CENT QUARANTE-TROISIÈME JOURNÉE.
Vendredi 31 mai 1946.
Audience de l’après-midi.
Monsieur le Président, je désire attirer l’attention du Tribunal sur le fait suivant : M. le général Alexandrov s’est référé ce matin au document PS-744. D’abord, on m’a remis un document qui était considéré comme traduction allemande. Cette traduction est manifestement impossible à accepter.
Docteur Nelte, vous avez dit PS-744 ?
Oui, PS-744,
Je n’ai pas noté qu’on ait parlé de ce document. Avez-vous parlé du PS-744, ce matin, général Alexandrov ?
Oui, j’ai cité ce document qui est un ordre de Keitel du 8 juin 1943, sur l’utilisation des prisonniers de guerre dans l’industrie minière.
Très bien.
J’ai alors reçu l’original du Ministère Public soviétique, à savoir la photocopie d’une lettre en date du 8 juillet 1943, signée de Keitel. Je possède donc maintenant deux textes allemands qui, non seulement diffèrent considérablement de par leur contenu, mais auxquels, à la traduction, on a ajouté quelque chose n’existant pas dans l’original ; sous le titre : « Chef du Haut Commandement de l’Armée » on a ajouté : « État-Major Général de l’armée de terre ». Je ne voudrais pas vous retenir en lisant les autres fautes de traduction, mais je dois admettre et supposer que les textes en langue étrangère qui se trouvent sous vos yeux sont faux, comme je puis le voir par la traduction allemande. Du fait que le document original constitue la preuve et n’est pas contesté, je voudrais vous demander d’ordonner que les traductions en langues étrangères que vous détenez soient soumises à un contrôle pour déterminer en quoi elles diffèrent du document original.
Ce document avait-il été déposé auparavant ? Était-ce une preuve ?
PS-744.
Cela ne veut pas dire qu’il ait été déposé, mais simplement qu’il était identifié de cette façon-là ; a-t-il été déposé précédemment ?
Je ne connais pas le numéro USA de ce document, mais d’après ce que je sais, ce document a été présenté au Tribunal. Dans l’exemplaire allemand, il est écrit que la traduction allemande a été préparée le 26 novembre 1945 par le sous-lieutenant d’infanterie américain, Fred Niebergall. Puisque le Dr Nelte trouve des inexactitudes dans cette traduction, je serais d’avis que l’on demande à la section de traduction de corriger ces inexactitudes.
La meilleure chose à faire serait de faire vérifier le texte par la section de traduction. Nous allons prescrire que cela soit fait immédiatement.
On va vous remettre le procès-verbal des déclarations de Rosenberg. Je me bornerai à un extrait très bref ; lisez-le avec moi :
« Une partie d’entre eux » — il s’agit des ouvriers mobilisés — « s’imagine que la route vers l’Allemagne est un peu la route vers la Sibérie. »
Et, plus loin :
« Je sais que si l’on amène ici 1.500.000 personnes, on ne pourra leur donner des conditions de vie brillantes. Que des milliers de personnes soient mal logées et mal traitées, c’est tout à fait naturel et c’est pourquoi ce n’est pas la peine de se faire des cheveux blancs à ce propos. Mais je crois que c’est néanmoins une question très importante et je crois que le Gauleiter Sauckel s’en est déjà préoccupé ou qu’il se prépare à le faire : ces travailleurs venant de l’Est ont été amenés en Allemagne dans le but de travailler et d’atteindre un degré de production aussi élevé que possible. C’est quelque chose de très sérieux. Pour atteindre de leur part cette capacité de production, on ne devrait naturellement pas les amener aux trois quarts gelés, ni les faire rester debout pendant dix heures ; il faudrait plutôt les nourrir davantage pour qu’ils possèdent des réserves de forces. »
Est-ce que l’accusé Rosenberg présente d’une façon exacte la situation de la main-d’œuvre provenant des territoires de l’Est que vous avez amenée en Allemagne, ou croyez-vous qu’il présente cette situation d’une façon inexacte ?
Je ne puis dire ni reconnaître quand Rosenberg a tenu ce discours ; moi-même je ne l’ai pas entendu et n’en ai pas reçu de copie, mais je puis déclarer expressément que, dès ma prise de fonctions, j’ai pris mes dispositions afin que l’état de choses dont parle Rosenberg et qui ne peut se rapporter à mon époque, fût évité en toutes circonstances. C’est dans ce but que j’ai rédigé mes ordonnances les plus complètes et, afin d’éviter de pareilles conditions, j’ai promulgué des centaines d’ordonnances de caractère juridique, valables à l’égard de chaque nationalité travaillant en Allemagne et destinées à rendre ces conditions impossibles. Voilà ce que j’ai à dire à ce sujet. Cela ne peut pas se rapporter à mon époque.
Monsieur le Président, je me bornerai à ce seul extrait du discours de Rosenberg, et je ne veux pas utiliser les nombreux documents qui ont déjà été déposés au Tribunal et qui établissent sans aucun doute — au su de l’accusé Sauckel — l’application de méthodes criminelles dans la mobilisation de la main-d’œuvre des territoires de l’Est et sa réduction en esclavage en Allemagne.
Je ne présenterai au Tribunal qu’un seul nouveau document, sous le numéro URSS-468. Ce document représente une carte de travailleuse, délivrée par les autorités allemandes de Breslau à la citoyenne polonaise Maria Atler. Cette carte est caractéristique par le fait qu’au verso il y a un cachet représentant un porc. D’après le témoignage sous serment de cette Maria Atler, des cartes d’identité semblables étaient délivrées par les autorités allemandes en 1944, dans la ville de Breslau, à tous les ouvriers étrangers. Je présente avec ce document original un certificat de la Commission d’État polonaise, qui contient les dépositions du témoin Maria Atler.
Accusé Sauckel, avez-vous regardé cette carte d’identité ? Y avez-vous trouvé un dessin représentant un porc ?
Oui.
Est-ce que vous connaissez l’existence de ces cartes, estampillées à l’image d’un porc et qui rabaissent la dignité humaine ?
Je n’ai pas eu connaissance d’une semblable carte ; je ne puis voir ce qu’elle peut représenter ni ce que cela veut dire, je n’ai absolument rien à voir là-dedans, je n’ai jamais été au courant d’une pareille estampille et je ne sais qu’en penser. Je ne sais pas s’il a été possible à un bureau d’administration de la main-d’œuvre de se servir de pareils emblèmes ou non. Je vous demanderai de voir un original.
Est-ce que vous aviez connaissance de cartes semblables et de leur utilisation ?
Non, je n’avais pas la moindre idée qu’il y eût des cartes comportant de tels dessins. Je n’avais aucun intérêt ni aucune raison d’offenser ainsi ces hommes qui travaillaient en Allemagne, et je ne sais même pas ce que cela veut dire.
Maintenant, je vais lire, un court extrait du document URSS-170. C’est un compte rendu d’une conférence chez le Reichsmarschall Göring, le 6 août 1942. Je cite la partie de ce discours dans laquelle l’accusé Göring donne son appréciation sur votre activité. Je cite :
« Et à cela je dois ajouter autre chose : je ne veux pas louer le Gauleiter Sauckel, il n’en a pas besoin, mais ce qu’il a réalisé en ce laps de temps si court, avoir réuni si rapidement des ouvriers de toute l’Europe et les avoir amenés à nos usines, est vraiment un exploit unique en son genre. Je dois dire que si chacun dans son domaine n’appliquait d’un dixième de toute l’énergie que le Gauleiter Sauckel a manifesté dans sa mission, alors vraiment, il serait très facile d’exécuter toutes les tâches que vous avez à faire. C’est réellement ma conviction profonde, et non pas simplement de belles paroles. »
Avez-vous entendu cet éloge sur votre activité de la bouche de l’accusé Göring ?
Il est possible que le Reichsmarschall l’ait dit ; je ne me souviens pas des détails d’une conférence qui a eu lieu il y a si longtemps. Ce qui est exact, c’est qu’en tant qu’homme et citoyen de mon peuple, je devais faire mon devoir ; j’ai essayé de le faire d’une façon humanitaire et propre, c’est ce que mes documents font ressortir.
Maintenant, je présente au Tribunal le document URSS-462. C’est un article du Dr Friedrich Didier, publié par le Reichsarbeitsblatt en 1944. C’est une publication officielle du ministère du Reich pour le Travail et du plénipotentiaire général au Recrutement de la main-d’œuvre. Cet article s’appelle : « Fritz Sauckel, pour son 50e anniversaire ». Je n’ai pas l’intention de citer cet article ; d’un bout à l’autre c’est un éloge des activités de Sauckel. Je voudrais simplement vous demander, accusé Sauckel, si vous le connaissez ?
Je ne connais pas cet article, je ne puis dire ce qu’il contient. Je ne pouvais pas toujours lire à fond le Reichsarbeitsblatt (journal du Travail allemand) ; ce n’est pas une de mes publications, c’est une ancienne création du ministère du Travail, qui contient toutes les ordonnances du ministère et également les miennes. Les ordonnances publiées dans le Reichsarbeitsblatt reflètent toutes mon souci constant à l’égard des ouvriers étrangers aussi bien qu’allemands.
Alors, il faudra que vous preniez rapidement connaissance de cet article, on va vous le remettre.
Quel est le document qu’il lit ?
L’article du Reichsarbeitsblatt intitulé : « Fritz Sauckel ; pour son 50e anniversaire ». C’est la première fois que nous le présentons sous le numéro URSS-462. (A l’accusé.) Avez-vous pris connaissance de l’article ? Dites-moi s’il caractérise bien votre activité politique et gouvernementale.
L’auteur de cet article n’est pas un spécialiste. Je ne puis m’étendre plus longuement sur un article fait à l’occasion de mon 50e anniversaire. Il contient un bref curriculum vitae et une courte description de ma sphère d’activité.
Une dernière question : dans votre discours du 6 janvier 1943 à Weimar au sujet de l’utilisation de la main-d’œuvre, vous avez dit — je cite d’après le troisième livre de documents de votre avocat, document 82 :
« Maintenant, en ce qui concerne notre travail et les principes de notre travail... »
Je passe tout de suite au deuxième paragraphe :
« ...dans la fidélité au Führer et au peuple. C’est cette fidélité qui nous justifie de prendre les mesures les plus dures... »
Et puis, à la fin :
« Je vais prendre dans ce domaine une part de responsabilité de plus en plus grande. »
Alors, dites-moi maintenant si vous prenez la responsabilité de la déportation massive et de la transformation en esclaves de tous ces millions de personnes amenées des territoires occupés, en Allemagne, de leurs souffrances et de leurs misères ? Est-ce que vous vous sentez responsable du fait qu’au XXe siècle a revécu la sombre époque de l’esclavage ?
Je vous suis très reconnaissant de citer ce document à ce moment même, et je vous prie de me le montrer afin que je puisse expliquer convenablement mon point de vue, tel qu’il est contenu dans ce document.
Si c’est nécessaire, c’est votre défenseur qui vous le fera connaître. Monsieur le Président, j’ai terminé mon contre-interrogatoire de l’accusé Sauckel.
Docteur Thoma, voulez-vous à votre tour poser quelques questions ?
Témoin, quel était le rôle de Rosenberg en sa -qualité de ministre des territoires de l’Est, dans l’exécution du recrutement de la main-d’œuvre ?
Son rôle était de transmettre mes désirs ou mes exigences à ses services subordonnés, pour ce qui était de mon ressort. Je ne puis évidemment rien dire pour les autres sections du ministère de l’Est, que je ne connais pas.
Est-ce que Rosenberg ne vous a pas dit à différentes reprises qu’il chargerait le commissaire du Reich Koch d’utiliser ses pouvoirs ?
C’est exact ; c’était une des tâches de Rosenberg de donner des instructions à son subordonné, le commissaire du Reich Koch, pour tous les domaines de l’administration.
Vous avez donc compris qu’il devait lui donner des instructions. Dans quelle voie ?
Comme nous en étions expressément convenus, Rosenberg devait donner et avait, de fait, donné des instructions à Koch pour arrêter toutes méthodes sauvages et inadmissibles, en contradiction également avec mes ordonnances. Pour autant que je le sache, Rosenberg l’a fait.
