CENT QUARANTE-SIXIÈME JOURNÉE.
Mardi 4 juin 1946.
Audience de l’après-midi.
J’ai encore une question à vous poser au sujet de la directive pour la lutte contre les partisans. Le Ministère Public, se référant à l’article 161 de cette directive, — il s’agit, Messieurs les juges, du document dont nous parlions en fin de matinée, le F-665, qui figure à la page 130 du second volume — vous rend responsable de la destruction de villages entiers, voire même de l’extermination de la population de ces villages français. Veuillez vous prononcer à ce sujet.
Je crois que c’est le contraire qui est vrai. Par cet article 161, je ramenai les mesures de représailles collectives décrétées par le Führer à ce qui était admissible conformément à l’article 50 de la Convention de La Haye. Dans cet article, les sanctions collectives sont interdites, à moins que la population entière ne soit coupable d’activités terroristes quelconques. Par conséquent, dans cet article 161, je ne prescrivais pas l’incendie de villages, même pas dans des cas exceptionnels, mais je déclarais au contraire que des mesures collectives de cette nature ne pouvaient être prises que dans des cas tout à fait exceptionnels, et alors seulement avec l’autorisation du commandant de division, car celui-ci disposait d’un organisme judiciaire et pouvait faire procéder à une enquête.
Je ne veux pas ennuyer le Tribunal en lui citant d’autres de mes mérites qui ressortent de ce texte. J’y ai préconisé une attitude convenable vis-à-vis de la population et souligné la nécessité de lui laisser des moyens de vivre indispensables, etc. En tout cas, je crois que ce document pourrait vraiment servir de modèle pour mener une guerre conformément au Droit international. J’ai fait cela, convaincu qu’à ce moment-là le mouvement du maquis en France, de même que la révolte de Tito, se transformaient peu à peu en opérations de guerre régulières.
Or, on a cité le cas de la 2e division blindée SS comme exemple de tout ce que j’avais provoqué par cet article 161. Tout ce que je puis dire, c’est que la conduite de la 2e division blindée SS tombe sous la responsabilité de son commandant. Quant à moi, je n’en ai été informé que plusieurs mois plus tard.
Je suis reconnaissant à la Délégation française du Ministère Public d’avoir présenté ce document ; je lui suis également reconnaissant d’avoir déclaré qu’à ses débuts le mouvement du maquis n’était rien d’autre qu’une guerre de francs-tireurs, dont je ne nie d’ailleurs pas l’héroïsme.
Nous passons maintenant à un autre problème : celui des attaques aériennes en rase-mottes. Il ressort du document PS-731, figurant à la page 139 du second volume ainsi qu’à la page 144 du second volume de mes documents, que divers services présentèrent des propositions sur le traitement à infliger aux aviateurs ennemis qui feraient un atterrissage forcé.
Voulez-vous nous dire d’abord le motif de pareilles propositions et quelle fut votre attitude à leur égard ?
Je serai aussi bref que possible. L’origine de ces propositions repose sur le fait que de nombreux rapports nous parvinrent sur des attaques individuelles effectuées par des avions ennemis, ce qui était absolument contraire au Droit international. Le Führer exigea des mesures de représailles, d’où le mémorandum PS-731, déposé sous le numéro RF-1407. Ce n’est pas un projet d’ordre, et encore moins un ordre tout court. C’est une note qui contient les propositions de la Luftwaffe à ce sujet. Il n’était pas encore question de lynchage. Le fait que je m’occupai de ce problème s’explique par la responsabilité qui, ainsi que je l’ai déjà dit, semblait m’incomber depuis le 1er mai en ce qui concernait les questions de Droit international.
La note que j’ai ajoutée à ce document a déjà été lue. Je me suis opposé à un passage, ou plus exactement à un cas que je considérais comme parfaitement admissible du point de vue du Droit international. Ce passage a été supprimé ultérieurement et remplacé par la mention qu’il faudrait aussi qualifier de meurtre le fait, pour l’un de nos propres pilotes descendant en parachute, d’être attaqué avec une arme à feu.
C’est l’objection que j’ai élevée contre le document PS-735. L’idée de lynchage...
J’aimerais indiquer au Tribunal, pour sa gouverne, où se trouve ce passage ; la note manuscrite de Jodl est reproduite à la page 144 du livre de documents. Diverses propositions figurent dans ce mémorandum, et c’est à propos de la troisième que Jodl fit une annotation. (A l’accusé.) Veuillez faire vos commentaires à ce sujet.
Je fis l’annotation suivante : « Le ministère des Affaires étrangères est-il d’accord avec le point 3 b) ? », à savoir que le fait de tirer sur nos propres aviateurs, dont l’avion était atteint et qui descendaient en parachute, devait être considéré comme un acte de terrorisme infâme.
L’alinéa 3 b) se trouve en haut de la même page.
Mais je voudrais ajouter que l’idée de lynchage fut lancée par Goebbels dans un article qu’il publia dans le Völkischer Beobachter. Or, plus je m’occupais de ce problème, plus je me rendais compte clairement qu’aucun but ne serait atteint par de telles méthodes, car jamais on ne saisirait l’aviateur coupable volant en rase-mottes car, ou il parviendrait à s’évader, ou il s’écraserait au sol. Et, finalement, il n’en résulterait qu’un assassinat généralisé d’aviateurs. C’est pourquoi je me décidai — et à cet égard j’étais entièrement d’accord avec le maréchal Keitel — à faire échouer d’emblée toutes ces mesures. Le Tribunal constatera qu’entre la parution du document PS-731, le 21 mai, et celle du document PS-735, seize jours s’écoulèrent pendant lesquels aucune action ne fut entreprise. Lorsque, le 6 juin, je reçus un long rapport à ce sujet, j’y fis l’annotation suivante : « Cela ne suffit pas ; il faut tout reprendre dès le début ; comment peut-on s’assurer que l’on ne procédera pas de cette façon contre d’autres aviateurs ennemis ? Ne faudrait-il pas avoir recours à une procédure légale quelconque ? » Si j’ai écrit cela, Messieurs, compte tenu de ma méthode habituelle de travail, cela constitue une preuve absolue du fait que je n’avais pas d’autre but que celui de maintenir l’affaire en suspens jusqu’à ce qu’elle se réglât d’elle-même ; et j’y réussis. Aucune autorité militaire ne publia d’ordre ; on ne vit même pas de projet d’ordre. Il n’y eut que ces chiffons de papier. Il a été établi, et de nouvelles preuves se feront encore jour, que bien des mois plus tard le Führer porta contre nous et surtout contre la Luftwaffe, entre autres charges plus graves, celle d’avoir « torpillé » son ordre.
Maintenant, nous allons passer à un sujet tout à fait différent. Le chef de l’OKW, dans une lettre écrite en 1941, vous a désignés, vous et Warlimont, comme ses représentants pour la collaboration avec le ministère des Territoires occupés de l’Est de Rosenberg. Il s’agit du document PS-865, déposé sous le numéro USA-143. Quel en fut le résultat pratique ?
Nul, car exception faite d’un seul entretien en 1943, relatif à un appel général aux populations de l’Est, je n’eus absolument aucun rapport avec le ministère Rosenberg. Seul mon service de propagande maintint une collaboration régulière avec ce ministère, car tous les tracts qui étaient préparés puis lancés au-dessus de la Russie faisaient d’abord l’objet d’une discussion avec le ministère des Territoires occupés de l’Est.
