CENT QUARANTE-DEUXIÈME JOURNÉE.
Jeudi 30 mai 1946.
Audience de l’après-midi.
(L’accusé Sauckel est à la barre des témoins.)Je crois, Monsieur le Président, que M. Dodd a une déclaration à faire au Tribunal.
Plaise au Tribunal. L’accusé Jodl n’assistera pas à l’audience.
Le document PS-3057 sur lequel M. Herzog a interrogé le témoin ce matin, figurait dans le livre de documents relatif au programme du travail obligatoire déposé par les États-Unis, mais il n’a pas été déposé comme preuve. J’en ai trouvé mention au procès-verbal du 13 décembre 1945 (Tome III, pages 501-502). Monsieur le Président m’avait demandé pourquoi je n’avais pas lu le document PS-3057 et je lui ai répondu que nous avions eu l’intention de le déposer comme preuve, mais que l’avocat de Sauckel m’ayant informé que son client affirmait avoir été contraint et forcé de faire cette déclaration, nous avions préféré ne pas déposer ce document et nous ne l’avons pas déposé.
Je désire annoncer que le Tribunal lèvera l’audience à 4 h. 30, pour siéger à huis-clos.
Puis-je faire une déclaration au sujet de ce document ?
De quel document parlez-vous ?
Je parle de la lettre du maréchal von Rundstedt. Il s’agit, dans ce document, d’une lettre qui m’est adressée...
Un instant. Je ne vous ai pas entendu poser de question. Aviez-vous posé une question ?
Oui, Monsieur le Président, c’est le document que je lui ai présenté avant la suspension d’audience, qui établit que le délégué chargé du recrutement et de l’utilisation de la main-d’œuvre, c’est-à-dire lui-même, a demandé que des commandos de troupes soient mis à sa disposition.
Voulez-vous parler du document F-815 ? Oui, très bien.
C’est exact, Monsieur le Président. (Au témoin.) Je vous demande si vous reconnaissez que ce document établit votre demande de commandos de troupes ?
Je ne peux pas répondre avec précision à cette question, car je n’ai pas reçu cette lettre personnellement. Elle a été adressée à mes services de Paris et ce n’est pas moi qui l’ai paraphée. Mais pour me faire bien comprendre, je tiens absolument à déclarer que je n’ai pas demandé des troupes pour recruter des ouvriers ; j’ai demandé des troupes lorsque, dans un territoire, l’exercice de l’administration n’était plus possible, en raison de la présence de mouvements de résistance, etc. Voilà où est l’erreur de cette lettre du Feldmarschall von Rundstedt. Je n’ai pas reçu cette réponse personnellement. Elle est contresignée par les services du Militärbefehlshaber de Paris.
Je présente alors le document F-824 que je dépose au Tribunal sous le numéro RF-1515. Ce document F-824 est une lettre du Commandant en chef à l’Ouest, du Quartier Général, du 25 juillet 1944. Je lis :
« On peut en conclure que, sur l’ordre du Führer, et après l’abrogation des dispositions qui y sont contraires, les désirs du délégué général à la main-d’œuvre — le délégué général à la main-d’œuvre, c’est bien vous, n’est-ce pas ? — « et du ministre du Reich Speer, doivent être réalisés en tout état de cause. Comme suite à mon télégramme, et à la suite de la conférence des ministres du 11 juillet à la Chancellerie du Reich dont le Commandant en chef à l’Ouest a été informé par les soins du commandant militaire, les autres dispositions suivantes sont en vigueur :
« Sans tenir compte de scrupules justifiés, quant à l’ordre et à la sûreté à l’intérieur du pays, le recrutement devra commencer partout où s’offrent les possibilités mentionnées par mon télégramme. Comme seule exception, le Führer a décidé que, dans le secteur des armées proprement dit, aucune mesure coercitive ne sera prise contre la population, aussi longtemps que celle-ci se montrera secourable à la Wehrmacht. En revanche, le recrutement de volontaires doit être poursuivi énergiquement parmi les réfugiés de la zone de combat ; de plus, tous les moyens seront bons pour recruter, d’autre part, le plus possible de main-d’œuvre avec les moyens dont dispose la Wehrmacht. »
Contestez-vous encore que, sur votre demande et sur celle du ministre du Reich Speer, des commandos de troupes aient effectué le recrutement de la main-d’œuvre ?
Je ferai remarquer à ce sujet que je ne conteste pas les faits tels qu’ils sont exposés ici. A cette époque, le Commandant en chef agissait sous la pression des opérations de combat et des problèmes d’évacuation de la population. Mais je peux témoigner qu’après le 25 juillet 1944, ces choses n’ont pas été exécutées, car les troupes allemandes ont dû, au cours des combats, se retirer beaucoup trop rapidement, de sorte que cette ordonnance prise par le Führer n’a plus pu être appliquée.
Vous souvenez-vous de la conférence des ministres du 11 juillet 1944, à laquelle le document que je viens de lire se réfère ?
Oui, je m’en souviens.
Vous souvenez-vous des personnalités qui assistaient à cette réunion ?
Non, je ne me souviens pas de toutes.
Je vous soumets le procès-verbal de cette réunion ; c’est le document PS-3819 qui a été déposé au Tribunal sous le numéro...
Le Tribunal aimerait que vous lisiez le dernier passage du document 824, je veux dire le dernier de cette page, commençant par « afin ». Il figure à la page 346 de la version française.
« Afin de rendre aussi efficaces que possible les mesures entreprises, la troupe devra, en outre, être instruite de l’utilité des organisations pour le recrutement de la main-d’œuvre, afin d’écarter les résistances fréquemment rencontrées, à l’intérieur comme à l’extérieur.
« Les Feldkommandanturen et les services de l’administration militaire devront aider, dans toute la mesure du possible, les chargés de mission du délégué général à la main-d’œuvre et éviter toute intervention dans les activités qu’ils ont reçu mission de poursuivre. Je vous prie donc de donner les instructions nécessaires en ce sens. »
Contestez-vous toujours que, sur votre demande, l’Armée ait été mêlée au recrutement des travailleurs ?
Il y a encore un passage à la page suivante, dans la note complémentaire, au paragraphe 1.
« Note complémentaire pour le Commandant en chef à l’Ouest — le Commandant en chef à l’Ouest signale, le 23/7, au chef de l’OKW, ce qui suit :
« 1. J’ai autorisé l’application de l’accord Sauckel-Laval, du 12 mai 1944, malgré les scrupules causés par la sécurité intérieure.
« 2. Je donnerai des instructions complémentaires pour l’application de ces mesures dans la zone de combat, conformément à l’OKW/WFSt/Qu (Verw. 1) 2 West n° 05201/44, secret, du 8 juillet 1944.
« Le Commandant en chef à l’Ouest, Signé : von Kluge, Generalfeldmarschall. D’autres ordres suivront. Destinataires : Commandant en, chef à l’Ouest, le chef d’État-Major, etc. »
J’en reviens à la conférence du 11 juillet 1944. Je dépose le document PS-3819, déjà déposé sous le numéro GB-306. Le Tribunal le trouvera sous la rubrique PS-3819, première partie de mon livre de documents. Il s’agit du compte rendu de la réunion des ministres qui a eu lieu à Berlin, le 11 juillet 1944, réunion des ministres et des chefs du Parti et de l’administration. Vous trouverez, à la page 6 de la traduction française, la liste de toutes les personnalités qui y assistaient. Vous souvenez-vous quels étaient, parmi les personnalités, les accusés qui y assistaient. Reconnaissez-vous la signature de l’accusé Funk ? Celle de l’accusé Speer ?
Je ne les ai pas encore trouvées.
Les avez-vous trouvées ?
Je n’ai pas encore trouvé la signature de Speer ?
L’accusé Speer assistait-il à cette conférence ?
De mémoire, je ne puis le dire avec précision. Je ne trouve pas son nom.
Vous-même assistiez à cette conférence ?
Oui, j’y assistais.
Vous souvenez-vous des propositions qu’au cours de cette conférence, le général Warlimont, au nom de l’État-Major, vous a faites ? Vous souvenez-vous de la réponse que vous avez faite à ces propositions ?
Je me souviens d’avoir parlé au général Warlimont, de lui avoir répondu. Je ne me souviens pas avec certitude du texte précis.
Eh bien, je vais vous lire ce texte ; il se trouve à la page 10 ; le Tribunal le trouvera en bas de la page.
« Le représentant du chef de l’OKW, général Warlimont, se référa à un ordre récent du Führer selon lequel toutes les forces allemandes devaient être mises à la disposition du recrutement de la main-d’œuvre. Là où la Wehrmacht n’est pas employée exclusivement à des tâches d’intérêt militaire urgent, comme par exemple la construction de fortifications côtières, elle devra être employée à cette tâche, mais elle ne devra pas être déplacée spécialement pour être mise à la disposition du délégué général à la main-d’œuvre. Le général Warlimont fait les propositions suivantes :
« a) Les troupes mises en ligne contre les partisans devront, en outre, être utilisées au recrutement de la main-d’œuvre dans les zones où se trouvent ces bandes. »
Voudriez-vous me dire à quelle page cela se trouve, je n’ai pas trouvé ce passage.
