CENT QUARANTE-QUATRIÈME JOURNÉE.
Samedi 1er juin 1946.
Audience du matin.
Puis-je demander au Tribunal d’autoriser l’accusé von Papen à ne pas assister à l’audience lundi et mardi afin de préparer sa défense ? Il sera représenté par mon confrère le Dr Nelte. (Le témoin Timm vient à la barre.)
Monsieur le témoin, hier nous avons parlé en dernier lieu des conférences de service. Je n’y reviendrai pas maintenant, mais par la suite, en parlant du contrôle. Je voudrais d’abord examiner avec vous les rapports des services de Sauckel avec les autorités dont il dépendait et je voudrais que vous nous les expliquiez. De qui dépendait Sauckel ?
Le plénipotentiaire à la main-d’œuvre était subordonné au délégué au Plan de quatre ans.
Et quels étaient ses rapports avec Hitler ?
Le plénipotentiaire à la main-d’œuvre avait avec Hitler des relations très étroites ; autant que possible, il lui présentait ses projets au cours d’entretiens personnels.
Y avait-il une liaison constante avec les services du Plan de quatre ans, à l’aide d’un agent de liaison ? Comment cela se passait-il ?
Il y avait différents moyens de maintenir une liaison active. Il y avait des agents de liaison des deux côtés. Le plénipotentiaire envoyait du personnel faisant partie de son entourage immédiat au service du Plan de quatre ans et de l’autre côté, si mes souvenirs sont exacts, il y avait presque constamment des membres du personnel du Plan de quatre ans qui assistaient aux conférences, à ces Stabsbesprechungen. De plus, le plénipotentiaire général à la main-d’œuvre avait très souvent des conférences, des entretiens personnels avec le délégué pour le Plan de quatre ans.
Quelle était la collaboration avec les autres ministères, d’abord avec Goebbels, par exemple ?
Le plénipotentiaire général attachait une importance de principe à ce qu’une liaison aussi étroite que possible existât avec les autres ministères pour pouvoir leur faire connaître d’avance ses projets. Sa collaboration avec le ministère de la Propagande n’a pas toujours été très bonne, et en particulier, elle ne l’a pas été à l’époque où le ministre Goebbels est devenu délégué à l’Effort de guerre totale.
Au moment où l’on a décrété la guerre totale, Sauckel dépendait-il de Goebbels ?
Leur situation respective n’a jamais été très claire. A mon avis, il fallait envisager les choses de la manière suivante : le délégué à la guerre totale avait obtenu des pouvoirs très étendus pour toutes les tâches à accomplir et par conséquent, en fait, il représentait, pour celui qui était chargé de la main-d’œuvre, une autorité supérieure.
Et en ce qui concerne les autres ministères, par exemple le ministère du Ravitaillement ?
Sa collaboration avec ce ministère était très efficace et, en particulier, les rapports avec le secrétaire d’État Backe, dans la mesure où je puis en juger, ont toujours été excellents. Il existait également des rapports constants entre spécialistes des deux services touchant à des questions de ravitaillement en général.
Docteur Servatius, quelle est la date de la proclamation de la guerre totale ?
Le témoin sait peut-être à quelle date on a décrété la guerre totale ?
Non. Je n’ai pas cette date présente à l’esprit.
C’était après la chute de Stalingrad, mais je ne puis pas donner la date exacte.
Très bien, continuez.
En ce qui concerne Himmler, comment travaillait-on avec ses services ?
Je ne crois pas qu’il y ait eu des relations étroites entre les services de Sauckel et ceux de Himmler. Dans l’état-major du travail de Sauckel, il y avait un agent de liaison du Reichsführer SS, surtout pour des questions de police d’ordre général, dans la mesure où elles pouvaient surgir au sujet du recrutement de la main-d’œuvre.
De quel genre de questions s’agissait-il ?
Il s’agissait de questions les plus diverses, en particulier la question de l’emploi des étrangers et des insignes qu’ils pouvaient porter.
Et sans doute également la question des fils de fer barbelés ?
Oui, les questions de fils de fer barbelés et toutes les questions du ressort de la Police.
Et puis aussi le problème des camps d’entraînement au travail ?
Comme je n’étais pas spécialiste en ces matières, ces choses ne me sont pas aussi présentes à l’esprit et je ne puis pas dire exactement si elles ont fait l’objet de conférences.
Je voudrais maintenant passer aux relations qui existaient entre les services de Sauckel et les territoires occupés. A qui s’adressait-on pour traiter des questions de demandes intéressant les territoires occupés ?
Il fallait s’adresser aux gouvernements des territoires occupés, que ce fussent les commandants militaires, les commissaires du Reich ou d’autres.
Quelle était la position de ceux qui étaient chargés de mission par Sauckel ?
Les représentants de Sauckel avaient été institués pour agir d’après ses plans, instructions et ordonnances et pour les faire exécuter de manière énergique ; mais le but n’a pas été atteint parce qu’ils n’avaient pas réussi à s’imposer. Je me souviens que c’est pour cela que le plénipotentiaire général avait l’intention d’obtenir de la part de Hitler des instructions plus complètes et des pouvoirs plus étendus encore. Je crois me rappeler qu’une fois le plénipotentiaire général nous a fait savoir qu’il avait appris de Hitler ou de son entourage immédiat que le Führer n’avait pas l’intention d’étendre ses pouvoirs parce qu’il n’était pas en mesure de relever les gouvernements des territoires occupés et surtout les commandants militaires d’une partie de leur responsabilité et de leurs pouvoirs généraux. Si bien qu’il ne restait au plénipotentiaire général à la main-d’œuvre que la voie consistant à présenter ses desiderata en entamant des négociations directes.
Mais alors, pourquoi ces représentants n’ont-ils pas réussi à s’imposer ?
Tout ce qu’ils pouvaient faire, c’était d’essayer de traiter avec les gouvernements en question, mais les résistances étaient si fortes qu’ils n’ont pas réussi à s’imposer.
Ces délégués n’avaient-ils pas en même temps d’autres fonctions ?
Étant donné qu’on ne pouvait pas obtenir une autonomie complète de ces fonctions, on est arrivé, par le moyen de négociations, à introduire ces délégués dans les administrations de ces différents territoires occupés où, à quelques exceptions près, on leur confiait la direction de la section de la main-d’œuvre ou bien on les intégrait dans la section « Économie et main-d’œuvre ». En général, ils étaient intégrés dans le gouvernement militaire des territoires occupés comme des fonctionnaires administratifs.
C’était une espèce de fusion, deux postes remplis par une personne ?
Oui, jusqu’à un certain point, mais le plus important des deux se trouvait être le poste de chef de section du gouvernement des territoires occupés.
Mais quelle a été l’origine de cette fusion de personnel ? Est-ce sur l’initiative de Sauckel ou sur celle des administrations locales qu’elle a eu lieu ?
Elle a résulté, autant que je sache, d’entretiens avec les gouvernements des territoires occupés sur la position des délégués en général. Les gouvernements des territoires occupés ne voulaient en aucun cas tolérer dans leur secteur des agents qui fussent autonomes par rapport à leur propre gouvernement et qui fussent nantis de pouvoirs spéciaux.
Par conséquent, l’initiative des délégués s’en trouva amoindrie ?
Sans aucun doute, par rapport à la conception primitive de leur rôle.
Comment Sauckel a-t-il exercé le droit dont il disposait de donner des directives ?
Ce droit s’est exercé dans la forme suivante : les instructions, les décrets, les ordonnances étaient adressés par la voie administrative normale en employant le canal des services centraux.
Pouvait-il, avec ces instructions, couvrir tout ce qui se passait ou bien y avait-il également d’autres services qui s’occupaient du recrutement de la main-d’œuvre ?
A ce moment-là, malheureusement, on a été obligé de constater que, même après la nomination du délégué général à la main-d’œuvre, il y avait toujours d’autres services qui s’immisçaient dans la question du recrutement et qui procédaient au recrutement, sans avoir ni le pouvoir ni l’autorité d’agir.
De quelle époque parle-t-il ? Il dit « à cette époque-là ».
A quelle époque était-ce ?
A l’époque où le délégué général à la main-d’œuvre avait déjà été nommé.
Quand a-t-il été nommé ?
Il a été nommé en mars 1942.
De quelle façon était fait le recrutement ? Est-ce que c’était sur la base du volontariat ? Quelles distinctions pouvez-vous établir ?
En principe, le recrutement était fait sur la base volontaire, étant donné qu’au point de vue technique, donc du point de vue de l’utilisation de la main-d’œuvre recrutée, seul le recrutement volontaire pouvait amener des résultats, c’est-à-dire amener des ouvriers heureux et capables de travailler et pouvant atteindre le niveau de production nécessaire.
Était-ce là le point de vue sur lequel insista Sauckel ?
Pendant tout le temps de ma collaboration avec Sauckel au ministère du Travail, je n’ai jamais eu connaissance d’un cas où Sauckel eût exprimé un point de vue différent. Il a toujours fait ressortir que la base du recrutement devait être la liberté.
Il a publié, n’est-ce pas, toutes sortes d’instructions et prononcé beaucoup de discours, mais n’a-t-il pas dans le cercle intime...
Docteur Servatius, et vous également, témoin, voulez-vous, s’il vous plaît, observer des pauses entre les questions et les réponses ; les phrases du témoin me semblent continuer sans aucun intervalle ; s’il s’arrêtait, il donnerait à l’interprète le temps de traduire.
Oui, Monsieur le Président. Sauckel a publié un certain nombre d’instructions et fait des discours, tous dans le même sens ? Ne vous-a-t-il pas donné des instructions confidentielles plus sévères ?
Les instructions que nous recevions dans nos services s’accordaient toujours, en principe, avec les instructions qu’il donnait dans les cercles plus étendus, lors de conférences présidentielles ou autres.
Quel fut le résultat du recrutement volontaire ? Les ouvriers venaient-ils simplement par recrutement, c’est-à-dire sur la base des conditions qui leur étaient décrites ?
Oui.
Combien y en eut-il, à peu près ?
Il ne m’est naturellement pas possible de donner le chiffre exact. Mais en y réfléchissant, je crois pouvoir dire que 2.000.000 à 3.000.000 peut-être d’ouvriers peuvent être considérés comme ayant été recrutés sur une base volontaire.
Et d’autres ouvriers sont venus sur la base du service du travail obligatoire qui fut introduit dans les territoires occupés ?
Oui.
A combien estimez-vous leur nombre ?
Il m’est à peine possible de procéder à une estimation à ce sujet. Étant donné que 2.000.000 à 3.000.000 sont venus volontairement, le reste doit tomber dans la catégorie dont vous parlez.