Mais alors, pourquoi a-t-on procédé à votre nomination, pourquoi cela était-il nécessaire ?
C’était une question de pure forme, parce que le ministre Lammers avait écrit d’une manière générale aux plus hautes autorités du Reich, leur demandant de nommer un représentant. Et ainsi, le maréchal Keitel me désigna comme son délégué.
Autre chose maintenant : on vous a présenté un document curieux, C-2, déposé sous le numéro USA-90 et qui ne figure pas dans mon livre de documents ; mais le Tribunal s’en souviendra certainement. Il s’agit d’un tableau qui désigne, en une première colonne, un certain nombre de faits importants du point de vue du Droit international ; et, en une seconde colonne, certains exemples sont cités ; les troisième et quatrième colonnes...
C’est à la page 163 du gros livre de documents.
C’est donc un tableau récapitulatif qui indique, d’une part, la description d’un incident quelconque ; d’autre part, les conséquences de ce même incident, à savoir le jugement auquel il donne lieu du point de vue du Droit international, son utilisation éventuelle pour des fins de propagande, et ainsi de suite. Veuillez, je vous prie, nous indiquer l’origine de ce document très curieux qui comporte l’énumération de douze violations du Droit international par l’Allemagne et, je crois bien, treize violations par nos adversaires.
Je ne trouve pas que ce soit un document tellement extraordinaire. Ce tableau fut dressé fin septembre 1938, peu avant la conférence de Munich. Comme dans mon service nous n’étions pas sûrs si l’on en viendrait ou non à un conflit armé et comme les prescriptions du Droit international nous paraissaient obscures, je voulais me renseigner auprès des spécialistes de ce Droit, en leur soumettant maints exemples sur l’attitude que provoqueraient alors de telles violations. Tous les officiers de mon État-Major se cassèrent la tête pour imaginer des exemples et nous nous efforçâmes d’en trouver pour illustrer tous les aspects du domaine du Droit international. J’estime qu’il est bon de remarquer que déjà, à ce moment-là, nous nous préoccupions de cette idée de Droit international. Cela ne fait absolument aucun doute que moi seul suis responsable d’avoir établi cette série d’exemples. Mais si l’on trouvait à redire aux réponses données pour ces divers exemples, à savoir l’appréciation du point de vue du Droit international ou la justification conforme aux usages de la guerre, je puis seulement indiquer que ces réponses ne sont pas de moi, elles proviennent des services de Canaris. Par ailleurs, ce document dénote une attitude remarquablement soucieuse à l’égard du Droit international, surtout en ce qui concerne la guerre aérienne ; en tout cas, à un degré infiniment plus élevé que celui qui fut suivi en pratique.
Alors, avait-on l’intention de commettre ces violations du Droit international ?
Nullement ; mais, connaissant mon Histoire, je savais que jusqu’alors il n’y avait jamais eu aucune guerre au cours de laquelle il n’y eût pas de violations du Droit international. Si, peut-être, on formulait l’objection que l’alinéa se termine par une « explication du ministère de la Propagande », je voudrais faire remarquer que celle-ci ne figure qu’en tout dernier lieu, après les explications justificatrices selon les lois de la guerre et l’appréciation du point de vue du Droit international ; en outre, l’amiral Bürckner, qui formula la réponse, a déclaré également que la propagande pouvait entrer en ligne de compte seulement après que tous les aspects du domaine du Droit international eussent été clairement définis. De toutes façons, le problème dans son ensemble était envisagé ici d’une façon toute provisoire, étant donné qu’il fallait encore consulter à ce sujet le ministère des Affaires étrangères et les différentes branches de la Wehrmacht.
J’ai cité l’amiral Bürckner pour ces questions, mais je crois, finalement, que c’est une affaire de très peu d’importance ; c’est pourquoi je renonce à la comparution de ce témoin. (A l’accusé.) Je voudrais cependant vous poser encore une question sous ce rapport. Quelle était, d’une manière générale, votre attitude à l’égard des restrictions imposées par le Droit international à la conduite de la guerre ?
Je considérais le Droit international, dont j’avais fait une étude approfondie, comme une condition sine qua non de la conduite de la guerre d’une façon humaine. Un exemplaire du texte de la Convention de La Haye et de la Convention de Genève se trouvait toujours sur mon bureau à portée de main. En décrivant mon attitude à l’égard de l’ordre se rapportant aux commissaires politiques, de la question du lynchage et de l’intention de répudier totalement la Convention de Genève, — intention à laquelle tous les commandants en chef, toutes les branches de la Wehrmacht, ainsi que le ministère des Affaires étrangères opposèrent un refus catégorique — je crois avoir fourni la preuve que je tentai, dans toute la mesure de mes moyens, d’observer les prescriptions du Droit international. Toutefois, nombre de preuves existent déjà à ce sujet et sont fournies par des documents que vous présentera sans doute mon défenseur. Je me bornerai à signaler, d’une façon générale, la conduite des troupes de la Wehrmacht en Norvège, à l’égard de laquelle je revendique une part de responsabilité. Je soulignerai également la teneur des instructions sur la lutte contre les partisans...
Je dépose le document AJ-14, qui figure aux pages 99 et 100 du premier volume de mon livre de documents. Il s’agit de directives spéciales émises au début de ces opérations sur la conduite à maintenir au cours de l’occupation de la Norvège et du Danemark. Ce document renferme quelques phrases très caractéristiques que j’aimerais vous lire et que vous trouverez à la page 98 sous le chiffre I :
« L’occupation militaire du Danemark et de la Norvège a lieu dans le but d’assurer la neutralité de ces pays. Aussi faut-il que cette occupation s’effectue aussi paisiblement que possible. »
Puis, en haut de la page 99 :
« Instructions relatives à la conduite à tenir dans les rapports personnels avec la population norvégienne :
« Chaque membre de la Wehrmacht devra se rappeler qu’il n’entre pas en territoire ennemi, mais que les troupes entrent en Norvège pour protéger le pays et pour veiller à la sécurité de ses habitants. Par conséquent, il est ordonné ce qui suit :
« 1. Le sentiment national est très développé chez le Norvégien ; en outre, le peuple norvégien se sent très lié aux autres peuples nordiques. Donc, éviter tout acte qui puisse blesser son honneur national. »
L’alinéa 2 est également à signaler. Je lirai maintenant le quatrième alinéa :
« Conformément à l’antique conception germanique, le foyer est sacré pour le Norvégien. Une hospitalité généreuse y est pratiquée. La propriété est inviolable. La maison demeure... »
Nul n’est besoin de le lire en entier. Il me semble qu’un seul paragraphe suffira pour indiquer la nature de ce document.
Je ne lirai donc pas le reste de ce document et me bornerai à le signaler à l’attention du Tribunal, en le priant de lui accorder force probatoire.
Ensuite, vient encore la directive qui figure dans le document AJ-16...
Mais, Docteur Exner, ce dernier document ne semble pas avoir été signé par l’accusé, n’est-ce pas ?
Qu’avez-vous à voir avec ce document ? Avez-vous...