Je vais vous le faire montrer. Indiquez-le pour l’interprète aussi.
Oui, j’ai trouvé... Le général Warlimont... mais dans la traduction allemande, cela diffère du texte que vous avez lu.
C’est à la page 3, l’avez-vous trouvé ?
Oui.
Je peux reprendre la lecture :
« a) les troupes mises en ligne contre les partisans devront, en outre, être utilisées au recrutement de la main-d’œuvre dans les zones où se trouvent les bandes. Tout individu qui ne pourra donner de raison valable de son séjour dans la région sera recruté de force.
« b) Si des grandes villes sont évacuées en totalité ou en partie par suite des- difficultés de ravitaillement, toute la population apte au travail devra être, avec l’aide de la Wehrmacht, recrutée pour le service du travail.
« c) Le recrutement parmi les réfugiés en provenance des régions se trouvant près du front, devra être mené avec une vigueur particulière, avec l’aide de la Wehrmacht.
« Le Gauleiter Sauckel accepta ces propositions avec reconnaissance et exprima l’espoir que certains succès puissent être obtenus de cette manière. »
Continuez-vous à prétendre que la Wehrmacht n’ait pas effectué de recrutement de travailleurs ?
Je n’ai pas contesté que, dans cette zone de combat, et afin de maintenir l’ordre à l’arrière, de telles mesures aient été proposées ; mais elles n’ont pas été appliquées.
Eh bien, je vais produire un document qui est de trois ou quatre jours postérieur à cette réunion des ministres. C’est un télégramme de l’accusé Keitel ; c’est le document F-814, que je dépose au Tribunal sous le numéro RF-1516. Il s’agit d’un télégramme adressé par l’accusé Keitel à tous les commandants militaires. Je vous fais remarquer qu’il porte le timbre de la section de travail du Militärbefehlshaber in Frankreich. Il est du 15 juillet, en voici le texte :
Monsieur Herzog, certains de ces documents ne sont pas signalés par une étiquette et nous ne pouvons pas les trouver si vous ne nous dites pas où ils se trouvent.
Je n’ai fait mentionner par une étiquette que les documents dont j’ai l’intention de me servir plusieurs fois, afin que le Tribunal puisse les trouver facilement. Autrement, les documents doivent se trouver dans l’ordre où je les utilise. Le document F-814 doit donc se trouver, sauf erreur de ma part, immédiatement après le document PS-3819.
3819, dites-vous ?
En fait, il se trouve après le document marqué RF-15. C’est la quatrième pièce après le document F-814.
Après RF-15, nous avons le document F-815.
Après 815, nous avons le document F-823, puis F-824 et F-814, Monsieur le Président.
Oui, je vois maintenant.
Ce document contient les instructions que Keitel envoyait à propos de cette réunion des chefs. Je lis le deuxième paragraphe :
« Situation actuelle exige emploi de tous moyens possibles pour acquisition de main-d’œuvre supplémentaire étant donné que toutes les mesures d’armement profitent en premier lieu aux troupes combattantes. Devant ce fait, doivent disparaître toutes préoccupations relatives aux troubles intérieurs, mouvements de résistance en développement et similaires. Aide et assistance totales devront être apportées au délégué général à la main-d’œuvre. Je rappelle mes directives pour la participation de la Wehrmacht à la réquisition de travailleurs en France. »
Continuez-vous à prétendre que la Wehrmacht n’ait pas été utilisée dans le recrutement des travailleurs ?
Ici encore, je dois souligner que je n’ai pas contesté le fait que ces méthodes ont bien été proposées et qu’on en a ordonné l’application. Je n’ai pas nié ce fait et j’aimerais y insister encore. Mais ces mesures n’ont pas été appliquées, j’y insiste. D’ailleurs, ce télégramme n’émane pas de moi.
Est-il exact que la Police allemande ait procédé à des opérations de recrutement des travailleurs étrangers ?
Le détail des mesures prises par la Police ne m’est pas connu ; qu’elle en ait prises de temps à autre, de son propre chef, cela je le sais.
Mais n’est-il pas exact que vous ayez recommandé à vos services de se mettre en rapport avec les chefs de la Police, du SD et des SS ?
Je considérais la Police et le SD comme des institutions normales et légales, et quand la nécessité s’en faisait sentir, je devais faire appel à leurs services.
Vous reconnaissez donc que vous avez recommandé à vos services de se mettre en rapport avec les chefs de la Police, du SD et des SS pour l’accomplissement de leur tâche ?
Oui, pour m’aider dans ma tâche, quand une participation ou une intervention régulière de la Police s’avérait nécessaire. Non pas pour recruter les ouvriers, mais pour aplanir les difficultés ou éviter les désordres administratifs.
Je vous pose à nouveau la question et je vous demande d’y répondre par oui ou par non ; avez-vous recommandé à vos services de se mettre en rapports avec les chefs de la Police, des SS et du SD ?
Je ne puis répondre par oui qu’en faisant une réserve : là où, le cas échéant, il était nécessaire de faire appel à un service de Police, mais pas pour accomplir la mission elle-même...
Est-il exact que les chefs de la Police allemande aient assisté aux conférences que vous avez tenues avec les autorités françaises, au sujet du recrutement de la main-d’œuvre ?
En partie : certains représentants du Chef suprême des SS et de la Police participaient à ces conférences, tout comme, du côté français, où le ministre de l’Intérieur et de la Police étaient présents. Toutefois, je n’ai jamais ni exigé, ni proposé cela.
Mais vous reconnaissez que les représentants de la Police allemande ont assisté à ces entretiens ? Pouvez-vous nous donner le nom d’un de ces représentants ? Connaissez-vous le Standartenführer Knochen ?
Le Standartenführer Knochen était à Paris et, de temps à autre, il assistait à ces conférences.
Est-il exact que les chefs de la Police allemande aient participé aux conférences que les autorités allemandes tenaient sur les problèmes de main-d’œuvre ?
Si mes souvenirs sont exacts, ils ont participé à plusieurs conférences ; cela se fit sur la demande du Commandant en chef militaire sous la présidence duquel avaient lieu ces conférences.
Y avait-il un représentant de la Police à la conférence des chefs du 11 juillet 1944, dont nous avons parlé tout à l’heure ? (Document PS-3819.)
Vous voulez parler de la réunion à Berlin ?
Oui, de la réunion à Berlin du 11 juillet 1944.
Je crois que Kaltenbrunner participait à cette conférence organisée par Lammers.
N’avez-vous jamais demandé à Himmler, en présence du Führer, l’aide des SS pour recruter la main-d’œuvre ?
Le Reichsführer-SS Himmler assistait à une réunion au mois de janvier chez le Führer. Si mes souvenirs sont exacts, j’ai indiqué à cette réunion que le programme établi par le Führer pour l’année 1944 ne pourrait être exécuté si, dans certains territoires, les dangers et les obstacles provenant des partisans n’étaient pas écartés. Cela ne pouvait être fait que par les services compétents.
Vous reconnaissez donc que vous avez demandé au Reichsführer SS de mettre ses forces de Police à votre disposition ?
Non, ce n’est pas exact, énoncé sous cette forme. Je le conteste, ni moi-même ni mes services n’avons jamais eu de forces de Police à notre disposition. J’ai demandé assistance, là ou j’avais à accomplir une mission administrative, dans les territoires où il était nécessaire de rétablir l’ordre au préalable, sous peine de ne pouvoir faire mon travail.
Je vais vous montrer le document PS-1292 qui a déjà été produit au Tribunal sous le numéro USA-225. C’est le procès-verbal de la réunion chez le Führer, du 4 janvier 1944. A la page 3 du texte français, page 5 du texte allemand, vous avez déclaré :
« Le succès dépendra, essentiellement, de l’importance des forces de Police allemande que l’on mettra à ma disposition. Une telle opération ne peut pas être menée à bien avec des forces de Police indigènes. »
Reconnaissez-vous cette déclaration ?
Puis-je vous demander où cela se trouve ; je ne l’ai pas encore trouvé. A quelle page du texte allemand ?
Cela doit se trouver à la page 5 du texte qu’on vous a remis.
Oui, c’est exact. C’est un exposé très condensé, émanant probablement du Reichsminister Lammers, mais j’aimerais faire remarquer expressément que ce texte doit être compris de la manière suivante : dans certains territoires, très nombreux à cette époque, je ne pouvais espérer organiser une administration de la main-d’œuvre avant que des forces de Police n’aient rétabli l’ordre. C’est dans cette mesure que cette note n’est pas tout à fait exacte.