Il y a eu également des déportés. Savez-vous avec précision ce qu’il faut entendre par « déportation » ?
Puis-je vous demander ce que vous entendez par là ? Les personnes qui ont été déportées pour des raisons d’ordre militaire ou pour des raisons analogues ? Je ne vois pas très bien ce que vous entendez par là.
Vous ne savez pas ce que sont les déportations ?
C’est-à-dire le transport obligatoire, par la force ? Je n’ai pas eu connaissance de mesures semblables prises par le service du délégué général à la main-d’œuvre.
En rapport avec le recrutement et le service obligatoire du travail, on a adressé toute une série de reproches très graves au sujet des abus qui ont été commis. Dans quelle mesure en avez-vous été informé ?
Je comprends votre question de la manière suivante : vous parlez des abus qui ont pu se produire lors du recrutement ?
Oui.
Je ne sais rien de positif sur les abus commis lors du recrutement. Dans la mesure où je puis être renseigné, le délégué général à la main-d’œuvre n’a jamais eu connaissance d’abus de ce genre. J’ai dit hier, en réponse à une question qu’on m’a posée, que je connaissais l’incident du cinéma qu’on avait cerné et que je ne me souvenais d’aucun cas dont la gravité eût dépassé celui-là.
J’en viens aux conditions en Allemagne. Avez-vous entendu parler de conditions extrêmement mauvaises ? Vous devez avoir lu des journaux et vous savez bien ce que cette accusation signifie. Qu’avez-vous appris, vous qui étiez une des personnes les plus directement renseignées ?
Il y a eu des plaintes concernant le traitement des étrangers qui provenaient de différents côtés et étaient adressées au délégué général à la main-d’œuvre. En général, ces plaintes se rapportaient à des questions d’habillement, de ravitaillement, de barbelés et aussi à cette question qui revenait bien souvent, la question de l’insigne porté par les ouvriers étrangers.
Monsieur le témoin, le Ministère Public parle ici des crimes contre l’humanité :
Oui.
Est-ce que ce sont là des choses qui arrivent fréquemment et journellement dans une administration normale ou s’agissait-il, pour ainsi dire, de faits d’un caractère à être rapporté ?
Je n’ai pas eu connaissance, maître, de situations que vous qualifiez de catastrophiques ; si cela c’était produit, j’en aurais le souvenir.
Qui surveillait l’exécution des directives ? Comment ces faits vous parvenaient-ils, ou auraient dû parvenir à votre connaissance ?
Il existait différents services du contrôle de l’emploi des travailleurs étrangers, cinq ou six. En particulier, le Front du Travail allemand, de son propre chef et sur la base d’une soi-disant décision du Führer, était chargé de s’occuper de l’administration des ouvriers étrangers. Et je me permettrai à ce sujet de mentionner que le Front du Travail faisait toujours ressortir que sa mission était d’un ordre supérieur à celle du plénipotentiaire général au recrutement de la main-d’œuvre, qu’il était investi de cette tâche par un droit plus élevé et chargé d’accomplir le contrôle des conditions de vie, du bien-être, etc. Des entretiens fréquents sur ce problème ont eu lieu entre le délégué général à la main-d’œuvre et le Front du Travail allemand, qui ont abouti plus tard à un accord, aux termes duquel ces questions étaient transférées par le délégué général au Front du Travail. Pour le règlement de ces questions, le Front du Travail allemand établit une inspection centrale qui avait, dans tout le Reich, pour mission d’administrer les ouvriers étrangers. A côté de cette institution centrale d’inspection, il y avait l’Office de recrutement du travail qui fonctionnait encore à l’intérieur du Front du Travail allemand.
Nous y reviendrons tout à l’heure.
Oui.
Quelle liaison y avait-il alors entre les services de Sauckel et cette inspection du Front du Travail ? Comment les contacts étaient-ils maintenus ?
Il y avait d’une part un agent de liaison du Front du Travail allemand qui était au cabinet de Sauckel.
Qui était-ce ?
M. Hoffmann, et d’autre part, l’inspection centrale du Front du Travail allemand avait en permanence des conférences sur le travail de ses inspecteurs pendant lesquelles on convoquait un fonctionnaire dépendant du service du délégué général à la main-d’œuvre.
Cet agent de liaison Hoffmann faisait vraisemblablement des rapports sur ce qu’il entendait au Front du Travail allemand ?
Oui.
Quelle était la matière de ces rapports ?
Ce qu’il rapportait était de même nature que ce que j’ai décrit tout à l’heure.
Le Front du Travail allemand était-il déjà chargé de cette mission avant la création du service de Sauckel ?
Le Front du Travail allemand estimait comme moi...
Oui, mais Monsieur le témoin, il faut que vous me répondiez. Le Front du Travail avait-il déjà cette tâche avant l’arrivée de Sauckel ?
Oui, certes.
Le Front du Travail voyait-il une limitation à ses pouvoirs dans le fait de la nomination de Sauckel ?
C’est justement ce que je voulais faire ressortir : le Front du Travail considérait que ses propres attributions étaient générales et comprenaient le domaine tout entier ; et lors-qu’en fait il se rendit compte que le plénipotentiaire nouvellement nommé s’occupait de ces questions avec tant d’intensité et de soin, il y vit un certain empiètement sur ses pouvoirs.
Y a-t-il eu un accord entre Ley et Sauckel ?
Oui.
Sur la demande de qui cet accord a-t-il été conclu ?
Pour autant que je m’en souvienne, l’origine en est dans le désir exprimé par le Front du Travail allemand.
Quel était le but de cet accord ?
Je ne puis donner naturellement que mon opinion personnelle, niais je crois que son but était d’exprimer la compétence générale du Front du Travail allemand pour tout ce qui concernait la question de la main-d’œuvre.
Qui a présenté cet accord...
Nous ne possédons pas cet accord conclu entre Sauckel et Ley ?
Il a été présenté par le Ministère Public.
Puisque nous l’avons, nous n’avons absolument pas besoin de ses souvenirs personnels.
Le témoin revient évidemment beaucoup trop en arrière ; je voulais simplement savoir qui avait suggéré et préparé cet accord ; et quand il avait été signé. Il y a deux dates à la fin de ce document, autant que je me rappelle.
Je crois, Monsieur le Président, que le document dont on parle a été déposé au Tribunal ; il s’agit du document PS-1913.
Il est dans mon premier livre de documents, à la page 79, et dans le livre de documents anglais, à la page 74. Dans le premier texte, on peut trouver...
Que cherchez-vous ? Nous n’avons absolument pas besoin d’entendre un témoin qui prétend qu’il ne se souvient pas des détails, alors que nous avons le document devant nous. Nous n’avons pas du tout besoin de savoir à la demande de qui cet accord a été entrepris.
Il y avait encore d’autres services d’inspection. C’est ainsi, par exemple, que le Gauleiter jouissait de pleins pouvoirs en matière de main-d’œuvre. Dans quelle mesure ces Gauleiter faisaient-ils des rapports sur les questions de main-d’œuvre qui se posaient dans leur Gau ?
Conformément à l’instruction n° 1, les Gauleiter étaient chargés par le délégué général de s’intéresser précisément à ces questions.
Mais qu’envoyaient-ils comme rapports ?
A ma connaissance, il n’y a pas eu sur ce sujet de rapports écrits de quelque importance émanant des Gauleiter. Il ne venait presque jamais de lettres de ces Gauleiter sur cette question ; en tout cas, on n’en recevait pas dans nos services.
A cette occasion, je voudrais éclaircir un point : la position des Gauleiter comme délégués au recrutement et leurs rapports avec les offices de placement des Gaue. Le Gauleiter était-il le président des offices de placement du Gau ou quels étaient leurs rapports respectifs ?
Le président de l’office de placement du Gau dépendait indubitablement, du point de vue administratif, du délégué général à la main-d’œuvre, donc du ministre du Travail. Mais le délégué général avait imposé aux chefs des services de placement dans les Gaue d’avoir des rapports étroits avec les Gauleiter et de les tenir au courant de ce qui se passait dans le domaine de leur compétence, en particulier lorsqu’il y avait des crises où des difficultés ; dans ce cas, les chefs des offices de placement devaient s’adresser aux Gauleiter et réclamer leur aide.
Donc le Parti, en tant que tel, n’avait rien à voir avec le recrutement de la main-d’œuvre, si j’ai bien compris ?
C’est exact, si vous posez la question de cette façon-là. Je voudrais dire que l’institution du délégué général faisait ressortir le caractère politique de la question du recrutement et que les Gauleiter, selon leurs tendances personnelles, s’occupaient plus ou moins de la question du recrutement de la main-d’œuvre.
En tant qu’organisme de surveillance ?
Oui, dans toutes les questions se rapportant au recrutement.
Monsieur le témoin, vous comprendrez que l’on entendra avec beaucoup de scepticisme vos déclarations sur des faits qui ont été présentés par le Ministère Public. N’avez-vous pas appris, en dehors de votre service, et vu des choses qui, il est vrai, n’ont pas été portées à votre connaissance officiellement, mais qui, tout de même, auraient dû vous engager à procéder à une enquête plus détaillée ?
Naturellement, çà et là on entendait parler de cas où des ouvriers étrangers subissaient de prétendus mauvais traitements. Dans la mesure où de tels faits étaient portés à ma connaissance, je les ai toujours considérés comme des questions de service et j’ai fait un rapport ou j’ai veillé à ce que ces questions fussent réglées. Dans de telles circonstances, on a tout de suite procédé aux constatations nécessaires et on a fait le nécessaire pour obtenir des éclaircissements.
Mais est-ce que ces cas individuels ne révélaient pas les conditions générales de l’ensemble ?
Non, je ne crois pas. En tout cas, rien de catastrophique n’a jamais été porté à ma connaissance ; comme je l’ai déjà dit, cela se rapportait presque toujours à des questions de traitement, habillement, hébergement et ainsi de suite...
Quel était le rendement ? Et quel était l’état d’esprit des travailleurs ?
Le rendement des travailleurs étrangers était très variable. Celui des travailleurs de l’Est était particulièrement bon ; à cause de ce rendement, ils étaient très recherchés. Celui des ouvriers français spécialisés était très bon.
Cela suffit. Je dois revenir encore une fois sur la question des relations avec les territoires occupés. Avez-vous participé à des négociations entreprises avec des services dans les territoires occupés ?
Pas à l’Est, mais parfois à l’Ouest, parce que j’ai accompagné le délégué général au cours de certains voyages à l’Ouest, et j’ai participé à certaines négociations.
L’avez-vous accompagné quand il est allé chez le général Falkenhausen ?
Oui, j’ai assisté à ces négociations.
