CENT TRENTE-NEUVIÈME JOURNÉE.
Lundi 27 mai 1946.
Audience de l’après-midi.
(L’accusé von Schirach est à la barre des témoins.)Général Alexandrov, le Tribunal n’admettra pas le document pour le moment, mais il désire pourtant que vous produisiez le document original en même temps que les réponses aux questionnaires qu’il a ordonnés. Le Tribunal demandera ensuite au Secrétaire général de faire un rapport sur l’ensemble de la question.
Monsieur le Président, j’ai eu la possibilité, pendant la suspension de l’audience, de parler au Dr Sauter qui m’a déclaré qu’il me donnerait le questionnaire, et nous ferons le nécessaire pour que les indispensables réponses du témoin nous parviennent au plus vite. De même, pour déférer au désir exprimé par le Tribunal, l’original du procès-verbal des dépositions du témoin Vasseau sera produit dès que possible. Puis-je poursuivre mon interrogatoire ?
Certainement, je vous en prie.
J’en suis resté à la déposition de Gert Bruno Knittel. Voici ce qu’il a déclaré relativement à son service dans la Wehrmacht : « Au moins deux fois par semaine, on nous a fait « écumer » les forêts, organiser des battues contre les partisans ou contre les gens qui, dans les localités, se montraient hostiles au régime allemand, pour les arrêter et les fusiller. Notre 3e compagnie rencontra en forêt cinq personnes et les passa par les armes. Ce n’étaient peut-être pas des partisans, mais simplement des habitants qui avaient quelque chose à faire dans la forêt. Mais nous avions l’ordre de fusiller tous ceux que nous rencontrerions en forêt. J’ai tiré sur ces gens, comme tous les autres soldats de ma compagnie. Lors de la battue de Lischaysk, en juin 1943, toute la localité fut cernée par trois ou quatre compagnies, afin que personne ne puisse ni entrer, ni sortir du village. Au dehors de chaque maison à visiter... »
Général, vous êtes en train de contre-interroger l’accusé von Schirach, qui était à Vienne. Qu’est-ce que ce document a à voir avec cela ?
Il s’agit de la déposition d’un membre des Jeunesses hitlériennes sur sa participation aux crimes commis dans les territoires occupés pendant son service dans la Wehrmacht. Ce document est traduit en langue allemande et je pourrais m’abstenir d’en donner lecture. Je voudrais pourtant que l’accusé von Schirach en eût connaissance. Je vous demande, témoin, si vous avez lu ce document ?
Je l’ai lu. Ce Knittel, qui a fait cette déposition, n’est pas membre des Jeunesses hitlériennes, mais probablement du service du Travail ou d’une unité quelconque de la Wehrmacht. Comme tous les jeunes Allemands, il a été antérieurement membre des Jeunesses hitlériennes. Il l’admet, certes ; mais ici, en l’espèce, il a agi en tant que membre d’une unité quelconque de la Wehrmacht et non comme membre des Jeunesses hitlériennes. Toute la déposition me paraît d’ailleurs peu digne de foi. Il parle, par exemple, d’un parti des Jeunesses hitlériennes...
Avez-vous lu en entier la déposition que voici ?
Oui.
Reconnaissez-vous, à ce sujet, que la participation des Jeunesses hitlériennes à de telles atrocités était due à une formation adéquate qui leur avait été donnée ?
Non, je ne l’admets pas.
J’ai encore, pour terminer, deux autres questions à vous poser : jusqu’à quelle époque avez-vous rempli les fonctions de gouverneur de Vienne (Reichsstatthalter) et de Reichsleiter des Jeunesses hitlériennes ?
J’ai été Reichsleiter de l’Éducation de la jeunesse depuis 1931, et gouverneur du Reich pour la cité de Vienne depuis 1940.
Il m’intéresse de savoir jusqu’à quel moment ?
J’ai occupé les deux postes jusqu’à la débâcle.
Vous avez longuement raconté ici votre rupture avec Hitler en 1943. Vous avez déclaré que, dès ce moment, politiquement vous étiez mort. Pourtant, vous avez conservé ces postes jusqu’à la débâcle. Votre rupture avec Hitler n’existait donc que théoriquement car, en réalité, elle n’a entraîné pour vous aucune conséquence. Est-ce juste ?
A mon audition de jeudi ou vendredi, j’ai dépeint les conséquences qui en ont résulté pour moi. J’ai également déclaré que, jusqu’au dernier moment, je suis resté fidèle au serment prêté à Hitler, comme chef de la jeunesse, comme fonctionnaire et comme officier.
Je n’ai plus de questions à poser, Monsieur le Président.
Monsieur le Président, pour gagner du temps, je voudrais simplement poser deux brèves questions à l’accusé von Schirach.
Le première question, témoin, est la suivante : on vous a demandé, au cours du contre-interrogatoire, si c’était vous qui aviez donné l’ordre de tenir à Vienne jusqu’au bout et de défendre la ville jusqu’au dernier homme. Autant que je sache, vous avez répondu non. Il m’intéresserait de savoir maintenant quels ordres vous avez donnés à cet égard à vos subordonnés au cours des derniers jours de Vienne, notamment au Gauleiter adjoint Scharizer et au bourgmestre Blaschke.
L’ordre de défendre Vienne est venu de Hitler. La défense de Vienne incombait aux autorités militaires, donc au commandant de la place de Vienne, ensuite au commandant d’armée qui commandait la 6e armée blindée SS...
Du nom de ?
Sepp Dietrich, et au commandant du groupe d’armées du sud, le général Rendulic.
En ont-ils donné l’ordre ?
Ils ont défendu Vienne en exécution de l’ordre donné par Hitler.
Quels sont les ordres que vous, témoin, avez donnés à vos subordonnés sous ce rapport ?
En ce qui concerne la défense de Vienne, je me suis contenté de donner des ordres qui se rapportaient au Volkssturm, c’est-à-dire au ravitaillement de la ville, et aux autres tâches qui m’incombaient. Je n’avais personnellement rien à voir à la défense de la ville. Les destructions qui, forcément, se sont produites au cours des mesures de défense, sont imputables aux ordres qui furent donnés par le Quartier Général du Führer au commandant du groupe d’armées et au commandant de la Place.
Une seconde question, témoin : lors de votre contre-interrogatoire, on vous a interrogé sur le document PS-3763 ; je répète : PS-3763. Il s’agit du document relatif aux chants des Jeunesses hitlériennes et auxquels les représentants du Ministère Public donnent une interprétation toute autre que celle que vous avez énoncée. Avez-vous quelque chose à ajouter à cet égard ?
Oui, je vais compléter brièvement.
Je vous en prie.
L’Accusation me reproche une chanson qui commence par : « Nous sommes les hordes noires de Geyer » et dont le refrain est : « Piquez devant, à gauche, à droite, et fixez un coq rouge sur le toit du cloître ! » Et un vers dit ceci : « Nous allons nous plaindre au Seigneur dans les cieux, et nous allons assommer les prêtres ». Ce chant est un chant d’église.
Comment cela ?
C’est ce qui découle des couplets quatre et cinq. Ce n’est pas autre chose que la chanson des paysans protestants sous Florian Geyer. Le quatrième couplet dit : « Sus aux châteaux, abbayes, monastères ! Rien ne vaut plus pour nous que l’Écriture sainte ! » Et le couplet suivant : « Une loi égale pour tous, c’est ce que nous voulons, du prince jusqu’au paysan ! » Le protestantisme aussi fut un jour une révolution. Les paysans révoltés ont chanté cette chanson, et cela peut servir d’exemple — cette chanson du XVIe siècle, aussi bien que maintes chansons de la Révolution française — du fait que toute révolution commence d’une façon radicale et non par la tolérance.
Monsieur le Président, j’en ai terminé avec mon interrogatoire de l’accusé von Schirach. Je vous remercie. Je n’ai pas d’autres questions à poser.
Qui étaient vos principaux collaborateurs à Vienne ?
D’abord le chef de mon bureau central, Höpken ; en second lieu, le Regierungspräsident, Dr Dellbrügge ; troisièmement, le bourgmestre de Vienne, Blaschke ; quatrièmement, le Gauleiter adjoint Scharizer. C’étaient là mes principaux collaborateurs.
Cela en fait quatre, n’est-ce pas ?
Oui.
Ils n’ont rempli ces fonctions que de votre temps, avec vous ?
Pas tous. Le Gauleiter adjoint occupait déjà ces fonctions sous mon prédécesseur Bürckel ; quant à Blaschke, autant que je me souvienne, il ne devint bourgmestre qu’en 1943. Son prédécesseur était un certain M. Jung. Quant au Regierungspräsident Dr Dellbrügge, il fut nommé en 1940, après mon arrivée à Vienne. Il m’avait été envoyé par le Reich.
Ainsi donc, dès votre entrée en fonctions à Vienne, ces quatre hommes étaient sous vos ordres, n’est-ce pas ?
Oui. J’ajouterai que le chef du bureau central, Höpken, que j’ai déjà nommé, fut d’abord mon aide de camp, et qu’il ne devint chef du bureau central, qu’après que le précédent titulaire, l’Obergebietsführer Müller, fut tué au cours d’une attaque aérienne.
Lequel de ces quatre a signé les rapports hebdomadaires que vous receviez ?
C’était le Regierungspräsident Dr Dellbrügge.
Dellbrügge ?
Oui.
Et, à l’époque où il recevait ces rapports, il était, dans votre administration, l’un de vos principaux collaborateurs ?
Il était mon adjoint dans l’administration de l’État.
C’étaient là vos fonctions ?
C’était un de mes services.
C’est-à-dire une division de votre administration, n’est-ce pas ?
