CENT QUARANTE-TROISIÈME JOURNÉE.
Vendredi 31 mai 1946.
Audience du matin.
(L’accusé Sauckel est à la barre des témoins.)Accusé Sauckel, hier je n’ai pas reçu de vous de réponse satisfaisante sur le nombre d’ouvriers étrangers amenés en Allemagne en provenance des territoires occupés. Maintenant je vais vous présenter un document PS-1296. C’est votre rapport du 27 juillet 1942, ainsi que le document PS-1739 qui est le résumé de votre activité jusqu’au 30 novembre 1942. Je désire vous expliquer que, dans ce cas, il s’agit du nombre de travailleurs étrangers introduits en Allemagne, y compris les prisonniers de guerre. Le déchet produit dans cette main-d’œuvre n’a pas d’importance dans ce cas puisque le nombre total de personnes introduites en Allemagne ne s’en trouvera pas modifié. Ces gens ont été amenés en Allemagne où ils sont morts à la suite d’un travail excessif ou ont été renvoyés chez eux en raison de leur incapacité à travailler. Avez-vous ces documents entre les mains ?
Oui, je vous demande de pouvoir les regarder. Il s’agit de chiffres, n’est-ce pas ?
Je vous en prie... Dans le document...
Je n’ai pas encore fini. Je ne peux...
Il n’est pas indispensable que vous preniez connaissance de tous les documents. Dans le document PS-1296, à la dernière page de ce rapport, à la fin, vous trouverez une section 5 qui s’intitule « Résumé général ». L’avez-vous trouvé ?
Non, pas encore ; dans quel document, s’il vous plaît ?
PS-1296. L’avez-vous trouvé ?
J’ai trouvé ce passage, oui.
On y donne le nombre total : 5.124.000 personnes. Est-ce exact ?
Vous avez dit 12.000.000 ?
Non, 5.124.000... 5.000.000...
L’interprète m’a dit 12.000.000.
C’est faux.
Je dois faire remarquer d’une façon expresse au sujet de ce document que le chiffre de 5.124.000 figure ici et qu’il comprend 1.576.000 prisonniers de guerre, mais ceux-ci ne comptent pas parmi les ouvriers civils. Ils étaient sous l’administration et la garde de l’Armée. Pendant leur affectation, ils dépendaient administrativement des généraux chargés des services des prisonniers de guerre, qui les logeaient et les entretenaient dans les diverses régions militaires.
Mais ils étaient utilisés par l’industrie allemande. Lisez le titre de la division 5 : « Résumé général sur les ouvriers étrangers actuellement employés en Allemagne... »
Oui, c’est exact.
Cela me suffit. Passons maintenant au...
Je vous demande la permission d’expliquer que ces prisonniers de guerre n’étaient pas hébergés et administrés par les entreprises ou par le Front du Travail, mais dans les camps sous l’autorité des généraux chargés des services des prisonniers de guerre dans les différentes régions militaires. C’est pour cela que ces prisonniers n’étaient pas inclus dans mes statistiques.
Au sujet des prisonniers de guerre travaillant dans votre organisation, je vous poserai d’autres questions, mais maintenant ce qui m’intéresse c’est de savoir combien de civils et combien de prisonniers de guerre étaient occupés dans les industries allemandes. Ce chiffre de 5.124.000 hommes, le confirmez-vous ? Est-ce un chiffre exact ou non ?
Pour cette époque, c’est un chiffre exact, mais je demande, afin que le Tribunal puisse se faire une image exacte de ce qui s’est passé, à me référer à un document très exact. C’est le document PS-1764, qui donne l’énumération exacte des différents travailleurs étrangers et des prisonniers de guerre environ six mois plus tard, statistique que j’ai soumise aux principaux services du Reich et du Parti à Posen ; elle fut aussi présentée au Führer et aux services du Reich...
Je suis obligé de vous interrompre.
Je vous prie de me laisser terminer ma déclaration. Je vous en prie instamment. Je dois préciser ici toutes ces choses. Mes scrupules l’exigent à la face du monde. En février 1943, donc six mois plus tard, à la page 7 de ce document 1764, se trouve à nouveau une énumération où figure le chiffre de 4.014.000 ouvriers civils et de 1.658.000 prisonniers de guerre ; ce chiffre est très exact. Au total 5.672.000. Malgré l’arrivée d’autres ouvriers civils, ce chiffre ne s’est pas considérablement augmenté, comme je l’ai déclaré hier, du fait que les ouvriers civils des territoires de l’Ouest, du Sud et du Sud-Est n’avaient pour la plupart que des contrats de travail d’une durée de six mois. Autant que possible, et par mes soins, ces contrats étaient observés. Si je ne les avais pas respectés, c’est-à-dire si je n’avais pas insisté, je n’aurais pas obtenu d’autres ouvriers. Si, au cours de six mois, j’occupais quelques centaines de milliers d’ouvriers et si je les renvoyais, ce nombre diminuait toujours puisque ces hommes rentraient dans leur patrie. C’est pourquoi bien plus d’ouvriers civils sont venus dans le Reich qu’il n’est jamais apparu au total, car le nombre des rapatriés devait être déduit et ils étaient nombreux.
Il y a un document français, rapport de l’envoyé Hemmen à Paris. Mon avocat voudra bien me donner le numéro PS tout à l’heure. Il résulte de ce document qu’environ 800.000 ouvriers français ont été envoyés en Allemagne — non pas d’après mes services, mais d’après les statistiques de l’ambassade de Paris — mais en 1944 il n’y en avait plus que 400.000 en Allemagne, car, au terme des contrats temporaires, ces contrats expiraient tous les jours et tous les jours des milliers de travailleurs retournaient dans leurs pays. Environ cinquante pour cent de ces contrats venaient à expiration et cinquante pour cent étaient en cours. Voilà l’explication exacte, donnée en toute conscience de ma part.
Je vous reparlerai de ce que représentaient ces soi-disant contrats de travail. Mon collègue français, dans son interrogatoire, a prouvé suffisamment les méthodes criminelles qui présidaient au recrutement des ouvriers à l’Ouest. Je vous parlerai un peu plus tard de la façon dont cela se passait à l’Est. Maintenant je voudrais que vous confirmiez le nombre qui est indiqué dans votre rapport : 5.124.000 hommes. Ce nombre est-il exact ou non ? Il n’est besoin d’aucune explication supplémentaire. Je vous demande simplement si ce nombre est exact ou non.
A l’époque de l’établissement de cette statistique, ce chiffre est exact ; mais il a changé constamment pour les raisons que j’ai données.
Ce chiffre vaut pour le 24 juillet 1942, c’est clair pour tout le monde. Maintenant prenez le document suivant, PS-1739, à la dernière page. Il y a la phrase suivante :
« On peut être sûr maintenant que le nombre impressionnant d’ouvriers étrangers et d’ouvrières étrangères sur le territoire du Reich, qui a atteint environ 7.000.000, y compris tous les prisonniers de guerre qui travaillent, pourra rendre le plus grand service à l’économie allemande ». Avez-vous trouvé la phrase ? Est-ce que ce nombre de 7.000.000 y est bien contenu ?
On cite le chiffre de 7.000.000 ici, y compris tous les prisonniers de guerre employés à cette époque.
Oui, je le sais, c’est indiqué. Je vous demande simplement si le nombre de 7.000.000 figure dans ce document ou non ?
Oui, ce chiffre est cité dans ce document, certes.
Est-ce un nombre exact ?
C’est un chiffre exact et je prie le Tribunal de m’autoriser à lire les deux phrases suivantes, car on me reproche des méthodes criminelles. De mon côté, j’ai mis toutes mes capacités et mon influence à éviter l’usage de méthodes criminelles. C’est établi par les deux phrases suivantes. Ce sont des...
Je suis obligé de vous interrompre à nouveau.
Je vous prie de m’autoriser, comme le Tribunal l’a fait, à lire ces deux phrases qui viennent à l’appui de ma déclaration...
Accusé Sauckel...
Laissez-le lire les deux phrases qu’il désire.
Ces phrases n’ont aucun rapport avec la question du nombre de travailleurs amenés en Allemagne...
Je n’ai pas de traduction du document. Je ne peux donc pas donner mon opinion et je désire qu’il lise ces deux phrases.
Eh bien lisez, je vous prie.
« Des ouvriers de l’Est à moitié désespérés seraient par exemple une plus grande charge pour l’économie de guerre allemande qu’ils ne lui rendraient service.
« Je m’efforce sans cesse de le faire comprendre à tous les services compétents jusqu’aux entreprises », pour lesquelles, je l’ajoute, je n’étais nullement compétent.
Dans ces phrases, je désire simplement faire ressortir la conscience avec laquelle je désirais accomplir ce travail qui était très difficile pour moi.
Maintenant, accusé, voulez-vous, s’il vous plaît, répondre à la question. Ne donnez des explications que lorsque c’est nécessaire pour expliquer la réponse. On vous a demandé si les chiffres de 5.124.000 dans le premier document et de 7.000.000 dans le deuxième document étaient corrects. Vous avez dit qu’ils l’étaient. Continuez, général.
J’ai déjà répondu qu’il était exact et que ce chiffre de 7.000.000 dans ce document est donné...
Nous ne désirons pas entendre d’autres explications à ce sujet.
Je comprends très bien que vous n’ayez pas intérêt à ce que ces nombres effrayants soient augmentés, même d’une seule unité, encore moins de millions. Hier, vous avez déclaré qu’en 1943 2.000.000 de travailleurs de plus ont été amenés en Allemagne, et en 1944 environ 900.000 ?
Je dois absolument rectifier cela. Je ne l’ai pas dit, mais il est exact que depuis juillet 1942 jusqu’à fin 1942 2.000.000 environ d’ouvriers étrangers sont venus en Allemagne, et non pas seulement en 1943. A partir de février 1943 jusqu’à fin 1943, par exemple, il n’y a eu que 1.000.000 de travailleurs qui soient venus en Allemagne, car à ce moment-là nous avions de grosses difficultés. Mais de juillet 1942 jusqu’à la fin 1942, nous avons reçu 1.500.000 ouvriers, de sorte qu’en une année et demie nous avons eu environ 2.000.000 d’ouvriers de plus à ajouter au chiffre mentionné hier.
Nous savons combien vous en avez reçu en 1942. Vous avez dit très nettement hier qu’en 1943 près de 2.000.000 de travailleurs sont arrivés en Allemagne. Est-ce juste ou non ? Je parle de l’année 1943.
