à l’étranger. J’ai moi-même fréquemment visité quelques-uns de ces camps, ou j’en ai reçu des délégations. Je voudrais ajouter que, jusqu’en 1942, j’ai tenté de collaborer avec la jeunesse française. Il y avait alors des difficultés provenant de l’attitude de Mussolini. Je me rendis à Rome et par l’intermédiaire du comte Ciano, j’eus un très long entretien avec Mussolini et obtins qu’il retirât ses objections à l’invitation de groupes de jeunesse français en Allemagne. Malheureusement, lorsque j’annonçai ce résultat à notre ministre des Affaires étrangères, Hitler répondit par un refus. En tout cas, c’est ce qu’a affirmé M. von Ribbentrop.

Dr SAUTER

D’un article du journal Das Archiv de 1938, je vois par exemple que cette année-là vous avez invité, entre autres, 1.000 enfants d’anciens combattants français dans les camps de la Jeunesse hitlérienne et dans des camps de ski franco-allemands. Est-ce exact ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Mais oui, je vous l’ai déjà dit.

Dr SAUTER

Il ressort d’un autre article que, par exemple, en 1939, je crois, vous avez fait poser une pierre commémorative dans la Forêt Noire, à l’endroit où quelques membres d’une organisation de jeunesse anglaise avaient été victimes d’un accident mortel en faisant du sport.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui.

Dr SAUTER

Monsieur le Président, l’accusé a précédemment déclaré que, dans ce but, il avait fait construire à proximité de Berlin, une maison spéciale appelée « Le pavillon étranger de la Jeunesse hitlérienne ». Je puis présenter au Tribunal des photographies représentant ce pavillon, comme document Schirach-120. Le Tribunal pourra, en consultant ces reproductions...

LE PRÉSIDENT

Nous sommes tout prêts à vous croire sans regarder le bâtiment, dont le style architectural sera sans effet sur nous.

Dr SAUTER

Oui, mais Monsieur le Président, si vous ne regardez pas les photographies, vous ne verrez pas comment la maison était installée ; vous ne verrez pas, par exemple, qu’il n’y avait pas une seule croix gammée et pas un seul portrait de Hitler. Cela prouve le respect que l’on avait des opinions des hôtes étrangers.

A ce propos, Monsieur le Président, je puis également vous prier de bien vouloir prendre acte d’un certain nombre de documents se rapportant aux efforts faits par l’accusé von Schirach pour provoquer un rapprochement entre la jeunesse hitlérienne et la jeunesse des autres nations. Ils sont tous dans le livre de documents von Schirach (numéros 99 à 107, 108 à 113, 114 à 116, 117, 119 et 120), et se rapportent au même sujet.

Témoin, lorsque vous invitiez ces délégations de la jeunesse étrangère en Allemagne, leur cachait-on certaines choses concernant les institutions et les organisations allemandes, particulièrement celles de la Jeunesse hitlérienne ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Pas du tout ; en principe, les chefs de la Jeunesse étrangère désiraient connaître nos institutions et nous les leur montrions toutes sans exception. Il n’y eut en réalité aucune institution de la jeunesse allemande qui ne fut montrée à nos hôtes étrangers. On leur a même expliqué en détail le fonctionnement de la « formation prémilitaire ».

Dr SAUTER

En 1939, la deuxième guerre mondiale éclata ; l’aviez-vous prévue, au cours des mois précédents ? Que faisiez-vous alors ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

J’étais fermement convaincu que Hitler ne permettrait pas qu’une guerre éclatât. Je pensais qu’il ne se trompait nullement sur les sérieuses intentions des puissances occidentales. Jusqu’au jour de la déclaration de la guerre, j’avais la conviction que la guerre pourrait être évitée.

Dr SAUTER

Avez-vous alors parlé avec des chefs militaires ou des personnalités politiques, sur le danger de guerre et sur les chances de paix ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Non ; mais je tiens à dire quelque chose ici au sujet de mes conversations avec les personnalités militaires. J’ai déjà déclaré qu’en douze ans, c’est-à-dire de 1933 à 1944 ou 1945 (ce qui fait treize ans), je n’ai eu qu’un, ou peut-être deux, entretiens d’une demi-heure avec le Feldmarschall Keitel. Je me souviens que l’un d’eux fut uniquement consacré à une affaire toute personnelle. Au cours de la même période, j’ai eu une seule conversation avec le Grand-Amiral Raeder et je n’ai fait la connaissance du Grand-Amiral Dönitz qu’ici à Nuremberg. Je n’ai jamais eu d’entrevue officielle avec le Generaloberst Jodl ; quant à feu le Feldmarschall von Blomberg, je n’ai eu avec lui, si mes souvenirs sont exacts, que deux entretiens d’une demi-heure. Je n’ai jamais eu une seule discussion officielle avec l’ancien chef de l’Armée, von Fritsch. J’ai été une seule fois son invité au moment où il organisa des concours de ski pour l’Armée. Il m’invita très aimablement, sachant que je m’intéressais à ce sport. J’ai eu, avec son successeur von Brauchitsch, un entretien d’ordre général sur des questions d’éducation, lorsque je m’adressai à la jeunesse de Kœnigsberg en 1933. Plus tard, je suis allé le voir pour des raisons officielles et nous abordâmes un sujet qui n’avait rien à voir avec l’éducation de la jeunesse. C’était une question technique. Voilà les conversations que j’ai eues avec les personnalités militaires. Je dois d’ailleurs dire que je n’aurais pas eu le temps d’assister à des réunions. Je dirigeais une organisation de 8.000.000 de personnes qui m’absorbait tellement que je n’aurais pas eu la possibilité de prendre part à des conférences à Berlin ou à des discussions sur la situation, même si j’avais été admis à y assister, ce qui n’était pas le cas.

Dr SAUTER

Témoin, depuis 1932, vous étiez Reichsleiter. Vous faisiez donc partie des plus hautes sphères du Parti. N’étiez-vous pas, en cette qualité, tenu au courant par Hitler, ou par son représentant, ou par d’autres personnalités politiques, de la situation politique ou militaire ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je crois que Hitler convoquait environ tous les six mois les Reichsleiter et les Gauleiter et leur faisait une conférence, où il passait en revue les événements politiques. Jamais Hitler n’y a parlé des entreprises futures, tant militaires que politiques.

Dr SAUTER

En conséquence, si j’ai bien compris votre réponse, vous avez toujours été surpris par les événéments de la politique extérieure ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui.

Dr SAUTER

Il en a été de même pour l’Anschluss avec l’Autriche ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

J’ai appris l’Anschluss avec l’Autriche, que j’ai naturellement accueilli avec enthousiasme, par la radio, au cours d’un voyage en auto de mon académie de Brunswick à Berlin. J’ai continué ma route vers Berlin, où j’ai pris immédiatement le train pour Vienne, où je suis arrivé le lendemain matin. J’y ai rencontré de jeunes dirigeants, dont certains avaient fait de longs séjours en prison ou dans le camp de concentration de Wöllersdorf, ainsi que de jeunes dirigeantes, qui avaient également vécu de dures expériences.

Dr SAUTER

Et pour l’invasion de la Tchécoslovaquie ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je l’ai appris, comme tous les autres Allemands, par la radio. Je n’en ai pas su davantage que n’importe quel autre citoyen.

Dr SAUTER

Avez-vous pris part d’une façon quelconque aux négocations concernant l’accord de Munich avec Chamberlain et Daladier en 1938 ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Non.

Dr SAUTER

Quelle était votre opinion ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

J’ai vu dans cet accord la base d’une paix durable, et j’étais profondément convaincu que Hitler le respecterait.

Dr SAUTER

Avez-vous su quelque chose des négociations avec la Pologne en 1939 ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Non, je n’ai entendu parler des négociations qui ont mené à la guerre que dans cette salle d’audience. Je n’en connaissais que la version donnée officiellement par la radio ou par le ministère de la Propagande. Et je n’en sais pas davantage que tout autre Allemand. Je considérais comme absolument exacte la version donnée par Hitler au Reichstag. J’ai commencé à avoir des doutes en 1943 et tout ce que j’ai entendu dire ici était nouveau pour moi.

Dr SAUTER

Témoin, le Ministère Public vous a reproché, entre autres, d’avoir employé les expressions « Lebensraum », et « Ostraum » dans votre livre La Jeunesse hitlérienne, son esprit, son organisation, déposé sous le numéro PS-1458.

Vous auriez ainsi envisagé avec faveur les conquêtes allemandes à l’Est, ou les auriez considérées comme une nécessité, je parle des conquêtes faites au détriment de la Pologne et de la Russie. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Dans mon livre, je n’utilise pas, autant que je sache, le mot « Lebensraum. » mais le mot « Ostraum » à propos d’un service de presse à l’Est. Dans un nota bene se rapportant à une énumération des fonctions du service consultatif colonial de la direction de la Jeunesse du Reich, il est dit qu’en raison des activités de cet organisme, il était devenu nécessaire de ne pas omettre d’attirer l’attention de la jeunesse sur les possibilités d’exploitation des territoires de l’Est. Il est question ici de la région orientale de l’Allemagne qui était très peu peuplée. C’était l’époque où les organisations de jeunesse s’occupaient tout particulièrement du problème de la « désertion des campagnes ». C’est-à-dire de la fuite du deuxième ou troisième fils de paysan vers la ville. J’ai créé un mouvement de jeunesse spécial destiné à lutter contre cette tendance, « le Service rural » dont le double rôle consistait, d’une part, à éviter l’émigration de la jeunesse paysanne vers les villes et, d’autre part, à faire valoir auprès de la jeunesse citadine les avantages de la campagne. Bien entendu, je n’ai jamais songé à aucune conquête du territoire russe, car depuis que je faisais de l’histoire, j’avais toujours pensé que la politique de sécurité mutuelle avec la Russie, abandonnée depuis le renvoi de Bismarck, devait être reprise. J’ai considéré l’agression contre l’Union Soviétique comme le suicide de la nation allemande.