Oui. Permettez-moi de préciser une fois encore : il y avait quatre piliers : l’administration de l’État, l’administration municipale, la direction du Parti et le commissariat de la Défense nationale. Le commissariat de la Défense (du Reich) et l’administration de l’État fusionnaient quant au personnel et ses représentants. Le tout était centralisé au bureau central.
Bien. A quel service appartenait ce principal collaborateur qui paraphait les documents ?
Il était occupé à la Reichsstatthalterei, au Gouvernement, en qualité de chef de l’administration de l’État.
De l’administration civile ?
De l’administration civile de l’État.
Et il était aussi commissaire adjoint à la Défense ?
Oui.
Et vous étiez le commissaire de la Défense (du Reich) pour la XVIIe région militaire, n’est-ce pas ?
Oui.
Et il était votre adjoint pour cette région militaire ?
Oui.
Et c’est lui qui, dans ce service, recevait ces rapports et les paraphait ?
Oui.
Le témoin peut retourner au banc des accusés.
Monsieur le Président, avec votre permission, j’appelle maintenant à la barre le témoin Lauterbacher.
Veuillez donner vos nom et prénom.
Hartmann Lauterbacher.
C’est votre nom entier ?
Lauterbacher.
Voulez-vous répéter après moi ce serment : « Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien. » (Le témoin répète le serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Monsieur Lauterbacher, je vous ai déjà parlé de ces affaires à la prison, n’est-ce pas ?
Oui.
Je vous prie d’attendre un peu avant de répondre afin que les traducteurs puissent suivre.
Oui.
Quand êtes-vous né ?
Le 24 mai 1909.
1909 ?
Oui.
Vous êtes marié ?
Oui.
Vous avez trois enfants ?
Oui.
Quelle est votre profession ?
Droguiste.
Droguiste, commerçant ?
Oui.
Vous êtes prisonnier des Américains ?
Des Anglais.
Depuis quand ?
Depuis le 29 mai 1945.
-Est-ce que le Ministère Public vous a déjà interrogé à ce sujet ?
Non.
Quand avez-vous été nommé fonctionnaire rétribué aux Jeunesses hitlériennes ?
Je suis devenu fonctionnaire rétribué des Jeunesses hitlériennes lorsque j’ai été nommé Gebietsführer du territoire Westphalie-Bas-Rhin.
Quand était-ce ?
En avril 1932.
En avril 1932, c’est-à-dire à 23 ans ?
Oui, à 23 ans.
Étiez-vous déjà membre des Jeunesses hitlériennes au préalable ?
Oui, je suis...
Attendez, avant de répondre, que la question soit terminée.
Oui.
Je vous ai demandé si vous aviez déjà été membre des Jeunesses hitlériennes avant de devenir fonctionnaire en 1932 ?
Oui, à l’âge de 13 ans, en 1922 ; j’ai fait partie de l’organisation qu’on appelait alors la jeunesse nationale-socialiste, et à 18 ans, en 1927, j’ai rempli les fonctions d’Unterführer dans mon pays, le Tyrol...
Et comme fonctionnaire...
J’ai travaillé, à titre bénévole, de 1929 à 1932 à Braunschweig, puis ensuite comme fonctionnaire rétribué.
Donc, depuis 1932 ?
Oui.
A quel poste avez-vous été nommé en 1932 ?
En 1932, j’ai reçu la direction de l’ancien territoire Westphalie-Bas-Rhin.
Quand avez-vous fait la connaissance de l’accusé Schirach ?
Le 22 mai 1934.
Quel poste vous a-t-il confié ?
Celui de chef d’État-Major.
Chef d’État-Major ? Et combien de temps êtes-vous resté chef d’État-Major avec lui ?
Jusqu’en août 1940.
C’est-à-dire jusqu’à ce qu’il ait cessé ses fonctions de Führer de la jeunesse du Reich ?
Oui.
Avant de devenir fonctionnaire des Jeunesses hitlériennes, aviez-vous fait votre service militaire ?
Non.
Donc, vous n’avez pas été officier non plus ?
Non.
Vous nous avez dit à l’instant qu’à partir de 1934, je crois, vous étiez devenu chef d’État-Major de la direction de la jeunesse du Reich. Quelles étaient les tâches d’un chef d’État-Major de la jeunesse du Reich ? Décrivez-les brièvement afin que nous sachions la nature de vos attributions.
Ainsi que la désignation de Stabsführer l’exprime, j’étais en premir lieu chef d’État-Major de la direction de la jeunesse du Reich, et ma tâche consistait à remanier les instructions générales du Führer de la jeunesse du Reich, en particulier celles intéressant les services et les territoires des Jeunesses hitlériennes, autant que le Führer de la jeunesse ne s’en chargeait pas lui-même. J’avais à coordonner les services de la direction de la jeunesse et, avant tout, à accomplir des tâches personnelles, comme aussi celles relatives à l’organisation. En outre, par ordre de von Schirach, entre 1935 et 1939, j’ai effectué plusieurs voyages à l’étranger.
Lorsque von Schirach était empêché, qui le remplaçait ?
C’est moi.
Vous étiez donc, en quelque sorte, le premier, après Schirach, à la direction de la jeunesse du Reich ?
Oui.
N’avez-vous eu avec l’accusé von Schirach que des relations de service ou entreteniez-vous avec lui des rapports d’amitié ?
Nos rapports ne se bornaient pas seulement à des questions de service, nous étions liés aussi d’amitié ; aussi nos relations personnelles ne furent-elles pas interrompues par la mission de Schirach à Vienne.
Croyez-vous, Monsieur Lauterbacher, eu égard à ces relations amicales, que l’accusé von Schirach vous cachait bien des choses, ou êtes-vous convaincu qu’en matière de service, il n’avait pas de secrets pour vous ?
J’ai toujours été, et je suis encore convaincu aujourd’hui, que von Schirach me confiait toutes ses intentions, ainsi que les mesures éducatives envisagées, et cela d’une façon courante.
Donc, il n’avait pas de secrets pour vous ?
Aucun secret. Pendant les premières années, lorsque Schirach avait encore des entretiens avec Hitler, j’en ai toujours été informé aussitôt.
Témoin, en 1939, la guerre mondiale a éclaté. Est-ce que l’accusé von Schirach, au cours des dernières années qui ont précédé la guerre, a eu avec vous des conversations relatives à la nécessité de former la jeunesse en vue de la guerre, en d’autres termes, qu’il fallait tenir compte, en instruisant les jeunes, des nécessités et des exigences de la guerre ? Qu’est-ce qui a été dit, en somme, entre vous et von Schirach, avant la guerre à ce sujet ?
Il n’a jamais été question entre nous de l’éventualité d’une guerre. J’ai eu l’occasion d’accompagner Schirach, de prendre part à des congrès du Parti et, lorsque Hitler prenait la parole, à ces occasions il n’exprimait que des affirmations solennelles, et j’ai toujours eu l’impression absolue et inébranlable qu’Adolf Hitler et le Reich national-socialiste tenaient à une évolution pacifique et à la paix. C’est pourquoi je n’ai jamais eu la pensée que la jeunesse dût être spécialement préparée à la guerre.
Témoin, en votre qualité de chef d’État-Major du Führer de la jeunesse du Reich, avez-vous eu un droit de regard sur tout le courrier qui parvenait à von Schirach ou qui partait de ses bureaux ?
J’ai eu dans tous les cas connaissance de tout le service postal.
Dans ce courrier qui parvenait à von Schirach, avez-vous constaté la présence de directives adressées à la direction de la jeunesse (du Reich), et émanant soit de Hitler, soit de la direction du Parti ou du Haut Commandement, soit, enfin, de quelque autre service de l’État ou du Parti, et relatives à des préparatifs de guerre ?
Non, ni ouvertement, ni à demi-mot.
Témoin, on nous a déjà, ces jours derniers, exposé les tâches essentielles incombant à l’instruction de la jeunesse. Je crois, Monsieur le Président, n’avoir plus besoin de m’appesantir sur ce sujet ; le témoin est mieux placé que quiconque pour en connaître, certes, mais j’estime que nous sommes clairement édifiés sur la tâche qui était dévolue à l’éducation de la jeunesse.
Je suis également de cet avis, les faits concernant cette éducation ont été suffisamment établis.
Je vous remercie. Je peux donc passer dès maintenant à un autre chapitre. (Au témoin.) Vous avez déclaré n’avoir pas été soldat. Est-ce que von Schirach n’a pas attaché une grande importance à ce qu’il y eût, parmi ses collaborateurs, beaucoup d’officiers, ou tout au moins d’anciens soldats qui eussent pu faire fonction d’instructeurs de la jeunesse ? Vous pouvez encore nous l’expliquer brièvement.
Non. Dès le début, c’est-à-dire dans les premières années de l’organisation, von Schirach s’est opposé à ce que des officiers, aussi bien pour des motifs idéologiques que pour des raisons pédagogiques, devinssent instructeurs de la jeunesse. Le but et la tâche des Jeunesses hitlériennes étaient la communauté socialiste et l’État socialiste. Et le type de l’ancien officier, du représentant d’une époque réactionnaire, était absolument inconciliable avec ce but et ces tâches.
Absolument inconciliables ? Voulez-vous dire avec...
Avec les méthodes d’instruction que Schirach avait fixées pour les Jeunesses, hitlériennes.
Témoin, avez-vous eu connaissance que Schirach se soit toujours opposé, ou inversement, se soit montré enclin à ce qu’un service militaire quelconque exerçât une influence sur les méthodes d’instruction de la jeunesse ? A cela aussi, vous pouvez peut-être répondre très brièvement.