Si je me suis exprimé ainsi hier — je ne m’en souviens pas — ce n’est pas exact, mais il est exact que de juillet 1942 jusqu’à fin 1943, environ 2.000.000 d’ouvriers étrangers sont venus en Allemagne.
Le Tribunal n’a pas vraiment intérêt à connaître le chiffre exact de travailleurs étrangers qui se sont rendus en Allemagne. Il ne nous semble pas que cela fasse beaucoup de différence qu’il s’agisse de 5.000.000, 6.000.000 ou 7.000.000 d’ouvriers qui soient venus en Allemagne Il est très difficile de suivre tous ces chiffres.
Je n’ai pas du tout l’intention d’établir mathématiquement le nombre d’ouvriers étrangers introduits en Allemagne, mais je considère comme indispensable de se faire une idée de l’échelle de tous ces crimes. C’est pourquoi j’essaie de faire établir par l’accusé Sauckel le nombre d’ouvriers qui ont été amenés en Allemagne durant la guerre.
Mais je viens de vous dire qu’on tient cela pour un détail. Vous avez dit que vous ne désiriez pas obtenir ces chiffres avec une précision mathématique, mais nous avons perdu pas mal de temps à essayer d’obtenir cette exactitude.
Cela s’explique par le fait que l’accusé Sauckel ne répond pas nettement aux questions qu’on lui pose.
Dites-moi, des méthodes de guerre telles que la déportation de millions de gens des territoires occupés que l’on force comme des esclaves à venir en Allemagne, vous paraissent-elles être des méthodes en conformité avec les lois et coutumes de la guerre et de la morale humaine en général ?
J’estime que l’esclavage et la déportation sont inadmissibles et je voudrais ajouter à cette réponse claire l’explication suivante : personnellement, j’étais convaincu que ce n’était pas un crime...
Je vous en prie, ne vous éloignez pas de la question.
Je ne m’en éloigne pas. Mais je peux, et j’en ai le droit, donner une explication à ma réponse. J’ai donné la réponse.
Donnez une réponse directe.
Il est nécessaire à ma défense...
Ce n’est pas indispensable, à mon sens. Répondez directement. Trouvez-vous ces méthodes criminelles, oui ou non ?
Un instant, général. Vous avez demandé à l’accusé s’il considérait que c’était honorable. Laissez-le répondre à sa façon. Il ne s’agit pas de savoir si une chose est honorable. Il peut répondre librement à cette question.
Je demande, après avoir répondu clairement que selon ma conscience je ne pouvais être convaincu d’avoir commis un crime, de lire des phrases pertinentes du document Sauckel-86 dans le troisième livre de documents. Elles contiennent les instructions que j’ai données à mes subordonnés et aux entreprises industrielles.
« Nous n’avons pas affaire à des objets matériels, mais j’insiste à nouveau tout particulièrement là-dessus, à des êtres humains, des millions d’êtres humains dont chacun, que nous le désirions ou non, critique de son point de vue en tant qu’Allemand ou en tant qu’étranger. Le rendement d’un homme, qu’il soit ami ou ennemi de l’Allemagne, qu’il soit Allemand ou non, dépendra toujours de son sentiment intérieur qu’il est traité justement ou de son jugement qui lui dicte qu’il est exposé à des injustices. Soyez justes. » — Puis-je dire que c’était l’ordre donné à mes services — « Soyez justes. Il se présente à vous bien des problèmes auxquels vous ne pouvez pas toujours apporter des solutions par la seule étude de mes ordonnances ou de la Gesetzblatt ou de la Reichsarbeitsblatt ... »
Nous n’avons pas envie d’entendre un long discours sur une question comme celle-là. Je veux dire que vous n’avez pas besoin de lire une fois de plus toutes les instructions que vous avez données à vos subordonnés.
Non, Votre Honneur, je désire lire seulement deux phrases.
« La vie du travailleur est si riche qu’on ne pourrait l’inclure même en de nombreux gros volumes. Cependant, il y a dans le cœur de chaque homme un sentiment qui lui dit : « On t’a traité avec bienveillance et justice... »
C’est suffisant, accusé. Nous en avons assez entendu là-dessus.
Accusé Sauckel, en juillet 1944 une conférence s’est tenue chez Hitler sur la question de savoir comment il faudrait traiter les travailleurs étrangers au cas où les armées alliées continueraient à avancer victorieusement. Savez-vous quelque chose au sujet de cette conférence ?
Puis-je demander la date encore une fois ?
C’était en juillet 1944, au Quartier Général de Hitler. Savez-vous quelque chose au sujet de cette conférence ou non ?
Je ne m’en souviens pas exactement. Je ne me souviens pas de conférence au mois de juillet, car à partir du mois de juin 1944, depuis le 20 juin environ, je n’ai plus été admis chez le Führer.
Cela me suffit. Cela veut dire que vous ne savez rien de cette conférence. Dites-moi maintenant dans quel but, pour quel genre de travail utilisait-on la main-d’œuvre introduite en Allemagne ? Était-elle d’abord destinée à l’industrie de guerre et d’armement ?
Des ouvriers ont été amenés en Allemagne pour être utilisés dans l’industrie d’armement. L’industrie d’armement est un terme très vaste qui ne s’identifie pas avec la production d’armes et de munitions. Elle comprend tous les produits, de l’allumette au canon, qui ont trait d’une façon ou d’une autre au ravitaillement de l’Armée. C’est donc une notion très vaste et il faut dans ce terme délimiter la production des armes et des munitions. En outre, des ouvriers ont été amenés en Allemagne pour toutes les autres branches de l’économie civile indispensables à l’effort de guerre telles que l’agriculture, les mines, le bâtiment, l’artisanat, etc. Nous avons fait trois distinctions : l’industrie de guerre, qui voulait dire toute l’économie de guerre allemande, l’industrie d’armement, qui comprenait...
Accusé, nous n’avons pas besoin d’une conférence à ce sujet. On vous a demandé si ces gens étaient amenés en Allemagne pour y travailler dans l’industrie de guerre ?
Une partie d’entre eux.
Je voudrais que vous répondiez en me disant si la main-d’œuvre introduite en Allemagne a été utilisée surtout pour l’industrie de guerre en Allemagne et pour des buts de guerre. Est-ce juste ou non ? Je veux dire dans le sens large du mot.
Dans le sens large du mot, oui, y compris toute l’économie en temps de guerre.
Ainsi l’utilisation de la main-d’œuvre introduite en Allemagne a été entièrement et complètement soumise aux buts de la guerre d’agression allemande. Est-ce que vous le reconnaissez ?
Vous allez trop loin. Mon point de vue, le seul point de vue selon lequel j’agissais et pouvais agir à l’époque, excluait le terme agressif.
Répondez brièvement si vous trouvez que je vais trop loin. Dites-moi si vous l’admettez ou non ?
J’ai déjà répondu.
Votre rôle en tant qu’organisateur des déportations massives des populations civiles des territoires occupés pour les réduire à l’esclavage est assez clair maintenant. Je voudrais passer au rôle joué dans cette affaire par les différents ministères. Voulez-vous énumérer quels étaient les ministères et autres organes du Gouvernement de l’Allemagne hitlérienne qui prenaient une part directe dans l’exécution des mesures de mobilisation et d’utilisation de la main-d’œuvre étrangère. On a déjà parlé du ministère des Territoires occupés et il n’est pas nécessaire d’en reparler. Voulez-vous, s’il vous plaît, énumérer les autres ?
Sur le plan qui a été également présenté à votre délégation, Monsieur le représentant du Ministère Public, figurent de petites erreurs dues au dessinateur. Puisque je n’avais pas vu le dessin terminé, je croyais que le dessin tel qu’on me l’avait présenté était exact. Ces petites erreurs sont à rectifier et le plan sera alors clair et donnera la meilleure réponse à votre question.
Votre avocat a dit que ce schéma n’était pas très exact. C’est pourquoi je vous pose la question et vous prie d’énumérer quels étaient les divers ministères et les organes du Gouvernement de l’Allemagne hitlérienne qui avaient un rapport direct avec le recrutement et l’utilisation de la main-d’œuvre, à l’exception de ceux que je vous ai déjà nommés.
Général, il dit que dans l’ensemble c’est exact et qu’il n’y a qu’un petit changement à effectuer ; cela nous suffit certainement.
Monsieur le Président, l’avocat de Sauckel a dit lui-même que dans ce schéma il y a nombre d’inexactitudes. Toutefois, je voudrais simplifier cette question. Dites-moi par exemple quel était le rôle que jouait le ministère des Affaires étrangères en l’occurrence ?
Le ministère des Affaires étrangères était lié à cette question de la manière suivante : il avait à établir des liaisons dans les pays dans lesquels existaient des ambassades, des délégations ou des légations. Les pourparlers prenaient alors place sous la présidence du chef d’ambassade ou de délégation. Le ministère des Affaires étrangères s’est toujours efforcé de mener ces pourparlers d’une manière convenable et dans la forme voulue.
Le 4 janvier 1944 a eu lieu une conférence chez Hitler. C’est le document PS-1292. Il est écrit au sous-paragraphe 4 du procès-verbal : « Le délégué général à l’utilisation de la main-d’œuvre doit, avant d’exécuter ces mesures, se mettre en rapport avec le ministre des Affaires étrangères ». Que voulait dire cette phrase dans ce cas ?
Dans ce cas-là, cela voulait dire que, si j’avais à traiter avec le Gouvernement français ou italien, je devais auparavant me mettre en rapport avec le ministre des Affaires étrangères du Reich.
Après cette conférence qui se passait chez Hitler le 4 janvier 1944, vous vous êtes adressé, le 5 janvier de la même année, par lettre à Lammers, et vous lui avez posé la question de la nécessité de publier une directive spéciale concernant le résultat de cette conférence, afin que vous puissiez recevoir tout appui de la part des autorités suivantes ; je vais vous les énumérer : le Reichsführer SS, le ministre de l’Intérieur, le ministre des Affaires étrangères, le Feldmarschall Keitel, le ministre des Territoires occupés de l’Est, Rosenberg, les commissaires du Reich, le Gouverneur général et autres. Est-ce que vous vous rappelez votre lettre ?
Je me souviens de cette lettre. Voudriez-vous me la communiquer ? Je ne me souviens plus évidemment des détails.
Quel en est le numéro, général ?
C’est le numéro PS-1292 ; dans le texte russe c’est à la page 6. Avez-vous trouvé le passage, accusé ?
Oui, c’est à la dernière page. C’est bien cela ?
Oui, c’est cela. Donc vous trouviez que tous ces organismes devaient, d’une manière ou d’une autre, collaborer aux mesures prises pour le recrutement et l’utilisation de la main-d’œuvre. Est-ce bien vrai ?