Accusé Sauckel, vous qui nous avez dit hier que vous étiez un ancien ouvrier, avez-vous jamais envisagé qu’un ouvrier puisse être conduit à son travail menottes aux mains ?
Non, jamais je n’ai songé à cela, et c’est la première fois que j’entends dire que j’aurais ordonné d’amener les ouvriers au travail menottes aux mains. Je ne me souviens pas d’avoir jamais demandé cela. Je peux l’affirmer.
Le 30 août 1943, vous avez fait une conférence à Paris, devant les états-majors pour l’emploi de la main-d’œuvre que vous installiez en France. Je vous donne le document F-816, que j’ai déposé ce matin au Tribunal, pour que vous le consultiez à nouveau. Je vous demande de le lire... Je crois que j’ai fait une erreur, Monsieur le Président, je n’ai pas encore déposé ce document, je le dépose sous le numéro RF-1517. (Au témoin.) Veuillez regarder page 10 de la photocopie qui vous a été remise — page 38 de la traduction française à la dernière ligne :
« Les mesures les plus sévères pour le recrutement — opérations de Police ou passage des menottes — devront être prises de la manière la plus courtoise. »
Voilà ce que vous déclariez au sujet de l’emploi de la main-d’œuvre, le 30 août 1943, devant les états-majors réunis à Paris.
Je n’ai pas trouvé ce passage, voulez-vous me le montrer.
A la page 10, à la quatorzième ligne environ. Vous l’avez trouvé maintenant ?
Qui, je l’ai trouvé.
Et vous envisagiez que la mise de menottes pût être employée dans le recrutement de la main-d’œuvre ?
Il ne peut s’agir que d’une déclaration qui s’appliquait à la résistance ouverte aux forces de l’État ou à l’exécution de mesures administratives. Nous pouvons voir par expérience, dans le monde entier, qu’il ne peut en être autrement. Je disais seulement qu’il fallait que cela dût être fait le mieux possible et avec courtoisie. Je ne considérais pas cela comme un règlement pour le recrutement de la main-d’œuvre, cela ne saurait être compris autrement.
Et vous l’avez dit aux états-majors pour l’emploi de la main-d’œuvre en France ?
Oui, mais il faut comprendre qu’il s’agit seulement de cas de résistance flagrante contre les services exécutifs. Cela n’a jamais été envisagé autrement.
Le Tribunal appréciera. Accusé Sauckel, n’avez-vous jamais créé de police spéciale pour le recrutement des travailleurs ?
Je n’ai pas créé de police spéciale, je l’ai déjà dit hier. Les organismes français ont eux-mêmes proposé un système de protection, qu’au cours d’une conférence j’ai, par erreur, désigné sous le nom de police. Cependant, ce n’était pas véritablement de la police.
Avez-vous entendu parler d’un « Comité pour la paix sociale » ?
On en a discuté, oui.
Avez-vous entendu parler d’un comité dit « Ligue pour l’ordre social et la justice » ?
Oui.
Avez-vous jamais rédigé d’ordonnances ou envoyé d’instructions préconisant l’institution de ces comités ?
C’était une proposition ; elle a été discutée, oui, au printemps de 1944, si je me souviens bien.
Et vous prétendez n’avoir jamais institué ces comités ou rédigé d’instructions relatives à leur institution ?
Je viens de dire que je l’avais fait.
Vous reconnaissez avoir rédigé des instructions portant formation de ces polices spéciales ?
Cela se fit sur la base d’entretiens avec les organismes français.
Vous l’avez donc fait ?
Oui, en accord avec ces organismes français.
Bien. Je dépose au Tribunal le document F-827 sous le numéro RF-1518. Ce sont des instructions de l’accusé Sauckel pour la formation de ces corps de police spéciale. Le document se compose de plusieurs ordonnances, exactement de plusieurs instructions. A la page 6, figure une instruction en date du 25 janvier 1944 de l’accusé Sauckel.
Où cela se trouve-t-il ?
Dans mon livre de document, à la page 6, immédiatement après le document 1292 :
« Berlin, le 25 janvier 1944. Secret. Objet : Formation d’un corps de protection pour l’exécution des opérations du service du travail en France et en Belgique pour l’année 1944. Au commandant militaire en France, Paris. Au commandant militaire pour la Belgique et le nord de la France, Bruxelles.
« Afin de protéger l’exécution des missions essentielles du service du travail en Belgique et en France et en particulier d’assurer l’envoi de travailleurs en Allemagne et de renforcer les possibilités d’action, il sera créé en France et en Belgique un corps de protection (Comité pour la paix sociale). Ce corps de protection sera formé par des nationaux de ces deux pays, noyautés et encadrés par des membres de la Police allemande. Ce corps de protection comportera, pour la France, environ 5.000 hommes ; pour la Belgique, environ 1.000 hommes.
« En vue de la formation de ce corps de protection et de l’exécution de ses missions, je donne ci-dessous les instructions provisoires suivantes :
« I. Choix de membres du corps de protection. Ce choix sera effectué en relation étroite avec les services compétents de la Police et du SD, qui examineront en particulier le loyalisme des candidats. Le choix devra porter de préférence sur les membres des mouvements politiques favorables à une collaboration avec l’Allemagne :
« II. Organisation des corps de protection. Des services centraux seront créés à Paris et à Bruxelles pour la direction des corps de protection. Les chefs de ces services seront désignés par moi-même » — par vous, accusé Sauckel — « et ils dépendront de mes délégués en France. Pour toutes les questions relevant uniquement de la Police, le corps de protection sera aux ordres du Chef suprême des SS et de la Police. Les groupes régionaux du corps de protection dépendront du commandement des forces de police allemandes qui recevront des Feldkommandanturen et des bureaux de recrutement les instructions techniques en vue de leur participation aux missions de recrutement de la main-d’œuvre. La formation policière sera donnée par les services de la Police allemande et du SD. La formation technique relative aux questions de main-d’œuvre sera, s’il est nécessaire, donnée par des délégués des Feldkommandanturen et des bureaux de recrutement. Les membres du corps de protection ne porteront pas d’uniforme. En revanche, ils seront munis d’une arme à feu.
« III. Exécution des missions. Les membres du corps de protection délégués auprès d’un bureau de recrutement ou d’une Feldkommandantur devront être employés de façon à ce que l’exécution des mesures prescrites soit assurée avec le maximum d’efficacité. Par exemple, ces éléments devront être informés immédiatement si des Français ne donnent pas suite à des convocations émanant des services allemands. Ils seront chargés de découvrir le domicile de ces personnes et conformément aux instructions du chef de la Police allemande, de les faire comparaître avec l’aide des Polices française et allemande. Ils devront, en outre, procéder sans délai à la recherche des réfractaires et autres personnes en rupture de contrat. Afin d’assurer une plus grande efficacité, il serait bon de leur communiquer les listes des personnes convoquées ou soumises au travail obligatoire, afin qu’ils puissent agir immédiatement, au cas où des instructions allemandes ne seraient pas suivies. On peut penser que ces méthodes rapides, alliées à des sanctions appropriées et à la publication immédiate de ces sanctions, auront un effet d’intimidation plus efficace que celui des recherches faites jusqu’à présent.
« Enfin, les membres des corps de protection seront tenus de faire connaître aux services allemands les difficultés qu’ils rencontrent dans le recrutement de la main-d’œuvre. »
Et tout cela, accusé, est signé Sauckel.
Continuez-vous à prétendre que vous n’avez pas institué, en France et en Belgique, un corps de police spéciale ?
J’ai déjà déclaré hier à mon avocat que c’est en accord avec les organismes français que ce corps de protection avait été mis sur pied afin, d’une part, de protéger ceux qui désiraient travailler et, de l’autre, de rendre possible l’exécution de mesures administratives. Puisque les Français eux-mêmes s’étaient déclarés prêts à cette collaboration, je n’y ai vu aucun obstacle, rien qui fût irrégulier. C’était dans l’intérêt des nationaux.
Je vous demande de me répondre par oui ou par non. Reconnaissez-vous avoir mis sur pied ce service de police spéciale ?
Je reconnais avoir demandé la création de ce corps de protection et qu’il a été mis sur pied ; mais ce fut dans une mesure infime, c’est tout ce que je puis dire.
Est-il exact que vous ayez édicté ou imposé des mesures de contrainte contre les réfractaires au service du travail obligatoire ?
Non, pas personnellement ; c’est le Gouvernement français qui les a édictées. C’est normal, et il en est ainsi dans le monde entier, l’autorité d’occupation doit se faire respecter.
Est-il exact que vous ayez exigé que la peine de mort soit appliquée contre les fonctionnaires qui, par exemple, gênaient votre action ?
Il est exact que, lors d’un entretien avec le président Laval, j’ai demandé que la peine de mort soit appliquée pour des cas graves d’obstruction.
Vous reconnaissez avoir exigé que la peine de mort soit prévue contre ces fonctionnaires ?