Déjà en 1933, des tentatives ont été faites d’introduire des officiers comme instructeurs dans les Jeunesses hitlériennes. Même avant que je sois chef d’État-Major, et autant que je sache, deux officiers, à l’instigation plus ou moins directe de Hitler, ont servi dans les Jeunesses hitlériennes. Mais ces officiers ont totalement échoué vis-à-vis de la jeunesse, et leur séjour a été un fiasco que je puis qualifier de total.
Où sont-ils allés ?
Schirach s’est alors rendu chez Adolf Hitler et lui a demandé le rappel de ces messieurs, qu’il a obtenu, ainsi qu’une instruction de Hitler selon laquelle des officiers ne seraient plus admis dans les Jeunesses hitlériennes.
Est-ce que d’autres tentatives n’ont pas été faites, par qui que ce soit, pour lui imposer des officiers ?
Oh si ! En 1936 et en 1937, de nouveaux essais ont été tentés, par l’entremise de soi-disant officiers de liaison, pour exercer quelque influence sur l’éducation des Jeunesses hitlériennes. Néanmoins, ces entreprises aussi ont été vaines et, jusqu’à la fin, à l’exception des chefs des Jeunesses hitlériennes qui, ayant servi, sont devenus officiers en temps de guerre, il n’y a pas eu, auprès des Jeunesses hitlériennes, d’autre officier occupant un poste responsable, que Schirach lui-même.
Si je vous ai bien compris, vous voulez dire — et je vous prie de répondre à cela, si je vous comprends bien — que Schirach a toujours opposé une fin de non-recevoir à de telles tentatives ?
Oui.
Témoin, pourquoi alors les Jeunesses hitlériennes, y compris les filles, ont-elles porté l’uniforme ?
L’uniforme, ce n’est peut-être pas le terme rigoureusement exact pour désigner le vêtement des Jeunesses hitlériennes. C’était bien plutôt un costume que portaient déjà auparavant, non seulement en Allemagne, mais aussi dans d’autres pays, les organisations de jeunesse. Du reste, Schirach attachait de l’importance à ce que garçons et filles, comme il disait, portassent l’habit de la communauté socialiste.
La communauté socialiste, cela signifiait la communauté de tous, garçons et filles, de toutes les couches de la population allemande, sans distinction...
Sans distinction d’origine, de confession, etc.
Les riches comme les pauvres ?
Oui.
Est-ce que les Jeunesses hitlériennes possédaient des armes, et étaient-elles entraînées à se servir d’armes de guerre ?
Non. Sous l’autorité de Schirach et sous la mienne, elles ne furent pas instruites au maniement des armes de guerre.
Est-ce qu’elles possédaient des tanks, des chars d’assaut et autres armes, car, au sujet de la question d’une formation spéciale, il a été fait allusion à l’entraînement des jeunes gens dans les Jeunesses hitlériennes motorisées. Avaient-elles des tanks, des blindés ?
Non ; à ma connaissance, les Jeunesses hitlériennes — même après de départ de Schirach — n’ont jamais été entraînées à conduire des engins blindés et à servir des armes, en tout cas à...
Docteur Sauter, les faits déposés par l’accusé relativement aux armes des Jeunesses hitlériennes et de leur formation ne sont pas l’objet de ce contre-interrogatoire. Vous n’avez pas besoin de vous en occuper. M. Dodd n’a pas demandé si elles avaient aussi des chars.
Je vous remercie, Monsieur le Président. Je vais abréger.
J’en arrive maintenant, Monsieur Lauterbacher, à l’attitude et au comportement de l’accusé Schirach vis-à-vis de la question juive. Les Jeunesses hitlériennes ont-elles participé d’une façon quelconque aux pogroms de novembre 1938 ?
Je crois que je peux répondre à votre question par un non pur et simple.
Monsieur Lauterbacher, vous m’avez parlé d’un discours, prononcé quelques jours après le 9 novembre 1938 par l’accusé Schirach à propos des pogroms. Pouvez-vous dire quand et devant qui il a prononcé ce discours et ce qu’il y a exprimé ?
Le 10 novembre 1938, Schirach, qui se trouvait alors à Munich et moi à Berlin, me téléphona de communiquer aux Führer régionaux (Gebietsführer) des Jeunesses hitlériennes de s’abstenir de faire participer leurs organisations, en toutes circonstances, aux manifestations anti-juives, et de les convoquer à un congrès ayant pour objet de leur donner des explications à ce sujet. Ce congrès a eu lieu vers le 15 novembre 1938.
Où ?
A Berlin. Schirach commença par exiger de chacun des Gebietsführer de lui faire un rapport verbal, et ensuite il exprima sa satisfaction de ce que des rapports, qui lui étaient parvenus dans l’intervalle, mentionnaient que les Jeunesses hitlériennes n’avaient pas participé à ces excès. Dans son discours, dont je me souviens d’autant mieux qu’il a fait impression, il Stigmatisa ces excès comme une honteuse atteinte à la culture et à notre propre dignité. Il ajouta que de telles choses auraient pu tout au plus se produire chez des peuples non civilisés, mais pas chez le peuple allemand. Il déclara que, par ces manifestations, nous nous étions fait des ennemis dans le monde entier et chez tous les gens convenables, en Allemagne même. Il craignait de sérieuses difficultés de politique intérieure, comme aussi au sein même du Parti, car ses membres, comme nous le savions, n’étaient nullement unanimes dans leur façon de juger ces événements. Une grande partie d’entre eux, comme aussi à la direction du Parti, condamnaient ces excès.
Parlez-moi maintenant de ce qu’a dit M. von Schirach ; cela m’intéresserait beaucoup.
M. von Schirach fit ensuite aux chefs de la jeunesse, l’injonction de s’abstenir formellement, aussi à l’avenir et en toute circonstance, de démonstrations de ce genre et déjà, pour des raisons d’ordre pédagogique, condamna tout acte de violence. Enfin, pour clôturer ce congrès, il interdit la lecture, aussi bien aux foyers des jeunesses qu’en toute autre occasion, du journal le Stürmer.
Est-ce que Schirach, à cette occasion, Monsieur Lauterbacher, a dit quelque chose au sujet de tant de valeurs culturelles, de biens publics, de trésors artistiques, qui avaient été anéantis en pure perte, et n’en a-t-il pas donné aussi certains exemples ?
Oui. Il a cité comme exemple particulièrement odieux la tentative, d’ailleurs en partie accomplie, de pillage du musée juif Bernheimer à Munich.
A Munich ?
Oui. Et par cet exemple, il a démontré aux chefs des jeunesses, combien étaient fatales et irréparables ces atteintes à notre trésor culturel par de telles manifestations.
Est-il exact qu’à la suite de ce discours de Berlin dont vous venez de nous parler, l’accusé, de Berlin, vous a prié d’appeler au téléphone chacun des services des Jeunesses hitlériennes pour leur donner des directives bien définies ?
Cela s’est produit le 10 novembre, c’est-à-dire le lendemain du congrès de Munich. Ceci, indépendamment du congrès des Gebietsführer qui ne s’est tenu que vers le 15 novembre.
Monsieur Lauterbacher, j’imagine qu’au cours des années vous avez dû assister à de nombreux discours de von Schirach à ses subordonnés ou aux Jeunesses hitlériennes et que vous avez pu en entendre vous-même quelques-uns. Est-ce que, à ces occasions ou à d’autres, l’accusé a excité ses auditeurs contre les Juifs ? A-t-il fait des appels à des actes de violence contre les Juifs ? Qu’en était-il ?
Oui, j’ai à peu près entendu tous les discours essentiels de von Schirach devant le corps des Führer des Jeunesses hitlériennes et, à l’occasion de ces discours, je n’ai jamais entendu de provocations à des actes de violence, bien éloignées d’ailleurs de sa façon d’être et de penser. Je n’ai, en tout cas, aucun souvenir que von Schirach ait jamais incité, directement ou indirectement ses subordonnés à participer à des actes de violence, de quelque nature soient-ils et envers qui que ce soit.
Mais, en somme, de quoi Schirach parlait-il alors le plus souvent lorsqu’il adressait un de ses innombrables discours à la jeunesse ? Soyez bref. Dites simplement l’essentiel.
Il faut ici, sans aucun doute, faire une distinction entre les grands discours de réunions publiques et ceux qui s’adressaient aux Führer des Jeunesses hitlériennes. Devant ceux-ci, il a toujours traité des grandes tâches politiques d’une portée mondiale, des obligations de la politique sociale et culturelle, comme aussi des devoirs professionnels qu’il préconisait pour les Jeunesses hitlériennes.
J’en arrive à un autre chapitre, Monsieur Lauterbacher. Est-ce que Schirach vous a demandé de cesser tout exercice du culte ?
Non.
Avez-vous cessé de pratiquer ?
Je ne crois pas que M. von Schirach eût vraiment connaissance de mes convictions religieuses, ni si j’avais ou non cessé de pratiquer, ce que j’ai fait d’ailleurs sans que personne ne m’y invitât ou ne m’y forçât.
Est-ce que Schirach a incité d’autres personnes à cesser toute pratique religieuse, autant que vous le sachiez ?
Non.
Est-ce que, dans les nombreux discours dont vous venez de nous parler et que vous avez entendus, Schirach s’est exprimé de façon injurieuse et provocante envers le christianisme ?
Schirach a toujours prêché à la jeunesse le respect des convictions religieuses et, à cette occasion, non pas une seule fois mais fréquemment, il a stigmatisé tout athéisme. Pour ne citer qu’un exemple, dans ses discours, Schirach s’est très favorablement expliqué avec les organisations sportives confessionnelles existant avant 1933 et même depuis, et a exigé l’union parmi les jeunes. Mais ni en public, ni en privé, jamais il ne s’est livré à des attaques contre le christianisme comme tel, ou contre les convictions religieuses d’autrui.
