CENT TRENTE-NEUVIÈME JOURNÉE.
Lundi 27 mai 1946.

Audience du matin.

(L’accusé von Schirach est à la barre des témoins.)
M. DODD

Monsieur le Président, je voudrais m’assurer que j’ai versé au dossier les documents suivants : documents PS-3914, qui devient USA-863 ; PS-3943 (USA-864) et PS-3877 (USA-865). Témoin, à la fin de l’audience de vendredi, nous vous avions remis un exemplaire d’un message télétypé adressé à Martin Bormann. Je vous l’ai lu par notre système de transmission. Je voudrais maintenant vous demander si c’est vous qui avez envoyé ce message à Bormann ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui, j’ai envoyé ce message par télétype et je voudrais pouvoir fournir une explication à ce sujet ; tout d’abord...

M. DODD

Puis-je vous interrompre un moment. Je voudrais vous demander, pendant notre conversation d’aujourd’hui, qui sera brève, d’observer une pause avant de répondre aux questions : cela faciliterait la tâche des interprètes ; je crois d’ailleurs que nous n’aurons pas de difficulté ce matin. Je vais m’efforcer de faire de même ; ainsi notre travail sera meilleur.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je voudrais tout d’abord expliquer pourquoi je tutoie Bormann. Bormann est de la même ville que moi. Je l’avais connu à Weimar, mais seulement très rapidement. Quand il vint en 1928 ou 1929 à Munich, il me rendit visite et il me proposa, étant mon aîné, de nous tutoyer. Nous avons maintenu cette forme dans nos rapports jusqu’en 1943 où il abandonna ce tutoiement pour me dire vous dans ses lettres.

Quant au contenu de ce message, il faut dire que nous nous trouvions dans la troisième année de guerre. La population tchèque, dans le Protectorat de Bohême et Moravie comme à Vienne était extrêmement calme. La situation à l’intérieur du Protectorat était presque celle du temps de paix. A Vienne, j’avais une population tchécoslovaque assez importante. Je pouvais craindre, à la suite de l’attentat contre Heydrich, des désordres dans le Protectorat qui auraient certainement provoqué des répercussions graves à Vienne. A ce moment, les troupes allemandes avançaient dans la presqu’île de Kertsch. A cette époque, rien de grave ne devait se produire à l’arrière de nos troupes. Aussitôt après avoir reçu la nouvelle de l’assassinat du protecteur de Bohême et de Moravie, je fus informé officiellement que cet attentat avait été commis comme il est mentionné ici, par des agents britanniques munis d’armes anglaises.

Au cours de ce même mois, nous avions déjà eu connaissance — c’est également mentionné dans le communiqué de la Wehrmacht — du bombardement britannique de quartiers d’habitation à Hambourg et à Paris et de monuments culturels à Kiel. C’est pourquoi j’ai proposé des mesures de représailles afin de faire connaître au monde entier la responsabilité anglaise dans cet attentat et d’empêcher des troubles graves en Tchécoslovaquie.

C’est tout ce que j’ai à dire. Ce message est un document authentique.

Puis-je me permettre ici de signaler une difficulté de traduction dans le dernier contre-interrogatoire de vendredi ? Le mot allemand « Retter » a été traduit en anglais par le mot « saviour » (sauveur). C’est là la difficulté de traduire l’allemand en anglais. Il s’agit d’une expression que j’ai utilisée dans mon livre où je désignais le Führer sous le mot de « Retter ». Or on ne peut traduire que par « Saviour ». Mais si l’on traduit en allemand, « Saviour » signifie « Heiland » (c’est-à-dire sauveur, au sens religieux du mot). Pour traduire en anglais le sens véritable que j’entendais, on aurait dû faire une périphrase. Ou l’on aurait dû dire « rescuer » qui rendait le sens véritable du mot « Retter ». Dans ce sens, il n’y a rien de blasphématoire à utiliser le mot « sauveur » pour désigner un chef d’État. Mais si j’avais écrit, dans le texte allemand, que le chef de l’État était un « Heiland », c’eût été blasphématoire.

LE PRÉSIDENT

Une explication de ce genre devrait être reportée au moment des questions finales. On ne doit pas interrompre pour cela le contre-interrogatoire.

M. DODD

J’ai encore une ou deux questions à vous poser à ce sujet.

Pensiez-vous à une ville, particulière de l’Angleterre, à une ville culturelle particulière comme Cambridge, Oxford, Stratford ou Canterbury ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Non, je n’avais pas d’intention précise. Je pensais qu’il fallait choisir un objectif comparable à ceux qui avaient été touchés en Allemagne par les bombardiers britanniques.

M. DODD

Pourvu que ce fût une ville culturelle ? Pensiez-vous à ce qui était arrivé en Allemagne ou à ce qui était arrivé à Heydrich ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je pensais que des monuments de valeur culturelle avaient été détruits en Allemagne et je voulais proposer de saisir cette occasion pour montrer nettement que l’assassinat de Heydrich n’avait pas été commis par la population tchèque, mais par les cercles d’émigrés tchèques de Londres, avec l’appui britannique. Par cette contre-attaque dans cette troisième année de guerre, il s’agissait de répondre à la fois à l’attentat de Heydrich et à l’attentat contre les monuments culturels d’Allemagne.

M. DODD

Mais vous ne faites aucune mention dans ce télégramme de bombardements d’objectifs de valeur culturelle en Allemagne ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Cela avait déjà paru dans le communiqué de la Wehrmacht et c’était notoire.

M. DODD

Ce n’est pas ce que je vous demande. Je vous demandais s’il est exact que, dans ce télétype, vous ne faites aucune allusion au bombardement d’objectifs de valeur culturelle en Allemagne ; vous n’avez pas fait votre suggestion de bombardement des objectifs de valeur culturelle en Angleterre en réponse à des bombardements de villes culturelles en Allemagne. Vous indiquez tout à fait clairement que vous vouliez frapper un objectif culturel anglais à cause de l’affaire Heydrich. C’est bien cela ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je n’avais pas besoin de faire la moindre allusion au bombardement de villes culturelles allemandes car ce fait était bien connu de la population allemande. Les bombardiers britanniques faisant des raids quotidiens.

M. DODD

Je suppose qu’à cette époque vous connaissiez bien la réputation de Heydrich ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Non, ce n’est pas exact. Dans ce cas particulier, je considérais Heydrich comme le représentant de notre Reich en Bohême et Moravie, et non comme le chef de la Gestapo.

M. DODD

Vous connaissiez du moins la réputation qu’il s’était faite dans toute l’Allemagne ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je savais qu’il était le chef de la Gestapo, je ne savais pas qu’il avait commis les atrocités qu’on a découvertes par la suite.

M. DODD

Vous ne saviez pas qu’on le considérait comme la « terreur de la Gestapo » ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

C’est là une expression que la propagande ennemie avait utilisée contre lui.

M. DODD

Et vous pensez toujours que c’est de la propagande ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Non.

M. DODD

C’est la propagande ennemie qui vous a appris qu’on l’appelait ainsi avant sa mort, en 1942 ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Non, je ne veux pas dire cela...

M. DODD

Comment le saviez-vous ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je veux simplement préciser ici que le Reichsprotektor Heydrich était pour moi, dans la troisième année de la guerre, une autre personne que le chef de la Gestapo. Il s’agit ici d’une affaire politique.

M. DODD

Vous ne vous êtes pas contenté de cette proposition de bombarder l’Angleterre ; vous souvenez-vous de ce que vous avez proposé quelque temps après ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Non, je ne vois pas.

M. DODD

Vous rappelez-vous avoir proposé ou fait quelque chose toujours en « représailles » de l’assassinat de Heydrich ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Non, je n’en ai aucun souvenir.

M. DODD

N’avez-vous pas proposé l’évacuation de tous les Tchèques de Vienne ? C’est exact ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Non, c’est une proposition qui ne vient pas de moi personnellement, mais qu’il convient de ramener à une déclaration à propos de Vienne, faite par le Führer lui-même en 1940, alors que je faisais un rapport au Grand Quartier Général. Je crois avoir déjà mentionné dans ma déposition que Hitler avait dit : « Il faut que Vienne devienne une ville allemande. Il faut que les Juifs et même les Tchèques soient peu à peu évacués de Vienne ». Je l’ai déjà mentionné ici dans ma propre déposition.

M. DODD

Ma question était la suivante : est-il exact que, quelques jours après l’assassinat de Heydrich, vous ayez proposé l’évacuation des Tchèques de Vienne, comme mesure de représailles ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Il est possible, je ne m’en souviens pas, que dans le trouble où j’étais à la suite de cet événement qui m’inquiétait beaucoup, j’aie dit quelque chose de semblable.

M. DODD

Veuillez regarder le document PS-3886, qui devient USA-866, Monsieur le Président. Ce document est formé d’extraits du procès-verbal de la réunion du Conseil municipal de Vienne du 6 juin 1942, comme vous pouvez le voir à la page 9 de l’original. Vous étiez présent et, d’après ces notes, vous avez parlé en tant que Reichsleiter Baldur von Schirach et, si vous voulez regarder cette page, vous trouverez plus loin la déclaration suivante :

« Enfin, il communique — c’est de vous qu’il s’agit — que, dès la fin de l’été ou l’automne de cette année, tous les Juifs auront quitté la ville et que l’on commencera ensuite à éloigner les Tchèques, car c’est là une réponse nécessaire et équitable aux crimes commis contre le Reichsprotektor adjoint en Bohême et Moravie. »

Vous rappelez-vous avoir dit cela ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je n’en ai aucun souvenir précis, mais je considère ces observations comme authentiques, elles rapportent vraisemblablement ce que j’ai dit à ce moment-là. La mort de Heydrich m’avait mis dans un état d’énervement terrible. Je craignais de graves désordres en Bohême et en Moravie et j’ai dit ce qui est rapporté ici. Mais l’essentiel est que j’ai abandonné ces projets après réflexion et que je n’ai rien entrepris.

M. DODD

En tout cas, il est tout à fait clair, et je vous demande si vous l’admettez, que vous avez fait deux propositions au moins, la première, de bombarder une ville de valeur culturelle en Angleterre, la deuxième, d’évacuer de la ville de Vienne la population tchèque, à la suite de l’assassinat de cet Heydrich.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Que j’ai eu l’idée de cette évacuation des Tchèques et que je l’ai exprimée, c’est exact, mais il est également exact, c’est un fait, que j’ai abandonné cette idée par la suite et qu’il n’y a jamais eu de réalisation. Il est exact également que j’ai proposé de bombarder une ville culturelle d’Angleterre en réponse à l’attentat contre Heydrich et aux innombrables attaques des cités culturelles allemandes, mais c’était la troisième année de la guerre, alors qu’il s’agissait de questions décisives pour la vie de l’Allemagne.

M. DODD

D’ailleurs Hitler a également proposé l’évacuation totale des Tchèques de Tchécoslovaquie en représailles de l’assassinat de Heydrich, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je n’en sais rien.

M. DODD

Nous allons passer à une autre question et voir si nous en aurons terminé aujourd’hui. Vous vous souvenez que, vendredi, nous avons un peu parlé de vos relations avec les SS et Himmler. Je voudrais vous demander ce matin s’il est exact que vous ayez collaboré étroitement avec Himmler et les SS et cela depuis les premiers jours et tant que vous avez exercé vos fonctions à Vienne. Je voudrais que vous répondiez à cette question.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je répondrai à cette question de la façon la plus complète.

M. DODD

Pour la première réponse, il est inutile de donner beaucoup de détails. Mais, plus tard, si vous croyez devoir donner des explications, vous pourrez certainement le faire. Dites-nous d’abord s’il est exact que vous ayez coopéré étroitement avec Himmler et les SS dès votre entrée en fonction jusqu’aux derniers jours ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Il n’y a pas eu de collaboration étroite, si l’on entend par là que Himmler ait pu avoir une influence essentielle sur l’éducation de la jeunesse.

M. DODD

Arrêtons-nous ici. N’est-il pas exact que Himmler affectait des SS à votre organisation de jeunesse pour la formation de vos jeunes gens ? Vous pouvez répondre à cela très simplement. Le faisait-il ou non ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Pour les former ?

