CENT QUARANTE-DEUXIÈME JOURNÉE.
Jeudi 30 mai 1946.
Audience du matin.
(L’accusé Sauckel est à la barre des témoins.)Monsieur le Président, j’ai une requête à formuler. Mon client est le prochain à être interrogé et aimerait qu’il lui soit possible de ne pas assister à l’audience de cet après-midi ni à celle de demain matin pour qu’il puisse se préparer.
Oui, certainement.
Je vous remercie.
Plaise au Tribunal. L’accusé von Papen n’assistera pas à l’audience.
Accusé Sauckel, je vous demandais hier si vous considériez que la politique étrangère de l’Allemagne devait être déterminée en fonction des théories hitlériennes de l’« espace vital » et de la « race supérieure ».
Puis-je vous demander de répéter votre question ? Je ne l’ai pas comprise en allemand.
Je vous demandais hier si vous considériez que la politique étrangère de l’Allemagne devait être déterminée en fonction des deux théories hitlériennes de l’« espace vital » et de la « race des seigneurs » ?
J’ai compris que vous me demandiez si la politique étrangère allemande devait être déterminée par les principes de la « race supérieure » et de l’« espace vital ». Ai-je bien compris ?
Oui, je vous demande de me répondre si vous considérez qu’il devait en être ainsi.
Non, pas par le principe d’une « race supérieure ». Je vous demanderais de pouvoir faire une déclaration à ce sujet.
Je n’ai personnellement jamais approuvé les déclarations faites par certains orateurs nationaux-socialistes sur une « race supérieure » ou une « race des seigneurs ». Je n’ai jamais non plus exprimé de telles opinions. Quand j’étais jeune homme, j’ai beaucoup voyagé à travers le monde, et en Amérique et en Australie j’ai noué avec des familles des relations qui comptent parmi les plus beaux souvenirs de ma vie. Mais j’aime le peuple qui est le mien et je me suis efforcé, je le reconnais, de lui faire obtenir l’égalité des droits. Jamais je n’ai tenu pour bonne la notion de supériorité d’une race, mais je considérais comme nécessaire l’égalité, des droits.
Dans ces conditions, vous n’avez pas approuvé toutes les mesures de politique étrangère de Hitler et vous n’y avez pas collaboré ?
J’ai déjà déclaré, en réponse à une question posée par mon défenseur, que jamais je ne me suis considéré comme compétent en matière de politique étrangère. C’est d’une tout autre manière et pour des motifs tout différents que j’ai adhéré au Parti.
Vous souvenez-vous de la déclaration que vous avez faite, le 4 septembre 1945, à deux officiers de l’Armée américaine ? Cette déclaration constitue le document PS-3057. Il a été déposé au Tribunal sous le numéro USA-223. Vous avez dit ce qui suit :
« Dès 1921, j’ai été un national-socialiste convaincu et j’ai pleinement adhéré au programme d’Adolf Hitler ; j’ai travaillé activement dans ce sens, et de 1921 à la prise du pouvoir, j’ai prononcé environ 500 discours dont le sens et le contenu représentaient le point de vue du national-socialisme. Ce fut pour moi une satisfaction particulière d’avoir élevé le Gau de Thuringe à une situation prédominante, dans le domaine de l’idéologie et des convictions nationales-socialistes. Jusqu’à la débacle, je n’ai jamais douté de Hitler et j’ai obéi aveuglément à ses ordres. »
Vous allez un peu trop vite. Ceci a déjà été lu, Monsieur Herzog. Je crois qu’il est inutile que vous le relisiez en entier.
Alors je vous demande, accusé Sauckel, si vous confirmez ces déclarations que vous avez faites sous serment volontairement et sans contrainte, le 4 septembre 1945, et qui sont en contradiction avec les déclarations que vous m’avez faites hier et que vous venez de me faire.
Je confirme que ma signature se trouve sous ce document, mais je demanderais au Tribunal de pouvoir lui exposer comment j’ai été amené à donner cette signature. Ce document me fut présenté tout terminé, lors de mon interrogatoire. J’ai demandé qu’on me laissât lire ce document, dans ma cellule à Oberursel, afin de pouvoir y réfléchir, pour voir si je pouvais y apposer ma signature, mais cela me fut refusé. Au cours de cette conversation, on me déclara, en présence d’un officier, dont on me dit qu’il appartenait à l’Armée russe ou polonaise, que si j’hésitais trop longtemps à signer ce document, je serais livré aux autorités russes. Cet officier russe ou polonais demanda : « Où est la famille de Sauckel ? Lui, nous le connaissons et, bien entendu, nous allons l’emmener. Mais sa famille doit également être transférée en zone russe ». Je suis père de dix enfants, je n’ai pas réfléchi, et, par égard pour ma famille, j’ai signé ce procès-verbal. En rentrant dans ma cellule, j’ai adressé une requête écrite au commandant du camp, lui demandant d’être entendu de lui seul à ce sujet. Mais cela ne fut plus possible, car peu de temps après je fus transféré ici à Nuremberg. Je peux...
Votre signature figure-t-elle au bas de ce document dans lequel vous avez déclaré que vous faisiez ces déclarations volontairement et sans contrainte ?
C’est exact, mais dans la situation dans laquelle je me trouvais...
Je crois que ceci est suffisamment expliqué maintenant.
Voudriez-vous lui demander s’il l’a lu maintenant et si c’est exact ?
Je vous ai demandé tout à l’heure et je vous redemande : êtes-vous prêt à confirmer que ces déclarations sont exactes ?
Ces déclarations ne sont pas exactes sur certains points de détail et j’ai demandé à rectifier ces différents points. On ne m’en a pas laissé le temps. On m’a dit également, le dernier matin avant le départ, que je pourrais en parler à Nuremberg. Je l’ai dit ici à l’officier américain qui m’a interrogé.
Monsieur Herzog, ce document a-t-il déjà été lu à l’audience, lors de l’exposé du Ministère Public ?
Il a été déposé sous le numéro USA-223.
Monsieur le Président, si je m’en souviens bien, ce document n’a pas été déposé ; j’ai eu à ce moment-là un entretien avec le représentant du Ministère Public américain et lui ai fait part de mes objections. Eu égard à ces objections, il a renoncé à le déposer. Le Président lui-même a demandé, à la fin de l’exposé, si ce document n’allait pas être déposé, et le représentant du Ministère Public a répondu qu’il y renonçait, à la suite d’un entretien avec la Défense,
Vous nous affirmez donc qu’il n’a pas été lu à l’audience.
Non, il n’a pas été lu à l’audience et je demande que ce document ne soit pas admis comme preuve, puisqu’il a été obtenu par la contrainte.
Dans ces circonstances, Monsieur Herzog, vous pouvez contre-interroger le témoin comme il vous conviendra sur ce document. Le Tribunal avait l’impression que ce document avait déjà été lu à l’audience, c’est pourquoi nous vous avons interrompu dans votre lecture.
Vous aviez déclaré, au paragraphe 2 : « Après la mise en vigueur des lois de Nuremberg, j’ai veillé, en accord avec mes convictions, à ce que les stipulations de ces lois fussent pleinement appliquées dans le Gau de Thuringe. »
Paragraphe 4 :
« Sur le plan de la politique étrangère, je considérais que le peuple allemand pouvait, à bon droit, prétendre à un espace vital en Europe et devait, en raison de son niveau racial supérieur, assumer une fonction directrice... En ce qui concerne les moyens et les mesures nécessaires pour atteindre ce but, j’ai approuvé toutes les décisions prises par Hitler et la NSDAP et j’ai participé activement à la réalisation de ces plans.
Je n’ai pas compris la fin.
Je relis : « ...En ce qui concerne les moyens et les mesures nécessaires pour atteindre ce but, j’ai approuvé toutes les décisions prises par Hitler et la NSDAP et j’ai participé activement à la réalisation de ces plans. »
Je vous demande de confirmer que ces déclarations ont été faites.
Je n’aurais certainement pas fait ces déclarations sous cette forme si j’avais pu agir librement et selon ma propre volonté.
Le Tribunal appréciera. Est-il exact que vous ayez été nommé...
Monsieur Herzog, le Tribunal pense que, puisque le document est sous les yeux du témoin, vous devriez lui demander de préciser quels sont les points sur lesquels il ne tient pas le document pour exact.
Vous avez entendu la question du Président, accusé Sauckel ? Vous prétendez que ce document ne répond pas à la vérité ; voulez-vous dire au Tribunal dans quelle mesure vous l’estimez inexact ?
Puis-je reprendre point par point ? J’étais entièrement d’accord avec le programme social ; je l’ai déjà déclaré lors de mon interrogatoire par mon défenseur.
Accusé, le Tribunal désire que vous preniez le document et que vous déclariez, point par point, ce que vous trouvez inexact.
Au paragraphe 1, la date de 1921, est inexacte. Comme le prouve ma carte de membre, je ne suis entré au Parti qu’en 1923 ou 1925. Avant 1923, je n’étais que sympathisant. En ce qui concerne mon adhésion entière au programme d’Adolf Hitler, elle était sans réserves dans la mesure où ce programme me paraissait conforme aux lois, à la constitution et à la morale.
Sur le nombre de réunions que j’ai tenues, je ne peux pas me prononcer en donnant un chiffre exact. Mes discours et mes conférences étaient basés sur ma vie et sur mes expériences — c’étaient les seules choses dont je pouvais parler — et avaient pour principal objet la réconciliation des classes sociales et des différentes professions allemandes, dans l’esprit du national-socialisme.
Accusé, je vous ai déjà fait remarquer que le Tribunal désire que vous preniez le document et que vous disiez quelles sont les phrases qui vous semblent inexactes et non pas que vous fassiez des discours.
A mon sens, toutes les phrases sont inexactes ; je ne les aurais pas rédigées de telle façon si j’avais pu les formuler moi-même. Je conteste toutes les phrases de ce document car je ne les ai pas rédigées moi-même. On ne m’a pas interrogé, elles m’ont été présentées une fois rédigées.
Monsieur le Président, permettez-moi de donner une explication.