Quelle était la nature de ces négociations ? Je veux parler de l’esprit. Est-ce que les rapports étaient tendus ou est-ce qu’au contraire ces négociations avaient un caractère amical ?
Les entretiens avec le général Falkenhausen auxquels j’ai assisté étaient en général d’assez courte durée. J’avais l’impression que les deux interlocuteurs ne s’entendaient pas parfaitement bien.
Qu’importe que ces entretiens aient été amicaux ou non, ou brefs ? Cela n’a aucune importance.
Le général Falkenhausen a fait une déclaration sous serment qu’on a présentée ici. Dans cette déclaration, il prétend que Sauckel lui aurait donné des ordres et aurait négocié avec lui d’une manière qui l’aurait incité, lui, Falkenhausen, à lui opposer la plus vive résistance.
Mais si vous voulez contredire la déclaration du général Falkenhausen, présentez-là au témoin, si vous le voulez.
Je n’ai pas cette déclaration sous la main et, en conséquence, je renonce à cette question. (Au témoin.) Vous êtes allé en France également ?
Oui.
Avez-vous assisté à des négociations menées avec des services français ?
J’ai assisté à des négociations avec le président du conseil Laval.
Et quelle était la nature de ces négociations ?
Ces négociations se déroulaient dans une atmosphère que l’on peut bien qualifier de très amicale.
Les Français ont-ils présenté des plaintes ?
Des plaintes isolées avaient été présentées : elles se rapportaient surtout à la question du transfert des salaires.
Je voudrais vous demander s’il y a eu des plaintes à propos du traitement dès ouvriers, des méthodes de recrutement, des mesures coercitives et autres.
Non, en tout cas, je ne m’en souviens pas. D’ailleurs, s’il y en avait eu, je m’en souviendrais certainement.
J’ai encore quelques questions à vous poser concernant les rapports qu’avait Sauckel avec le Comité central du Plan et avec Speer. Vous avez vous-même représenté Sauckel à plusieurs reprises au Comité central du Plan ?
Oui, à plusieurs reprises.
Quelle était l’attitude du Comité central du Plan à l’égard de Sauckel ?
Le Comité central du Plan était une institution du Plan de quatre ans : sa tâche consistait, dans la mesure où cela concernait le secteur du délégué général, à réunir toutes les demandes de main-d’œuvre faites par les gros employeurs et à prendre des décisions sur ces demandes au cours de réunions régulières. Étant donné que le délégué général ne pouvait pas, de son propre chef, juger exactement la nature des différentes demandes de main-d’œuvre, on présentait ces questions au Comité central du Plan pour obtenir une solution. On a essayé d’obtenir, pour un temps aussi long que possible, ce que j’aimerais appeler un « bilan de main-d’œuvre » et cela en rapport...
Mais est-ce que Sauckel ne nous en a pas déjà parlé ?
Oui.
Alors il n’est pas nécessaire de poser la même question à un autre témoin.
Bien, Monsieur le Président. (Au témoin.) Vous connaissez la situation de Speer. Quelle était son attitude envers Sauckel et vice versa ? Speer pouvait-il, en particulier, donner des instructions à Sauckel ?
Speer était délégué général à l’industrie de l’armement et Sauckel était à ce moment délégué général à la main-d’œuvre ; Speer défendait le point de vue selon lequel, en tant que ministre de l’Armement, il était compétent pour tout ce qui concernait l’armement, c’est-à-dire matières premières, charbon, etc., et également pour la main-d’œuvre. Il estimait qu’en conséquence il pouvait avoir une influence déterminante dans ce domaine.
Speer pouvait-il donner des ordres ou des instructions à Sauckel ? Y a-t-il eu effectivement des ordres donnés ?
Oui, au point de vue de la forme. Comme je l’ai dit, la situation n’était pas claire et il y avait deux conceptions en présence. En fait, il y avait toujours une certaine friction entre ces deux hommes parce que le ministère de l’Armement voulait plus ou moins prétendre au pouvoir de donner des directives. Cette situation était, en général, éclaircie par des conversations ou des échanges de correspondance entre les deux hommes, mais quelquefois ces difficultés ont abouti à ce que l’on pourrait appeler des négociations en vue d’une entente, sous la présidence du ministre du Reich Lammers.
Quel a été le résultat de ces négociations, de ces conférences en vue d’un accord ?
Ces entretiens ont alors conduit à des accords qui, dans la mesure où je puis m’en souvenir, ont été fixés par écrit plusieurs fois et qui, à mon avis, ont amené un accroissement de l’influence du ministère de l’Armement dans les questions du recrutement de la main-d’œuvre.
Je n’ai plus de questions à poser.
Est-ce que d’autres avocats désirent poser des questions au témoin ?
Monsieur le témoin, j’aimerais, à propos de votre dernière déclaration, vous poser une seule question. Vous avez déclaré ici qu’il a existé une tension entre l’accusé Sauckel et Speer, du fait que Speer réclamait le droit de donner des instructions à Sauckel. Est-ce que je vous comprends bien lorsque vous déclarez que cette tension résulta du fait que M. Sauckel contesta énergiquement la compétence de Speer en cette matière ?
Comme je l’ai déjà dit tout à l’heure, les difficultés provenaient de ce que Speer estimait, en tant que ministre de l’Armement, qu’il devait disposer des pouvoirs les plus étendus pour tout ce qui touchait à la production et, par conséquent, qu’il était essentiel également à ses yeux de disposer du recrutement de la main-d’œuvre.
Oui, je vous ai bien compris, Monsieur le témoin. Mais ma question ne vise que ceci : est-ce que cette tension avait pour motif le fait que Sauckel contestait le droit qu’avait Speer de lui donner des instructions ?
Sauckel, en sa qualité de délégué général à la main-d’œuvre, estimait qu’il était compétent et responsable pour toutes les questions du recrutement de la main-d’œuvre.
En réponse à des exigences présentées par le ministère de l’Armement qu’il pensait pouvoir considérer comme non justifiées, M. Sauckel n’a-t-il pas développé le point de vue selon lequel sa responsabilité n’était engagée que vis-à-vis du Führer ?
Je n’ai pas souvenir de cela, en tout cas, pas dans cette forme précise. Il était délégué général dans le cadre du...
Mais en réalité, tout cela est très loin de ce que nous avons à envisager. Il y a eu des conférences, nous a-t-il dit, qui ont aplani les difficultés ; qu’y a-t-il d’autre à dire là-dessus ?
La dernière question que je voulais poser au témoin est la suivante : Monsieur le témoin, vous avez parlé de conférences qui ont eu lieu chez le ministre Lammers. Dans les procès-verbaux de la séance du 11 juillet 1944 et de celle du 4 janvier de la même année qui ont été présentés ici, il n’est pas du tout question de telles conférences. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir m’indiquer à quelles conférences chez Lammers vous faites allusion ?
Il ne m’est malheureusement pas possible de dire exactement quand ces conférences ont eu lieu. Je sais seulement que le délégué général à la main-d’œuvre a exprimé très souvent le désir de présenter cette situation au Führer et que les deux hommes, Sauckel et Speer, dans la mesure où mes souvenirs me permettent de le dire, se sont mis d’accord une fois pour en discuter chez le Führer. Et, pour ne pas toujours présenter directement ces questions au Führer, on avait décidé de se réunir chez le ministre Lammers.
Mais vous ne pouvez pas me donner d’indications plus précises à ce sujet ?
Des indications plus précises ? Je me rappelle, par exemple, qu’il s’est agi des entreprises bloquées en France.
Parfait, je vous remercie.
Les représentants du Ministère Public ont-ils des questions à poser au témoin ?
Témoin, avez-vous été membre du parti national-socialiste ?
Oui.
A partir de quelle date ?
En 1933, j’avais fait une demande d’admission qui a, tout d’abord, été refusée. Par la suite, si mes souvenirs sont exacts, ma demande a été agréée en 1934 ou 1935.
Avez-vous été membre de l’organisation des SA ?
J’ai fait partie des SA pendant très peu de temps, puis j’ai quitté l’organisation lorsque des pourparlers ont été entamés à l’intérieur des SA pour me renvoyer. C’est à ce moment-là que je suis parti volontairement.
Avez-vous été membre de l’organisation des SS ?
Non.
Quelles furent vos fonctions à votre entrée dans les services de Sauckel ?
J’étais dans un service du ministère du Travail où l’on s’occupait de placement, d’orientation professionnelle et de formation professionnelle d’apprentis.
Quand avez-vous vu Sauckel pour la première fois ?
Pour autant que je me souvienne, je l’ai vu pour la première fois lorsqu’il a rendu visite au secrétaire d’État Syrup, au ministère du Travail ; on avait prié les différents fonctionnaires d’assister à cette visite.
A quelle époque cela se plaçait-il ?
Je ne puis pas l’indiquer exactement. Je crois que c’était quelques semaines après l’entrée en fonctions de Sauckel en qualité de délégué général à la main-d’œuvre.
Quel était votre poste exact au moment de la nomination de Sauckel ?
J’étais au service général de placement des travailleurs et de secours aux chômeurs. Je dirigeais la section de placement des travailleurs.
Et à la fin, quel était votre poste ?
J’étais conseiller ministériel au ministère du Travail.
Voulez-vous me dire où étaient installés les services de Sauckel à Berlin ?
Je n’ai pas compris la question.
Voulez-vous me dire où étaient installés les services de Sauckel à Berlin ?
A Berlin, Sauckel travaillait lui-même à la maison de Thuringe tandis que les services qu’on avait mis à sa disposition se trouvaient dans les bâtiments du ministère du Travail, 96 Saarlandstrasse ; après la destruction partielle des bâtiments, les services furent installés près de Berlin...
Je vous remercie. Les services qui se trouvaient au 96 Saarlandstrasse dépendaient bien de Sauckel ?
Les services dans la Saarlandstrasse, 96, n’étaient pas des services nouvellement créés ; c’était le ministère du Travail ; les deux services avaient été mis par un décret du Führer à la disposition du délégué général pour l’accomplissement de sa tâche.
Donc, un document qui porte comme en-tête : « Délégué général au Plan de quatre ans, Délégué général à la main-d’œuvre, 96 Saarlandstrasse, Berlin SW 11 », émane des services de Sauckel ?
Je n’ai pas entièrement compris la fin.
Un document qui porte l’en-tête : « Délégué général au Plan de quatre ans. Délégué général à la main-d’œuvre » et son adresse, 96...
Pourquoi ne pas lui montrer le document ?
Je vous montre le document L-61, qui a été déposé au Tribunal au cours des précédentes audiences. Ce document porte, comme vous pouvez le voir, en haut et à gauche : « Le délégué général au Plan de quatre ans. Le délégué général à la main-d’œuvre. » En haut et à droite : « Berlin SW 11 Saarlandstrasse, 96. » Il est daté du 26 novembre 1942 ; il émane bien des services de Sauckel, n’est-ce pas ?