M. DODD

Oui.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Pas que je sache. Qu’il y ait eu des officiers de liaison, peut-être, cela n’aurait rien d’extraordinaire, car il y avait dans mon organisme de jeunesse des agents de liaison de tous les ministères et organisations. Mais je ne vois rien qui corresponde à ce dont vous parlez en ce moment.

M. DODD

Je crois qu’il faudrait élucider ce point. Regardez le document PS-3931. C’est un nouveau document qui devient USA-867. Témoin, regardez ce document, vous remarquerez que c’est un message que vous avez envoyé en août 1941 à « mon cher camarade du Parti Bormann ». Il est très long, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de tout lire. Je voudrais attirer votre attention sur certains passages pour rafraîchir vos souvenirs au sujet des SS. Une question tout d’abord : apparemment, les SA avaient proposé, pendant l’été 1941, de se charger en partie de la formation de vos jeunes gens, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

J’ai dit dans ma déposition jeudi dernier, je crois, que bien plus tôt, au printemps 1939, je crois, les SA avaient essayé de prendre en charge la préparation militaire des deux classes les plus âgées de la Jeunesse hitlérienne. En 1941, je crois, ces tentatives ont été renouvelées.

M. DODD

Oui, je sais, vous vous en plaigniez à Bormann dans cette lettre. Vous vous souvenez maintenant, après avoir jeté un coup d’œil sur cette lettre, que vous vous y plaigniez des tentatives des SA pour contrôler directement la formation d’une partie des effectifs de la Jeunesse hitlérienne.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je ne peux pas prendre position au sujet de cet interminable message sans l’avoir parcouru.

M. DODD

Voyons, prenez la deuxième page du texte anglais. Vous n’avez pas de pages. Je crois que tout tient en une page. C’est un message télétypé, vous le trouverez dans la première partie de votre document. Je voudrais d’abord que vous essayiez de trouver la déclaration suivante :

« La Jeunesse hitlérienne estime nécessaire de confier au Parti lui-même la direction et l’administration de la formation militaire. » Avez-vous trouvé ce passage ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Non.

M. DODD

Vous trouverez un paragraphe qui porte le chiffre 1. Vous voyez qu’ils sont numérotés 1, 2, 3, etc. Vous y êtes ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

J’ai trouvé le chiffre romain I.

M. DODD

C’est bien de cela que je voulais parler. Quand nous arriverons à un passage sur lequel nous pourrons nous accorder, nous pourrons continuer. Vous avez trouvé ce numéro 1 :

« Par ailleurs : 1. Depuis plus d’un an, il a été présenté aux SA un projet d’accord... » Avez-vous trouvé ? « ...d’après lequel on demande que des instructeurs SA soient affectés à la préparation militaire de la jeunesse. La direction supérieure des SA n’a pas donné suite à cette requête de la Jeunesse hitlérienne. »

Voulez-vous maintenant passer au numéro 3 et, en dessous, assez loin après, trois ou quatre paragraphes plus loin, vous trouverez un passage en majuscules sur lequel je désire attirer votre attention. Vous allez le trouver ; je crois que c’est aussi en majuscules dans le texte allemand. « Je serais heureux que les SA mettent à ma disposition du personnel de cadre dans ce but comme le font depuis très longtemps déjà les SS et la Police ».

Dans le texte anglais, Monsieur le Président, c’est au bas de la page 4 et en haut de la page 5. (Au témoin.) Témoin, y êtes-vous ?

ACCUSE VON SCHIRACH

Oui.

M. DODD

Vous dites que vous seriez heureux que les SA mettent du personnel à votre disposition tout comme le faisaient depuis longtemps les SS et la Police. Dans ce paragraphe, à la phrase précédente, vous parlez de la formation des jeunes. Vous parlez des écoles hitlériennes et de la formation de la Jeunesse hitlérienne. Il est donc tout à fait clair, n’est-ce pas, que conformément à vos propres méthodes, que vous receviez l’appui des SS et de la Police, longtemps avant d’avoir envoyé ce message ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

En temps de guerre, oui. Nous étions en guerre depuis 1939 et, depuis l’ouverture des hostilités, nous avions des camps d’entraînement militaire pour lesquels je cherchais des instructeurs ; or, l’Armée ne pouvait pas m’en fournir en nombre suffisant, pas plus que les SA ; les SS ainsi que la Police pouvaient me fournir quelques jeunes officiers.

M. DODD

C’est seulement à partir du début de la guerre que vous utilisiez du personnel des SS, des SA et de la Police pour former les jeunes gens ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je ne crois pas que nous ayons utilisé des moniteurs SS pour autre chose. Nous avions un corps de dirigeants recrutés, comme je l’ai expliqué, dans la Jeunesse hitlérienne.

M. DODD

Je vous demande encore une fois si vous voulez dire au Tribunal que c’est seulement à partir du début de la guerre que vous avez reçu l’aide des cadres de SS et de la Police pour la formation des jeunes gens dans votre organisation de jeunesse ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je ne puis pas répondre à cette question d’une façon précise, et ceci pour les raisons suivantes : si, par exemple, nous avions un camp d’entraînement au tir, il est possible que l’un des moniteurs ait été un SA ou un SS, parce qu’il se trouvait être un des meilleurs spécialistes de ce sport. Mais je ne vois pas autrement comment nous aurions collaboré.

M. DODD

Pouvez-vous dire que vous n’aviez pas de personnel SS pour la formation de la jeunesse ? Je ne parle pas de quelques moniteurs de ski, je parle d’un programme régulier d’aide apportée par les SS à la formation de vos jeunes gens.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

En ce qui concerne la formation militaire, c’est dans cette lettre que j’ai demandé de l’aide pour la première fois. A part cela, je ne me souviens pas d’une collaboration quelconque.

M. DODD

Vous connaissez le mot « Heuaktion » ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Heuaktion ? Non, je ne me rappelle pas, je ne vois pas ce que cela veut dire.

M. DODD

Enfin, vous êtes venu tous les jours à l’audience. Vous ne vous souvenez pas que le Ministère Public a déposé à propos du cas de l’accusé Rosenberg des preuves relatives à une opération appelée « Heuaktion » ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Non, pour le moment, je ne vois pas...

M. DODD

Vous ne vous souvenez pas qu’on a parlé ici de l’arrestation de jeunes gens des territoires de l’Est qui ont été amenés de force en Allemagne, 40.000 à 50.000 adolescents de 10 à ]4 ans ? Vous vous rappelez, n’est-ce pas, que l’un des buts de cette opération était de supprimer le potentiel biologique de ces jeunes gens ? Voyez-vous à quoi je fais allusion ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui, je me souviens en avoir entendu parler au cours de ce Procès. Mais tout ce que je puis dire sur le plan de mes fonctions c’est que, pendant la guerre, je ne sais plus en quelle année, Axmann m’a fait savoir qu’il avait fait entrer dans les ateliers et les centres d’apprentissage de Junkers à Dessau un grand nombre de jeunes Russes et que ces enfants y étaient particulièrement bien soignés. Je n’avais jamais auparavant été saisi d’une telle action mais j’ai déclaré, au début de ma déposition, que je prenais la responsabilité de tout ce qu’a fait la Jeunesse hitlérienne pendant la guerre, et je maintiens cette déclaration. Mais je crois que la Jeunesse hitlérienne n’est pas responsable de cette action. Je me souviens que mon co-accusé Rosenberg a déclaré qu’il avait agi sur la demande de l’Armée et d’un groupe d’armées.

M. DODD

Nous avons là un document qui a déjà été déposé sous le numéro USA-171. Le Tribunal le connaît et je voudrais attirer votre attention sur le fait que, dans ce document, il est dit que Rosenberg avait accepté un programme prévoyant l’arrestation de 40.000 à 50.000 jeunes, âgés de 10 à 14 ans pour les faire venir en Allemagne. Il est dit également dans ce document que ce programme peut être réalisé avec l’aide des cadres de la Jeunesse hitlérienne par le service de la jeunesse du ministère de Rosenberg. Il y est dit également que beaucoup de ces jeunes gens seraient affectés dans les SS et les services auxiliaires des SS. Je vous interroge sur ce point particulier : que savez-vous de ce programme et de la façon dont la Jeunesse hitlérienne a collaboré à cette action ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je ne puis rien dire de plus au sujet de ce programme que ce que j’ai déjà exposé ici.

M. DODD

Mais vous étiez responsable de la participation à la guerre des Jeunesses hitlériennes ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

La collaboration en temps de guerre de la Jeunesse hitlérienne était sous la direction du chef de la jeunesse, du Reichsjugendführer. Je peux donner des indications générales, mais non entrer dans les détails.

M. DODD

Témoin, je vous demande encore une fois si vous n’avez pas été nommé pour être responsable de la participation de la jeunesse allemande à l’effort de guerre ? J’ai ici le texte de votre nomination, si vous désirez le voir.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je ne le conteste absolument pas. En 1939 et 1940, tant que j’ai été chef de la jeunesse allemande, j’ai dirigé moi-même cette participation.

M. DODD

Je parle d’une nomination qui a été faite après 1939 ou 1940. Vous avez été nommé délégué général à la participation à la guerre de la jeunesse allemande par le Führer à son État-Major, en mars 1942, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Puis-je vous demander de me montrer le document. C’est possible, je ne m’en souviens pas exactement.

M. DODD

C’est le document PS-3933, qui devient USA-868. Tout d’abord, vous ne pouvez pas savoir si vous avez été nommé responsable de la participation à la guerre de la jeunesse sans voir le document ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Non, il s’agit simplement de la date dont je ne me souviens pas exactement. Je pensais avoir été responsable de cette participation à partir de 1939.

M. DODD

Très bien, c’est tout ce que je voulais établir. Vous étiez effectivement responsable et vous l’êtes resté jusqu’à la fin de la guerre. J’avais compris que vous disiez que c’était le chef de la jeunesse du Reich qui était responsable et non pas vous.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Non, j’ai dit exactement que je ne pouvais donner que des renseignements généraux et non détaillés parce que la réalisation de cette participation était l’affaire d’Axmann. Mais je ne veux en aucune façon réduire ma responsabilité à cet égard.

M. DODD

Je crois qu’il est suffisamment clair que vous avez été nommé à cette fonction ; peu importe que vous désiriez maintenant « noyer » votre responsabilité. Quand avez-vous pour la première fois assumé la responsabilité de la participation de la jeunesse à la guerre ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Si j’ai bonne mémoire, j’ai assumé cette responsabilité depuis 1939, c’est-à-dire depuis la déclaration de guerre, mais je vois que le décret de nomination n’a paru qu’en 1942.

M. DODD

Très bien, nous sommes d’accord. C’est à partir de cette date de mars 1942 que vous avez assumé cette responsabilité. Je voudrais que vous regardiez un autre document...

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Un instant, s’il vous plaît, je voudrais donner une explication. Il s’agit ici d’un décret dont je ne sais pas à quel moment il a été signé. Je ne puis donc pas dire que Hitler ait signé ce décret eh mars 1942. Dans ce document, Axmann me communique : « Le projet de décret passe maintenant au ministre et chef de la Chancellerie du Reich qui sollicitera officiellement l’accord des services supérieurs intéressés et qui, avec le Reichsleiter Bormann...

M. DODD

Vous n’avez pas besoin de le lire. Que voulez-vous donc dire ? Peut-être que ce décret n’a pas été signé et que vous n’avez pas été nommé ou au contraire que vous avez été nommé ? Voulez-vous donner une réponse.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Absolument pas. Mais je ne peux pas dire que la promulgation du décret date du mois de mars 1942. Il est possible que ce décret n’ait été promulgué qu’en mai.

M. DODD

Je n’attache pas beaucoup d’importance à la date. Je voudrais maintenant que vous regardiez le document PS-345 que nous déposons sous le numéro USA-869, qui vous aidera à rappeler vos souvenirs relativement au programme de cette « Heuaktion ».

C’est un télégramme adressé par l’accusé Rosenberg au Dr Lammers à la Chancellerie du Reich pour le Quartier Général du Führer, le 20 juillet 1944. Vous pouvez voir qu’il est dit au premier paragraphe :

« En vertu d’un accord conclu entre le Reichsmarschall en tant que Commandant en chef de l’armée de l’Air, le Reichsführer SS, le Führer de la jeunesse du Reich et le ministre du Reich pour les territoires occupés, les commandos du Kriegseinsatz procéderont à l’enrôlement, sur la base du volontariat, de jeunes gens russes, ukrainiens, blancs-ruthènes, lituaniens ou tartares âgés de 15 à 20 ans pour la participation à la guerre dans le Reich. »

Le Kriegseinsatz était bien le programme dont vous étiez responsable ?