Ce document constitue pratiquement un résumé de tous les interrogatoires, dans lequel différents points représentent un aveu dans le sens de l’accusation. Si cela était exact, l’accusé n’aurait plus un mot à dire pour sa défense. Puisque c’est là un résumé et que l’on peut en tirer des conclusions, il faut lui donner l’occasion de réfuter ces conclusions du résumé et cela nécessite un exposé. Il n’y a pas là de faits précis auxquels on puisse répondre par oui ou par non.
L’accusé vient de dire que le document tout entier était inexact et avait été obtenu par la contrainte. Il est donc inutile de l’examiner à nouveau dans les détails, mais le Tribunal aimerait savoir si le Ministère Public américain a quelque chose à dire sur ce point.
Je n’ai pas sous les yeux d’exemplaire anglais de ce document.
M. Herzog dit que ce document a été déposé sous le numéro USA-223.
Si je me souviens bien — et je vais vérifier le procès-verbal, Monsieur le Président — nous avions, au cours de notre exposé sur le travail forcé, inclus ce document dans notre livre de documents, mais sans le présenter comme preuve. Je crois avoir dit au Tribunal, à l’époque, que nous avions décidé de ne pas le déposer. Nous l’avons fait reproduire et il figurait au livre des documents. Je peux me tromper, mais il me semble que M. le Président m’a demandé si j’avais l’intention de le déposer et que je lui ai répondu qu’après réflexion, nous avions décidé de ne pas en faire état.
Je ne comprends pas comment il peut avoir un numéro de dépôt s’il n’a pas été présenté comme preuve.
Je ne sais pas, Monsieur le Président ; je pense que c’est une erreur.
Monsieur Dodd, savez-vous si c’est un résumé d’interrogatoires antérieurs ?
Il me semble que c’est l’inverse. Je pense que ce procès-verbal a été établi avant l’arrivée de Sauckel à Nuremberg et avant que le Ministère Public américain ne procède à un interrogatoire.
Saviez-vous que le Dr Servatius élevait des objections contre ce document en s’appuyant sur le fait qu’il avait été obtenu par contrainte ?
Je crois me souvenir qu’au moment de la présentation de l’exposé sur le travail forcé, le Dr Servatius avait élevé certaines objections. C’est pourquoi nous en avons discuté à l’époque et pourquoi nous avons décidé de ne pas utiliser ce document.
Très bien dans ces conditions, il vaudrait mieux passer outre.
Vous avez été nommé plénipotentiaire à la main-d’œuvre par ordonnance du 21 mars 1942 ?
C’est exact.
Est-il exact que cette ordonnance ait été contresignée par votre co-accusé Keitel ?
Je crois que l’ordonnance portait trois signatures. Je ne puis le dire avec certitude.
Voulez-vous expliquer au Tribunal les circonstances dans lesquelles votre nomination est intervenue.
J’ai déjà répondu hier à cette même question posée par mon défenseur. Cette nomination a été une surprise pour moi.
Est-ce que l’accusé Speer, ministre du Reich pour l’armement et les munitions, est intervenu pour votre nomination ?
Je ne puis le dire. Dans l’exposé de Bormann, il est dit : « Sur proposition de Speer ». Mais je ne puis le dire avec certitude.
Vous ne vous souvenez pas d’avoir fait à ce sujet une déclaration dans votre interrogatoire du 12 septembre 1945 ?
Pour le moment, je ne me souviens pas exactement de cette déclaration.
Le 12 septembre 1945, interrogé par le commandant Monigan, vous auriez répondu ceci — le Tribunal trouvera ces déclarations à la première page des extraits de l’interrogatoire, que je lui ai fait remettre :
« En mars 1942, je fus convoqué de façon assez soudaine auprès du ministre Speer, qui avait été nommé peu de temps auparavant. Speer me dit qu’il était urgent pour moi d’assumer de nouvelles fonctions, concernant la main-d’œuvre. Quelques jours après, il m’invita à me rendre avec lui au Quartier Général et je fus introduit auprès du Führer qui me dit que je devais à tout prix accepter cette charge nouvelle. »
Confirmez-vous cette déclaration ?
Elle est exacte. Mais je ne puis dire si cela est antérieur à une décision, c’est-à-dire si ma nomination résultait d’une initiative quelconque antérieure à ces entretiens. Mais, en fait, cette déclaration est exacte.
Vous confirmez que l’accusé Speer, ministre de l’armement et des munitions, vous a emmené au Quartier Général du Führer lors de votre nomination ?
C’est exact.
Hier, votre avocat a déposé un tableau indiquant l’organisation générale de vos services et comment ils se rattachaient aux autres services du Reich. Vous avez déclaré que ce tableau était exact. Confirmez-vous cette déclaration ? Je vous demande de confirmer par oui ou par non si vous estimez que ce tableau est exact ?
D’après mes souvenirs personnels, oui.
Avez-vous ce tableau sous les yeux ?
Non, je ne l’ai pas.
Il s’agit du document déposé hier par l’avocat de l’accusé qui indique les différents services.
Quel est ce tableau ?
C’est le graphique n° 1 qui indique comment le service de Sauckel se reliait aux différents autres services ministériels. (A l’accusé.) Voulez-vous prendre la sixième colonne en partant de la gauche, celle au-dessus de laquelle se trouve le nom de l’accusé Funk.
Oui.
Voulez-vous descendre dans cette colonne jusqu’au troisième carré qui représente les inspecteurs de l’armement. Est-il exact que les inspecteurs de l’armement aient été, comme ce graphique l’indique, placés sous l’autorité du ministre Funk ?
Sous l’autorité de Funk ? De quel carré voulez-vous parler ? Ce n’est pas tout à fait exact. On aurait dû le placer un peu à côté ; plus tard, c’est Speer qui s’occupait de ces questions. Autoroutes, inspection des routes, tout cela n’a rien à voir avec Funk. C’est une erreur.
Voyez-vous le carré qui se trouve à côté et qui relie à la direction des « Autobahnen », la commission générale pour la recherche du travail ? C’est le carré qui se trouve à la droite et un peu au-dessus de ces deux-là. Est-ce aux « Reichsautobahnen » qu’il doit se trouver relié ? N’est-ce pas plutôt au carré de dessus, aux inspecteurs de l’armement ?
Je ne sais pas comment cette erreur a pû se glisser dans ce graphique. Je ne l’avais jamais vu auparavant ; je le vois ici pour la première fois. C’est une erreur. Je ne le savais pas.
Et vous en avez constaté l’exactitude sans l’avoir vu au préalable, alors ?
Je supposais que c’était le même que celui qui m’avait été montré.
Monsieur le Président, hier, lorsque ce document a été déposé, j’ai dit qu’il pouvait s’y trouver quelques erreurs. Elles ont eu lieu au cours du travail de polycopie.
Docteur Servatius, vous pourrez poser toutes les questions que vous voudrez au cours du contre-interrogatoire. Il n’y a aucune raison de soulever des objections aux questions actuellement posées au témoin et qui sont parfaitement pertinentes.
Accusé, assistiez-vous aux conférences de l’Office du Plan de quatre ans ?
En partie seulement, dans la mesure où l’on débattait de questions de main-d’œuvre.
Voulez-vous dire au Tribunal quels étaient les collaborateurs qui vous accompagnaient ou vous représentaient à ces conférences ?
C’était variable, le Dr Timm, le Dr Hildebrandt, le Dr Stothfang, cela dépendait.
Quels étaient, parmi les accusés, les autres personnalités qui assistaient à ces conférences ? Voulez-vous me les désigner ?
Parmi les accusés, je ne me souviens avec certitude que de M. Speer comme ayant participé à ces conférences. Je ne me souviens pas que M. Funk ait assisté à aucune de ces conférences. C’est possible, mais le contraire est aussi possible. Je ne peux pas m’en souvenir avec certitude.
Et l’accusé Göring ?
Personnellement, je n’ai jamais vu le Reichsmarschall aux conférences du Comité central du Plan. Je ne peux pas dire non plus si les conférences auxquelles il a participé en partie à Karinhall étaient du domaine du Comité central du Plan. Ce n’était pas toujours très précis.
Quand les accusés Göring et Funk n’assistaient pas à ces réunions, y étaient-ils représentés ?
Le Reichsmarschall était représenté par le maréchal Milch, mais je ne me souviens plus très exactement si le ministre Funk était représenté. Il est possible qu’il l’ait été par M. Kehrl ou par un autre. Il y avait de nombreux participants ; je ne les connaisssais pas tous personnellement.
Est-il exact que ce soit dans ces conférences de l’Office central du Plan que les programmes généraux d’utilisation de la main-d’œuvre ont été adoptés, en accord avec toutes les personnalités qui y assistaient ou qui étaient représentées ?
On ne prenait pas à l’Office central du Plan de décisions d’ordre général. On y faisait connaître les demandes, et comme elles donnaient souvent lieu à des contestations, il fallait en référer aux autorités supérieures et la plupart du temps au Führer lui-même. Très souvent.
Au Plan central, il s’établissait une collaboration entre vous-même et les autres accusés qui y assistaient ou qui y étaient représentés ?
Ce n’est pas là que fut créée cette collaboration car ces questions avaient déjà été discutées avant la création de l’Office central du Plan. Des questions avaient déjà été discutées et des exigences posées et discutées.
Voulez-vous prendre le document R-124, qui a déjà été déposé devant le Tribunal sous le numéro USA-179. Vous y verrez une déclaration que vous avez faite à la réunion du 1er mars 1944. Je lis :
« Mon devoir envers le Führer... »
Pouvez-vous m’indiquer à quelle page vous lisez ?
1780 ; l’endroit doit être marqué.
« Mon devoir envers le Führer, le Reichsmarschall, le ministre Speer et envers vous, Messieurs, ainsi qu’envers l’agriculture, est clair ; je le remplirai. Un premier pas a été fait : déjà 262.000 nouveaux ouvriers sont arrivés ; j’espère et je suis fermement convaincu de pouvoir obtenir la presque totalité de ce qui m’a été demandé. La répartition devra être faite, bien entendu, d’abord conformément aux besoins de l’industrie d’armement allemande et, deuxièmement, selon les besoins de l’ensemble de l’industrie allemande. Je suis volontiers disposé, Messieurs, à faire en sorte que les contacts les plus étroits soient maintenus ici et que les offices du travail et les offices du travail des Gaue y collaborent activement. »
Vous ne contestez pas qu’à l’Office central du Plan se soit établie une collaboration des différents services qui ont opéré le recrutement de la main-d’œuvre, puisque c’est vous-même qui avez demandé cette collaboration ?