En faisant appel au pouvoir du commissaire du Reich, Rosenberg a voulu dire qu’il désirait interdire vos méthodes de recrutement, et tout simplement qu’il ne voulait plus admettre que vos Einsatzgruppen, emmènent des ouvriers de l’Est ?
Rosenberg ne m’a jamais dit cela et il l’a plutôt nié. Ces commissions, pendant qu’elles séjournaient en Ukraine, étaient sous les ordres du commissaire du Reich Koch qui avait la surveillance du recrutement de la main-d’œuvre. Koch exerçait des pouvoirs de surveillance et d’administration dans ces questions. Tels sont les faits indéniables.
Puis-je indiquer au Tribunal qu’un document Rosenberg n° 10 démontre que Sauckel n’a pas compris cette explication de Rosenberg ?
Vous êtes-vous référé à un document, Docteur Thoma ? Avez-vous parlé d’un document ?
Le document Rosenberg n° 10.
Monsieur le Président, en interrogeant à nouveau le témoin, le défenseur de l’accusé Rosenberg doit se limiter aux questions soulevées par le contre-interrogatoire. Lorsque son client était à la barre, il pouvait éclaircir ces questions. Je désirais le faire quant à moi, mais il me fut répondu de le demander à Sauckel. Ce dernier s’est suffisamment expliqué là-dessus. Je crois qu’il n’y a aucune nécessité à revenir sur des documents qui appartiennent à une époque antérieure. J’élève des objections contre un tel interrogatoire.
Docteur Thoma, je crois que vous feriez mieux de continuer et de poser la question suivante. D’ailleurs, je n’ai pas sous les yeux le document que vous voulez présenter au témoin. Quelle est votre prochaine question ?
Témoin, dans votre programme, n’aviez-vous pas la pleine responsabilité de tout l’emploi de la main-d’œuvre ?
J’ai pris cette responsabilité, et je reconnais cette responsabilité qui était dans le cadre de mes pouvoirs, pour ce que j’ai ordonné et pour ce que j’ai fait faire. Ces ordonnances, Docteur Thoma, ont été déposées et montrées à M. Rosenberg.
Docteur Thoma, le témoin a parcouru précédemment tout ce terrain ; il a expliqué tout cela, tout ce qui concerne sa responsabilité.
Puis-je indiquer qu’en ce qui concerne sa responsabilité, le paragraphe essentiel n’a pas été lu. Il s’agit du document PS-016 sur le programme de l’utilisation de la main-d’œuvre et il dit, à la page 21, paragraphe 1...
Voulez-vous répéter le numéro de ce document, Docteur Thoma ?
PS-016, document allemand page 20. Il y est dit :
« Toutes les questions techniques et administratives relatives à l’utilisation de la main-d’œuvre sont de la compétence et sous la responsabilité du plénipotentiaire général à la main-d’œuvre, des services régionaux de main-d’œuvre et des bureaux de travail. »
A l’intérieur du Reich, maître ; à l’étranger, naturellement j’étais subordonné aux chefs compétents des territoires. C’est tout à fait évident.
A la suite de cette réponse, j’indique au Tribunal la page 15 de ce programme de travail. Le paragraphe n° 1 a pour titre : « Prisonniers de guerre et ouvriers étrangers ».
« Pour autant qu’ils étaient employés en Allemagne ou amenés en Allemagne. »
Puis-je souligner qu’il est dit ici au paragraphe 1 :
« Toutes les questions techniques ou administratives relatives à l’utilisation de la main-d’œuvre... »
Et moi, je voudrais souligner que je ne pouvais discuter l’autorité du commissaire du Reich Koch. Il avait expressément déclaré qu’il ne le tolérerait pas.
Témoin, le plénipotentiaire au Plan de quatre ans vous avait donné tous pouvoirs vis-à-vis de toutes les autorités en ce qui concerne le recrutement, et j’estime qu’il est impossible que vous rejetiez maintenant la responsabilité de vos méthodes sur le ministère des territoires occupés de l’Est. Je n’ai pas d’autres questions.
Monsieur le Président, le défenseur de l’accusé Rosenberg peut poser des questions, mais je crois que le moment n’est pas particulièrement indiqué pour prononcer un réquisitoire contre mon client.
Je sais très bien qu’il y a eu deux contre-interrogatoires et je ne voudrais pas en commencer un troisième. Nous avons néanmoins un document qui nous semble important, et que j’avais fait parvenir au général Alexandrov ; toutefois, il y a dû y avoir des difficultés de traduction car ce document n’est pas encore traduit. J’aimerais avoir l’autorisation du Tribunal de poser une ou deux questions à l’accusé à propos de ce document, qu’il me semble important de déposer.
Le Tribunal ne veut en rien établir un précédent, mais puisque vous dites que ce document a été fourni au général Alexandrov et que, pour une raison quelconque, il n’en a pas parlé, nous vous donnons l’autorisation d’interroger l’accusé là-dessus.
Je vous remercie. (A l’accusé.) Témoin, vous souvenez-vous d’une occasion, en 1942, juste après votre nomination au poste de plénipotentiaire à la main-d’œuvre, au cours de laquelle vous avez rencontré des représentants du ministère du Travail, et vous avez discuté avec eux du programme que vous alliez instituer et pour lequel vous étiez sur le point de prendre des responsabilités. Vous en souvenez-vous ?
Naturellement, je ne me souviens pas des détails de cet entretien. Différents aspects du programme ont été discutés. Je voudrais dire à ce propos également, étant donné l’attitude de l’avocat de M. Rosenberg...
Un instant. Attendez un instant... Je vous ai seulement demandé si vous vous souveniez de cette réunion et vous m’avez répondu non. Voilà le document.
Je ne me souviens pas des détails de cette conversation.
Très bien, regardez le procès-verbal de cette réunion.
Quel est le document ?
C’est le document EC-318.
A-t-il été déposé ?
Non, je vais le déposer maintenant ; mais j’attends que le secrétaire m’apporte le numéro de dépôt. Il faudrait que j’obtienne le numéro, je l’aurai un peu plus tard. Monsieur le Président, je ne m’étais pas prépare à le présenter. (A l’accusé.) Je veux surtout attirer votre attention sur quelques extraits. Vous commencez par dire à ces fonctionnaires rassemblés que vous voulez coopérer étroitement avec eux, et vous donnez quelque idée du nombre de travailleurs que vous voulez amener en Allemagne. Vous dites que le chiffre proposé est de 1.000.000, et vous dites aussi très nettement ce jour-là que la plupart de ces ouvriers doivent venir de l’Est et surtout de Russie soviétique. Vous avez dit à ces fonctionnaires que vous en aviez parlé pendant plusieurs heures avec le Führer et pendant huit heures avec le Reichsmarschall, et que tout le monde était d’accord sur le fait que le problème le plus important était l’exploitation de la main-d’œuvre provenant de l’Est. Vous avez dit... Voyez-vous où j’en suis ?
Où est le mot « exploitation » ? Je ne le trouve pas.
Dans le passage où vous dites que vous avez parlé au Führer au cours d’une conversation qui a duré plusieurs heures...
Je ne le trouve pas.
Vous avez le texte allemand sous les yeux, n’est-ce pas ?
Voulez-vous, s’il vous plaît ; m’indiquer la page ?
Au milieu de la page 2.
Monsieur le Procureur, je voudrais indiquer la différence, en allemand, des mots « Ausnützung » et « Ausbeutung ». « Ausbeutung » a quelque chose de préjoratif dans le langage des travailleurs ; « Ausnützung » est une chose tout à fait normale, à savoir l’idée de servir à quelque chose. Cela fait une grande différence de sens en allemand.
Chacun donnera sa signification ; vous pouvez garder la vôtre, et le Tribunal décidera quelle est la traduction correcte. En tout cas, vous avez dit que la chose la plus importante était l’usage ou l’exploitation des ouvriers ?
Ce n’est pas la même chose, Monsieur le Procureur ; en allemand c’est une différence fondamentale de sens. Je n’ai pas utilisé le mot « Ausbeutung » et n’ai pas désiré le faire.
Accusé, voulez-vous parler un peu plus bas, car on n’entend plus les interprètes.
Je vous demande pardon, Votre Honneur.
Peu importe que vous soyez ou non d’accord avec le mot « exploitation ». C’est une partie fort peu importante du document, comme vous vous en êtes probablement déjà rendu compte.
Je me permets de vous contredire, le mot est très important au point de vue humanitaire.
Je n’ai pas du tout l’intention d’entrer dans une discussion avec vous.
Accusé, le Tribunal peut parfaitement comprendre la différence dans l’emploi des mots ; vous nous avez donné, d’après vous, la bonne traduction.
Maintenant, si vous voulez regarder un peu plus bas, vous rappelez-vous avoir dit qu’il fallait faire venir 1.000.000 de Russes en Allemagne le plus rapidement possible, afin qu’on puisse les utiliser, même avant l’offensive. C’est la phrase suivante, ou à peu près, dans votre texte. Vous ne la trouverez pas en me regardant. L’avez-vous trouvée ?
Je demande en effet à lire la phrase suivante :
« La condition préliminaire pour entreprendre cette mission, serait la sécurité du ravitaillement des Russes, à un degré approximativement analogue à celui de la population allemande. »
Vous avez sauté la phrase que je voudrais que vous lisiez. Lisez la phrase disant qu’il faudra que vous ameniez 1.000.000 de Russes en Allemagne le plus rapidement possible. C’est la phrase qui suit, ou à peu près, celle dont vous avez discuté la traduction à propos d’exploitation.
« 1.000.000 de Russes doivent être amenés au plus vite dans le Reich. »
C’est tout ce que je veux savoir. Vous rappelez-vous avoir dit cela ?
Oui, je l’ai dit, mais je dois faire remarquer qu’il s’agit d’un procès-verbal que je n’ai jamais vu auparavant, et que je n’ai jamais pu contrôler. Quelqu’un l’a rédigé mais pas moi. Je ne connaissais pas le compte rendu et on ne me l’a pas présenté.
Oui, il se pourrait que le procès-verbal soit exact, même si vous ne l’avez pas rédigé. Passez à l’avant-dernier paragraphe, et vous trouverez une phrase qui dit ou qui suggère :
« Ils » — en parlant des ouvriers russes — « devraient être traités si brutalement par les administrations allemandes de l’Est, qu’ils préféreraient aller travailler en Allemagne plutôt que de rester en Russie. »
Trouvez-vous ce passage ?
Voulez-vous me dire où il se trouve ?
C’est après la phrase où vous parlez de vos négociations avec Himmler. Cela vous sera une indication, peut-être ? Voyez-vous le passage dans lequel vous dites que vous avez eu des négociations avec le Reichsführer SS ? Vous avez réussi à obtenir qu’il retire les fils de fer barbelés. Vous avez sûrement lu cela. Pouvez-vous trouver cette phrase ?
« Ils devraient être traités si brutalement par les administrations allemandes de l’Est, qu’ils préféreraient aller travailler en Allemagne plutôt que de rester en Russie. »
Vous rappelez-vous avoir dit cela ?
Je ne me souviens pas d’avoir employé ces expressions en lui parlant, car j’ai déjà fait remarquer que c’est un procès-verbal assez problématique de mon exposé, et je ne l’ai pas contrôlé. Je ne puis être certain de ce qu’un tiers a écrit de mémoire ; ce n’est pas un compte rendu sténographique, mais un résumé qui n’est pas signé et...
Je ne crois pas que vous ayez besoin de parler longuement sur le fait que c’est la rédaction d’un autre ; elle ne vous est nullement attribuée.
Oui, mais j’ai le droit et le devoir de le dire...
Voudriez-vous attendre un instant et me laisser vous poser une question de temps en temps. Je n’ai pas dit que c’était rédigé par vous. Je vous présente ceci, afin de savoir si, en le regardant, vous vous en souvenez ou non. Vous en souvenez-vous, oui ou non ?
Je ne me souviens pas du tout de ce passage, je ne puis que lire ce qu’une tierce personne a écrit, j’ignore quelle est cette personne, et elle a très bien pu mal comprendre, c’est possible.