Ce document provient du délégué général à la main-d’œuvre et par conséquent du service de Sauckel.
Je vous remercie.
Vouz avez représenté Sauckel aux conférences de l’Office central du Plan de quatre ans ?
Je l’ai représenté ; parfois aussi je m’y rendais avec le délégué général. Pas toujours, mais fréquemment.
Lorsque vous l’y représentiez, vous receviez des instructions avant de vous y rendre, n’est-ce pas ?
Lorsque nous étions invités à des séances importantes, nous recevions des avis de la maison de Thuringe ; on nous disait qu’une réunion devait avoir lieu et on nous donnait des instructions sur la manière de défendre le point de vue du délégué général au cours de ces séances.
Et lorsque vous reveniez de ces séances, vous en rendiez compte à Sauckel ?
Après la réunion, nous lui faisions un compte rendu à lui personnellement, ou à son adjoint auquel nous faisions parvenir les résultats de ces conférences.
Donc, les déclarations que vous faisiez dans ces différentes conférences engageaient la responsabilité fonctionnelle de Sauckel, si j’ai bien compris ?
Étant donné que j’étais fonctionnaire, mon devoir a toujours été, en faisant des rapports à une conférence, de m’assurer...
Je ne vous demande pas cela. Répondez à ma question. Vous receviez des instructions avant d’aller à ces conférences, ensuite, vous rendiez compte de ce qui se passait à ces conférences. Engagiez-vous donc la responsabilité de Sauckel ?
Je voudrais, à ce sujet, fournir une déclaration...
N’est-ce pas plutôt une question de droit et non de fait. Monsieur Herzog, n’êtes-vous pas de cet avis ?
Oui, Monsieur le Président. (Au témoin.) Vous avez déclaré tout à l’heure que les conversations auxquelles vous aviez assisté à Paris avaient été des conférences amicales. Est-ce que vous vous souvenez d’avoir assisté à la conférence du 12 janvier 1943 ?
Il ne m’est malheureusement pas possible de confirmer ma participation, en me disant simplement la date, mais si vous me donnez des indications sur le contenu, je pourrais peut-être me le rappeler.
J’ai déposé hier au Tribunal le document F-809 qui contient le compte rendu de cette conférence. Au cours de cette conférence, Laval, entre autres choses, a dit à Sauckel : « Il ne s’agit plus d’une politique de collaboration, mais du côté français, d’une politique de sacrifice, et du côté allemand, d’une politique de contrainte. Nous ne pouvons prendre aucune mesure politique sans nous heurter partout à une autorité allemande qui se substitue à nous. Je ne puis servir de garant à des mesures que je n’ai pas prises. »
Et, dernier extrait : « Il ne m’est pas possible d’être simplement syndic des mesures de contrainte allemandes ».
Estimez-vous que ce soit là des déclarations amicales ?
Il y a un mot que je n’ai pas compris dans la dernière question que vous m’avez posée : « Croyez-vous qu’il s’agisse de déclarations... » ?
Vous avez dit que le ton des conversations était amical ; je vous donne un extrait de ces conversations ; confirmez-vous qu’elles aient été amicales ?
Je peux simplement donner confirmation de l’ambiance des conférences auxquelles j’ai participé. Ces déclarations ne me sont pas connues dans la forme sous laquelle vous me les présentez.
Si elles vous avaient été connues, auriez-vous déclaré qu’il s’agissait de conversations amicales ?
Monsieur Herzog, le témoin n’y était pas ; il vient de dire qu’il ne savait rien à ce sujet ; nous pouvons par nous-même juger si le ton de ces conférences était amical.
Vous avez dit tout à l’heure que vous n’aviez pas eu connaissance de transports forcés ?
J’ai déclaré que je ne connaissais pas de transports forcés relevant de la compétence du délégué général à la main-d’œuvre et je n’en connais pas.
Vous souvenez-vous d’avoir assisté le 15 et le 16 juillet 1944 à la Wartburg à une conférence qui réunissait Sauckel et un certain nombre de présidents des offices du travail des Gaue et de collaborateurs de Sauckel ?
Il y a eu un entretien à la Wartburg qui a réuni les présidents des offices du travail des Gaue ; j’y ai assisté.
Vous souvenez-vous d’y avoir pris la parole ?
Oui.
Vous souvenez-vous d’avoir fait une déclaration sur les méthodes de recrutement ?
Je ne m’en souviens pas maintenant.
Il s’agit du document F-810 que j’ai déposé hier sous le numéro RF-1507. Le Tribunal trouvera à la page 10 l’extrait de ce que je veux soumettre au témoin. Vous y parliez des conversations que le délégué général à la main-d’œuvre menait avec l’Armée au sujet de la collaboration de l’Armée au recrutement. Et vous avez dit, je cite : « Le Führer a approuvé l’emploi de mesures de coercition dans toute leur étendue ».
Contestez-vous encore que vous ayez su que le recrutement des ouvriers s’opérait par transports forcés ?
Je vous prie de m’accorder un peu de temps, parce que, jusqu’ici, je n’ai pas encore trouvé ce passage. Il s’agit là du rapport fait par un des participants, apparemment par les soins du commandant militaire à Paris. Je n’ai pas ici ce que j’ai noté moi-même, ni ce que j’ai déclaré, mais j’imagine que le délégué, à cause des...
Voulez-vous voir un peu plus haut, à la page 8, sous le numéro IV.
Page 8, oui.
Numéro IV, en chiffres romains : « Au sujet de l’utilisation de la main-d’œuvre européenne, des problèmes qu’elle pose, des moyens et des procédés mis en œuvre. Timm a fait les remarques suivantes : 1) En Europe du Nord ; 2) Dans les territoires du Sud et de l’est ; 3) En Italie ; 4) En France... » et nous arrivons au passage sur lequel je vous demande de vous expliquer, parce que c’est bien vous qui avez prononcé cette phrase. Voulez-vous me répondre : contestez-vous encore que vous ayez eu connaissance des transports forcés ?
Je n’ai pas l’intention de contester quoi que ce soit. Tout ce que je puis faire, c’est faire ressortir que Sauckel tenait de Hitler les pleins pouvoirs lui permettant d’utiliser tous les moyens raisonnables pour activer la venue de la main-d’œuvre. On a également pris en France, en accord avec Laval qui était à ce moment-là président du conseil, certaines mesures qu’on peut, semble-t-il, désigner comme des mesures de coercition.
Je vous remercie. J’ai alors une dernière question à vous poser. Dans cet extrait, vous dites : « Le Führer a approuvé... ». S’il a approuvé, c’est donc qu’on lui avait proposé. Est-ce bien exact ?
Pour autant que je m’en souvienne, Sauckel présentait régulièrement le résultat de ses entretiens de Paris à Hitler. Il est possible qu’il ait rendu compte au Führer du résultat de ses entretiens avec Laval, et comme je l’ai dit déjà au début de mes déclarations, il est bien possible qu’il ait voulu s’assurer de l’assentiment de Hitler pour ne pas travailler en opposition avec lui.
Je vous remercie, je n’ai plus de questions à poser.
Monsieur le témoin, le document qu’on vous a présenté en dernier lieu, le L-61, qui vient de la Saarlandstrasse, n’est pas un document original ; il porte simplement la mention « Signé Sauckel ». Or, l’accusé Sauckel vient de m’informer qu’il est possible qu’il n’ait pas personnellement signé ce document. Il a pu simplement en être informé d’une manière générale, par la voie du courrier ; et il a pu donner alors toute délégation de signature. Cela peut-il se concevoir ?
Il arrivait que les services de la Saarlandstrasse...
Docteur Servatius, est-ce que Sauckel l’a dit au cours de sa déposition ou bien vous l’a-t-il simplement confié personnellement ? Vous le rappelez-vous ?
Je ne peux pas dire exactement s’il l’a déclaré à la barre.
Alors, continuez.
Répondez à la question, je vous prie, témoin.
Oui, cela pouvait bien arriver, étant donné que Sauckel continuait à exercer ses fonctions de Gauleiter à Weimar. Il arrivait que certaines communications ne lui étaient pas remises ; les services de la Saarlandstrasse présentaient leurs projets à la maison de Thuringe, à celui qui était chargé de traiter ces affaires et là, il était possible, pour autant que je le sache, que le contenu de ces projets fût transmis par téléphone et que les collaborateurs immédiats de Sauckel fussent autorisés à apposer le nom du délégué général au bas de ces documents.
Le courrier était-il si important qu’il ne pouvait pas prendre connaissance exacte des lettres en particulier ?
Il m’est difficile de le dire.
Cela suffit.
Une autre question, qui se rapporte au Führer, à Sauckel et à Speer. Est-il exact que l’accusé Sauckel vous ait dit que le Führer lui aurait ordonné de donner suite à toutes les exigences formulées par Speer ?
Je ne sais pas si on l’a dit aussi exactement.
On vous a présenté ici le document dans lequel Laval se plaint de l’attitude des services allemands. Cette plainte se rapportait-elle à l’activité de Sauckel ? Ou bien Laval ne transmettait-il pas ces plaintes à Sauckel en le remerciant pour son attitude ?
Je me souviens qu’au cours des conversations avec Laval, celui-ci a exprimé à plusieurs reprises sa reconnaissance à Sauckel pour certains allégements et certaines mesures que Sauckel avait obtenus ; en particulier, Laval tenait toujours, comme il le disait, à ce que le climat et l’atmosphère fussent bien ordonnés, et il aurait voulu surtout avoir le plus tôt possible des entretiens personnels avec Hitler. Il a demandé à Sauckel de les lui faciliter et je sais que Sauckel a entamé des négociations à ce sujet. Laval l’en a remercié.
Je n’ai pas d’autre question à adresser au témoin.
Le travail du délégué général à la main-d’œuvre consistait à recruter des travailleurs pour remplacer les hommes qui avaient été versés de l’industrie dans l’Armée. C’était là votre tâche principale, n’est-ce pas ?
Le travail du délégué général était plus considérable que cela, car auparavant toutes les tâches...
Oui, oui, je comprends, mais c’était là une partie de vos fonctions, n’est-ce pas ?
Oui.
Et dans ce but, on vous informait d’abord du nombre de gens qu’on allait prendre dans l’Armée ; ainsi, vous pouviez faire à peu près vos estimations ?
Ces chiffres étaient examinés dans les services du Comité central du Plan. C’était là justement la tâche du Comité du Plan...