Je n’ai pas nié qu’il y ait eu collaboration. C’est nécessaire dans tout régime et dans tout système. Il ne s’agit pas seulement ici de main-d’œuvre étrangère mais, surtout, à cette époque, de main-d’œuvre allemande. Je n’ai pas nié qu’on y ait travaillé, mais on n’y a pas toujours pris de décisions définitives. Voilà ce que je voulais dire.
Est-il exact que vous ayez désigné des mandataires pour vous représenter auprès des diverses administrations allemandes ?
Je n’avais pas de mandataires auprès des différentes administrations. J’avais des agents de liaison, où j’avais des services de liaison administratifs auprès de moi.
N’aviez-vous pas un tel « homme de liaison » auprès de l’accusé Speer, ministre de l’armement et des munitions ?
Ce n’était pas un homme de liaison qui était en permanence auprès de M. Speer, mais un homme qui discutait avec le ministre les questions en suspens, telles que les demandes de main-d’œuvre, etc. C’était M. Berk, si je me souviens bien.
Et auprès du ministre du Travail du Reich, aviez-vous un homme de liaison ?
Je n’en avais pas auprès du ministre du Travail du Reich, mais deux services du ministère du Travail en étaient chargés sur le plan administratif.
Dans votre interrogatoire du 12 septembre 1945, vous avez déclaré ce qui suit ; le Tribunal le trouvera aux pages 6 et 7 des extraits de l’interrogatoire que je lui ai remis :
« Réponse
Je disposais en outre de deux fonctionnaires qui servaient d’intermédiaires avec le ministre Speer et le ministère du Travail.
« Question
Ces personnes établissaient une liaison entre vos services, le ministre Speer et le ministère du travail ?
« Réponse
Entre le ministre Speer, le ministère du Travail et moi. »
Voudriez-vous me dire à quelle page cela se trouve ?
Pages 4 et 5. Avez-vous trouvé ?
Oui.
« Entre le ministre Speer et le ministère du Travail et moi-même... »
C’est à la page 6, n’est-ce pas ? Vous aviez dit pages 4 et 5. C’est bien à la page 6.
Page 4 pour les extraits allemands.
Bien, merci.
« Entre le ministre Speer, le ministère du Travail et moi-même, il y avait deux conseillers, le Dr Stothfang et le Landrat Berk. C’étaient des juristes et des spécialistes de l’économie nationale. Stothfang, principalement, était chargé de la liaison avec le ministère du Travail. »
Pourquoi me disiez-vous tout à l’heure que vous n’aviez pas de liaison avec le ministère du Travail ?
J’ai souligné expressément que deux services, les services 3 et 5, appartenaient au ministère du Travail et que le conseiller ministériel, Dr Stothfang, avait été précédemment l’adjoint personnel du secrétaire d’État Syrup. Dans des cas exceptionnels, il mena à ma demande des pourparlers avec le secrétaire d’État Syrup.
Vous confirmez donc que vous avez eu un mandataire ou un agent de liaison auprès du ministre du Travail et un autre auprès du ministre Speer.
Je le confirme pour des entretiens occasionnels. Mais ces messieurs appartenaient à ces services ou bien m’étaient attachés comme rapporteurs et ne se trouvaient pas dans ces ministères. Je ne peux pas dire non plus si, dans ce cas, la traduction est exacte. Je ne m’en souviens plus, mais en principe, c’est exact. Ces messieurs se trouvaient chez moi et non pas au ministère.
Voulez-vous dire au Tribunal ce qu’était la « Stabsbesprechung » ?
C’était une conférence au sujet de questions techniques à laquelle participaient les représentants des différents ministères ou les représentants de l’industrie qui demandaient de la main-d’œuvre. On y discutait de certaines questions dont il fallait tenir compte. Car, comme vous l’avez vu, je ne pouvais agir de mon propre chef.
Qui avait institué cette conférence, cet organisme nouveau que représentait la Stabsbesprechung ?
C’est moi qui ai institué cette conférence afin de pouvoir mettre au point ces questions. Il n’est pas possible de rien faire dans le vide, dans aucun gouvernement du monde.
Vous confirmez donc que ces différents systèmes de liaison impliquent une responsabilité commune des décisions prises par chacun d’entre vous en matière de main-d’œuvre ?
Du point de vue technique et administratif, cette question ne me semble pas claire, car je n’avais pas directement affaire aux ouvriers, je devais procéder à leur transfert et en discuter les modalités. Ces conférences n’ont jamais eu le sens d’une conspiration ou d’un acte criminel ; elles étaient exactement semblables à celles qui avaient eu lieu auparavant. J’ai participé à des gouvernements parlementaires, et ces questions étaient traitées de la même façon, exactement.
Je ne vous demande pas cela. Je vous demande si vous confirmez que l’existence de tels agents de liaison auprès du ministre Speer et du ministre du Travail, d’une part, et l’existence de cet organisme nouveau que vous avez créé, d’autre part, impliquent une responsabilité commune des décisions prises en matière de main-d’œuvre par l’accusé Speer, par le ministre du Travail et par vous-même ?
Je ne peux pas répondre à cette question simplement par non, car on m’adressait des demandes qu’en tant que fonctionnaire allemand ; je devais satisfaire. Et, pour les satisfaire, je devais réunir des conférences. Il n’était pas possible de faire autrement, car ce n’était pas moi personnellement qui réclamais et plaçais ces ouvriers ; c’était l’économie allemande et la question devait être réglée d’une façon ou d’une autre, qu’il s’agisse de travailleurs allemands ou d’autres ; il en était d’ailleurs de même en temps normal.
Est-il exact que, postérieurement à votre ordonnance de nomination, vous ayez été autorisé à vous faire représenter dans les bureaux des administrations civiles et militaires des territoires occupés par des mandataires spéciaux ?
A partir du 30 octobre, je ne puis indiquer la date exacte, et sur la demande du Führer, j’ai nommé des mandataires auprès des gouvernements des territoires occupés, Cette question a d’ailleurs déjà été traitée hier par mon avocat.
Le 30 octobre ? Je pense que vous voulez dire le 30 septembre 1942. C’est un lapsus de votre part. C’est une ordonnance du 30 septembre.
Je vous demande pardon, je ne me souviens pas de la date.
Est-il exact que ces mandataires, institués par cette ordonnance, vous étaient directement subordonnés ?
Dans la mesure où ils étaient mes mandataires et où ils devaient transmettre des ordres, ils m’étaient subordonnés.
Est-il exact qu’ils aient été autorisés à donner des directives aux autorités civiles et militaires des territoires occupés ?
C’est exact, dans la mesure où il s’agissait de directives, non pas générales, mais techniques.
Quel était votre mandataire auprès des autorités d’occupation en France ?
Mon mandataire en France était d’abord le président Ritter ; il fut assassiné à Paris et, après lui, ce fut le président Glatzel.
En Belgique, aviez-vous un mandataire ?
En Belgique, j’avais auprès de l’autorité militaire un mandataire du nom de Schulze.
Et en Hollande ?
En Hollande, il y en eut plusieurs. D’abord un M. Schmidt et un autre ; le dernier s’appelait, je crois, Ritterbusch, mais je ne puis vous dire le nom avec certitude.
Est-ce que ce système de mandataires auprès des autorités d’occupation était approuvé par l’accusé Speer ?
Il fut établi à l’instigation du Führer. Je suppose que Speer était d’accord. Il me l’avait recommandé, autant que je sache.
Et a-t-il manifesté, à votre connaissance, une initiative dans le décret que le Führer a pris à cet effet ?
Oui. Il était présent et il l’avait conseillé.
Dans votre interrogatoire, vous avez déclaré, en parlant des mandataires : « En 1941, ou en 1942, Speer institua ces représentants pour la main-d’œuvre ». Le Tribunal trouvera cette déclaration à la page 9 des extraits de l’interrogatoire. Qu’entendiez-vous par cette phrase ?
Je n’ai pas très bien compris, je vous demande pardon.
Je vous lis un extrait de votre interrogatoire du 8 octobre 1945 :
« Question
Quelles étaient les attributions de vos représentants dans les offices du travail des commandants militaires et des gouverneurs civils ? Consistaient-elles simplement en conseils techniques que les commandants pouvaient rejeter ou bien ces représentants avaient-ils autorité pour donner aux commandants militaires des directives sur les questions techniques ?
« Réponse
En 1941 ou 1942, Speer institua ces représentants pour la main-d’œuvre. »
Je vous demande simplement ce que vous entendez par cette phrase. Que vouliez-vous dire par : « En 1941 ou 1942, Speer institua ces représentants pour la main-d’œuvre » ?
Je dois dire, là encore, que je n’ai plus jamais revu le procès-verbal après mon interrogatoire ; je ne puis confirmer la phrase : « En 1941 ou 1942... » et je ne pense pas non plus que je l’aie dite, telle quelle, lors de mon interrogatoire.
Le Tribunal appréciera votre réponse. Est-il exact qu’à côté de vos mandataires auprès des commandants civils et militaires vous ayez installé des services de l’administration de la main-d’œuvre dans les territoires occupés ?
Ce n’est pas exact ; ils existaient déjà.
Vous confirmez donc qu’il existait, à côté des mandataires qui vous représentaient, des services de recrutement de main-d’œuvre dans les territoires occupés ?
Oui, il y avait, dans les territoires occupés auprès de chaque gouvernement régional, qu’il dépende de l’administration militaire ou de l’administration civile, des services du travail qui faisaient partie intégrante de cette administration et en dépendaient.
Est-ce que vous pouvez indiquer l’importance du personnel qui composait ces différents services dans les territoires occupés ?
Voulez-vous parler du chiffre total ? Je ne peux pas, de mémoire, donner avec précision des chiffres se rapportant à l’administration ; je ne les ai d’ailleurs jamais connus.