Enfin, vous admettrez que vous avez eu aussi des conversations avec le Reichsführer SS. Vous souvenez-vous d’avoir dit cela au cours de cette conversation, ou de ce discours ou de la conférence que vous faisiez ?
Le Reichsführer SS s’est souvent adressé à moi, et j’ai dû insister auprès de lui pour que les fils de fer barbelés soient ôtés. C’est moi qui ai fait cela, et dès le début de ma prise de fonctions j’ai modéré les ordonnances du Reichsführer SS, ce qui a amené de violentes divergences de sa part.
Donc, cette partie du procès-verbal est exacte. Celui qui a fait ce procès-verbal a dit absolument la vérité lorsqu’il a parlé de vos négociations avec le Reichsführer SS, n’est-ce pas ? Vous ne vous opposez pas à cela ?
Je n’ai pas encore lu en détail ce qu’il a écrit sur ce que je suis supposé avoir dit.
Allons, revenez plus en arrière et regardez à nouveau ce texte. Vous contestez la phrase suivante qui rapporte que vous avez dit qu’ils devraient être traités brutalement à l’Est. Mais vous ne trouvez rien à redire à la phrase qui démontre que vous avez fait abattre les fils de fer barbelés. Vous vous plaignez du fait qu’il s’agit du compte rendu de quelqu’un d’autre et non du vôtre. L’avez-vous lu ?
Non.
C’est la phrase précédant celle dont nous venons de parler. Voulez-vous dire que vous ne pouvez pas la trouver ? Voulez-vous qu’on vous aide ?
Il y a deux pages en double ici.
Tout ce que je voudrais vous demander, M. le témoin, c’est si la phrase dont vous parlez et dans laquelle vous dites que vous avez vu Himmler, représente un compte rendu à peu près exact et fidèle de ce que vous avez dit.
Je ne puis pas m’en souvenir, je ne puis que vous répondre que j’ai très rarement parlé à Himmler et superficiellement. Il peut s’agir de pourparlers de mes services, sur mes ordres, naturellement. Je ne puis vous le dire.
Vous répondez à tous ces documents que vous ne vous souvenez pas de ce que vous avez dit alors. Rien ne vous aide à vous le remettre en mémoire ?
Il est impossible que vous me demandiez que je me souvienne des événements qui ont eu lieu il y a si longtemps.
Entendu, restons-en là. Voici le procès-verbal ; je laisse au Tribunal le soin de décider si c’est votre mémoire ou le procès-verbal qui est le plus fidèle.
Présentez-lui peut-être le paragraphe suivant, la phrase où il est dit qu’on traiterait les hommes brutalement.
Oui, Monsieur le Président. (A l’accusé.) Si vous voulez bien, pour ne pas la perdre, mettre le doigt sur la phrase où l’on en est arrivé, vous trouverez la phrase suivante ;
« Troisièmement, il avait considéré comme inadmissibles les salaires décrétés auparavant par le Reichsmarschall ; il avait persuadé celui-ci que les Russes devraient recevoir la moitié du salaire des ouvriers allemands. »
Au fait, à propos de cette déclaration, qu’avait suggéré le Reichsmarschall ?
Avant ma prise de fonctions — j’ai fait une déclaration détaillée à ce sujet à mon avocat — il existait des ordonnances du conseil des ministres sur les salaires et je les ai améliorées d’une façon permanente, à vrai dire quatre fois autant que cela m’a été possible pendant la durée de mes fonctions.
Vous ne répondez pas à la question. On vous a demandé ce que le Reichsmarschall avait suggéré comme salaire pour ces ouvriers. Vous pouvez y répondre ?
Le Reichsmarschall ne m’a fait aucune proposition ; j’ai trouvé à ma prise de fonctions des règlements que j’ai jugés insuffisants.
Parlez-nous un peu plus de cela. Que voulez-vous dire par insuffisants ; vous avez employé le terme inadmissible. Quelle était la situation à l’égard des salaires quand vous avez pris le service ?
Je l’ai déjà dit hier lors de l’interrogatoire par mon avocat. J’ai donné comme exemple qu’un ouvrier venant de l’Est, lors de ma prise de fonctions, gagnait 60 Pfennig de l’heure, ce qui, déduction faite de son ravitaillement et de son logement, lui laissait en argent liquide environ 4 RM 50. J’ai changé cette situation et j’ai fait payer le double. Le but des ordonnances antérieures à ma nomination était probablement d’éviter une trop grande circulation fiduciaire. Je n’en sais pas plus long.
Ce document est déposé sous le numéro USA-881. Monsieur le Président, je n’ai plus de questions à poser.
Je remplace le Dr Horn pour l’accusé von Ribbentrop.
J’ai quelques questions à poser au témoin. Hier, pendant le contre-interrogatoire, vous avez parlé d’une organisation diplomatique française, instituée sous la direction de l’ambassadeur Scapini, pour les Français en Allemagne. Est-il exact que cette organisation a été instituée sur le désir de l’accusé von Ribbentrop ?
Nous avons exprimé le même vœu et nous sommes tous deux tombés d’accord. Nous y avions les mêmes intérêts, c’est exact.
Pouvez-vous m’indiquer les raisons qui incitèrent von Ribbentrop à créer cette organisation ?
Les raisons qui le poussèrent à créer cette organisation étaient à mon avis les suivantes : amener ainsi une entente entre la population française et allemande, en donnant l’assurance qu’on prendrait des soins particuliers pour les Français travaillant en Allemagne.
Cet organisme diplomatique était en même temps compétent pour le traitement des prisonniers de guerre français ? Pouvez-vous indiquer pour quelles raisons le ministère des Affaires étrangères du Reich a décidé de conclure un accord si particulier à une époque où l’état de guerre existait encore entre la France et l’Allemagne ?
Il y avait des pourparlers entre le Gouvernement français du maréchal Pétain et le Gouvernement allemand, et les deux nations essayèrent consciencieusement d’arriver ainsi à une entente.
D’où ces mesures inusitées qui s’appliquaient aussi aux prisonniers ?
Pas seulement à cause de cela. Je considérais que c’était tout spécialement nécessaire, et je pourrais ajouter à ce sujet que cet organisme a, plus tard, été divisé ou accru, du fait que M. Scapini s’est chargé des prisonniers de guerre, alors qu’un M. Broehne s’occupait des travailleurs civils français.
Est-il exact que l’accusé Ribbentrop, dans le cadre des Affaires étrangères, avait institué une organisation qui devait faire venir en Allemagne des artistes des régions occupées, ainsi que des conférenciers, des livres, des journaux, etc. pour que les ouvriers étrangers travaillant en Allemagne rentrent chez eux bien disposés à une entente envers l’Allemagne ?
Le but d’un accord conclu par le ministre des Affaires étrangères, le ministère de la Propagande du Reich, le Front du Travail allemand et mes services, consistait à faire venir des artistes étrangers, des conférenciers, pour améliorer les loisirs des ouvriers étrangers. Un grand nombre d’artistes russes sont également venus en Allemagne dans ce but. Il s’agissait aussi de faire venir des bibliothèques et des journaux périodiques des pays d’origine des travailleurs.
Merci, je n’ai pas d’autres questions à poser.
Je prends la parole pour rectifier une erreur de croquis du document n° 1. Je ne désire obtenir qu’une confirmation du témoin. (Le document est présenté à l’accusé.)
Vous avez cité le service du ministre Funk comme demandant de la main-d’œuvre ?
Oui.
En descendant, vous trouvez inscrit dans la troisième case, le mot : « Inspection de l’armement » ; et, au-dessous de cela : « Autostrades du Reich ». Ces deux cases sont mal placées. Ce n’est pas là qu’elles devraient être. Est-il exact qu’il faille les biffer ici ?
Oui, c’est exact.
Donc, je demande qu’on rectifie ce schéma en biffant ces deux postes. Ils appartiennent au ministère Speer ; mais je ne m’arrête pas longuement aux détails de cette question, et je ne désire pas amener de discussion sur ce sujet maintenant.
On a produit, extraite de l’album de Buchenwald, une série de photographies sur lesquelles l’accusé figure avec Himmler. Témoin, pouvez-vous déterminer d’après la photographie, l’époque approximative à laquelle cette rencontre a eu lieu ? Il y a certains détails que nous avons discutés hier ; voulez-vous en parler brièvement, je vous prie ?
La photographie en haut et à gauche montre qu’il s’agissait encore de la construction, car je vois des routes non achevées. Cette vue a dû être prise pendant la période de construction.
Que pouvez-vous dire sur l’époque, d’après les vêtements des personnes qui y figurent ?
D’après les vêtements, il est clair qu’il s’agit d’une époque antérieure à la guerre, car Himmler porte l’uniforme noir qu’il n’a jamais porté pendant la guerre ; d’après ce que je vois, il porte également un sabre dont le port a été interdit pendant la guerre. Il est bien clair que cette rencontre est antérieure à la guerre.
Est-ce que les personnes portaient des décorations ?
Je ne puis pas m’en rendre compte.
Je puis donc en déduire que cette photo remonte à une époque antérieure à la guerre ?
Certainement, cette photo est antérieure à la guerre, car moi-même je ne portais plus l’uniforme SS pendant la guerre.
On a produit hier le document F-810. C’est un rapport de la conférence de la Wartburg. A la page 25 du texte allemand, on vous a reproché le rapport du Dr Sturm qui signale, entre autres, qu’il y avait collaboration avec la Gestapo et les camps de concentration, et que c’était la bonne voie à prendre. On vous a demandé si c’était également votre avis et si une collaboration de cette sorte était correcte. Que vouliez-vous entendre par là ? Désiriez-vous dire que vous étiez d’accord avec les méthodes des camps de concentration, telles que Himmler les appliquait ?
Nullement, en aucune façon. Je désirais indiquer qu’il était correct, ainsi que le montre le document, que la discipline des travailleurs fût appliquée à différents degrés. D’abord, la réprimande ; ensuite, de légères amendes infligées par l’entreprise, telles que mon ordonnance n° 13 — que j’ai déposée comme preuve — le prévoyait ; ce n’est qu’après que les avertissements et les légères peines disciplinaires de l’usine s’étaient montrés insuffisants, qu’il fallait, pour continuer à poursuivre ces affaires, les déférer à un tribunal par une procédure régulière. Je croyais qu’une procédure pénale régulière devait être considérée comme normale, et je ne désire nullement dire que les méthodes des camps de concentration étaient correctes ; et d’ailleurs, à cette époque, je les ignorais complètement.
Monsieur le Président, j’ai un document PS-1764 sous les yeux. Je n’ai pu déterminer s’il avait été présenté, ni quand. C’est le rapport Hemmen. C’est ce rapport que l’ambassadeur Hemmen a fait sur une partie de l’utilisation de la main-d’œuvre en France. Je désire en lire un court passage à l’accusé. Il s’agit du nombre de Français envoyés en Allemagne, et je désire qu’il me le confirme. Témoin, je vous lis un passage...
Docteur Servatius, il n’est pas habituel d’admettre que l’on présente des documents au cours du deuxième interrogatoire. Pourquoi ne les avez-vous pas présentés au cours du premier ?
On a mis les chiffres en doute lors du contre-interrogatoire, pas avant. Je n’attachais pas une grande importance au fait de savoir combien de centaines de milliers de gens avaient traversé les frontières. Je puis omettre la question et y revenir au moment de ma plaidoirie.
Le Tribunal n’estimait pas que vous ne pourriez pas l’utiliser maintenant ; puisqu’il ressort du contre-interrogatoire, je pense que vous pouvez en faire état en ce moment.