Oui, s’il s’agissait d’un cas grave de sabotage, comme il est prévu par les lois de la guerre.
Est-il exact que votre mission ait consisté à procurer à l’industrie de guerre allemande la main-d’œuvre qui lui était nécessaire ?
C’était une de mes attributions.
A ce titre, étiez-vous responsable de l’exécution de votre mission devant l’accusé Speer, ministre de l’Armement et des Munitions ?
J’étais responsable devant le Plan de quatre ans et le Führer et j’avais reçu des instructions du Führer pour satisfaire aux demandes du ministre Speer, dans la mesure où cela m’était possible.
L’accusé Speer a-t-il approuvé toutes les initiatives que vous avez prises pour recruter les ouvriers étrangers ?
Il les approuvait de toute façon et avait demandé que des ouvriers soient mis à sa disposition. C’est sur les détails d’exécution que nous n’étions pas toujours d’accord, par exemple au sujet des entreprises « S » en France.
Nous verrons cela plus tard. Je vous demande de me dire si vous avez toujours réussi à satisfaire les demandes de main-d’œuvre qui vous étaient présentées par les différents secteurs de l’économie allemande.
Non, je n’y ai pas toujours réussi.
Et lorsque vous n’y réussissiez pas, est-ce que les demandes qui vous étaient présentées par l’accusé Speer devaient être satisfaites par vous en priorité ?
Oui, en priorité.
Des incidents ne se sont-ils pas produits à cet égard ? Ne s’est-il pas produit notamment que des convois de travailleurs aient été détournés de leur destination sur instructions de l’accusé Speer ?
Il est arrivé que, contrairement à mes ordonnances, des transports d’ouvriers aient été envoyés dans d’autres régions ou dans d’autres entreprises. Je ne sais pas si c’était toujours M. Speer qui en était la cause, ou bien une commission d’armement ou un autre service. Cela pouvait dépendre...
Dans votre interrogatoire, vous avez déclaré pourtant que la destination première des transports était quelquefois modifiée pour répondre aux exigences de l’administration de Speer. Est-ce que vous le confirmez ?
Oui, mais c’était là quelque chose de différent. Dans ce cas-là, j’en avais été informé. Il y avait donc deux sortes de modifications : celles qui étaient faites à mon insu, et celles qui étaient accordées à la suite d’une demande.
Voulez-vous dire au Tribunal ce qu’on entendait par le système de la fiche rouge ?
Le système de la fiche rouge était utilisé pour le recrutement de travailleurs, en général spécialistes ou qualifiés, quand ce recrutement devait être effectué en priorité absolue, parce que ces ouvriers étaient nécessaires.
Ce système de la fiche rouge s’appliquait à l’industrie d’armement, n’est-ce pas ?
Le système de la fiche rouge s’appliquait à l’industrie d’armement.
Et il a été établi en accord avec l’accusé Speer et vous-même ?
Ce système avait, selon moi, toujours été prévu en cas de besoins urgents. Il subit plusieurs modifications. Au début, on établissait des listes, et plus tard, on y ajouta des fiches rouges. C’était un ordre.
Vous reconnaissez donc que, par ces différents systèmes, vous partagiez avec l’accusé Speer la responsabilité d’avoir contraint des ouvriers à travailler dans les usines allemandes pour les besoins de la guerre que l’Allemagne menait contre leur patrie ?
Je voudrais faire remarquer — et j’y insiste — que le système de la fiche rouge ne se rapportait pas uniquement aux ouvriers étrangers, mais également dans une large mesure à des ouvriers allemands, à des spécialistes allemands.
Mais il s’appliquait aux ouvriers étrangers également ?
Il s’appliquait aux ouvriers étrangers dans la mesure où ils étaient spécialistes et où ils avaient donné leur accord.
Voulez-vous dire au Tribunal ce qu’était la pratique du blocage des industries.
Il y avait blocage d’une industrie quand elle fabriquait des produits non essentiels pour la guerre ou quand il s’agissait de la production d’industries dites de luxe.
Je ne crois pas que vous ayez bien compris ma question : qu’était-ce que les entreprises « S », en France, par exemple, les usines protégées par Speer ?
Vous voulez parler des « Sperrbetriebe ». connues sous le nom d’entreprises « S », Monsieur le Procureur ?
C’est cela.
Les entreprises « S » étaient des entreprises qui travaillaient pour Speer en France en accord avec le ministre Bichelonne, et dans lesquelles on ne pouvait pas prélever de main-d’œuvre.
N’avez-vous pas exercé sur l’accusé Speer une vive pression pour qu’il renonce à la pratique du blocage des industries ?
Je l’en ai prié, et je lui ai fait comprendre mon désir de le voir renoncer au blocage des industries, mais je n’y suis pas parvenu.
Est-ce que vous n’avez jamais porté le débat devant Hitler et insisté auprès de lui pour que l’accusé Speer renonce à sa position ?
Oui, j’ai insisté sur ce point auprès de Hitler, mais sans succès.
N’avez-vous pas, à ce propos, demandé au Führer d’accroître vos pouvoirs aux dépens de ceux de l’accusé Speer ?
Je n’ai pas demandé un accroissement général de mes pouvoirs, mais seulement que fussent rétablies les conditions antérieures, car — je demande au Tribunal l’autorisation de lui exposer cela — je devais envoyer des ouvriers de France en Allemagne, et ce que me demandaient les services de Speer, c’étaient des ouvriers spécialisés. Il y en avait beaucoup dans les entreprises bloquées par Speer, et les entreprises similaires en Allemagne souffraient de ne disposer, au lieu d’ouvriers français spécialisés, que d’ouvriers français non qualifiés ou étrangers à la profession. Il s’agissait donc pour moi, dans chaque cas, de fournir des ouvriers, et je considérais qu’il était préférable pour l’économie allemande de lui fournir les ouvriers appropriés et non pas des travailleurs qui ne connaissaient pas la profession.
Je prie le Tribunal de se reporter à nouveau au document PS-3819, deuxième partie. Il comprend deux lettres adressées l’une et l’autre au Führer par l’accusé Sauckel et par l’accusé Speer, et toutes deux au sujet du blocage des industries. Je donne d’abord au Tribunal lecture de certains extraits de la lettre de Sauckel, qui se trouve être la seconde.
Ces deux lettres n’ont-elles pas déjà été lues ?
Je crois qu’elles ont déjà été lues, Monsieur le Président, je ne pourrais pas l’affirmer au Tribunal, mais je le crois.
Le document PS-3819 a été déposé au Tribunal sous le numéro GB-306. Je peux, si le Tribunal le désire, me borner à de très courts extraits.
Il n’est pas nécessaire que vous les lisiez pour interroger l’accusé.
Dans cette lettre, à la page 27, vous demandiez à obtenir, d’une façon générale, carte blanche pour l’utilisation rationnelle de la main-d’œuvre. Reconnaissez-vous avoir demandé cette carte blanche au Führer ?
Je n’ai pas trouvé le passage. Je ne pouvais jamais demander carte blanche. J’ai demandé à pouvoir effectuer le recrutement comme je le faisais auparavant. Mais je ne trouve pas le passage que vous citez.
Cela doit se trouver à la page 27.
On lit dans le texte allemand : « Étant donné cette situation, il est indispensable que j’aie à nouveau les mains libres », c’est-à-dire comme je les avais auparavant, avant l’existence des entreprises « S ». Cela est normal, car je tenais à un emploi rationnel de la main-d’œuvre.
C’est cela que je vous demande de confirmer. Avez-vous demandé que l’on accroisse vos pouvoirs aux dépens de ceux de l’accusé Speer ? Répondez-moi par oui ou par non, si vous le pouvez.
Je n’ai pas compris la question. Demandé (verlangt) ou obtenu (erlangt) ?
Demandé.
Je l’ai demandé, car c’était dans l’intérêt de Speer.
L’avez-vous demandé ?
Oui, je l’ai demandé, dans l’intérêt de ma mission.
Et ne vous souvenez-vous pas qu’en d’autres occasions l’accusé Speer, lui, avait demandé que ses pouvoirs fussent accrus aux dépens des vôtres ?
Oui, c’est également possible.
Vous avez déclaré dans votre interrogatoire que « les relations très étroites entre Speer et Goebbels, qui se nouèrent après la chute de Stalingrad, firent désirer très vivement à Speer de me placer sous son autorité ».
Pouvez-vous confirmer cette déclaration ?
Oui.
Est-il exact que votre programme général de recrutement de main-d’œuvre prévoyait l’emploi des prisonniers de guerre ?
L’emploi des prisonniers de guerre dans la mesure où ils devaient et pouvaient être mis au travail sous les auspices de la Wehrmacht.