Je voudrais maintenant attirer votre attention sur un passage qui se trouve un peu plus bas, au paragraphe 3, en vous rappelant le document « Heuaktion » qui est déjà déposé. Voici le texte du télégramme :

« Sur la suggestion des autorités militaires, on procède sur une partie de la zone d’opérations, à l’arrestation et à la déportation sur le territoire du Reich d’adolescents de 10 à 14 ans (Heuaktion), ces jeunes gens représentant pour la zone d’opérations une charge assez considérable. »

Plus loin :

« Le but de cette action est de placer ces jeunes gens dans le mouvement de la jeunesse du Reich et de former des apprentis pour l’économie allemande, comme cela a déjà été réalisé avec succès dans l’œuvre de jeunesse de Ruthénie blanche avec l’accord du plénipotentiaire au travail. »

J’attire particulièrement votre attention sur cette dernière phrase : « ...comme cela a déjà été réalisé avec succès... »

Puis la fin de la phrase suivante :

« ...ces jeunes gens devant être employés ultérieurement dans les territoires occupés en tant qu’éléments particulièrement sûrs pour la reconstruction. »

Vous remarquerez qu’il est dit au dernier paragraphe : « Les actions mentionnées aux points 1 et 3 sont connues du Führer. » Puis il y a quelque chose sur l’aide apportée par les SS à cette action, à laquelle elles fixaient une date limite.

A la page suivante, figure la liste des destinataires, le Reichsmarschall, le Reichsführer SS, le Führer de la jeunesse du Reich, le ministre de l’Intérieur du Reich, et, tout en bas, un bureau de Gauleiter.

Que savez-vous de l’arrestation d’enfants de 10 à 14 ans et de leur transfert dans vos organisations de jeunesse en Allemagne pendant les années de guerre ? Combien de milliers ont-ils été enlevés de la sorte, si vous le savez ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

J’ai déjà dit tout à l’heure que je ne voulais pas limiter ma responsabilité à cet égard, mais je n’ai eu connaissance de tout cela que plus tard. Ce n’était pas moi qui étais chef de la jeunesse allemande cette année-là. C’est celui qui en était le chef qui a conclu l’accord avec le Commandant en chef de l’armée de l’Air et le Reichsführer SS ; mais je couvre les mesures prises...

M. DODD

Mais vous avez été plus tard Führer de la jeunesse du Reich, vous étiez le chef de la jeunesse du Reich, vous étiez alors responsable de la participation à la guerre de la jeunesse allemande ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

J’étais à Vienne à la date indiquée du 20 juillet 1944. Vous vous rappellerez peut-être que les événements historiques de cette époque ont retenu toute l’attention des fonctionnaires allemands. J’ai appris par la suite, par Axmann, que ces mesures avaient été exécutées et je sais que ces jeunes Russes ont été parfaitement bien logés, nourris, formés, enfin très bien traités d’une manière générale.

M. DODD

Vous savez aussi que, maintenant encore, les services alliés s’efforcent de retrouver des milliers d’enfants pour les renvoyer dans leur patrie ? Savez-vous que dans la presse de ce matin on dit qu’il y a encore 10.000 personnes qui n’ont pas été retrouvées ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je ne crois pas qu’il s’agisse des adolescents installés dans des ateliers d’apprentissage qui recevaient dans d’excellentes conditions une très bonne formation professionnelle.

M. DODD

Il ressort clairement de ce document PS-345, que ce programme a été mis en application. La lettre de Rosenberg le dit. Il déclare : « ... comme cela a déjà été réalisé avec succès... » Votre organisation de jeunesse doit s’être occupée de cela avant l’envoi de cette lettre ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Mais je ne l’ai pas contesté. Dans le cadre du ministère du Reich pour les territoires occupés de l’Est, il y avait également des chefs de la jeunesse hitlérienne en service. Sur la base de ce que j’ai entendu au cours des débats, je dois dire que je comprends parfaitement bien que des généraux de l’Est aient pu dire qu’il fallait évacuer les enfants de cette zone de guerre. Il s’agissait d’évacuer du front des enfants de 10 à 14 ans.

M. DODD

Avec l’aide des SS ? Maintenant, je vais vous montrer un autre document, le PS-1137, qui vous donnera une idée de ce qu’il advint de ces jeunes gens et de combien de jeunes gens il s’agissait. Il devient le document USA-870.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Dodd, il y a un paragraphe au bas de la page 1 qui se rapporte à un autre accusé.

M. DODD

Oui, Monsieur le Président. Je m’excuse, je ne l’avais pas vu. Je vais le dire pour qu’il soit inscrit au procès-verbal, si vous me le permettez.

Témoin, je voudrais attirer votre attention sur ce document PS-345, pour que vous sachiez ce que je cite. Dans le dernier paragraphe de la communication de Rosenberg au Dr Lammers, nous trouvons la phrase suivante :

« J’ai appris que le Gauleiter Sauckel serait au Quartier Général du Führer le 21 juillet 1944. Je vous demande d’entrer en contact avec lui et d’en faire ensuite un rapport au Führer. »

Sauckel prenait donc part à cet « enlèvement » des jeunes gens de 10 à 14 ans. Le saviez-vous ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je n’en ai pas eu connaissance, je ne puis pas faire de déclaration à cet égard.

M. DODD

Et je passe maintenant au document PS-1137, qui commence par une lettre d’un général ou plutôt la communication d’un mémorandum inter-services du 27 octobre 1944, qui se termine par un rapport d’un général de brigade de la Jeunesse hitlérienne, un nommé Nickel. Connaissez-vous ce Nickel ? N-i-c-k-e-l ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je connais ce nom. Je dois le connaître aussi personnellement. Pour le moment, je ne vois pas exactement de qui il est question ; mais ce n’est pas un général de brigade, c’est un Hauptbannführer.

M. DODD

Très bien. Quoi qu’il en soit, c’était un fonctionnaire de votre organisation de jeunesse. C’est tout ce que je voulais savoir. Le grade que j’ai donné est peut-être faux. Ici, nous avons général de brigade.

En tout cas, si vous regardez ce document, vous constaterez qu’il parle de la capture de ces jeunes gens dans les territoires occupés. Il est d’octobre 1944. Il commence comme suit :

« Le 5 mars 1944, j’ai reçu l’ordre d’ouvrir un bureau pour le recrutement des jeunes gens de 15 à 20 ans parmi la population des territoires occupés de l’Est, en vue de leur participation à la guerre dans le Reich. »

Puis il cite des chiffres et indique où il a commencé son travail : en Lituanie, en Estonie, en Lettonie, dans le secteur central et dans le secteur sud du front de l’Est tel qu’il était alors.

A la page suivante du texte anglais — je suppose que, pour vous aussi, c’est à la page suivante — on donne la répartition des jeunes gens déportés :

« 1.383 auxiliaires SS russes. 5.953 auxiliaires SS ukrainiens. 2.354 auxiliaires SS blancs-ruthènes. 1.012 auxiliaires SS lituaniens. » On passe ensuite à l’armée de l’Air : « 3.000 auxiliaires de l’armée de l’Air estoniens, etc. »

Quelques-uns allaient à la Marine.

Je ne lis pas tout, mais cela vous donne une idée de la manière dont on répartissait ces hommes, ou plutôt ces jeunes gens et ces jeunes filles.

Vous remarquerez qu’un grand nombre de ces jeunes gens ont été affectés aux SS.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui, mais le Hauptbannführer Nickel a apposé sur cette lettre un cachet qui porte l’inscription. « Le ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est ». Il a donc agi non pas sur l’ordre de la Direction de la jeunesse du Reich, mais sur l’ordre du ministère des territoires occupés de l’Est.

M. DODD

Je vous prie de regarder encore à la page 6. Je crois que c’est la page 5 de l’original allemand. Vous verrez quel était le personnel employé par le Hauptbannführer Nickel pour exécuter sa mission. Il avait des membres de la Jeunesse hitlérienne : « 5 Führer, 3 chefs du BDM, 71 Führer de la jeunesse des Allemands de race, comme interprètes et instructeurs auxiliaires, 26 SS-Führer, 234 Unterführer et simples SS, chauffeurs et interprètes, tous membres des SS. En outre, de l’armée de l’Air : 37 officiers, 221 sous-officiers, etc. »

Cela vous rappelle-t-il quelque chose ? Vous souvenez-vous mieux de ce programme auquel étaient affectés vos jeunes gens ? Vous en souvenez-vous maintenant ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Cela n’aide en rien ma mémoire, car j’apprends ces faits par ce document. Je ne sais rien de l’activité du ministère des territoires occupés de l’Est en zone russe et je ne sais pas quelle était la mission du Führer de la Jeunesse hitlérienne Nickel à ce ministère. Je prends la responsabilité de ce qui a été fait sur mon ordre, mais d’autres devront prendre la responsabilité de ce qui a été fait sous leurs ordres.

M. DODD

Permettez-moi de vous montrer quelque chose relativement à la réponse que vous venez de faire. La liste dont je vous ai donné lecture ne représentait que le personnel attaché à une partie du programme. A la dernière page du document, vous verrez quel était le champ d’action de Nickel. Il travaillait en liaison avec le « commando de Kriegseinsatz de la Jeunesse hitlérienne des Pays-Bas », le « commando de Kriegseinsatz de la Jeunesse hitlérienne Adria », le « commando de Kriegseinsatz de la Jeunesse hitlérienne, région sud en Slovaquie et en Hongrie », le « commando spécial du lieutenant Nagel dans les camps de réfugiés à l’intérieur du Reich » et, ce qui est assez intéressant, les « services extérieurs » à Vienne.

C’est bien là que vous étiez alors ? Et vous déclarez au Tribunal que vous ne saviez rien de ce programme de la participation de vos chefs de la Jeunesse hitlérienne ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Jamais Nickel ne m’a fait de rapport, ni par écrit, ni oralement. Son rapport, comme il ressort de cette lettre, était adressé au ministre du Reich pour les territoires de l’Est. Je ne sais pas dans quelle mesure le chef de la jeunesse du Reich a été informé. Personnellement, je ne sais pas comment cela s’est passé. Tout ce que j’en sais, je l’ai dit très exactement dans ma déclaration tout à l’heure. Il s’agissait des usines Junker, de la formation professionnelle que recevaient ces adolescents en Allemagne, mais je ne sais rien d’autre.

M. DODD

Vous voyez, témoin, que votre commando de Kriegseinsatz de Jeunesse hitlérienne existait également en Pologne et même en Italie du Nord. Je vous demande encore une fois : en tant que chef de la Jeunesse hitlérienne pendant des années, chef de la participation de la jeunesse à la guerre, plus tard Gauleiter de Vienne où était réalisée une partie de ce programme, en considérant avec quelle ampleur était poursuivie la réalisation de tout le programme, voulez-vous vraiment faire croire au Tribunal que vous n’en saviez rien ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je n’en savais rien, mais j’en assume la responsabilité.

M. DODD

Vous avez dit au Tribunal, au cours de votre interrogatoire direct, que vous aviez écrit une lettre au Stürmer de Streicher. Je voudrais la déposer comme preuve, Monsieur le Président, pour que vous puissiez vous faire une idée de la façon dont elle a été présentée dans le Stürmer, en première page.

Si vous voulez d’abord regarder le document, vous pouvez le faire, témoin. C’est le USA-871. Je voudrais que vous l’examiniez rapidement avant qu’il soit déposé. Vous savez de quoi il s’agit en tout cas ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

J’en ai déjà parlé l’autre jour.

M. DODD

Oui, oui, je sais, je ne veux pas l’étudier plus à fond. Je voudrais vous demander, témoin, si je vous comprends bien en disant que nous devons déduire de votre déposition que c’est Hitler qui a ordonné l’évacuation des Juifs de Vienne, et qu’en fait, vous ne l’avez pas proposée et vous ne désiriez pas qu’elle eût lieu. Est-ce que je rends bien ainsi le sens de votre déclaration d’hier ou d’avant-hier ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

J’ai précisé l’autre jour et je répète que l’idée d’évacuer les Juifs de Vienne était une idée de Hitler, qu’il m’avait communiquée à son Quartier Général en 1940. J’ai ajouté que, sous l’impression des événements de novembre 1938, j’ai pensé effectivement qu’il vaudrait mieux concentrer la population juive dans une région ou dans un quartier fermé, plutôt que d’en faire de temps à autre la cible de la population ou des actions de Goebbels. C’est ce que je voulais préciser. D’autre part, j’ai dit que je me suis identifié à cette action, sans avoir eu à l’exécuter.