Témoin, je vous lis brièvement le paragraphe important, et je vous demande de me dire si l’opinion qui y est exprimée est exacte. L’ambassadeur Hemmen rapporte dans une lettre arrivée au ministère des Affaires étrangères à Berlin, le 6 février 1944, sous le chiffre romain III :
« Utilisation de la main-d’œuvre pour l’Allemagne. L’action débuta par le recrutement volontaire qui, jusqu’à la fin de 1942, produisit 400.000 hommes. Pendant la première moitié de 1943, deux autres recrutements volontaires de 250.000 hommes chacun furent entrepris. Le premier, en accordant les avantages de la « relève », c’est-à-dire le congé de prisonniers de guerre dans le rapport de un prisonnier pour trois travailleurs, amena quelque 200.000 hommes, tandis que le second groupe ne put être réussi qu’en utilisant la nouvelle loi du service du travail obligatoire, donc par coercition, et n’amena que 122.000 hommes. »
Je saute la fin de la page, et je lis à la page 8 :
« Comme résultat d’ensemble de l’action de Sauckel, 818.000 personnes, surtout des hommes, se sont rendus en Allemagne, dont 168.000 d’après le S.T.O. A la fin de janvier 1944, il n’en restait que 420.000. »
Est-ce que, d’après vos souvenirs, ces exposés sont exacts dans les grandes lignes ?
Je désire remarquer à cet égard que l’ambassadeur Hemmen, à l’ambassade de Paris, était chargé de ces questions et qu’elles sont reproduites exactement. Vous avez voulu dire, je crois, 420.000 et non pas 420 ?
420.000.
Oui. Ce qui importe c’est que, du fait de la brève durée des contrats des Français, ceux-ci changeaient tous les six mois.
Oui, vous avez déjà dit cela.
Et pour l’expliquer, je voudrais dire au Tribunal que, avec la proportion de un à trois, l’Allemagne libérait un prisonnier pour trois ouvriers. Au bout d’une année et demie, le prisonnier de guerre, tout aussi bien que les ouvriers français qui avaient pris sa place, étaient rentrés dans leur patrie, puisqu’ils ne restaient partis que six mois. Il fut très difficile de faire accepter ce règlement par le Führer.
Je n’ai pas d’autres questions à poser.
Lundi à 2 heures, le Tribunal entendra quelques demandes supplémentaires de témoins et de documents.
Monsieur le Président, je voudrais revenir brièvement sur la question du document D-565, c’est-à-dire sur les photos qui représentent l’accusé Sauckel au camp de Buchenwald. L’Accusation n’a jamais prétendu et ne prétend pas que ces photos datent d’une période se situant pendant la guerre. Au contraire, l’original qui vous a été remis, l’album, porte la date de ces photos, il s’agit de l’année 1938. L’accusé, lorsqu’il avait été interrogé par son avocat, nous avait dit qu’il avait visité Buchenwald en compagnie d’officiers italiens. Sur ces photos, je ne vois aucun officier italien, je vois simplement le Reichsführer SS Himmler. Je ne conteste pas et je n’ai jamais prétendu que ces photos fussent d’une autre date que 1938.
J’ai encore une dernière question à poser qui se rapporte au document 82 du livre de documents Sauckel n° 3, pages 206 et suivantes. Il y a là, au numéro 3, une déclaration que j’aimerais présenter encore une fois à l’accusé, étant donné que le représentant du Ministère Public soviétique a déclaré que l’accusé Sauckel aurait dit ici qu’il n’y avait pas de protection contre les crimes. Je me permettrai de lire encore une fois cette phrase au témoin et d’en donner une explication. Moi-même, j’avais déjà cité cette phrase. Il s’agit certainement d’un malentendu. C’est une phrase très courte. Il est dit :
« Vous pouvez me demander toute protection dans le domaine de votre activité, mais pas pour les crimes commis. »
Monsieur le témoin, est-ce que cela signifie que vous n’accordiez aucune protection contre les crimes ?
Au contraire, il ressort du document, qui le montre très clairement, que je ne tolérais aucun crime. Je ne protégeais pas les gens qui ne dépendaient pas de moi au cas où ils commettaient des crimes. Ce n’était pas autorisé, je l’avais défendu...
Je crois qu’une connaissance de la langue allemande permettra immédiatement de comprendre la véracité des dires du témoin. Je n’ai pas d’autres questions à poser au témoin.
Accusé Sauckel, je voudrais vous poser un certain nombre de questions, mais je voudrais que vous essayiez de parler un peu plus tranquillement, et que vous écoutiez avec attention les questions que je vous poserai pour tâcher d’y répondre avec exactitude.
Oui.
D’abord, je voudrais vous poser une question concernant votre personnel. Vous aviez un bureau central très étendu, n’est-ce pas ?
J’avais un bureau central très réduit, Monsieur le juge.
Un bureau central réduit. Et combien d’employés y avait-il ?
Il y avait deux spécialistes des questions de personnel, un conseiller ministériel qui était le Dr Stothfang, un Landrat...
Un instant. Combien, simplement combien de personnes ?
Deux fonctionnaires supérieurs, et environ huit fonctionnaires moyens et subalternes comme auxiliaires.
Est-ce que vos inspecteurs sont compris dans ce nombre ? Travaillaient-ils dans ce bureau ?
Les inspecteurs faisaient partie de la section 9 du ministère du Travail du Reich qui avait été installée là. C’était un service spécial qui avait été établi au ministère du Travail sur ma demande. Il comprenait des fonctionnaires supérieurs qui...
Je pense que les inspecteurs travaillaient sous votre surveillance et vous faisaient des rapports, n’est-ce pas ?
Les inspecteurs adressaient tout d’abord leurs rapports à la section 5 du ministère du Travail et, lorsqu’il s’agissait de choses importantes, on m’en informait. Les inspecteurs avaient le droit et le devoir de remédier aux abus s’ils en constataient dans l’administration du travail.
Combien d’inspecteurs y avait-il ?
Dans la section 9, il y en avait, je crois...
Non, non, en tout. Combien en tout ?
Il y avait diverses sortes d’inspections, Monsieur le juge ; cette inspection-là...
Un instant, accusé. Écoutez ma question. Je vous ai demandé combien d’inspecteurs il y avait en tout dans tous les services d’inspection ?
Je ne peux pas dire combien il y en avait au Front du Travail. L’étendue de l’inspection du travail relevait du Dr Ley. Je ne peux pas vous dire cela dans le détail.
Mais alors, savez-vous combien il y en avait environ qui inspectaient les camps de travail ? Vous devriez savoir cela, pourtant ?
Je ne peux pas donner le chiffre exact ; il a dû y en avoir 60 ou 70, en y comprenant ceux du Front du Travail.
Allaient-ils hors d’Allemagne ou ne travaillaient-ils qu’en Allemagne ?
Ces inspecteurs ne travaillaient pour la plupart qu’en Allemagne.
Alors, ils inspectaient, par exemple, la nourriture, les transports, les conditions de vie dans les camps, etc., n’est-ce pas ?
C’était leur travail.
Les rapports importants vous parvenaient-ils ?
Non ; conformément à un accord, les rapports devaient être adressés aux autorités supérieures du Reich compétentes, pour modifier les conditions défectueuses. En ce qui concerne les abus dans les camps et dans les usines, les services compétents étaient ceux de l’inspection industrielle, qui étaient dirigés par le ministre du Travail, Seldte. C’était le plus élevé.
N’avez-vous reçu aucun de ces rapports ?
On m’adressait également des plaintes, mais tout ce que je pouvais faire, c’était de les renvoyer aux services compétents, en demandant que tout soit fait pour y remédier. Je l’ai fait chaque fois que j’ai eu à le faire.
Est-ce que les rapports des inspecteurs vous parvenaient ?
Pas directement, mais par la voie hiérarchique ils parvenaient aux services chargés de redresser ces abus.
Accusé, je ne vous demande pas s’ils vous arrivaient directement, je vous demande s’ils vous arrivaient. Les avez-vous vus, les avez-vous reçus ?
De tels rapports m’ont très rarement été adressés.
Par conséquent, vous ne saviez pas quelles étaient les conditions, si vous ne receviez pas ces rapports, n’est-ce pas ?
A part cela, j’avais encore mes adjoints et des inspecteurs que j’envoyais, en personne, auprès des Gauleiter dans les Gaue allemands et qui voyaient sur place ce qui se passait, quatre fois ou deux fois par an. Je recevais des rapports sur ce qu’ils avaient discuté dans ces conférences privées avec les bureaux régionaux, sur ce qu’ils avaient inspecté et observé. Il n’y avait là rien qui fût d’une nature catastrophique ; il s’agissait seulement de rapports sur la non-observation des instructions que j’avais envoyées. C’est de cela que j’étais informé...
Ainsi, vous nous dites que vous n’avez jamais reçu aucun rapport, ni aucune plainte de nature catastrophique, n’est-ce pas ?
Je n’ai pas tout à fait compris la question.
Vous n’avez jamais reçu. de rapports ou de plaintes sur des faits catastrophiques, comme vous le dites ? Est-ce exact ?
En ce qui concerne l’intérieur de l’Allemagne, j’ai reçu des rapports et des plaintes semblables à celles que j’ai décrites et qui émanaient du Feldmarschall Kluge, ou de discussions avec Rosenberg. J’ai immédiatement pris les mesures qui s’imposaient, mais ces interventions ont été rares.
Accusé, si vous écoutiez bien mes questions et si vous essayiez d’y répondre, je pense que nous irions plus rapidement. Vous avez bien dit qu’il y avait des choses catastrophiques ? Ce sont vos propres termes. Avez-vous jamais reçu des rapports de nature à vous alarmer ?
Le Feldmarschall Kluge et des rapports de Rosenberg, qui ont été cités ici, m’ont informé de quelques cas ; je les ai considérés comme catastrophiques et j’ai essayé d’y remédier.
C’est ce que vous appelez vous-même des cas catastrophiques ?
Oui.
De quoi s’agissait-il ?
C’était le cas par exemple où le Feldmarschall Kluge m’informa qu’à l’Est les agents de recrutement avaient cerné des cinémas ; je considérais cela comme catastrophique. Le second cas était celui du transport de retour où, selon le rapport — on l’appelle le dernier rapport, je ne me souviens pas de son numéro — des enfants seraient morts en cours de route et auraient été laissés le long de la voie. J’ai considéré cela comme catastrophique. Mais on pouvait...
Vous avez déjà répondu à la question.
Mais...
Vous avez déjà répondu à la question. Avez-vous reçu des plaintes au sujet de Koch ?
De temps à autre, le ministre des territoires occupés de l’Est, Rosenberg, s’est plaint de Koch auprès de moi et, par ailleurs, j’ai reçu des plaintes à son sujet. Il faut dire que Koch s’est toujours défendu avec beaucoup de véhémence.
Ainsi, vous avez reçu plusieurs plaintes au sujet de Koch ?
Oui. Je pouvais...
Et ces plaintes disaient ce que Koch avait fait, n’est-ce pas ?
Je n’ai pas entendu de divers côtés des plaintes au sujet de Koch, mais plutôt d’un côté...
Attendez...
Mais de quelques personnes...
Voulez-vous répondre à ma question ? Je ne vous ai pas demandé si vous avez reçu beaucoup de plaintes, je vous ai demandé si ces plaintes disaient ce que Koch avait fait ?
Oui, dans certains cas.
Et qu’avez-vous fait en réponse à ces plaintes ?
Dans la mesure où cela intéressait ma sphère d’activité, quand je recevais des plaintes comme celles qui ont été traitées ici, j’organisais une conférence de services dans mon bureau ; ainsi, ce fut le cas immédiatement après la plainte venant de Rosenberg et, à cette occasion, j’ai pris la position que mon avocat cite à propos de la conférence du 6 mars 1943.
Et l’histoire de Koch s’est terminée avec cette conférence, je suppose ? C’est là tout ce que vous avez fait ? (Pas de réponse.) De votre côté, l’affaire était réglée.
En ce qui me concernait, j’ai, à plusieurs reprises, attiré l’attention du Führer sur le fait que j’estimais qu’il était impossible de traiter mal les travailleurs de l’Est et les populations de l’Est et, sur la base des instructions que j’ai publiées régulièrement, instructions qui sont contenues dans mes documents, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour empêcher cela. Je demande...
Je vous ai posé certaines questions sur votre bureau central. Aviez-vous des bureaux secondaires ?
Non, sauf les bureaux 5 et 6 du ministère du Travail, qui étaient mis à ma disposition pour me permettre de réaliser ma tâche dans le domaine administratif et technique.