Vous souvenez-vous de l’ordonnance dont nous avons parlé ce matin, votre ordonnance n° 10 qui prévoyait l’ordre de priorité du travail et qui donnait priorité aux besoins d’armement. Est-ce que cette ordonnance était applicable aux prisonniers de guerre ?
Cette ordonnance, comme je l’ai déjà expliqué hier, n’était applicable aux prisonniers de guerre que par le moyen de la transformation, et dans la mesure prévue par un mémorandum établi en commun par l’OKW et moi-même, et dans un catalogue du travail.
Cette ordonnance, pourtant, dispose simplement en un article 8 qu’elle est applicable aux prisonniers de guerre.
Oui, en tenant compte des ordonnances existant d’autre part. C’était évident.
Vous nous avez parlé hier du service d’inspection. Est-il exact que vous ayez passé un accord au mois de septembre 1943 entre le docteur Ley et vous-même, pour organiser une inspection centrale des travailleurs étrangers ?
Oui, pour leur administration.
En conséquence, vous vous reconnaissez responsable des mesures qui concernent le traitement des travailleurs étrangers ?
Je suis responsable des ordonnances que j’ai prises. Elles sont toutes là.
Est-ce que vous vous sentez responsable des ordonnances concernant l’alimentation des travailleurs étrangers ?
Je me sens responsable des ordonnances que j’ai prises concernant l’alimentation des travailleurs étrangers. Le ravitaillement lui-même ne dépendait pas des services du travail qui n’en étaient pas responsables ; il était sous la responsabilité des entreprises ou des chefs de camps délégués par ces entreprises.
Je vais vous faire déposer le document PS-025. Ce document a été déposé au Tribunal sous le numéro USA-698. Vous l’avez déjà eu hier entre les mains. Il s’agit d’un compte rendu d’une séance chez le délégué général à l’utilisation de la main-d’œuvre — c’est-à-dire vous-même — du 3 septembre 1942. Le document est en date du 4 septembre.
Le document, Monsieur le Président, se trouve à la fin de mon livre de documents, après le document F-827, à la dernière page de la traduction française. Je lis :
A la dernière page ? Je trouve le document F-857 ; c’est bien la dernière page. Juste avant le document PS-2200. Est-ce bien cela ? Juste après le document PS-1913.
Monsieur le Président, c’est juste avant PS-2200, c’est juste après PS-1913.
Oui.
Je lis : « Le Führer ne peut comprendre que dans le combat pour l’avenir de l’Europe, ce soit justement le pays ayant à supporter le poids principal de ce combat qui souffre le plus de la faim tandis qu’en France... »
Est-ce à la page 1 ou à la page 4 ?
Non, Monsieur le Président, à la page 4.
« Le Führer ne peut comprendre que lors du combat pour l’avenir de l’Europe ce soit justement le pays ayant à supporter le poids principal de ce combat qui souffre le plus de la faim, tandis qu’en France, en Hollande, en Hongrie, en Ukraine ou n’importe où ailleurs, on ne peut pas encore parler de faim. Il désire que ce soit l’inverse à l’avenir. Quant aux ouvriers étrangers vivant dans le Reich, à l’exclusion des travailleurs de l’Est, il faut peu à peu instituer pour eux un système de rationnement correspondant au rendement. Il n’est pas admissible que des Hollandais ou des Italiens paresseux reçoivent une meilleure alimentation qu’un travailleur de l’Est actif. Le principe du rendement doit également s’appliquer à l’alimentation. » (A l’accusé.) Je vous demande ce que vous vouliez dire lorsque vous disiez : « Le principe du rendement doit s’appliquer également à l’alimentation » ?
Dans le Reich, il y avait un rationnement de base. A ce rationnement de base s’ajoutaient, dans les entreprises, des suppléments proportionnels au rendement et je me suis efforcé d’obtenir que ces suppléments, dont profitaient en majeure partie les ouvriers en provenance des territoires de l’Ouest, puissent également profiter aux ouvriers venant des territoires de l’Est, et que, là où des travailleurs de l’Ouest, c’est-à-dire des Hollandais et des Belges n’avaient pas un rendement comparable à celui des travailleurs de l’Est, ces suppléments soient proportionnellement réduits, mais non pas le rationnement de base, qui était celui de la population allemande.
Vous admettez donc que parce que le rendement d’un ouvrier est moindre que celui d’un autre, son alimentation doit être moindre ? Est-ce bien cela que je dois comprendre ?
Non, ce n’est pas ce qu’il faut comprendre. Je voudrais expliquer, encore une fois, qu’en Allemagne tous les ouvriers recevaient un certain contingent de ravitaillement sur la base des textes fixés par le ministre du Ravitaillement. En surplus, il y avait des suppléments de rendement, qui, au début, n’étaient pas attribués aux ouvriers russes. C’est de cela qu’il s’agit et non pas de faire mourir de faim ou de diminuer les rations normales mais seulement les suppléments.
L’audience est suspendue.
Plaise au Tribunal. L’accusé Raeder est absent.
Monsieur Herzog, pensez-vous que votre contre-interrogatoire sera terminé pour 4 heures et demie.
Oui, Monsieur le Président, je crois même pouvoir en avoir terminé avant.
Très bien.
Accusé Sauckel, je vous ai déposé ce matin le document PS-810 qui est le compte rendu de la conférence que vous avez tenue les 15 et 16 juillet 1944 à la Wartburg avec les présidents des offices de travail régionaux. Vous en souvenez-vous ?
Oui, je m’en souviens.
Vous souvenez-vous si au cours de cette conférence, la question de la discipline à imposer aux travailleurs a été évoquée ?
Il est possible qu’à cette occasion, durant ces conversations, cette question ait été débattue, je ne m’en souviens pas d’une façon exacte. Je n’ai pas toujours pris part à toutes les séances.
Connaissez-vous le conseiller ministériel, Dr Sturm ?
Non, je ne connais pas personnellement le conseiller ministériel, Dr Sturm.
Vous souvenez-vous des déclarations qu’à la conférence des 15 et 16 juillet 1944 le Dr Sturm a faites ?
Je ne me souviens pas d’une déclaration spéciale du Dr Sturm.
Je vais vous faire passer à nouveau le procès-verbal de cette réunion. C’est le document F-810 que j’ai déposé ce matin sous le numéro RF-1507. Voulez-vous voir à la page 25 du texte allemand ; c’est également à la page 25 du texte français. Vous y verrez écrit, je lis la première ligne d’abord : « Sturm fait le rapport suivant sur son secteur : « Discipline du travail ».
Je passe à la page suivante : « Nous travaillons avec la Gestapo... »
Où cela se trouve-t-il ?
C’est le document F-810, Monsieur le Président, il est indiqué...
Je sais qu’il s’agit du document 806, mais je pensais que vous pariiez du suivant.
810, Monsieur le Président, 810.
Je l’ai.
Page 25.
Très bien, continuez.
Avec votre permission, je reprendrai au début :
« Sturm fait le rapport suivant sur son secteur « Discipline du travail ». Et à la page suivante :
« Nous travaillons avec la Gestapo et les camps de concentration, et nous sommes sûrs, ainsi, d’être sur le bon chemin. »
Avez-vous fait des observations au sujet de cette déclaration ?
Je n’ai pas entendu parler ce rapporteur. Il s’agit d’un rapport technique sur des questions de droit du travail, comme cela est indiqué au début, et c’est la première fois de ma vie que je vois ce compte rendu. Plusieurs réunions ont eu lieu en même temps. Je n’ai pas entendu cela personnellement, mais il est bien évident que certains règlements furent établis en vue des sanctions à prendre, comme dans tous les codes du travail.
Je lis dans le même document, au début :
« L’utilisation de la main-d’œuvre et la mise en ordre des salaires ne sont réalisables que sur la base d’une saine morale du travail. Les prescriptions de nature disciplinaire et pénale édictées par le but d’assurer cette morale du travail doivent être appliquées d’une manière homogène dont on discutera les détails au cours d’une prochaine réunion de spécialistes du droit pénal ».
Il ne s’agissait donc pas d’un de mes services.
Voulez-vous me dire ce que vous pensez de la déclaration du Dr Sturm ?
En rapport avec cette déclaration du Dr Sturm, je désirerais continuer à lire à la première page...
Voulez-vous d’abord répondre à ma question : que pensez-vous de cette déclaration ?
J’ai déjà répondu.
Voulez-vous répondre à ma question : que pensez-vous de cette déclaration ?
Je n’avais pas connaissance de cette déclaration, car Sturm dépendait, je crois, d’une autorité, sans doute du ministère du Travail ou d’une autre autorité quelconque, je ne peux pas le dire. Je n’ai pas entendu cette déclaration...
Faites attention à la lampe. Vous ne voyez pas la lampe qui s’allume devant vous ?
Ne vous souvenez-vous pas qu’un accord avait été conclu entre vous et le chef de la Police et des SS pour livrer à la Gestapo les ouvriers qui étaient coupables d’abandon de travail ?