M. DODD

En octobre 1940, vous avez eu une conférence au Quartier Général du Führer. L’accusé Frank et le célèbre Koch, dont nous avons beaucoup entendu parler depuis, y étaient. Vous souvenez-vous de cette réunion ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Non, je ne vois pas.

M. DODD

Vous dites que vous ne vous souvenez absolument pas de cette réunion ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

En octobre 1940, j’étais à la Chancellerie du Reich, c’était l’époque où j’organisais l’évacuation des jeunes et il est possible qu’au déjeuner...

LE PRÉSIDENT

On vous a demandé si vous vous souvenez d’une réunion particulière, en octobre 1940, avec des personnes déterminées. Vous en souvenez-vous ou non ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Non ; je ne m’en souviens pas. Si vous me soumettez un document, je pourrai peut-être le confirmer.

M. DODD

C’est bien, c’est ce que je voulais savoir. Je vais vous montrer maintenant le document URSS-172. Une partie de ce document a été lue au Tribunal par le colonel Pokrovsky. Vous remarquerez qu’un mémorandum sur la réunion a été rédigé le 2 octobre. Ces notes furent rassemblées par Martin Bormann ; je suppose donc qu’il y assistait aussi.

« Le 2 octobre 1940, après un repas chez le Führer, la conversation portait sur le caractère du Gouvernement Général, le traitement des Polonais et l’incorporation, déjà approuvée par le Führer, des districts de Petrikau et de Tomassov au Warthegau. »

On poursuit :

« Le sujet avait été amené par un rapport du ministre Frank au Führer parlant des succès obtenus dans le Gouvernement Général. Les Juifs de Varsovie étaient enfermés dans des ghettos, ainsi que ceux des autres villes. Cracovie serait très rapidement purifiée des Juifs.

« Le Reichsleiter von Schirach, qui était de l’autre côté du Führer, fit remarquer alors qu’il avait encore plus de 50.000 Juifs à Vienne et que le Dr Frank devrait les lui prendre. Le membre du Parti Dr Frank a déclaré que c’était impossible. Le Gauleiter Koch a ensuite fait remarquer qu’il n’avait encore renvoyé m les Polonais, ni les Juifs du district de Ziechenau, mais que ces Juifs et Polonais devraient naturellement être pris par le Gouvernement Général. »

Le document indique que le Dr Frank a encore protesté, disant qu’il n’y avait pas de possibilité de logement — je ne cite pas directement, je n’ai pas l’intention de lire le tout — et, d’une manière générale, pas d’installations suffisantes. Vous souvenez-vous maintenant de cette réunion ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui, je viens de rappeler mes souvenirs à cet égard.

M. DODD

Et vous aviez bien proposé de déporter 50.000 Juifs de Vienne dans le territoire de Frank ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Ce n’est pas exact de cette façon. Le Führer m’a demandé combien il y avait encore de Juifs à Vienne. Or, je l’ai dit l’autre jour au cours de mon audition et c’est d’ailleurs précisé dans les dossiers, il y avait encore à cette époque 60.000 Juifs à Vienne. Au cours de cet entretien où il s’agissait de l’établissement des Juifs dans le Gouvernement Général, j’ai dit encore qu’il faudrait également envoyer dans le Gouvernement Général les 60.000 Juifs de Vienne. Je vous l’ai dit tout à l’heure, en raison des événements de 1938, j’ai considéré comme juste le plan du Führer de concentrer les Juifs, dans un territoire fermé.

M. DODD

Enfin, plus tard, comme vous le savez d’après le document USA-681, Lammers vous a envoyé un message à Vienne dans lequel il disait que le Führer avait décidé, sur un rapport de vous, que les 60.000 Juifs seraient déportés de Vienne le plus rapidement possible et cela deux mois après la conférence que vous avez eue avec Frank, Koch et Hitler, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui, depuis 1937, le Führer avait dit — et cela se dégage à mon avis du dossier Hossbach — qu’il avait conçu l’idée d’établir les Juifs en dehors de l’Allemagne. Pour moi, je n’ai connu ce plan et il ne m’a été communiqué qu’au mois d’août 1940, lorsque je lui ai rendu visite au moment de mon entrée en fonctions dans le Gau de Vienne. Il m’a demandé :

« Combien de Juifs y a-t-il à Vienne ? » Je lui ai donné la réponse et il m’a dit qu’il désirait que tous ces Juifs fussent établis dans le Gouvernement Général.

M. DODD

Combien de Juifs avez-vous effectivement déportés de votre district lorsque vous étiez Gauleiter ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Tout d’abord, je n’étais pas chargé de l’exécution de cette action. Je ne sais pas combien parmi ces 60.000 Juifs ont été déportés en Pologne.

M. DODD

Savez-vous à peu près où ces Juifs on été envoyés ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

On m’a dit que les vieillards étaient envoyés à Theresienstadt et les autres dans le Gouvernement Général polonais. J’ai même un jour, à l’occasion de ma prestation de serment en qualité de Statthalter ou d’un rapport sur l’envoi des enfants à la campagne, demandé à Hitler comment étaient employés ces Juifs et il m’a répondu qu’ils l’étaient d’après leur profession.

M. DODD

Nous reparlerons de cela. Vous vous souvenez, n’est-ce pas, que certains d’entre eux ont été envoyés à Riga et à Minsk. Vous en avez été informé. Vous souvenez-vous d’avoir reçu cette information ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Non.

M. DODD

Jetez un coup d’œil sur le document PS-3921 qui devient USA-872. C’est un rapport sur l’évacuation des Juifs où il est dit que 50.000 Juifs devaient être envoyés dans le territoire Riga-Minsk. Vous avez reçu, en tant que commissaire à la défense du Reich, une copie de ce rapport. Si vous voulez regarder à la dernière page, vous verrez l’initiale de votre principal adjoint, le SS Dellbrügge, ainsi que le tampon de réception de votre propre bureau.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je vois seulement que le Dr Dellbrügge l’a fait classer pour le fichier. Il y a les signes z. d. A. « zu den Akten », aux archives.

M. DODD

Il ne vous a pas parlé de ce rapport relatif aux Juifs ? Alors que vous aviez parlé à Hitler de la déportation des Juifs de votre région, je dois donc admettre que votre adjoint n’avait même pas pris la peine de vous en parler. C’est bien cela ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui.

M. DODD

Maintenant, prenez un autre document qui éclairera celui-là. Il a déjà été déposé sous le numéro USA-808 ; il vous indique ce qu’il était advenu des Juifs de Minsk et de Riga, et ce rapport a également été reçu par votre bureau, si vous vous souvenez. Ce n’est peut-être pas la peine de vous le montrer à nouveau. Vous vous souvenez de ce document ; c’est un rapport mensuel de Heydrich dans lequel il dit qu’il y avait eu à Riga 29.000 Juifs, chiffre réduit à 2.500, et que 33.210 avaient été fusillés par l’Einsatzgruppe. Vous en souvenez-vous ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Au cours de ces deux derniers jours, j’ai examiné de près ces rapports mensuels. Ces rapports mensuels, j’ai fait à cet égard une constatation fondamentale, portent sur la couverture, en bas à droite, une initiale, Dr Fsch. Ce sont les initiales du Dr Fischer. Ils sont marqués en haut non par moi, mais par le Président du Gouvernement, avec la mention « zu den Akten ». Si j’avais lu ces documents personnellement...

M. DODD

Je ne dis pas que vous ayez mis votre initiale sur ce document, mais je dis que ce document est entré dans votre bureau. En tout cas, il est passé par les mains de votre principal adjoint.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je dois préciser que lorsqu’un document m’était présenté, il portait un signe « présenté au Reichsleiter » et le rapporteur qui me soumettait les documents les marquait d’un signe spécial. Si j’en avais eu connaissance, le document ou le rapport porterait mon paraphe, avec K.g. « Kenntnis genommen », ce qui indiquerait que j’en ai eu effectivement connaissance.

M. DODD

Oui, je voudrais vous rappeler la date de ce rapport : février 1942. Je voudrais vous rappeler également que, dans ce document, Heydrich vous dit combien de Juifs ont été tués à Minsk. Vous avez alors fait un discours en Pologne sur la politique de l’Allemagne, en Pologne ou à l’Est. Vous en souvenez-vous, témoin ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

En Pologne ?

M. DODD

Oui, en Pologne.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je me suis arrêté en passant, en Pologne en 1939, mais je ne crois pas plus tard.

M. DODD

Vous semblez avoir une mémoire particulièrement défaillante aujourd’hui, si vous ne vous rappelez pas avoir prononcé un discours le 24 janvier 1942 à Katowice.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

C’est en Haute-Silésie.

M. DODD

Oui, Haute-Silésie. Vous souvenez-vous de ce discours ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui, j’ai prononcé un discours à Katowice.

M. DODD

N’avez-vous pas parlé de la politique de Hitler dans les territoires de l’Est ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je ne peux pas me rappeler ce que j’ai pu dire. J’ai prononcé beaucoup de discours dans ma vie.

M. DODD

Je vais vous faire montrer le document D-664, qui deviendra USA-873. Vous vous adressiez à un groupe de chefs du Parti et de chefs de la jeunesse allemande ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui.

M. DODD

Au paragraphe 7, vous traitez des tâches de la jeunesse allemande dans l’Est. La Jeunesse hitlérienne avait réalisé une formation politique, conformément aux principes de la politique du Führer à l’Est, et vous dites combien vous êtes reconnaissant au Führer d’avoir tourné le peuple allemand vers l’Est, parce que l’Est est « la destinée de notre peuple ». Comment compreniez-vous la politique orientale du Führer à cette époque ? Ou bien en aviez-vous une connaissance précise ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Ce discours a été prononcé en Haute-Silésie, et je parlais dans un esprit de gratitude pour la récupération de ces provinces.

M. DODD

Ce n’est pas ce que je vous ai demandé. Je vous ai demandé comment vous compreniez alors la politique du Führer, quand vous avez fait ce discours.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Il va sans dire qu’à ce moment donné, sous l’impression de notre victoire sur la Pologne et de la récupération des territoires allemands, j’ai adhéré à la politique orientale.

M. DODD

Vous n’y avez pas seulement adhéré, mais je voudrais savoir si vous compreniez réellement cette politique ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je ne vois pas comment je pourrais répondre à votre question. Il est probable que Hitler avait de la politique orientale une tout autre conception que moi-même.

M. DODD

Ce que je veux tirer au clair, c’est que Hitler vous en a parlé, n’est-ce pas, et peu de temps avant que vous ne fassiez ces discours. Regardez encore un peu le document que vous avez entre les mains, le URSS-172, vous y verrez qu’après votre entretien avec Hitler et Koch sur la déportation des Juifs de Vienne, Hitler vous a dit ce qu’il comptait faire des Polonais. Ce n’est pas une très belle histoire, si vous voulez voir.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Hitler dit ici :

« L’idéal serait ceci : le Polonais n’aura la propriété que de petites parcelles de terres dans le Gouvernement, qui pourront assurer son entretien et dans une certaine mesure celui de sa famille. Quant à l’argent qu’il lui faudra pour l’habillement et les suppléments de ravitaillement, il devra le gagner par son travail en Allemagne. Le Gouvernement devrait devenir un centre de location de manœuvres, en particulier de travailleurs agricoles. L’existence de ces travailleurs devrait être absolument assurée, car ils constitueront toujours une main-d’ œuvre à bon marché. »

La question de la main-d’œuvre agricole polonaise n’était plus discutée.