Monsieur Lauterbacher, à l’époque où l’accusé von Schirach était Führer des jeunesses du Reich, des négociations étaient en suspens en vue de la conclusion d’un concordat avec l’Église catholique, au sujet d’un règlement contractuel des rapports entre l’Église et l’État. Avez-vous eu connaissance qu’à propos de ces pourparlers en vue du concordat, Schirach soit intervenu, et savez-vous s’il s’est activement efforcé de faire aboutir à une entente avec l’Église, sur une base susceptible de satisfaire les deux parties ?
Oui. En 1933 et même en 1934, Schirach a eu de très nombreuses conférences avec les représentants de l’Église, l’évêque du Reich, Müller, de l’Église évangélique, et le représentant de la conférence des évêques de Fulda, l’évêque Berning, d’Osnabrück. Je crois me souvenir que Schirach préconisait une limitation des droits et des attributions en quelque sorte sur la base du « Reconnaissez à Dieu ce qui revient à Dieu, et à l’État ce qui revient à l’État ».
Une autre question : témoin, savez - vous si Schirach a véritablement fait de réels efforts pour arriver à une entente des Jeunesses hitlériennes avec celles d’autres pays et pouvez-vous, par exemple, nous dire ce qu’il a tenté et entrepris dans ce sens ?
L’entente amicale des jeunesses allemandes avec les jeunesses du monde entier constituait, sans aucun doute, une des tâches que Schirach n’a cessé de prendre à cœur en sa qualité de chef des jeunesses, et j’ai toujours eu l’impression que cette tâche était, je dirais presque, sa passion personnelle. Moi-même, sur sa demande — et à cet égard je suis vraiment un témoin principal — j’ai fait chaque année, à partir de 1935, un, deux ou même trois voyages dans les pays européens les plus divers, pour essayer d’y prendre contact non seulement avec les organisations de jeunesse existantes, mais aussi avec celles d’anciens combattants de la première guerre mondiale.
Quels États ?
On peut dire que les Jeunesses hitlériennes ont cherché à prendre contact avec tous les États européens, et moi-même, sur l’ordre direct de Schirach, je me suis rendu plusieurs fois en Grande-Bretagne, où j’ai eu l’occasion d’être mis en relations avec le chef des boy-scouts et son collaborateur, même avec d’autres...
Je ne crois pas que ces faits soient contestés ; il s’agit uniquement des conséquences des faits dont le Ministère Public tient à se prévaloir. Il n’y a donc aucune nécessité pour vous de revenir sur les faits relatifs aux rapports des Jeunesses hitlériennes avec les jeunesses de l’étranger.
Très bien, Monsieur le Président. Témoin, vous entendez, ces faits, en soi, ne sont pas contestés. Nous pouvons par conséquent passer à un autre sujet.
Vous étiez chef d’État-Major des Jeunesses hitlériennes à la direction des Jeunesses hitlériennes. Auriez-vous eu connaissance que celles-ci avaient entretenu à l’étranger des espions, des agents ou d’autres personnes, ou qu’elles avaient instruit des gens, dans d’autres pays, pour la soi-disant Cinquième colonne — vous savez de quoi il s’agit — ou si elles ont fait venir des jeunes gens pour former chez nous des parachutistes et les renvoyer ensuite dans leur patrie ? Est-ce que, alors que vous étiez chef d’État-Major, vous avez eu vent de quelque chose de ce genre ?
Les Jeunesses hitlériennes n’ont formé ni espions, ni agents, ni parachutistes, pour les utiliser en un pays étranger quelconque ; elles n’ont pas été formées dans un but pareil. Un tel fait ou une telle ordonnance eussent dû être connus de moi dans tous les cas.
Même si Schirach avait, à votre insu, pris une ordonnance de ce genre, croyez-vous que, par les messages des Gebietsführer ou autres, vous eussiez dû en avoir connaissance ?
J’aurais été en situation, en raison de mes nombreuses tournées d’inspection, de l’apprendre ou de le constater, en tout état de cause.
Je voudrais passer maintenant à un autre sujet. Vous m’avez parlé récemment d’une conversation que vous avez eue après la campagne de Pologne, c’est-à-dire vraisemblablement à la fin de septembre ou au début d’octobre 1939, et avant la campagne de France proprement dite, avec l’accusé von Schirach, dans votre appartement à Berlin. Dahlerus et vous m’avez raconté que l’accusé von Schirach vous aurait dévoilé le fond de sa pensée relativement à la guerre. Voudriez-vous le répéter brièvement au Tribunal ?
Oui. M. von Schirach me rendit visite à la fin septembre ou au début d’octobre 1939 dans mon appartement de Berlin. Nous en vînmes très vite à parler de la guerre et Schirach me dit alors à peu près que, d’après lui, cette guerre aurait dû être évitée. Il rendait responsable l’ancien ministre des Affaires étrangères d’avoir donné à Hitler des informations fausses ou insuffisantes. Il regrettait qu’Adolf Hitler, les hommes au pouvoir et ceux du Parti, eussent agi d’ans l’ignorance totale de l’Europe et du monde et qu’ainsi ils se fussent engagés sur le chemin de la guerre sans en prévoir les conséquences. Il estimait alors, si cette guerre n’était pas terminée dans le plus bref délai, qu’elle serait irrémédiablement perdue pour nous. A ce propos, il insista sur l’exceptionnel potentiel de force de la Grande-Bretagne et des États-Unis, et il me dit — je me rappelle tout particulièrement ce mot-là — que cette guerre était une guerre funeste et que, si l’on voulait éviter que le peuple allemand ne fût exposé par cette guerre aux pires calamités, il fallait convaincre le Führer des périls que courrait l’Allemagne si les États-Unis, par leurs fournitures ou, à plus forte raison, par leur participation à la guerre même, devaient intervenir. Nous nous sommes alors demandé qui pourrait bien avertir Adolf Hitler et qui, avant tout, pourrait avoir accès auprès de lui.
Schirach proposa alors d’essayer, d’une façon quelconque, de ménager une entrevue entre M. Colin Ross et Adolf Hitler. Colin Ross aurait attiré l’attention d’Adolf Hitler sur la catastrophe imminente et cela hors de la présence du ministre des Affaires étrangères et sans tenir compte de ses prérogatives. A cette époque, Colin Ross n’était pas encore en Allemagne. Je me rappelle que, par la suite, lorsqu’il revint, il fut réellement présenté à Hitler par Schirach.
Soyez assez bon, témoin, pour vous en tenir quelque peu à cet entretien de 1939 dont vous venez de nous parler et veuillez répondre à cette question : comment l’idée lui est-elle venue de s’adresser justement au Dr Colin Ross ?
J’ai déjà mentionné que les gens au pouvoir et les chefs du Parti national-socialiste ignoraient tout de l’étranger et même du monde ; c’est la raison pour laquelle on s’avisa de recourir à cet homme qui était allé un peu partout. Au cours de toutes les années qui avaient précédé 1939, Colin Ross, à l’occasion de tel ou tel congrès des chefs des Jeunesses hitlériennes, leur avait adressé la parole et...
A quel sujet ?
... et c’est ainsi qu’il avait fait la connaissance de Schirach et des jeunesses.
De quoi leur parlait-il ?
Colin Ross leur racontait ses aventures vécues dans tous les continents.
Comment Colin Ross avait-il été connu des jeunesses ?
Est-ce que, à cette occasion, on a également abordé la question de savoir si l’on ne devait pas trouver une solution au problème juif afin de parvenir plus facilement à une entente avec l’étranger, et éventuellement sur quelle base ?
Parfaitement. Schirach releva au cours de cet entretien les excès du 9 novembre 1938 et rappela le discours qu’il avait prononcé à la suite de ces événements ; il déclara que, dans ces conditions, il serait extrêmement difficile d’entrer en pourparlers avec les États-Unis, qu’il fallait l’essayer au préalable, et qu’à l’occasion d’une conférence avec Hitler il voulait proposer...
Docteur Sauter, le Tribunal est d’avis que les entretiens privés de Schirach ne sont pas d’une importance telle qu’il faille interroger le témoin à ce sujet. S’il est en état de déposer sur ce qu’a fait Schirach, c’est autre chose. Mais, pour l’instant, le témoin ne fait que reproduire ses conversations avec Schirach. Ce ne sont là que des discussions privées.
Témoin, à la suite de ces conversations entre vous et l’accusé von Schirach, qu’est-ce que ce dernier a entrepris dans l’intérêt du maintien de la paix ou en vue de hâter la fin de la guerre ? A-t-il entrepris quelque chose, et quoi ?
Oui. Schirach, comme il me l’a dit au cours d’une conversation ultérieure, a utilisé toutes les occasions, au début de la guerre, pour convaincre Adolf Hitler de la nécessité d’engager des pourparlers avec les États-Unis, et c’est un fait, comme il me l’a dit lui-même, qu’il a amené M. Colin Ross à Hitler en vue de réaliser cette intention. Et Colin Ross est resté plusieurs heures chez Hitler. Au cours d’une visite qu’il m’a faite à Hanovre, Colin Ross me parla de cet entretien et me dit à cette occasion que « Hitler en était resté très songeur ». Il ajouta d’ailleurs que la deuxième entrevue projetée avec Hitler n’avait pu avoir lieu parce que, selon lui, le ministère des Affaires étrangères avait fait des objections contre cette méthode d’information.