Dr SAUTER

Témoin, aviez-vous, en votre qualité de chef de la Jeunesse du Reich allemand, le droit d’en référer directement à Hitler ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui, c’est exact, mais ce droit ne figurait plus ou moins que sur le papier. Pour expliquer cela clairement, je dirai qu’avant la prise du pouvoir, je me suis fréquemment présenté en personne devant Hitler. En 1932, il s’invitait souvent à dîner chez moi, mais il est évident qu’en présence de ma femme et des autres invités, nous n’abordions guère les sujets politiques, à plus forte raison ceux qui concernaient ma sphère d’activité. Ce n’est que par hasard que j’effleurais un sujet touchant à l’éducation.

En 1933, si mes souvenirs sont exacts, je suis allé le voir personnellement deux fois : une fois à propos du financement du mouvement de la jeunesse, et une autre fois à propos de la Journée du Parti en 1933. Dans les années qui suivirent, je le vis, en moyenne, une ou deux fois par an et il me traita de la même façon que tous ceux qui venaient le voir. Des quinze points et quelques dont je voulais lui parler, j’essayais d’en traiter trois ou quatre, et je dus abandonner les autres, car il m’interrompait et commentait d’une façon très détaillée les sujets qui l’intéressaient le plus. J’essayai d’en sortir en produisant des modèles d’installations de jeunesse, des dioramas de grands stades et d’Auberges de la jeunesse que j’avais fait installer dans une salle de la Chancellerie du Reich ; et lorsqu’il les examinait, j’en profitais pour lui poser deux ou trois questions.

Il me faut dire ici — il me semble que je le dois à la jeunesse allemande — que Hitler s’occupait fort peu des problèmes de l’éducation. Dans ce domaine, je n’ai pour ainsi dire pas reçu de suggestions de sa part. La seule fois qu’il m’en fit vraiment une, ce fut — en 1935, je crois — à propos de la culture physique. Il me dit que je devrais veiller à ce que la pratique de la boxe devînt plus répandue parmi la jeunesse.

C’est ce que je fis, mais il n’a jamais assisté à un match de boxe. Mon ami von Tschammer und Osten, directeur des sports du Reich, et moi, avons très souvent essayé de le persuader d’assister à des manifestations sportives, surtout aux championnats de ski et de hockey sur glace à Garmisch, mais à part les Jeux Olympiques, il était impossible de le décider.

Dr SAUTER

Vous nous avez déjà parlé de la formation prémilitaire et vous nous avez dit qu’autant qu’on puisse en parler, elle n’a joué qu’un rôle secondaire dans l’éducation de la Jeunesse hitlérienne. Je vous prie donc de nous dire, non pas en détail, mais brièvement, quels étaient, à votre avis, les buts principaux de votre programme d’éducation de la jeunesse. Veuillez être bref.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Des camps en plein air.

Dr SAUTER

Des camps en plein air ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Des excursions des constructions d’auberges.

Dr SAUTER

Qu’entendez-vous par excursions ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Des randonnées individuelles et en groupe. On a construit des Auberges de la jeunesse en nombre croissant. En une seule année, j’ai fait construire en Allemagne plus de 1.000 foyers et auberges de jeunesse. Ensuite, j’ai fondé des écoles de formation professionnelle ; puis il y a eu ce que j’ai appelé les « Olympiades du Travail », c’est-à-dire les championnats annuels auxquels participaient la jeunesse des deux sexes. Il y eut effectivement des millions de participants. Nous avons organisé également des championnats nationaux, et cela dans tous les sports. Nous avons développé nos chorales et nos maîtrises, nos bibliothèques de jeunes. J’ai également parlé de la lutte contre la désertion des campagnes, sous la forme du Service rural, ces groupes d’entraide, composés de jeunes qui, pour des raisons idéologiques, travaillaient à la campagne, montraient aux jeunes paysans que la vie y était vraiment plus intéressante qu’à la ville, puisqu’un citadin quittait celle-ci pour se consacrer au travail de la terre.

Il me faut aussi parler des visites médicales, ainsi que de l’amélioration des soins dentaires. Tels étaient en résumé les principaux buts de nos organisations de jeunesse, mais il y en avait encore d’autres.

Dr SAUTER

Monsieur le Président, ces idées, ces pensées et ces desseins de l’accusé von Schirach sont contenus dans une série de documents qui figurent dans le livre de documents Schirach et qui sont des extraits de ses travaux de ses discours et de ses ordres. Il s’agit des documents von Schirach 32 à 39, 44 à 50, 66 à 74 (a), 76 à 79, et 80 à 83. Tous ces documents traitent des questions dont l’accusé vient de parler à l’instant et je prie Tribunal de vouloir bien prendre acte des détails qui y sont contenus.

Accusé, je voudrais en revenir à un point de ce programme de la Jeunesse hitlérienne, si je puis ainsi m’exprimer, car l’Acte d’accusation vous le reproche tout particulièrement : il s’agit de votre collaboration avec l’Association des juristes, c’est-à-dire de vos relations avec les milieux juridiques. Il m’intéresse de savoir pourquoi, vous, chef de la jeunesse du Reich, vous êtes occupé de problèmes juridiques ? Que vouliez-vous faire et qu’avez-vous fait ? Je vous prie de me le dire, brièvement, car le Ministère Public vous le reproche d’une façon toute particulière.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Puis-je vous rappeler que je considérais la jeunesse de l’État comme un État de la jeunesse, dans lequel toutes les professions et toutes les activités étaient représentées. Ma collaboration avec l’Association des juristes répondait à la nécessité de former des conseillers juridiques pour la protection légale de nos jeunes travailleurs. Je tenais à ce que les chefs de la Jeunesse hitlérienne qui avaient étudié le Droit, revinssent dans leurs organisations, pour s’y occuper des activités qui y étaient poursuivies. Cette formation donna lieu à la naissance d’une grande organisation de jeunesse, analogue à celle des jeunes médecins, laquelle comprenait mille membres, hommes et femmes. Ces juristes assistaient nos dirigeants de districts et autres unités de l’organisation de jeunesse, donnant effet aux exigences que j’avais formulées dans les jours de lutte avant la prise du pouvoir, et que j’avais fait valoir ultérieurement, concernant les loisirs et les congés payés du jeune travailleur.

Ce travail juridique de la jeunesse a amené la fondation de centres d’études du droit de la jeunesse et du droit des jeunes travailleurs, rattachés aux universités de Kiel et de Bonn. Il eut surtout pour résultat de voir satisfaire les exigences que j’avais formulées dans un discours de 1936, tenu devant le Comité juridique de l’Enfance, de l’Académie allemande de Droit.

Dr SAUTER

Un instant. Monsieur le Président, c’est le discours dont des passages sont reproduits dans le livre de documents Schirach, document n° 63. C’est un extrait de Das Archiv d’octobre 1936.

Monsieur von Schirach, peut-être pourriez-vous nous expliquer brièvement quelles furent les revendications sociales qu’en qualité de chef de la jeunesse du Reich, vous avez formulées en faveur de celle-ci ? Vous avez parlé de « loisirs ». Que voulez-vous dire par là ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

J’entends par là, la diminution de la durée du travail pour les jeunes, l’abolition du travail de nuit, la prohibition formelle du travail des jeunes enfants. Des week-ends prolongés et trois semaines de congés payés par an. A Liegnitz, en 1937, j’ai constaté qu’alors, 50% des jeunes travailleurs n’avaient pas du tout de congés et que 1% seulement d’entre eux avaient droit à quinze ou dix-huit jours de congés par an. En 1938, j’ai fait mettre en vigueur la loi sur la protection de la jeunesse, qui interdisait l’emploi de jeunes enfants, élevait de 16 à 18 ans la limite d’âge au-dessous de laquelle les enfants avaient droit à une protection, prohibait le travail de nuit et donnait suite à ma demande concernant la prolongation des week-ends, aux termes de laquelle, également, je réclamais au moins quinze jours de vacances annuelles pour les jeunes. Voilà ce que j’ai pu faire. Cela ne représente qu’une partie de ce que je voulais réaliser.