M. DODD

Permettez-moi de vous lire quelques extraits dont vous n’avez pas parlé :

« Le Führer a souligné ensuite que le Polonais, contrairement au travailleur allemand, est né pour un travail humble, etc. »

« Le niveau de vie des Polonais doit être maintenu très bas. »

A la page suivante :

« Nous, les Allemands, avons d’une part des districts industriels surpeuplés et d’autre part nous manquons de main-d’œuvre pour l’agriculture. C’est là que nous pouvons faire emploi de la main-d’œuvre polonaise. Il serait tout à fait normal, puisqu’il y aurait dans le Gouvernement un excédent de main-d’œuvre, que chaque année des contingents de travailleurs viennent compléter la main-d’œuvre en Allemagne. Il est indispensable qu’il n’y ait pas de propriétaires terriens polonais ; quels qu’ils soient, ils doivent être exterminés, si dur que cela paraisse.

« Il ne doit pas y avoir de mélange de sang avec les Polonais. »

Et il dit ensuite :

« Le Führer souligne encore qu’il ne doit y avoir qu’un seul maître pour les Polonais : l’Allemand. Il ne peut pas y avoir deux maîtres co-existants. C’est pourquoi il faut exterminer tous les représentants de l’Intelligentzia polonaise. Cela semble cruel, mais c’est la loi de la vie. » Arrêtons-nous là-dessus. Vous êtes un homme cultivé, vous l’avez déclaré au Tribunal. Quelle impression vous a fait cette déclaration du Führer ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je n’ai jamais accepté ces conceptions du Führer, et j’ai dit ici même que j’ai interpellé le Führer au sujet de sa politique en Ukraine en 1943. Mais lorsque je parlais de politique orientale à Katowice en 1943, dans Katowice, ville allemande, devant une population allemande, en Haute-Silésie, je ne songeais évidemment pas à la brutale politique polonaise de Hitler.

M. DODD

Mais vous connaissiez cette politique quand vous avez fait ce discours ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je ne m’en suis pas souvenu après deux ans et ce n’est pas là ce que je voulais dire.

M. DODD

Vous aviez oublié que Hitler avait déclaré qu’il devait exterminer les intellectuels que vous deviez être les maîtres de ces gens, qu’il fallait maintenir un niveau de vie particulièrement bas en Pologne ? Vous l’avez si facilement oublié ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Dans ce discours de Katowice dont je me souviens, j’ai parlé de choses absolument différentes, et je suppose que le Ministère Public doit posséder le sténogramme de mon discours. Il n’y a qu’à le déposer. Il ne s’agit que d’un petit extrait.

M. DODD

Mais il s’agit de voir si l’on savait quelle était la politique de Hitler. Je voudrais que vous disiez au Tribunal comment vous avez pu préconiser et louer cette politique devant des jeunes gens et des chefs du Parti au moment de votre discours de Katowice.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

La politique que je proposais aux chefs de la jeunesse n’était pas la politique exposée par Hitler au cours de son toast.

M. DODD

Oui, mais vous avez dit dans votre discours que c’était la politique de Hitler et vous saviez quelle était cette politique. Mais je ne veux pas insister sur ce point, si c’est là votre réponse.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

J’ai déjà expliqué cela à bien des reprises ; j’ai souvent, par un loyalisme mal compris, couvert la politique du Führer. Je sais que c’était une erreur.

M. DODD

C’est bien ce que je voulais savoir. Ainsi vous agissiez sous l’impulsion de votre loyalisme à l’égard du Führer et vous reconnaissez maintenant que c’était une erreur. C’est tout ce que je vous demandais. Si vous le dites au Tribunal, je serai absolument satisfait.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui, je suis prêt à le reconnaître.

M. DODD

Très bien, et cela est valable pour tout ce qui s’est passé, témoin ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Non, ce n’est pas cela.

M. DODD

Ne devriez-vous pas dire au Tribunal que pour votre lettre au Stürmer et toutes les questions relatives aux Juifs dont vous instruisiez les jeunes, quand vous leur inculquiez lentement la haine raciale, pour votre coopération avec les SS et le traitement des Juifs de Vienne, ne devez-vous pas dire que vous êtes responsable de tous ces actes, tous ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Non.

M. DODD

Enfin, je voudrais déposer comme preuve, Monsieur le Président, certains extraits des rapports hebdomadaires des SS, auxquels j’ai fait allusion vendredi. Il y en a 55, Monsieur le Président, qui paraissaient chaque semaine et ils portent le timbre de réception du bureau de cet accusé. Ils remplacent les rapports mensuels qui ont été envoyés jusqu’au moment où ces rapports hebdomadaires ont été institués.

Ils ne sont pas tous traduits et ronéotypés, mais si l’accusé désire en verser d’autres au dossier nous l’autoriserons à le faire. Nous en avons choisi quelques échantillons pour montrer quels genres de rapports étaient contenus dans ces bulletins hebdomadaires.

Le premier que je dépose est le numéro 1 qui commence le 1er mai 1942, puis les numéros 4, 6, 7, 9, 38, 41 et 49.

Dans un souci d’équité, je vais vous expliquer ce dont il s’agit. Outre les rapports relatifs à ce qui se passait avec les Juifs, on trouve dans ces rapports beaucoup de déclarations relatives aux affaires de partisans à l’Est. Ces extraits portent principalement sur le traitement des Juifs. Il n’y a pas beaucoup de rapports sur les partisans. Il y en a quelques-uns cependant qui ont trait aux partisans et non aux Juifs.

Je voudrais vous demander, à propos de ces rapports hebdomadaires, si vous vous rappelez les avoir reçus chaque semaine dans votre bureau ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Mais non, il ne s’agit pas de mon bureau. Mon bureau est le bureau central. Ce bureau, qui était dirigé par le Regierungspräsident, comme les indications portées sur ces dossiers le démontrent, et tout fonctionnaire allemand pourra vous le confirmer, a donc fait parapher ce dossier par un de ses fonctionnaires, l’a présenté au Regierungspräsident qui a apposé sa griffe sur le document, avec la mention « zu den Akten ». Je n’ai pas pu connaître ces dossiers.

M. DODD

Un instant ! Vous étiez le commissaire du Reich pour la défense du territoire dans ce district, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui.

M. DODD

Et voilà le timbre porté sur un rapport hebdomadaire.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui.

M. DODD

Que voulez-vous dire en déclarant que ce n’était pas votre bureau ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Parce qu’on procédait avec le courrier qui me parvenait, exactement comme on procède dans un ministère. Le courrier arrive dans un bureau ministériel, pour moi le bureau central. Il devrait porter un paraphe spécial. Je comprends parfaitement pourquoi le Regierungspräsident, tenant compte de mon surmenage et de ma surcharge de travail, ne me soumettait pas des documents qui n’avaient aucun rapport avec mon travail direct à Vienne, qui ne m’étaient soumis qu’à titre d’information et concernaient pour la plupart les combats contre les bandes en Russie.

M. DODD

Je voudrais à nouveau vous demander, comme je l’ai déjà fait souvent au cours de cet interrogatoire, si Dellbrügge était votre adjoint principal ? Oui ou non ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Oui, c’était un de mes trois représentants.

M. DODD

C’était, par ailleurs, un SS, de même que vos autres assistants principaux, comme nous vous l’avons déjà demandé.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Dellbrügge était un SS-Führer de rang élevé. C’était un homme de confiance tout spécial du Reichsführer SS.

M. DODD

Comment se fait-il qu’il travaillait pour vous ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Il m’avait été imposé.

M. DODD

Monsieur le Président, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de lire des extraits des rapports hebdomadaires ; ils ont été traduits en quatre langues... Ah non, je m’excuse, j’étais mal informé. Je croyais qu’ils avaient été traduits. Je crois qu’il vaudrait mieux que nous les fassions traduire et que nous les versions ensuite au dossier, plutôt que de les lire maintenant.

Je n’ai pas d’autres questions à poser.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous procéder à un contre-interrogatoire ? Je crois que nous ferions mieux de suspendre l’audience maintenant.

(L’audience est suspendue.)
GÉNÉRAL ALEXANDROV (substitut du Procureur Général soviétique)

Reconnaissez-vous que la Jeunesse hitlérienne avait pour mission d’inculquer aux jeunes Allemands, dès l’âge de neuf ans, l’idéologie fasciste ? Vous m’avez entendu ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

J’ai compris que vous m’avez demandé si je reconnaissais avoir inculqué les principes fascistes aux jeunes de dix à quatorze ans de la Jeunesse hitlérienne ?

Comme je l’ai déjà dit il y a quelques jours, je considérais qu’il était de mon devoir d’apprendre aux jeunes Allemands à être de bons citoyens nationaux-socialistes...

LE PRÉSIDENT

Cela ne constitue pas une réponse à la question. Il est inutile de nous indiquer ce que vous avez déjà dit au cours de vos interrogatoires précédents. Répondez à la question : admettez-vous que vous ayez inculqué l’idéologie du Führer à la Jeunesse hitlérienne ? Vous pouvez répondre par oui ou par non.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

S’agissant du fascisme, je ne peux pas répondre par oui. Il y a une grande différence entre le fascisme et le national-socialisme. Je ne peux pas répondre par oui à cette question. J’ai éduqué la jeunesse allemande dans l’esprit du national-socialisme, et je le reconnais.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Je voudrais maintenant que vous confirmiez les réponses que vous avez faites le 16 novembre 1945. Vous avez défini votre attitude à l’égard de Hitler de la façon suivante :

« J’étais un partisan enthousiaste de Hitler et je considérais que tous ses discours et tous ses écrits étaient l’expression de la vérité. » (L’interprète a fait une erreur dans la traduction de cette dernière phrase qu’il a donnée comme suit : « ... et le considérais comme une divinité.) Confirmez-vous vos dires ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je n’ai pas dit cela et d’ailleurs ce procès-verbal ne m’a pas été présenté. Je n’ai jamais parlé de Hitler comme d’une divinité, jamais. Je me rappelle très bien que vous m’avez interrogé à ce sujet et que vous m’avez demandé si j’avais été un partisan enthousiaste. J’ai répondu par l’affirmative et j’ai parlé de l’époque à laquelle je suis entré au mouvement national-socialiste ; mais je n’ai jamais établi la comparaison qu’on me reproche maintenant dans cette traduction. Je n’ai jamais dit que je considérais Hitler comme une divinité.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Vous ne m’avez pas bien compris on ne parle pas ici de divinité. Voici ce que vous avez dit dans votre déposition : « J’étais un partisan enthousiaste de Hitler et je considérais que tous ses discours et tous ses écrits étaient l’expression de la vérité. »

Est-ce que vous confirmez cette déclaration ?

Répondez directement à la question.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

La traduction est tout à fait incorrecte. Je demande que l’on me pose la question à nouveau.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Je répète votre déclaration. « J’étais un partisan enthousiaste de Hitler et je considérais que tous ses discours et tous ses écrits étaient l’expression de la vérité. »

ACCUSÉ VON SCHIRACH

On me reproche d’avoir dit : « J’étais un partisan enthousiaste de Hitler et je considérais que tous ses discours et tous ses écrits personnifiaient la vérité ». C’est ce que j’ai compris et je dois dire que je n’aurais jamais pu proférer une pareille absurdité.

Dr SERVATIUS

Puis-je donner une explication en ce qui concerne la traduction ? A mon avis, la traduction allemande correcte serait :

« Je considérais ce que Hitler disait comme l’expression de la vérité » et non « comme la personnification de la vérité ». Il y a eu une erreur de traduction.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Votre avocat vous a peut-être aidé à répondre à ma question.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Mon général, ce n’était pas mon avocat, mais celui de l’accusé Sauckel.

Si l’on traduit par « expression de la vérité » tout le passage prend alors un sens et correspond à peu près à ce que je vous ai déclaré en ce qui concerne la période de ma jeunesse.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Très bien.

Dans votre livre intitulé La Jeunesse hitlérienne, vous avez écrit à la page 17 : « Le livre de Hitler, Mein Kampf, est notre évangile ». Est-ce exact ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Mais le livre était intitulé autrement : La Jeunesse hitlérienne, son esprit et son organisation. Je voudrais dire, pour commencer, que j’ai écrit ce livre...

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Je vous interromps.