C’est exact et je prie le Tribunal de m’autoriser à faire à ce sujet la déclaration suivante. Naturellement, étant donné mes fonctions, je ne pouvais faire, quoi que ce fût sans en informer les services suprêmes du Reich. C’est uniquement une preuve que je m’efforçais de travailler correctement et de ne pas intervenir sauvagement dans le Reich et dans d’autres administrations.
Je voudrais que vous éclaircissiez un point : les mesures prises par le Gouvernement de Hitler pour traquer et emmener en esclavage les populations pacifiques des territoires occupés ont été, en dehors de vous-même, appliquées pratiquement également par tout l’appareil gouvernemental de l’Allemagne hitlérienne et par tout l’appareil de la NSDAP ? C’est bien exact ?
Je proteste contre l’expression « traquer » et je demande que mon avocat m’interroge là-dessus dans son contre-interrogatoire.
Il ne s’agit pas de l’expression. Répondez, est-ce exact ou non ?
Cela dépend beaucoup d’une expression.
Est-ce que tout l’appareil gouvernemental de l’Allemagne a pris part à cette affaire, oui ou non ?
Sous cette forme je dois répondre négativement à cette question.
C’est tout ce que je voulais savoir de vous.
Puis-je faire une déclaration à ce sujet ? C’est le chef d’un Gouvernement de territoire ou d’un commissariat du Reich qui, d’après les prescriptions allemandes en vigueur, était compétent pour le recrutement de la main-d’œuvre et en particulier pour son engagement. Je souligne que je n’avais pas le pouvoir ni l’autorisation de promulguer aucune loi dans ce domaine. Je n’avais pas le droit de m’immiscer dans une administration quelconque. C’est d’ailleurs impossible dans toute administration du monde.
Oui, mais vous étiez chargé de coordonner l’action de tous ces organismes officiels allemands ; c’était là votre tâche.
Non, pas de coordonner, mais d’informer, et là où ils étaient compétents, de demander qu’ils veuillent bien collaborer avec moi de temps en temps.
Ce n’est pas véritablement ainsi ; je ne voulais pas toucher à cette question, mais maintenant il faut que j’y revienne parce que vous minimisez plutôt votre rôle dans ce cas.
Puis-je répondre au mot « minimiser » ? Dans le Reich, j’avais la répartition et la direction de la main-d’œuvre. C’était ma tâche principale. Avec les ouvriers allemands, cela comprenait 30.000.000 de travailleurs. Je ne désire nullement minimiser mon rôle. J’ai fait de mon mieux afin d’amener l’ordre dans cette masse comme ma tâche me le demandait. Je ne désire nullement minimiser cela. C’était ma mission et mon devoir vis-à-vis de mon peuple.
Il n’est pas nécessaire de faire de la polémique là-dessus quand il est beaucoup plus simple de consulter un document. On va vous donner tout de suite un ordre de Göring.
Je vous demande bien pardon ; vous m’avez mal compris. Je ne désire pas faire de polémique, mais je désire pouvoir exprimer mon opinion au sujet de ma mission car c’est la tâche la plus strictement personnelle que j’aie eue.
Cela ressort très clairement de l’ordre de Göring du 27 mars 1942. Ce document URSS-365 va vous être montré tout de suite. Je vais en lire un court extrait qui fera ressortir clairement de quels droits vous étiez investi.
Quel est son numéro ?
URSS-365.
A-t-il un numéro PS ?
Non, c’est un document soviétique. Voulez-vous lire le quatrième paragraphe qui dit clairement :
« Le plénipotentiaire général à l’utilisation de la main-d’œuvre dispose, pour exécuter ses tâches, du droit que m’a déféré le Führer de donner des instructions aux plus hautes autorités de l’Allemagne, et à tous leurs services, ainsi qu’aux organes du Parti, à leurs ramifications et organisations affiliées, au protecteur du Reich, au Gouverneur Général, aux chefs de l’Armée et aux chefs des services de l’administration civile. »
Voilà ce qui est inscrit au quatrième paragraphe de cette ordonnance. Il m’apparaît dès lors, d’après ce texte, qu’en tant que plénipotentiaire général à l’utilisation de la main-d’œuvre, vous étiez investi de pleins pouvoirs exceptionnels. Est-ce juste ou non ?
C’est exact. Je voudrais faire remarquer à ce sujet que cela se limitait à ma propre spécialité, et lire la phrase suivante : « Les ordonnances et instructions d’importance fondamentale devront m’être présentées au préalable ». Je voudrais de plus indiquer que, plus tard, à l’automne, mes délégués ont été restreints dans leurs attributions. Un témoin pourra déposer sur ce point.
Je ne parle pas de vos représentants, mais de vous-même ; vos droits sont nettement définis par l’ordre de Göring du 27 mars 1942. Maintenant, voulez-vous énumérer ceux des accusés qui, en même temps que vous, chacun dans son domaine, ont pris part aux mesures que vous avez mises en œuvre pour la déportation massive des habitants des territoires occupés et pour leur utilisation en Allemagne ? Vous allez nommer les accusés dans l’ordre. Est-ce que l’accusé Göring a pris part à ces crimes, en tant que votre chef immédiat ?
Je désire déclarer expressément que je ne pouvais absolument pas avoir conscience du fait que, devant le recrutement tout à fait normal et les contrats basés sur les lois, des transplantations et des déportations de populations avaient lieu. Je proteste. Je n’ai rien eu à voir avec des mesures concernant des prisonniers mais...
La question était : l’accusé Göring a-t-il participé avec vous au recrutement des travailleurs étrangers qu’on faisait venir en Allemagne ? Vous ne paraissez pas du tout répondre à la question.
J’étais directement sous les ordres du Reichsmarschall du Grand Reich allemand dans le domaine de l’introduction de la main-d’œuvre étrangère.
Alors pourquoi ne pas le dire ?
Ainsi, l’accusé Göring a pris part à l’exécution de ces mesures criminelles ?
Général Alexandrov, lorsque vous posez une question de ce genre, il serait préférable, je crois, de ne pas faire ressortir qu’il s’agit d’un crime. Si vous voulez savoir si l’accusé Göring a participé aux tâches de cet accusé, vous pouvez en parler sans dire que c’est un crime. Il vous répondra peut-être plus facilement.
Oui, Monsieur le Président. Est-ce que l’accusé von Ribbentrop a pris part à l’exécution de ces mesures dans le domaine diplomatique ? A-t-il sanctionné la rupture des conventions et traités internationaux là où il était question de l’utilisation des travailleurs étrangers et des prisonniers de guerre dans l’industrie de guerre allemande ?
C’est la même chose. Ces accusés prétendent qu’il n’y avait pas violation des lois internationales. Il fallait donc lui demander si l’accusé Ribbentrop avait participé avec lui à ces mesures dans le domaine diplomatique.
Je demande maintenant les rapports qui ont existé entre l’accusé Ribbentrop et l’utilisation de la main-d’œuvre et je voudrais à cette question recevoir une réponse de l’accusé Sauckel.
Le rôle que l’accusé von Ribbentrop a joué était le suivant : il organisait des pourparlers avec des hommes d’État et des services étrangers dans les territoires occupés ainsi que dans les pays neutres et amis, et il attachait une grande importance à ce que ces conférences eussent lieu correctement et qu’on obtînt les meilleures conditions possibles pour les ouvriers étrangers.
Je vous interrogerai un peu plus tard là-dessus quand on parlera de l’utilisation des prisonniers de guerre dans l’industrie allemande. Maintenant, voulez-vous me dire quel rapport avait l’accusé Kaltenbrunner avec ces mesures ?
J’ai vu l’accusé Kaltenbrunner à cette occassion une seule fois, dans une réunion dont je ne me rappelle plus exactement la date, à la Chancellerie du Reich, avec le ministre Lammers. Je crois que c’était en 1944. En dehors de cela, je n’ai eu aucun pourparler, aucun entretien avec Kaltenbrunner pour l’utilisation de la main-d’œuvre.
Mais Kaltenbrunner mettait-il des forces policières à votre disposition pour exécuter ce recrutement de la main-d’œuvre ?
J’ai toujours répété que le recrutement de la main-d’œuvre n’était pas du ressort de la Police et je dois demander à mon avocat de produire ici toutes mes ordonnances à ce sujet ; elles démontrent clairement et sans équivoque la division du travail qui régnait entre la Police et mon service.
Mais la Police a-t-elle pris part à l’exécution de ces mesures, oui ou non ? Je ne vous en fais pas le reproche.
A mon avis, la Police a participé uniquement là où, dans les territoires occupés par les partisans, l’exécution des tâches administratives ne pouvait pas être assurée. En Ruthénie blanche, 1.500 maires locaux ont été assassinés par les partisans. Cela ressort des documents.
Mais est-ce que le recrutement, même dans les conditions normales, n’a pas été exécuté avec l’aide de la Police ? Ne savez-vous rien là-dessus ?
Je veux bien vous dire exactement ce que j’en sais. En Europe, dans les territoires occupés, dans environ 1.500 arrondissements — j’entends par là les départements sièges de Kommandanturen, ce que nous appelons dans l’administration allemande les Kreise ou arrondissements — il y avait environ 1.500 services qui travaillaient avec l’aide de fonctionnaires allemands et indigènes des services de travail. En outre, ces services, dans les territoires soviétiques seulement, comprenaient 1.000 anciens ouvriers soviétiques affectés au recrutement et qui avaient auparavant travaillé en Allemagne. Lorsque dans chaque service de chacun de ces centres correspondant à un « Kreis » allemand et à une population de 40.000 à 70.000 habitants, environ cinq hommes étaient choisis convenablement, sélectionnés et examinés médicalement chaque jour, nous arrivons déjà au total de 2.000.000 par an. C’était là une méthode administrative parfaitement claire, que j’ai élaborée, organisée et exécutée dans la mesure où elle était compatible avec l’administration.
Vous donnez inutilement des explications trop complètes et trop étendues et, dans ces conditions, l’interrogatoire prendra beaucoup de temps. Je tiens pour nécessaire que vous me répondiez brièvement, ce qui est tout à fait possible parce que je vous pose mes questions d’une manière précise.
Je m’efforce de répondre aussi brièvement que possible, je regrette que ces questions techniques soient très difficiles à expliquer et exigent des explications ; je le trouve aussi très pénible.
Voulez-vous répondre brièvement maintenant : quelle part a prise l’accusé. Kaltenbrunner dans l’exécution des mesures d’utilisation de la main-d’œuvre. Y a-t-il pris part ou non ?