Dr SAUTER

Ce sont les exigences qui figurent dans vos documents 40 et 41 et 60 à 64, dont je prie le Tribunal de bien vouloir prendre acte. Témoin, j’en arrive à un autre problème, qui concerne la position que vous occupiez au Parti. Il y a quelque temps, on vous a montré ici un tableau qui donnait le détail de la composition du Parti. Ce plan était-il exact, ou bien quelles fonctions remplissiez-vous au Parti ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Mon poste dans le Parti n’y était pas clairement représenté, tout au moins en ce qui concerne la voie hiérarchique. D’après le plan que l’on a présenté ici, la voie hiérarchique aurait dû aller du Reichsleiter à l’Éducation de la jeunesse, au chef de la Chancellerie du Parti. De là à Hitler, et de Hitler à la Direction de la jeunesse du Reich au sein du Parti. C’est inexact. Je n’étais pas à la Direction du Parti pour que mes ordres parvinssent aux chefs de districts, par l’intermédiaire des Gauleiter, mais j’étais le représentant et le chef du mouvement de jeunesse, de sorte que si l’on veut se rendre compte exactement de ce qu’était ma position ainsi que celle de mon organisation dans le cadre de la NSDAP, il faudrait faire une pyramide dont la pointe, c’est-à-dire mon service à la Direction du Parti, se serait trouvée au-dessus du Reichsleiter. J’étais la seule personne du mouvement de jeunesse à être liée au Parti.

Dr SAUTER

Et les autres chefs et sous-chefs de la jeunesse ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Ils étaient peut-être individuellement membres du Parti, mais pas tous. En tous les cas, ils n’étaient pas membres de la Gauleitung ou de la Kreisleitung. Toute l’organisation de la jeunesse était en dehors du Parti.

Dr SAUTER

Témoin, en votre qualité de chef de la jeunesse du Reich allemand, vous étiez fonctionnaire ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui.

Dr SAUTER

Et depuis le 1er décembre 1936, je crois, vous étiez chef d’un important service du Reich ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je n’ai été fonctionnaire qu’à partir du 1er décembre 1936.

Dr SAUTER

Avec le titre ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

De chef de la jeunesse du Reich allemand.

Dr SAUTER

Comme chef d’un important service du Reich, vous étiez indépendant du ministre de l’Intérieur et du ministre de l’Éducation ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui, c’était là le but de la création d’un service du Reich qui fût indépendant.

Dr SAUTER

Êtes-vous donc devenu membre du Cabinet du Reich, comme on le prétend ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Certainement pas. C’est ici que j’ai entendu dire pour la première fois que j’étais membre du cabinet. Je n’ai jamais pris part à une seule séance du cabinet. Je n’ai jamais reçu un décret qui m’aurait nommé membre du cabinet, et je n’ai jamais eu d’invitation à me rendre aux séances. Je ne me suis jamais considéré comme en faisant partie et je crois que les ministres en ont fait autant.

Dr SAUTER

Étiez-vous mis au courant d’une façon quelconque des décisions du Cabinet du Reich, par exemple, en en recevant les comptes rendus ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Non. Les décisions du Cabinet du Reich, dans la mesure où il y en a eu après le 1er décembre 1936, parvenaient à ma connaissance de la même façon qu’à tout autre fonctionnaire ou employé du Reich qui lisait le Reichsgesetzblatt ou le Reichsministerialblatt. Jamais on ne m’a fait parvenir de compte rendu.

Dr SAUTER

Lorsque vous êtes devenu une autorité importante du Reich, avez-vous reçu le personnel nécessaire par l’intermédiaire d’un ministère ou comment vous l’êtes-vous procuré ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

J’ai fait nommer fonctionnaires quelques chefs de la jeunesse qui travaillaient avec moi depuis de longues années. Je n’ai jamais reçu de fonctionnaire d’aucun ministère pour l’occuper à des questions d’organisations de jeunesse. Le service supérieur du Reich, si mes souvenirs sont exacts, ne comprenait en tout pas plus de cinq fonctionnaires. C’était le plus petit des services du Reich, et j’en étais très fier. Nous avons assumé d’importantes fonctions avec un personnel très restreint.

Dr SAUTER

Témoin, j’en arrive maintenant à un sujet qui semble devoir être assez vaste et qui se rapporte à l’affidavit de Gregor Ziemer, dont vous avez déjà parlé. C’est un affidavit très long qui a été présenté par le Ministère Public sous le numéro PS-2441.

Témoin, avez-vous des détails à apporter au sujet de cet affidavit ? Le connaissez-vous ? Connaissez-vous ce Gregor Ziemer ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Non.

Dr SAUTER

Savez-vous qui il est et quelle est la source de ses renseignements ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je suppose, d’après cet affidavit, que M. Ziemer était, avant la guerre, directeur de l’école américaine de Berlin et qu’il a écrit un livre qui traite vraisemblablement de la jeunesse et de l’éducation scolaire en Allemagne ; cet affidavit serait un extrait de ce livre.

Cet affidavit, considéré dans son ensemble, revêt, je crois, un caractère moins objectif qu’une tendance à la propagande. Je tiens à citer tout d’abord la toute première page, qui contient cet affidavit, dans le dernier paragraphe duquel il est dit que des combats de rues ont eu lieu devant l’école américaine entre les écoliers juifs qui s’y rendaient et la jeunesse locale.

Je n’ai rien à dire au sujet des difficultés rencontrées par l’école elle-même, car cela ne me regardait pas, mais il me faut tout de même dire quelque chose au sujet des combats de rues qui se sont produits à l’extérieur. Je n’en ai jamais entendu parler. C’est étonnant, car j’ai passé presque toute l’année 1938 à Berlin. Si de tels incidents avaient vraiment eu lieu, l’organisation de la jeunesse elle-même les aurait portés à ma connaissance ; c’eût été le devoir des responsables de m’en informer. De plus, j’en aurais entendu parler par le ministère des Affaires étrangères : si en effet de jeunes américains avaient été brutalisés, l’ambassade aurait protesté auprès du ministère des Affaires étrangères, qui n’aurait pas manqué de m’en informer immédiatement.

J’ai tout lieu de penser qu’il ne s’agit là que d’une énorme exagération. L’ambassadeur américain Wilson a même déjeuné avec moi au printemps 1939, je crois, à Gatow.

Dr SAUTER

Au ministère des Affaires étrangères ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui. Et nous avons eu un entretien privé sur de nombreux sujets. Je pense qu’à cette occasion, ou même après, il m’aurait certainement parlé de ces incidents, si réellement ils s’étaient passés comme le raconte Ziemer.

Dr SAUTER

Je crois que je puis sauter la page 2, oui...

LE PRÉSIDENT

Docteur Sauter, combien de passages de ce document ont-ils été lus et déposés par le Ministère Public ? Très peu je crois.

Dr SAUTER

Je vous demande pardon ?

LE PRÉSIDENT

Quels sont les passages de cet affidavit qui ont été lus par le Ministère Public et présentés comme preuve ?

Dr SAUTER

Je ne m’en souviens pas exactement, Monsieur le Président, mais d’après l’usage, je suppose que lorsqu’un document est présenté au Tribunal, celui-ci prend acte du document tout entier.

LE PRÉSIDENT

Pas du tout. Nous avons dit à maintes reprises que nous ne prenons acte que des documents qui nous ont été lus, à moins qu’il s’agisse de documents qui ont été traduits intégralement. Ce document a, je crois, été déposé par le Ministère Public, et peut-être n’en a-t-on lu alors qu’une seule phrase ? Je n’en sais rien. Comme l’accusé, vous devriez le savoir.

M. DODD

On n’en a lu qu’un seul paragraphe, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Un paragraphe ?

M. DODD

Un paragraphe entier ainsi peut-être, qu’un court passage à la page 21.

LE PRÉSIDENT

Oui, oui, je vois.

M. DODD

Je crois que le Ministère Public a lu tout le passage concernant le discours de Heidelberg.

LE PRÉSIDENT

C’est donc le seul passage qui ait été déposé.

M. DODD

Quant à la pertinence de ce document (je n’entre pas dans les détails), je voudrais dire qu’à une exception près, tous les slogans annuels de la Jeunesse hitlérienne sont faussement reproduits dans cet affidavit, dont l’exactitude n’en a pas moins été jurée par son auteur.

LE PRÉSIDENT

Ne croyez-vous pas que, si vous voulez répondre à cet affidavit, il faudrait attirer l’attention de l’accusé sur le passage qui en a été lu ; il pourrait alors donner une réponse.

Dr SAUTER

Monsieur le Président, dans l’affidavit de Ziemer dont l’accusé m’a dit qu’il le considère comme une manifestation de haine, se trouvent les devises que l’on prétend avoir été inventées par l’accusé et illustrant les thèmes sur lesquels devait s’effectuer le travail de l’année suivante...

LE PRÉSIDENT

Docteur Sauter, un extrait de ce document a été présenté. Si vous voulez déposer le reste, c’est votre droit. J’avais pensé qu’il eût été préférable que vous vous occupiez du passage qui a été lu et présenté. L’autre partie de l’affidavit n’a pas été versée au dossier.

Dr SAUTER

Mais, Monsieur le Président, mon client serait alors désavantagé, car dans d’autres passages qui n’ont pas été lus par le Ministère Public...

LE PRÉSIDENT

J’ai dit que vous pouviez utiliser les autres extraits si vous le désirez.

Dr SAUTER

Certainement ; mais je veux prouver que les déclarations de Ziemer sont inexactes. C’est pourquoi je suis en train de parler de la question des slogans annuels avec l’accusé. Ce n’est qu’un exemple.

LE PRÉSIDENT

Docteur Sauter, l’accusé semble vouloir dire qu’on ne peut se fier à cet affidavit, en raison des slogans qui y sont mentionnés. Cela ne vous suffit-il pas ?