Docteur Sauter, nous allons suspendre l’audience.
Docteur Sauter, le Tribunal est d’avis que ce témoin s’étend beaucoup trop sur des questions qui ne sont pas d’une importance décisive. Le Tribunal vous invite à l’engager à ne s’exprimer que sur des sujets d’une réelle importance.
Monsieur le Président, de toute façon, je n’ai plus qu’une seule question à lui poser.
Témoin, une dernière question. Vous vous êtes séparé de Schirach en 1940. Vous avez été nommé, je crois, Gauleiter ?
Oui.
Schirach est allé ensuite à Vienne. En 1943, vous avez encore eu un long entretien avec lui, traitant surtout de la question de savoir pourquoi Schirach ne démissionnait pas. J’aborde cette question parce qu’un des représentants du Ministère Public l’a entamée ce matin. Voulez-vous brièvement nous dire ce qu’a déclaré Schirach, les raisons pour lesquelles il restait à son poste, ou bien pourquoi il ne démissionnait pas, et quelle était alors son opinion sur la guerre ?
Oui. En 1943, à l’occasion d’une visite que je lui ai faite à Vienne à titre privé, nous avons eu un très long entretien. Von Schirach s’est alors exprimé d’une façon très pessimiste quant aux perspectives de la guerre et il m’a déclaré que, sous peu, nous serions dans l’obligation de combattre devant Vienne, au Rhin et dans les Alpes. Il ajouta que, depuis très longtemps, il ne lui était plus possible de se concerter avec Hitler, qu’il n’avait plus aucune occasion, comme auparavant, de lui fournir des informations parce que le chef de la chancellerie du Parti, Bormann, l’excluait constamment de tout accès auprès de Hitler et de tout entretien en tête-à-tête, de sorte qu’il lui était devenu absolument impossible de discuter avec lui les questions concernant Vienne et celles d’un intérêt général. Il se plaignit, en outre, que Bormann le harcelait à tout moment par son obstruction et ses plaintes, comme aussi par l’annulation des instructions et des ordres qu’en sa qualité de Gauleiter de Vienne, il avait donnés, bref, qu’il lui était devenu impossible de rester en fonctions et d’en assumer la responsabilité. Finalement, après avoir envisagé les hypothèses les plus diverses, il déclara qu’ayant juré fidélité à Hitler, il considérait comme de son devoir de rester malgré tout à son poste, et qu’il ne croyait pas pouvoir, à ce stade de la guerre, prendre la responsabilité d’abandonner à son sort une population dont il avait à se préoccuper en tant que Gauleiter. Il voyait venir la catastrophe, mais il m’a exposé qu’une démission ou qu’une intervention quelconque n’aurait aucune influence sur la conduite des affaires de l’État et sur Hitler même et que, en conséquence, il resterait en fonctions, comme un soldat fidèle à son serment.
Monsieur le Président, j’en ai terminé avec mon interrogatoire de ce témoin.
Est-ce que d’autres avocats désirent poser des questions au témoin ?
Témoin, vous avez été Gauleiter de Hanovre à partir de 1940 ?
Oui, à partir de décembre 1940.
Vous étiez également, en cette qualité, commissaire à la main-d’œuvre ?
Oui.
Y avait-il beaucoup de travailleurs étrangers dans votre Gau ?
Oui. Dans mon Gau, il y avait beaucoup de travailleurs étrangers en raison surtout de l’existence des usines « Hermann Göring » qui avaient été créées à proximité de Braunschweig.
Étiez-vous chargé de vous préoccuper de ces ouvriers ?
Oui. Mes tâches, en qualité de commissaire à la main-d’œuvre, consistaient précisément en soins à apporter à cette main-d’œuvre civile.
Avez-vous reçu des instructions de Sauckel à ce sujet ?
Oui ; comme tous les autres Gauleiter de la NSDAP, j’ai reçu régulièrement des instructions de Sauckel relatives à la main-d’œuvre, c’est-à-dire en vue du traitement de ces ouvriers civils et des soins à leur réserver.
Quelle était la nature de ces instructions ?
Les instructions que je recevais en tant que Gauleiter concernaient presque exclusivement l’appel, toujours renouvelé, de faire tout ce que nous pouvions pour satisfaire la main-d’œuvre civile étrangère, aussi bien pour la nourriture que pour l’habillement, le logement et les loisirs.
Est-ce que, pratiquement, ces prescriptions furent observées ?
Oui, naturellement dans la mesure de nos possibilités.
Avez-vous fait des inspections dans les camps ou les usines où étaient employés ces ouvriers ?
Oui. Personnellement, à l’occasion de mes voyages d’inspection, j’ai visité de tels camps, et avant tout les usines elles-mêmes. J’avais d’ailleurs, dans la personne de mon adjoint, le chef du Front du Travail allemand pour le district, un homme qui était pour moi un précieux collaborateur.
Est-ce que vous-même ou votre adjoint, avez constaté des situations catastrophiques ?
Oui. Après les attaques aériennes qui, à partir de 1943, ont atteint justement les villes de Braunschweig et de Hanovre en particulier, j’ai pu constater dans les camps de travailleurs civils étrangers, comme du reste aussi dans les lieux d’habitation de la population allemande, des situations que je ne qualifierai pas de catastrophiques, mais tout de même de sérieuses et, par la suite, dans le cadre des possibilités existantes, je me suis efforcé de faire réparer des abris détruits ou d’en faire bâtir de nouveaux.
Avez-vous observé des anomalies, imputables aux entreprises elles-mêmes ?
Oui. Je me rappelle deux cas. A Hanovre, quelques usines avaient fusionné en une sorte de communauté de travail et constitué, pour ainsi dire, une association coopérative et créé un camp pour leurs travailleurs civils étrangers. La responsabilité en incombait aux mandataires de ces usines. Mon adjoint de la DAF (Deutsche Arbeits-Front) m’avait fait savoir un jour que le logement était dans un état peu conforme aux prescriptions et il m’avait demandé l’autorisation d’intervenir, c’est-à-dire de pouvoir assumer la responsabilité du Front du Travail allemand envers ce camp communautaire. Je la lui ai accordée et, quelque temps plus tard, il m’a annoncé que les difficultés avaient été surmontées.
Un autre exemple de ce genre était constitué par les usines Hermann Göring. A ce sujet, étant donné que mes déclarations sont faites sous serment, je me vois obligé de mentionner que cette usine n’a pas tenu compte, à maints égards, des instructions de Sauckel. Passant outre aux prérogatives de l’administration du Travail, ces établissements ont procédé, de leur propre autorité, par l’intermédiaire de leurs succursales en Ukraine, comme aussi dans d’autres pays, à l’embauchage de main-d’œuvre. C’est ainsi que cette main-d’œuvre, prélevée en dehors des contingents fixés par le commissaire général et échappant de ce fait à sa responsabilité, est arrivée à Watenstedt, domaine des usines Hermann Göring.
Je n’ai pu moi-même avoir accès aux usines et dans les camps qu’avec les plus grandes difficultés. Le cas ne s’était jamais produit qu’en qualité de Gauleiter ayant pleins pouvoirs, je...
Un instant. Qu’est-ce que tout cela a à voir avec l’accusé Sauckel ?
Je l’ai interrogé sur les anomalies qu’il a pu constater, car il était commissaire à la main-d’œuvre étrangère et il avait à contrôler l’existence d’abus, qu’il était chargé de signaler, afin qu’ils parvinssent en dernier lieu jusqu’à Sauckel. Il a quelque peu allongé son récit en décrivant la situation, telle qu’elle se présentait aux usines Hermann Göring.
Alors vous auriez dû l’interrompre, Docteur Servatius. Vous connaissez pourtant bien les questions que vous lui avez posées.
Témoin, avez-vous constaté des abus dans ce camp ?
Je n’ai pas pu pénétrer dans ce camp, puisque c’était interdit.
Sauckel lui-même a-t-il parlé aux ouvriers de votre Gau ?
Non, pas de mon temps. Mais, à plusieurs reprises, il a envoyé ces commissaires.
J’ai encore quelques questions à poser au nom des dirigeants politiques que je défends également.
Lorsque vous avez été nommé Gauleiter, avez-vous reçu des directives spéciales du Führer ?
Non. Lorsque j’ai été nommé Gauleiter, j’ai été simplement introduit en cette qualité par M. Hess, à un congrès des Gauleiter ; mais, à l’occasion de ce congrès, je n’ai pas reçu d’instructions spéciales, non plus que durant ma...
Témoin, votre réponse était « non », et vous n’aviez pas besoin d’y ajouter quoi que ce soit.
Plus tard, avez-vous parlé au Führer ? Avez-vous reçu des instructions spéciales ou secrètes ?
Je ne me suis trouvé que fortuitement auprès du Führer, lors de congrès de Gauleiter, et je n’ai jamais eu avec Adolf Hitler de conversations relatives au service.
Savez-vous quelles tâches incombaient aux chefs de blocs ? Cette question a une signification particulière : les chefs de blocs n’ont-ils pas été institués dans le but d’espionner ?
Non.
Mais l’opinion est très répandue qu’en réalité, le chef de bloc a pratiqué l’espionnage, et l’Accusation l’a également affirmé. Le SD aurait-il peut-être utilisé les chefs de blocs dans ce but ?
Le SD avait ses propres services, ses propres agents qui n’étaient pas connus du Parti. En tout cas, les chefs de blocs n’avaient nullement mission de travailler pour le SD.
N’existait-il pas une cartothèque des adversaires du Parti ?
Dans les organismes du Parti, non. Cette cartothèque, autant que je sache, et ainsi qu’on l’apprit à la suite de l’attentat du 20 juillet, a été tenue par la Police secrète.