Bien. Cela suffit.
C’est là où se traitaient les questions de nature administrative. Je...
Un instant. Est-ce que les services de recrutement appartenaient au ministère du Travail ?
Non, au ministère du Travail, il y avait...
Peu importe, c’est tout ce que vous avez à dire ? Où se trouvaient les bureaux de recrutement ?
Les bureaux de recrutement se trouvaient dans les territoires occupés.
Je comprends bien, mais sous quelle administration ? A quels services étaient-ils rattachés ?
Les services du travail dans les différents territoires étaient intégrés à l’administration de ces territoires. Cela ressort d’une manière très claire de mon ordonnance 4, car il en était ainsi avant que je sois entré en fonctions. Ils faisaient partie intégrante de l’administration locale.
Ils dépendaient donc de l’administration du territoire ? Quand vous avez parié des 1.500 bureaux de districts, étaient-ce des services de recrutement ?
C’étaient les bureaux dans les différents territoires qui représentaient ces administrations à l’échelon inférieur et que je viens de citer.
Vous ne répondez pas à la question. Je vous demande si c’était là des services de recrutement ?
Ce n’étaient pas seulement des services de recrutement, c’étaient des services de l’administration du Travail des territoires en question, à l’échelon inférieur.
En même temps. Donc, c’était en même temps administration et recrutement ? (Pas de réponse.) Ils faisaient du recrutement, n’est-ce pas ?
C’était une seule et même chose. Le recrutement, d’après les lois allemandes, était du ressort de l’administration. Le recrutement ne pouvait se faire en dehors de l’administration.
C’étaient donc des services de recrutement ? Votre réponse est : oui, n’est-ce pas ?
Oui.
Vous auriez pu le dire dès le début. C’est ce que je voulais savoir. Je voudrais connaître maintenant les rapports entre vos bureaux et les bureaux du Parti. Les Gaue et les Gauleiter travaillaient en coopération avec vous qui agissiez en la matière avec les pleins pouvoir ?
Non, Monsieur le juge, c’est une erreur. Les Gauleiter n’avaient rien à voir au recrutement, c’était...
Un instant, je vous prie. Je n’ai pas parlé de recrutement. Je vous demande quelles étaient les relations entre votre bureau et les Gauleiter ? Le Gauleiter coopérait avec vous dans le programme général, n’est-ce pas ?
Pas pour le programme général, Monsieur le juge, seulement en ce qui concerne le programme de l’administration de la main-d’œuvre allemande et étrangère.
Je vois. Par conséquent, le Gauleiter n’avait rien à voir au recrutement ? Est-ce bien cela ?
Non. C’est bien cela.
Cependant, ils s’occupaient des conditions de vie des hommes qui étaient recrutés, n’est-ce pas, lorsqu’ils travaillaient dans le Reich ?
Oui, lorsqu’ils travaillaient dans le Reich.
Dans le Reich ?
Dans le Reich.
Est-ce que les Gaue à l’extérieur du Reich, c’est-à-dire dans les territoires occupés, travaillaient également pour vous, ou bien considériez-vous qu’ils faisaient partie du Reich ? (Pas de réponse.) Je vais répéter la question car elle n’est pas très claire. Certains des territoires occupés avaient été incorporés dans le Reich, n’est-ce pas ?
Ont seuls été incorporés au Reich, à l’Est, les territoires du Wartheland et de la Prusse occidentale...
Une fois de plus, je ne vous demande pas le nom des territoires qui ont été incorporés au Reich, je vous dis : certains ont été incorporés au Reich, n’est-ce pas ?
Oui, c’est exact.
Quand vous dites les Gauleiter du Reich, cela inclut, n’est-ce pas, les Gauleiter des territoires incorporés au Reich. Est-ce exact ?
Oui, mais dans ce cas ils n’ont pas pu agir en leur qualité de Gauleiter, ils ne pouvaient le faire que lorsqu’ils étaient Reichsstatthalter, c’est-à-dire lorsqu’ils étaient à la tête d’une administration de l’État. C’étaient des institutions complètement séparées, disposant d’un personnel tout à fait différent.
Est-ce que chaque Gauleiter avait dans son Gau un service du travail en relation avec son Gau ?
Entendez-vous par là tous les Gaue allemands ou bien ne faites-vous allusion qu’aux Gaue dont nous venons de parler tout à l’heure, Monsieur le juge ?
Des Gaue dont nous venons de parler seulement. Ils avaient tous un service du travail, n’est-ce pas ?
Ils avaient une administration du travail à la tête de laquelle se trouvait un président du travail du Gau, un Gauarbeitspräsident.
Bon. Cela suffit. Ensuite, connaissez-vous l’organisation du Gau dans le domaine de l’administration du travail ? Avait-il également des Kreisleiter qui s’occupaient de la main-d’œuvre ?
Non, il n’en avait pas.
Par conséquent, je suppose qu’il n’y avait pas d’Ortsgruppenleiter travaillant aussi au programme de la main-d’œuvre ?
Non, tel n’était pas le cas ; c’était un concept administratif distinct...
Cela va bien.
Mais c’était...
Non, cela va bien, cela suffit. Maintenant, je voudrais avoir quelques détails sur ce que vous appelez le recrutement privé. Qui nommait les agents qui s’occupaient de ce recrutement privé ? Qui les nommait ? Est-ce que les employeurs louaient des agents pour recruter de la main-d’œuvre pour eux ? (Pas de réponse.) Vous comprenez ce que je veux dire par recrutement privé, n’est-ce pas ?
Oui.
Il était assuré par des agents, n’est-ce pas ?
Dans un seul cas, en 1944, en France et en partie en Belgique, j’ai autorisé, à titre exceptionnel et en raison d’un accord passé avec les organisations françaises, les agents recruteurs à exercer leur activité.
Une fois de plus, témoin, je ne vous ai pas demandé cela. Vous ne m’écoutez pas. Je vous ai demandé qui nommait ces agents recruteurs privés. Qui les nommait ?
C’était le plénipotentiaire à la main-d’œuvre dans ces pays — moi-même je ne pouvais pas le faire — d’accord avec les organisations françaises. Il n’y avait rien de fixe.
Je comprends. Par conséquent, ils étaient payés sur la base d’une commission n’est-ce pas ? En d’autres termes, tant par ouvrier, c’est-à-dire que pour chaque travailleur qu’ils recrutaient, ils recevaient une certaine commission, n’est-ce pas ?
Oui. Aujourd’hui je n’ai plus les détails présents à la mémoire, mais cela doit être à peu près exact.
Je pense que lorsque vous parlez du mot shanghayer auquel vous vous êtes référé plusieurs fois, cela signifie simplement : recrutement privé par la force ? (Pas de réponse.) C’est ce que cela signifie, n’est-ce pas ? Recrutement privé au moyen de la violence.
Non...
Une seconde. Est-ce que vous pouvez shanghayer un homme sans employer la force ? Pouvez-vous dire que vous avez shanghayé quelqu’un par persuasion ?
Oui, car les associations françaises voulaient justement recruter des volontaires de cette manière, en procédant d’une manière tout à fait amicale, dans les cafés où l’on buvait un verre de vin ou de bière, ce qu’on ne pouvait faire dans les bureaux officiels. Je n’entendais pas par là « shanghayer » à la manière brutale, comme je me souviens l’avoir entendu pendant mon temps de marin. C’est une façon de s’exprimer un peu crue, ce n’est pas la représentation exacte de ce qui s’est vraiment passé. Je n’ai jamais, Monsieur le juge, ni en France, ni ailleurs, ordonné de procéder à ce genre de racolage, mais plutôt...
Je n’ai pas dit que vous l’avez ordonné. Là n’était pas ma question. Vous dites que shanghayer signifiait seulement qu’on prenait un verre de vin à la bonne franquette avec un ouvrier, après quoi il s’inscrivait. Est-ce ce que vous vouliez dire ?
C’est comme cela que je le comprenais. Je l’ai expliqué au Comité central du Plan sous une forme un peu crue, pour opposer aux exigences qu’on me présentait un certain nombre d’arguments plausibles en ce qui concernait les efforts que j’entreprenais.
Mais pourquoi aviez-vous formulé des objections à l’encontre de ce recrutement privé ? Quelles étaient vos objections ?
Je n’ai pas fait d’opposition. C’était simplement en contradiction avec les idées allemandes sur le recrutement de la main-d’œuvre selon les principes allemands.
Est-ce que c’était contraire à la loi allemande ?
C’était contraire à ma propre conviction et contraire à la loi allemande.
Ce n’est pas ce que je vous demande ; pour le moment, je ne m’intéresse pas à vos convictions. Je vous demande si c’était en contradiction avec la loi allemande. Ce l’était, n’est-ce pas ?
C’était, d’une manière générale, contraire à la législation allemande sur le travail. Dans la mesure du possible, il ne devait pas y avoir d’intermédiaires privés. Mais je puis dire, à titre d’explication, Monsieur le juge, qu’après avoir pour ainsi dire gagné un ouvrier, celui-ci était amené à contracter un engagement fondé sur un contrat d’État ; c’est-à-dire qu’il ne faut pas entendre par là que l’ouvrier une fois recruté était amené en Allemagne sans contrat approuvé par l’État. On lui accordait les mêmes avantagés qu’à tous les autres.
Voulez-vous dire qu’un travailleur qui avait été shanghayé par des agents privés avait les mêmes droits, une fois qu’il était embauché, que tous les autres ? Est-ce cela que vous voulez dire ?
Il avait les mêmes droits et les mêmes garanties que tous les autres.
Bon, très bien. Maintenant, je voudrais passer à un autre sujet. Je voudrais simplement comprendre votre point de vue ; vous me direz si c’est exact. Vous ne faisiez pas de recrutement, la Police n’en faisait pas, votre travail principal, au premier abord, semble avoir été de contrôler si tout était fait selon la loi et le règlement. N’est-il pas exact que c’était là votre fonction essentielle ?
Oui, c’était ce que je m’efforçais de faire.
Et pour y parvenir, vous aviez à vous occuper de faire promulguer des lois adéquates pour que le recrutement se fasse selon la loi. C’était là une partie de vos fonctions, n’est-ce pas ? C’était bien là votre tâche ?
Oui.
Et très souvent ces lois... qui n’étaient pas à proprement parler des lois... Quand vous dites « lois », vous voulez dire décrets, bien entendu. C’étaient donc des ordres signés par le Führer, ou par vous, ou par un des ministres. Quand vous parlez de lois, vous voulez dire décrets ?
Les lois en vue du recrutement de la main-d’œuvre dans les territoires occupés devaient être imposées par le Führer et promulguées par les chefs des territoires.
Oui, c’est exact. Mais je veux dire qu’afin que cet emploi de main-d’œuvre soit légal, vous deviez simplement vous occuper de faire signer ces décrets, n’est-ce pas ? C’était là une partie de vos fonctions : les faire signer ?
Je n’ai pas signé ces décrets, mais...
Je sais ; je n’ai pas dit que vous les aviez signés. Vous avez déjà expliqué cela en détail. Voyons maintenant dans quelle mesure intervenait la Police. Elle n’avait rien à faire avec le recrutement, n’est-ce pas ? Une fois le décret signé, il devenait une loi, n’est-ce pas ? Je dis : quand ce décret était signé, il devenait loi ?
Oui.
Et si quelqu’un résistait et refusait de venir travailler, ou s’il ne s’inscrivait pas, ou s’il n’exécutait pas son contrat, il était criminel, n’est-ce pas ?
Il violait la loi dans ce cas. Nous ne pouvons pas parler de crime, mais d’infraction à la loi.
Mais il violait la loi, n’est-ce pas ?
Oui.
Vous voulez dire qu’il ne commettait pas de crime ? En commettait-il un ou non ? Supposez qu’un homme auquel on avait dit de s’inscrire ne le fît pas ; était-ce là un crime ?
Non, ce n’était pas un crime. En Allemagne, nous appelons cela un délit.
Mais quand il avait commis ce délit, il était remis à la Police, n’est-ce pas ?
Pas immédiatement. Suivant la procédure administrative, le bureau régional du travail lui demandait de se présenter et de rendre des comptes.