Il fallait en effet qu’il y eût en Allemagne un organisme qui s’occupât de retrouver les ouvriers ayant quitté leur travail sans autorisation. Seule la Police pouvait le faire, il n’existait pas d’autre organisation. Je vous prie, au sujet de ce document, de vouloir me permettre de continuer à lire, à la première page : « D’ailleurs le nombre des peines prononcées à l’égard de membres des syndicats allemands, telles que les réprimandes, amendes, camps de concentration et peines légales, est étonnamment réduit. Le nombre de peines prononcées à la suite de poursuites s’élève en moyenne de 0,1 à 0,2 pour 1.000. »
En quoi cela a-t-il trait à la question que je vous pose, qui est celle de vos rapports avec la Gestapo et les camps de concentration ?
Il n’y avait pas d’autre organisme que la Police pour se charger d’une arrestation, quand elle était devenue nécessaire et justifiée par la loi.
Vous reconnaissez donc que c’est en accord avec vous que la Gestapo a procédé à l’arrestation des ouvriers en rupture de ce que vous appeliez le contrat de travail, et les a livrés aux camps de concentration ?
Non, pas dans les camps de concentration, mais en prison comme il était prescrit. Les sanctions étaient prononcées conformément à des règlements précis. Je n’ai donné mon approbation à aucune autre mesure.
Je dépose au Tribunal le document PS-2200, qui devient le document RF-1519. C’est une note de service de la Gestapo de Cologne, adressée aux services de Police des districts de Cologne et d’Aix-la-Chapelle. Son objet est la lutte contre les ouvriers étrangers ayant rompu leur contrat de travail.
C’est dans mon livre de documents, Monsieur le Président, le quatrième document en partant de la fin. Je lis :
« Le nombre considérable des travailleurs étrangers en rupture de contrat... est dangereux pour la sécurité du Reich... Il fait courir le danger permanent d’actes de sabotage caractérisés... Le Reichsführer SS et chef de la Police a conclu un accord avec le délégué central à la main-d’œuvre, aux termes duquel toutes les plaintes relatives aux ruptures de contrat de travailleurs étrangers seront de la compétence de la Gestapo.
« Les autorités de Police des Kreise procéderont aux enquêtes nécessaires et sont autorisées, dans les cas bénins de rupture de contrat, à prononcer contre les délinquants, au nom du service de la Gestapo de Cologne, un avertissement ou une peine correctionnelle jusqu’à trois jours de prison. Il conviendra de tenir compte des directives énoncées en vue de l’attitude à prendre vis-à-vis des. différents groupes de travailleurs étrangers.
« Dans les cas plus graves de rupture de contrat, les autorités de Police des Kreise devront adresser les déclarations, accompagnées des procès-verbaux d’interrogatoire et des résultats de l’enquête aux services compétents de la Gestapo (Cologne, Aix-la-Chapelle ou Bonn), aux fins de décision. La Police secrète d’État, après examen du dossier, prononcera la peine requise (internement de sécurité, envoi dans un camp de travail ou de concentration). » (A l’accusé.) Contestez-vous encore que ce soit avec votre accord que les ouvriers réfractaires étaient, d’une part livrés à la Gestapo, d’autre part livrés aux camps de concentration ?
Je n’ai pas dit le contraire, mais cela n’a eu lieu, comme il est dit au paragraphe 1, que quand ces actes troublaient l’ordre public, c’est-à-dire dans les cas graves ou les cas de rupture de contrat. Il n’y avait pas d’autre organisme que la, Police qui pût opérer les recherches et il me semble que cette façon de procéder était absolument correcte.
Vous trouvez donc correcte la livraison des travailleurs étrangers à la Gestapo et aux camps de concentration ? Je prends acte de votre déclaration.
Seulement dans les cas graves, était-il spécifié. Telles étaient les exigences qui m’étaient imposées.
A quelle époque avez-vous eu connaissance des atrocités qui ont été commises dans les camps de concentration ?
Je puis vous dire, en toute conscience, que je n’ai appris les atrocités des camps de concentration qu’ici même, après la débâcle.
Pensez-vous qu’il en soit de même de tous les chefs hitlériens ?
Je ne peux pas le dire pour les autres ». mais personnellement je n’avais jamais entendu parler de ces mesures, dont on a traité ici et que je réprouve formellement.
En ce qui concerne le Reichsführer Himmler, par exemple, pensez-vous qu’il était au courant des atrocités qui se passaient dans les camps de concentration ?
Je ne puis pas dire si le Reichsführer SS les connaissait ou en était responsable, car de toute ma vie je n’ai que très peu, autant dire jamais, parlé au Reichsführer SS car nos rapports étaient très tendus.
Vous avez, au cours de l’interrogatoire que vous avez subi hier, déclaré à votre honorable défenseur, que vous aviez visité une fois le camp de concentration de Buchenwald, est-ce exact ?
Oui, cela devait être en 1937 ou 1938, je ne m’en souviens plus très bien.
Vous avez déclaré que vous aviez effectué cette visite en compagnie d’une mission italienne, est-ce exact ?
Oui, c’est exact.
Savez-vous qu’il existe un album officiel de photographies du camp de Buchenwald ?
Je n’en sais rien.
Je dépose cet album au Tribunal, sous le numéro RF-1520. Cet album porte le numéro D-565 ; c’est un document de la Délégation britannique. (A l’accusé.) Vous reconnaissez-vous sur ces photographies ?
En effet, je me reconnais sur ces photographies.
Avec qui êtes-vous ?
C’est le Reichsführer SS.
Himmler ?
Himmler, oui.
Je vous remercie. Et vous prétendez, vous, Gauleiter et Reichsstatthalter de Thuringe, avoir visité le camp de Buchenwald en compagnie du Reichsführer SS Himmler, et je vous le signale, en compagnie du directeur du camp, sans savoir ce qui se passait à l’intérieur du camp ?
Je ne peux pas dire quand cette photographie a été prise, ni si elle l’a été à l’intérieur du camp. Une seule fois je suis allé avec le Reichsführer SS à l’extérieur du camp ; il y avait là de grands bâtiments ; mais je ne suis jamais allé à l’intérieur du camp avec le Reichsführer. J’y suis allé une fois, avec une commission italienne. Cette photographie n’a aucun rapport avec une inspection du camp. Il y a là une troupe rassemblée. Je ne me souviens pas exactement à quelle occasion...
Le Tribunal appréciera.
Je dépose au Tribunal, sous le numéro RF-1521, le certificat d’origine de cet album.
Au mois d’octobre 1945, vous avez été interrogé sur l’expulsion des Juifs de l’industrie. Vous avez dit textuellement ceci :
« Je ne m’en suis jamais occupé moi-même, je n’avais rien à faire avec la question de l’expulsion des Juifs de l’industrie. Je n’avais aucune influence en cette matière, c’était un mystère pour moi. »
Est-ce que vous pouvez me confirmer cette déclaration ?
C’est absolument exact. Je n’ai pas dit que l’exclusion des Juifs de l’industrie était pour moi un mystère, j’ai dit que je n’avais rien à faire avec cela, autant que je m’en souvienne.
Votre avocat vous a donné hier un document, le numéro L-61, que vous avez cru devoir discuter.
Oui.
Les objections que vous avez faites à ce document n’étaient-elles pas que ce document était de 1942 et traitait de questions antérieures à votre nomination. Vous ai-je bien compris hier ?
Les pièces jointes à cette lettre traitaient de questions dont on avait déjà parlé avant ma nomination et qui étaient en cours d’exécution.
Je dépose au Tribunal le document L-156 qui devient le numéro RF-1522. C’est une lettre écrite sous l’autorité du délégué général au Plan de quatre ans, par le délégué général à la main-d’œuvre, c’est-à-dire vous, le 26 mars 1943 ; elle est adressée aux présidents des offices de travail agricole ; elle a pour objet l’expulsion des Juifs et elle commence ainsi :
« D’accord avec moi et avec le ministre du Reich pour l’Armement et les Munitions, le Reichsführer SS, pour des raisons de sécurité de l’État, a retiré, fin février, de leur lieu de travail, les Juifs exerçant leur activité dans les mêmes conditions que les travailleurs libres, c’est-à-dire en dehors des camps et les a fait réunir aux fins d’expulsion. Afin d’assurer l’efficacité de cette mesure, j’ai évité de donner des instructions à l’avance, et je n’ai informé que les offices du travail agricole des districts où la main-d’œuvre juive libre était employée en grand nombre.
« Afin d’avoir un aperçu de l’effet de ces mesures sur l’organisation de la main-d’œuvre, je vous prie de me faire parvenir un état, à la date du 31 mars 1943, des Juifs enlevés à leur travail et de me faire connaître l’effectif nécessaire à leur remplacement. Il faudra tenir compte, dans l’indication du nombre d’entreprises et des Juifs qui y sont employés, des conditions avant leur évacuation. Pour le rapport, utiliser le modèle ci-joint, etc. »
Prétendez-vous encore que vous n’avez exercé aucune action dans l’expulsion des Juifs et dans leur remplacement par des travailleurs étrangers ?