Vous ne vous souvenez pas d’une conférence qui a eu lieu les 15 et 16 juillet 1944, à la Wartburg, sous votre présidence, avec les présidents des offices de travail régionaux et les délégués généraux des territoires occupés européens ? Le 15 juillet 1944 dans l’après-midi, le conseiller d’État Börger a donné l’état de ce personnel. C’est le document français F-810, que je dépose au Tribunal sous le numéro RF-1507. Je lis, page 20 :
« Le conseiller d’État Börger a déclaré : « Hors des frontières du Reich, il y a au service de l’administration de l’emploi de la main-d’œuvre environ 4.000 personnes, à savoir : zone orientale, 1.300 ; France, 1016 ; Belgique et nord de la France, 429 ; Pays-Bas, 194. »
Est-ce que vous confirmez cette déclaration du conseiller d’État Börger ?
Oui, cela doit, en gros, être exact.
En dehors de vos mandataires, en dehors de ces services dont nous venons de parler n’avez-vous pas créé en France des commissions de spécialistes qui ont été chargées d’organiser l’utilisation de la main-d’œuvre selon l’exemple allemand ? Voulez-vous me répondre, je vous prie.
Je n’ai pas bien compris la question. Voudriez-vous la répéter.
Je vais la répéter : est-ce que, en dehors de vos mandataires, en dehors des services dont nous venons de parler, vous n’avez pas créé, en France plus particulièrement, des commissions de spécialistes qui auraient été chargées d’organiser le recrutement et l’utilisation de la main-d’œuvre selon l’exemple allemand ?
J’ai exposé hier à mon défenseur la question de la collaboration d’organismes français.
Ce n’est pas cela. Je vous parle des commissions de spécialistes. Vous ne vous souvenez pas d’avoir, pour assurer le recrutement de la main-d’œuvre en France, institué un système qui consistait à rattacher deux départements français à un Gau allemand ?
Je me souviens maintenant de ce que vous voulez dire. C’était le système de parrainage créé avec l’accord du Gouvernement français. Ces parrainages d’un département français par un Gau allemand avaient pour but, d’abord de renseigner les ouvriers devant se rendre en Allemagne sur la situation et les conditions de vie en Allemagne, et, en outre, d’entamer avec les services économiques des départements français, des pourparlers sur des questions de statistique.
Je présente le document PS-1293, qui devient le document français RF-1508. Il s’agit d’une lettre revêtue de votre signature, datée de Berlin le 14 août 1943, dont je vais vous lire des extraits. Le Tribunal la trouvera dans le livre de documents que je lui ai fait remettre au début de cette audience. Je lis d’abord le dernier paragraphe de la page 1 : « L’application de ces deux... »
Monsieur Herzog, je regrette, mais je n’ai pas trouvé le passage... 1293 ?
Monsieur le Président, les documents qui figurent dans mon livre de documents, que, j’ai fait remettre ce matin au Tribunal, doivent se trouver, sauf erreur dont je m’excuse à l’avance, dans l’ordre dans lequel j’ai l’intention de les utiliser.
J’ai trouvé le passage. C’est bien 1293 ?
Monsieur le Président, je me permets de signaler au Tribunal que je n’ai fait mettre un papillon qu’aux documents que je pense utiliser plusieurs fois, afin que le Tribunal les retrouve plus facilement. Puis-je commencer la lecture, Monsieur le Président ?
Certainement, mais les documents ne m’avaient pas été remis, voilà pourquoi ; aucun document ne m’avait été remis.
Je lis alors, fin de la page 1 : « La solution de ces deux importants problèmes de main-d’œuvre exige l’établissement et le développement immédiats en France d’une organisation allemande du travail plus puissante et plus sûre, et munie de tous les pouvoirs et de tous les moyens nécessaires. Cela pourra être réalisé par l’institution de « Gaue de parrainage » La France possède environ 80 départements ; le Reich grand-allemand est divisé en 42 Gaue politiques et dans le domaine de la main-d’œuvre en 42 circonscriptions des offices du travail. Chaque circonscription parrainera environ deux départements français. Chaque office du travail de Gau instituera pour ses départements une commission de spécialistes capables et éprouvés. Cette commission organisera l’utilisation de la main-d’œuvre dans ses départements sur le modèle allemand. »
Je saute une page et je reprends la lecture au bas de la page 2 du texte français, page 3 du texte allemand.
« Il n’est pas douteux que le projet de création des Gaue de parrainage pour l’utilisation de la main-d’œuvre française en Allemagne, et particulièrement le remaniement nécessaire dans l’intérêt de l’Allemagne, de l’industrie civile française en faveur de l’industrie d’armement allemande en France même, offrira, sur le système en vigueur jusqu’à présent, d’immenses avantages. »
Je saute au bas de la page 3 du texte français. Je lis la rubrique (d) :
« Le Service central allemand du travail à Paris, c’est-à-dire le représentant du plénipotentiaire et son service... » Vous m’avez dit tout à l’heure que les services allemands du recrutement de la main-d’œuvre dans les territoires occupés n’étaient pas sous votre direction de plénipotentiaire au travail, mais dépendaient des autorités locales. Comment expliquez-vous cette phrase, alors ?
Elle est très facile à expliquer. Ces hommes dépendaient de l’autorité militaire, section de la main-d’œuvre. Ils étaient envoyés d’Allemagne par les offices du travail et placés dans l’administration.
Vous dites : « Le Service central allemand du travail à Paris, c’est-à-dire le représentant du plénipotentiaire et son service ». Le Service central allemand du travail à Paris était donc votre représentant ?
Le Service central allemand du travail à Paris était incorporé à l’administration civile de l’autorité militaire en France. Cela ne se trouve pas exprimé dans cette phrase, car c’était supposé connu des Gauleiter. C’est parfaitement exact tel que je l’ai exposé.
Je reprends la lecture : « Le Service central allemand du travail à Paris, c’est-à-dire le représentant du plénipotentiaire et son service, dispose dans toute la France d’une organisation éprouvée qui lui facilitera tout particulièrement la solution des problèmes qui se posent en France, malgré la résistance passive éventuelle, voire effective, de tous les échelons de la bureaucratie française ».
Je passe deux lignes :
« J’ai donc chargé les présidents, ou selon le cas, les commissaires directeurs des offices du travail nouvellement formés dans les Gaue, de créer une organisation correspondante dans les départements dont le parrainage leur a été confié et je vous prie, en accord avec le Reichsleiter et camarade du Parti Bormann, et en votre qualité de délégué à la main-d’œuvre, d’accorder tout votre appui aux nouvelles attributions de l’office du travail de votre Gau. Le président ou le commissaire directeur de l’office du travail de votre Gau a pour mission de vous tenir au courant des détails de l’application de ces mesures. »
Est-ce que cette mesure ne réalisait pas une tentative de subordination administrative, sur le plan du travail, du territoire français au territoire allemand ?
Oui, mais puis-je vous prier et prier le Tribunal de me laisser de mon côté expliquer ce qui suit : il est dit à la troisième page, paragraphe 1... je cite à la troisième ligne :
« ...m’a incité, en plein accord avec le Führer et au cours de négociations avec le chef du Gouvernement français » et voici le point important — « et avec les autorités allemandes compétentes » — c’est-à-dire l’autorité militaire, à laquelle sont incorporés ce service du travail et ce délégué et à laquelle ils sont subordonnés — « à prendre des mesures urgentes et importantes... »
Je voudrais lire, à la page 4, quel était le but particulier de ces parrainages, qui ne constituaient rien d’inamical ; je lis page 4 du texte allemand, sous la rubrique a) :
« a) Les préjugés, le manque de confiance, le manque de soins, l’arrêt des réclamations » — c’est-à-dire réclamations des ouvriers — « qui portent préjudice à l’envoi de main-d’œuvre en Allemagne, pourront, dans une large mesure, être éliminés au moyen des relations établies entre le Gau parrain et le département adopté. »
Je lis encore sous la rubrique b) : « Chaque ouvrier français dans un tel département saura exactement où et dans quelles conditions il aura à travailler en Allemagne. Le matériel de propagande allemand lui donnera d’amples renseignements sur le territoire allemand où il devra travailler et sur toute question qui l’intéresse. »
Tel était le but de cette institution. C’est donc quelque chose de favorable que je désirais créer pour la main-d’œuvre française, outre la satisfaction des intérêts allemands.
Répondez-moi par oui ou par non. Cette mesure constituait-elle une tentative de rattachement administratif des départements français aux Gaue allemands dans le domaine de la main-d’œuvre ? Je vous demande de me répondre par oui ou par non.
Non. Puis-je expliquer ma réponse ? Cette institution avait pour but de tirer au clair certains problèmes qui se posaient entre le Gouvernement français, les département français, les entreprises et les industriels français d’une part et, d’autre part, les services intérieurs en Allemagne, dans lesquels les ouvriers français devaient être employés. Le but essentiel était d’éviter les réclamations et la défiance.
Nous allons suspendre l’audience.
Accusé, est-il exact que votre co-accusé Göring ait placé sous votre contrôle tous les organismes de l’Office central du Plan de quatre ans qui étaient chargés du recrutement de la main-d’œuvre ?
Les divers organismes du Plan de quatre ans qui s’occupaient des questions de travail furent dissous. Seuls les départements 3 et 5 du ministère du travail continuèrent à s’occuper de ces questions.
Est-il exact que les pouvoirs du ministre du Travail en matière de main-d’œuvre vous aient été transférés, et que, du fait de ce transfert, vous ayez exercé des pouvoirs réglementaires et législatifs ?
Seulement en ce qui concerne les départements 3 et 5, dans la mesure où ils étaient de mon ressort, tous les autres services du ministère du Travail restaient aux ordres du ministère du Travail.
Mais dans le cadre de ce ressort, vous avez exercé les droits qui appartenaient au ministre du Travail du Reich antérieurement à votre nomination... dans le cadre de votre service de plénipotentiaire à la main-d’œuvre ?
Dans le cadre de mes fonctions de plénipotentiaire à la main-d’œuvre. Mais je veux insister sur le fait que ces services n’étaient pas placés sous mes ordres ; ils étaient à ma disposition et cette distinction était alors très fortement marquée. Ces services restaient, en fait, rattachés à l’ensemble du ministère du Travail.