Oui, je sais, vous nous l’avez déjà expliqué. Il avait trois ou quatre jours ; ensuite, s’il ne s’inscrivait pas, il était remis entre les mains de la Police ; est-ce exact ?
Je ne puis pas dire comment on a procédé dans le détail et dans les différents territoires. Je crois que cela a été très variable suivant les pays ; parfois c’était très relâché.
Mais oui, vous nous l’avez déjà dit au cours de votre contre-interrogatoire : si un homme violait la loi, à ce moment-là intervenait la Police. C’était simplement à cela que servait la Police : à ce que la loi fût respectée. C’est exact, n’est-ce pas ? C’était là sa fonction ?
Non, ce n’était pas ma tâche, c’était celle des autorités.
Pourquoi dites-vous toujours que ce n’était pas dans vos fonctions ? Je ne vous ai pas demandé si c’était la vôtre. Je parlais seulement de la Police et non de vous. Lorsque ces décrets sur le travail étaient violés, c’était alors le moment où la Police commençait à intervenir. Est-ce exact ?
C’eût été la voie normale et correcte.
Ou bien si les gens, à Paris par exemple, étaient l’object de violence et réagissaient en opposant une résistance, c’est alors qu’on faisait appel à la Police, n’est-ce pas ? S’il y avait résistance physique, il fallait que vous appeliez la Police, n’est-il pas vrai ?
Oui, mais je peux dire qu’on ne m’a presque jamais rapporté le fait. Le plus souvent, on renonçait tout simplement, et cela ressort très clairement des listes de transport de travailleurs ; en 1944 par exemple, sur un vaste programme établi, on a obtenu 10% du nombre prévu de personnes devant se rendre en Allemagne. Alors, il ne nous est rien resté d’autre à faire qu’à shanghayer.
Je vous en prie, ne poursuivez pas. Vous nous avez expliqué tout cela auparavant. Je voudrais simplement avoir un tableau clair de tout le système. Passons à l’Armée. Vous avez dit que le rôle de l’Armée consistait à intervenir là où il y avait sabotage ou résistance dans les territoires occupés, afin de permettre aux organismes chargés de la main-d’œuvre de fonctionner. C’est bien cela, n’est-ce pas ?
Dans ce qu’on appelait les centres de résistance, là où il y avait de la résistance, là où l’administration était arrêtée, non seulement dans le domaine du recrutement des travailleurs, mais aussi dans d’autres domaines, là où la sécurité des troupes allemandes ne pouvait plus être assurée.
Pour le moment, je ne m’intéresse pas du tout aux autres fonctions, mais je m’intéresse spécialement au domaine de la main-d’œuvre.
Par conséquent, en Pologne ou en Russie, je suppose, lorsqu’il y avait impossibilité de recrutement due à la résistance au recrutement ou à la résistance à l’Armée, que l’Armée intervenait et aidait le recrutement. Cette conception n’est pas erronée, n’est-ce pas ?
On peut le dire.
C’est bien. Maintenant, à propos, est-ce que l’un quelconque de ces travailleurs qui résistaient ou qui violaient la loi, qui ne s’inscrivaient pas dans les trois jours, étaient jugés par un tribunal ou relevaient simplement de la Police ? Ils n’étaient jamais poursuivis devant un tribunal, n’est-ce pas ?
Je ne puis vous le dire ni en détail, ni en général. Je pense qu’il y avait diverses façons de traiter la question. Je ne sais pas.
Eh bien, passons à un plan particulier. L’un de vos décrets prévoyait-il la compétence d’un tribunal pour une affaire de ce genre ?
Non, mes décrets n’en parlaient pas, cela n’était pas mentionné. D’ailleurs, je n’étais pas qualifié pour promulguer des décrets de ce genre dans les territoires occupés puisque je n’avais pas de pouvoirs dans les territoires occupés.
Bon. Je ne comprends pas encore très bien la question des camps. Il y avait ce que vous avez appelé les camps de répartition ou les camps de transit.
Oui.
Combien y en avait-il ?
Je ne puis pas vous dire cela de mémoire.
Évidemment, mais pensez-vous qu’il y en eût plus de cent ?
Non, je ne crois pas.
A peine. Mais peut-être presque cent ?
Non, je ne crois pas non plus.
Par conséquent, vous ne pouvez donner aucum chiffre.
Je suppose qu’il devait y avoir trente ou quarante camps de passage dans le Reich.
Dans le Reich ?
Oui, dans le Reich.
Est-ce que ces camps de transit existaient également dans les territoires occupés, en France par exemple ?
Dans les territoires occupés ? Je ne sais pas s’il y avait des camps de passage en France, ni combien il y en avait. Je sais qu’il y avait à la frontière ouest des camps d’accueil et à l’Est des camp de passage destinés à permettre un examen médical supplémentaire, un épouillage, une désinfection des vêtements et...
Oui, c’est suffisant. Vous nous avez aussi parlé des camps d’entraînement de la main-d’œuvre. Il y avait également des camps d’entraînement pour la main-d’œuvre ? Pouvez-vous le dire, oui ou non ?
Non.
Combien y en avait-il ?
Je n’en ai aucune idée.
Vous ne pouvez pas le dire ? Peut-être cinquante ou cent ?
Non, je ne puis même pas approximativement vous dire combien il y en avait parce que je n’ai jamais reçu de listes mentionnant leur nombre. Ils n’étaient pas sous mon autorité.
Qui s’en occupait ?
Ils dépendaient uniquement de la Police et du Gruppenführer Muller, autant que je sache.
Et je suppose que le personnel, officier et hommes, était composé de SS comme dans les autres camps de concentration, n’est-ce pas ?
Là aussi, je suis obligé de faire une supposition, car je n’ai jamais vu un de ces camps.
Mais cela n’aurait rien d’impossible, n’est-ce pas ?
Non. Ces camps dépendaient uniquement de la Police.
De la Police ! Et qui dirigeait-on sur ces camps d’entraînement de la main-d’œuvre ? Qui y envoyait-on ?
J’ai appris très peu de chose à ce sujet. A ma connaissance, on y envoyait ceux qui récidivaient dans la violation des prescriptions concernant le travail ou la discipline dans les usines, etc.
Oui, très bien, merci. C’est tout ce que je voulais savoir à ce sujet. Donc, les gens qui ne se faisaient pas inscrire ou qui violaient leur contrat étaient envoyés dans ces camps d’entraînement ? Mais en quoi consistait cet entraînement ? Que veut dire « entraînement » ? Comment y était-on entraîné ?
Cela, je ne puis vous le dire. Je suppose qu’ils étaient obligés de travailler. Il y avait un délai prévu, je crois de 8 à 56 jours, je ne puis pas vous le dire exactement ; je n’ai eu connaissance de cela qu’ici, au cours des débats.
Voyons si nous pouvons éclaircir un peu ce point. Après tout, vous étiez nanti des pleins pouvoirs et vous devriez tout de même savoir quelque chose à ce sujet. Il y avait des camps de travail comme il y avait des camps d’entraînement, n’est-ce pas ?
Oui, enfin je voudrais faire une distinction, à mon avis...
Je vais la faire cette distinction. Attendez un instant que je vous pose la question. Les camps de travail étaient ceux où étaient envoyés les travailleurs ; on les y logeait et ils travaillaient dans l’industrie, n’est-ce pas ? C’étaient simplement des camps où les travailleurs étaient logés, où ils vivaient ?
Où ils habitaient, oui.
C’est exact. Et les camps d’entraînement étaient différents des camps de travail, n’est-ce pas ?
Ils étaient différents, en principe. Les camps d’entraînement du travail étaient une institution du Reichsführer SS. Les camps de travail, c’est-à-dire ceux où habitaient les travailleurs, étaient créés par les usines ou par les groupes d’entreprises qui occupaient les travailleurs.
Donc, quand un homme était envoyé dans un camp d’entraînement, il n’était pas simplement envoyé au travail ; il était puni, n’est-ce pas ? Pour avoir violé la loi, par exemple. C’est exact, n’est-ce pas ?
Autant que je sache, on l’envoyait dans un camp d’entraînement au travail pour l’éduquer et en faire quelqu’un d’actif et lui enseigner l’exactitude. C’était en même temps une sanction pour les infractions commises dans les usines.
Y avait-il des décrets au sujet de ces camps d’entraînement ? Je veux parler d’une réglementation spéciale.
Je ne connais pas de réglementations relatives à ces camps. Ces dispositions devaient émaner du chef de la Police et des SS ; quant à moi, je n’en donnais pas.
Ainsi, bien qu’une partie de vos fonctions consistât à surveiller des ouvriers étrangers qui venaient en Allemagne, vous n’aviez plus aucun pouvoir sur eux lorsqu’ils passaient à la Police ?
C’est exact, mais il faut tout de même que je rectifie cela dans une certaine mesure. Je n’avais pas pour tâche d’administrer ces ouvriers. Ma tâche consistait simplement à fournir ces travailleurs aux usines qui en avaient besoin. Le contrôle des camps et l’administration des ouvriers n’étaient nullement de mon ressort. J’ai…
Accusé, nous comprenons cela tout à fait bien. Vous n’aviez pratiquement aucun pouvoir d’exécution, mais vous avez dit à plusieurs reprises que vous avez fait signer des décrets par centaines pour améliorer la condition de ces hommes. Nous savons que vous n’aviez pas à vous occuper de les loger et de les nourrir, mais l’une de vos fonctions essentielles était d’essayer de les garder dans les meilleures conditions possibles, et c’est pourquoi vous vous intéressiez tellement à toutes les réclamations ; c’est bien cela, n’est-ce pas ? C’était là une de vos fonctions ?
Je m’étais bénévolement chargé de cette mission. Elle n’était pas comprise dans les fonctions dont j’étais investi. Les plaintes dont j’étais surchargé tous les jours étaient d’une autre nature, c’étaient des plaintes au sujet du manque de main-d’œuvre. Ma tâche consistait à diriger et à procurer des travailleurs. Mais, dans mon intérêt personnel, j’ai toujours attiré l’attention sur la nécessité de bien traiter les ouvriers pour conserver cette main-d’œuvre.
Je vois, c’était de votre part un travail volontaire, non une partie de vos fonctions, mais cependant vous l’aviez entreprise. Laissez-moi passer maintenant aux travailleurs eux-mêmes. Je crois que nous avons une assez bonne idée du nombre de ces travailleurs, mais je voudrais savoir quelle était la proportion des travailleurs volontaires et des travailleurs forcés. Avant que vous répondiez à cette question, je veux dire par volontaires, des travailleurs qui n’étaient pas amenés en vertu d’une loi, qui s’étaient simplement inscrits comme volontaires de leur propre chef. Il n’y en avait pas beaucoup, n’est-ce pas ?
Si, beaucoup de travailleurs se sont engagés sans contrainte légale, en raison de la propagande et du-recrutement ; et cela en raison du fait qu’en Allemagne, les salaires étaient relativement élevés et réglementés. Il y avait beaucoup d’ouvriers...
Examinons cela de plus près. Il vint un temps où lès lois applicables aux travailleurs allemands furent appliquées aux travailleurs étrangers. Est-ce exact ?
Oui.
Aux termes de la loi, tous les Allemands devaient travailler ?
Oui, c’est exact.
Et cette loi fut, en fin de compte, appliquée aux travailleurs étrangers, n’est-ce pas ?
Cette loi a été introduite aussi dans les territoires occupés.
Oui, c’était pareil pour tout le monde. Par conséquent, après l’introduction de cette loi, il n’y avait plus rien qui pût s’appeler travail volontaire parce qu’après l’introduction de cette loi tout le monde était obligé de travailler ?
Oui. Dans les territoires occupés, dans la mesure des demandes de main-d’œuvre, et ailleurs selon les nécessités.
Par conséquent, quand vous parliez du travail non volontaire, vous pensiez sans doute à la période antérieure à cette loi, n’est-ce pas ?
Oui. Toutefois...
C’est tout ce que je veux savoir Quand cette loi fut-elle promulguée ?