Je n’ai pas besoin d’explications aussi détaillées. Je voudrais simplement que vous répondiez à cette question : cette phrase se trouve-t-elle dans votre livre ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je viens de vous le dire, mais je voudrais ajouter une explication. Dans ce livre, écrit en 1933 et publié en 1934, il y a cette phrase :

« Nous ne pouvions pas encore expliquer en détail le fond de nos opinions. Nous croyions simplement. Lors de la publication de Mein Kampf de Hitler, ce fut pour nous comme la parution d’un évangile que nous apprenions presque par cœur, afin de pouvoir répondre aux questions de ceux qui étaient sceptiques ou qui s’érigeaient en critiques. » Voilà ce que j’ai écrit.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Je voudrais vous poser une autre question encore plus précise : reconnaissez-vous que la Jeunesse hitlérienne était une organisation politique, qui, sous la direction de la NSDAP, en appliquait la politique au sein de la jeunesse allemande ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

La Jeunesse hitlérienne était une grande communauté éducative, établie sur une base politique, mais je n’ai pas à reconnaître qu’elle était dirigée par le Parti. Elle était dirigée par moi. Dans la mesure où j’étais membre du Comité exécutif du Parti, on peut parler d’une influence du Parti ; mais je ne vois pas pourquoi j’aurais à le confirmer, puisque j’ai déjà témoigné à ce sujet.

Il est exact que la Jeunesse hitlérienne était l’organisation des jeunesses du Parti. Si tel est le sens de votre question, je veux bien la confirmer.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

C’était bien là mon but. Je voudrais vous rappeler les normes suivant lesquelles Hitler voulait que l’on procédât à l’éducation de la jeunesse allemande. Il en est question dans le livre de Rauschning, qui a été déjà présenté au Tribunal sous le numéro URSS-378. J’en cite la page 252 : « Dans mes écoles, nous formerons une jeunesse qui fera trembler le monde, une jeunesse rude, exigeante, sans peur et cruelle. Tel est mon vœu. La jeunesse doit posséder toutes ces qualités : elle doit être indifférente à la souffrance et ne doit connaître ni faiblesse ni douceur ; je veux voir luire dans son regard l’éclat fier et orgueilleux d’une bête de proie. »

Vous avez élevé la jeunesse allemande selon ces exigences de Hitler. Vous le reconnaissez ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Non, je n’admets pas les déclarations de M. Rauschning. J’ai assisté tout à fait par hasard à une conversation entre Hitler et Rauschning, et je dois dire que les déclarations contenues dans le livre de celui-ci constituent une reproduction inexacte des propos tenus par Hitler. C’est par hasard que j’ai assisté à cette conversation. Hitler ne m’a pas donné les instructions que Rauschning déclare ici avoir été les principes fondamentaux de l’éducation de la Jeunesse hitlérienne.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Je ne vous demande pas d’explications si détaillées. Je vous demande de répondre plus rapidement pour écourter la durée de cet interrogatoire.

Vous avez affirmé que l’organisation de la Jeunesse hitlérienne n’avait pas pour but de donner un esprit militariste aux jeunes Allemands et ne les a pas préparés aux guerres d’agression futures. Je voudrais vous rappeler quelques-unes des affirmations qui sont contenues dans votre livre La Jeunesse hitlérienne. A la page 83 de ce livre, vous avez écrit — en parlant de la jeune génération :

« Ils sont porteurs des caractéristiques nationales-socialistes. Les fabricants de jouets se désolent de voir que ces enfants n’ont plus besoin de jouets. Ce qui les intéresse, ce sont les campements, les lances, les boussoles et les cartes. Le feu est devenu une particularité de notre jeunesse... Tout ce qui est contre notre unité doit être jeté aux flammes. »

C’étaient également les directives sur lesquelles se basaient les soldats allemands, entraînés dans la Jeunesse hitlérienne, lorsqu’ils mettaient le feu aux maisons de la population des territoires occupés ? Le passage que je viens de lire est bien contenu dans votre livre ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Ce que j’ai sous les yeux est bien contenu dans mon livre. Mais ce que vient de me dire l’interprète ne s’y trouve pas.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Faites vos corrections.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je vais lire le texte exact :

« Les marchands de jouets se sont plaints auprès de moi du fait que les garçons — je parle de ce qu’on appelle le « Jungvolk » — ne désiraient plus de jouets. Leur intérêt se portait exclusivement sur les tentes, les lances, les boussoles et les cartes. Je ne puis rien faire pour les marchands de jouets, car je reconnais avec les garçons que l’époque des Indiens est définitivement révolue.

« Qu’est le « Grand chef indien », le trappeur des forêts de l’Amérique ; à côté d’un de nos Fähnleinsführer ? Un vestige misérable et poussiéreux des vieilles armoires de nos grand-mères. Non seulement les marchands de jouets se plaignent, mais également les fabricants de casquettes pour écoliers. Qui porte encore des casquettes d’écolier ? Qui est encore lycéen ou lycéenne ? Dans certaines villes, des garçons ont attaché toutes leurs casquettes et les ont brûlées publiquement. Le feu est d’ailleurs devenu la spécialité de la jeunesse nouvelle. Les bannières des États voisins du Reich ont été réduites en cendres par notre jeunesse. C’est une philosophie simple mais héroïque : tout ce qui s’oppose à notre unité doit être jeté au feu ». C’est, mon général, la manifestation violente d’une jeunesse qui réalise son unité sociale.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

D’après vous, cette philosophie implique que les enfants ne doivent plus jouer avec des jouets mais doivent se livrer à d’autres activités. Mais je ne vois pas une grande différence entre ma citation et la vôtre.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Permettez-moi de faire remarquer que l’entraînement militaire de la jeunesse allemande, est bien inférieur à celui de la jeunesse de l’Union Soviétique.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

C’est là une comparaison qui est hors de propos. A la page 98, vous dites, en parlant de la Jeunesse hitlérienne :

« Ils s’entraînent pour devenir des soldats politiques. Leur modèle est Adolf Hitler. »

Avez-vous écrit cela ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je n’ai pas ce passage. C’est à la page 98 ?

LE PRÉSIDENT

Le témoin n’a-t-il pas reconnu avoir écrit tout ce livre ?

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Pour ne pas allonger les débats, nous passerons à la question suivante : vous avez déjà parlé ici d’un organisme spécial motorisé, formé au sein de la Jeunesse hitlérienne. Et vous affirmez que cet organisme ne poursuivait que des buts sportifs ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

J’ai également parlé de manœuvres et d’exercices d’unités motorisées dans le cadre de la Jeunesse hitlérienne et j’ai également reconnu qu’il s’agissait d’une formation paramilitaire. Je n’ai pas l’intention de le contester.

LE PRÉSIDENT

M. Dodd a déjà longuement contre-interrogé le témoin sur cette question des unités spéciales de la Jeunesse hitlérienne, et il ne sert vraiment de rien de tout recommencer.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Monsieur le Président, il y a quelques points qui n’ont pas été éclaircis et qui le seront par les questions suivantes : Saviez-vous qu’à la fin de 1938 l’unité motorisée de la Jeunesse hitlérienne comprenait 92 détachements, représentant 100.000 jeunes hommes ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je ne me souviens pas exactement s’il y en avait 92, car ce mot « détachement » (Abteilung), ne servait pas à désigner une formation quelconque de la Jeunesse hitlérienne. J’ai donné les effectifs exacts de la Jeunesse hitlérienne motorisée pour 1938, soit à mon avocat, soit à M. Dodd.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Je parle de 1938 et des 100.000 jeunes gens qui composaient l’organisation motorisée de la Jeunesse hitlérienne. Êtes-vous au courant de cette question ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je ne peux pas dire de mémoire si, en 1938, il y avait 100.000 membres dans les Jeunesses hitlériennes motorisées. Il se peut qu’il y en ait eu 60.000 ou 120.000. Je ne le sais pas. Je n’ai pas de documents pour l’établir.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Oui, mais je cite ces chiffres d’après les articles publiés dans Das Archiv.

Je vous rappellerai maintenant quelle était la mission qui avait été confiée à cette organisation, telle qu’elle était définie dans un numéro de décembre 1934 de ce magazine. Je cite : « L’entraînement du groupe motorisé de la Jeunesse hitlérienne doit se faire dans des sections spéciales d’entraînement et, plus tard, dans des écoles nationales-socialistes spéciales de motorisation ». Je cite cet extrait du livre de documents de la Défense, document n° 20, page 50 du texte russe. Voici la citation :

« L’entraînement du groupe motorisé de la Jeunesse hitlérienne doit se faire dans des écoles spéciales d’entraînement et, plus tard, dans des écoles nationales-socialistes spéciales de motorisation ; mais ceci ne s’applique qu’aux jeunes gens de dix-sept ans au plus. Le programme comprend l’enseignement de la mécanique, le passage du permis de conduire, des exercices en campagne, ainsi qu’un enseignement idéologique. Ceux qui participeront avec succès à ce cours seront admis dans le corps motorisé national-socialiste. »

Cela ne concorde pas tout à fait avec votre affirmation que les buts poursuivis étaient d’ordre sportif ?

LE PRÉSIDENT

Nous avons entendu un long commentaire au sujet de ces unités spéciales, et nous ne désirons pas en entendre davantage. Si vous avez d’autres questions à poser et qui ne l’ont pas été par M. Dodd, nous serons heureux de vous entendre ; mais peu nous importe qu’il y ait eu 60.000, 70.000, 100.000 ou 120.000 jeunes hitlériens dans le corps motorisé.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Ce sont des citations qui n’ont pas encore été lues.

LE PRÉSIDENT

Nous ne voulons pas les entendre, général.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Je passe à la question suivante. Vous avez publié un ordre sur l’entraînement à l’échelle nationale des membres de la Jeunesse hitlérienne, appelé « la Jeunesse hitlérienne au travail ». Cet ordre prévoyait l’enseignement des armes, des exercices de tir, de l’entraînement militaire, des exercices et l’utilisation des instruments topographiques. Connaissez-vous cet ordre ? Estimez-vous qu’il rie se rapporte pas non plus à l’entraînement militaire de la jeunesse allemande ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Au cours de ma déposition de jeudi dernier, j’ai parlé en détail de l’entraînement de la « Jeunesse hitlérienne au travail », et j’ai insisté sur les exercices de tir auxquels sont consacrées quarante pages de cet ouvrage. J’ai fait remarquer à ce propos que ces exercices étaient effectués conformément aux règles internationales du tir sportif, et que le ministère britannique de l’Instruction publique recommandait ces exercices à tous les boy-scouts. Je ne conteste pas avoir écrit ce livre La Jeunesse hitlérienne, et ne nie point qu’il ait servi de base à cet entraînement. Je l’ai déjà dit l’autre jour.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Vous avez nié que la Jeunesse hitlérienne ait joué un rôle important dans la Cinquième colonne en Pologne. Les mêmes méthodes étaient appliquées en Yougoslavie. Le Gouvernement yougoslave a mis à la disposition du Ministère Public soviétique des documents qui établissent le rôle joué par la Jeunesse hitlérienne dans l’organisation de la Cinquième colonne sur le territoire yougoslave. En savez-vous quelque chose ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

La Jeunesse hitlérienne n’a jamais participé aux activités de la Cinquième colonne, ni en Yougoslavie, ni ailleurs.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Je vais citer quelques extraits du rapport officiel yougoslave, qui a déjà été présenté au Tribunal sous le numéro URSS-36 ; je cite la page 3 du texte russe de ce document :

« Le Gouvernement du IIIe Reich et le parti de Hitler ont secrètement organisé la minorité allemande. Depuis 1930, ils disposaient d’une vaste organisation, l’« Union culturelle germano-souabe ». Dès 1932, le Dr Jacob Awender déclarait que cette Union devait être fascisée. En 1935, il fut nommé à la tête d’une organisation active de jeunesse qui, peu après, prit le nom d’ « Organisation de la Renaissance ».

Que savez-vous à ce sujet ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je n’ai aucune déclaration à faire sur les faits que vous venez d’exposer. J’ai su que Bohle y était représenté par quelques chefs des organisations de jeunesse, mais je ne possède pas de détails.