Du fait de cette situation, vous avez exercé, en matière de main-d’œuvre, une autonomie administrative ?
Non, pas une autonomie, mais un pouvoir basé uniquement sur un système électif. Je ne pouvais pas prendre de décrets, je ne pouvais que donner des instructions ; je devais, dans chaque cas, obtenir l’accord des autres services administratifs ou des ministères, ainsi que celui du Führer ou, le cas échéant, du service dont je dépendais.
N’aviez-vous pas reçu du Führer carte blanche pour le recrutement et l’utilisation de la main-d’œuvre ?
Non, pas pour le recrutement et l’utilisation, mais pour la direction et l’organisation. Si je peux m’exprimer ainsi, le bureau de placement que constituaient pratiquement mes services n’employait pas lui-même les travailleurs : ceux-ci étaient employés dans les entreprises.
Pour le recrutement de la main-d’œuvre, aviez-vous carte blanche du Führer ?
Pas entièrement ; mais après une note et après avoir obtenu l’accord — surtout à l’étranger — de l’autorité compétente pour ce territoire. Ainsi, je n’ai pas fait de recrutement en France sans l’accord formel et la collaboration du Gouvernement français. L’administration française s’y est employée.
Accusé Sauckel, vous avez invoqué à plusieurs reprises les accords et les engagements que vous avez conclus en France avec ceux que vous avez appelés vous-même les chefs de la collaboration. Vous savez, mieux que personne, que ces chefs de la collaboration imposée par l’ennemi à la France n’ont engagé qu’eux-mêmes et que leurs actes n’ont jamais été ratifiés par l’ensemble du peuple français. Au demeurant, ces chefs de la collaboration, dont le témoignage ne peut pas vous être suspect, ont eux-mêmes révélé la pression dont ils étaient l’objet de votre part. Nous allons maintenant traiter cette question.
Est-il exact que le 16 avril 1942, soit moins d’un mois après votre nomination, vous avez, dans une lettre à l’accusé Rosenberg, qui contient votre programme et qu’on vous a présentée hier, inclus le recrutement des travailleurs étrangers dans votre programme d’utilisation (Par une erreur d’interprétation, le mot « utilisation » a été traduit en allemand par « Ausbeutung » qui signifie exploitation.) de la main-d’œuvre ?
Je proteste contre l’expression « exploitation de la main-d’œuvre ». C’est sur l’ordre exprès du Führer, c’est exact, que j’ai inclus dans mon programme le recrutement des travailleurs étrangers.
Est-il exact que vous ayez inclus le recrutement des travailleurs étrangers dans votre programme de main-d’œuvre, dans votre programme du 16 avril 1942 ? Vous l’avez reconnu hier. Je vous demande de le confirmer.
Oui, c’est exact. Je spécifie simplement que je ne l’ai fait que sur ordre formel.
Est-il exact que ce programme, dès le 16 avril 1942, trois semaines après votre nomination ou à peu près, comportait déjà le principe du recrutement forcé ?
C’était prévu sur l’ordre exprès du Führer au cas où le recrutement volontaire ne suffirait pas. Je l’ai déjà déclaré hier à mon avocat.
Vous souvenez-vous de l’ordonnance que vous avez prise le 29 août 1942 ? Elle fixait par priorité l’utilisation de la main-d’œuvre dans les territoires occupés. C’est l’ordonnance n° 10 du délégué général pour l’utilisation de la main-d’œuvre, relative à l’emploi de la main-d’œuvre dans les territoires occupés. Elle a été déposée au Tribunal sous le numéro RF-17. Vous en souvenez-vous ?
Oui, je me souviens de l’ordonnance n° 10, en effet.
Est-ce que cette ordonnance était applicable aux territoires occupés qui étaient sous administration allemande ?
Si je m’en souviens bien — je n’en ai pas devant moi le texte et les différents paragraphes — cette ordonnance traitait de la question des contrats de travail passés par les entreprises allemandes. Elle avait pour but d’éviter le désordre.
Est-il exact que vous ayez effectué une mission à Paris au mois d’août 1942 ?
C’est possible. Je ne peux évidemment me souvenir de la date exacte.
Est-il exact que vous ayez effectué une mission à Paris au mois de janvier 1943 ?
C’est possible aussi, c’est vraisemblable.
Est-il exact que vous ayez effectué une mission à Paris au mois de janvier 1944 ?
C’est également probable. Je ne me souviens pas des dates.
Avez-vous effectué des missions à Paris avant que les autorités françaises de fait ne publient les actes législatifs du 4 septembre 1942, du 16 février 1943 et du 1er février 1944 ? Est-ce exact ?
Je n’ai pas bien compris la question.
Je vous demande s’il est exact qu’avant que les autorités françaises de fait ne publient les trois grandes lois sur le travail obligatoire du 4 septembre 1942, du 16 février 1943 et du 1er février 1944, vous ayez effectué des missions en France, à Paris ?
Je n’ai fait de voyages à Paris que pour entreprendre des négociations avec le Gouvernement français ; et, à ce sujet, je tiens à dire que je suis intimement persuadé...
Reconnaissez-vous qu’au cours de ces missions vous avez imposé aux autorités françaises les lois sur le travail obligatoire ?
Ce n’est pas tout à fait exact, mais...
Vous contestez donc que les lois sur le travail obligatoire aient été prises sous votre pression ?
Je proteste contre ce mot de « pression ». J’ai négocié correctement avec le Gouvernement français avant que ces lois n’aient été prises. Je conteste formellement le mot « pression ».
Vous souvenez-vous du coup de téléphone que l’accusé Speer vous a envoyé du Quartier Général du Führer, le 4 janvier 1943 ?
Oui, il est probable que j’aie reçu différentes communications téléphoniques de Speer. Je ne sais pas de laquelle vous voulez parler.
Vous ne vous souvenez pas d’une note que vous avez envoyée à vos services à la suite du coup de téléphone du 4 janvier 1943 ?
Il est probable que j’aie fait différentes notes ; il fallait bien que je fasse des notes quand je recevais des instructions par téléphone.
Je vais vous présenter le document PS-556 qui a déjà été déposé au Tribunal sous les numéros USA-194 et RF-67. Je lis ce document ou tout au moins son premier paragraphe :
« Le 4 janvier 1943, à 8 heures du soir, le ministre Speer téléphone du Quartier Général du Führer et m’informe qu’à la suite d’une décision du Führer, il n’est pas nécessaire, à l’avenir, lors de l’embauche de spécialistes et d auxiliaires en France, d’avoir des égards particuliers vis-à-vis des Français. Il pourra être exercé une pression et fait usage de mesures plus sévères pour le recrutement de la main-d’œuvre. »
Je vous demande, accusé, ce que vous entendez lorsque vous dites qu’il n’est pas nécessaire d’avoir des égards particuliers vis-à-vis des Français ?
Je n’ai pas rédigé moi-même cette note ou cette décision ; c’était là une communication qui émanait du Grand Quartier Général du Führer et qui avait pour origine une décision du Führer. Malgré cela, — et je tiens absolument à le spécifier ici — je n’ai pas modifié mon attitude vis-à-vis du Gouvernement français ; cela ne figure pas non plus au procès-verbal. En tous temps, mes négociations avec le Gouvernement ont été menées avec la même correction, et je demande au Tribunal de me permettre de donner une brève explication sur la question de mes négociations avec le Gouvernement français.
Vous allez la donner dans la suite de votre interrogatoire.
Est-ce que vous vous souvenez de l’entretien que vous avez eu le 12 janvier 1943 à l’ambassade d’Allemagne à Paris avec les autorités françaises ?
A l’ambassade d’Allemagne à Paris, je crois n’avoir vu que des ministres français.
C’est précisément ce que je vous demande. Vous souvenez-vous de l’entretien que vous avez eu avec les autorités françaises le 12 janvier 1943 ?
Oui, mais pas dans. le détail ; mais il est probable que j’aie négocié à cette époque.
Vous souvenez-vous des personnes qui participaient à cet entretien ?
Oui, d’habitude, le président du Conseil français, le ministre du Travail français, M. Bichelonne, assistaient aux réunions de ce genre et, du côté allemand, l’ambassadeur et le représentant de l’autorité militaire, le Dr Fischer, ainsi que mon représentant qui était sans doute le Dr Hildebrandt ou un autre de ces messieurs.
Vous ne vous souvenez pas de ce que Laval vous a dit lors de cet entretien du 12 janvier 1943 ?
Au cours de ces entretiens, nous avons traité longuement de nombreuses questions. Je ne sais pas ce que vous voulez dire.
Je vais vous soumettre le compte rendu de cette réunion. C’est le document F-809, que je dépose au Tribunal sous le numéro RF-1509.
Au cours de cet entretien, Laval vous a fait une longue déclaration ou, plus exactement, plusieurs déclarations.
Où trouverons-nous ce document ?
Ce document est dans mon livre de documents, Monsieur le Président. Il doit être marqué par un papillon 809.
Je lis d’abord, page 7 des textes français et allemand :
« Le Gauleiter Sauckel réclame encore 250.000 nouveaux travailleurs. Le Gauleiter Sauckel connaît fort bien — et ces services l’auront renseigné à ce sujet — les difficultés dont le Gouvernement français s’est chargé pour réaliser le programme de l’an passé. Le Gauleiter doit se rendre compte qu’en raison du nombre des prisonniers et du nombre des travailleurs déjà employés par l’Allemagne, l’envoi de 250.000 autres travailleurs accroîtra encore les difficultés du Gouvernement français. Je ne puis cacher ces difficultés au Gauleiter, car elles sont évidentes et les Allemands qui sont à Paris connaissent ces difficultés. Quand le Gauleiter me rétorque qu’on a dû surmonter en Allemagne les mêmes difficultés et que c’est à l’industrie française de les affronter maintenant, il me semble que je peux rappeler que l’Allemagne non seulement exige de la France des travailleurs, mais aussi commence à enlever les machines des fabriques pour les transporter en Allemagne. Si la France n’a plus rien d’autre, il lui restait pourtant jusqu’à présent ses moyens de production. Si on lui prend encore ceux-ci, elle perd même ses possibilités de travail.