Elle a été introduite à des dates différentes dans les divers pays, à partir de la fin de l’automne 1942 ; je ne puis pas vous dire la date exacte dans les différents territoires, mais j’insiste sur le fait que, même après la promulgation de cette loi, des ouvriers sont encore venus volontairement en Allemagne. Ils sont...
Vous avez raison, mais s’ils ne l’avaient pas fait, ils auraient tout de même dû y aller contraints et forcés, n’est-ce pas ?
Non.
Pourquoi pas ?
Mais, on ne demandait que certains contingents de travailleurs, on ne demandait pas la totalité des travailleurs pour l’Allemagne.
En tout cas, les pourcentages exigés auraient été constitués d’ouvriers non volontaires, n’est-ce pas ?
Non. On a maintenu un recrutement sur la base du volontariat. Il faut comprendre cela de la manière suivante : parmi les travailleurs...
Mais non, attendez, accusé, ne nous embrouillons pas. C’est tout à fait simple. Il y avait une loi qui rendait le travail obligatoire pour les hommes dont le contingent avait été appelé, il fallait qu’ils travaillent, n’est-ce pas ?
Oui, ils devaient travailler dans leur propre pays d’abord, mais ils pouvaient également se présenter volontairement pour travailler en Allemagne au lieu de travailler dans leur pays. Et nous y attachions beaucoup d’importance.
En d’autres termes, un homme pouvait choisir entre le travail forcé dans une industrie en France ou le travail forcé en Allemagne, mais dans ce cas il était peut-être volontaire. C’est exact ?
Oui.
Très bien. Deux ou trois autres questions encore. Vous avez répondu clairement à mes questions. Je voudrais vous poser des questions au sujet de trois documents et j’en aurai terminé. Je ne vais pas entrer dans le détail. Vous vous rappelez le document R-124 ; vous vous rappelez cette conférence du 1er mars 1944, n’est-ce pas ? Quelqu’un voudrait-il lui donner le texte allemand, s’il vous plaît ? Vous rappelez-vous cette conférence ? Avez-vous regardé les notes ?
Oui, c’était la conférence au Comité central du Plan.
Oui, c’est exact. Avez-vous consulté ces papiers ?
Maintenant ?
Oui.
Oui.
Est-ce qu’en général ces notes rapportent fidèlement cette conférence ? C’est bien, en substance, un compte rendu de la conférence, n’est-ce pas ?
Oui, mais excusez-moi je ne me rappelle pas exactement maintenant l’orde du jour de cette réunion.
Avez-vous trouvé quelque chose dans ces notes qui, à votre avis, constituât une grave erreur ?
Je ne puis pas vous dire cela maintenant. Je ne puis vous dire exactement de quoi il s’agit.
Est-ce que vous avez lu ces notes ?
Je n’ai pas lu tout le compte rendu du Comité central du Plan. A l’époque, je ne pouvais pas obtenir les notes qui y étaient rédigées. Je ne savais absolument pas qu’on y prît des notes.
Ne parlez donc pas tant. Je vous demande simplement si vous les avez lues et vous me répondez que vous ne les avez pas lues. Cela me suffit.
Je n’ai pas tout lu.
Dans la partie que vous avez lue, avez-vous trouvé quelque chose d’inexact ?
Oui, j’ai trouvé des inexactitudes.
Des inexactitudes ?
Oui. Par exemple, le compte rendu d’une interruption de ma part où il aurait été question de « 200.000 à 5.000.000 ». Voilà une proportion absolument impossible.
Vous avez fait usage d’une expression que je ne comprends pas, et je voudrais vous demander ce que vous entendiez par « dirigeants du recrutement spécial des travailleurs ». Vous avez parlé hier du Comité pour la paix sociale, comprenant environ 1.000 personnes. Vous rappelez-vous ?
Oui.
C’est la même chose ? C’était un comité, d’après ce que vous nous avez dit, qui était spécialement formé par les SS, n’est-ce pas ? Et par la Police, en France ou bien ailleurs, là où ils étaient utilisés ?
Oui.
Au fait, vous avez dit qu’ils étaient armés. Pourquoi étaient-ils armés ? Pourquoi portaient-ils des armes ?
C’était pour leur propre sécurité et pour la protection de ceux qu’ils recrutaient ; il fallait avoir une possibilité de se défendre contre les attaques.
Oui, je vois ; mais, en règle générale, vous n’aviez rien à voir avec la Police. Pourqoui avez-vous organisé ce corps de Police ? Pourquoi avez-vous aidé à l’organiser ? Pourquoi avez-vous donné votre accord à l’organisation d’un corps de Police armé ? Pourquoi l’avez-vous fait ?
Ce n’était pas un corps de Police armé au sens où on l’entend habituellement, mais c’était plutôt...
Ne nous donnez pas d’explications, nous savons bien de quoi il s’agissait. Pourquoi l’avez-vous organisé ? Je croyais que vous vous teniez à l’écart des mesures de Police.
Pour donner une protection à ces gens, à ces locaux qui étaient souvent attaqués par les mouvements de résistance.
Oui, je vois ce que vous voulez dire. C’était donc une organisation qui avait pour but de protéger les opérations de recrutement, n’est-ce pas ?
Oui.
Je vois. Je voudrais maintenant vous poser une question au sujet d’un autre document : PS-016, du 20 avril 1944 ; c’est le programme de mobilisation de la main-d’œuvre, ce programme que vous avez vous-même signé et promulgué. Regardez-le. C’est bien celui que vous avez signé ?
Non.
Non ? Que voulez-vous dire ?
Non, je crois vous avoir mal compris. J’ai compris 1944 ; il s’agit d’un programme...
Non, j’ai dit que le 20 avril 1942, vous avez promulgué le programme de mobilisation de la main-d’œuvre. Est-ce le programme signé par vous qui figure dans le document PS-016 ? C’est bien cela, n’est-ce pas ?
Permettez-moi de dire à ce sujet que ce programme n’est pas immédiatement entré en vigueur...
Accusé, répondez à la question. Je vous demande d’abord : avez-vous promulgué un plan de mobilisation de la main-d’œuvre ?
Je l’ai fait, mais...
Bien. Est-ce ce programme qui porte le numéro cité ?
Oui.
Bien. Je voudrais vous poser quelques questions au sujet de la déportation en Allemagne de la jeunesse des territoires occupés. Une partie de cette jeunesse a été déportée en Allemagne, n’est-ce pas ?
Des jeunes gens ont été amenés en Allemagne, mais c’était contre...
Mais oui, contre votre intention. Combien en a-t-on amené environ en Allemagne ?
Il m’est impossible de le dire, je ne le sais pas. C’étaient des jeunes gens...
De quel âge ? Quel âge avaient-ils ?
Cela non plus je ne puis pas le dire. Je ne sais pas quel était l’âge de ces jeunes parce qu’ils étaient avec leurs familles qui sont venues dans le Reich en raison de mesures concernant les réfugiés et l’évacuation de certains territoires. En 1944, au moment de la deuxième action « Heu », des jeunes gens ont été amenés en Allemagne. Mais je n’ai pas participé à cette action.
Vous savez qu’il y avait de tout jeunes adolescents, n’est-ce pas ? Vous saviez qu’il y avait là des enfants ? Vous le savez, n’est-ce pas ?
Oui.
Dans quel but les déportait-on en Allemagne ? Était-ce pour le travail ou pour les éduquer ?
Les motifs pour lesquels ces jeunes ont été amenés en Allemagne sont très complexes. Certains de ces enfants n’ont pas été recrutés et ne sont pas venus par l’intermédiaire d’agents, mais à la suite des mesures d’évacuation ou de mesures touchant les réfugiés, avec leurs familles. Ils y sont venus sur le désir de leurs familles. D’autres sont venus en Allemagne...
Attendez un instant. Ne nous occupons pas de ceux qui sont venus avec leur famille. Quelques-uns d’entre eux étaient recrutés pour le travail, n’est-ce pas ? Certains venaient travailler, n’est-il pas vrai ?
Les garçons au-dessous de 14 ans ne pouvaient pas être amenés en Allemagne pour travailler. Il y avait des accords — qu’on a déjà signalés d’ailleurs — qui ont été présentés ici comme preuves et d’après lesquels d’autres services amenaient des jeunes garçons pour les former et s’occuper d’eux.
Mais, accusé, vous ne répondez pas aux questions. Je vous demande si quelques-uns d’entre eux étaient déportés pour le travail ; des jeunes gens de 14 à 20 ans étaient bien amenés pour travailler, n’est-ce pas ?
Ce n’étaient que des volontaires qui étaient amenés.
On n’a jamais recruté que des volontaires ?
Les jeunes qu’on amenait n’étaient que des volontaires.
Vous n’avez pas recruté de jeunes sur la base du travail forcé ; c’est cela que vous voulez dire ?
Pas moi.
Je ne veux pas dire vous, personnellement ; je parle de l’administration en général.
L’administration de la main-d’œuvre ne devait pas faire entrer en Allemagne d’adolescents et surtout pas des jeunes filles, par la force. Tout cela devait se faire sur la base du volontariat. En ce qui concerne les domestiques, par exemple, il s’agissait uniquement de volontaires.
Quelques-uns d’entre eux étaient amenés en Allemagne pour y être élevés et pour devenir citoyens allemands ; est-ce exact ?
J’ai découvert cela dans des documents qu’on a présentés ici, mais je n’en étais pas responsable.
Vous l’ignoriez auparavant ? Est-ce que quelqu’un vous a dit qu’il était en accord avec le Droit international de déporter de force les gens en Allemagne pour les y faire travailler ?
Le Führer m’a donné l’ordre urgent de prendre cette mesure, et on me l’a présentée comme une chose admissible. Aucun service n’a émis d’objections ou n’a exprimé de scrupules quant à ces mesures que j’avais à prendre ; au contraire.
Mais ce n’est pas ce que je vous demande. Je vous demande : quelqu’un vous a-t-il dit que c’était en accord avec le Droit international ?
Non.
Vous saviez que le ministère des Affaires étrangères avait à s’occuper de ces questions, n’est-ce pas ?
Je me suis entretenu avec le ministère des Affaires étrangères à plusieurs reprises, et tout cela a été jugé régulier parce que nous étions convaincus que dans ces territoires, en raison des actes de capitulation, l’introduction des prescriptions et ordonnances allemandes était régulière. C’était admissible et possible dans les circonstances données et en raison des accords existants. Telle était ma conviction.
Voulez-vous prétendre que le ministère des Affaires étrangères vous a dit que vous pourriez, d’après les stipulations du Droit international, forcer les gens qui étaient en Russie à venir travailler en Allemagne ?
Le ministère des Affaires étrangères ne m’a jamais rien dit de contraire à cela, mais je crois qu’il n’était pas compétent pour les questions de l’Est. Je ne le sais pas.
Mais à qui avez-vous demandé conseil à ce sujet ?
Ces dispositions existaient déjà avant que je n’entre en fonctions. Les décisions avaient déjà été prises ; le Führer m’a confié cette mission en me donnant des instructions expresses pour l’exécuter.
Donc, vous n’avez rien demandé à personne. Est-ce exact ?
Je n’ai et je ne pouvais interroger personne parce que les services dont je parle me demandaient ces mesures et les acceptaient. Il n’y a jamais eu de discussion ni d’opposition.
Et vous avez dit que ce n’était pas le travail de la Police que d’aider au recrutement de la main-d’œuvre ?
Ce n’était pas la tâche de la Police de procéder au recrutement.
Oui, mais pourquoi avez-vous dit à la conférence du 4 janvier 1944 — dont il est question dans le document PS-1292 — que vous feriez tout ce qui était en votre pouvoir pour fournir la main-d’œuvre exigée, mais que votre succès dépendrait exclusivement d’agents d’exécution allemands et que vous ne pouviez pas le faire sans avoir des agents d’exécution venant de l’intérieur ? Cela ne veut-il pas dire que la Police devait intervenir en faveur de vos programmes de recrutement ?