En ce qui concerne la Yougoslavie, je puis vous affirmer que, dès le début de mon activité, j’ai entretenu, dans la période précédant la guerre, des relations très amicales avec la jeunesse yougoslave.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Cela ne m’intéresse pas. Je vais essayer de vous aider à remuer vos souvenirs en citant quelques extraits d’un rapport supplémentaire du Gouvernement yougoslave, qui a été présenté au Tribunal comme document URSS-357. A la page 5, à la troisième ligne du texte russe de ce document, nous lisons :

« En 1937, une tendance au national-socialisme, s’est manifestée au sein des milieux allemands de notre pays, et déjà des groupes de jeunes partaient en Allemagne pour y suivre des cours spéciaux. »

A la page 8, nous lisons que plus tard, mais avant la guerre avec l’URSS, la plupart de ces jeunes devinrent officiers de l’Armée allemande. En outre, une division spéciale de SS, dite « Prince Eugène », fut formée parmi les membres des organisations de jeunesse. Est-ce que vous niez ces faits ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je puis en reconnaître certains, mais je suis obligé d’en nier d’autres. Je vais donner quelques explications. Depuis 1933, je m’efforçais d’entretenir de bonnes relations avec la jeunesse yougoslave. A partir de 1936 ou 1937, j’ai invité des groupes yougoslaves de jeunesse, ainsi que des groupes de jeunesse de tous les pays d’Europe, à venir étudier le fonctionnement des organisations de la jeunesse allemande. Effectivement, des groupes de jeunesse yougoslave se sont rendus à mon invitation. Je ne sais rien de l’enrôlement de la jeunesse yougoslave dans l’Armée allemande, et je n’y crois pas. Tout ce que je puis dire, c’est qu’à l’époque du prince régent Paul, nous collaborions très étroitement avec la jeunesse yougoslave. Pendant la guerre, nous avons maintenu ces bonnes relations avec les jeunesses serbe et croate. La jeunesse allemande visita la Serbie et la Croatie, tandis que les jeunesses serbe et croate vinrent participer à des camps de jeunesse en Allemagne, aux travaux de différentes écoles de cadres, et purent étudier nos institutions. C’est, je crois, tout ce que je puis dire à ce sujet. Mais nous entretenions des relations amicales non seulement avec la Yougoslavie, mais également avec de nombreux autres pays.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Vous ne m’avez pas bien compris. Je ne parlais pas de la jeunesse yougoslave ou croate, mais de la jeunesse de la minorité allemande de Yougoslavie, mentionnée dans ce rapport et qui, avec l’aide de la Jeunesse hitlérienne, créa des centres de la Cinquième colonne, destinés à engager des agents dans des activités subversives et à recruter pour les SS et la Wehrmacht. C’est de cela que je parlais. Connaissez-vous ces faits ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je sais qu’il y avait des jeunes parmi la minorité allemande de Yougoslavie, tout comme en Roumanie ou en Hongrie. Je sais que cette jeunesse allemande sentait qu’elle appartenait à la Jeunesse hitlérienne, et je crois qu’il est tout à fait naturel que ces jeunes aient accueilli les troupes allemandes avec enthousiasme. Je ne peux pas donner de détails sur les rapports qui ont pu exister entre ces jeunesses et nos troupes, mais il est tout à fait naturel qu’il y en ait eu. Bien entendu, il ne s’agissait pas là d’une collaboration sur le plan militaire, mais de cette sorte de coopération qui se produit toujours entre les forces d’occupation et la jeunesse appartenant au même pays ou à la même nationalité qu’elles. Mais cela n’a aucun rapport avec l’espionnage ou une autre activité de ce genre.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Mais la plus grande partie de la division SS « Prince Eugène », formée en territoire yougoslave, était composée de membres de la Jeunesse hitlérienne appartenant à la minorité allemande de Yougoslavie, et c’était là le résultat des travaux préparatoires de la Jeunesse hitlérienne. Est-ce que vous le reconnaissez ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je ne connais pas le mode de recrutement des nombreuses divisions de Waffen SS. Il se peut qu’on ait recruté certains éléments de la minorité allemande, mais je ne puis rien dire de précis à ce sujet.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Je vais citer des extraits de deux documents allemands qui n’ont pas encore été présentés au Tribunal. Le premier est celui d’un livre du Dr Janko Sepp, responsable de la Jeunesse yougoslave, et qui est intitulé Discours et articles. Je lis :

« Tout le travail national que nous avons effectué jusqu’au 1er septembre 1939 dépendait de l’aide du Reich. Quand la guerre fut déclarée le 1er septembre 1939 et qu’il apparût tout d’abord qu’il serait impossible de recevoir de l’aide, il y eut un grand danger de voir tout notre travail interrompu. » Et, plus loin : « Le fait d’avoir, dans l’intérêt de cette cause, mis à la disposition du Führer presque tout le groupe national allemand de l’ ex-État yougoslave et de lui avoir donné tant de soldats volontaires, provoque chez moi un profond sentiment de fierté ».

Je présente ce document sous le numéro URSS-459.

L’autre extrait est tiré d’un article : « Nous autres à Batschka », écrit en 1943 par Otto Kohler, qui était le chef de la jeunesse allemande de cette région. Dans cet article, que je dépose sous le numéro URSS-456, Otto Kohler écrivait :

« 90% de notre jeunesse sont membres des organisations de la Jeunesse hitlérienne. »

Ces déclarations devraient vous convaincre que l’activité subversive et l’organisation de la Cinquième colonne, ainsi que la « nazification » de la minorité allemande et son enrôlement dans les unités militaires ont été, en Yougoslavie, l’œuvre de la Jeunesse hitlérienne. Répondez par oui ou par non.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Non. Mais je voudrais commenter ces documents. Je ne connais ni le nom ni la personne de ce Dr Janko Sepp, qui aurait été le chef de la communauté allemande en Yougoslavie. J’ai fait plusieurs voyages en Yougoslavie, mais ni en 1937 — époque à laquelle j’y suis allé, je crois, pour la première fois — ni en 1938, lors de ma visite au prince régent Paul, je ne me suis occupé de la jeunesse allemande de ce pays ni de ses chefs. Je n’ai vu alors que des jeunes de nationalité yougoslave. C’est tout ce que j’ai à dire à propos du premier document qui, d’ailleurs, ne concerne nullement la jeunesse.

Quant au second document, qui est signé par un certain Otto Kohler qui se dit « D.J. Führer » (probablement chef de la jeunesse allemande) du secteur n° 7, tout ce que je puis en dire c’est que c’est extrait d’un livre sur la jeunesse allemande en Hongrie, publié en 1943. Il y avait dans la région du Batschka une colonie allemande qui y était depuis cent-cinquante ou deux cents ans, et le chef en question y organisa la jeunesse allemande avec l’autorisation du Gouvernement hongrois et du ministre de l’Instruction publique de Hongrie, ainsi qu’avec la collaboration d’autres organismes hongrois. C’était là une mesure tout à fait légale, au sujet de laquelle il n’y avait aucune controverse entre les deux pays. Ces jeunes n’étaient pas membres de la Jeunesse hitlérienne allemande, mais ils appartenaient à des groupes de jeunesse hongrois, comprenant la minorité allemande de Hongrie.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

La direction de la Jeunesse hitlérienne n’entretenait-elle pas des rapports avec les organisations similaires à l’étranger ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Bien entendu. Lorsque, par exemple, je fus invité à Budapest, les Hongrois eux-mêmes me proposèrent de visiter un village de la minorité allemande et d’y entrer en contact avec la jeunesse. Ni le régent, ni une autre autorité gouvernementale ne s’y opposaient. Je n’avais aucune raison de demander aux chefs de la jeunesse allemande de Hongrie de s’engager dans des activités d’espionnage. J’aurais pu m’adresser aussi bien à des chefs de la Jeunesse hongroise avec qui j’étais en très bons termes.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Qui dirigeait la Jeunesse hitlérienne à l’étranger ? Il y avait une section étrangère spéciale au sein de la direction de la Jeunesse hitlérienne ; son rôle n’était-il pas de diriger les organisations de la jeunesse allemande à l’étranger ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Ce n’est pas exact. Le « service étranger » de la direction de la jeunesse du Reich était pour ainsi dire le ministère des Affaires étrangères de la jeune génération. Son rôle était de maintenir des contacts avec d’autres organisations nationales de jeunesse. Il invitait les chefs des organisations de jeunesse étrangères, organisait des excursions de jeunesses étrangères à travers l’Allemagne et s’occupait des visites des jeunesses allemandes à l’étranger. Dans ces cas-là, la direction de la jeunesse du Reich s’adressait au ministère des Affaires étrangères qui, de son côté, s’adressait à l’ambassadeur de l’État intéressé. L’organisation de la jeunesse à l’étranger dont nous parlons maintenant était subordonnée à l’organisation des Allemands à l’étranger, dirigée par le Gauleiter Bohle, qui a déjà témoigné devant ce Tribunal. Cette jeunesse de l’étranger était composée de ressortissants allemands qui formaient des unités de la Jeunesse hitlérienne dans les pays où ils résidaient. C’est ainsi, par exemple, qu’à Budapest, les enfants de la colonie allemande...

LE PRÉSIDENT

Accusé, il n’est certainement pas nécessaire de faire un aussi long discours à ce sujet.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Vous entrez dans trop de détails. Passons à la question suivante : au sein du ministère des territoires occupés de l’Est, il a été créé un service spécial de jeunesse. Que savez-vous des activités de ce service et de ses relations avec la direction de la Jeunesse hitlérienne ? Veuillez répondre brièvement.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je puis dire que lorsqu’on a créé le ministère du Reich pour les territoires occupés de l’Est, le Reichsleiter Rosenberg fit savoir qu’il désirait que le chef de la jeunesse du Reich mît à sa disposition un fonctionnaire capable de s’occuper du service de la jeunesse du nouveau ministère. On a alors nommé ce fonctionnaire, qui a été intégré dans ce ministère et a dirigé le service en question. Il était naturellement responsable devant le ministre des territoires occupés de l’Est. C’est tout ce que je puis dire à ce sujet. Les rapports envoyés par cette section ne me parvenaient jamais.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Vous voulez dire que la direction de la Jeunesse hitlérienne a nommé un représentant à un poste du ministère des territoires occupés de l’Est et que ce personnage n’avait aucun compte à rendre à ladite direction centrale ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Mon général, je voulais dire que ce chef de service, ce fonctionnaire du ministère des territoires occupés de l’Est qui venait de la Jeunesse hitlérienne, ne me rendait pas de comptes. Il en rendait naturellement à ses supérieurs immédiats de la direction de la Jeunesse hitlérienne. Celle-ci était située à Berlin, et je suppose que son personnel était en contact permanent avec lui.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Si je comprends bien, les mesures qui étaient exécutées par le service de la jeunesse du ministère du Reich des territoires occupés de l’Est, l’étaient au su de la direction de la Jeunesse hitlérienne ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Les mesures prises là-bas étaient appliquées conformément aux directives du ministre du Reich qui était le supérieur immédiat de ces fonctionnaires. En ce qui concerne les mesures relatives aux questions de la jeunesse, je suis sûr qu’elles faisaient l’objet d’échanges de vues entre ce fonctionnaire et la direction de la jeunesse du Reich. C’est toujours le ministre qui est responsable du fonctionnaire placé sous ses ordres, et non pas l’organisation dont il arrive que ce fonctionnaire soit détaché.

GÉNÉRAL alexandrov

Je comprends. A la question qui vous a été posée par votre avocat à propos de la participation de la Jeunesse hitlérienne aux atrocités commises à Lwow, vous avez répondu que le témoignage de la citoyenne française Ida Vasseau, contenu dans le rapport de la Commission extraordinaire d’État, était inexact. Monsieur le Président, le Ministère Public soviétique a eu l’occasion d’interroger le témoin Ida Vasseau. L’avocat de l’accusé von Schirach a également procédé à un interrogatoire. Je présente maintenant au Tribunal des extraits du témoignage du témoin Ida Vasseau, daté du 16 mai 1946, sous le numéro URSS-455. Je cite :

« Les atrocités commises contre les populations juive et soviétique de Lwow n’ont pas seulement été le fait d’Allemands adultes et de vieux nazis, mais également de jeunes Allemands appartenant à l’organisation de la jeunesse fasciste de Lwow. Ces jeunes, en uniforme, armés de gourdins, de couteaux de chasse, et souvent de revolvers, parcouraient les rues, faisaient irruption dans les appartements des Juifs, y brisaient tout ce qu’ils y rencontraient et assassinaient les habitants, y compris les enfants. Souvent, ils arrêtaient dans la rue des enfants qui leur semblaient suspects et, après les avoir traités de « sales Juifs », les abattaient sur-le-champ. La Jeunesse hitlérienne s’occupait souvent de repérer les lieux habités par les Juifs, pourchassait les Juifs qui se cachaient, attaquait des passants innocents dans les rues, les tuant sur place s’ils étaient juifs et livrant les autres à la Gestapo. Leurs victimes étaient souvent des Polonais, des Russes, des Ukrainiens et des citoyens d’autres pays.