Il est signé par von Falkenhorst mais, comme chacun sait, l’État-Major général d’opérations et l’État-Major de von Falkenhorst ne formaient qu’un pour l’entreprise de Norvège. J’ai moi-même participé à la rédaction de ce document et je l’ai soumis au Führer, qui l’approuva. Il y a même à ce sujet une note dans mon journal.
Vient ensuite le document AJ-16 que je dépose maintenant : « Directives spéciales pour l’administration et la pacification des territoires occupés de Hollande, de Belgique et du Luxembourg ». Elles figurent à la page 161 du second volume de mon livre de documents, mais pour gagner du temps je n’en lirai qu’un seul extrait, à la page 162, la dernière phrase : « Les prescriptions du Droit international doivent être strictement observées ». Mais je prierai le Tribunal de bien vouloir accorder force probatoire aux autres dispositions contenues dans ce document.
C’est ici qu’il convient également de citer le document PS-440 qui a été déposé sous le numéro GB-107 et qui figure à la page 164 du second volume de mon livre de documents. C’est la directive n° 8 pour la conduite des opérations, datée du 20 novembre 1939, et où est décrite comme suit la tâche qui incombe aux forces aériennes ; j’en citerai le dernier alinéa :
« Les localités en général, particulièrement les grandes villes ouvertes et les centres industriels, ne doivent pas être attaqués sans une raison militaire impérieuse, que ce soit en Hollande ou dans le secteur Belgique-Luxembourg. Signé : Keitel. »
Est-ce vous qui avez rédigé ce document ?
Oui, c’est moi qui l’ai rédigé.
Oui ; nous pourrions peut-être encore attirer l’attention du Tribunal sur les instructions pour la lutte contre les partisans, dont il a déjà été question ici.
Oui, et je voudrais maintenant rappeler une déclaration que je crois avoir déjà faite ici une fois, à savoir que j’ordonnai une enquête immédiate sur l’incident de Malmédy.
En formulant vos ordres, avez-vous toujours tenu compte de leur aspect du point de vue du Droit international ?
Je crois l’avoir déjà dit : je me suis constamment préoccupé de cette question. Je ne voudrais pourtant pas prendre le temps du Tribunal en lui précisant toutes les connaissances — car elles sont incomplètes — que j’acquis en étudiant ces prescriptions. Mais je voudrais simplement conclure en disant que, du fait qu’il n’existait aucune convention régissant la guerre aérienne, il se produisit cette confusion si déplorable dans la définition de divers concepts, tels que « révolte » et « guerre légale » ; « franc-tireur », « bandit » et « éclaireur » ; entre « espion » et « éclaireur » ; entre « troupes de démolition » et « saboteurs ». A l’aide d’avions, une rébellion pouvait, d’un moment à l’autre, se transformer en une guerre légale ; d’autre part, une guerre légale pouvait soudain prendre l’aspect d’une rébellion. Voilà, au point de vue du Droit international, ce qui résulte de l’emploi de troupes parachutées et du ravitaillement et de l’approvisionnement par la voie des airs.
Je voudrais, à ce propos, lire ici la déclaration sous serment de Lehmann, déposée sous le numéro AJ-10 (document Jodl-63). Elle n’a pas été présentée au Tribunal car ce ne tut qu’hier que le Ministère Public donna son accord pour le dépôt de cet affidavit. Je crois que cette déclaration a été faite par le Generaloberstabsrichter Lehmann. Si le Tribunal estime que cette déclaration est admissible, je pourrais peut-être simplement en faire mention...
Où est cette déclaration ?
Je la dépose maintenant, mais elle n’a pas encore été traduite, car c’est hier seulement que la permission de présenter ce document nous a été accordée devant le Tribunal.
Ainsi que Sir David l’a déclaré hier, il n’y a pas d’objection à formuler contre cet affidavit, bien qu’il n’y ait pas eu, à proprement parler, de décision du Tribunal autorisant cette déclaration. Elle est très brève, Monsieur le Président, tout au moins l’exemplaire qui m’en a été soumis, et je ne pense pas qu’il y ait lieu de formuler une objection à son égard.
Pour gagner du temps, je me contenterai donc simplement de la mentionner et je prierai le Tribunal de vouloir bien prendre connaissance de ces déclarations du Dr Lehmann. Elles me semblent avoir une certaine importance, car il s’agit tout de même du témoignage du plus éminent juriste de la Wehrmacht.
Vous feriez bien de donner à ce document un numéro de dépôt.
Oui, j’ai déjà indiqué le numéro AJ-10, Monsieur le Président.
Bien.
Cette déclaration se rapporte à certaines discussions d’ordre juridique que le témoin eut avec Jodl et il nous décrit l’attitude de ce dernier à l’égard de tels problèmes. (A l’accusé.) Et maintenant, général, il nous reste encore une question à examiner à propos des violations du Droit international en temps de guerre. Maintes notes inscrites au Journal de guerre, divers ordres, etc. font la base d’accusations très graves portées contre vous. Avant d’être fait prisonnier, avez-vous eu la possibilité de détruire tous ces documents ?
Oui, entre le 3 mai et le 23 mai, j’aurais eu tout le temps de détruire jusqu’au moindre chiffon de papier, mais je donnai ordre à mon État-Major de ne pas détruire la moindre pièce, et cela parce que j’estimais que je n’avais rien à cacher. Au moment d’être capturé, j’ai remis à l’officier américain tous les dossiers au grand complet, y compris surtout les documents les plus importants, à savoir tous les originaux des ordres du Führer depuis 1940.
Et maintenant, je vais me référer aux crimes commis contre la Paix. Il nous faut d’abord établir clairement quels postes vous avez détenus au cours de cette période critique. Veuillez nous dire, je vous prie, quels sont les postes que vous avez occupés depuis 1933 ?
De 1932 à 1935, j’ai été dans le service qui fut appelé plus tard Service des opérations de l’Armée. Depuis le milieu de l’année 1935 jusqu’en octobre 1938, j’ai été chef de la section de la Défense du territoire dans le Wehrmachtsamt, plus tard l’OKW.
Cela veut dire que le Wehrmachtsamt est devenu l’OKW ?
Oui, c’est cela. Depuis le mois d’octobre 1938 jusqu’à la période qui a immédiatement précédé le début de la campagne de Pologne, j’ai été commandant de l’artillerie à Vienne et à Brno, en Moravie ; et, à partir du 27 octobre 1939...
Un instant, je vous prie. Vous dites le 27 septembre ?
Non, en août, plutôt. Le 27 août 1939 je fus chargé de remplir les fonctions et les tâches de chef de l’État-Major général.
Considérons donc toute cette période. Au cours des années 1932 à 1935, lorsque vous faisiez partie de ce que l’on appelait le « Truppenamt », vous êtes-vous occupé de projets concernant une guerre éventuelle ?
A ce moment-là, on ne faisait dans cette section aucun travail préparatoire, à l’exception d’une instruction de combat pour la protection de la frontière à l’Est. Il s’agissait d’une organisation assez semblable à une milice et on avait fait certains préparatifs pour permettre l’évacuation de toute la zone frontière allemande en cas d’occupation ennemie en guise de « sanctions ». Mais c’était tout.
Avez-vous pris part à l’élaboration du décret sur le service militaire obligatoire ?
Non, je n’ai eu absolument rien à faire avec cela ; je crois même que je n’en ai été informé que la veille de sa proclamation.