Dr SAUTER

Oui, mais je veux apporter la preuve de l’inexactitude des déclarations de M. Ziemer. L’accusé soutient qu’elles sont fausses. J’essaie d’établir qu’effectivement, M. Ziemer a fait délibérément de fausses déclarations, qu’il a ensuite certifiées exactes.

LE PRÉSIDENT

Certainement, Docteur Sauter, mais puisqu’il y a un extrait de cet affidavit qui a déjà été déposé, vous pouvez traiter très brièvement du crédit qui peut être accordé à son auteur.

Dr SAUTER

Témoin, M. Ziemer a, dans son affidavit, fait des déclarations sur les slogans annuels...

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui...

Dr SAUTER

... que vous auriez transmis à la Jeunesse hitlérienne. Le Tribunal se rend parfaitement compte de ce qu’ils furent, grâce à cet affidavit. Mais je vous demande de nous dire ce qu’ils ont été entre 1933 et 1940.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

M. Ziemer en parle à la page 16 du document anglais. Il dit qu’en 1933, la devise de la Jeunesse hitlérienne était : « Un Reich, une nation, un Führer ». Il veut probablement dire : « Un peuple, un Reich, un Führer ». En réalité, l’année 1933 a été l’année de l’« unification ».

Dr SAUTER

Que voulez-vous dire par « unification » ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

C’est l’année où la jeunesse allemande a pris conscience de son unité.

Dr SAUTER

Je passe quelques années et j’en arrive à l’année 1938. Quelle était la devise de la Jeunesse hitlérienne pour 1938 ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

1938, a été l’année de la « compréhension ».

Dr SAUTER

De la « compréhension » ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

D’après M. Ziemer, la devise aurait été : « Tout jeune est aviateur ».

Dr SAUTER

Et en 1939 ? Quel était le mot d’ordre ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Ce fut l’année du « devoir envers la santé ».

Dr SAUTER

L’année du devoir envers la santé ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Pour M. Ziemer, c’était « La Jeunesse hitlérienne est en marche ».

Dr SAUTER

Et en 1940 ? Votre dernière année ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Ce fut l’année de l’« instruction ». Mais d’après Ziemer, c’était « Nous marchons contre l’Angleterre ». Je tiens à ajouter que la devise : « Un peuple, un Reich, un Führer » dont Ziemer dit qu’elle était officiellement celle de la Jeunesse hitlérienne en 1933, ne fit son apparition qu’en 1938, lorsque Hitler partit pour l’Autriche. Elle n’a jamais existé auparavant et n’a jamais été le slogan annuel de la Jeunesse hitlérienne.

Dr SAUTER

Témoin, il nous faut accéder au désir du Tribunal et ne pas nous occuper plus longtemps de l’affidavit de Ziemer, à l’exception du seul et unique point sur lequel le Ministère Public appuie son accusation, sur votre antisémitisme. Je passe les autres déclarations de M. Ziemer, et j’en arrive au discours de Heidelberg. Je vous prie de me dire tout d’abord ce que M. Ziemer a dit à ce sujet et d’apporter ensuite vos commentaires.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Ziemer a déclaré qu’au cours d’une réunion d’étudiants à Heidelberg — qui se tint je crois à la fin de 1938 ou au début de 1939 — j’avais fait un discours contre les Juifs, dans le cadre d’une manifestation organisée par l’Union des étudiants nationaux-socialistes. Il dit qu’à cette occasion j’aurais préconisé devant les étudiants, la destruction de la synagogue de Heidelberg et qu’ensuite, j’aurais fait défiler les étudiants devant moi et leur aurais distribué des décorations et des certificats d’avancement.

Tout d’abord, j’ai déjà parlé de mon activité dans le mouvement étudiant. En 1934, sur le désir de l’adjoint du Führer, Rudolf Hess, j’ai renoncé en sa faveur à la direction de ce mouvement. Il nomma alors un chef du mouvement des étudiants, et depuis, je n’ai jamais pris la parole à des réunions d’étudiants. Si mes souvenirs sont exacts, je suis allé à Heidelberg au cours de l’été 1937, et je me suis adressé à un groupe de jeunesse ; c’était un an et demi avant la date donnée par Ziemer. Et à une autre occasion, j’ai assisté à un festival à Heidelberg.

Dr SAUTER

Tout cela n’a aucun intérêt.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je ne me souviens nullement d’une réunion de ce genre avec des étudiants : je ne me souviens pas davantage d’avoir exprimé publiquement mon opinion sur les manifestations antisémites de 1938. Je dirai par la suite comment j’ai commenté ces événements. Ziemer déclare — je traduis le texte anglais — « qu’un jour viendra où les étudiants de Heidelberg prendront place à côté des autres légions d’étudiants pour convertir le monde à l’idéologie nationale-socialiste ». Jamais, ni publiquement, ni en privé, je ne me suis adressé en ces termes à la jeunesse. Je ne me suis jamais exprimé ainsi. Je n’avais aucune autorité pour donner aux étudiants des décorations ou des certificats ; les distinctions honorifiques n’existaient pas pour les étudiants. Seul, le Chef de l’État, avait le droit de donner des décorations. Quant à moi, j’avais uniquement le droit de conférer l’insigne d’honneur en or de la jeunesse. J’en ai distribué en tout 230, et presque toujours à des gens qui s’étaient distingués dans le domaine de l’éducation, mais jamais à des étudiants inconnus.

Dr SAUTER

Témoin, la question qui importe est celle de savoir si ce discours prononcé en 1938 devant les étudiants de Heidelberg et où l’orateur a parlé de la destruction de la synagogue, a réellement été fait par vous : car vous n’aviez alors plus rien à faire avec le mouvement étudiant depuis de longues années. Est-ce exact ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je n’avais plus rien à faire avec ce mouvement et je ne me souviens pas avoir pris la parole au cours d’une manifestation semblable. Il est indubitable que je n’ai jamais fait de telles déclarations.

Dr SAUTER

Avez-vous l’affidavit entre les mains ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui, mais je ne trouve pas le passage en question.

Dr SAUTER

On y parle du « corpulent petit chef des étudiants ». Avez-vous ce passage ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui, c’est cela, en effet.

Dr SAUTER

Il est évident que vous n’êtes pas le « corpulent petit chef des étudiants ». Puis-je, Monsieur le Président, attirer à ce propos votre attention sur l’affidavit qui figure dans le livre de documents Schirach, sous le numéro 3. Il s’agit d’un affidavit d’une certaine Höpken qui fut, à partier du 1er mai 1938, la secrétaire de l’accusé von Schirach. Elle y affirme (n° 16, page 22), qu’au cours de l’époque dont nous parlons, l’accusé n’est jamais allé à Heidelberg. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire que je lise cette partie de l’affidavit. Je vous prie de bien vouloir en prendre acte.

LE PRÉSIDENT

Je crois qu’il serait opportun de suspendre l’audience.

(L’audience est suspendue.)
Dr SAUTER

Témoin, vous avez un jour affirmé que vous ne croyiez pas que les officiers fussent capables de diriger la jeunesse. Je désirerais savoir combien de membres du Corps des chefs de la Jeunesse hitlérienne étaient, en 1939, lors de la déclaration de la guerre, officiers de réserve dans la Wehrmacht ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

J’évalue à 1.300 environ le nombre des chefs de la Jeunesse hitlérienne : chefs de districts et de régions et personnel correspondant des états-majors. Sur ces 1.300 chefs de jeunesse, cinq à dix étaient officiers de réserve.

Dr SAUTER

Combien d’officiers d’active aviez-vous alors dans votre État-Major ou parmi vos cadres ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Les officiers d’active n’étaient et ne pouvaient pas être chefs de la jeunesse.

Dr SAUTER

Pourquoi ? N’était-ce pas réglementaire ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Un officier n’avait pas le droit d’être membre du Parti et d’appartenir à une de ses formations ou organisations.

Dr SAUTER

Qui était responsable du programme de l’éducation physique et des sports dans la Jeunesse hitlérienne ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

L’Obergebietsführer von Tschammer und Osten qui était également ministre des Sports du Reich. Pendant l’année olympique, nous avons collaboré étroitement et il se mit volontairement sous mes ordres en décembre ou novembre 1936. Il était responsable devant moi de toute l’éducation physique des garçons et des filles.

Dr SAUTER

Ce M. von Tschammer und Osten, qui était bien connu dans le monde international sportif, était-il officier de carrière ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Si mes souvenirs sont exacts, il avait été officier au cours de la première guerre mondiale. Puis il avait quitté l’Armée pour devenir cultivateur de profession. Plus tard, il se consacra entièrement aux questions d’éducation physique et de sports. Un de ses frères était officier d’active, d’où l’origine de votre question.

Dr SAUTER

Est-ce que M. von Tschammer und Osten a été officier au cours de la seconde guerre mondiale ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Non plus.

Dr SAUTER

Vous souvenez-vous que le Ministère Public soviétique a produit un rapport émanant de Lemberg, dans lequel il est affirmé que la Jeunesse hitlérienne, ou la direction de la jeunesse du Reich avait organisé des cours pour les jeunes Polonais, destinés à en faire des agents, des espions et des parachutistes. Vous nous avez déclaré, aujourd’hui, que vous preniez la responsabilité de tout ce qui concernait la direction de la jeunesse. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Nous n’avions nullement les moyens de former des espions dans notre organisation de jeunesse. Que Heydrich ait, à mon insu et à l’insu de mes collaborateurs, recruté de jeunes agents en Pologne pour les employer dans son service de renseignements, c’est possible, mais je n’en sais rien. Je ne me suis moi-même jamais occupé de la formation d’espions pas plus d’ailleurs que de parachutistes. Je n’avais d’ailleurs aucune force aérienne à ma disposition et l’entraînement de ces derniers n’aurait pu être effectué que par l’Aviation.