« Je fais tout pour faciliter la victoire allemande » — et vous voyez que Laval ne doit pas vous être suspect à vous, accusé — « mais il faut bien que je constate que la politique allemande m’impose presque chaque jour de plus dures exigences, sans que celles-ci entrent dans le cadre d’une politique définie. Le Gauleiter Sauckel peut dire aux travailleurs allemands qu’ils doivent travailler pour l’Allemagne. Je ne puis dire que les Français travaillent pour la France. Je vois qu’en de nombreux domaines le Gouvernement français ne peut agir. On croirait presque que l’on n’attache, du côté allemand, aucune valeur à la bonne volonté des Français et qu’on est incliné à instituer dans toute la France une administration allemande. On rend chaque jour ma tâche plus difficile. Il est vrai que je ne me laisse pas décourager, mais j’estime cependant qu’il est de mon devoir de rappeler au Gauleiter la gravité des relations franco-allemandes et l’impossibilité de continuer dans cette voie. Il ne s’agit plus d’une politique de collaboration mais, du côté français, d’une politique de sacrifice et, du côté allemand, d’une politique de contrainte. »
Je passe à la page suivante, page 11 :
« L’état d’esprit actuel en France, l’incertitude des moyens dont le Gouvernement français dispose, la demi-liberté dans laquelle il se trouve ne me donnent pas l’autorité nécessaire pour fournir au Gauleiter Sauckel une réponse immédiate. Nous ne pouvons rien faire. Nous ne sommes pas libres de modifier les salaires. Nous ne sommes pas libres de combattre le marché noir. Nous ne pouvons prendre aucune mesure politique sans nous heurter partout à une autorité allemande qui se substitue à nous. Je ne puis servir de garant à des mesures que je n’ai pas prises. Je suis persuadé que le Führer ne sait pas que le Gouvernement français ne peut agir. Il ne peut y avoir dans un pays deux Gouvernements sur des questions ne concernant pas directement la sécurité de l’armée d’occupation. »
Je saute deux pages. Je lis page 18 cette simple phrase :
« Il ne m’est pas possible d’être simplement syndic des mesures de contrainte allemandes. »
Voici le document que je vous présente, accusé. Je vous pose à son sujet deux questions.
La première : qu’avez-vous répondu à Laval lorsqu’il vous a fait cette déclaration ?
La seconde : ne croyez-vous pas que ce soit là la marque de la pression que vous contestez ?
Tout d’abord, il me faudrait, si le Tribunal m’y autorise, vous dire quelle fut ma réponse à Laval. Ce document confirme que j’ai toujours négocié avec lui de façon correcte, et bien que j’eusse reçu des ordres pour ne pas aborder le domaine de la politique mais de traiter simplement de questions techniques, j’ai toujours fait des rapports au Führer sur ces questions. Je pense que le ton de ma réponse est absolument irréprochable. En ce qui concerne ces négociations que j’ai menées...
Ce n’est pas la question que je vous ai posée. Je vous ai demandé ce que vous lui aviez répondu lorsqu’il vous avait fait cette déclaration, lorsqu’il vous avait dit, par exemple, qu’il ne lui était pas possible d’être syndic des mesures de contrainte allemandes.
Il faudrait que je puisse donner lecture de ma propre réponse. Je ne l’ai plus tout à fait en mémoire.
Vous contestez donc que ceci représente la pression ?
Laval ne se plaignait pas de moi personnellement, mais des conditions générales qui régnaient en France du fait de l’occupation. La France était occupée... C’était la guerre.
Je vais vous présenter le document.
Monsieur le Président, en ce qui concerne ce document, je voudrais relever une faute de traduction qui peut provoquer un grave malentendu. La note dit :
« Il faudra agir avec insistance et faire usage de mesures plus sévères. »
Ce mot « Nachdruck » (insistance) a été traduit par « pression ». Ce n’est pas là ce que l’on a voulu dire. Ce n’est pas « Druck » (pression) mais « Nachdruck » (insistance), ce qui signifiait qu’il fallait insister auprès des services subalternes.
On me dit que la traduction eh anglais dans ce document est le mot « emphasis » (insistance).
« Pressure » (pression).
On me dit que la traduction est « emphasis » (insistance). Non, non, le document et la traduction anglaise disent bien « insistance ».
Oh, il s’agit de la traduction française.
Je vais vous présenter le document.
Monsieur Herzog, ce document est-il de la série PS ?
Non, Monsieur le Président, c’est un document nouveau que je présente. C’est un document français qui portera le numéro RF-1509.
D’où provient ce document ?
Ce document provient, Monsieur le Président, des archives du « Majestic », hôtel de Paris dans lequel se trouvaient les services allemands. Ces archives ont été retrouvées il y a quelques mois à Berlin et nous en avons extrait les documents Sauckel.
Je présente au Tribunal le certificat d’origine des dossiers Sauckel, ainsi que celui des documents que j’ai l’intention de lui déposer au cours de mon contre-interrogatoire. Peut-être ce document étant en français, le Tribunal désire-t-il que j’en donne lecture ?
Oui, voulez-vous en donner lecture ? Vous voulez parler du procès-verbal ? Qu’est-ce que ce procès-verbal ? Par qui est-il identifié ?
Ce procès-verbal est identifié par deux personnalités : par le commandant Henri qui est officier de liaison français auprès du centre de documentation américain de Berlin, et par mon collègue M. Gerthoffer qui, avec le commandant Henri, a opéré le prélèvement de ces archives.
Vous feriez peut-être mieux de lire ce procès-verbal afin qu’il figure au procès-verbal des débats.
« Nous, Charles Gerthoffer, substitut près le Tribunal de la Seine, détaché au Ministère Public du Tribunal Militaire International des Grands Criminels de Guerre, nous étant transportés à Berlin dans les locaux du Ministerial Collecting Center, le commandant Henri, chef de la mission française, nous remet, avec l’autorisation du colonel Helm, de l’Armée des États-Unis, chef du 6889 Berlin Collecting Center, sept dossiers provenant des archives du commandement militaire en France, relatifs au Service du travail obligatoire, enregistrés au MCC sous les numéros : 3-DS, pièces 1 à 213 ; 4-DS, pièces 1 à 230 ; 5-DS, pièces 1 à 404, et deux annexes ; 6-DS, pièces 1 à 218 ; 7-DS, pièces 1 à 118, et une annexe : 1 à 121 ; 50-DS, pièces 1 à 55 ; 71-DS, pièces 1 à 40.
« Nous déclarons au commandant Henri que nous saisissons les-dits dossiers pour être déposés au Tribunal Militaire International des Grands Criminels de Guerre, aux fins d’utilisation pendant l’instruction, et qu’ils seront remis ultérieurement au ministère français de la Justice, dont ils restent la propriété.
« Fait en cinq exemplaires, dont un devant servir d’affidavit pour le Tribunal Militaire International des Grands Criminels de Guerre.
« Signé : Gerthoffer. Signé : Henri. »
Ceci représente le certificat d’origine des dossiers en eux-mêmes.
J’ai un deuxième certificat qui représente...
Puis-je faire une observation en ce qui concerne le premier document ? C’est le procès-verbal...
Je vous prierais de ne pas m’interrompre.
Monsieur Herzog, les documents provenaient de l’hôtel Majestic, n’est-ce pas ?
Oui, Monsieur le Président.
Et l’hôtel Majestic était l’endroit...
C’était l’endroit où, à Paris, se trouvaient les bureaux du commandement militaire en France et des différents services d’occupation allemands. Ces documents, qui avaient disparu lors de la libération, ont été retrouvés au Ministerial Collecting Center à Berlin. Le document que je viens de vous présenter est le certificat d’origine des documents que j’ai extrait des dossiers et que je suis prêt a lire au Tribunal s’il le demande.
L’hôtel Majestic était le siège du Gouvernement militaire allemand à Paris, n’est-ce pas ?
Oui, Monsieur le Président, sauf erreur de ma part, je le crois. Le Tribunal désire-t-il que je lui lise, en extrait tout au moins, l’autre certificat d’origine, celui du document en lui-même ?
Je croyais que vous l’aviez déjà lu ?
Non, Monsieur le Président. Je présente au Tribunal deux certificats d’origine. Le premier, celui dont je viens de donner lecture, est le certificat d’origine de sept dossiers qui contiennent de très nombreux documents. De ces sept dossiers, nous avons extrait simplement un certain nombre de documents que nous déposons au Tribunal. C’est pourquoi j’ai cru bon, après avoir présenté un certificat d’origine des dossiers, d’avoir...
Le deuxième certificat ne fait que confirmer que les documents que vous déposez sont extraits de ces dossiers ?
C’est cela, Monsieur le Président.
Et ces dossiers proviennent de l’hôtel Majestic, qui était le siège de l’administration militaire allemande. Allez-vous donner lecture du second document ?
Oui, Monsieur le Président.
Déposez-vous les documents originaux allemands ?
Oui, Monsieur le Président. (A l’accusé.) Puisque vous contestez encore la pression que vous exerciez sur le Gouvernement, je vais vous présenter le document PS-1342.
Je crois qu’il s’est produit une erreur de traduction. J’ai compris : « Niez-vous que vous ayez exercé une pression sur le Tribunal ? » J’ai beaucoup trop de respect pour le Tribunal pour exercer une pression sur lui. Je ne comprends pas la question. J’ai compris que l’on me demandais si je contestais avoir exercé une pression sur le Tribunal. Je réponds par « non ».
Puisque vous contestez que vous ayez effectué une pression sur les autorités françaises, je vous présente un nouveau document ; c’est le document PS-1342, qui a été déposé déjà au Tribunal sous le numéro RF-63. Ce document est le compte rendu d’une réunion que vous avez tenue le 11 janvier 1943, à Paris, avec diverses autorités allemandes d’occupation. Vous souvenez-vous d’avoir fait, à ce sujet, une déclaration sur vos rapports avec le Gouvernement de Vichy ? Je vais vous lire cette déclaration ; elle se trouve à la page 4 du texte français et du texte allemand.
Un instant, s’il vous plaît ; je ne l’ai pas encore trouvée.