Quelles étaient les tâches qui vous incombaient en tant que chef de la section de la Défense du territoire, de juin 1935 à octobre 1938 ?
Je dus élaborer, conformément aux ordres de mes supérieurs Keitel et Blomberg, les instructions sur les directives stratégiques des opérations. Je dus étudier et résoudre le problème de la direction de la Wehrmacht ; établir des plans d’études et d’exercices pour les grandes manœuvres de la Wehrmacht en 1937. J’eus à diriger l’académie de la Wehrmacht ; à élaborer des projets de lois en rapport avec le service militaire obligatoire et avec la centralisation des préparatifs de mobilisation du secteur civil, c’est-à-dire de l’État et du peuple. On m’avait aussi confié la direction de ce que l’on nommait le secrétariat du comité de la Défense du Reich.
Qu’étiez-vous à ce moment-là ? Quel était votre grade ?
Je suis entré en fonctions comme lieutenant-colonel ; et, en 1936, je crois, je fus promu colonel.
Avez-vous participé à l’élaboration de la loi de la défense du Reich ?
Non, cette loi fut promulguée avant mon entrée dans le Wehrmachtsamt.
Mais le Ministère Public vous accuse d’y avoir participé, en offrant comme preuve votre additif au document PS-2261, qui a été déposé sous le numéro USA-24, et qui figure à la page 9 du premier volume de mes documents. Dans ce document, nous lisons :
« Ci-joint copie de la loi de la défense du Reich du 21 mai 1935... » La signature est celle de Blomberg et la date celle du 24 juin. Puis, vient une phrase supplémentaire : « Berlin, le 3 septembre 1935. Au groupe 1 a) de la défense économique, copie transmise. Signé : Jodl ». Que pouvez-vous dire à ce sujet ?
Il est indéniable qu’il s’agit ici d’une loi authentique du Reich, dont je transmis une copie à un autre service. C’est tout ce qu’il y a à dire à ce sujet.
Mais vous n’avez pas participé personnellement à l’élaboration de ce texte ?
Non, aucunement.
Étiez-vous membre du Conseil de la Défense du Reich ?
Non.
Étiez-vous membre du Comité de la Défense du Reich ?
Je le suis devenu automatiquement dès que je fus nommé chef de la Défense du territoire. Le 26 juin 1935, lors de la dixième réunion de ce comité de spécialistes, le général von Reichenau me désigna comme son représentant.
Quelle était la tâche de ce comité ? On en a déjà parlé, je crois, je vous prierai donc d’être bref.
En résumé, ce comité devait réaliser une mobilisation coordonnée, non pas de l’Armée, mais de toutes les ressources de l’État et du peuple, parallèlement à la mobilisation militaire. Un opuscule d’instructions spéciales fut publié, dans lequel on spécifia les chiffres requis et le rendement à atteindre aux divers échelons.
Qu’était-ce que ces divers échelons ?
Nous avions pris connaissance de cette méthode en France et l’avions mise en application. La France avait établi un système selon lequel la mobilisation devait s’effectuer en cinq étapes ou échelons.
Avons-nous vraiment besoin de tous ces détails ? Il me semble qu’il suffirait de mentionner que c’était une méthode française qui fut copiée par les Allemands.
Oui, Monsieur le Président. (A l’accusé.) Peut-être pouvez-vous nous dire la raison pour laquelle nous nous sommes servis de cette méthode, quel en était le but ?
Le but que nous nous proposions, pareillement à tous les autres États européens à l’époque, était d’obtenir un moyen capable de réaliser un état de mobilisation complète pour la guerre, avant même qu’aucun ordre officiel ne fût publié dans ce sens.
Le Comité pour la défense du Reich s’intéressait-il au réarmement ?
Non. Il ne s’occupa absolument pas du réarmement.
Le Comité pour la défense du Reich s’intéressa-t-il aux plans ou projets politiques ?
Non, il ne s’est occupé d’aucune sorte de problèmes politiques.
Mais alors, et la guerre ?
Il s’est occupé seulement de la mobilisation.
A savoir, en vue d’une guerre précise...
La mobilisation est indispensable pour toute éventualité de guerre.
Dans ce comité, vous vous êtes occupé de l’opuscule sur la mobilisation, n’est-ce pas ?
Oui, je crois l’avoir déjà mentionné. Cet opuscule établissait en détails les chiffres de rendement, en étapes ou échelons, de tous les services principaux du Reich.
Qu’entendez-vous par « services principaux du Reich » ?
J’entends par là tous les ministères.
C’est-à-dire les autorités civiles ?
Oui, les autorités civiles les activités devaient être conduites en corrélation avec celles du domaine militaire.
Quels furent les préparatifs effectués dans les zones démilitarisées ?
Dans les zones démilitarisées, on effectua exclusivement des préparatifs d’évacuation, à savoir l’abandon de la rive gauche du Rhin, en cas d’occupation par la France.
Je crois qu’on en a déjà parlé en détail et, à ce propos, j’attire l’attention du Tribunal sur le document EC-405, déposé sous le numéro GB-460, qui figure à la page 11 du premier volume de mon livre de documents, où il est question de la dixième réunion. Or, on vous reproche d’avoir ordonné de garder le secret le plus absolu sur tous ces préparatifs qui, selon vous, étaient de nature purement défensive. Pourquoi donc toutes ces précautions ?
Il est d’usage reconnu dans le monde entier, de maintenir un tel secret. Pour nous, en Allemagne, il était d’autant plus important de l’observer que, depuis des années, les administrations civiles avaient perdu l’habitude de s’occuper de questions d’ordre militaire ; et il me paraissait très important de ne pas éveiller une fausse impression à l’étranger, par exemple au cas où un document de ce genre pouvait tomber entre les mains d’autrui. Un malentendu typique s’est produit au cours même de ces débats à propos de l’expression « libération du Rhin » qui a été employée.
Pourquoi avez-vous prescrit le secret ? Pour ne pas inquiéter l’étranger ?
A cette époque, nous étions encore plus faibles qu’au moment de l’armée de 100.000 hommes. Cette dernière avait été fragmentée en centaines de petits groupes, et c’était la période de notre plus grande impuissance ; il importait donc, à ce moment-là, d’éviter soigneusement toute tension avec l’étranger.
Quelle était la nature des plans militaires de cette époque ?
J’ai déjà indiqué qu’il existait des dispositions de combat concernant la protection des frontières de l’Est. De cette époque date également une instruction à l’adresse du commandant militaire en Prusse Orientale, pour le cas où une attaque sou-daine par la Pologne le séparerait du Reich.
Étiez-vous alors au courant d’une intention agressive de la part de l’Allemagne ?
Il n’en était nullement question, et l’on n’y songeait même pas.
Eh bien, je voudrais lire une seule phrase extraite d’un document sur la douzième réunion du Conseil de la Défense du Reich. C’est un extrait du document EC-407, déposé sous le numéro GB-247, et qui figure à la page 14 du premier volume de mes documents. A cette réunion, le lieutenant-colonel Wagner, de l’OKH, déclarait... — à propos, qui était-il ?
Il devint plus tard intendant général.
Le Lieutenant-colonel Wagner déclarait : « Le dénouement de la guerre (il s’agit là de la première guerre mondiale) a laissé une situation militaire et politique complètement transformée quant à la possibilité d’une guerre future, à savoir la nécessité de la faire dans son propre pays ». Il fit cette déclaration le 14 mai 1936. Comment interprétez-vous cette phrase ?