Le Parti n’avait-il pas chargé, non des chefs de blocs, mais des hommes de confiance travaillant pour vous, Gauleiter, de se livrer à l’espionnage ?
Non.
Je n’ai pas d’autre question à poser.
Quand êtes-vous entré chez les SS ?
Lorsque j’ai été nommé Gauleiter adjoint le 2 août 1940, je suis devenu Brigadeführer SS.
Je n’ai pas compris votre réponse ; je vous demande de la répéter.
Le 2 août 1940.
Vous n’apparteniez pas du tout à cet organisme avant cette date ?
Avant cette date, je n’appartenais pas aux SS, mais il est vrai que du 26 mai 1940 jusqu’en septembre 1940, j’avais servi dans les Waffen SS comme soldat.
Et plus tard vous êtes devenu SS-Obergruppenführer, n’est-ce pas ?
Le 20 avril 1944.
Quand êtes-vous entré à l’État-Major de Himmler ?
Je n’ai jamais appartenu à l’État-Major de Himmler.
N’y êtes-vous pas entré en janvier 1944, ou alors comment nommez-vous l’organisme que constituait l’entourage du Reichsführer SS, dont vous avez fait partie ? Le terme d’État-Major n’est peut-être pas la désignation exacte, il en existe aussi d’autres. N’étiez-vous pas lié à Himmler d’une façon quelconque ?
Non, je n’ai jamais reçu de missions des SS.
Avez-vous eu, depuis janvier 1944, des rapports quelconques avec le Reichsführer SS ?
Le Reichsführer SS était venu en octobre 1944, par train spécial à Bad Pyrmont, pour un congrès des Gauleiter de l’Allemagne de l’Ouest et des hauts fonctionnaires SS et de la Police. A cette occasion, je fus appelé près de lui et j’ai eu un entretien avec lui, après la cérémonie officielle.
Ce n’est pas une réponse à ma question. Mais passons. Êtes-vous devenu, en 1944, SA-Obergruppenführer, en même temps que vous étiez également nommé SS-Obergruppenführer ?
Je suis devenu SA-Obergruppenführer, je crois, en 1944 ou en 1943.
Vous étiez aussi, depuis 1936, membre du Reichstag ?
Oui.
Et membre du Parti, comme vous l’avez dit, je crois depuis 1927 ?
Depuis 1927.
Et membre des Jeunesses hitlériennes ou de la NSDAP depuis 1923 ?
Des Jeunesses hitlériennes depuis 1927, date à laquelle elles furent créées.
Bon, la date importe peu, je veux parler de l’organisation de la jeunesse du Parti. Combien de personnes avez-vous pendues publiquement, lorsque vous étiez Gauleiter de Hanovre ?
Je n’ai pas compris la question.
Je vous ai demandé combien de personnes vous avez fait pendre publiquement pendant que vous étiez Gauleiter de Hanovre ?
Je n’ai pendu personne publiquement.
Vous en êtes bien sûr ?
Oui.
Combien de personnes avez-vous envoyées dans les camps de concentration ?
J’ai fait citer, devant les tribunaux réguliers, cinq ou dix personnes qui s’étaient rendues coupables d’infractions aux prescriptions relevant de l’Économie de guerre et, dans un cas dont je me souviens spécialement, au sujet de deux personnes qui refusaient de...
Peu importent les détails. Dites-moi simplement le nombre de ceux que vous y avez envoyés ?
Il s’est agi de deux personnes. Je ne sais pas si elles ont été envoyées dans un camp de concentration, car cette décision ne m’incombait pas, mais dépendait de Berlin.
Connaissez-vous un homme du nom de Huck : H-u-c-k ?
Huck ? Non, je ne m’en souviens pas pour le moment.
Un commissaire de Police qui relevait de votre Gau ou y était employé ?
Non, il m’est inconnu.
Je tiens à vous demander si, étant Gauleiter, vous n’avez pas fait pendre un jour un ouvrier étranger de l’Est, et cela publiquement, sur la place du Marché, afin qu’il y restât exposé la journée entière ?
Non, Où cela aurait-il eu lieu ?
Cela se serait passé à Hildesheim.
Non.
A peu près en mars 1945, juste avant la fin de la guerre.
Non, cela m’est inconnu. Je n’ai jamais donné de telles instructions.
Avez-vous ordonné, juste avant la prise de la ville par les Alliés, que l’on fusillât ou que l’on empoisonnât 400 ou 500 prisonniers ?
Non, on m’a déjà présenté cette affaire à Londres, et je crois l’avoir éclaircie.
Vous savez, par conséquent, ce dont je parle ?
Oui, vous parlez de la prison de Hameln.
Vous savez que votre Kreisleiter a déclaré que vous aviez ordonné que ces prisonniers fussent empoisonnés avec de l’acide prussique ou de la strychnine, ou bien fusillés. Cela aussi vous le savez, n’est-ce pas ?
On me l’a dit à Londres.
Et non seulement votre Kreisleiter a fait cette déposition, mais aussi Richard Rother, un inspecteur de la prison de Hameln. Il a confirmé que l’ordre devait être transmis, prescrivant de pendre ou d’empoisonner les prisonniers.
Je n’ai jamais donné un tel ordre.
Je vous demande si vous savez que ces gens, qui étaient en rapport avec vous, ont juré que vous l’aviez fait. Vous avez portant vu leurs affidavits, n’est-ce pas ?
Cela m’a été dit à Londres. Mais on m’a dit aussi que ces prisonniers n’ont pas été empoisonnés ou fusillés, mais qu’on les avait renvoyés.
Oui, il est vrai qu’on les a renvoyés, non pas parce que vous en aviez donné l’ordre, mais parce que vos subordonnés ont refusé d’exécuter vos ordres ; n’est-ce pas exact ?
Je n’en ai pas connaissance, parce que je n’étais pas à Hameln, ou parce que je n’étais plus Gauleiter.
Vous avez pourtant vu ces affidavits, et je ne suppose pas qu’il soit nécessaire de vous les montrer. Je vais toutefois vous les présenter comme preuves.
On m’a présenté à Londres la déposition du Dr Krämer, et j’y ai répondu.
Bon, alors vous savez ce qu’il a dit ? Monsieur le Président, je présente le document D-861, comme preuve, sous le numéro USA-874. Il est constitué par sept déclarations sous serment, de personnes qui étaient en relations avec ce témoin alors qu’il était Gauleiter et qui ont été mêlées à ses agissements pendant cette période.
A quel point de vue estimez-vous que cette preuve est pertinente ?
Je dépose cette preuve en considération du crédit à accorder aux dires du témoin ou, plus exactement, en raison du manque de foi de cet homme. Cette preuve ne se rapporte certes pas directement à ce cas, si ce n’est qu’elle démontre à quel genre d’homme nous avons affaire, comme nous le prétendons, et que le Tribunal devrait avoir cette information sous les yeux, s’il accorde quelque valeur aux déclarations du témoin.
Mon ami, M. Elwyn Jones, vient justement d’attirer mon attention sur le fait que cette preuve aura de l’influence sur le jugement à porter sur le Corps des chefs du parti nazi, dont il était membre. Cela ne m’était pas présent à la mémoire. C’est également en raison de cette circonstance que je désirerais que ce document fût produit.
Où se trouvent les gens qui ont fait ces déclarations sous serment ?
Je vais m’en informer, Monsieur le Président, je ne le sais pas. Ils sont détenus, tout au moins quelques-uns, dans la zone britannique, en Allemagne.
Je vous en prie, Docteur Sauter.
Monsieur le Président, vous venez de demander où se trouvent ces gens dont proviennent les déclarations sous serment. Je peux, peut-être, aider à éclaircir cette question. Ce M. Joseph Krämer, que le Ministère Public vient de citer comme témoin principal contre le témoin Lauterbacher, a été condamné à sept ans de prison il y a environ huit jours, par un tribunal anglais, et cela justement à propos de la même affaire dont vient de parler M. le représentant du Ministère Public. Le témoin Lauterbacher n’en sait rien, il est vrai, mais j’ai lu par hasard, dans un journal allemand, le compte rendu de ce procès, et je l’ai ici. Dans ce compte rendu, daté du 2 mai de cette année, il est mentionné que l’ancien Kreisleiter de Hameln, le Dr Joseph Krämer, a été condamné par le tribunal de la 5e division britannique à sept ans de prison. Il est dit textuellement : « Lors de l’approche des troupes alliées, Krämer avait donné l’ordre de « liquider » les prisonniers détenus dans la prison de Hameln. « Aucun prisonnier dangereux, aucun étranger, ne doit tomber aux mains de l’ennemi ; il faut que tous soient empoisonnés à l’acide prussique ou, si ce n’est pas possible, qu’ils soient tous fusillés ». Tel était l’ordre du Kreisleiter Joseph Krämer, qui est proposé maintenant comme témoin contre mon propre témoin. Il est dit en outre, dans ce compte rendu, que des fonctionnaires de la prison, entendus comme témoins, ont déclaré que, malgré cet ordre du Dr Krämer, ils avaient refusé de « supprimer » les prisonniers. Le reste ne présente pas d’intêrêt. Mais j’ai pensé que, pour la marche de cette affaire, il serait important pour le Tribunal que ce document fût lu ici, car il est édifiant quant à la façon dont s’est comporté cet ancien Kreisleiter.
Si cela doit vous intéresser, Monsieur le Président, je peux vous faire remettre la coupure du journal en question, mais elle est en allemand.