Je lis cette déclaration :
« Le Gouvernement français... » — c’est l’avant-dernier paragraphe, avant la fin de la page 4 — « Le Gouvernement français est uniquement composé de virtuoses de la temporisation. Si les 250.000 premiers ouvriers au sujet desquels des négociations avec le Gouvernement français avaient été entamées au printemps, étaient arrivés à temps en Allemagne, c’est-à-dire avant l’automne, il aurait peut-être été possible de mobiliser plus tôt les spécialistes et de mettre sur pied de nouvelles divisions, ce qui aurait peut-être permis d’éviter l’encerclement de Stalingrad. Dans tous les cas, le Führer serait maintenant absolument décidé à régner en France, et cela éventuellement, sans le Gouvernement français. »
Lorsque vous faisiez cette déclaration, ne reflétait-elle pas la pression que vous exerciez sur le Gouvernement français ?
Mais ce n’est pas une conversation avec le Gouvernement français, c’est la constatation d’un état de fait.
Je ne vous dis pas que c’était une conversation avec le Gouvernement français, je vous demande de bien vouloir me dire si, lorsque vous disiez que le Führer était éventuellement disposé à régner en France, même sans le Gouvernement français, il ne s’agissait pas là d’une pression ?
C’était une décision et une déclaration du Führer dont on ne saurait me rendre responsable. Je n’ai fait qu’en parler et jamais cela n’a été réalisé.
Pourquoi la transmettiez-vous aux autorités d’occupation en France, au cours d’une conférence que vous teniez alors avec eux au sujet du recrutement de la main-d’œuvre ?
Parce que j’étais obligé d’expliquer la situation telle qu’elle était et ainsi que je l’avais vue.
Ne croyez-vous pas qu’en leur faisant part de cette déclaration du Führer vous en faisiez un élément de pression ?
Je ne pouvais pas du tout exercer une pression de cette façon, car je ne faisais là qu’exposer des faits. Je n’ai jamais dit au Gouvernement français : « Le Führer veut vous destituer ; vous devez donc faire telle et telle chose ». Je n’ai fait que négocier.
Mais vous avez bien dit — et je vous demande de le confirmer — au cours de cette conférence, que le Führer était éventuellement décidé à régner en France, même sans le Gouvernement français. L’avez-vous dit ? Je vous demande de répondre par « oui » ou « non ».
Oui, j’ai répété ces paroles, mais non pas avec l’intention de les mettre à exécution.
Vous souvenez-vous de l’entretien que vous avez eu, le 14 Janvier 1944, avec diverses personnalités allemandes à Paris ?
Oui, il est possible que j’aie eu un entretien, mais je ne m’en rappelle plus l’objet.
Vous ne vous souvenez plus d’un entretien que vous auriez eu le 14 janvier, plus précisément, et vous ne vous souvenez pas de personnalités allemandes qui assistaient à cet entretien ?
Différents entretiens eurent lieu ; je ne peux pas vous dire exactement duquel vous parlez. Il est bien entendu que je ne me souviens pas non plus de leur objet.
Le 14 janvier 1944, vous avez eu un entretien à Paris avec Abetz, von Stülpnagel, Oberg et Blumentritt. Vous souvenez-vous qu’au cours de cet entretien vous avez soumis à vos auditeurs un projet de loi que vous avez rédigé, et que vous vouliez imposer aux autorités françaises ?
Je ne voulais pas l’imposer, mais le discuter. Je négociais, je n’ai rien imposé. Cela ressort clairement du procès-verbal.
Vous contestez que vous ayez vous-même élaboré un projet de loi que vous avez transmis au Gouvernement français ?
Je ne conteste pas que j’aie soumis et préparé un projet de loi. Je ne le conteste pas ; cela est nécessaire, au cours de négociations.
Vous reconnaissez donc que vous avez vous-même élaboré ce texte ?
Oui, je ne peux pas vous dire de quel texte vous parlez.
Je propose de vous soumettre le document français F-813, que je présente au Tribunal sous le numéro RF-1512. C’est le procès-verbal de cette réunion du 14 janvier 1944. C’est le document 813. Ce procès-verbal est signé par Abetz, von Stülpnagel, Oberg, Blumentritt et vous-même. Je lis, sous la rubrique III :
« Le délégué général à la main-d’œuvre » — il s’agit de vous — « a élaboré un projet de loi pour le Gouvernement français. » Contestez-vous encore que vous ayez vous-même élaboré des lois que vous soumettiez au Gouvernement français ?
Je ne le conteste pas. Il me fallait faire une proposition à la suite de nos négociations.
Et vous contestez que vous ayez imposé cette loi par pression ?
Que j’aie imposé cette loi par pression, c’est cela que je conteste. J’ai négocié au sujet de cette loi.
N’avez-vous pas le souvenir d’avoir rendu compte au Führer de la mission que vous avez effectuée à Paris en janvier 1944 ?
C’était mon devoir de faire des rapports quand je faisais de tels voyages. J’étais en mission pour le Führer.
Je vous produis ce rapport ; c’est le document PS-556, qui a été produit au Tribunal sous le numéro RF-67. A deux reprises dans ce rapport vous parlez des exigences allemandes. Ne croyez-vous pas que c’est là un compte rendu de ce qu’ont été les exigences allemandes, et du succès de la pression que vous aviez exercée ?
Je ne connais aucune autre manière d’établir des bases de négociation. Le Gouvernement allemand faisait des demandes. Sur la base de ces demandes, j’ai discuté avec le Gouvernement français que je devais considérer comme légal.
Vous admettez donc que le Gouvernement allemand et vous-même, qui étiez l’agent du Gouvernement allemand, exigiez ? Répondez-moi par « oui » ou par « non ».
Le Gouvernement allemand exigeait ; c’est exact.
Et cette exigence n’a-t-elle pas parfois pris la forme d’un véritable ultimatum ?
Je ne m’en souviens pas, je puis simplement vous dire que j’ai toujours été très courtois et prévenant avec le président du Conseil français et que nous avons toujours négocié en bonne intelligence. Il l’a d’ailleurs déclaré lui-même et cela figure au procès-verbal.
Lors de votre action relative à la mobilisation de la classe 1944, ne vous souvenez-vous pas d’avoir exigé cette mobilisation par un véritable ultimatum ? Répondez-moi par « oui » ou « non ».
Je ne peux pas m’en souvenir.
Monsieur Herzog, je crois que vous pourriez lui soumettre la dernière phrase de la lettre du 25 janvier 1944, document PS-556.
« Je n’ai laissé subsister aucun doute sur la rigueur des mesures qui seraient prises, au cas où les exigences concernant le transfert des travailleurs ne seraient pas remplies. »
Oui, j’ai vraisemblablement dit cela, mais pas sous cette forme.
Vous ne vous souvenez pas d’avoir adressé le 6 juin 1944, le jour de l’aube de notre libération, une lettre à l’ambassadeur Abetz ?
Je ne m’en souviens pas pour l’instant.
Je vais vous produire cette lettre ; c’est le document français F-822, que je dépose au Tribunal sous le numéro RF-1513.
« Paris, le 6 juin 1944. Monsieur l’ambassadeur et cher camarade Abetz, L’invasion tant attendue a enfin commencé. Ainsi prend également fin pour l’emploi de la main-d’œuvre une période d’attente, qui servait à justifier, ouvertement ou tacitement, la prétendue impossibilité d’un transfert de main-d’œuvre en Allemagne, en raison de l’atmosphère politique qui en résulterait. »
Je passe plusieurs lignes et je reprends :
« Maintenant que le soldat allemand doit à nouveau combattre et verser son sang dans la région de la Manche, maintenant que d’une heure à l’autre la lutte peut s’étendre à bien d’autres régions de la France, tous les appels, toutes les paroles de Laval ne sauraient avoir le moindre poids. Le seul langage qui doive être entendu maintenant est celui du soldat allemand. Je vous prierai donc, dans ces heures décisives, de demander au président Laval d’accomplir enfin un acte qui, manifestement, lui est pénible ; qu’il signe enfin l’ordre d’appel de la classe 1944. Je ne désire pas être leurré plus longtemps. Je ne voudrais pas non plus quitter la France avec une opinion, peut-être inexacte, mais qui s’impose pourtant à moi, sur la politique de temporisation du Gouvernement français.
« En conséquence, je vous prie instamment d’obtenir pour demain matin à 10 heures, du président du Conseil des ministres français, la signature du décret de mobilisation de la classe 1944, ou bien de m’informer sans détours, au cas où Laval répondrait par un « non » catégorique. Je n’accepterai en aucune circonstance qu’il me soit opposé de prétextes dilatoires, étant donné que tous les préparatifs techniques en ce qui concerne aussi bien les contingents des différents départements que les voies de communications ont été pris, ou sont prévus dans les plans définitifs élaborés au cours de conversations communes permanentes. »
N’est-ce pas là un ultimatum ?
Ce n’est véritablement un ultimatum que dans la mesure où il s’agit de mon départ, sans plus, car je ne pouvais exercer aucune pression ni prononcer aucune menace contre Laval.
Qu’entendez-vous lorsque vous disiez : « En conséquence, je vous prie instamment d’obtenir pour demain matin à 10 heures, du président du Conseil des ministres français, la signature du décret de mobilisation de la classe 1944, ou bien de m’informer sans détours, au cas où Laval répondrait par un « non » catégorique. Je n’accepterai... aucun prétexte dilatoire. »
N’est-ce pas là un ultimatum ?
Ce n’est un ultimatum que dans la mesure où je ne pouvais plus attendre ; je devais partir, j’en avais reçu l’ordre. Je demandais qu’une décision fût prise, oui ou non, pas autre chose.
Prendre une décision, oui ou non, vous, accusé Sauckel, vous n’appelez pas cela un ultimatum ?
Oui. Je devais partir et je voulais qu’une décision fût prise, savoir si le président du Conseil français signerait ou non.
Je vous remercie, le Tribunal appréciera. Savez-vous combien d’ouvriers français ont été déportés en Allemagne à la suite de vos différentes actions ?
Autant que je m’en souvienne, je ne sais plus exactement, 700.000 à 800.000 ouvriers français ont été employés en Allemagne, mais je ne puis pas vous le dire de mémoire d’une façon très exacte.