Évidemment, on pourrait prétendre...
Docteur Exner, il s’agit là d’une affirmation d’une tierce personne dont nous n’avons qu’à accepter les termes. Il ne peut être question que le témoin nous en fasse l’interprétation.
Bien. (A l’accusé.) Dites-nous alors si vous vous êtes occupé de réarmement lorsque vous étiez au « Truppenamt » et, plus tard, à la « Landesverteidigung » ?
Personnellement, je n’avais rien à faire avec le réarmement proprement dit. C’était l’affaire des différentes armes de la Wehrmacht, à savoir de l’Armée, de la Marine et de l’Aviation, et ce problème était traité par les services d’organisation de ces trois armes ; et les chefs des trois armes en référaient directement au Führer, pour ces questions. Toutefois j’espère, et je ne le nierai pas, que mon travail à l’État-Major général a contribué à la reconstruction de la Wehrmacht.
Votre journal, document PS-1780, ne fait aucune mention d’armement. Il semblerait donc évident que vous ne vous occupiez pas de ce problème à cette époque. Quelles étaient cependant vos idées et votre opinion à ce sujet ? Étiez-vous partisan du réarmement ?
J’étais alors du même avis que mes supérieurs ; il est d’ailleurs tout à fait significatif que, la veille de la proclamation de la mise sur pied de 36 divisions, tant Blomberg que Fritsch proposèrent au Führer de ne mettre sur pied que 24 divisions. Ils craignaient que l’ensemble de l’Armée n’en souffrît et peut-être aussi une politique extérieure trop audacieuse, qui ne serait soutenue que par des forces qui n’existaient que sur le papier.
Veuillez répondre à une question qui me semble importante : quels étaient le but et le délai fixés pour le réarmement, en 1935 ?
On prévoyait diverses étapes. La première était fixée à 1942-1943. La ligne Siegfried devait être presque complètement terminée en 1945 ; le programme de la Marine s’échelonnait jusqu’en 1944-1945.
Quel était alors, à vos yeux, le but du réarmement ?
Étant donné qu’il s’était avéré impossible de réaliser le désarmement, le but était d’obtenir la parité sur le plan militaire entre l’Allemagne et les pays voisins.
Je voudrais, sous ce rapport, attirer l’attention du Tribunal sur un document qui a déjà été déposé : le rapport établi pour une période de deux années, du général George Marshall. Il a été déjà déposé comme document à décharge sous le numéro Raeder-19. L’extrait que j’ai ici devant moi et que j’ai déposé sous le numéro AJ-3 (document Jodl-56) se trouve à la page 168 et, à propos de la question du réarmement, il contient, à mon avis, quelques phrases très pertinentes qui touchent le cœur du problème.
Dans le deuxième alinéa, page 6, à la dernière phrase, nous lisons : « Le monde n’attache pas d’importance aux revendications des faibles. La faiblesse est une trop grande tentation pour les puissants, et surtout pour les amateurs de violence qui aspirent à la richesse et au pouvoir ».
Et ensuite, à la page suivante, une phrase que je cite :
« Il me semble que nous devons, avant tout, rectifier le malentendu tragique qui tend à identifier la politique de sécurité à une politique de guerre... »
Pouvez-vous me dire, je vous prie, quel était à l’époque le rapport de forces sur le plan militaire, entre l’étranger et nous ?
Lorsque, en 1935, nous avons mis sur pied 36 divisions, la France, la Pologne et la Tchécoslovaquie possédaient 90 divisions du temps de paix et 190 divisions du temps de guerre. Nous n’avions pas d’artillerie lourde et l’arme blindée en était encore à ses débuts. Il a été question ici à plusieurs reprises de ce que l’on appelle l’armement défensif et l’armement offensif. Cela nous mènerait trop loin d’entrer dans les détails, mais, tout ce que je puis dire, c’est que ces conceptions ne pouvaient pas exister pour l’Allemagne en raison de sa situation géographique. La Conférence du désarmement, elle aussi, échoua après des tentatives qui durèrent des mois, et elle échoua justement parce qu’aucun accord ne put intervenir sur la définition de ces conceptions.
Je voudrais citer encore l’avis d’une personnalité compétente, à savoir George Marshall, de nouveau. L’extrait se trouve à la page 168 de mon livre de documents que je viens de citer, et je n’en lirai qu’une seule phrase qui figure au premier alinéa :
« Le seul mode de défense efficace qu’une nation puisse maintenir actuellement est la puissance d’attaque... »
Or, le Ministère Public prétend que vous auriez dû savoir qu’un réarmement aussi vaste que celui entrepris par l’Allemagne ne pouvait servir qu’à une guerre d’agression. Qu’en pensez-vous ?
Le fait de formuler une pareille assertion ne peut s’expliquer, je crois, que par un manque de connaissance sur le plan militaire. Jusqu’en 1939, nous étions, il est vrai, en mesure d’abattre la Pologne seule ; mais nous n’avons jamais été en mesure, ni en 1938, ni en 1939, de nous opposer à une attaque concentrique de ces nations réunies. Et si nous ne nous sommes pas effondrés dès 1939, cela est dû simplement au fait que, pendant la campagne de Pologne, les 110 divisions françaises et britanniques à l’Ouest sont demeurées absolument inactives en face des 23 divisions allemands.
Mais, dites-nous alors quand le réarmement allemand a été entrepris sur un rythme vraiment intensif ?
Un réarmement intensif ne commença, en réalité, qu’après le début de la guerre. Nous sommes entrés dans cette guerre avec environ 75 divisions. Soixante pour cent de notre potentiel d’effectifs n’avait encore subi aucune formation militaire. L’Armée du temps de paix comprenait environ 400.000 hommes, contre nos 800.000 en 1914. Nos réserves en munitions et en obus, ainsi que l’a déjà déclaré le témoin Milch, atteignaient alors un niveau dérisoire.
Je voudrais lire à ce propos une note de votre journal, qui figure à la page 16 du premier livre de documents et fait partie du document PS-1780, déposé sous le numéro USA-72. En date du 13 décembre, voici ce que vous écriviez :
« Ayant terminé avec le projet de la L » — c’est-à-dire la « Landesverteidigung », la défense nationale — « le maréchal a présenté un rapport sur l’état du potentiel de guerre de la Wehrmacht, en précisant que les difficultés les plus sérieuses se rencontraient dans l’approvisionnement en munitions pour l’Armée, qui est fort insuffisant et ne représente que dix à quinze jours de combat, ce qui équivaut à six semaines de réserves. »
Ainsi, nous pouvions nous battre pendant dix à quinze jours.
J’en viens maintenant à la question de la réoccupation de la Rhénanie.
Nous allons suspendre l’audience.
Général, quand avez-vous entendu parler pour le première fois de l’intention de réoccuper la Rhénanie ?
Le 1er ou le 2 mars 1936, c’est-à-dire environ six jours avant l’occupation effective. Je n’aurais pu en avoir connaissance plus tôt, car avant cela le Führer lui-même n’avait pas encore pris la décision.
Aviez-vous, avec les autres généraux, quelque objection à formuler contre cette occupation, au point de vue militaire ?