J’ai déjà donné cette réponse.
Je ne vous ai pas compris ; y a-t-il pris part ou non ?
Je vous demande pardon. Il a dit qu’il n’avait rencontré Kaltenbrunner qu’une seule fois et que le recrutement des travailleurs ne dépendait pas de la Police. Voilà ce qu’il a dit.
Monsieur le Président, Kaltenbrunner a pu pratiquement prendre part à ces mesures sans pour cela que le nombre de ses rencontres avec Sauckel ait été fréquent. Il n’était pas du tout nécessaire pour cela qu’il rencontre systématiquement Sauckel.
Général Alexandrov, je ne vous demande pas de discuter avec moi, je vous ai donné sa réponse qui semblait convenir à la question posée.
Je ne discute pas, Monsieur le Président, je vous donne simplement mes explications à ce sujet. (A l’accusé.) Je ne vous poserai pas de question sur la part que prenait Rosenberg dans ces mesures parce que l’accusé Rosenberg lui-même a donné des réponses assez claires, lors de son contre-interrogatoire par mon collègue du Ministère Public américain, M. Dodd.
Maintenant, dites-moi, quelle part a pris Frick dans l’exécution de ces mesures ?
L’accusé Frick, en tant que ministre de l’Intérieur du Reich — je ne sais pas combien de temps il est resté en fonctions — n’y a guère participé ; pour autant que je m’en souvienne, j’ai discuté avec son ministère les lois les plus importantes qu’il fallait promulguer en Allemagne pour les ouvriers allemands et la validité de ces lois. Mais il n’a nullement pris part à cette tâche. Son travail était tout autre.
Nous discutons la question de la main-d’œuvre étrangère. Ce n’est pas par hasard qu’après la conférence chez Hitler, le 4 janvier 1944, vous avez nommé le ministère de l’Intérieur parmi les services officiels qui devaient vous aider. C’est pourquoi je vous. demande quel était le rôle de Frick dans l’exécution dé ces mesures. C’est vous-même qui avez demandé le secours du ministère de l’Intérieur, je vous demande en quoi il consistait.
A mon plus grand regret personnel, M. Frick n’était plus ministre de l’Intérieur, mais c’était Himmler, si je me souviens bien.
Quelle aide vous attendiez-vous à recevoir du ministre de l’Intérieur ?
Il est naturel, je crois, que dans toute administration d’État l’administration intérieure et générale soit informée de ce qui se passe et joue un rôle dans une sphère aussi vaste que l’utilisation des hommes qui exige beaucoup de directives. Je n’avais pas de pouvoirs pour promulguer des lois, ni autorité pour le faire ; je devais soumettre ces lois au Conseil des ministres pour la défense du Reich. Je ne pouvais donner que des instructions techniques, ce qui est une tout autre chose.
Est-ce que l’accusé Funk, comme ministre de l’Économie, et l’accusé Speer, en tant que ministre de l’Armement et des Munitions ont été les intermédiaires essentiels entre les industriels et vous comme pourvoyeurs de main-d’œuvre ? Est-ce exact ?
La fin de votre phrase contient une conclusion complètement fausse. Ce n’étaient pas des intermédiaires pour moi, vis-à-vis de l’industrie, mais l’industrie dépendait du ministère de l’Armement. Moi-même, je n’avais pas à discuter avec les industriels. L’industrie a exigé des ouvriers et elle les a reçus, tout comme l’agriculture.
Mais dites-nous vous-même, brièvement, quelle part prenaient l’accusé Funk et l’accusé Speer dans ces mesures ? Il n’est pas nécessaire de donner des explications, répondez brièvement.
Ces deux ministres étaient à la tête de différentes entreprises à l’économie allemande.
Ces entreprises dépendant de la compétence de ces différents ministères ont reçu les ouvriers ; ma tâche était ainsi terminée.
Les accusés Frank, Seyss-Inquart et Neurath ont-ils pris part à la mobilisation de la main-d’œuvre dans les territoires qui étaient sous leurs ordres, c’est-à-dire la Pologne, la Bohême et la Moravie et la Hollande. Est-ce exact ?
Ces messieurs, dans le cadre de leurs obligations dans ces territoires, m’ont soutenu en promulguant des ordonnances, des lois, et eux-mêmes attachaient une grande importance à ce que ces lois fussent convenables et humaines.
Quel était le rôle de l’accusé Fritzsche ?
Je ne puis vous le dire ; je n’ai vu le Dr Fritzsche qu’une seule fois en Allemagne, je crois en 1945, au début de l’année, et très brièvement. Je n’ai jamais parlé de ma mission avec lui et je ne sais pas non plus s’il y a participé, mais je puis tout simplement déclarer qu’à différentes reprises, dans le ministère de la Propagande du Reich, j’ai eu des entrevues avec les membres de ce ministère et j’ai prié que mes ordonnances et mes prescriptions, telles que mon avocat les a produites ou les produira, soient publiées, surtout dans l’industire et les autres milieux qui recevaient des ouvriers.
Il reste encore un accusé qui est contumax : c’est Bormann. Quel était son rôle ? Il a mis à votre disposition tout l’appareil de la NSDAP, n’est-ce pas ?
Non, il ne l’a pas fait. Il a mis les Gauleiter à ma disposition. Les ordonnances que j’avais données aux Gauleiter, les lettres que je leur avais adressées — je crois qu’il n’y en avait que trois qui ont été produites ici — demandaient que je puisse m’adresser au Parti afin d’assurer le bien-être, le ravitaillement, l’hébergement, l’habillement des ouvriers, et qu’ils puissent recevoir tout ce qui était humainement nécessaire et tout ce qui était possible dans les circonstances de la guerre. Tel fut le rôle du Parti, pour autant que j’avais demandé son secours ; c’était donc une sorte de contrôle du Parti en faveur des ouvriers allemands et étrangers employés en Allemagne. Autrement, le Parti n’avait rien à voir là-dedans ; d’ailleurs, je n’aimais pas beaucoup les ingérences des services étrangers.
Ce n’est pas exact. Je vous rappellerai votre programme d’utilisation de la main-d’œuvre que vous avez publié en 1942. C’est le document URSS-365. Il y est dit que les Gauleiter sont institués vos délégués dans les questions d’utilisation de la main-œuvre et qu’ils utiliseront cette main-d’œuvre...
Où cela se trouve-t-il ? Je ne pouvais pas nommer moi-même mes représentants.
On va vous le montrer. Je ne vais pas lire ce paragraphe, mais je vais indiquer son sens général. Il y est dit que les Gauleiter utilisent dans leur Gau les organismes du Parti qui leur sont soumis ; d’où je conclus que les organes du Parti ont pris part à l’exécution de ces mesures.
Mais ce n’est pas du tout dit ici, Monsieur le procureur.
Avez-vous trouvé ? « Les représentants... se servent... »
Oui, seulement dans le but que j’ai décrit ; je vous demande de bien vouloir continuer la lecture.
Lisez-le vous-même.
Je vous remercie.
« Les chefs des services supérieurs de l’État et de l’Économie, qui sont compétents dans leurs Gaue respectifs, conseilleront les Gauleiter sur toutes les questions importantes touchant à l’utilisation de la main-d’œuvre. » Cela veut dire dans le cadre de leur service et ensuite on spécifie : on parle du « Président du service régional du travail ». Ce n’est pas un service du Parti, mais un service gouvernemental « du représentant du travail » — service gouvernemental et non du Parti — « du chef régional des paysans » — service gouvernemental et non du Parti — « du conseiller du Gau pour l’économie » — qui est un service du Parti...
Faites attention aux lumières, pour que les interprètes puissent suivre.
Je vous demande pardon, Votre Honneur. « L’homme de confiance du service du travail » qui est un service du Front du Travail — « les chefs régionaux de la ligue féminine. »
Mais c’est tout à fait clair, vous n’avez pas besoin d’énumérer cela. J’attire votre attention sur le paragraphe VI. Voulez-vous le regarder. Il y est dit très clairement que les Gauleiter, agissant en qualité de plénipotentiaires pour l’utilisation de la main-d’œuvre, dans leur propre Gau, utiliseront les organisations du Parti qui leur sont soumises. C’est bien exact ?
Oui.
On dit plus loin comment ils exécutent cela et au moyen de quels services. Je conclus, du paragraphe qui précise comment ils utilisaient les organes du Parti qui leur sont soumis, que tout l’appareil de la NSDAP prenait part à l’exécution de ces mesures. Je voudrais avoir une réponse de vous, oui ou non ?
Non.
Il n’y a plus rien à dire.
Non. Puis-je compléter cette déclaration négative ?
Dans votre première réplique, vous m’avez dit que mon exposé n’était pas tout à fait exact. Mon exposé est tout à fait exact en ce sens que le Parti avait à s’occuper des ouvriers allemands et étrangers afin de les administrer et les ravitailler. Les services du Parti qui sont cités ici n’avaient à accomplir que des tâches de ce genre. Ils ne pouvaient en avoir d’autres et moi, en tant qu’ancien ouvrier, j’insistais surtout afin que ces ouvriers allemands et étrangers reçoivent les meilleurs soins possibles en temps de guerre. D’où mon ordonnance. Donc ma réponse était tout à fait correcte.
Est-ce que les chefs régionaux de la Jeunesse hitlérienne prenaient part aussi à ces mesures ?
Les chefs régionaux de la Jeunesse hitlérienne y ont participé afin d’administrer les jeunes, et les protéger, comme le Reichsleiter Schirach et, plus tard, le chef de la jeunesse du Reich Axmann l’ont exigé. Il fallait protéger la jeunesse contre tout danger ; voilà ce que la Jeunesse hitlérienne a fait pour la jeunesse étrangère. Je dois le souligner expressément.
Et vous-même, personnellement, est-ce que vous étiez d’accord avec la politique du Gouvernement hitlérien sur le fait d’emmener en Allemagne les gens des territoires occupés afin d’assurer la continuation d’une guerre d’agression ? Est-ce que vous étiez d’accord avec cette politique ?
Je dois reconnaître que votre question contient une accusation. Personnellement, j’ai toujours déclaré que je n’étais ni homme de politique étrangère ni homme de politique intérieure, ni même militaire non plus. J’ai reçu une mission, j’ai reçu des ordres, j’ai essayé d’exécuter cette mission, en tant qu’Allemand, pour mon peuple et pour son Gouvernement, et de l’exécuter correctement, et aussi bien que possible ; car on m’avait déclaré que de cette mission dépendait le sort de mon peuple. J’ai travaillé dans cette croyance et j’avoue que j’ai mis toutes mes connaissances au service de cette mission, de la manière que j’ai soulignée ici. J’ai envisagé cela comme mon devoir, et je dois le déclarer ici.