Dr SAUTER

Ainsi donc, en votre qualité de chef de la jeunesse du Reich, et plus tard, de Reichsleiter à l’éducation de la jeunesse, vous n’avez jamais entendu parler de tout cela avant ce Procès ? Vous pouvez le déclarer sous serment ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui. Je voudrais ajouter que peu avant la guerre, de jeunes réfugiés de Pologne vinrent en grand nombre chez nous, mais ils ne pouvaient évidemment pas retourner en Pologne. La persécution des Allemands en Pologne est un fait historique.

Dr SAUTER

Témoin, le Ministère Public a affirmé qu’un chant de la Jeunesse hitlérienne était intitulé : « Aujourd’hui l’Allemagne nous appartient : demain ce sera le monde ». Ce chant tendait à exprimer les velléités belliqueuses de la Jeunesse hitlérienne. Est-ce exact ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Le texte original de la chanson tel qu’il a été écrit par Hans Baumann, et qui se trouve ici dans un document, commence comme suit : « Aujourd’hui, l’Allemagne nous écoute ; demain ce sera le monde entier ». Mais j’ai aussi appris que ce chant a également été parfois chanté dans la version ci-dessus mentionnée. J’ai donc interdit la version qui s’écartait du texte original. J’avais interdit aussi de moi-même depuis longtemps le chant : « Nous écraserons la France ».

Dr SAUTER

Vous l’avez interdit entièrement ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui.

Dr SAUTER

Par respect pour vos invités français ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Non pas, mais parce qu’il était contraire à mes conceptions en matière de politique étrangère.

Dr SAUTER

Monsieur le Président, je dépose le texte exact que je me suis procuré dans un recueil de chants : c’est le numéro 95 du livre de documents von Schirach.

En rapport avec la question de savoir si la Jeunesse hitlérienne faisait subir une formation prémilitaire à la jeunesse, je voudrais poser ces quelques questions complémentaires. (A l’accusé.) Monsieur von Schirach, l’éducation physique et sportive de la jeunesse se limitait-elle aux garçons ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Non. L’éducation physique était naturellement pratiquée par toute la jeunesse.

Dr SAUTER

Par les filles également ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui.

Dr SAUTER

Est-il exact que l’éducation physique et la pratique des sports furent également étendues à des infirmes, à des aveugles et à d’autres jeunes qui ne pouvaient être utilisés à des fins militaires ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Très tôt, j’ai admis dans la Jeunesse hitlérienne les aveugles, les sourds et les infirmes ; pour les aveugles, j’ai fait paraître des journaux et des livres en Braille. Je crois que la Jeunesse hitlérienne était la seule organisation qui, en Allemagne, s’occupait de ces infirmes, à part les organisations spéciales, telles que le Comité national-socialiste de bienfaisance.

Dr SAUTER

A ce propos, Monsieur le Président, je vous demande de bien vouloir prendre acte du document n° 27 du livre de documents von Schirach. C’est un long article intitulé « Admission dans la Jeunesse hitlérienne des jeunes gens physiquement désavantagés ». On y parle des sourds, des muets, des aveugles et des efforts faits pour les rendre aptes à exercer un métier.

M. DODD

Monsieur le Président, je me suis abstenu toute la journée de faire des objections, mais je pense que cet interrogatoire est par trop abondant en digressions. Nous n’avons porté aucune accusation contre ce témoin au sujet des sourds, des aveugles et des estropiés. Il revient sans cesse sur la question des scouts et nous n’avons encore traité aucune des questions qui nous intéressent. Si cela continue ainsi, nous n’en finirons jamais.

LE PRÉSIDENT

Docteur Sauter, le Tribunal a écouté ce compte rendu quelque peu abondant sur la formation de la Jeunesse hitlérienne. Ne pensez-vous pas que nous pourrions aborder maintenant un sujet plus limité ? Nous avons maintenant, je crois, une idée assez nette de ce qu’était l’éducation de la Jeunesse hitlérienne ; nous avons tous les documents sous les yeux.

Dr SAUTER

Je vais essayer, Monsieur le Président, de me conformer dans la mesure du possible au désir du Tribunal. Témoin, est-il exact que vous êtes personnellement intervenu auprès de Hitler afin d’éviter que les écoles de cadets ne soient rétablies comme institutions purement militaires ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

C’est exact, j’ai évité le rétablissement de ces écoles de cadets.

Dr SAUTER

Je passe maintenant à un autre chapitre. On reproche à l’accusé la suppression des organisations de jeunesse protestantes et catholiques. Qu’avez-vous à répondre à cela ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Ceci d’abord : comme je l’ai déjà exposé, je désirais unifier la jeunesse. Je désirais également incorporer les organisations protestantes — très peu nombreuses — et les importantes organisations catholiques dans la Jeunesse hitlérienne, surtout en raison du fait que ces mouvements ne limitaient pas leurs activités au seul domaine confessionnel, mais concurrençaient la Jeunesse hitlérienne en matière d’éducation physique, d’excursions, de camping, etc. J’y voyais une menace pour l’unité de l’éducation nationale allemande et je sentais, en outre, que beaucoup de ces jeunes étaient attirés par la Jeunesse hitlérienne. La désertion des organisations religieuses en était la preuve. Beaucoup de prêtres estimaient que cette évolution devait se faire dans le sens suivant : tous les jeunes gens feraient partie de la Jeunesse hitlérienne ; les prêtres s’occuperaient des questions religieuses et les chefs laïques des questions politiques et sportives.

En 1933 ou 1934, l’évêque du Reich, Müller, et l’évêque protestant Oberheidt vinrent, de leur propre initiative, me proposer d’incorporer les organisations de la jeunesse protestante dans la Jeunesse hitlérienne. Naturellement, j’accueillis avec joie cette proposition et l’acceptai. A cette époque, je ne soupçonnais pas qu’au sein de l’Église protestante, il y avait un mouvement d’opposition contre l’évêque du Reich, Müller. J’en ai seulement eu connaissance plus tard. Je pensais que j’agissais au nom de l’Église protestante et l’autre évêque qui l’accompagnait me confirma dans cette impression. Je crois encore aujourd’hui que par cet acte d’incorporation volontaire de la jeunesse protestante dans la jeunesse de l’État, Müller avait agi suivant le vœu de la majorité de la jeunesse protestante elle-même. Et plus tard, j’ai souvent rencontré d’anciens chefs de la Jeunesse protestante, qui occupaient des postes de chefs dans mon organisation, et travaillaient avec enthousiasme et dévouement. Cette incorporation de la jeunesse protestante, je tiens à le souligner, ne limita ni n’empêcha en aucune façon l’exercice du culte. Il n’y eut jamais en Allemagne une restriction quelconque aux services religieux pour la jeunesse. Puisque cette incorporation s’était effectuée sur la base d’un accord entre l’Église et la Jeunesse hitlérienne, il n’y eut pratiquement jamais de conflit à propos de l’éducation des jeunes entre l’Église catholique et la Jeunesse hitlérienne.

En mai ou juin 1934 j’ai demandé personnellement à participer aux négociations du Concordat du Reich pour éliminer entièrement les divergences existant entre l’Église catholique et la Jeunesse hitlérienne. Je considérais qu’il était très important d’arriver à un accord sur ce point, et je fus effectivement admis à participer à ces négociations qui s’ouvrirent en juin 1934 au ministère de l’Intérieur sous la présidence du ministre de l’Intérieur Frick. Les catholiques étaient représentés par l’archvêque Gröber et l’évêque Berning. Je proposai alors une formule de collaboration qui fut accueillie favorablement du côté catholique et je crois ainsi avoir jeté les bases d’un accord. Les conférences furent malheureusement interrompues le 29 juin au soir. Le 30 juin nous devions vivre le Putsch de Röhm et les pourparlers ne furent jamais repris. Ce n’est pas ma faute et je n’en suis nullement responsable. Hitler ne désirait nullement accepter les conséquences du Concordat. Personnellement, j’avais le désir de parvenir à un accord et je crois que les représentants de l’Église ont pu constater au cours de ces négociations et d’entretiens ultérieurs, que ce n’était pas moi qui étais à l’origine des difficultés. En tout cas, Monseigneur Berning m’a rendu visite en 1939 et nous avons discuté certaines questions laissées pendantes qui concernaient la direction de la jeunesse et l’Église. Je crois qu’il m’a quitté avec l’impression que ce n’était pas moi qui voulais créer des difficultés.

Les difficultés provenaient alors de l’influence croissante de Martin Bormann qui essayait d’empêcher à tout prix la formation de tout accord entre les service du Parti et l’Église, ou les jeunes chefs du Parti et l’Église. A l’occasion du conflit qui s’éleva au sujet de la direction des organisations confessionnelles de jeunes et de leur incorporation, des discussions publiques eurent lieu. Je pris moi-même la parole à différentes réunions. Les autorités ecclésiastiques firent également des déclarations, qui furent plus ou moins vives suivant la situation. Mais je n’ai jamais tenu de propos hostiles à l’Église.