Je dois reconnaître que nous éprouvions une certaine anxiété, pareille au sentiment du joueur qui a misé toute sa fortune sur une couleur.
Aviez-vous des objections juridiques ?
Non, je n’étais ni spécialiste du Droit international, ni politicien. Sur le plan politique, on nous déclarait que le pacte entre la Tchécoslovaquie, la Russie et la France avait enlevé toute efficacité au Pacte de Locarno, ce que j’acceptai alors comme un fait accompli.
Quels furent nos effectifs en Rhénanie après la réoccupation ?
Nous occupâmes la Rhénanie avec une division environ, mais dont trois bataillons seulement se rendirent dans la région à l’ouest du Rhin : un bataillon à Aix-la-Chapelle, un à Trêves et un à Sarrebrück.
Trois bataillons ? Ce fut, en somme, une occupation purement symbolique, n’est-ce pas ?
Oui, toute l’opération ne fut que symbolique.
Avez-vous pris une mesure afin d’éviter qu’un conflit ne surgisse à la suite de cette occupation ?
Nous reçûmes des rapports forts alarmants de nos attachés militaires d’alors à Paris et à Londres, qui ne manquèrent pas de m’impressionner. Nous suggérâmes alors au maréchal von Blomberg qu’il serait bon peut-être de parler et d’envisager le retrait de ces trois bataillons de la Rhénanie, à condition toutefois que les Français retirent quatre à cinq fois le même nombre d’hommes qui étaient massés sur leurs frontières.
Cette proposition fut-elle jamais faite ?
Oui, elle fut faite au Führer, mais celui-ci la repoussa. Il rejeta catégoriquement la proposition du général Beck, qui voulait déclarer que nous ne fortifierions pas la rive gauche du Rhin. Ce fut une proposition du général Beck que le Führer repoussa catégoriquement.
Avez-vous pensé à ce moment-là qu’une telle opération décelait une intention agressive ?
Nullement, il ne pouvait être question d’intentions agressives.
Pourquoi pas ?
Je ne puis vous répondre que ceci : dans la situation qui était alors la nôtre, l’armée de couverture française à elle seule aurait pu nous anéantir.
Pensez-vous que certaines personnalités responsables avaient alors des intentions agressives ?
A mon avis, personne n’avait alors d’intentions agressives ; il est possible toutefois que, dans le cerveau du Führer, fût née l’idée que c’était là une condition préalable qui lui permettrait d’agir plus tard à l’Est. C’est possible ; je ne le sais pas car j’ignorais ce qui se passait dans le cerveau du Führer.
Mais vous n’en avez perçu aucun signe extérieur ?
Non, aucun.
Étiez-vous au courant d’un prétendu testament de Hitler daté du 5 novembre 1937, et qui a été déposé devant ce Tribunal ?
Je l’ai entendu lire pour la première fois ici, dans cette salle.
Qu’avez-vous entendu naguère à ce sujet ?
Le maréchal von Blomberg informe le général Keitel et celui-ci me mit au courant du fait qu’une discussion avait eu lieu chez le Führer. Lorsque je demandai un compte rendu, on me répondit que l’on n’en avait pas. Je puis le prouver car je l’ai mentionné dans mon journal (document PS-1780). Ce qu’on me dit n’avait absolument rien de sensationnel et ne me parut pas autrement remarquable ou différent des autres mesures d’ordre général à prendre en préparation d’une guerre. Je ne puis que supposer que le maréchal von Blomberg garda ces choses pour lui, ne croyant pas lui-même à la possibilité de leur exécution, même éventuelle.
Existait-il un plan d’opérations contre l’Autriche ?
Il n’y avait pas de plan d’opérations contre l’Autriche. Je tiens à le souligner formellement.
Nous en arrivons maintenant au document C-175, déposé sous le numéro USA-69 et qui figure à la page 18 et suivantes du premier volume de mes documents. C’est une directive visant la coordination des préparatifs de guerre de la Wehrmacht pour l’année 1937. Le Ministère Public, en son temps, n’a cité dans cette directive que le seul « Cas Otto », de sorte que l’impression fut créée qu’il ne s’agissait là que d’un plan de campagne contre l’Autriche. Veuillez nous expliquer la signification de cette directive ?
C’était une de ces directives types de préparation à la guerre, comme il en avait paru chaque année en Allemagne depuis qu’il existait un État-Major général et un service militaire obligatoire, et qui devait envisager toutes les éventualités possibles. Ces études militaires, toutes théoriques, distinguaient entre deux sortes de cas : d’une part, les cas de guerre qui, par leur nature même étaient, au point de vue politique, probables ou éventuels et, d’autre part, ceux qui ne l’étaient point. Pour les premiers, un plan d’opérations devait être établi par l’Armée et par l’Aviation ; pour les autres, il suffisait de formuler diverses propositions applicables. Si le Tribunal veut bien se référer à la page 21 du document, il y lira au bas de la page, troisième partie, la phrase suivante : « Les cas particuliers énumérés ci-après sont à envisager par le Haut Commandement, d’une façon générale, mais sans la participation des services régionaux... » et parmi ceux-là, à la page 22, figure le « Cas Otto ».
A la page 18 de ce document, se trouve une directive, valable du 1er juillet 1937 au 30 septembre 1938 probablement, c’est-à-dire un peu plus d’un an, et qui remplaçait, à son tour, une instruction semblable, dont il est question au premier alinéa, qui avait été établie précédemment à propos des mêmes questions. Avez-vous pris part à des entretiens au sujet de l’Autriche ?
Non, je n’ai jamais pris part à un entretien.
Le dossier d’audience du Ministère Public indique que, le 12 février 1938, vous étiez à l’Obersalzberg ; Keitel l’a d’ailleurs confirmé. L’inscription dans votre journal, à la date du 12 mars 1938, se fonde donc sur une indication fournie par Keitel. Est-ce exact ?
Oui, ce n’est qu’une simple note au sujet d’un court récit que me fit le maréchal Keitel sur les événements de cette journée et qui était même quelque peu exagéré.
Mais il est inscrit, le 11 février au soir : « Le général Keitel, avec les généraux von Reichenau et Sperrle à l’Obersalzberg. Schuschnigg et G. Schmidt soumis à une forte pression politique et militaire ». Les traductions anglaise et française indiquent que Schuschnigg et Schmidt sont « de nouveau soumis à une forte pression politique et militaire ». Ce mot « de nouveau » ne figure pas dans mon texte original en allemand. Eh bien, avez-vous préconisé qu’on entreprenne des manœuvres fictives contre l’Autriche ? On vous le reproche.
Je n’ai pas proposé de manœuvres fictives. C’est le Führer qui les ordonna. Il ne me semble d’ailleurs pas qu’elles soient illégales, car au cours de ce jeu de hasard qu’est l’Histoire du monde, dans la politique comme dans la guerre, je crois qu’on a toujours joué de fausses cartes. Mais le Führer l’ordonna et c’est ce que j’ai noté dans mon journal. Je fournis à Canaris des renseignements militaires et des documents sur les emplacements de nos effectifs et sur les manœuvres qui avaient lieu. Canaris en rédigea un rapport, qu’il fit alors circuler à Munich.
Selon vous, quel était le but...
On m’avait dit que le but était d’exercer une certaine pression sur Schuschnigg afin qu’à son retour en Autriche il demeurât fidèle à l’accord conclu à l’Obersalzberg.