Attendez un instant. Je ne m’intéresse pas du tout au fait de savoir qui examinait ces chiffres, mais votre organisation connaissait approximativement les besoins de l’Armée et le nombre d’hommes que l’on prendrait dans l’industrie pour les verser dans l’Armée ? Vous aviez bien ces renseignements, n’est-ce pas ?
Le chiffre des recrutements que l’on se proposait de faire pour l’Armée était indiqué au Comité central du Plan.
Oui. On retirait aussi de l’industrie des gens dont on n’avait pas besoin pour l’Armée, par exemple les Juifs. On retirait les Juifs de l’industrie. Sauckel nous a dit hier qu’on avait retiré les Juifs de l’industrie en Allemagne.
Oui, les Juifs ont été éliminés de l’industrie.
Et je suppose que le Comité central du Plan était au courant du nombre de Juifs qu’on retirait de l’industrie, n’est-ce pas ?
Je ne le sais pas. On ne l’a pas discuté lors des conférences auxquelles j’ai assisté...
Oui, mais ne pensez-vous que cela a dû être le cas, s’il fallait fournir le nombre d’hommes à remplacer ? Cela a dû se passer ainsi, n’est-ce pas ?
Je ne peux pas en juger, parce qu’on ne me faisait part que du nombre total des recrutements pour l’Armée, et cela indépendamment de la question juive. Je ne peux pas émettre une opinion ; je ne sais pas.
Ne savez-vous pas que Himmler et les SS ont communiqué au Comité central du Plan le nombre de Juifs qui avaient été retirés de l’industrie et le nombre de remplaçants dont on avait besoin ; vous le savez, n’est-ce pas ?
Non.
Vous ne le savez pas ?
Non, je sais seulement que nous avons reçu certaines déclarations du Reichsführer SS nous disant qu’on avait retiré des travailleurs de l’industrie et que c’était justement sur la protestation du délégué général à la main-d’œuvre qui devait trouver des remplaçants, qu’on avait en partie rapporté ces mesures, je me rappelle ce fait.
Vous savez qu’une des tâches du Reichsführer SS consistait alors à éloigner les Juifs de l’industrie ? Vous le savez ?
J’ai reçu des extraits d’information selon lesquels les Juifs devaient être éloignés de l’industrie.
J’en ai terminé.
Le témoin peut se retirer. Le Tribunal va suspendre l’audience.
Voulez-vous me dire votre nom ?
Hubert Hildebrandt.
Voulez-vous répéter ce serment après moi : « Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète le serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Témoin, vous travailliez dans les services de Sauckel, n’est-ce pas ?
Oui.
Vous étiez sous les ordres de Timm ? Quelle était votre activité personnelle ?
Je m’occupais depuis 1930, au ministère du Travail, des questions de recrutement pour l’industrie métallurgique, l’industrie chimique, l’industrie textile et, depuis 1940, des questions des ouvriers de l’Ouest.
Les questions régionales pour les pays de l’Ouest ?
Oui, pour la France, la Belgique, la Hollande, une partie de ces questions.
Vous devez faire une pause avant de répondre, je vous prie. Pouviez-vous vous rendre compte, d’une manière générale, de tout ce qui se passait dans les services de Sauckel ?
Non, je ne le pouvais pas.
Vous participiez aux conférences de service ?
Oui, j’y assistais, pour la plupart.
Et c’est là que vous appreniez, jusqu’à un certain point, ce qui se passait dans les autres services ?
Oui.
Je désire vous demander surtout ce qui se passait en France. Quelle était, en France, la situation du délégué à la main-d’œuvre ?
Le délégué général à la main-d’œuvre en France, comme dans les autres territoires occupés, avait nommé des délégués spéciaux qui transmettaient ses désirs et qui participaient à l’exécution des tâches. Toute l’organisation, dans les territoires de l’Ouest, était sous les ordres des administrations allemandes militaires ou civiles.
Donc, Sauckel n’avait pas d’organisation personnelle ?
Le premier représentant en France du délégué général à la main-d’œuvre essaya d’établir une organisation personnelle, mais en peu de temps il rencontra la résistance des services administratifs allemands, et les services qu’il avait créés entre temps furent pris en charge par le Commandant en chef militaire.
Quelle était la situation du Commandant en chef militaire ?
Le Commandant en chef était et resta pleinement responsable de l’utilisation de la main-d’œuvre dans son territoire et de l’envoi de la main-d’œuvre de ces territoires vers l’Allemagne.
Quelle était la situation de l’ambassade d’Allemagne ?
L’ambassade d’Allemagne, lors de tous les pourparlers, devait diriger toutes les conférences du délégué général ou de ses représentants avec les bureaux du Gouvernement français.
Quelle était la situation du Gouvernement français en ce qui concerne l’allocation de main-d’œuvre ?
Le Gouvernement français concluait des accords avec le délégué général pour l’exécution de ses programmes ; il donnait des instructions à ses propres services afin d’exécuter certaines tâches, notamment lorsque le service du travail obligatoire a dû être instauré en France. Il promulgua les ordonnances nécessaires et donna les instructions à ses services subalternes.
Qui avait le pouvoir exécutif du recrutement de la main-d’œuvre ? Les Français ou les Allemands ?
Il faut distinguer deux périodes. Jusqu’en automne 1942, il ne s’agissait que d’un recrutement de volontaires, et ces volontaires pouvaient venir trouver les services allemands ou les services français, ou les bureaux de recrutement installés soit par les entreprises allemandes, soit par certains services de la Wehrmacht. Puis, après l’institution du recrutement forcé, le pouvoir qui devait mener à bien l’exécution de cette ordonnance se trouva uniquement entre les mains des services français.
Et que se passait-il si quelqu’un ne se présentait pas ?
A ce moment-là, l’intéressé était à nouveau convoqué par les services français et, lorsque cette démarche restait sans succès, les services français devaient faire intervenir la Police française.
Ceux qui ne voulaient pas partir étaient-ils traduits en justice ?
Je suppose que ce dut être partiellement le cas. Je ne le sais pas exactement.
Devant des tribunaux français ou allemands ?
Devant des tribunaux français, s’il s’agissait d’une ordonnance française.
Combien de travailleurs français se sont, selon vous, rendus en Allemagne comme volontaires ?
Le nombre des volontaires français s’élevait jusqu’à la mi-1942, mais je ne puis citer que de mémoire...
Un nombre approximatif me suffit.
Un peu plus de 200.000. Après l’introduction du service obligatoire, au cours de l’année 1942, le recrutement volontaire continua en même temps et sur une assez vaste échelle. Le nombre de volontaires était parfois bien supérieur à celui des mobilisés ; au total, plus de la moitié de tous les ouvriers recrutés en France étaient des volontaires. Ce qui est remarquable, c’est que les femmes ne vinrent qu’en cette qualité. La mobilisation ne les toucha pas. En ce qui concerne le services obligatoire, il faut faire ressortir le fait qu’une partie des prestations n’était qu’apparente. En réalité, il y avait des volontaires qui, pour des raisons économiques, pour des raisons touchant à leur famille ou leurs connaissances dans leur localité d’origine, désiraient être mobilisés. Nous avions des candidatures qui étaient offertes après coup. Notamment dans les derniers mois avant la fin de la guerre, nous avons reçu des demandes de cet ordre ; le ministère des Affaires étrangères demanda au délégué général à la main-d’œuvre d’y donner suite, ce qui fut fait.
Dans votre activité, avez-vous appris quelque chose sur le recrutement forcé obtenu en cernant des églises en France, des cinémas ou par d’autres mesures analogues ?
Non, je n’ai pas eu connaissance de cela. Je sais qu’il y eut en France comme en Belgique des contrôles de papiers d’identité imposés aux membres des classes appelées par la mobilisation du travail.
Vous êtes Certainement allé aussi à Paris et vous vous êtes entretenu avec les services allemands ? Est-ce exact ?
Oui. Chaque fois que j’allais à Paris, j’avais l’occasion de m’entretenir avec les membres de nos services au sujet des questions en cours.
Est-ce qu’on ne vous a pas raconté des choses qui auraient dû vous étonner ?
De même que lors de l’exécution de chaque tâche importante, nous avions, bien entendu, quelques difficultés et certains excès ; par exemple, j’ai appris entre autres choses qu’il y avait, à la Pépinière dans un camp de départ de travailleurs, des conditions impossibles ; elles furent tout de suite portées à la connaissance du commandant de la place de Paris qui y remédia. Il y eut à Marseille certaines irrégularités exercées par des recruteurs qui firent usage de chantage. A la suite de cela, ces faits cessèrent immédiatement. On me présenta pour les résoudre un certain nombre de cas individuels ; il s’agissait de certaines petites difficultés concernant les congés, salaires, etc. que je transmettais chaque fois aux services compétents pour suite à donner.
Votre mission vous habilitait-elle à régler ces questions ?
Pour autant qu’elles étaient de mon ressort, oui, et je prenais immédiatement les mesures nécessaires ; mais si elles étaient de la compétence d’autres services, je les leur transmettais.
Témoin, je ne vous ai pas demandé ce que vous avez fait, mais s’il vous appartenait de vous occuper de ces questions ?
Le domaine de mon service était le recrutement général et le contrôle statistique des programmes. Les questions d’hébergement, de salaires, de transport, étaient discutées dans d’autres services. Mais, évidemment, dès que j’avais connaissance d’un état de choses défectueux, c’était mon devoir de faire une enquête immédiate afin de ne pas mettre en danger le recrutement futur. Nous désirions remédier aux abus immédiatement, car ce n’était qu’ainsi que le recrutement volontaire pouvait continuer. Le service obligatoire n’était considéré que comme une nécessité de dernier ressort.
Témoin, je veux savoir si votre mission de service ou votre mission morale vous incitait à agir ainsi dans ce cas ?
Dans ce cas, il s’agissait des deux.
J’ai une question au sujet des transports. On a parlé ici des mauvaises conditions de transport, et c’est pour cela que je désire savoir par vous comment s’effectuaient les transports en provenance de France, comment ils étaient surveillés et dirigés.
Pour l’exécution des transports, il y avait un service spécial auprès du Commandant en chef en France. Pour chaque homme qui se rendait en Allemagne, on avait déjà décidé où il se rendait, dans quelle entreprise, car le recrutement se faisait par contrats en raison des conditions de travail déjà fixées, si bien que la route qu’il devait prendre était déjà déterminée. Les transports étaient composés de telle façon qu’autant que possible le maximum de personnes se rendaient ensemble à une certaine destination et dans une entreprise donnée.
Témoin, ces détails m’intéressent moins que la question de savoir comment vous dirigiez et contrôliez les transports lorsque quelque chose d’irrégulier arrivait pendant le voyage.