Est-il exact, qu’en Belgique et dans le nord de la France, les déportations des ouvriers pour le travail obligatoire étaient réglementées par la législation de l’armée d’occupation ?
Par la législation de l’armée d’occupation ? Je n’en sais rien ; c’était plutôt l’administration du Travail qui s’en occupait.
Est-il exact que ce soit une ordonnance du 6 octobre 1942, qui ait institué le travail obligatoire en Belgique et dans le nord de la France ?
Nous appelions cela le « Service obligatoire » d’après les lois allemandes, en effet.
Est-il exact que le général von Falkenhausen, commandant militaire allemand en Belgique et dans le nord de la France, qui a signé l’ordonnance du 6 octobre 1942, l’ait fait sous votre pression ?
Non, il ne l’a pas signée sous ma pression, car je lui en avais parlé et cela n’a donné lieu à aucune discussion ; cela fut fait sur la demande du Gouvernement du Reich et du Führer. Dans tous les domaines.
Je présente l’interrogatoire du général von Falkenhausen qui a témoigné devant un magistrat français le 27 novembre 1945. J’ai déposé cet interrogatoire sous le numéro RF-15 au cours de mon exposé du mois de janvier. Je lis, à la troisième page, la troisième question :
« Question
Veuillez jurer de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
« Réponse
Je le jure.
« Question
Le 6 octobre 1942 a paru une ordonnance qui a institué le travail obligatoire en Belgique et dans les départements du nord de la France. »
Je passe deux lignes.
« Réponse
J’étais Commandant en chef pour le nord de la France et la Belgique.
« Question
Le témoin se souvient-il d’avoir promulgué cette ordonnance ?
« Réponse
Je ne me rappelle pas exactement le texte de cette ordonnance, car elle fut prise à la suite d’une longue lutte avec le plénipotentiaire à la main-d’œuvre Sauckel.
« Question
Avez-vous eu quelques difficultés avec Sauckel ?
« Réponse
J’étais foncièrement opposé à l’institution du travail obligatoire, et ce ne fut qu’après en avoir reçu l’ordre que j’ai consenti à prendre l’ordonnance. »
Contestez-vous encore que le général von Falkenhausen ait pris cette ordonnance sous votre pression ?
Je proteste contre cette façon de présenter la chose.
Vous contestez alors le témoignage du général von Falkenhausen ?
Sous cette forme, oui ; l’institution...
Vous déposez aujourd’hui sous la foi du serment ; le Tribunal appréciera.
Je déclare, en toute conscience, qu’autant que je m’en souvienne, cet exposé des faits n’est pas parfaitement exact, car la législation du travail dans les pays occupés n’a pas été introduite sur mon ordre, mais bien sur celui du Führer. Je n’ai pas eu de discussion à ce sujet avec le général von Falkenhausen : nous nous sommes entretenus très amicalement de la question et il a appliqué la loi. Je ne me souviens pas que nous ayons eu des difficultés à cette occasion. D’ailleurs, au paragraphe suivant, il dit qu’il ne donna ces instructions que sur l’ordre de Hitler. Personnellement, je n’ai eu avec lui ni discussion ni difficultés.
Est-il exact qu’en Hollande la déportation des travailleurs néerlandais pour le travail obligatoire ait été réglementée par. la législation du commissariat du Reich ?
Je vous prie d’interroger à ce sujet l’accusé Seyss-Inquart lui-même. Ce terme de législation est absolument nouveau pour moi. En France, en Belgique et en Hollande, c’est l’administration du département de la main-d’œuvre ou les organismes qui s’occupaient de la main-d’œuvre...
Par qui ont été signées les ordonnances sur le travail obligatoire en Hollande ?
Je suppose que c’est par M. Seyss-Inquart.
Est-il exact que les ordonnances signées par l’accusé Seyss-Inquart constituaient une application locale du programme général que vous étiez chargé de réaliser ?
Une application locale en Hollande ? Je ne comprends pas très bien la traduction allemande.
N’est-il pas exact qu’en signant les ordonnances sur le travail obligatoire en Hollande, l’accusé Seyss-Inquart réalisait votre programme de travail obligatoire ?
Il réalisait le programme de travail du Führer, ainsi qu’il en avait reçu l’ordre.
Avez-vous rendu en Belgique, ou en Hollande, des visites pour contrôler l’application des lois sur le travail obligatoire ?
Non, pas pour contrôler ; je ne suis allé en Belgique et en Hollande que pour très peu de temps et j’ai eu là-bas des conversations avec les autorités ; autant que je me souvienne, j’ai rendu, à Anvers, une visite aux services de la main-d’œuvre, afin de voir comment fonctionnaient les services allemands.
Au cours de ces voyages, vous prépariez des mesures détaillées pour l’exécution du programme du travail, n’est-ce pas ?
Je ne les ai pas préparées au cours de mes voyages, mais j’ai discuté là-bas de ces questions. Bien entendu, je passais à travailler une partie du temps de mes voyages.
Je vous présente le document PS-556 (RF-67). C’est une lettre que vous avez adressée au Führer à la date du 13 août 1943. Dans cette lettre, vous déclarez au paragraphe 1 :
« Mon Führer,
« Je me permets de vous informer de mon retour de la mission que j’ai effectuée en France, Belgique et Hollande. Au cours de négociations longues et pénibles, j’ai imposé aux territoires occupés de l’Ouest, pour les cinq derniers mois de l’année 1943, le programme ci-dessous indiqué, et préparé d’importantes mesures pour son exécution en France avec les autorités militaires, l’ambassade d’Allemagne et le Gouvernement français ; en Belgique avec les autorités militaires, et en Hollande avec les services du commissaire du Reich. »
Contestez-vous encore, accusé, que vous vous soyez rendu en Belgique et en Hollande pour y préparer des mesures très détaillées ?
Je n’ai jamais prétendu le contraire. Je ne proteste pas contre l’expression, mais contre la manière dont vous présentez les faits. Ce document déclare expressément que ces mesures ont été discutées là-bas ; voilà la préparation.
Une dernière question sur cet ordre de problèmes : à combien estimez-vous le nombre des ouvriers hollandais qui ont été déportes en Allemagne ?
Je ne peux pas vous dire exactement de mémoire combien d’ouvriers hollandais ont été envoyés en Allemagne à la suite de contrats, ou en application de ces lois. Il peut y en avoir eu 200.000 à 300.000, peut-être davantage. Je n’ai pas les chiffres en tête en ce qui concerne les Hollandais.
Je vous remercie. Est-il exact que le recrutement forcé des travailleurs étrangers ait été opéré avec brutalité ?
Sur les instructions que j’ai diffusées, il a été donné hier suffisamment de précisions. La presque totalité de mes instructions est ici et prouve que toute brutalité arbitraire...
Accusé, on ne vous a pas posé de questions sur vos instructions ; on vous a demandé si l’on avait agi avec brutalité. Si vous le savez, vous pouvez répondre.
Je ne peux pas le savoir. Il m’est arrivé d’entendre parler de certains excès. Je les ai fait cesser immédiatement et j’ai protesté chaque fois que j’ai appris quelque chose.
Est-ce que vous avez eu connaissance de protestations sur la manière dont se faisait le recrutement des ouvriers dans les territoires occupés ?
J’ai reçu des protestations ; nous en avons parlé hier avec mon défenseur.
Et au reçu de ces protestations, qu’avez-vous fait ?
J’ai fait faire des enquêtes, en laissant aux autorités compétentes le soin de prendre des mesures. J’ai fait, de mon côté, tout mon possible — cela peut être prouvé et le sera — pour que de pareils incidents ne se renouvellent plus.
Est-il exact que vous ayez fait appel au concours des Forces armées pour assurer le recrutement des travailleurs étrangers ?
Dans les régions où l’autorité était exercée par la Wehrmacht, j’ai transmis aux autorités militaires, par l’intermédiaire du chef d’État-Major adjoint de l’Armée de terre, les ordres que j’avais reçus du Führer.
Est-il exact que vous ayez demandé aux autorités militaires des commandos et que des troupes soient mises à la disposition de vos services ?
Je ne me souviens pas de ces commandos, mais il y avait là-bas des services du travail. Il est exact que dans les régions où se produisaient des soulèvements ou des combats de partisans j’ai demandé de pacifier ces régions afin d’y rendre possible l’exercice d’une administration qui avait été interrompu ou rendu difficile.
Vous reconnaissez donc avoir demandé que des commandos de troupes soient mis à votre disposition ?
Non, pas à ma disposition, car mes attributions ne comportaient pas la pacification de ces régions ; mais j’avais déclaré qu’il était essentiel à l’accomplissement de ma mission que ces régions fussent pacifiées et que l’administration y fût restaurée. Ce n’était pas pour recruter des ouvriers.
Vous avez demandé que ces commandos de troupes participent aux tâches assignées aux services d’affectation de la main-d’œuvre ? Je déposé le document 815 sous le numéro RF-1514. C’est une lettre du 18 avril 1944 du Feldmarschall von Rundstedt, qui vous a été adressée. J’en lis le premier paragraphe :
« Le délégué général au recrutement et à l’utilisation de la main-d’œuvre... » — c’est bien vous, n’est-ce pas ?
Oui, c’est moi. Mais Cela peut également être un autre service en France.
« ...a adressé une demande aux fins d’intervention auprès du Commandant en chef à l’Ouest, pour que, dans les secteurs où sont engagées des unités appartenant au Commandant en chef à l’Ouest, les commandants de ces unités reçoivent l’ordre d’appuyer l’exécution des tâches assignées au service d’affectation de la main-d’œuvre, en mettant des commandos de troupes à sa disposition. »
Contestez-vous encore que vous ayez demandé que des commandos de troupes soient mis à votre disposition ?
Personnellement, je ne l’ai pas demandé. Il semble que ce soient les services administratifs de l’Ouest.
Vous avez dit il y a un instant...
Je ne connais pas personnellement cet ordre.
Savez-vous si cette demande a été appuyée par l’accusé Speer ?
Je ne peux pas vous le dire.
Je dépose le document PS-824...
Peut-être pourrez-vous le faire après la suspension d’audience.