Pour caractériser votre propre attitude devant ces crimes, je vous rappellerai quelques-unes de vos déclarations ; elles émanent du document URSS-365, c’est le programme sur l’utilisation de la main-d’œuvre pour l’année 1942, page 9. On vous montrera tout de suite le passage que je veux citer :
« Je vous prie de me croire, en tant que vieux et fanatique Gauleiter du national-socialisme. » Est-ce que c’est écrit ?
Oui, c’est écrit.
Maintenant, passons au document PS-566. C’est votre télégramme à Hitler du 20 avril 1943 que vous avez envoyé pendant un voyage en avion à Riga. On vous donnera tout de suite le télégramme et on vous montrera le passage que je vais lire.
« Je mettrai tout en œuvre avec une volonté fanatique pour exécuter ma mission et justifier votre confiance. »
Est-ce exact ?
C’est exact. J’ai vu en Hitler un homme — et je le vénérais — qui était à cette époque le Führer du peuple allemand, choisi par le peuple allemand, et en tant que citoyen allemand et membre d’un service du Gouvernement allemand, je croyais de mon devoir de justifier par mon travail la confiance que le chef de l’État mettait en moi. Au sujet de ce télégramme...
Mais on n’a pas besoin d’explication au sujet de ce télégramme. Il ne m’intéresse pas du tout d’avoir des explications sur vos rapports avec Hitler. Ce que je veux savoir, c’est votre apport personnel aux mesures prises pour le recrutement de la main-d’œuvre. C’est tout ce qui m’intéresse.
Maintenant, voyons le document suivant, PS-1292, au sujet de la conférence chez Hitler le 4 janvier 1944...
Monsieur le procureur, je demande au Tribunal de pouvoir ajouter quelque chose à votre dernière déclaration. A cette époque, je ne pouvais pas voir un criminel en la personne de Hitler. Mais je croyais faire mon devoir, rien d’autre. Mon passé et ma personne m’auraient interdit de soutenir un crime.
Quelle est la question que vous avez posée, général ? Celle de savoir si c’était un télégramme envoyé à Hitler ?
J’ai demandé, au sujet de ce télégramme dont je voulais lire une phrase, s’il avait été envoyé par Sauckel ou non. C’est tout ce que je voulais savoir. (A l’accusé.) Maintenant le document PS-1292. Est-ce que vous l’avez ?
Non.
Je crois que l’on vous a déjà montré le passage que je veux lire. Vous avez dit ce qui suit : « GBA Sauckel déclara qu’avec une volonté fanatique il tenterait de recruter cette main-d’œuvre ». Vous parliez alors de la mobilisation de 4.000.000 d’hommes ; et plus loin : « Il fera tout son possible pour obtenir les ouvriers nécessaires pour l’année 1944 ».
Avez-vous dit cela ? Est-ce que le compte rendu est exact ?
Je l’ai dit et à ma réponse positive, je voulais ajouter ce qui suit. Je connaissais le peuple allemand, c’était mon peuple... S’il vous plaît, me permettrez-vous d’ajouter quelque chose à ma réponse ? C’est mon droit, puisque j’ai répondu.
Accusé Sauckel, vous accompagnez chaque réponse d’une explication supplémentaire et longue et vous retardez simplement l’interrogatoire. Votre réponse me suffit, ce que vous m’avez dit est tout à fait suffisant.
Général, il vous a répondu très clairement qu’il a bien dit cela et je crois qu’il peut l’expliquer un peu. Il est tout à fait vrai que ses réponses sont intolérablement longues, mais tout de même, il a le droit de donner quelque explication.
Monsieur le Président, si chaque réponse est accompagnée de si longues explications...
Général Alexandrov, j’ai dit qu’il avait le droit de donner des explications. (A l’accusé.) Donnez-les brièvement.
Je savais que le peuple allemand était engagé dans une lutte des plus dures, il était de mon devoir d’accomplir ma tâche de toutes mes forces — c’est cela que je voulais dire par fanatique ; je déclarais plus loin que je ne pouvais pas cette année accomplir complètement cette tâche, autant que je pouvais l’accomplir en 1944 ; les deux tiers étaient constitués par des Allemands, non pas principalement par des étrangers, mais plus de deux tiers par des Allemands ; et fanatiquement, je m’efforçai de mobiliser toutes les femmes allemandes autant qu’elles pouvaient rendre de services et, en 1944, il y en avait 2.000.000.
En avril 1943, dans le but d’accélérer le recrutement de la main-d’œuvre venant des territoires occupés, vous avez visité Rovno, Kiev, Dniépropétrovsk, Zaporozhe, Simferopol, Minsk et Riga. En juillet de la même année, Prague, Cracovie, Kiev, Zaporozhe et Melitopol. Est-ce exact ?
C’est exact, et, lors de ces voyages, je me suis personnellement rendu compte si mes services travaillaient correctement ; tel était le but de mes voyages.
Ainsi, vous avez organisé personnellement la déportation en esclavage des populations pacifiques des territoires occupés ? Est-ce exact ?
Je dois protester le plus vigoureusement et le plus passionnément possible contre ce que vous venez de déclarer. Je n’ai pas fait cela.
Mais pourquoi êtes-vous allé dans ces villes et dans ces localités, si ce n’est pour forcer la déportation de la population des territoires occupés ?
J’ai visité ces territoires afin de me rendre compte personnellement comment mes services fonctionnaient dans ces villes, — non pas mes services, mais les services du Travail, qui appartenaient à ces administrations là-bas — s’ils exécutaient correctement leurs obligations envers les travailleurs, s’ils respectaient les contrats, les examens médicaux, les fichiers, enfin pour voir si mes instructions étaient suivies. C’est pour cela que je me suis rendu dans ces villes ; j’ai discuté avec les chefs au sujet des contingents, c’est exact, c’était ma tâche de recruter des ouvriers et de contrôler les contingents ; mais lors de ces visites dans les villes, j’ai visité personnellement les services afin de me rendre compte de leur fonctionnement.
Et pour assurer aussi une importation accélérée de la main-d’œuvre en Allemagne, n’est-ce pas ?
Pour employer les meilleures méthodes possibles en vue du but à atteindre. Cela se trouve dans mes ordonnances, sans aucun doute, et le manifeste produit au Tribunal a été élaboré justement pendant ce voyage que vous citez.
Ainsi, vous avez fait ce voyage uniquement pour améliorer les méthodes de recrutement ? Est-ce que je vous ai bien compris ?
Je me suis rendu dans ces villes afin de me rendre compte si les méthodes étaient correctes, et je voulais en discuter avec les services ; c’est exact ainsi. Afin de discuter les chiffres de ma tâche, je n’avais pas besoin de me rendre à Cracovie ou à Kiev, je n’avais qu’à discuter avec le ministre de l’Est dont le bureau se trouvait à Berlin, ou avec le commissaire du Reich qui se trouvait à Rovno.
Mais vous avez dit vous-même, dans cette déclaration que vous avez remise à votre avocat, que vous n’avez reçu aucune information sur des méthodes criminelles ou irrégulières dans le recrutement ? Alors quelle était la raison d’entreprendre un voyage aussi vaste dans les territoires occupés ? Cela signifierait-il que vous aviez été avisé qu’on y employait sur une vaste échelle des méthodes tout à fait irrégulières et illégales, lors du recrutement de la main-d’œuvre ; quelle était donc la cause de ce voyage ? Vous avez visité plus d’une dizaine de villes.
Puis-je vous signaler, Monsieur le procureur, que mon avocat m’a posé ces questions et j’y ai répondu par l’affirmative. Dans la mesure où j’ai reçu des protestations, j’en ai discuté avec Rosenberg et j’ai redressé ce qui pouvait être redressé. Veuillez vous en référer à mon avocat et à mes témoins à ce sujet.
Oui, nous les entendrons quand le Tribunal le voudra bien, mais je voudrais savoir quel était le but de vos voyages. Vous m’avez dit que ces voyages étaient faits pour améliorer les méthodes de recrutement. De là, je tire donc la conclusion que dans tous les endroits on employait, à votre arrivée, des méthodes tout à fait irrégulières et illégales, lors du recrutement de la main-d’œuvre. Donc, vous êtes parti pour améliorer cette situation, vous la connaissiez donc. Voilà de quoi il s’agit. Répondez directement pourquoi vous avez visité toutes ces villes.
J’ai déjà répondu à cette question à tous points de vue. Je répéterai ce que j’ai déjà dit. Vous, personnellement, Monsieur le procureur, vous avez assez d’expérience de l’administration pour savoir que dans un service, dans tous les pays du monde, on examine toujours et on contrôle les instructions données. On n’a pas besoin de savoir que dans la vie et dans toute administration, on commet des erreurs, il faut de toute façon exercer un contrôle.
Si vous niez que vous êtes allé là-bas afin de corriger les méthodes irrégulières, vous y êtes alors allé pour accélérer l’exportation de la main-d’œuvre en Allemagne, c’est l’un ou l’autre. Choisissez vous-même.
Non, je dois encore protester vivement. J’ai entrepris ces voyages afin de me rendre compte dans le cadre de ma mission comment cette mission était exécutée, et de redresser les erreurs commises, comme, par exemple, ainsi que je l’ai dit à mon avocat, lorsque le Feldmarschall Kluge m’a demandé d’en redresser, mais moi-même je faisais à ces services les remontrances et les instructions nécessaires. La meilleure preuve en est encore le manifeste élaboré au cours de ce voyage.
Général Alexandrov, pouvez-vous indiquer au Tribunal le temps qui vous est encore nécessaire ?
Je ne peux pas le dire exactement, je suppose encore à peu près deux heures.
Vous ne perdrez pas de vue que nous avons déjà eu un contre-interrogatoire contradictoire approfondi du Ministère Public français et le Tribunal espère que vous allez rendre votre contre-interrogatoire le plus bref possible. Le Tribunal va maintenant suspendre l’audience.
Accusé Sauckel, dites-moi quelle attitude vous avez adoptée en tant que plénipotentiaire à la main-d’œuvre dans l’utilisation des prisonniers de guerre soviétiques dans l’économie allemande ? (Le traducteur emploie le terme « collaborateurs dans l’exploitation » des prisonniers.)
Je dois répondre à votre question que je n’avais pas de collaborateurs pour l’exploitation des prisonniers de guerre, car je n’ai pas utilisé de prisonniers de guerre.
Et vous ne procédiez pas à leur mobilisation ? Et vous ne les avez jamais inscrits ?