Je désirais indiquer simplement par ces quelques détails qu’il existait un contrôle détaillé pour chaque individu destiné à se rendre en Allemagne, qu’avec chaque transport des listes exactes de personnes étaient dressées, ainsi que des entreprises où chacun devait se rendre ; les convoyeurs ou les présidents des services du travail les prenaient en charge.
Je désire vous parler d’un cas concret. Un transport, ainsi qu’il a été rapporté ici, est resté en souffrance dans la Sarre. On a ouvert les wagons au bout de quelques jours : la plupart des gens étaient gelés. Aviez-vous un service de contrôle sur des trains comme celui-là ? Aurait-on dû vous en rendre compte ? Est-ce que ce train avait été envoyé sur vos ordres ? Ou comment l’expliquez-vous ?
Nous aurions dû connaître un événement de cette nature puisque les transports étaient au préalable annoncés au président de l’Office du travail. Nous savions immédiatement si les transports n’arrivaient pas. Cela se produisit à plusieurs reprises, surtout du fait des difficultés en cours d’itinéraire lorsque les transports étaient arrêtés et notamment pendant les dernières années de guerre, à la suite des bombardements et des destructions de voies ferrées. Le cas que vous venez de me citer m’est inconnu.
Témoin, vous devez parler plus lentement. Les interprètes ne peuvent pas vous suivre.
Veuillez me donner votre avis sur l’événement que je viens de décrire : le train contenant ces gens gelés en Sarre.
Cet événement n’a pas pu se passer dans le cadre des transports de la main-d’œuvre. C’est impossible, les transports étaient toujours bien préparés.
Mais vous l’avez déjà dit.
Oui.
Comment expliquez-vous alors ce transport ?
Pour la première fois, j’ai eu connaissance par la presse, il y a quelques mois, du fait que des transports avaient été envoyés par les SS en Allemagne, dans des conditions telles que celles que vous venez de décrire.
Témoin, avez-vous assisté à des conférences de Sauckel avec Laval ?
Oui, j’étais souvent présent.
Dans quelle atmosphère ces pourparlers avaient-ils lieu ?
Dans une atmosphère courtoise. A l’occasion, évidemment, lorsque le Gouvernement français ne tenait pas certaines promesses, il y avait des discussions assez violentes, mais des difficultés particulières n’ont pas, d’ordinaire, surgi lors de ces entretiens. On y concluait des accords au sujet du nombre d’ouvriers à envoyer en Allemagne. Laval était toujours d’accord, en principe, pour mettre ces forces à notre disposition.
Quels étaient plus spécialement les rapports Laval-Sauckel ? Est-ce que Laval s’est exprimé favorablement à l’égard de Sauckel ou défavorablement ?
Laval, à plusieurs reprises, a exprimé sa gratitude pour les facilités que l’on avait obtenues en faveur de la France, notamment pour le statut des prisonniers français, les visites de femmes d’ouvriers français et le service social pour les familles des travailleurs en Allemagne. Cela se passait sous la forme d’accords où l’une des parties donnait de la main-d’œuvre et l’autre une contrepartie ou d’autres avantages ; mais, à plusieurs reprises, Laval a exprimé le désir urgent de pouvoir faire davantage encore pour l’Allemagne, si on lui donnait en échange des avantages politiques. C’est pour cela qu’il a prié Sauckel de lui faciliter des entretiens avec le Führer, afin de créer en France une atmosphère plus favorable à de nouveaux efforts.
Est-ce que cette atmosphère amicale subsista jusqu’à la fin ?
Oui, jusqu’à la dernière conférence qui eut lieu en 1944, je crois.
Je crois, Monsieur le Président, que les questions de la « relève », de la « transformation », ont été suffisamment éclaircies pour que je n’aie pas besoin de poser des questions à ce sujet au témoin. (Au témoin.) Sous quelle forme ont eu lieu les conférences avec le Commandant en chef allemand ? Sauckel lui donnait-il des ordres ? Était-ce lui l’homme influent ou était-ce le Commandant en chef ?
Les pourparlers ne se traduisaient nullement par des ordres, mais le plénipotentiaire à la main-d’œuvre décrivait la situation en Allemagne, les nécessités...
Témoin, vous pouvez être bref.
Je voudrais simplement dire naturellement que pour le Commandant en chef, tout comme pour l’administration civile en Hollande, il y avait plus d’intérêt à entreprendre l’exécution d’ordonnances qu’à livrer de la main-d’œuvre en Allemagne ; d’où naissance de conflits. Les services devaient être persuadés chaque fois de la nécessité de ces envois d’hommes en Allemagne, par exemple pour le travail agricole, ce qui ne pouvait se faire en Hollande, et de même pour l’envoi de toute une série de spécialistes destinés à travailler dans l’industrie allemande d’armement.
Témoin, quelques questions au sujet de la Belgique et de la France du Nord : est-ce que l’attitude de Sauckel vis-à-vis des autorités locales était la même dans l’ensemble qu’en France ? Tout se passait-il de la même façon ou y avait-il des différences ?
Non, les conditions étaient les mêmes qu’en France ; seuls, les délégués de Sauckel se trouvèrent tout de suite dès le début incorporés dans l’administration militaire.
Avez-vous reçu des avis de mauvais traitements dans ces territoires ou les avez-vous, vous-même, constatés ?
Oui, nous avions quelques cas d’irrégularités. On m’annonça un jour que des représailles devaient avoir lieu contre les familles des personnes qui n’avaient pas répondu à leur appel de mobilisation. Nous avons immédiatement arrêté cela par des pourparlers avec les représentants du Commandant en chef.
Comment Sauckel se comportait-il avec le Commandant en chef ?
Il lui exposait ses désirs. Von Falkenhausen avait aussi naturellement un intérêt primordial à ce que les ordres de l’industrie allemande fussent exécutés en Belgique, mais il se rendait compte que des ouvriers devaient se rendre en Allemagne. En tout cas, il fit de fréquents efforts pour protéger spécialement les étudiants, les écoliers, les membres des jeunes classes.
Témoin, je vous présente un procès-verbal de l’interrogatoire du général von Falkenhausen, en date du 27 novembre 1945, pour que vous preniez connaissance de quelques phrases. Voyez la page 2, vous trouverez au milieu, après la question...
Ce document a-t-il un numéro ?
Numéro RF-15. La question est la suivante : « Est-ce que le témoin est capable de nous délimiter ses pouvoirs et la compétence du service de la main-d’œuvre ? »
Réponse du général Falkenhausen :
« Jusqu’à un certain moment, il a existé sur le territoire de ma compétence un service du travail qui s’occupait du recrutement d’ouvriers volontaires. Je ne me souviens plus exactement de la date. Ce pouvait être à l’automne 1942 où ce service fut placé sous les ordres de Sauckel ; à partir de ce moment-là, je n’eus plus qu’à exécuter les ordres transmis par Sauckel. »
Cette attitude du Commandant en chef vis-à-vis du service de Sauckel est-elle exacte ?
Sur plusieurs points, ce n’est pas tout à fait exact. En Belgique, il n’y avait pas un service du travail, mais une série de services qui procédaient à l’embauche des volontaires et d’autres services collaborant avec eux. Mais les services du travail, dès le début, ont travaillé en Belgique sous la surveillance des Kommandanturen. Les Kommandanturen étaient des services du Commandant en chef. Il n’était pas question de la reprise de ces services du travail par le plénipotentiaire à la main-d’œuvre, mais ce dernier pouvait, avant d’avoir nommé ses délégués, transmettre directement ses désirs à l’administration militaire du général von Falkenhausen, mais jamais directement à un service du travail.
Quel était la situation en Hollande ? Quel était le personnage compétent ?
C’était le commissaire du Reich.
Y avait-il auprès de lui un délégué de Sauckel ?
Oui, là encore on nomma un délégué qui était membre de l’administration du commissaire du Reich.
Qui promulgua là-bas les ordonnances sur le service de la main-d’œuvre ?
Le commissaire du Reich.
Et qui exécuta ces ordonnances ? Les services allemands ou les services hollandais ?
Il y avait, autant que je me souvienne, des services hollandais du travail ; les chefs de ces offices hollandais étaient allemands, alors que le reste du personnel était hollandais. Ces services exécutaient les mesures portant sur l’allocation de main-d’œuvre.
Au sujet de l’Allemagne, j’ai encore une question à vous poser. Est-ce que l’industrie métallurgique tombait sous votre compétence ?
Oui.
Krupp également, par exemple ?
Oui.
Avez-vous reçu des comptes rendus des services de Krupp sur le traitement des ouvriers ?
Je n’ai reçu aucune information de ce genre venant de Krupp. Le représentant personnel de Sauckel le Landrat Berk s’est souvent rendu chez Krupp et m’a transmis ses impressions ainsi que les demandes de la maison, mais jamais il ne m’a dit que la situation des ouvriers étrangers était mauvaise. Personnellement, je ne suis pas allé chez Krupp au cours de la guerre.
Je n’ai pas d’autres questions à poser au témoin.
D’autres avocats ont-ils des questions à poser ? Le Ministère Public ?
Monsieur le Président, ce sont toujours les mêmes problèmes dont on entretient le Tribunal. Le Tribunal a entendu là-dessus les explications de l’accusé, et il détient les documents que j’ai déposés devant lui. Je n’ai donc pas de questions à poser au témoin.
Le témoin peut se retirer.
Avec la permission du Tribunal, j’appelle à la barre, le témoin Stothfang.
Voulez-vous me donner vos nom et prénoms.
Walter Stothfang.
Répétez ce serment après moi : « Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète la formule du serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Témoin, quelles fonctions occupiez-vous auprès de Sauckel ?
J’étais conseiller personnel du délégué général à la main-d’œuvre.
Quand avez-vous assumé ces fonctions ?
Un an après la nomination du délégué, à savoir le 19 avril 1943.
Est-ce que le témoin Timm s’y trouvait déjà lorsque vous êtes arrivé ?
Oui.
Et Hildebrandt ?
Également.
Qu’avez-vous reçu comme instructions au moment de votre prise de fonctions ?
Le délégué général ne m’a pas donné d’instructions spéciales car ses principes généraux se trouvaient dans ses ordonnances et dans ses décrets, et je n’ai pris mes fonctions qu’une année après.
Est-ce qu’auparavant vous étiez déjà au ministère du Travail ?
Oui, depuis 1926, j’ai travaillé dans cette branche et j’ai été pendant huit ans le conseiller personnel du secrétaire d’État Dr Syrup au ministère du Travail.
Est-ce que vous avez trouvé un changement considérable lorsque vous êtes arrivé dans les services de Sauckel ?
Non.
Que vous ont dit vos collaborateurs sur le travail et la conception du travail selon Sauckel ?