Dr SAUTER

Témoin, est-il exact qu’en 1937, vous avez conclu un accord avec l’Église dans le but de laisser en principe la Jeunesse hitlérienne libre le dimanche, de façon que les enfants puissent se rendre aux offices, et que cet accord vous a attiré des ennuis considérables ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

C’est exact.

Dr SAUTER

Voulez-vous nous dire quelques mots à ce sujet ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je ne crois pas qu’on puisse parler d’un accord avec l’Église. Si mes souvenirs sont exacts, j’ai promulgué un décret sur la base des nombreuses lettres que j’avais reçues du clergé, et qui prenait largement en considération les désirs qui y étaient exprimés. J’ai donc promulgué ce décret et je conclus des nombreux affidavits qui m’ont été récemment envoyés par les chefs de jeunesse qu’on y a obéi à la lettre. Des difficultés s’élevèrent en raison de mon attitude, au sein de la Chancellerie du Parti. Bormann était naturellement l’adversaire acharné de cette importante concession à l’Église, et Hitler lui-même (je ne sais pas si c’est à propos de ce décret, mais certainement au sujet du règlement des questions litigieuses entre l’Église et la direction de la jeunesse), me rappela un jour à l’ordre.

Dr SAUTER

Témoin, j’ai sous les yeux un petit livre intitulé Une bonne année : 1944. Il porte comme sous-titre : Cadeau de Noël du service de bienfaisance militaire du Reichsleiter von Schirach. Je dépose ce livre comme document von Schirach. A la page 55, il y a une image de la Vierge. A la page 54 se trouve un poème chrétien écrit par l’accusé, sous le titre « Crèche bavaroise ». Dans la seconde moitié de cette page se trouve la fameuse « Prière de Wessobrunner », la prière la plus ancienne de la langue allemande, datant du VIIIe siècle. Témoin, est-il exact qu’en raison du caractère confessionnel du contenu de ce livre vous avez eu des difficultés avec le Reichsleiter Bormann ? Si oui, quelles furent-elles ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

C’est exact. J’ai fait envoyer ce cadeau de Noël à 80.000 ou 100.000 soldats du front, en 1944. Je n’ai rien appris directement par Bormann, mais il me demanda subitement dix exemplaires de ce livre ; et j’ai su par des personnes de l’entourage du Führer à son Quartier Général, qu’il prenait ce livre comme prétexte pour monter le Führer contre moi.

Je voudrais encore ajouter qu’à tous les instants de ma vie, au moins dans mes poésies, je me suis toujours exprimé de la même façon que dans ce poème. De même dans la collection de poèmes Le Drapeau des Persécutés (Die Fahne der Verfolgten) que je n’ai malheureusement pas ici, mais qui fut largement répandu parmi la jeunesse, il y avait des poèmes chrétiens qui ne furent pas reproduits par la presse du Parti et qui, en conséquence, ne furent pas si bien connus que mes autres vers. Mais je désire souligner avec force que si j’étais un adversaire des organisations de jeunesse confessionnelles, je n’étais en rien hostile à la religion chrétienne.

Dr SAUTER

Vous ne lui étiez pas hostile ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Certainement pas.

Dr SAUTER

Avez-vous quitté l’Église ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Malgré certaines suggestions de Bormann, je n’ai jamais quitté l’Église.

Dr SAUTER

Monsieur le Président, puis-je prier le Tribunal de prendre acte des documents von Schirach 85 à 93 ? Ce sont des documents qui se rapportent tous à son activité de chef de la jeunesse du Reich et qui font ressortir son attitude à l’égard de l’Église.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Puis-je dire encore quelque chose à ce sujet ?

Dr SAUTER

Je vous en prie.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Mon attitude religieuse a toujours consisté à souscrire aux opinions exprimées dans le Wilhelm Meisters Wanderjahre (Les années de jeunesse de Wilhelm Meister) sur les religions en général, et sur la religion chrétienne en particulier. Je désire dire que je me suis trompé dans ma tâche d’éducateur pour avoir estimé que le christianisme positif pouvait exister en dehors de l’Église. Cependant, je n’ai jamais tenu de propos anti-religieux : et je veux affirmer ici publiquement pour la première fois, que dans les milieux les plus intimes de la Jeunesse hitlérienne, j’ai toujours émis une opinion non équivoque sur la personne et les enseignements du Christ. Devant les éducateurs de l’École Adolf Hitler — fait, qui naturellement n’a jamais été porté à la connaissance de la Chancellerie du Parti — j’ai parlé de la personne du Christ comme du plus grand entraîneur d’hommes de l’histoire du monde, et j’ai commenté le commandement « Aime ton prochain » en disant que c’était l’idée universelle de notre culture. Je pense, Maître, que vous avez, à ce propos, quelques témoignages de dirigeants de jeunesse.

Dr SAUTER

Oui, j’y reviendrai. Je désire aborder maintenant un autre sujet. En 1940, vous avez été suspendu de vos fonctions de chef de la jeunesse du Reich ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui.

Dr SAUTER

Et c’est Axmann, déjà cité, qui vous a succédé. Comment êtes-vous resté en relations avec la jeunesse ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Par l’intermédiaire des services du Reichsleiter pour l’éducation de la jeunesse.

Dr SAUTER

Et l’on vous a conféré un autre titre ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui, je suis devenu délégué du Führer pour l’inspection de la Jeunesse hitlérienne.

Dr SAUTER

N’était-ce qu’un titre ou cela correspondait-il à une fonction ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

C’était une fonction, dans la mesure où les services du Reichsleiter s’occupaient ; des activités de la jeunesse dans le cadre du Parti. Le chef de la jeunesse du Reich allemand qui était mon successeur Axmann, remplissait également des fonctions dans l’État, et j’eus à m’occuper de ces questions de par ma nomination d’inspecteur.

Dr SAUTER

Comment avez-vous été suspendu de vos fonctions de chef de la jeunesse et pourquoi vous a-t-on envoyé justement à Vienne comme Gauleiter ? Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

A la fin de la campagne de France à laquelle j’avais participé comme simple fantassin, je me trouvais à Lyon, lorsqu’un radiogramme ou télégramme parvint du Quartier Général du Führer où j’étais invité à me présenter, ainsi que me le déclara mon commandant de compagnie. Je m’y rendis immédiatement (il était alors situé dans la Forêt Noire) et j’y vis le Führer en conversation avec le ministre des Affaires étrangères Ribbentrop. J’attendis quelque temps, un quart d’heure ou vingt minutes, jusqu’à ce que l’entretien fût terminé, et je me présentai à Hitler, en plein air, devant le mess où nous devions déjeuner tous ensemble par la suite. Au cours d’un entretien de dix minutes il me déclara que je devais lui proposer un successeur pour la direction de la jeunesse et qu’il avait l’intention de me confier la direction du Gau de Vienne.

J’ai immédiatement avancé le nom de mon collaborateur Axmann qui S’occupait non pas d’éducation physique ou de formation militaire, mais des questions sociales concernant la jeunesse. C’était, à mon avis, la chose la plus importante. Il a accepté cette proposition.

LE PRÉSIDENT

Docteur Sauter, nous n’avons pas à parler des qualités professionnelles d’Axmann. Quel intérêt ce successeur peut-il présenter pour le Tribunal ?

Dr SAUTER

Axmann ? Axmann est devenu le nouveau chef de la jeunesse.

LE PRÉSIDENT

Je vous demandais s’il était intéressant pour le Tribunal de connaître les qualité d’Axmann. Cela ne nous intéresse-en rien.

Dr SAUTER

Monsieur von Schirach, ne pouvez-vous pas être plus bref sur ce point ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Hitler me dit alors que je devrais garder mes fonctions de Reichsleiter à l’éducation de la jeunesse, que je devrais remplir en même temps les fonctions d’inspecteur de la jeunesse et que je devrais succéder à Bürckel à Vienne où de nombreuses difficultés s’étaient élevées dans le domaine culturel en particulier. Je devais donc m’occuper des institutions culturelles et surtout des théâtres, des musées, des bibliothèques, etc. Je devais m’intéresser tout particulièrement aussi à la classe ouvrière. J’objectai que je ne pouvais mener à bien ce travail culturel que si j’étais indépendant de Goebbels. Hitler me promit que cette indépendance serait sauvegardée mais il n’a pas tenu plus tard sa promesse. Finalement, il dit qu’il ferait évacuer la population juive de Vienne, qu’il en avait déjà informé Himmler ou Heydrich — je ne sais plus lequel — ou les en informerait. Vienne devait devenir une ville allemande et il parla même d’une évacuation de la population tchèque. C’est ainsi que cet entretien se termina. Je ne reçus pas d’autres instructions concernant ce poste, et le déjeuner eut lieu en commun comme d’habitude. Je pris congé et me rendis à Berlin afin de m’entretenir avec mes collaborateurs.

Dr SAUTER

Vienne était alors considérée, si mes renseignements sont exacts, comme le Gau du Reich dont l’administration était la moins aisée ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Vienne posait incontestablement le problème politique le plus compliqué de tous ceux qui existaient alors.