En qualité d’organisme autorisé de liaison, je faisais exécuter les mesures administratives par les offices de placement ou par ceux des Gaue, qui étaient là pour servir d’intermédiaires entre les usines et les stalags ou les généraux chargés des prisonniers qui, à leur tour, fournissaient des prisonniers aux industries.
Quelles étaient ces organisations ? A quelle catégorie appartenaient-elles ?
C’étaient d’une part les généraux commandant les services de prisonniers de guerre dans les différentes régions militaires, et par ailleurs il y avait l’organisation des usines ou les usines elles-mêmes qui étaient en rapport avec les différents ministères comme le ministère du Ravitaillement, par l’intermédiaire duquel la plupart des prisonniers étaient employés chez des fermiers pour travailler dans l’agriculture, ou dans les industries de guerre.
En d’autres termes, vous n’aviez aucun rapport avec cela ? Je vous rappellerai...
En ce qui concerne les offices de placement et les offices de placement des Gaue, j’avais à les diriger dans la mesure où ils n’avaient pas de rapports directs entre les usines et les stalags.
Je vous lirai maintenant des extraits de votre rapport du 27 juillet 1942. C’est le document PS-1296, page 5. Dans ce rapport se trouve un chapitre spécial, le chapitre III...
Deux ou trois, s’il vous plaît ?
Trois. Il s’appelle : « Mobilisation des prisonniers de guerre soviétiques ». Vous y écrivez, et je lis :
« Parallèlement avec la mobilisation des ouvriers civils, j’ai régulièrement augmenté la mobilisation des prisonniers de guerre soviétiques, avec le concours de l’OKW ». Ensuite : « ...j’accorde une importance particulière à l’augmentation du transport du plus grand nombre possible des prisonniers de guerre venant du front pour travailler à l’intérieur du Reich. »
Est-ce exact ?
C’est exact et c’est parfaitement conforme aux explications que j’ai données tout à l’heure.
Cela ne correspond pas tout à fait.
Pourtant si.
Vous avez déclaré que vous n’aviez aucun rapport avec l’utilisation des prisonniers de guerre soviétiques dans l’industrie allemande. Dans votre rapport, les données sont absolument différentes. C’est pourquoi, en relation avec ce que je viens de dire, je vous demande si vous aviez préparé à l’avance l’utilisation des prisonniers de guerre soviétiques en qualité d’ouvriers dans l’industrie allemande ? C’était prévu dans vos plans et votre rapport en rend compte. Est-ce exact ou non ?
Je dois relever une erreur fondamentale que vous venez de commettre. Dans le monde entier, que ce soit dans le domaine privé ou dans le domaine de l’État, les services qui s’occupent du placement du travail ne sont pas des services qui exploitent les ouvriers, ce sont des services qui procurent du travail. Il ne s’agit pas d’exploitation, c’est une erreur fondamentale que je dois relever. Ma tâche consistait à établir la liaison nécessaire pour que ces prisonniers de guerre qui se trouvaient dans les stalags des territoires occupés, par exemple dans le Gouvernement Général, pussent être inscrits par les services du général de la région qui commandait le service des prisonniers de guerre et envoyés en Allemagne pour travailler dans l’agriculture, ou dans d’autres domaines ; une fois leur enregistrement effectué, ils étaient distribués dans les usines. L’emploi dans les usines ne dépendait pas de moi, je n’avais rien à y voir.
En d’autres termes vous preniez part à l’approvisionnement de l’industrie allemande en prisonniers de guerre soviétiques. C’est bien cela ?
Ce n’est pas exact selon l’usage de la langue allemande telle que je la comprends. Procurer du travail, dans la mesure où je l’entends, moi, en allemand, est quelque chose de tout à fait différent de l’exploitation des travailleurs ; en ce qui concerne l’exploitation, il faut que vous vous adressiez à d’autres personnes. Je ne puis parler, moi, que du placement. En Allemagne, le placement est une institution de l’État, dans d’autres pays, le placement est une institution privée. Telle est la différence. Je n’ai jamais exploité personne. En qualité de plénipotentiaire général à l’utilisation de la main-d’œuvre, je n’ai jamais exploité personne.
Saviez-vous que les prisonniers de guerre soviétiques étaient employés dans l’industrie de guerre allemande ?
Je savais que les prisonniers de guerre soviétiques étaient employés dans l’industrie de guerre allemande, car cette industrie était très importante et très étendue et elle comprenait les branches les plus diverses.
Connaissiez-vous en particulier la directive de Keitel sur l’utilisation des prisonniers de guerre soviétiques dans les mines ? La directive est datée du 8 janvier. Savez-vous quelque chose à ce sujet ?
Elle ne m’est pas présente à l’esprit, je vous prie de me la montrer. (Le document est remis à l’accusé.)
L’avez-vous lue maintenant ?
Oui, je l’ai lue.
On y mentionne clairement l’utilisation de la main-d’œuvre soviétique pour l’extraction de la houille, dans des buts militaires. Est-ce exact ?
Cela concerne l’utilisation des prisonniers de guerre pour le travail dans les mines en Allemagne.
Dans quels buts ? C’est précisé avec clarté dans le document.
On dit ici : « Pour leur utilisation dans le travail des mines ».
Oui, oui, mais dans quel but ? Quels étaient les buts qu’on visait ? C’est précisé avec clarté dans ce document.
C’était pour travailler, je suppose.
Non, pour la guerre, dans l’intérêt de la guerre.
A vrai dire, les industries minières d’Allemagne ne travaillaient pas seulement pour la guerre : l’Allemagne livrait beaucoup de charbon dans les pays neutres, en quantité variable. En tout cas, cela variait selon les circonstances.
Suivez ce document, lisez avec moi :
« Le Führer a donné ordre, le 7 juillet, pour mener à bien un programme de production accrue de fer et d’acier, d’obtenir...
Je ne le trouve pas, je ne trouve pas ce que vous avez lu.
« Le Führer a donné ordre, le 7 juillet, pour mener à bien un programme de production accrue de fer et d’acier, d’obtenir la garantie absolue d’extraction de la houille et la garantie des moyens de production indispensables. Pour cela, il faut utiliser la main-d’œuvre constituée par les prisonniers de guerre. »
Oui, je l’ai lu.
Par conséquent, les prisonniers de guerre soviétiques devaient être utilisés dans les travaux de mines en vue de la guerre. Est-ce exact ? Cela ressort de ce document.
Cela apparaît dans le document, oui, mais je me permettrai de faire remarquer que ce document ne m’était pas adressé.
Je vous ai demandé si vous connaissiez ce document, vous m’avez dit que oui.
Maintenant je le connais, mais avant je ne le connaissais pas puisqu’il ne m’était pas adressé.
Vous m’avez dit que vous connaissiez ces directives dans les lignes générales et vous m’avez demandé de prendre connaissance du document pour vous permettre de vous remettre les détails en mémoire. C’est ainsi que cela m’a été traduit.
Non, je vous ai dit — et j’insiste là-dessus — que je ne m’en souvenais pas ; et que je vous priais de me présenter ce document. Cette lettre ne m’est pas adressée, le destinataire est indiqué avec précision et, d’après cela, elle ne m’est jamais venue entre les mains et n’a jamais atteint mon service.
Afin d’éclaircir complètement cette question, je vous remettrai maintenant le document USA-206. Il est constitué par votre directive du 22 août 1942 concernant l’approvisionnement en main-d’œuvre par importation des territoires occupés. Connaissez-vous cette directive ?
Quel est le numéro PS ?
Un instant, s’il vous plaît. Malheureusement, je n’ai pas de données suffisantes pour donner le numéro PS. Je n’ai que le numéro USA-206.
Est-ce que le Ministère Public américain a le numéro PS correspondant au numéro USA-206 ?
Je puis l’avoir dans quelques minutes, Monsieur le Président. Je ne l’ai pas à l’instant même, mais je vais me le procurer.
Très bien, merci.
Accusé Sauckel, lisez le paragraphe 8 de cette directive. On y indique que l’ordre est valable également pour les prisonniers de guerre. Avez-vous cette phrase ?
Oui.
Ainsi, vous-même vous n’aviez fait aucune différence entre les prisonniers de guerre et les civils quant à leur utilisation dans les industries de guerre allemandes. Le reconnaissez-vous ?
Oui. J’ai déjà répondu à mon avocat, je crois que c’était hier, et je lui ai dit que j’avais reçu — ainsi qu’en général le ministère du Travail — un catalogue montrant comment les prisonniers de guerre pouvaient être employés. Mais ce paragraphe 8 n’a absolument rien à voir avec cette lettre car c’était là une instruction qui ne m’était pas adressée et que je n’ai pas reçue non plus.
Monsieur le Président, le document USA-206 porte le numéro PS-3044. (A l’accusé.) Outre les déclarations à votre avocat, dont vous venez de parler, vous avez déclaré que malgré l’utilisation des prisonniers de guerre dans les industries de guerre allemandes, les exigences de la Convention de Genève et de La Haye étaient cependant respectées. Vous rappelez-vous avoir dit cela ?
Oui, c’est d’ailleurs prouvé par le document. Il y avait au ministère du Travail et dans mes services des instructions et également des textes imprimés et distribués selon lesquels il fallait respecter les stipulations de la Convention de Genève et également pour les prisonniers de guerre soviétiques.
Entre les prisonniers de guerre soviétiques et les travailleurs civils, vous ne faisiez aucune différence ? Est-ce ce qui résulte de ce qui précède ?
Non, pas du tout.
Alors il y avait violation des conditions de la Convention en ce qui concerne l’utilisation de la main-d’œuvre puisque les prisonniers de guerre étaient traités par vous comme les civils et utilisés dans des industries ayant la guerre pour but.
Je vous ai mal compris, je crois, ou bien c’est vous qui m’avez mal compris. J’ai dit expressément que j’attachais une grande importance à ce problème et que pendant que j’étais en fonctions, c’était imprimé dans un texte qu’on avait distribué dans les entreprises et aux intéressés, dans lequel on stipulait qu’il fallait respecter la Convention de Genève. Je ne pouvais faire plus.
Votre avocat vous a posé des questions au sujet de l’action dite « Heu » et je vous rapporte une de vos réponses, d’après le procès-verbal :
« Sauckel
Non, je n’avais absolument rien à voir avec ces mesures spéciales. »
Je vais vous lire maintenant la lettre d’Alfred Meyer datée du 11 juillet 1944 (c’est le document PS-199). Elle vous est adressée. Veuillez lire le premier paragraphe, qui dit ceci : « Le commando de recrutement de l’armée du centre stationné jusqu’alors à Minsk, doit continuer en toutes circonstances son activité de recrutement de jeunes Blancs-Russiens et d’ouvriers russes aux fins d’utilisation militaire à l’intérieur du Reich. En outre, l’État-Major doit ramasser tous les jeunes entre 10 et 14 ans pour les emmener dans le Reich ». Avez-vous trouvé cet extrait ?