Le travail était exécuté dans le cadre des ordonnances et des principes qui ne présentaient pas de grandes différences avec les ordonnances et les principes antérieurs, mais pratiquement, ils dépassaient de beaucoup le cadre précédent.
Dans votre ressort, avez-vous travaillé très étroitement avec Sauckel ? Vous étiez son conseiller personnel ?
Je l’étais pour autant qu’il était nécessaire de l’être pour assurer l’exécution des tâches du délégué. Sauckel n’était pas seulement délégué à la main-d’œuvre, mais aussi Reichsstatthalter et Gauleiter de Thuringe, et en outre, pendant les derniers dix-huit mois de son activité, il s’est occupé de la construction d’une usine souterraine à Kahla, en Thuringe, de telle façon...
Nous reviendrons ultérieurement là-dessus.
...qu’il n’était à Berlin qu’un jour ou même qu’une demi-journée par semaine.
Quelle était donc votre tâche, en tant que conseiller personnel ?
Il fallait prendre note du courrier arrivé, faire des rapports sur ce qui le méritait et transmettre le reste aux services compétents, exposer les projets nouvellement parvenus au délégué à la main-d’œuvre.
Qui convoquait les conférences de service ? C’était vous ?
Généralement, c’était le bureau qui s’en chargeait.
Vous avez toujours participé à ces conférences ?
Oui, de mon temps.
Avez-vous participé à des conférences au cours desquelles les différents membres, revenant d’un voyage d’inspection, faisaient leur rapport ?
Plus tard, ce fut rarement le cas, ou très rarement, mais au début cela arrivait souvent.
Que vous y participiez ou qu’il y eût des inspections ?
Non, je veux dire qu’il y eût des rapports.
On rendait moins compte ?
Oui.
Pourquoi ?
Je n’en connais pas la raison.
Est-ce que, pendant le temps où vous étiez présent, vous avez eu connaissance de questions particulièrement frappantes sur de mauvaises conditions existant en Allemagne ; résumons-nous : sur les transports, les camps de passage et les lieux de travail, ainsi que sur les camps et les entreprises ?
J’ai eu personnellement, au cours de quelques voyages d’inspection accomplis sur ordres, connaissance de certaines irrégularités, de mauvaises conditions, mais le cas a été immédiatement discuté avec le service compétent et des dispositions prises pour y mettre fin.
Sauckel devait collaborer avec une série de services. Est-ce qu’il avait des résistances particulières à surmonter ?
Non, à l’exception de deux cas.
Quels ont été ces deux cas ?
La chancellerie du Parti et en second lieu le Reichsführer SS et chef de la Gestapo.
Vous connaissez des exemples concrets concernant le Reichsführer SS ?
Le traitement général des ouvriers étrangers, notamment de ceux qui étaient originaires de l’Est, était en contradiction avec les idées du délégué à la main-d’œuvre pour autant qu’elles étaient déterminées par le Reichsführer SS ou par ses principes. Le Reichsführer SS ne désirait pas donner suite aux exigences positives et étendues du délégué à la main-d’œuvre. La même chose vaut dans le domaine du chef de la chancellerie du Parti.
Quel domaine ?
Par exemple, pour les assurances sociales. La chancellerie était d’avis qu’il ne fallait pas mettre ces ouvriers sur un pied d’égalité avec les ouvriers allemands, et ce n’était pas acceptable, ni du point de vue politique, ni du point de vue moral. Il en était de même pour les salaires.
Et qu’a dit Sauckel à ce sujet ?
Il a toujours essayé de régler toutes ces questions d’après ses principes ; il y est parvenu en partie, mais quelquefois il ne l’a pas pu, malgré de très nombreux efforts. Je me souviens de la mise sur pied d’égalité des ouvriers de l’Est qui, pratiquement, n’eut lieu qu’en mars 1945, par décret.
Avez-vous reçu des rapports spéciaux des Gauleiter qui étaient plénipotentiaires pour la main-d’œuvre et leur avez-vous parlé ?
On avait donné des instructions, prescrivant, lors des voyages d’inspection, de voir le Gauleiter compétent afin de discuter avec lui des questions en suspens.
Avez-vous participé aux conférences du Plan central ?
Je me suis rendu une seule fois avec le délégué à une réunion du Plan central.
Témoin, vous avez cité la date de mars 1945 comme date de mise sur pied d’égalité des ouvriers de l’Est avec les autres ouvriers. Ne vous trompez-vous pas, ne voulez-vous pas dire 1944 ? Je vais vous montrer l’ordonnance.
D’après mes souvenirs, il s’agit bien du mois de mars 1945.
Monsieur le Président, je vais produire la pièce au témoin. Nous la cherchons. (Au témoin.) Et quels étaient les rapports Speer-Sauckel ?
Il semble que la nomination du délégué soit due à une proposition du ministre Speer au Führer.
Je me réfère au document 58, livre de documents n° 2, texte allemand page 167, texte anglais page 156 et texte français page 167 ; c’est l’ordonnance sur les conditions d’engagement des travailleurs de l’Est, en date du 25 mars 1944. Je lis le paragraphe 2 :
« Rétribution du travail. En ce qui concerne les salaires et appointements, les mêmes conditions sont à appliquer aux travailleurs de l’Est qu’aux autres travailleurs étrangers. Les travailleurs de l’Est ne reçoivent de rétribution que pour le travail effectivement fourni. »
Comment ces salaires se comparaient-ils avec ceux des travailleurs allemands ?
C’était une règle fondamentale que les salaires allemands alloués pour le même travail devaient servir de base, afin d’éviter que les entreprises ne fassent un bénéfice supplémentaire en employant des travailleurs de l’Est.
Vous souvenez-vous d’une conférence où Goebbels a parlé de la politique de Sauckel, à propos des questions de salaire et des questions sociales ?
Oui.
Pouvez-vous nous la dépeindre ?
Personnellement, je n’ai pas participé à cette conférence, mais je la connais par le récit qu’en a fait le Dr Hildebrandt qui y était présent avec le Gauleiter Sauckel. Il s’agissait du premier entretien de ces deux messieurs, après la nomination du ministre Goebbels au poste de plénipotentiaire pour la guerre totale, et lors de cette conversation, le ministre Goebbels a reproché au délégué à la main-d’œuvre ses mesures antérieures...
Il nous dit maintenant ce que Hildebrandt lui a rapporté.
Oui.
Mais Hildebrandt a témoigné ici, et vous ne lui avez pas posé de questions à ce sujet ?
Oui, je confonds les deux témoins ; il y a très peu de temps qu’ils sont venus. Voulez-vous m’autoriser à demander au témoin ce que Hildebrandt a dit à cette époque ? Le témoin est resté si peu de temps...
Docteur Servatius, le Tribunal estime que cette question né peut être posée.
Y avait-il des difficultés avec Speer ?
Au début, non, mais au cours des années il y eut des difficultés, en raison des opinions divergentes de ces messieurs.
Les relations Sauckel et Speer ont déjà été suffisamment approfondies par d’autres témoins.
Alors, j’abandonne cette question. (Au témoin.) Est-ce que ce service s’est occupé de l’emploi d’internés des camps de concentration ?
Non.
N’avez-vous pas appris que la main-d’œuvre disparaissait de certaines entreprises pour former la main-d’œuvre des camps de concentration ?
Non, je n’ai pas reçu de rapports de ce genre.
Savez-vous que les camps de concentration employaient un grand nombre de travailleurs ?
C’était l’habitude de la Police d’employer des internés.
Vous-même n’avez pas reçu de rapports là-dessus ?
Non. On a tenté de gagner de l’influence en ce sens que des rapports sur l’emploi des internés des camps de concentration ont été envoyés au service central de la main-d’œuvre, afin qu’il en soit tenu compte dans le Plan général d’allocation de main-d’œuvre. Cependant, ces rapports ne parvenaient pas aux services du travail.
J’ai encore quelques questions au sujet des organismes et services de contrôle qui devaient surveiller la situation des ouvriers en Allemagne. Savez-vous dans quelle mesure les ouvriers étrangers faisaient l’objet de ce contrôle ? Je songe d’abord aux services de l’ambassadeur Scapini. Comment travaillait ce service ? En avez-vous entendu parler ?
Le service Scapini m’est inconnu dans les détails. Je connais son existence, mais je crois que ce service s’occupait de l’administration des prisonniers de guerre français plutôt que de l’administration des ouvriers civils français, car pour cela, il existait un service spécial sous la direction de M. Bruneton. En général, il y avait une représentation des ouvriers étrangers dans le cadre du Front du Travail allemand. Des services de liaison du Reich y étaient installés, qui, depuis l’Office central, via les Gaue, allaient jusque dans les arrondissements. Ils employaient un personnel limité qui avait la charge de visiter les camps, d’écouter les réclamations et de négocier avec les bureaux du Front du Travail allemand ou avec d’autres services de l’administration de la main-d’œuvre.
Vous parlez de personnel allemand ?
Non, c’était un personnel étranger provenant de presque tous les États.
Est-ce qu’à l’intérieur des entreprises, il y avait des représentants des ouvriers qui servaient de liaison avec les organismes de surveillance du Front du Travail allemand ?
Pour autant que je sache, non.
Pour les ouvriers de l’Est, il y avait également un service de contrôle, le connaissez-vous ?
Dans le service de Rosenberg, il y avait une section spéciale préposée à cette tâche.
Comment travaillait ce service ? En avez-vous entendu parler ?
Oui. Il prenait régulièrement contact avec les sections compétentes du service du travail.
Où ce service devait-il s’adresser lorsqu’il désirait envoyer des plaintes ? Au Front du Travail, au service de Sauckel ou au ministre du Travail ?
Cela dépendait des plaintes que l’on désirait adresser.
Je vous donne un exemple : une plainte au sujet des conditions de travail ?
On s’adressait alors d’abord au service du travail local compétent, afin de faire examiner avec enquête approfondie les conditions et les circonstances de fait.
Et s’il s’agissait de questions d’hébergement, de ravitaillement, à qui s’adressait-on alors ?
D’abord au service du Front du Travail allemand, qui, par une ordonnance du délégué — je crois qu’il s’agissait là de l’ordonnance n° 4 — avait reçu la charge d’administrer les ouvriers étrangers.
Et le Front du Travail vous en rendait compte ?
Il essayait, dans le cadre de sa tâche et de sa mission, d’arranger les choses.
Pratiquement, le Front du Travail était le service qui appréciait en dernier ressort les plaintes relatives au traitement ?
Oui, si l’on veut.
Comment était surveillé le traitement des prisonniers de guerre ? Est-ce que l’accusé Sauckel a reçu des plaintes ?
Non.
Qui était compétent ?
L’OKW.