Dr SAUTER

Pourquoi ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Pour les raisons suivantes, dont je n’appris les détails que par des personnalités de Berlin et après avoir eu reçu mes fonctions de Hitler. La population viennoise s’était considérablement renfermée après l’enthousiasme qui avait accueilli l’Anschluss. M. Bürckel, mon prédécesseur, avait fait venir de nombreux fonctionnaires de l’extérieur et le système administratif allemand qui n’était nullement plus pratique ni plus efficace que le système autrichien, y fut instauré. L’administration devint pléthorique. Bürckel avait pratiqué une politique religieuse dont le moins qu’on en puisse dire est qu’elle était plutôt intolérante. Des manifestations eurent lieu et, un jour, le palais de l’archevêque fut endommagé. Les théâtres et autres lieux culturels n’étaient pas administrés comme il le fallait. Vienne traversait une période de grande désillusion. Avant de m’y rendre, je fus informé que si l’on parlait le dialecte de l’Allemagne du Nord dans le tramway, les Viennois prenaient aussitôt une attitude plutôt inamicale.

Dr SAUTER

Quelles fonctions avez-vous remplies à Vienne ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

A Vienne, j’avais le poste de Reichsstatthalter, qui couvrait l’administration à la fois dans le domaine municipal et à l’échelon national. En outre, j’étais commissaire à la défense du Reich pour la 17e région militaire, mais jusqu’en 1942. En 1942, cette région fut subdivisée et chaque Gauleiter devint son propre commissaire a la défense du Reich.

Dr SAUTER

Vous étiez aussi Gauleiter ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui, j’étais aussi Gauleiter, c’est-à-dire le plus haut fonctionnaire du Parti.

Dr SAUTER

En somme, vous représentiez à Vienne la municipalité, l’État et le Parti, tout ensemble ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui. La situation administrative était la suivante : il y avait un représentant officiel pour s’occuper des questions d’intérêt national, à savoir le Regierungspräsident. Pour l’administration municipale, il y avait un autre représentant qui était le bourgmestre ; dans le Parti, enfin, l’adjoint du Gauleiter de Vienne portait le titre de Gauleiter. Je ne voudrais nullement diminuer ma responsabilité par toutes ces explications et je tiens à couvrir le Gauleiter qui m’était adjoint et qui était extraordinaire-ment compétent. Je veux simplement préciser la situation.

Dr SAUTER

En quoi consistaient exactement vos fonctions de commissaire à la défense du Reich ? Étaient-elles d’intérêt militaire ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Ce n’était nullement une fonction militaire. Le commissaire à la défense du Reich était tout simplement le chef de l’administration civile, contrairement à ce qui se passait au cours de la première guerre mondiale, où le chef de l’administration civile était sous les ordres du général Commandant en chef ; pendant cette guerre, le commissaire à la défense du Reich collaborait avec ce personnage mais ne lui était pas subordonné.

Les devoirs du commissaire à la défense du Reich — c’est ainsi tout au moins que je les comprenais — consistaient à coordonner les questions les plus urgentes de ravitaillement, de transport (petites et longues distances), de ravitaillement en charbon, de contrôle des prix, dans les Gaue de Vienne, du Haut et du Bas-Danube qui appartenaient tous à la 17e région militaire. Il y eut différentes réunions, trois en tout, je crois. En 1942, intervint la réorganisation dont j’ai déjà parlé. Bormann fit prévaloir son point de vue sur celui du Reichsmarschall. Ce dernier estimait que le commissaire à la défense du Reich devait l’être pour toute une région militaire. Bormann désirait que chaque Gauleiter fût commissaire à la défense, ce qui provoqua une scission. Et, à partir de 1942, je n’étais plus que commissaire à la défense pour Vienne.

Dr SAUTER

Témoin, un décret fut alors promulgué. Voulez-vous me dire à quelle époque vous en avez eu connaissance ? Un décret, dis-je, ordonnant que les Gauleiter ne devaient pas se réunir plus de deux à la fois.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Ce n’est pas un décret de Bormann, c’est un ordre de Hitler.

Dr SAUTER

Quels en étaient les points saillants ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je dois l’expliquer brièvement. Puisque le commissariat du Reich était subdivisé, je devais voir, de temps en temps, les Reichsstatthalter des autres provinces pour discuter sur les questions les plus importantes, surtout en ce qui concernait le ravitaillement. Mais, en 1943 je crois, le Dr Ley vint me voir à Vienne et me remit un ordre officiel du Führer d’après lequel il serait considéré comme illégal (c’est ainsi que l’ordre était rédigé) que plus de deux Gauleiter se réunissent pour une conférence. Je regardai le Dr Ley sans mot dire et il me déclara : « Il ne s’agit pas seulement de vous ; il y a encore un autre Gauleiter qui a convoqué une réunion de plus de deux de ses collègues, et ce fait est déjà considéré comme une mutinerie ou un complot. »

Dr SAUTER

Témoin, lorsque vous étiez à Vienne, vous a-t-on confié d’autres tâches qui vous prenaient beaucoup de temps ? Veuillez nous en parler brièvement.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je venais d’entrer en fonctions à Vienne, lorsqu’en octobre 1940, je reçus l’ordre de me rendre à la Chancellerie du Reich.

Dr SAUTER

Soyez bref, je vous en prie.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Et Hitler lui-même me donna l’ordre de procéder à l’évacuation de toute la jeunesse allemande des zones menacées de bombardements aériens, ainsi que celle des mères et des petits enfants. Il déclara qu’il fallait commencer par Berlin, puis étendre cette mesure progressivement dans tout le Reich. Il affirma que l’instruction était devenue alors d’une importance secondaire et que l’essentiel était de maintenir l’énergie des jeunes et de leur sauver la vie. Mais je demandai immédiatement qu’on me donnât la possibilité de créer des centres d’instruction, ce qui fut réalisé. Je ne veux pas rentrer dans les détails, mais j’ai exigé entre autres — et ceci est en rapport direct avec l’Acte d’accusation — que l’on ne fît pas de difficultés aux jeunes qui désiraient assister aux services religieux. Ceci me fut accordé et fut stipulé d’une façon très claire dans les premières directives que je reçus pour l’évacuation des enfants. Les chefs de la jeunesse pourront le confirmer.

Dr SAUTER

Cette évacuation des enfants à la campagne devait représenter un travail particulièrement considérable ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

C’était le travail le plus difficile et, du point de vue psychologique, le plus délicat que j’aie jamais exécuté. J’ai déplacé des millions de personnes. J’ai assuré leur ravitaillement, leur éducation, leurs soins médicaux, etc. Évidemment, et surtout dans les premières années, ce travail m’a pris énormément de temps mais, par la suite, mes collaborateurs furent à même de me remplacer.

Dr SAUTER

Comme vous me l’avez dit, vous vous êtes efforcé par la suite de vous entretenir de temps à autre avec Hitler de vos succès et de vos doutes. Combien de fois, au cours des années de guerre, avez-vous été admis à traiter avec Hitler de ces importantes questions ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Maître, je dois apporter une correction à vos paroles. Je ne me suis jamais efforcé de faire part à Hitler de mes succès, mais seulement de mes soucis.

Dr SAUTER

De vos soucis, bien entendu.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Au sujet de tout ce programme d’évacuation des enfants, je n’ai pu l’aller voir que deux fois. La première fois en 1940, après avoir mis le programme en train, la seconde fois en 1941, lorsque l’évacuation avait déjà pris de grandes proportions.

Au sujet de Vienne, je me suis entretenu avec Hitler en de très rares occasions et, en 1943, la possibilité d’aller le voir cessa avec la rupture des relations dont je parlerai par la suite.

Dr SAUTER

Durant votre séjour à Vienne, vous êtes devenu président de l’Association des Bibliophiles de Würzbourg ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui, c’était un titre honorifique. Lors des journées des bibliophiles de Würzbourg, ceux-ci m’ont nommé président de leur société.

Dr SAUTER

Monsieur le Président, le document n° 1 du livre de documents von Schirach se rapporte à cette question, et je vous demande d’en prendre acte. C’est un affidavit du vieil antifasciste Karl Klingspor, membre honoraire de l’Association, qui donne des renseignements précieux sur la personnalité de l’accusé von Schirach. En outre, Monsieur von Schirach, je crois que vous étiez président de la Südosteuropa-Gesellschaft. Est-ce exact ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui.

Dr SAUTER

Quelle était, en somme, le but de cette société ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Elle avait pour but d’améliorer les relations économiques et. commerciales avec le Sud-Est. Ses fonctions se limitaient surtout au domaine de la recherche et de la représentation.

Dr SAUTER

Témoin, quel était le point le plus délicat de vos activités à Vienne ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Il était fourni par mon travail social et culturel, comme je l’ai expliqué tout à l’heure.

Dr SAUTER

Social et culturel ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Ce sont les deux questions qui ont dominé toute ma vie politique.

Dr SAUTER

J’en viens maintenant aux accusations que le Ministère Public a portées contre vous au sujet de votre activité à Vienne. Entre autres, vous êtes accusé d’avoir participé au programme du travail forcé. Je vous demande votre opinion à ce sujet : veuillez également commenter l’ordonnance n° 1 du plénipotentiaire général à la main-d’œuvre, en date du 6 avril 1942. Je crois que c’est le document PS-3352. Je vous en prie.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Mieux vaudrait commencer par le décret d’après lequel les Gauleiter devenaient des plénipotentiaires à la main-d’œuvre sous les ordres du plénipotentiaire général.