Je remarquerai, Monsieur le Président, que, de ce fait, le document se trouve implicitement confirmé, dans ce sens que Krämer a bien déclaré ce qu’il avait fait, c’est-à-dire qu’il avait transmis les ordres reçus, mais aussi qu’il les avait reçus de cet homme. Cela confirme, pour le moins, notre assertion et ne peut d’aucune façon nous nuire quant à la valeur de ce document. Après examen des affidavits, le mieux, semble-t-il, consiste à produire le premier et le dernier de ces documents. Car il s’en trouve d’autres dans ce dossier qui, à mon avis, seraient peu utiles pour le Tribunal. Je les en retirerai donc, sauf le premier et le dernier : les affidavits de Krämer et de Huck.
Monsieur Dodd, le Tribunal n’est pas d’avis que ces documents doivent être admis. Tout d’abord, autant que le crédit à accorder à ce témoin entre en considération, nous ne croyons pas que ses réponses relatives à ce crédit puissent être mises en question par d’autres preuves. Quant au Corps des dirigeants, nous croyons que ces documents ne constituent de preuve que pour un crime individuel.
Très bien, Monsieur le Président.
Témoin, j’ai cru comprendre que vous disiez n’avoir jamais entendu dire à l’accusé von Schirach quelque chose de désobligeant contre le peuple juif ; au contraire, vous l’auriez entendu s’exprimer ouvertement après les événements de novembre 1938. Vous ai-je bien compris ?
Oui. Au congrès des chefs de districts, il s’est exprimé sans équivoque contre les excès. Il n’avait à ce sujet aucun doute que...
Vous n’avez pas besoin de le répéter. Je voulais simplement être sûr de vous avoir bien compris,
Je suppose que, en qualité de remplaçant, d’adjoint du chef de la jeunesse du Reich, vous avez lu l’almanach des Jeunesses hitlériennes de 1938 ?
Je n’ai pas cela présent à la mémoire. Est-ce que je pourrais le voir ?
Je n’attends pas de vous, évidemment, que vous vous en souveniez, mais je voulais seulement constater si vous l’avez vraiment lu. Je suppose que vous avez toujours lu votre almanach ?
Non.
Comment ! Vous ne l’avez pas lu ?
Non, je ne peux m’en souvenir.
Bien. Tournons la question autrement : n’eût-ce pas été de règle, pour vous, de lire cet almanach ?
L’almanach était composé par le bureau de Presse et je n’avais aucune influence sur la constitution technique ou la rédaction de nos journaux, périodiques et almanachs. Quant à cet almanach, je n’ai aucun souvenir de la manière dont il pouvait inciter à une politique de violence et à des excès antisémites.
Bien, je vous le prouverai en tout cas, et je vais attirer votre attention sur un article de cet almanach qui concerne les Juifs. Savez-vous de quoi je veux parler ? Du passage où ils sont accusés d’avoir, au cours de l’Histoire, versé le sang de millions d’êtres humains. J’ai lieu de croire que cela a paru après les courageuses allégations de l’accusé, en novembre 1938, car le livre porte sur l’année entière. Vous trouverez l’article auquel je fais allusion à la page 192.
Oui.
Avez-vous lu l’article auparavant ?
Non. Cet almanach n’a aucun caractère officiel. C’était une affaire privée de la part des éditeurs.
Un instant. Qu’entendez-vous par « aucun caractère officiel » ? C’était pourtant l’almanach des Jeunesses hitlériennes, n’est-ce pas ?
Cet almanach ne relève officiellement ni des Jeunesses hitlériennes, ni du Parti. Je ne l’ai toujours reçu qu’après coup, pour en prendre connaissance.
Il était publié par les services centraux d’édition de la NSDAP ?
Oui, c’est exact, je le vois.
Il portait comme titre « Almanach des Jeunesses hitlériennes ». Vous l’avez publié régulièrement des années durant, n’est-ce pas ? Je ne veux pas dire : vous, personnellement, mais le Parti et les Jeunesses hitlériennes.
Non, cet almanach a été, chaque année, rédigé et publié par les personnalités déjà mentionnées, et peut-être aussi par d’autres.
Je le sais. Je cherche simplement à établir que c’était l’almanach des Jeunesses hitlériennes, et même le seul qui parût, et qui paraissait chaque année. N’en est-il pas ainsi ?
Ce livre a été publié chaque année, mais il n’avait, je le répète, aucun caractère officiel et je ne crois pas non plus que...
Qu’est-ce qui pourrait, selon vous, lui donner un caractère officiel ?
S’il y avait ici la mention : « Édité par la Direction de la jeunesse du Reich ».
Et le fait qu’il y a là : « Édité par le service central d’édition de la NSDAP » ne suffit pas dites-vous ?
En aucune manière.
Vous n’avez jamais publié autre chose de même nature que l’almanach, en dehors de celui-ci ?
Un calendrier a été publié tous les ans.
Je ne parle certainement pas d’un calendrier, je parle d’un rapport ou d’un livre.
Non.
Et vous prétendez encore devant le Tribunal que ce n’était pas l’almanach des Jeunesses hitlériennes, et le seul qui fût édité en Allemagne ?
Je déclare, encore une fois, que cet almanach n’avait pas de caractère officiel.
Bien. Après avoir lu la citation, pensez-vous encore que Schirach, en tant que dirigeant de la jeunesse du Reich, ne s’est véritablement pas exprimé en termes désobligeants envers les Juifs, ou que les discours de ce genre n’étaient pas prononcés sous sa direction ?
Tant qu’il a été Führer de la jeunesse allemande, il n’a jamais dissimulé ses sentiments antisémites.
Connaissez-vous le discours qu’il a prononcé en 1942 et dans lequel il s’attribue le mérite d’avoir chassé les Juifs de Vienne ? Connaissez-vous ce discours ?
Non, je ne connais pas ce discours car, à cette époque, j’étais à Hanovre et von Schirach était à Vienne.
Oui, à cette époque, il était un de vos collègues ; il était Gauleiter. Ne receviez-vous jamais de rapports des SS sur ce qui se passait avec les Juifs dans les territoires de l’Est ?
Jamais. Des rapports, ou des circulaires, ou même des ordres, émanant des SS ne me sont jamais parvenus.
Avez-vous fait déporter des Juifs de votre Gau ?
Lorsque je suis arrivé dans mon Gau, en décembre 1940, les Juifs avaient déjà émigré.
Ils étaient déjà partis, lorsque vous êtes arrivé ?
Oui.
Avez-vous jamais entendu parler, de la part des Gauleiter qui recevaient des rapports de Heydrich ou de Himmler, de ce qui se passait avec les Juifs dans l’Est ? Est-ce que l’un quelconque de vos collègues Gauleiter ne vous à jamais raconté qu’il recevait régulièrement, chaque semaine ou chaque mois, des rapports de cette nature ?
Non. Les rapports de Himmler n’étaient accessibles ni aux Gauleiter, ni aux chefs honoraires des SS. Moi-même, qui étais Obergruppenführer des SS, je n’ai jamais reçu de rapports ou d’ordres de Himmler.
On prenait donc, avec ces rapports de Himmler, des précautions extraordinaires, n’est-ce pas ? Et maintenant, je vous demande — et je présume que, comme SS-Obergruppenführer, vous en savez quelque chose — si ces rapports de Himmler et de Heydrich n’étaient pas traités avec une extrême circonspection ?
En tant que SS-Obergruppenführer, je n’ai jamais reçu de rapports de Himmler, mais je sais que Himmler ne faisait tenir les rapports secrets sur les affaires internes ou confidentielles des SS, qu’aux chefs de la Police et des SS, donc aux chefs du service des SS et jamais aux chefs honoraires.
Eh bien, ce que je vous ai demandé, en réalité, c’est si ces rapports, lorsqu’ils étaient envoyés, ne l’étaient pas avec beaucoup de précautions ?
Je l’ignore. Je ne sais pas comment étaient traités ces rapports.
Quelle était la réputation de Heydrich à vos yeux, en 1942 ? Aviez-vous une très bonne ou une très mauvaise opinion de lui avant qu’il n’eût été tué ?
Je n’ai fait la connaissance de Heydrich qu’à l’occasion de quelques rares rencontres à la Direction de la jeunesse du Reich et, personnellement, j’avais une bonne opinion de lui. Mon opinion, aujourd’hui, est forcément autre, mais cela aujourd’hui seulement, depuis que je connais les mesures qu’il a prises.
Que faisait-il donc à ces rares rencontres dans les services de la Direction de la jeunesse du Reich ? Qu’est-ce qu’il avait à y faire ?
Dans des cas d’homosexualité, il avait, de sa propre initiative, fait intervenir ses services. Von Schirach s’y est opposé et a déclaré que ces cas relevaient également, au premier chef, de sa compétence.
Vous avez pourtant assisté à tous ces colloques avec Heydrich, n’est-ce pas, qu’il y en ait eu souvent ou non ?
J’ai participé à une conférence sur la question de l’homosexualité, conférence faite aux Jeunesses hitlériennes.
Dites-nous donc, d’après ce que vous avez vu et entendu, si vous avez eu l’impression que von Schirach et Heydrich étaient de très bons amis, ou s’ils avaient de très bonnes relations d’amitié ?
Ce colloque ne s’est pas tenu avec Schirach, mais avec un chargé de mission de la Direction des jeunesses du Reich qui, en qualité de spécialiste compétent de la Jeunesse hitlérienne, dirigeait la discussion.
Avez-vous jamais assisté à un entretien entre Schirach et Heydrich ? Étiez-vous présent ?
Non.
Von Schirach vous a-t-il jamais parlé de Heydrich ?
Non, je ne peux pas me le rappeler.
Je n’ai pas d’autres questions à poser, Monsieur le Président.