Le service de surveillance du Reich était également un service de contrôle n’est-ce pas ? Quels étaient les liens de Sauckel avec ce service ?
Maître, ce doit être une fausse terminologie. Je ne sais pas quel était ce service de surveillance du Reich.
Je parle de la surveillance des entreprises du Reich.
Pour les conditions du travail dans les entreprises, c’était le service de surveillance des entreprises qui était compétent. Et en ce qui concerne la protection des ouvriers dans les usines, il devait faire exécuter les ordonnances promulguées ; donc, en cas de plainte, il était compétent.
Est-ce que Sauckel n’a pas reçu des plaintes d’autres services lui reprochant d’être trop bon et de protéger par trop les ouvriers étrangers ? N’était-on pas envieux de la situation de quelques ouvriers étrangers ?
Oui, trois services environ nous ont adressé des plaintes de cette nature. D’abord les deux services que j’ai déjà cités, qui, en général, manifestaient de la résistance aux exigences de Sauckel : le service de Bormann et celui de Himmler ; cela allait si loin, que l’on craignait que le délégué à la main-d’œvre ne fût favorable au bolchevisme.
Je n’ai pas d’autres questions à poser au témoin.
D’autres avocats ont-ils des questions à poser au témoin ? Le Ministère Public ?
Le témoin peut se retirer.
Monsieur le Président, je ne sais pas si le témoin Jäger est arrivé.
On me rend compte qu’il n’est pas arrivé
Je suppose qu’il sera arrivé pour lundi, et je propose maintenant d’exposer quelques documents ou peut-être l’interrogatoire du témoin Götz qui se trouve dans le livre de documents. Je m’y réfère ; c’est un affidavit très long, mais qui pourrait jeter une certaine lumière sur l’affaire.
Vous avez sans doute des remarques à faire à propos de vos documents, et cela pourrait sans doute nous mener jusque vers 13 heures ?
Monsieur le Président, les livres de documents contiennent principalement les ordonnances de Sauckel qui embrassent ce que les témoins et l’accusé lui-même ont exposé ici. Le livre est divisé d’après les différents services, mais puisque les ordonnances se réfèrent souvent à différents services, cela peut prêter à une certaine confusion. Je me réfère, en principe, à toutes les ordonnances du livre de documents n° 1, que je ne désire pas exposer en détail. Je voudrais tout simplement souligner les ordonnances policières ; c’est le document n° 6 de la page 16 ; le document 10 de la page 20 et le document 15 de la page 25. Ces documents...
Vous savez que vous devez déposer devant ce Tribunal chaque document ou chaque série de documents que vous désirez utiliser comme preuve ; il ne suffit pas de les prendre dans votre livre de documents. Veuillez donc nous indiquer les documents que vous voulez déposer.
Ces documents sont contenus dans un recueil de lois qui a déjà été déposé.
Tout l’ensemble a été soumis ?
Oui, à ma connaissance. C’est le document PS-3044 : « Ordonnances, directives, proclamations ».
Oui, mais sans doute qu’une petite partie seulement de ces documents a été lue, et à moins qu’ils ne soient traduits dans les quatre langues, ils ne font pas partie du procès-verbal. Docteur Servatius, le Tribunal sera satisfait si vous voulez bien approfondir cette question et proposer lundi ce que vous désirez déposer.
Mais je puis m’y référer maintenant et remettre les documents lundi.
Oui.
Ces trois ordonnances du Reichsführer SS ont été produites par mes soins afin de montrer comment, dans ce domaine délicat, on obtint une amélioration des conditions. L’ordonnance n° 6 a été promulguée peu de temps avant que Sauckel ne prît ses fonctions, et, on doit le penser, afin de créer ici un fait accompli.
L’ordonnance suivante, document n0 10, montre déjà une amélioration. Il s’agit des fils de fer barbelés et de la sortie des ouvriers, et le document suivant fait encore état d’allégements en ces matières.
Le document n° 15 est l’ordonnance n° 4 déjà produite. Je crois que c’est la plus importante. C’est la première ordonnance fondamentale donnant des directives sur les méthodes de recrutement, sur le transport et aussi sur le traitement en Allemagne.
L’ordonnance n° 16 règle l’emploi des ouvriers de l’Est et donne les premières instructions fondamentales car, jusqu’à ce moment-là, il n’existait pas de règlement légal uniforme.
J’en viens maintenant au document n° 19, page 54 du texte anglais. C’est une ordonnance de Sauckel adressée aux offices du travail des Gaue et aux Gauleiter, le 14 octobre 1942, concernant le bon traitement à réserver aux étrangers. Il s’agit là d’une intervention de Sauckel afin de supprimer le mauvais état de choses dont il avait entendu parler. Je cite dans le texte allemand page 59...
Il a déjà été cité, je crois.
Il a déjà été en partie.
Quelle partie n’a pas été citée ?
Dans mon texte, à la page 59, dans le texte anglais à la page 54.
La page 54 ne comporte que le titre.
Titre : « Ordonnance et lettre de Sauckel du 14 octobre 1942 ». La première page ne contient que le titre de cette ordonnance. Le texte figure à la page suivante.
Si c’est la page 55 du texte anglais, le début de ce document a déjà été lu.
Le début, oui.
Quelle partie désirez-vous lire ?
Je désire le lire en entier, afin de montrer jusqu’où Sauckel...
Le passage commençant par les mots suivants : « Si dans un district de Gau... » a déjà été lu, jusqu’à la fin du paragraphe.
Je n’ai qu’une annotation très brève ; si ce passage a déjà été lu en entier, je renonce à ma lecture, C’est inutile. Le numéro 20 du livre de documents anglais, page 56, traite du contrat de travail des domestiques étrangères et montre les règlements en vigueur à l’époque...
De quel document parlez-vous en ce moment ?
Du document n° 20.
Très bien, continuez.
Il y est souligné qu’on ne doit procéder à aucun envoi forcé de domestiques étrangères ; c’est ce que stipule expressément l’ordonnance de Sauckel. On n’employait que des volontaires pour ces travaux ménagers.
Le document n° 21 institue le livret de travail. Texte anglais, page 57. Le but de ce livret de travail était, comme le dit Sauckel, de créer une statistique des ouvriers pour en avoir une vue d’ensemble et n’en pas perdre le contrôle ; comme l’a expliqué l’accusé, cette mesure devait avant tout s’accompagner, pour les travailleurs de l’Est, d’une distribution de terres. Un fichier central devait être institué sur la base duquel, ultérieurement, les ouvriers pouvaient rentrer régulièrement chez eux ; c’était la mesure préparatoire du livre de travail.
Suit le document n° 22 en date du 23 juillet 1943 sur la limitation de la durée du travail des travailleurs de l’Est. Ainsi, il y est dit que leur emploi, en règle générale, devait être limité à deux ans avec certaines modifications ; des permissions, des primes pour travail accompli pouvaient être accordées. Des congés étaient prévus en Allemagne et, dans certaines conditions, dans leur patrie. Pour les permissions en Allemagne, comme on le voit ici, il a été créé des camps spéciaux de congé pour les travailleurs de l’Est. En raison des conditions de transport, ces ouvriers ne pouvaient se rendre chez eux, notamment s’ils étaient originaires de territoires qui avaient été abandonnés entre temps par les Allemands.
Suit l’ordonnance n° 13 ; c’est le document n° 23, livre de documents anglais, page 62. Cette ordonnance traite du maintien de l’ordre dans les entreprises. C’est le texte en vertu duquel des mesures pouvaient être prises pour le maintien de la discipline. Je le dépose pour démontrer qu’il s’appliquait aux Allemands et aux étrangers et qu’il n’y avait pas d’exception pour les ouvriers originaires de l’Est.
Maintenant, je me réfère au document n° 26 ; c’est à la page 66 du livre de documents anglais : c’est une ordonnance du 25 juillet 1944 réglant les conditions d’emploi des domestiques de l’Est, qui sont mises sur un pied d’égalité avec les domestiques allemandes. Les heures de travail sont réglées, les heures de loisir également. Il est dit : « Chaque semaine, la travailleuse de l’Est a droit à un congé convenable ». Le paragraphe 7 parle des permissions qu’elles peuvent obtenir après un an d’emploi sur le territoire du Reich.
Les chiffres contenus dans le document 26 sont-ils corrects ? Page 67 du document anglais. Durée du travail : de 6 heures du matin jusqu’à 9 heures du soir ?
Il y est dit : « La durée normale du travail, y compris les temps de repos et la préparation au travail, doit, dans la mesure où des circonstances particulières n’exigent pas une autre réglementation, être comprise entre six heures et vingt et une heures ».
Il n’est donc pas dit qu’on devait travailler de six heures à vingt et une heures, mais que la durée du travail s’étalait entre ces deux heures. Ce qui signifiait que ces jeunes filles ne pouvaient pas travailler avant six heures du matin, ni après neuf heures du soir.
Je vous demandais seulement si les chiffres étaient exacts.
Ils le sont : le document 27 traite de la situation des ouvriers étrangers dans les entreprises. C’est une ordonnance du Front du Travail allemand qui donne des explications de principe. Je lis :
« La joie du travail et l’ardeur au travail des travailleurs allemands ne doivent en aucun cas être mises en péril par une situation matérielle supérieure des travailleurs étrangers. Dans le traitement des ouvriers étrangers, il faut partir du point de vue qu’ils sont venus volontairement en Allemagne, afin de mettre leur puissance de travail à notre disposition et pour y accomplir des tâches importantes pour la guerre. Le maintien de leur entrain au travail exige le respect des conditions du contrat, un traitement absolument équitable et la garantie complète des institutions d’assistance et de prévoyance. »
Le document n° 28, page 79, est l’accord entre le délégué général à la main-d’œuvre et le Front du Travail allemand, sur la surveillance de l’inspection centrale. Il a déjà été produit par le Ministère Public.
Le document n° 30 traite du détail des tâches : en particulier, il y est ordonné : « Dans le domaine de l’utilisation de la main-d’œuvre des affaires gérées par les administrateurs du Reich et par l’administration, l’inspection du Reich a les devoirs suivants à accomplir : le contrôle de l’application de mes ordonnances et décrets ; se basant sur les constatations recueillies. L’inspection du Reich doit proposer des suggestions tendant à l’amélioration, favoriser les échanges réciproques des données des expériences réalisées ».
Le dernier document de ce livre traite de la création d’un service français. Livre de documents anglais, page 79. Ce service s’appelle : « Service français chargé du contrôle des travailleurs français employés dans le Reich ».
Je crois que j’ai déjà lu ce document ici. J’en ai donc terminé avec le livre de documents n° 1.
Très bien. Nous allons maintenant lever l’audience.