Je tiens à faire remarquer une fois de plus que cette lettre ne m’a jamais été présentée. Elle ne comporte pas de signature et provient d’un service subalterne du ministère du Travail — Saarlandstrasse 96 — c’est donc un fonctionnaire qui travaillait là qui s’en est occupé. Personnellement, je ne me souviens pas d’avoir, en aucun cas, vu cette lettre. Elle n’est pas rédigée par moi, elle ne provient pas de mes services et elle est signée « par ordre », la signature n’est pas de moi.
Voulez-vous regarder au coin à gauche : « Le délégué au Plan de quatre ans, le délégué général à la main-d’œuvre ». N’est-ce pas vous ? Vous parlez d’un employé subalterne ; voulez-vous rejeter la responsabilité sur vos subordonnés ?
Non, je veux simplement dire que l’entête de la lettre est celle d’un certain service et que je n’ai jamais vu cette lettre. Je la vois ici pour la première fois de ma vie, et je ne l’ai pas rédigée, je puis le dire sous la foi du serment.
A cette lettre est jointe une demande de rapport pour le remplacement des Juifs expulsés. Quel autre service que le vôtre pourrait se préoccuper de ce remplacement, vous qui étiez le délégué général à la main-d’œuvre ?
Oui, mon service, je l’ai déjà dit hier à mon avocat, était évidemment chargé du remplacement des ouvriers manquant dans une entreprise, soit par incorporation, soit de toute autre manière. Je ne connaissais pas toujours tous les détails.
Vous ne répondez pas à ma question. Le fait que cette lettre...
Si, j’ai répondu exactement à votre question.
Le fait que cette lettre contienne une demande relative au remplacement des ouvriers n’est-il pas la preuve qu’elle émane bien de votre service, vous, délégué à la main-d’œuvre ?
Une demande comme celle-ci ne pouvait pas émaner de mes services. L’évacuation des Juifs était l’affaire du Reichsführer SS et il en était le seul responsable. Je n’avais, moi, que des difficultés à récolter de telles mesures, car il était très difficile de remplacer les ouvriers. Je n’y avais aucun intérêt.
Somme toute, vous contestez que vous ayez préconisé jamais un régime de travail particulier pour les Juifs ?
Oui, je le conteste en effet, je n’avais rien à faire avec cette question, ce n’était pas dans mes attributions.
Voulez-vous prendre à nouveau le document suivant, F-810, que j’ai déposé sous le numéro RF-1507 ; on va vous le passer, si vous ne l’avez pas. Voulez-vous prendre la page 16, sous la rubrique « Gauleiter Sauckel », je lis : « S », c’est-à-dire Sauckel, nous verrons pourquoi tout à l’heure...
Je n’ai pas ce document, excusez-moi si...
On vous a passé ce document il y a à peine deux minutes ; si vous ne l’avez pas, on va vous le passer à nouveau.
Puis-je vous demander de m’en indiquer à nouveau le numéro ?
Document F-810, mais je ne pense pas qu’il soit marqué sur la photocopie que vous avez. Vous avez le document ? Vous l’aviez.
Oui.
Sous la rubrique « Document Sauckel », à la page 16 du document :
« S » — c’est-à-dire Sauckel — « se montre très irrité lorsqu’on dit que les détenus des camps de concentration et les Juifs hongrois constituent la meilleure main-d’œuvre du secteur de la construction. C’est positivement inexact, car ils fournissent en moyenne 65 à 70% du rendement d’un travailleur normal, jamais 100%. De plus, il est indigne du travailleur allemand et de la conception morale allemande du travail de les mettre dans la même catégorie que ce ramassis de traîtres. Pour les détenus des camps de concentration et les Juifs, le travail n’est pas un titre de noblesse ; il ne faut donc pas en arriver au point que les détenus de camps de concentration et les Juifs deviennent des articles recherchés. Sur les chantiers, il faut, à tout prix, que les détenus des camps de concentration et les Juifs soient tenus à l’écart du reste de la main-d’œuvre, dans laquelle il faut aussi compter les étrangers. Le Gauleiter Sauckel fait remarquer, en conclusion, qu’en fait il ne s’élève pas contre l’emploi des Juifs et des détenus des camps de concentration, mais seulement contre l’exagération mentionnée ci-dessus. »
Alors, je vous demande à vous, Sauckel, vous qui nous avez décrit hier votre vie d’ouvrier, ce que vous entendez lorsque vous dites :
« Pour les détenus des camps de concentration et les Juifs, le travail n’est pas un titre de noblesse » ?
Je tiens à faire remarquer expressément que c’est là un compte rendu très court et très libre, et non pas une sténographie. Je me suis dressé contre cela, parce que je pensais que les détenus des camps de concentration étalent des traîtres au pays. Je n’ai pas pensé à autre chose ; je voulais que ces hommes ne fussent pas mêlés à d’autres ouvriers sur les chantiers ; de même pour les Juifs, mais ce n’est pas moi qui employais ces ouvriers, c’était le Reichsführer SS et, au cours d’une conversation avec le Führer, je me suis élevé contre l’emploi simultané de ces hommes avec les travailleurs libres et les ouvriers étrangers, dans l’intérêt de ces derniers.
Je vous pose à nouveau la question : que vouliez-vous dire lorsque vous disiez : « Pour les détenus des camps de concentration et les Juifs, le travail n’est pas un titre de noblesse » ?
Je voulais dire par là que le travail de gens qui subissaient des peines ne devait pas être comparé à celui des gens libres et irréprochables. Je voulais qu’on fît une distinction entre l’emploi de détenus et l’emploi d’hommes libres, je voulais qu’ils fussent séparés.
Et les Juifs étaient des détenus, alors ?
Dans ce cas, les Juifs étaient les détenus du Reichsführer SS. Actuellement, je regrette d’être obligé d’employer ce terme.
Vous contestez donc que cette phrase soit l’expression d’une hostilité que vous auriez manifestée à l’égard des Juifs par exemple ?
A cette époque, j’étais évidemment contre ces Juifs, mais je ne m’occupais pas de leur emploi au travail et j’ai refusé de mélanger aux autres, ces ouvriers dont l’emploi était l’affaire du Reichsführer SS.
N’avez-vous jamais fait de propagande contre les Juifs ?
J’ai fait de la propagande contre les Juifs dans la mesure où ils détenaient, dans le Reich, des positions qui, selon moi, devaient être occupées par des Allemands.
Je vais vous soumettre un article que vous avez écrit au mois de juin 1944, à une époque où, je pense, il n’y avait dans votre Allemagne plus beaucoup de Juifs qui occupaient des postes importants. Cet article de journal a paru dans le journal Die Pflicht , journal que vous publiiez dans le Gau de Thuringe. C’est le document PS-857, que je dépose au Tribunal sous le numéro RF-1523. Je lis des extraits de cet article. D’abord extrait de la page 1, première colonne, avant-dernier paragraphe :
« Maintenant, toutes les vieilles et meilleures vertus des marins, aviateurs et soldats de Grande-Bretagne, ne peuvent plus arrêter la pourriture de la peste juive, qui fait de rapides ravages au sein de leur pays. »
Ensuite, extrait de la page 2, deuxième colonne, avant-dernier paragraphe :
« Il n’y a pas d’exemples dans l’histoire mondiale qu’il ait été créé au cours des siècles quelque chose de durable par les Juifs et les fous qui leur étaient soumis, à eux, à leurs femmes ou à leurs coutumes. »
Et je vous demande, accusé Sauckel, qu’entendiez-vous par l’expression « peste juive » ?
Je voulais désigner par là les symptômes de désagrégation qui apparaissaient parmi les peuples.
Qu’entendiez-vous par « peste juive » ?
J’étais d’avis que certains milieux juifs apportaient aux peuples des éléments de désagrégation, c’était là mon opinion.
Le Tribunal appréciera. Je n’ai plus de questions à poser, Monsieur le Président.
Je voudrais faire un résumé général de votre activité en tant que plénipotentiaire général à l’utilisation de la main-d’œuvre. Dites-moi quel était le nombre d’ouvriers étrangers occupés dans l’économie et l’industrie allemandes à la fin de la guerre.
Dans la mesure où je peux l’indiquer sans avoir recours à aucun document, nous avions, mis à part les prisonniers de guerre, environ 5.000.000 de travailleurs étrangers en Allemagne, vers la fin de la guerre.