Dr SAUTER

Il est du 6 avril 1942.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Du point de vue matériel, cette ordonnance déclare simplement que les Gauleiter pouvaient faire des suggestions et présenter des requêtes aux services compétents de la main-d’œuvre, mais ils étaient responsables — je ne sais pas si c’était aux termes de cette ordonnance ou d’une autre — de la nourriture et du logement des travailleurs étrangers. Cet entretien des ouvriers étrangers incombait — non seulement dans mon Gau mais, je crois, également dans tous les Gaue du Reich — au Front allemand du Travail. Le chef du Front du Travail à Vienne est souvent venu me voir au sujet de la situation des ouvriers allemands et étrangers du Gau. Il m’accompagna souvent dans des visites d’entreprises et, d’après mes observations personnelles, je puis décrire la vie des ouvriers étrangers à Vienne, dans la mesure où j’ai pu constater ce qu’elle était.

Je me souviens parfaitement, par exemple, avoir visité une grande fabrique de produits détersifs, avoir vu les baraquements dans lesquels vivaient des femmes russes et françaises. Elles y étaient mieux logées que de nombreuses familles viennoises qui logeaient à six ou huit dans l’appartement classique d’une pièce, cuisine, chambre à coucher.

Je me souviens d’une autre visite au cours de laquelle j’ai vu des logements d’ouvriers russes ; c’était propre et ordonné, et j’ai constaté que les femmes russes qui S’y trouvaient étaient joyeuses, bien nourries et apparemment satisfaites. Par relations, j’ai entendu parler du traitement des travailleurs russes ; j’ai su et observé moi-même quelque peu qu’il était excellent. Je voudrais faire une remarque générale sur l’accueil des ouvriers étrangers à Vienne. Depuis des siècles, des ouvriers étrangers avaient travaillé à Vienne. Il n’est pas difficile d’y faire venir des ouvriers du Sud-Est. On se rend aussi volontiers à Vienne qu’à Paris. J’ai vu beaucoup de Français et de Françaises et je me suis souvent entretenu avec eux, ainsi qu’avec des contremaîtres français dans les usines. Ils habitaient comme locataires, en ville, comme n’importe quelle autre personne. On les rencontrait sur le Prater. Leurs moments de liberté n’étaient pas autrement employés que ceux des ouvriers allemands. Pendant mon séjour à Vienne, j’ai créé plus de cantines que dans tous les autres Gaue du Reich. Les ouvriers étrangers les fréquentaient, tout comme les ouvriers allemands. Quant au traitement dont ils étaient l’objet de la part de la population, je ne puis dire qu’une chose, c’est que la population d’une ville qui, depuis des siècles, a été habituée à recevoir des ouvriers étrangers, est toute disposée à adopter une attitude favorable à leur égard. On ne m’a vraiment jamais fait part de mauvaises conditions de vie. On me transmettait parfois des réclamations, par l’intermédiaire du chef du Front du Travail. Je téléphonais immédiatement au service régional du Ravitaillement ou au service des contingentements des fournitures pour les cantines et les installations de chauffage. En tout cas, je m’efforçais dans les 48 heures de prendre en considération les réclamations qui m’étaient adressées.

Puisque nous sommes sur ce chapitre, je voudrais vous donner mon impression d’ensemble sur l’utilisation de la main-d’œuvre. Je ne suis pas responsable de l’importation de la main-d’œuvre. Je puis simplement affirmer que ce que j’ai vu des ordres et instructions du plénipotentiaire général, mon co-accusé Sauckel, a toujours été conforme au traitement humain et convenable que nous réservions aux ouvriers dont nous avions la charge. Sauckel inondait littéralement ses services de ces instructions. Je crois qu’il est de mon devoir de l’affirmer ici.

Dr SAUTER

Ces ouvriers étrangers qui se trouvaient dans le Gau de Vienne, et dont vous affirmez que vous ne vous considérez pas comme responsable de leur sort, étaient-ils employés dans les usines d’armement ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Une grande partie d’entre eux étaient occupés dans l’agriculture, d’autres dans les industries alimentaires. Je ne sais pas s’ils étaient employés directement dans l’industrie d’armement ; celle-ci ne m’était pas accessible, même pas en ma qualité de Gauleiter, car il y avait des procédés de fabrication de guerre qui étaient tenus secrets, même aux Reichsstatthalter.

Dr SAUTER

Témoin, à propos du travail obligatoire des Juifs, on a lu le document PS-3803. C’est une lettre manuscrite adressée par Kaltenbrunner à Blaschke qui était, je crois premier adjoint au maire de Vienne.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Il était bourgmestre de Vienne.

Dr SAUTER

Elle est datée du 30 juin 1944. Dans cette lettre, Kaltenbrunner informe Blaschke qu’il avait ordonné que des groupes d’évacués fussent dirigés sur Vienne-Strasshof. Il s’agissait, disait la lettre, de quatre convois comprenant environ 12.000 Juifs qui devaient arriver dans les premiers jours à venir. Je ne lirai de cette lettre que la fin dont le contenu se révèle d’importance. Je cite textuellement :

« Je vous demande de régler les détails avec la direction de la Police d’État à Vienne et de prendre contact avec le SS Obersturmbannführer Dr Ebner et le SS Obersturmbannführer Krumey du commando hongrois spécial. »

Vous êtes-vous occupé de cette question ? Et si oui, comment ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je ne connais pas la correspondance entre mon co-accusé Kaltenbrunner et le bourgmestre de Vienne. A ma connaissance, le camp de Strasshof ne se trouve pas dans le Gau de Vienne, mais dans un autre Gau. La dénomination « Vienne-Strasshof » est donc trompeuse. La frontière passe entre les deux.

Dr SAUTER

Connaissiez-vous les tenants de cette affaire ou les avez-vous appris ici ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je l’ai apprise ici, mais je me souviens qu’à propos de la construction du mur du Sud-Est, mention a été faite de l’emploi de travailleurs juifs. Ce mur, cependant, ne se trouvait pas sur le territoire du Gau de Vienne. Il devait passer sur les Gaue du Haut-Danube, de la Basse-Autriche ou de Styrie. La construction du rempart du Sud-Est ne m’avait pas été confiée. Elle relevait du Dr Jury et, éventuellement, de l’OT...

Dr SAUTER

L’OT est bien l’Organisation Todt ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

...de l’Organisation Todt et, pour l’autre partie de la frontière, du Gauleiter, Dr Uiberreither et de ses collaborateurs techniciens en la matière.

Dr SAUTER

Je puis résumer votre déclaration en disant que vous n’aviez rien à voir à ces affaires, car elles ne concernaient pas votre Gau ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je ne puis comprendre pourquoi le Gau de Vienne était intéressé à cette affaire. J’ignore si le bourgmestre désirait reprendre quelques travailleurs pour les affecter à des tâches spéciales à Vienne. Je ne sais rien de ces événements.

Dr SAUTER

A ce même propos, témoin, on a présenté un autre document, le PS-1948, qui est une note du 7 novembre 1940. A cette date, vous étiez déjà Gauleiter de Vienne depuis plusieurs mois, et ce document a également trait à l’emploi forcé des Juifs aptes au travail. Cette note a été rédigée sur du papier à en-tête « Reichsstatthalter de Vienne » et a été apparemment écrite par un certain Dr Fischer. Qui était ce personnage ? Qu’aviez-vous à voir, en votre qualité de Reichsstatthalter, dans cette affaire ? Qu’en savez-vous ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Tout d’abord, je ne connais pas personnellement le Dr Fischer. Je ne veux pas nier qu’il ait pu m’être présenté une fois, mais je ne m’en souviens pas. En tout cas, il ne travaillait pas comme spécialiste dans mes services. Je suppose qu’il était fonctionnaire, puisque son nom apparaît à propos d’un autre document. Il devait être le conseiller personnel du Regierungspräsident. La note démontre que ce fonctionnaire écrivait sur mon papier à en-tête, et qu’il y était autorisé. Je crois qu’à Vienne quelques milliers de personnes étaient justifiées à le faire, d’après les usages en vigueur dans l’administration allemande. Sur cette note, il a été consigné un entretien téléphonique avec la Gestapo. Il en ressort que le RSHA (c’est-à-dire Heydrich) était l’organisme qui décidait du sort des travailleurs juifs, par des instructions données à la Gestapo. Le Regierungspräsident désirait avoir des détails à ce sujet, mais je ne crois pas qu’on puisse en déduire que j’étais informé des atrocités commises par la Gestapo, comme l’a fait le Ministère Public. Il est même douteux qu’à cette époque je me sois trouvé à Vienne. Je vous prie de vous rappeler toutes les tâches dont j’ai parlé tout à l’heure. Si j’y étais, je ne me suis certainement pas occupé du nettoyage des rues. Mais je voudrais dire que la variété de mes fonctions m’avait obligé à créer un organisme central, l’Office central du Reichsleiter, qui n’existait dans aucun autre Gau.

Dr SAUTER

Voulez-vous nous dire, avant la fin de cette audience, le nombre approximatif de fonctionnaires que vous dirigiez à Vienne ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Approximativement 5.000 fonctionnaires et employés.

Dr SAUTER

Dois-je continuer, Monsieur le Président ? Il est 5 heures.

LE PRÉSIDENT

Nous allons lever l’audience.

(L’audience sera reprise le 24 mai 1946 à 10 heures.)