Cela n’avait pas cette signification. J’exprimais autre chose. Le compte rendu de ce procès-verbal n’est pas très exact. J’ai dit devant le Führer à ce moment-là que je ne pourrais probablement pas réaliser son programme parce que, dans de vastes parties de territoires, il y avait des partisans, et qu’aussi longtemps que ces partisans ne seraient pas mis hors d’état de nuire, ce qui permettrait à l’administration de s’installer, on ne pourrait pas procéder à un recrutement. Il fallait d’abord rétablir des conditions administratives normales. Cela ne pouvait être fait que par les organismes destinés à ce genre de travail.
Que vouliez-vous dire par « agents d’exécution allemands » ?
J’entendais l’administration normale. Mais ces agents étaient trop faibles dans certains territoires.
Mais alors, pourquoi le Reichsführer SS a-t-il expliqué que les agents mis à sa disposition étaient extrêmement rares, si ces agents en question n’appartenaient pas à la Police ?
Je n’avais tout d’abord pas compris cette question. Je crois que le Reichsführer a fait ressortir, pour autant que je me souvienne, que pour la pacification de ces territoires, il ne disposait pas d’un personnel suffisant parce que tout le monde était au front. Cela ne se rapportait pas au recrutement ni aux obligations dépendant de l’administration, mais au rétablissement d’une situation normale dans ces territoires.
Alors, vous prétendez que ce n’était pas la fonction de la Police de vous aider dans le recrutement, mais que c’était la tâche qui incombait à l’Armée ?
C’était tout à fait variable, suivant les prescriptions édictées dans les différents territoires. Il y avait des territoires dans lesquels le commandant militaire avait seul le pouvoir exécutif, et il y avait d’autres territoires dans lesquels c’était l’administration civile qui avait les pouvoirs. Il y avait une troisième catégorie de territoires qui étaient les zones d’opérations et les arrières de ces zones, dans lesquelles c’étaient les commandants des armées qui détenaient le pouvoir d’exécution.
Mais alors, c’était ou l’Armée ou la Police, ou une autre force quelconque qui devait s’occuper d’exécuter votre recrutement forcé. Est-ce exact ?
Oui. Mais dans ces territoires aussi, il y avait une administration civile qui ne s’identifiait pas avec la troupe ou avec la Police. Ces services représentaient des branches autonomes de l’administration à l’intérieur de ces zones d’armée. Ils avaient leur propre chef administratif.
Je ne comprends pas alors ce que vous voulez dire lorsque vous prétendez que votre tâche ne pouvait pas être menée à bien avec l’aide de ces agents d’exécution allemands. C’est tout ce que j’ai à demander. L’accusé peut reprendre sa place à son banc.
Monsieur le Président, je reviens au document n° 3 — c’est un schéma des services de Sauckel — afin d’y voir la situation du témoin que je vais citer.
Au ministère du Travail, différents services étaient subordonnés à Sauckel, et parmi ceux-ci, le service de Timm, qu’on appelait l’office d’Europe, qui, à son tour, était divisé en trois sections : l’une pour l’Ouest, l’autre pour l’Est, et la troisième pour le Sud et le Sud-Ouest. Avec la permission du Tribunal, je citerai donc le témoin Timm.
Voulez-vous nous dire votre nom ?
Max Timm.
Voulez-vous répéter ce serment après moi : « Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète le serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Monsieur le témoin, vous avez travaillé au ministère du Travail du Reich, à la Direction du recrutement de la main-d’œuvre, n’est-ce pas ?
Oui.
Y étiez-vous déjà lorsque Sauckel est entré en fonctions ?
Oui. J’étais déjà à l’administration du Travail depuis quelques années.
Quelle impression avez-vous eue lorsque Sauckel, votre nouveau chef, est entré en fonctions ?
Lorsque Sauckel est entré en fonctions, j’ai eu l’impression d’un homme très énergique, très travailleur, qui, parfois, était trop impulsif, avec des accès de colère, qui exigeait beaucoup de ses collaborateurs mais qui était également très exigeant à son propre égard.
Comment se comportait-il dans l’exécution des mesures qu’il édictait ?
Lorsqu’il est entré en fonctions, il a trouvé ce domaine du recrutement de la main-d’œuvre dans un grand désordre. Tout le monde s’en occupait.
Est-ce que c’est la raison pour laquelle on a créé cet office ?
Les chefs précédents n’avaient pas eu assez d’énergie pour arriver à leurs fins malgré les obstacles, et Sauckel a été l’homme énergique, en particulier dans le domaine politique, qui devait remettre tout cela en ordre.
Comment Sauckel s’y est-il pris pour entamer cet ouvrage ? S’est-il conformé aux dispositions administratives, ou bien l’a-t-il fait librement ? A-t-il fait cela d’une manière nouvelle, sans contrainte ?
Il considérait sa tâche surtout comme une tâche politique, mais il s’est toujours efforcé d’obtenir que les choses administratives se déroulassent dans l’ordre. Il était généralement connu comme un Gauleiter favorable aux fonctionnaires. D’ailleurs, pour informer tous les services de son administration, il organisait de temps à autre ce que l’on appelait des « Stabsbesprechungen », des conférences de service, où l’on discutait toutes les questions importantes.
Quelles étaient vos fonctions dans son service ?
Tout d’abord, j’ai travaillé dans le service de recrutement de la main-d’œuvre, où j’ai eu une sous-section, puis plus tard une section.
De quoi s’occupait cette section ?
Cette section dirigeait la répartition technique de tous les travailleurs et, en particulier, les questions de capacité professionnelle des ouvriers, de formation professionnelle, d’orientation professionnelle et d’agences de placement pour apprentis.
Est-ce que vous aviez une vue d’ensemble sur ce qui se passait dans vos services ?
Pas complètement. Je n’avais pas une vue d’ensemble parce que le Gauleiter Sauckel était en même temps resté Gauleiter de Thuringe, et il travaillait également à Berlin dans la maison de Thuringe, alors que les services spéciaux qui avaient été mis à sa disposition restaient au ministère du Travail.
Vous n’avez pas compris ma question. Je vous ai demandé si vous, de votre service, aviez une vue d’ensemble sur tout ce qui se passait dans le service de recrutement de la main-d’œuvre, compte non tenu de l’activité de Sauckel ?
Oui, je vois. Non, je n’avais pas une vue d’ensemble complète, parce que les services étaient très fractionnés et nous n’avions pas connaissance de tout ce qui arrivait.
En quoi consistaient les conférences de service ? Qui y participait ? Quels étaient ceux qui y participaient ?
On invitait à ces conférences surtout ceux qui assuraient la liaison entre les différents services.
Qui étaient ces gens ?
C’étaient des gens de toutes sortes, fonctionnaires, économistes et autres.
Vous devriez nous dire à quels services ils appartenaient, ou étaient-ils tous des subordonnés de Sauckel ?
C’étaient surtout des hommes qui provenaient d’autres services, comme par exemple un représentant du délégué au Plan de quatre ans, un représentant du ministère de l’Armement, un représentant des territoires occupés de l’Est et d’autres ministères.
Est-ce ce que l’on a appelé l’État-Major technique du travail ?
Oui, c’est bien cela.
Combien comprenait-il de personnes à peu près ?
J’estime qu’il devait y en avoir environ, 15 à 20.
A côté de cela, Sauckel avait son état-major de travail personnel, n’est-ce pas, et qui se composait de quelle sorte de gens ?
Il était composé surtout de collaborateurs que Sauckel avait amenés de Weimar. C’étaient des gens de son entourage immédiat.
Avait-il aussi des conseillers ? Qui étaient-ils ?
Il avait également deux conseillers personnels, le Landrat Berch et le Ministerialrat Dr Stothfang.
Quel poste occupait le Dr Didier ?
Autant que je me rappelle, celui d’attaché de presse.
Comment se passaient ces réunions ? Quel était leur objet ?
Lors de ces conférences de service, on discutait toutes les questions du recrutement de la main-d’œuvre pour l’ensemble de l’Allemagne. En guise d’introduction, M. Sauckel faisait en général un exposé détaillé au cours duquel il nous exposait ses projets d’avenir.
Est-ce que les questions du recrutement dans les territoires occupés étaient également discutées ? Et, ce qui est intéressant ici, est-ce qu’on y parlait des difficultés qui existaient et des méthodes utilisées, dont nous avons entendu parler ici ? Qu’en disait-on ?
Les questions du recrutement n’y étaient pas discutées, en général, ou peu, mais plutôt les questions concernant le Reich.
Je vous ai interrogé d’abord sur les territoires occupés. Est-ce que, par exemple, on a parlé d’un incident qui a été traité ici : le fait d’avoir cerné un cinéma pour permettre d’arrêter les spectateurs, ou de cas semblables ?
Oui, l’affaire de ce cinéma m’est connue.
Elle a été discutée ?
Oui, on en a parlé.
Et qu’a-t-on décidé ?
M. Sauckel a chargé immédiatement différentes personnes — je ne sais plus qui — d’entreprendre de suite toutes les enquêtes possibles pour éclaircir l’affaire.
Est-ce qu’on vous a également signalé d’autres cas ?
Les cas qu’on nous a cités par ailleurs n’étaient pas comparables, dans leur gravité, à celui que je viens de rapporter à l’instant.
A-t-on également parlé de la question des conditions de travail en Allemagne, réservées aux ouvriers étrangers ?
Les questions des conditions de travail ont été également discutées dans ces conférences.
Mais alors, est-ce qu’on ne signalait pas à ce propos qu’il y avait, dans certains camps, ou dans certaines usines, des situations qui prêtaient à critique ?
Oui, on discutait bien de cas de ce genre et en général cela concernait la question de l’habillement, de la nourriture et autres choses semblables.
Mais comment ces informations parvenaient-elles à ces conférences ? Qui est-ce qui présentait ces questions ? Comment les apprenait-on ?
M. Sauckel a toujours attaché une grande importance à ce que ces choses fussent vérifiées sur place, et il entretenait un système très étendu d’inspection pour se tenir au courant de ces questions ; les rapports des inspecteurs étaient alors l’objet d’une discussion détaillée lors de nos réunions.
J’ai une déclaration à faire.
Après avoir considéré la requête du Ministère Public en date du 21 mai, et le mémorandum de la Défense en date du 29 mai, le Tribunal décide ce qui suit : La demande du Ministère Public, tendant à ce que les arguments concernant l’innocence ou la culpabilité des accusés soient présentés après les preuves concernant les accusés individuels et avant la requête de celles concernant les organisations, est accordée.
Toutefois, le Tribunal ne décidera pas de la culpabilité ou de l’innocence des accusés individuels jusqu’à ce que toutes les preuves aient été entendues ; s’il apparaît à un avocat que certaines des preuves touchant aux organisations semblent devoir étayer la défense d’un accusé, il pourra demander à être entendu à ce sujet. Le Tribunal, après avoir entendu l’exposé des preuves concernant les accusés individuels, entendra d’abord les plaidoiries en leur faveur et ensuite le réquisitoire du Ministère Public. Les déclarations individuelles de chaque accusé seront entendues à la fin du Procès, avant la proclamation du jugement.
Le Tribunal est d’avis que les plaidoiries sur la culpabilité ou l’innocence des accusés individuels seront plus utiles si elles ont lieu immédiatement après la présentation des preuves les concernant et avant que le Tribunal, en ayant terminé avec eux, passe ensuite à la question des organisations. De plus, de cette façon, les commissaires qui recueillent les témoignages sur les organisations auront plus de temps pour terminer leur travail. Les accusés ne seront lésés en aucune sorte par cette procédure. En dehors du fait que leur procès est tout à fait différent de celui des organisations, ils pourront appeler à l’attention du Tribunal toute circonstance utile à leur défense qui aura apparu au cours des débats sur les organisations.
Le Tribunal ne trouve rien dans le Statut qui interdise cette procédure, et l’article 9 laisse le Tribunal libre de la façon dont il entendra les témoignages relatifs aux organisations. Les avocats des accusés ne seront pas autorisés à contre-interroger les témoins appelés par les avocats des organisations, ou à prendre une part quelconque aux débats, sauf s’ils sont spécialement autorisés à le faire par le Tribunal.
J’en ai terminé. Le Tribunal siégera demain à 10 heures, en audience publique, jusqu’à une heure de l’après-midi.