Vous avez déjà cité ce chiffre au moment de votre interrogatoire par votre défenseur. Il me semble que vous donnez là un chiffre qui ne correspond pas à l’époque de la capitulation de l’Allemagne, mais au 24 juillet 1942. Je vais vous donner d’autres indications à ce sujet, en me reportant à vos propres documents. Vous avez été nommé délégué général le 21 mars 1942 ; le 27 juillet 1942, c’est-à-dire trois mois après, vous avez présenté à Hitler et à Göring votre premier rapport. Dans ce rapport, vous avez communiqué que, du 1er avril au 24 juillet 1942, le chiffre de 1.600.000 hommes qui vous avait été imposé avait été dépassé. Confirmez-vous ce chiffre ?
J’ai donné ce chiffre ; il ne s’agissait pas uniquement d’ouvriers étrangers ; ce chiffre comprenait aussi des ouvriers allemands, si je me souviens bien.
Dans la conclusion de ce rapport, vous dites que le chiffre total de la population des territoires occupés transférée en Allemagne, à la date du 24 juillet 1942, était de 5.124.000 personnes. Ce chiffre est-il exact ? Le confirmez-vous ?
Oui, je crois. Mais à cette époque il comprenait également les prisonniers de guerre qui avaient été placés dans l’économie. Je tiens aussi à faire remarquer que, pour tous les pays neutres, les pays alliés et les pays de l’Ouest, il y avait un échange permanent de main-d’œuvre, parce que ces ouvriers ne restaient en Allemagne que six mois, neuf mois ou un an, et qu’après l’exécution de leur contrat, ils retournaient dans leur pays. Ce chiffre pourrait donc être exact. Par contre, il ne devait pas être beaucoup plus élevé, à la fin de l’année, étant donné ces échanges dont je viens de parler.
Mais c’est un fait et vous le reconnaissez vous-même, que le nombre des habitants des territoires occupés, qui ont été transférés en Allemagne, était de 5.124.000, le 24 juillet 1942. Est-ce exact ?
Si ce chiffre figure dans ce document, il doit être exact. Il est possible et vraisemblable qu’il comprenne les prisonniers de guerre employés dans l’économie. Mais je ne peux pas le dire d’une façon certaine sans documents.
Je vous montrerai plus tard un autre document qui se rapporte à cette question. Le 1er décembre 1942, vous avez établi un rapport d’ensemble sur l’utilisation de la main-d’œuvre jusqu’au 30 novembre 1942. Dans ce résumé, vous dites que le nombre des ouvriers utilisés par l’industrie de guerre allemande, depuis le 1er avril jusqu’au 30 novembre 1942, s’élevait à 2.749.652. A la page 8 de votre rapport, vous concluez qu’au 30 novembre 1942, 7.000.000 d’hommes étaient occupés sur le territoire du Reich. Confirmez-vous ce nombre ?
Je ne peux pas vous confirmer ce chiffre sans documents. Mais je pense que l’on comprenait dans ce chiffre les prisonniers de guerre français et autres.
Mais ce nombre lui-même, ces 7.000.000 d’étrangers occupés dans l’économie de guerre allemande, y compris même les prisonniers de guerre, est-il exact ? Donnez-nous maintenant le chiffre de la main-d’œuvre amenée en Allemagne des régions occupées en 1943.
Les ouvriers étrangers amenés en Allemagne au cours de l’année étaient peut-être 1.500.000 à 2.000.000. Il y a eu différents programmes qui ont été modifiés.
Ce qui m’intéresse maintenant, c’est de savoir combien de personnes ont été amenées en Allemagne en 1943, à peu près ; il n’est pas nécessaire que vous. me donniez un chiffre précis.
Je vous ai déjà dit : 1.500.000 à 2.000.000. Je ne peux pas être plus précis.
Vous souvenez-vous des objectifs qui vous ont été assignés pour l’année 1944 ?
En 1944, il avait été demandé 4.000.000 de travailleurs, y compris les ouvriers allemands. Mais sur ces 4.000.000, je n’en ai obtenu que 3.000.000 à savoir 2.100.000 Allemands et environ 900.000 ouvriers étrangers
Maintenant pouvez-vous donner un bilan, fut-il général, de votre activité ? Combien de personnes en provenance des territoires occupés ont-elles été amenées en Allemagne pendant la guerre, y compris celles occupées dans l’agriculture et l’industrie allemande à la fin de la guerre.
Autant que je sache et autant que je m’en souvienne il y avait environ, à la fin de la guerre, 5.000.000 d’ouvriers étrangers en Allemagne. Quelques millions de ces ouvriers sont retournés, au cours de la guerre, dans leur pays : les pays neutres ou alliés ou les pays de l’Ouest, et il fallait les remplacer. C’est pourquoi on établissait toujours de nouveaux programmes. C’est ainsi qu’on peut expliquer le fait que les ouvriers qui étaient déjà là avant mon entrée en fonctions et ceux qui furent amenés par la suite atteignirent le chiffre de 7.000.000 ; mais au cours de la guerre plusieurs millions étaient retournés dans leur pays.
Un grand nombre d’entre eux sont morts des suites d’un travail d’esclave. Mais ce n’est pas là que je veux en venir. Dans vos documents, vous vouliez certainement parler de la main-d’œuvre effective et non pas des morts ou des absents. Pouvez-vous dire combien de personnes ont été amenées des territoires occupés en Allemagne, au cours de la guerre.
Je vous ai déjà donné le chiffre.
5.000.000 ?
Oui.
Vous maintenez ce chiffre ?
Je maintiens qu’à la fin de la guerre, d’après les statistiques de mes services et autant que je m’en souvienne, il y avait environ 5.000.000 d’ouvriers en Allemagne, et que plusieurs millions d’ouvriers étaient retournés chez eux. Les spécialistes de la question pourraient mieux répondre à cela que moi-même. Les autres n’avaient que des contrats, soit de six mois, soit de neuf mois.
La question que vous posez est bien : « Combien de travailleurs étrangers furent amenés en Allemagne pendant tout le cours de la guerre ? » C’est bien cette question-là que vous avez posée ?
Oui, Monsieur le Président.
Quelle est votre réponse ?
Je l’ai déjà indiqué : avec les ouvriers qui avaient été amenés avant mon arrivée et ceux qui étaient présents à la fin de la guerre, cela pouvait faire 7.000.000. D’après mes documents, il en restait peut-être 5.000.000 à la fin, parce que les autres étaient rentrés chez eux.
Oui, mais ce n’est pas ce qu’on vous avait demandé. On vous a demandé combien de personnes furent amenées de l’étranger en Allemagne pendant toute la durée de la guerre. Vous avez dit qu’il y en avait 5.000.000 à la fin de la guerre, et qu’il y avait eu des changements constants au cours des années précédentes. On peut donc en déduire que plus de 5.000.000 de personnes ont été amenées en Allemagne au cours d’une année.
J’estime le chiffre à 7.000.000 ; mais il m’est impossible de donner le chiffre exact, étant donné que je ne connais pas avec précision le chiffre des personnes employées avant mon entrée en fonctions. Mais il y en a certainement plusieurs millions qui sont rentrés chez eux.
Le 30 novembre 1942, vous avez évalué le chiffre de la main-d’œuvre importée à 7.000.000 d’hommes. Suivant vos déclarations en 1943...
Les travailleurs employés en Allemagne y compris les prisonniers de guerre, en 1942 ?
Très bien, y compris les prisonniers de guerre. C’est bien cela, 7.000.000 en tout, le 30 novembre 1942 ?
Je ne peux pas vous le dire exactement ; c’est possible, mais je ne puis vous le dire si je ne dispose d’aucun document.
Je vous montrerai le document demain. Pour l’instant, je voudrais que vous répondiez à ma question ; vous avez dit qu’en 1943, 2.000.000 d’hommes environ furent encore amenés en Allemagne.
En 1943 ?
Oui, en 1943.
1.500.000 à 2.000.000, ai-je dit.
Donc 7.000.000 et 2.000.000 cela fait 9.000.000, c’est bien cela ?
Non, j’ai dit expressément que certains d’entre eux étaient rentrés chez eux, et je n’ai pas compté les prisonniers de guerre dans le nouveau contingent.
Vous ne me comprenez pas. Je parle du nombre de travailleurs en provenance des territoires occupés. Il est absolument inutile de savoir combien d’entre eux ont péri en Allemagne, et combien en sont repartis ; cela ne change pas le nombre total de personnes amenées en Allemagne. Si donc, le 30 novembre 1942, il se trouvait en Allemagne 7.000.000 de personnes et que, selon vous, en 1943, il en est encore venu 2.000.000 et en 1944 encore à peu près 900.000, cela doit faire, d’après vos propres indications, un total de 10.000.000 d’ouvriers amenés en Allemagne au cours de la guerre. Est-ce bien cela ?
Je ne puis vous dire cela que sous réserve, car je ne sais pas combien d’ouvriers étaient effectivement là avant mon arrivée. C’est approximativement exact en comprenant tous les prisonniers de guerre qui travaillaient dans l’industrie. Il faut évidemment les déduire du chiffre des ouvriers civils.
L’audience est levée.