Docteur Sauter ?
Je n’ai pas d’autres questions, je vous remercie.
Le témoin peut se retirer.
Avec la permission de Monsieur le Président, je citerai comme témoin suivant Gustav Höpken. (Le témoin s’approche de la barre.)
Veuillez préciser vos nom et prénoms.
Gustav Dietrich Höpken.
Veuillez répéter ce serment après moi ; « Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien. » (Le témoin répète le serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Monsieur Höpken, je vous ai déjà entendu en prison au sujet du cas Schirach, n’est-ce pas ?
Oui, vous m’avez déjà interrogé.
Quel âge avez-vous ?
J’ai 36 ans.
Quel métier exerce votre père ?
Mon père est docker.
Quelle est votre profession ?
J’ai été marchand de journaux, docker, apprenti et professeur de culture physique.
Vous êtes maintenant en captivité en zone américaine ?
Oui, je suis en captivité en zone américaine.
Depuis quand ?
Depuis le 19 mai 1945.
Avez-vous déjà été entendu par le Ministère Public dans cette affaire ?
Jusqu’ici, je n’ai pas été interrogé par le Ministère Public.
Quand êtes-vous entré aux Jeunesses hitlériennes ?
Je suis entré aux Jeunesses hitlériennes en 1933.
En 1933, vous êtes entré aux Jeunesses hitlériennes. Quel âge aviez-vous à ce moment-là ?
A ce moment-là, j’avais 23 ans.
En quelle qualité êtes-vous entré aux Jeunesses hitlériennes ?
Tout d’abord, j’étais simple membre et, en septembre 1933, je suis devenu Unterbannführer des Jeunesses hitlériennes.
Unterbannführer, en 1933 ?
Oui, septembre 1933.
Était-ce une fonction rétribuée ou était-ce une fonction honorifique ?
J’ai travaillé de 1933 à 1935 aux Jeunesses hitlériennes comme professeur de gymnastique.
Et en 1935 ?
En 1935, je suis rentre au gouvernement de Potsdam, comme spécialiste de la gymnastique scolaire.
Cela n’avait plus rien à voir avec les Jeunesses hitlériennes ?
A Potsdam, j’avais également comme fonction accessoire la direction du « Bann » Potsdam, et du « Standort » Potsdam des Jeunesses hitlériennes.
Vous étiez donc alors fonctionnaire de l’État et, accessoirement, à titre honorifique, Führer des Jeunesses hitlériennes ?
J’ai été, de 1935 à 1939, fonctionnaire du Gouvernement à Potsdam, et j’avais, comme fonction accessoire et honorifique la direction du « Bann » Potsdam et du « Standort » Potsdam des Jeunesses hitlériennes.
A l’été 1939, vous êtes venu à la Direction de la jeunesse du Reich, n’est-ce pas ?
En été 1939, je suis entré à la Direction de la jeunesse du Reich et je suis devenu aide de camp de celui qui était alors le chef de la jeunesse du Reich, Baldur von Schirach.
A partir de 1939 ? Et combien de temps ?
Jusqu’en août 1939 ; je suis alors devenu soldat.
Une question ; entre temps, avant d’être avec Schirach, n’aviez-vous pas fait de service militaire ?
Avant de venir chez Schirach, en 1939, j’avais accompli une période obligatoire de huit semaines dans l’Armée de l’air.
En dehors de cette période, vous n’aviez pas subi d’autre formation militaire ?
Non, je n’en avais pas subi d’autre.
Avez-vous été officier ?
Non, jusqu’à ce moment-là je n’étais pas officier.
Schirach attachait-il de l’importance à ce que ses autres collaborateurs fussent officiers ou, tout au moins, des soldats complètement instruits ?
A ma connaissance, Schirach n’a attaché aucune importance à ce que ses collaborateurs fussent officiers ou soldats. Il estimait, au contraire, et il me l’a dit à plusieurs reprises, que les soldats et les officiers, à son avis, étaient moins aptes à diriger la jeunesse.
En ce qui concerne la formation des Jeunesses hitlériennes, je ne tiens pas à entrer dans les détails, mais je veux seulement vous poser une question, et cela parce que vous êtes un professionnel de l’éducation sportive. Cette question se rapporte à l’instruction des Jeunesses hitlériennes en ce qui concerne le tir. Ont-elles été exercées au maniement du fusil de guerre, ou de quelle manière ont-elles appris à tirer ?
Les exercices de tir étaient pratiqués au moyen de fusils à air comprimé, ou avec des carabines de petit calibre. Elles ne faisaient aucun tir avec des armes de guerre.
Je ne vous poserai pas d’autres questions en ce qui concerne l’uniforme, car ce sujet a été déjà tiré au clair. Mais ce qui m’intéresse, c’est de connaître les rapports avec l’Église. Avez-vous su, témoin, que l’accusé von Schirach a fait paraître dans le numéro du 14 janvier 1937 du Berliner Tageblatt, un article rédigé par son rapporteur spécialiste Günther Kaufmann et qui était intitulé : « Peut-on franchir l’abîme ? ». Cet article, dont j’ai une copie ici, traite un problème qui m’intéresse et c’est pourquoi je vous demande : savez-vous ce que Schirach voulait faire écrire par son rédacteur dans cet article et si la Direction des Jeunesses hitlériennes devait tenir compte des exigences religieuses de la jeunesse ?
Je connais cet article.
Vous le connaissez ?
Je connais aussi l’ordre donné par l’ancien Führer de la jeunesse selon lequel aucune obligation de service ne devait avoir lieu le dimanche pour les garçons et filles qui éprouveraient le besoin d’assister au service du culte. Mais il fallait laisser à tout garçon et à toute jeune fille la possibilité d’y assister de leur propre chef, et il a intimé l’ordre aux chefs des Jeunesses hitlériennes de ne pas entamer de discussions sur des questions litigieuses quelconques sur les rapports entre les jeunesses et l’Église en matière de religion. Il l’a interdit.
Témoin, c’est en somme l’essentiel de cet article du 14 janvier 1937. Mais vous savez qu’à la suite de cet article, l’accusé von Schirach a eu un certain nombre de difficultés de la part de Hitler. Voulez-vous nous dire brièvement ce que vous en savez.
Immédiatement après cet accord entre la Direction des Jeunesses hitlériennes et l’Église, parut cet article dans le Berliner Tageblatt. Le jour de sa publication, von Schirach se trouvait en conférence dans le bureau de Rosenberg et il fut appelé au téléphone par Hitler. Il s’entendit énergiquement interpeller par Hitler qui lui demanda des comptes, d’abord au sujet de cet accord avec l’Église, et ensuite à cause de l’article, dans le but d’annuler l’accord et d’arrêter immédiatement toute autre publication dans les journaux. D’un côté comme de l’autre, rien n’a été fait.
Schirach a-t-il refusé de retirer cet article ?
A ma connaissance, oui.
Vous êtes allé alors à Vienne avec Schirach en 1940 ?
Non, je n’y suis pas allé. Ce n’est qu’en septembre 1941 que je suis allé à Vienne pour la première fois.
Où étiez-vous entre temps ?
J’ai déjà dit qu’en août 1939 j’ai été mobilisé dans la Luftwaffe. A ce moment-là, j’étais soldat, et même instructeur dans une école d’aviateurs de la Luftwaffe.
Et vous n’êtes alors retourné qu’en 1941 chez Schirach, à Vienne ?
Oui, c’est en septembre 1941 que je suis allé chez Schirach à Vienne.
Le premier prélat de Vienne est bien le cardinal Innitzer ?
Oui.
Savez-vous quelle a été l’attitude de Schirach à l’égard du cardinal Innitzer, en particulier... Pour vous dire tout de suite le motif de ma question : est-il exact que Schirach ait pris position contre les vexations des Jeunesses hitlériennes envers le cardinal Innitzer ? A-t-il fait quelque chose ? Qu’a-t-il fait ?
Schirach m’a répété qu’il serait très désireux d’avoir un entretien à cœur ouvert avec le cardinal Innitzer, mais il n’y était pas autorisé. D’abord, en raison d’un décret de l’ancien chef de la chancellerie du Parti, Bormann, qui interdisait aux Gauleiter toute conférence avec les hauts dignitaires de l’Église. En outre, Schirach était conscient d’être lui-même sous la surveillance de la Police...
Qui, Schirach ?
Schirach savait qu’il était soumis à cette surveillance. Et il était convaincu que s’il tentait un entretien de ce genre, non seulement Bormann l’apprendrait dès le lendemain, mais que cela aurait sûrement pour lui, comme aussi pour M. le cardinal Innitzer, des conséquences très désagréables. D’autre part, Schirach estimait que M. le cardinal Innitzer, lui aussi, aurait aimé avoir une fois un entretien avec lui, et il était d’avis que le cas ne se produirait pas tant que le cardinal ignorerait tout de son attitude tolérante envers l’Église et la religion chrétienne. Je savais aussi, je crois que c’était durant l’hiver 1944-1945, que le cardinal Innitzer, revenant d’une messe, avait été molesté par de jeunes civils. M. le cardinal Innitzer a fait prendre les noms de ces jeunes gens par la Police et il fut reconnu qu’il s’agissait de chefs des Jeunesses hitlériennes. Le jour même, Schirach fit venir le chef responsable pour le district des Jeunesses hitlériennes, le réprimanda très sévèrement et ordonna la destitution immédiate des chefs en question. Ce qui, autant que je sache, a été fait. Je crois me rappeler également que Schirach, lui-même ou l’un de ses collaborateurs, adressa une lettre d’excuses à M. le cardinal Innitzer.
Je crois qu’il serait temps de lever l’audience.