Combien de temps avant l’entrée des troupes en Autriche avez-vous été avisé de cette intention ?
Je l’ai appris le 10 mars au matin, un peu avant 11 heures...
Et quand eut lieu l’entrée des troupes ?
Le 12 mars. Ce fut lorsque le général Keitel et le général Viehbahn, qui était alors provisoirement chef de l’État-Major des opérations de la Wehrmacht, furent soudain convoqués à la Chancellerie du Reich que je fus mis au courant de ce projet pour la première fois.
Un plan était-il alors déjà dressé ?
Le Führer les étonna en déclarant que le problème qui se posait était celui de l’Autriche. C’est alors qu’ils se souvinrent qu’il existait un plan d’État-Major « Otto ». Ils me le mandèrent et je leur confirmai que la directive en question existait, mais qu’aucune disposition pratique n’avait encore été prise. Étant donné que cette étude, purement théorique, n’avait été élaborée que pour l’éventualité d’une restauration monarchique en Autriche, et qu’une telle restauration n’était pas envisagée pour le moment, l’OKH n’avait ordonné aucune mesure à ce sujet.
Comment envisagiez-vous, personnellement, toute cette opération autrichienne ?
Cela m’apparut comme une discussion de famille qui, dans un court laps de temps, se résoudrait sur le plan politique en Autriche même.
Et qu’est-ce qui vous le fit penser ?
Ma connaissance approfondie de l’Autriche. Grâce à ma parenté et à mes amitiés, par le club alpin germano-autrichien dont je faisais partie, par ma connaissance des régions montagneuses d’Autriche, j’avais eu un contact bien plus étroit avec ce pays qu’avec l’Allemagne du nord même, et je savais que depuis longtemps il avait à sa tête un gouvernement dont son peuple ne voulait pas ; la révolte paysanne en Styrie en est un témoignage typique.
L’entrée en Autriche fut donc, en somme, la réalisation du projet C-175 ?
Non, pas du tout. L’opération fut improvisée en quelques heures, avec un résultat ad hoc. Soixante-dix pour cent de tous nos engins blindés et camions demeurèrent en panne sur la route de Salzbourg et Passau à Vienne, parce que les chauffeurs auxquels on avait confié cette tâche étaient des recrues qui n’avaient pas encore terminé leur entraînement.
Accusé, vous avez dit tout à l’heure n’est-ce pas, que le Führer avait déclaré qu’il s’agissait du problème de l’Autriche ? Vous avez dit cela, n’est-ce pas ?
Je disais que le Führer en avait informé le général Keitel et le général Viehbahn, le 10 mars au matin. Il ne m’avait rien dit, et d’ailleurs, jusqu’à ce jour-là, je n’avais jamais parlé avec le Führer.
Je voulais connaître la date exacte. C’est bien le 10 mars ?
Oui, le 10 mars au matin.
Est-il exact que seules des formations du temps de paix pénétrèrent dans les régions frontalières, en territoire autrichien ?
Oui, ce ne furent effectivement que des formations de paix, destinées à défiler à Vienne, qui entrèrent en Autriche. Toutes les unités nécessaires à un conflit éventuel avec la Tchécoslovaquie ou l’Italie, par exemple, furent arrêtées à la dernière minute, avec l’ordre de ne pas franchir la frontière.
Et les colonnes de munitions, par exemple ?
Pareillement, elles restèrent en Allemagne.
Parmi les dirigeants politiques, se produisit-il à la dernière minute quelque hésitation dans cette affaire ?
Le 11 mars, au cours de l’après-midi, on me communiqua de la Chancellerie du Reich, l’ordre que la Wehrmacht ne devait pas bouger et que seule la Police, traversant les formations de la Wehrmacht, ferait son entrée. Le soir du 11 mars, par contre, à 20 h. 30, l’ultime décision me parvint : la Wehrmacht entrerait tout de même en Autriche. Quel fut le motif de ces hésitations, je n’ai jamais pu le connaître.
Alors, en somme, il n’y eut pas vraiment d’invasion par la force ?
Non, ce fut une occupation absolument pacifique. Un fait caractéristique : je proposai au chef du service des opérations de la Wehrmacht : « Emmenez la musique ; mettez-là en tête. Faites mettre des lunettes à tous vos chauffeurs car, autrement, ils auront les yeux crevés par les fleurs qu’on leur jettera ! »
Que signifiait l’ordre d’entrée en Autriche que vous avez signé ? Il vous a été présenté comme document C-182, déposé sous le numéro USA-77. Vous en souvenez-vous ?
Oui, je m’en souviens. Ce n’est qu’une confirmation écrite d’un ordre qui avait été donné verbalement et qui était déjà en cours d’exécution. L’ordre écrit serait parvenu bien trop tard si l’on avait attendu.
Et quelle est la signification du document C-103, déposé sous le numéro USA-75, relatif à un conflit éventuel avec des troupes tchèques ou italiennes sur territoire autrichien ? Comment se fait-il que vous ayez donné un pareil ordre ?
Il fut donné sur la demande de l’État-Major général de l’Armée, qui voulait être fixé, même pour les cas les plus invraisemblables, sur le comportement à ordonner aux troupes. Je réglai la question avec le Führer au téléphone, par l’entremise du général Schmundt, et ensuite j’incorporai sa décision dans cette directive, sur son ordre.
De quelle façon s’effectua toute l’opération ?
Tout se passa exactement comme prévu. Ce fut un triomphe, une marche de gloire comme on a rarement dû en voir dans l’Histoire, même si aujourd’hui on n’aime pas s’en souvenir. La population vint au-devant de nous dans la nuit même ; les cabanes des douaniers furent détruites, les poteaux frontières furent arrachés ; ce fut un véritable « cortège de fleurs » pour l’Armée allemande.
Nous en arrivons à la question de la Tchécoslovaquie. Avez-vous pris part aux conférences des 21 avril 1938 et 28 mai 1938, que le Ministère Public a stigmatisées sous l’allure de véritables entretiens de conspirateurs ?
Je n’ai pris part à aucune de ces conférences.
Quels étaient alors les travaux prévus dans votre État-Major pour le « Cas Vert », qui est, comme nous le savons, l’opération effectuée contre la Tchécoslovaquie ?
Pour cela, je dois me reporter à nouveau au document C-175, qui figure à la page 17 du livre de documents n° 1. Dans cet ordre général de préparatifs de guerre éventuelle, deux cas principaux étaient prévus ou devaient faire l’objet d’études : un plan de stratégie défensive pour le cas où la guerre serait déclarée par la France, le « Cas Rouge » ; et un plan de stratégie offensive, le « Cas Vert », contre la Tchécoslovaquie. Même si nous n’avions pas eu une querelle sérieuse avec la Tchécoslovaquie, nos plans auraient été établis de la même façon, car le problème auquel nous devions toujours faire face était celui d’une guerre sur deux fronts, et celle-ci ne pouvait être menée ni gagnée autrement que par une attaque contre notre adversaire le plus faible. Cette directive, pour autant qu’elle se rapportait au « Cas Vert », dut être révisée dès que l’Autriche devint, automatiquement, une nouvelle zone permettant la concentration de nos troupes. Ainsi, le 20 mai 1938, je dressai pour le « Cas Vert » un nouveau projet qui commençait par la formule habituelle : « Je n’ai aucune intention de lancer une attaque à main armée contre la Tchécoslovaquie, dans un proche avenir, à moins d’une provocation... »
Un instant, je vous prie ! Cette citation est tirée du document PS-388 (USA-26) qui date du 20 mai 1938 : « Je n’ai aucune intention de lancer une attaque à main armée contre la Tchécoslovaquie dans un proche avenir, à moins d’une provocation... » Veuillez continuer, s’il vous plaît.