J’ai lu ce passage et je me permettrai de répondre à ce sujet que s’il est vrai que cette lettre m’a été adressée, mais seulement pour information, il est vrai aussi que mon service n’avait rien à voir dans ces dispositions, ni moi non plus d’ailleurs.
Cette question a déjà été soulevée dans l’exposé concernant l’accusé Schirach ; le recrutement était opéré par ces organismes mentionnés, mais le service de l’utilisation de la main-d’œuvre n’y était pas mêlé. Personnellement, en tout cas, je ne me le rappelle pas.
Et quels rapports aviez-vous avec le commando de recrutement de l’armée du centre ? Était-ce votre État-Major ?
Je ne comprends pas la question ; de quel État-Major voulez-vous parler ?
Je parle de l’État-Major qui est mentionné dans la lettre d’Alfred Meyer, l’État-Major pour l’utilisation de la main-d’œuvre, « Stab Mitte ».
Je ne vois pas le mot « stab », c’est-à-dire État-Major.
C’est au début de la phrase. « Il est indispensable que... » etc.
Le « Kriegseinsatzkommando Mitte » m’est absolument inconnu. Je ne sais pas du tout ce que représente ce service ni si c’était un service civil ou militaire. Il n’avait rien à voir avec moi. Je n’en sais rien.
Vous avez déclaré ici que le service de sécurité du Reich avait introduit le port d’insignes spéciaux pour les personnes venant des territoires occupés. Pour les soviétiques, l’insigne était... Vous ne m’entendez pas ?
Je ne comprends pas la traduction.
Vous avez déclaré au Tribunal que pour les personnes amenées en Allemagne et venant des territoires occupés, on avait institué le port d’insignes spéciaux. Pour les citoyens soviétiques, c’était « OST », pour les Polonais « P », etc. Vous avez déclaré que vous ne donniez pas votre accord à cela. Qu’avez-vous fait pour vous opposer à cette insulte ?
Je me suis toujours opposé à ce que les gens soient marqués de cette façon. Le Reichsführer SS l’a exigé formellement. D’ailleurs, autant que je sache, il y a une lettre de lui à cet effet. C’est une lettre de Himmler dans laquelle il insiste pour qu’on marque les prisonniers qui étaient libres de circuler en Allemagne à ma demande, lorsqu’ils sortaient de leurs camps. Ce n’était pas quelque chose d’infamant, je tiens à insister que je ne l’ai pas considéré comme tel.
C’est votre point de vue. Avez-vous parlé à ce sujet à votre supérieur immédiat, à Göring ?
Je ne puis pas me rappeler aujourd’hui si j’en ai parlé à Göring. Je puis dire que j’ai fait des tentatives périodiques pour arrêter cette coutume jusqu’à ce que mes efforts soient couronnés de succès au printemps de 1944, en mars, je crois, pour remplacer les petits insignes « OST » par un brassard national sur la manche, comme cela avait été proposé par les agents de liaison des différents peuples de l’Est.
Je vous demande si vous vous êtes entretenu à ce sujet avec Göring ou non ?
Je ne puis pas me le rappeler. Peut-être oui, peut-être non. On parlait bien souvent de cela.
Général Alexandrov, je crois que vous pouvez passer sur cette question.
Aux questions de votre avocat et de mon collègue français au sujet de l’attitude de Speer quant à votre nomination au poste de plénipotentiaire général, vous avez répondu que vous n’aviez rien de précis à déclarer à ce sujet. Je vous fait remettre un article du Völkischer Beobachter ; c’est le document URSS-467, que je présente au Tribunal. Cet article a été publié le 28 mars 1942, au moment de votre nomination comme plénipotentiaire à la main-d’œuvre ; il y a même votre photographie, comme vous pourrez le voir. Avez-vous trouvé le passage où il est dit ce qui suit ?
« La nomination du Gauleiter Sauckel qui a eu lieu conformément au vœu du ministre du Reich Speer, est due aussi à l’importance capitale de l’emploi de la main-d’œuvre dans l’industrie de l’armement. »
Je pense que vous avez certainement lu cet article. L’avez-vous lu ?
Je ne puis vous le dire avec exactitude en ce moment ; c’est possible et vraisemblable. Je n’avais pas beaucoup le temps de lire les journaux en ce temps-là mais je voudrais vous dire, Monsieur le procureur, que pendant le temps où j’ai exercé mes fonctions, j’ai fait passer 5.000.000 d’ouvriers allemands des différentes branches de l’industrie dans l’industrie de l’armement. C’était donc une mission qui consistait surtout à transférer les ouvriers allemands dans l’industrie de l’armement.
Je m’intéresse, moi, à autre chose. Pourquoi l’accusé Speer tenait-il à votre nomination au poste de plénipotentiaire général à l’utilisation de la main-d’œuvre ? C’est cela que je voudrais éclaircir. Pouvez-vous me dire quelque chose à ce sujet ?
Je ne puis pas vous dire pourquoi le ministre Speer s’est ainsi intéressé à ma nomination. J’ai déjà dit à mon avocat qu’à l’époque j’en avais été moi-même surpris.
Al’audience du 29 mai, votre avocat vous a communiqué le document EC-68 qui a trait au comportement envers les travailleurs étrangers de nationalité polonaise. Je ne tiens pas à m’attarder sur ce texte dont votre avocat a longuement parlé. Je vais me limiter à la réponse que vous lui avez faite telle qu’elle apparaît au procès-verbal des débats : « Sauckel
D’abord, je voudrais faire ressortir que ce document remonte au 6 mars 1941, plus d’un an avant que j’entre en fonctions. Puisque ce document n° 4 est soumis au Tribunal, je serai obligé d’en ajouter d’autres à ma décharge, qui établissent que j’ai automatiquement détruit toutes directives inutiles. Dans un cas comme celui-là, je n’aurais pu donner de pareils ordres à aucun service ministériel du Reich. » Vous souvenez-vous de l’audience du 29 mai ?
Oui.
Général Alexandrov, on m’apprend que la traduction est inexacte ; ce n’est pas « détruit » mais « abrogé », vous avez lu « détruit ».
Je lis le texte russe du procès-verbal, peut-être qu’il contient des inexactitudes, mais je n’ai aucune objection à remplacer « détruit » par « abrogé ». Le sens reste le même.
Puis-je demander la répétition du texte ? Ce n’est pas très clair à mes yeux.
Je n’ai pas l’intention de revenir au document EC-68. Je voudrais seulement établir ce que vous avez dit en réponse à votre avocat. Vous confirmez, n’est-ce pas, ce que je viens de lire ? Cela correspond bien à ce que vous avez déclaré le 29 mai ?
Non, mais je ne comprends pas ce que le mot « détruit » a à voir avec ce texte.
On ne doit pas lire « détruit » mais « abrogé ».
C’est possible.
Alors vous confirmez le témoignage que je viens de lire ?
Oui.
Maintenant, dites-moi si vous vous souvenez des conditions de vie que vous avez imposées aux femmes et aux jeunes filles ukrainiennes des territoires occupés, à celles qui ont été recrutées pour travailler dans l’agriculture allemande ? Je vais vous remettre le document URSS-383.
Avez-vous le numéro PS ?
Non, Monsieur le Président, c’est un document soviétique. (A l’accusé.) Il y a un additif n° 2 à votre directive du 8 septembre 1942. Il est intitulé : « Mémorandum aux ménagères relatif à l’emploi de travailleuses venant des pays de l’Est et utilisées dans des intérieurs urbains et ruraux. » Connaissez-vous ce document, ce mémorandum ?
Oui.
Je vais maintenant en citer quelques extraits pour caractériser les conditions d’existence imposées à ces femmes et à ces jeunes filles ukrainiennes envoyées pour travailler en Allemagne. Veuillez considérer la section B : « Enregistrement à la Police, identification, surveillance. » L’avez-vous trouvée ?
Non, pas encore.
C’est la section B, l’avez-vous trouvée ?
Page 4 ?
La section B : « Enregistrement à la Police, identification, surveillance », contient les instructions suivantes : « La travailleuse de l’Est doit porter l’insigne d’identification « Est », à droite, sur la poitrine, sur chaque vêtement extérieur. »
Je ne peux pas le trouver. Je ne l’ai pas trouvé.
Vous le trouverez plus tard. Cet ordre est contenu dans ce texte.
Oui, mais je dois être en mesure de vous suivre, s’il vous plaît.
L’avez-vous trouvé ?
Oui.
Maintenant passons au paragraphe 4 ; il est intitulé « Conditions de travail ». Il y est écrit :
« Les domestiques femmes en provenance de l’Est et employées dans le Reich se trouvent dans dey conditions de travail spéciales. » Nous verrons plus tard quelles étaient ces conditions. Trouvez la section 9, la première phrase après « Loisirs ».
« Il n’y a pas lieu d’accorder des loisirs. »
Oui, mais je vous prie de lire plus loin, car on dit exactement la même chose pour les autres domestiques allemandes qui aussi...
Maintenant je vais lire la section 9 en entier.
Je ne pense pas, général, qu’il faudrait que vous l’interrompiez lorsqu’il donne des explications justifiées. Il faudrait attendre qu’il ait fini, et puis ensuite attirer l’attention sur un autre passage, si vous le désirez.
Alors, accusé, que vouliez-vous dire à ce sujet ?
J’ai demandé l’autorisation de continuer à lire la phrase dans laquelle il est rapporté que, malgré cela, on peut accorder une sortie hebdomadaire. Puis-je lire la phrase en entier ?
« Les femmes domestiques en provenance de l’Est ne peuvent, en principe, pas sortir du voisinage dans lequel elles travaillent, si ce n’est à l’occasion de leur travail. Toutefois, si leur travail donne satisfaction, elles ont, une fois par semaine, la possibilité de rester hors de la maison pendant trois heures sans travailler. »
Il en était de même pour les domestiques de nationalité allemande à cette époque. Les loisirs étaient les mêmes.
C’est exprimé ici de façon différente. Elles n’avaient pas de temps libre. Le texte dit : « On peut leur accorder comme récompense, une fois par semaine pendant trois heures, de rester sans travailler hors de la maison ; cette sortie doit se terminer avant la tombée de la nuit, au plus tard à vingt heures. » Ainsi, il ne s’agit pas d’une journée de liberté mais de trois heures. Voyez le paragraphe 10.
Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Ce temps libre avant le soir était valable également pour les domestiques allemands, en raison de l’obscurcissement pendant la guerre.
Regardez la section 10 : « Permission, retour dans les foyers ». C’est le titre de cette section. L’avez-vous trouvée ?
Oui.
« Pour le moment, les permissions ne sont pas autorisées, les femmes en provenance de l’Est utilisées dans les intérieurs sont mobilisées pour un temps indéterminé. »
Je voudrais vous faire remarquer...
Général, je pense que vous pouvez passer là-dessus, vous savez, cela n’a pas grande importance.
Monsieur le Président, je voudrais que l’accusé Sauckel explique les contradictions qui se sont élevées dans son témoignage relatif au document EC-68 et aussi en ce qui concerne sa directive sur l’utilisation de la main-d’œuvre ukrainienne en Allemagne ; afin d’éclaircir ces contradictions, j’aimerais avoir une réponse de lui.
Je suis en mesure de donner une réponse précise à ce sujet. Ces instructions n’ont pas été rédigées par moi seul. Toute une série de paragraphes ont été exigés par le Reichsführer SS. Dès le printemps 1943, j’ai réussi à obtenir que les paragraphes en question fussent modifiés et que le temps indéterminé de travail de ces ouvriers de l’Est fût limité à deux ans. De plus, dans un document que mon avocat présentera au Tribunal, il est établi que j’ai réussi à faire rapporter toutes les mesures restrictives concernant les ouvriers de l’Est ; c’est le résultat de mon initiative. D’ailleurs, dans ma première réponse, j’ai expliqué cela d’une manière tout à fait précise, de sorte que les ouvriers de l’Est étaient placés à un niveau absolument égal à celui des ouvriers allemands.
Tel était mon but, telle était la conception de ma tâche comme je l’ai accomplie. J’ai entrepris ces efforts avec plaisir en faveur des travailleurs de l’Est car c’étaient les meilleurs ouvriers que nous ayons eu en Allemagne.
Je passe à la question suivante : le 18 août 1942 à Cracovie, vous avez eu une conférence avec l’accusé Frank ; je vais vous lire ce qui a été noté au sujet de cette conversation dans le journal de Frank. C’est le document URSS-223. Il est écrit au volume III, page 918 :
« Je suis heureux de pouvoir vous faire savoir que nous avons expédié jusqu’alors en Allemagne plus de 800.000 ouvriers. Vous avez fait, il y a quelque temps, une requête pour 140.000 ouvriers supplémentaires. Outre ces 140.000 et au-delà, vous pouvez compter sur de nouveaux contingents d’ouvriers venant du Gouvernement Général, puisque nous utiliserons la Police pour le recrutement. »
Est-ce que cela correspond à la réalité ? Avez-vous eu cette conversation avec Frank ? Est-elle bien décrite dans son journal ?
Il m’est impossible de confirmer un texte que je n’ai jamais vu avant et des détails dont je ne puis me souvenir. Il m’est difficile de dire que tout est exact. Il s’agissait de perspectives futures envisagées par M. Frank, mais je peux dire à propos du document qu’on m’a présenté que l’utilisation des travailleurs polonais...
Si vous ne vous le rappelez pas, dites-le et arrêtez-vous.
Mais il vous a bien dit quelque chose au sujet de l’utilisation des mesures de Police, lors du recrutement ? Ne l’ a-t-il pas mentionné ? Vous en souvenez-vous ?
Je ne peux pas me rappeler cette communication qui remonte à 1942. C’est impossible. D’ailleurs, par la suite, la situation a changé.
L’accusé Frank, dans l’activité qu’il déployait pour la mobilisation de la main-d’œuvre, avait-il recours à des méthodes de Police ? Savez-vous quelque chose à ce sujet ?
Je ne peux pas vous dire personnellement si le Gouverneur Général arrivait ou non à résoudre ce problème en se servant de forces de Police. Je vous prie de le lui demander personnellement.
Je verse au Tribunal le document URSS-469 qui décrit les méthodes de recrutement de la main-d’œuvre utilisées sur le territoire de la Pologne.
Ce document est un ordre officiel du Kreishauptmann de la région de Minsk et de Varsovie. Il est daté du 2 juillet 1943 ; il a été adressé à Kasimir Navak, né le 6 mai 1926 et domicilié à Dyzin, Kreis de Kolbey. Il dit : « En conformité avec le décret de service obligatoire du 13 mai 1942, Verordnungsblatt, GG, page 255, je vous enrôle dans le service du Travail dans le Reich. » Et au bas de la page : « En cas de désobéissance à l’ordre donné... »
Est-ce que c’est un document que vous déposez pour la première fois ?
Oui.
Nous n’avons pas ce document. En avez-vous des copies ?
Oui, on a dû vous les donner, Monsieur le Président. Le Tribunal a dû recevoir les textes en langue allemande.
Je l’ai maintenant en allemand.
A la fin de ce document il est dit :
« En cas de désobéissance à cet ordre, les membres de votre famille (parents, femme, frères, sœurs et enfants) seront mis dans un camp de détention administrative et ne seront libérés qu’après que vous aurez comparu vous-même. De plus, je me réserve le droit de confisquer vos biens, meubles ou immeubles, et également les biens, meubles ou immeubles des membres de votre famille.
« De plus, d’après le paragraphe 5 de l’ordre ci-dessus, vous serez puni de peines de prison, de travaux forcés ou d’internement en camp de concentration.
« Signé : Le chef de district, Dr Bittrich. »
Savez-vous quelque chose sur l’application de ces méthodes de recrutement sur le territoire polonais et sur les ordres de l’accusé Frank ?
Je peux répondre ouvertement et clairement. Une telle menace de sanctions, sous cette forme, m’est absolument inconnue. Si j’en avais eu connaissance, je ne l’aurais jamais publiée, je l’aurais arrêtée immédiatement. Je me permets de vous demander l’autorisation de dire au Tribunal que la fin de ce document, censé provenir de mon service, n’est pas exacte. Le premier alinéa de ce document est exact et je voudrais le lire ; il est en conformité avec la législation allemande du travail et il déclare :
« En conformité avec le décret sur le service obligatoire du Travail du 13 mai 1942, Verordnungsblatt GG, page 255, je vous enrôle dans le service du Travail dans le Reich. Votre emploi dans le Reich sera réglé selon les conditions de travail régulières et votre salaire sera payé selon des tarifs réglementés. Vos économies pourront être envoyées régulièrement dans votre pays. Les membres proches de votre famille dont vous avez été jusqu’alors le soutien principal pourront obtenir des allocations spéciales sur demande au bureau de travail...
Je ne pense pas que nous ayons besoin d’avoir tous ces détails.
Je vais vous rappeler maintenant les dispositions qui ont été prises au sujet du soi-disant recrutement des travailleurs par vos organisations gouvernementales allemandes et personnellement par vous dans votre fameux programme. C’est le document URSS-365 où vous avez écrit ce qui suit :
Je ne l’ai pas ici.
On va vous aider à le trouver. Vous a-t-on montré le passage que je vais lire ?
Oui.
Il y est écrit :
« Par conséquent, il est absolument indispensable d’épuiser entièrement toutes les réserves humaines se trouvant dans les régions soviétiques conquises. S’il n’est pas possible d’obtenir volontairement la main-d’œuvre requise, il faudra alors procéder de suite à la mobilisation et à des mesures de déportation forcée. »
Ces directives ont-elles été données par vous ?
Jusqu’ici, je n’ai pas trouvé ce passage, on ne me l’a pas montré convenablement.
On va vous le montrer une fois de plus. De telles directives ont-elles bien été données par vous ?
Dans les territoires occupés, je ne pouvais pas édicter d’instructions sur le service du Travail ; c’était la tâche des autorités locales, mais j’entendais par obligation quelque chose qui était en rapport avec les instructions allemandes et non ce qui est exposé dans le document signé par Bittrich. Il y a une différence fondamentale.
Est-ce que ce que je viens de vous lire figurait dans votre programme ou pas ?
Cela figure dans mon programme, mais j’ai dit expressément que cela m’était imposé par le Führer.
Continuons. Dans la lettre du 3 octobre 1942 au Gauleiter Meyer, document PS-017, vous avez écrit (on vous donnera ce document dans un instant, vous n’avez qu’à me suivre) :
« Je ne méconnais pas les difficultés d’exécution de ce nouveau programme, mais je suis persuadé que par l’emploi sans hésitation de tous les moyens nécessaires » — je voudrais souligner : de tous les moyens nécessaires — « et avec le dévouement complet de tous les intéressés, on pourra le mettre à exécution dans les délais prévus. »
Avez-vous écrit cela ?
Oui, je l’ai écrit. Je vous demande de me permettre de donner à ce sujet quelques explications détaillées. Dans toutes mes directives, j’ai exigé invariablement que l’on traitât les gens avec égard ; cela a déjà été prouvé au Procès. Quand je parle ici de l’utilisation sans hésitation de tous les moyens, j’entends par là l’utilisation sans hésitation de tous les moyens techniques et de tous les moyens de propagande, parce qu’à plusieurs reprises on m’a informé que ces moyens n’existaient pas en quantité suffisante. Voilà l’explication de ce qui motiva cette lettre.
Le 31 mars 1942 vous avez envoyé une lettre aux commissaires du Reich. C’est le document URSS-137 qu’on va vous remettre. Vous écriviez dans ce document :
« Je demande que le recrutement dont vous êtes responsable ainsi que les commissaires soit hâté par tous les moyens possibles, y compris, s’il le faut, l’emploi sans réserves du principe du travail obligatoire, afin que dans le délai le plus bref on puisse tripler le chiffre du recrutement. »
Avez-vous donné ces instructions ?
Ces instructions proviennent de moi. C’est moi qui les ai édictées. Je n’ai pas entendu par les termes cités que j’utilisais des méthodes mauvaises ou criminelles, mais plutôt, si c’était nécessaire de les employer, c’était en raison du nombre exigé.
Je vais vous lire maintenant quelques extraits des documents d’autres accusés. Je vais commencer par un extrait de discours de Rosenberg, document URSS-170, lors d’une séance du Front du Travail allemand en novembre 1942. Je vais en lire un court passage :
« Des millions de Russes, tremblants de peur, réagissent pour la plupart de la même façon... »
Je ne l’ai pas trouvé.
On va venir à votre secours.
Je pense qu’il est temps de suspendre l’audience maintenant.