« Ce régime de terreur organisé par les Allemands jeunes et adultes, se poursuivit jusqu’au dernier jour de l’occupation allemande de Lwow. Leur intention d’anéantir complètement les Juifs était particulièrement évidente lorsque l’on considère les actions contre les ghettos où des enfants d’âge divers étaient tués systématiquement. On les réunissait dans des maisons spéciales, et lorsqu’ils étaient en nombre suffisant, la Gestapo, soutenue par la Jeunesse hitlérienne, procédait à leur exécution. »

Donc, la Jeunesse hitlérienne, au service de l’Armée allemande, des SS et de la Gestapo, prit part à l’exécution de ces atrocités. Le reconnaissez-vous ?

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Je ne crois pas un mot de tout ce qui est relaté dans ce document.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

C’est votre affaire. Monsieur le Président, je présente au Tribunal le document URSS-454 qui est l’extrait d’un témoignage du prisonnier de guerre allemand Gert Bruno Knittel. Celui-ci, chapelier de son métier, est né en 1924 en Saxe. Après 1938, il devint membre de la Jeunesse hitlérienne ; sa sœur Ursule fut également membre de la ligue des jeunes filles nationales-socialistes. En 1942, c’est-à-dire lorsqu’il avait dix-huit ans, il fut enrôlé dans l’Armée allemande. Il est, par Conséquent, un représentant typique de la Jeunesse hitlérienne, et son témoignage n’en a que plus d’intérêt. Voici ce qu’il raconte sur son service dans l’Armée allemande ; je cite :

« Au moins deux fois par semaine nous étions chargés de nettoyer les forêts... »

Dr SAUTER

Monsieur le Président, je me vois obligé d’élever une protestation contre l’utilisation de ce document dont je viens de recevoir une copie. Ce texte, que j’ai en mains, ne fait pas ressortir l’existence d’une signature et, en outre, ne permet de constater ni l’identité de la personne qui l’a rédigé, ni le fait que cette rédaction a été faite sous la foi du serment. Je maintiens mon objection jusqu’à ce que ces questions aient été élucidées. Pendant que j’y suis, Monsieur le Président, je voudrais faire une remarque au sujet du document qui vient d’être lu, à savoir le témoignage d’Ida Vasseau, dont le nom, tel qu’il est écrit ici, est difficile à déchiffrer. Je suppose que ce témoin est le même que la ressortissante française Ida Vasseau, à laquelle on a avec la permission du Tribunal, envoyé un questionnaire et ce, depuis un certain temps déjà. Nous attendions toujours les réponses à ce questionnaire et nous recevons aujourd’hui ce procès-verbal du 16 mai 1946 qui, apparemment, se rapporte au même témoin. Il est évident que...

LE PRÉSIDENT

Je n’ai pas très bien saisi ce que vous venez de dire. Dites-vous que vous avez adressé un questionnaire à la personne qui est censée avoir établi ce document ?

Dr SAUTER

Le Tribunal m’a permis d’envoyer un questionnaire à une Française qui s’appelle Ida Vasseau ; j’épelle le nom : V-a-s-s-e-a-u. C’est une Française qui travailla dans un établissement à Lwow et dont le nom est cité dans le rapport de la commission de Lwow. Vous vous souviendrez peut-être, Monsieur le Président, qu’un de ces rapports mentionne que des enfants étaient tirés du ghetto et livrés à la Jeunesse hitlérienne qui s’en servait comme cibles. C’est Ida Vasseau qui a fait cette déclaration et je suis sûr que c’est elle-même qui est mentionnée dans ce rapport du 16 mai 1946. Ce qui est curieux, c’est que, dans ce rapport, elle ne répond pas aux questions qui sont posées dans le questionnaire, mais procède à d’autres affirmations qui ne sont manifestement pas contenues dans l’autre rapport de Lwow. C’est une affaire très mystérieuse et je crois que je ferais tort à l’accusé von Schirach si je n’attirais pas l’attention du Tribunal sur ces contradictions.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Puis-je donner des explications ?

LE PRÉSIDENT

Nous aimerions avoir une réponse détaillée à l’argumentation que vient de faire le Dr Sauter.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Ida Vasseau, dont j’ai lu des extraits de son témoignage, est certainement la personne dont parle le Dr Sauter. Je ne sais pas à qui, ni par l’intermédiaire de qui l’interrogatoire a été envoyé, mais ce n’est pas par notre service. Ida Vasseau a été interrogée sur notre propre initiative et nous n’avons pu le faire que le 16 mai. Nous n’avons pas reçu d’interrogatoire spécial et nous n’aurions pu en envoyer, car...

LE président

Je n’ai ici ce document qu’en allemand, et il ne semble pas être signé par une personne nommée « Vasseau ». Je ne sais s’il a trait à l’une quelconque des déclarations qu’Ida Vasseau est présumée avoir faites.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Ce document est signé.

LE PRÉSIDENT

Je vous ai dit qu’il n’était pas signé par Ida Vasseau.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Ce document est signé par Ida Vasseau et porte également les signatures de ceux qui ont procédé à l’interrogatoire : le chef de la Police judiciaire de Lwow, Kryzanowsky, et le procureur attaché au Parquet de Lwow, Kornetov. Cet interrogatoire a été fait le 16 mai 1946.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous regarder ce document et voir si c’est celui dont vous parlez ?

GÉNÉRAL ALEXANDROV

C’est bien cela ; ce sont des extraits de l’interrogatoire d’Ida Vasseau.

LE PRÉSIDENT

C’est le même document ?

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Oui, c’est bien le même.

LE PRÉSIDENT

Est-ce l’original que vous avez devant vous ?

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Non. C’est un extrait du procès-verbal certifié conforme par le chef de la documentation de la Délégation soviétique, le colonel Karev. Ce n’est pas le procès-verbal original de l’interrogatoire. Ce ne sont que des extraits.

LE PRÉSIDENT

Dites-vous que c’est un document admissible conformément à l’article 21 du Statut, ou bien quels arguments faites-vous valoir en sa faveur ?

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Nous le présentons. Si le Tribunal estime qu’il est nécessaire de se procurer l’original, qui se trouve actuellement à Lwow, nous pourrons le faire venir rapidement. Si le Tribunal ne veut pas se contenter de ces extraits, nous pourrons lui présenter le texte intégral.

LE PRÉSIDENT

Voudriez-vous nous donner des détails sur ce document ? Est-ce un affidavit ? A-t-il été rédigé sous la foi du serment ? A-t-il été établi devant un fonctionnaire officiel de l’Union Soviétique ?

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Il y a ici une note définissant la responsabilité encourue pour faux témoignage, prévue à l’article 89 du code pénal de l’Ukraine. Cet avertissement est conforme aux exigences de la procédure légale en vigueur dans l’Union Soviétique, et a été notifié à Ida Vasseau, comme le montre une mention spéciale apposée sur le document.

LE PRÉSIDENT

Prétendez-vous que c’est un document qui tombe sous le coup de l’article 21 du Statut ?

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Oui, mais si le Tribunal le juge nécessaire, nous serons à même de lui présenter l’original. Je demande maintenant au Tribunal s’il veut bien accepter les extraits de ce procès-verbal, qui ont été certifiés conformes par le chef de notre service des documents.

LE PRÉSIDENT

Docteur Sauter, quelle est la date à laquelle le Tribunal a autorisé l’envoi de votre questionnaire et à quelle date l’avez-vous envoyé à ce témoin ?

Dr SAUTER

Monsieur le Président, mon questionnaire porte la date du 11 avril.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Le questionnaire n’a pas pu être envoyé, parce que nous ignorions alors où se trouvait Ida Vasseau. Nous l’avons su récemment seulement.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous dire que le questionnaire n’a pas encore été soumis à la personne qui a fait cette déclaration ?

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Le questionnaire n’a pas pu arriver à destination car, je le répète, ce n’est que tout dernièrement que nous avons su où se trouvait Ida Vasseau.

LE PRÉSIDENT

Mais, lorsque vous avez découvert l’endroit où se trouvait Ida Vasseau, vous pouviez lui envoyer le questionnaire.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Oui, oui. On peut le lui envoyer. On peut le faire maintenant si c’est nécessaire.

Dr SAUTER

Monsieur le Président, puis-je attirer votre attention sur le fait suivant : cette dame Ida Vasseau se trouvait à Lwow au moment où elle a fait la déclaration qui est reproduite dans le rapport de la Commission. C’est ce qui ressort du procès-verbal ; je crois que c’est le numéro URSS-6, mais je n’en suis pas tout à fait sûr. Le 16 mai de cette année, cette dame Vasseau se trouvait également à Lwow ; son domicile n’était pas inconnu puisqu’elle a été interrogée ce jour-là. Je m’étais mis d’accord avec le Ministère Public sur la forme du questionnaire qui devait lui être envoyé. On a d’abord dit que les questions impliquaient trop les réponses, ou quelque chose de ce genre. Mais nous nous sommes mis d’accord, et j’ai modifié les questions que j’ai présentées au Tribunal en tenant compte des désirs exprimés par le Ministère Public ; de sorte que, si la Délégation soviétique y consent, Ida Vasseau pourrait être interrogée à n’importe quel moment. Ce qui est curieux, c’est que dans cette seconde déclaration, cette dame témoigne sur un sujet tout à fait différent de celui qu’elle a traité dans sa déclaration antérieure, tout différent également de ce qu’on lui demandait dans le questionnaire. Je pense qu’il vaudrait peut-être mieux qu’Ida Vasseau soit interrogée ici.

LE PRÉSIDENT

Un instant. De quelle déclaration antérieure parlez-vous ?

Dr SAUTER

Je parle de la déclaration contenue dans le rapport de la Commission de Lwow. Celui-ci a été lu ici ; il y est dit justement que la Jeunesse hitlérienne aurait commis ces atrocités à l’égard des enfants. C’est de cela que parle mon questionnaire dont le Tribunal a autorisé l’envoi.

LE PRÉSIDENT

Voyons, général, le questionnaire soumis par le Dr Sauter a-t-il été présenté au témoin Ida Vasseau ?

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Non, on ne le lui a pas envoyé. Permettez-moi de revenir au point de départ de cette affaire. Le Ministère Public soviétique a présenté un document, le rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les atrocités allemandes commises dans la ville de Lwow, qui comprenait la déclaration d’Ida Vasseau ; personne ne l’a alors interrogée. Elle y déclare comment elle a vu la Jeunesse hitlérienne utiliser de petits enfants comme cibles. Ce document a été accepté par le Tribunal. Alors, de par notre initiative — le questionnaire du Dr Sauter ne nous est pas parvenu et nous ne l’avons pas envoyé — on a découvert le domicile d’Ida Vasseau. Elle a été interrogée par des juges d’instruction et confirma le témoignage qu’elle avait apporté devant la Commission extraordinaire d’État. Je présente maintenant au Tribunal des extraits de son interrogatoire du 16 mai, dans lequel elle donne certains détails sur le traitement des enfants par la Jeunesse hitlérienne.

LE PRÉSIDENT

Nous comprenons très bien tout cela, mon général, mais la question est de savoir pourquoi le questionnaire, daté du mois d’avril, autorisé par le Tribunal et approuvé par le Ministère Public, n’a pas été soumis au témoin avant son interrogatoire qui date du mois de mai ? Ce document est daté du 16 mai 1946, n’est-ce pas, Docteur Sauter ? Le Dr Sauter nous dit que le questionnaire autorisé par le Tribunal datait d’avril.

GÉNÉRAL ALEXANDROV

Je ne sais pas où le Dr Sauter a envoyé son questionnaire. Il n’est pas passé par nos services. Je répète que nous ne l’avons pas envoyé et aurions bien été en peine de le faire, étant donné que nous ne savions pas où se trouvait Ida Vasseau. Nous avons fait nous-mêmes des démarches pour le savoir et, dès que nous l’avons trouvée, nous l’avons interrogée ; c’était le 16 mai.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal va lever l’audience.

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.)