Oui, c’était le 20 mai. Le 21, c’est-à-dire le lendemain, il se produisit un gros incident. La Tchécoslovaquie non seulement mobilisa, mais marcha jusqu’à nos frontières. Le chef de l’État-Major tchécoslovaque donna comme explication à Toussaint que douze divisions allemandes avaient été concentrées en Saxe. Je ne puis qu’affirmer, et le prouver par les inscriptions de mon journal, que pas un seul soldat allemand n’avait bougé. Rien, absolument rien n’avait été entrepris.
A ce propos, je crois qu’il est de mon devoir d’attirer l’attention du Tribunal sur un questionnaire, le document AJ-9 (Jodl-62), qui a été adressé au général Toussaint, qui était à l’époque attaché militaire allemand à Prague. Il confirme que la mobilisation eut lieu. Volume III, 199 (au bas de la page 201 du document), nous lisons la question suivante : « Quelle fut la cause de la mobilisation tchécoslovaque en mai 1938 ? » A laquelle il répond : « Mon avis personnel est que le Gouvernement tchécoslovaque voulait ainsi forcer ses alliés politiques à prendre nettement position. Le chef de l’État-Major général tchécoslovaque Krejci me donna comme motif de la mobilisation qu’il avait reçu des renseignements précis au sujet d’une concentration de dix ou douze divisions allemandes dans la région de Dresde, et qu’il ne pouvait plus longtemps assumer la responsabilité de ne pas prendre de contre-mesures ».
D’autre part, il faut mentionner également une note à ce sujet, inscrite au journal de Jodl, page 26, volume I : « La décision du Führer de ne pas encore s’occuper du problème tchèque est modifiée par le mouvement des troupes tchèques du 21 mai, qui se produisit sans qu’il y eût la moindre menace de la part de l’Allemagne et sans autre cause apparente. Si l’Allemagne ne manifeste aucune réaction, il en résultera pour le Führer une perte de prestige qu’il n’est pas disposé à accepter de nouveau. D’où la nouvelle directive pour le « Cas Vert » en date du 30 mai. » C’est un extrait du journal de Jodl, à la page 26 du premier volume de documents. (A l’accusé.) Veuillez continuer, je vous prie.
Ce sont là les renseignements que je reçus du général Keitel, ainsi qu’en partie du commandant Schmundt, sur l’impression qu’avait éprouvée le Führer. Il en résulta que ce dernier modifia lui-même mon projet du 20 mai auquel il ajouta le préambule suivant : « Ma décision irrévocable est de détruire sous peu la Tchécoslovaquie par une action militaire. Il appartient à la direction politique de décider le moment opportun, tant au point de vue militaire que politique ».
Cette déclaration figure dans le document PS-388, auquel je me suis déjà référé et qui a été déposé sous le numéro USA-26 ; c’est la directive du 30 mai 1939. (A l’accusé.) Donnez-nous un bref résumé de ces directives.
Dans cet ordre du 30 mai, le Führer prévoyait trois éventualités de conflit avec la Tchécoslovaquie :
1. Sans cause précise. Chose politiquement impossible et donc hors de question.
2. Après une période de tension assez longue. Pas du tout souhaitable, l’élément de surprise faisant entièrement défaut.
3. La meilleure solution. Après un incident tel qu’il s’en produisait alors journellement, qui nous justifierait aux yeux du monde si nous nous décidions à intervenir.
De plus, il donnait l’ordre à l’Armée de franchir les fortifications le premier jour afin que les forces mobiles, les chars, aient la route libre, si bien qu’au bout de quatre jours il se présenterait une situation militaire intenable pour la Tchécoslovaquie.
Pourquoi la directive fut-elle donc complètement modifiée en juin ?
La directive C-175 fut entièrement révisée au mois de juin parce que, le 1er octobre, une nouvelle période annuelle de mobilisation intervenait et parce que, de toutes façons, l’ordre C-175 n’était valable que jusqu’au 30 septembre 1938. Évidemment, l’ancienne directive demeurait en vigueur jusqu’au 1er octobre, date à laquelle elle était remplacée par celle que je rédigeai le 24 juin, ou plutôt le 18 juin. Dans cette nouvelle directive, le « Cas Vert » était traité conformément aux intentions du Führer, c’est-à-dire que c’était le but immédiat de sa politique qu’à partir du 1er octobre 1938 — non pas à cette date-là, mais à partir du 1er octobre 1938 — il s’agissait de saisir toute occasion favorable pour résoudre le problème tchécoslovaque, mais seulement si la France n’intervenait pas activement, ni la Grande-Bretagne non plus. Je spécifie qu’il n’y a jamais eu de date fixe dans aucun ordre pour déclencher une guerre contre la Tchécoslovaquie. Au contraire, l’ordre du 30 mai laissait la date imprécise et le nouvel ordre C-175, du 18 juin, spécifiait simplement : à partir du 1er octobre, à la première occasion favorable...
Cela se trouve à la page 29 de notre livre de documents, second alinéa : « J’ai décidé qu’à partir du 1er octobre... »
Afin d’éclairer la question, puis-je conclure en disant qu’avant le 14 septembre, rien ne, se produisit en fait, au point de vue militaire.
Je me réfère encore une fois à une inscription du journal de Jodl, page 32 du premier volume de documents. C’est un extrait du document PS-1780 (USA-72) en date du 14 septembre 1938 : « A midi, on annonça que l’ordre général de mobilisation avait été affiché en Tchécoslovaquie... Toutefois, cette mobilisation n’eut pas lieu, quoique huit classes environ fussent appelées à bref délai. Comme les Allemands des Sudètes sont en train de traverser la frontière en masse, nous demandons, vers 17 h. 30, sur la suggestion de l’OKH, 2e bureau, le renforcement du service des gardes-frontières (GAD) tout le long de la frontière tchèque, dans les IVe , VIIIe , XIIIe et XVIIe régions militaires. Le Führer donne, de Munich, son autorisation. »
Dans quel document avez-vous lu cela ?
J’ai lu à la page 32 de mon livre de documents n° 1, Monsieur le Président, page 32, et c’est un extrait du journal de Jodl, en date du 14 septembre, donc précisément au milieu de cette époque critique. (A l’accusé.) Quelles étaient donc ces mesures militaires qui furent prises ?
Le 13 ou le 14 septembre, la Tchécoslovaquie appela ces huit classes sous les drapeaux. Les gardes-frontières renforcés furent chargés d’accueillir les Allemands des Sudètes fugitifs. Le 17 septembre, le Führer créa le corps franc Henlein, contrairement à l’accord précédent et sans nous avertir au préalable. Il avait été conclu précédemment que ces Allemands des Sudètes en âge de servir seraient incorporés dans notre armée de réserve. C’est alors que commencèrent les discussions politiques ; la première avait déjà eu lieu au Berghof. Le 23 septembre, Benès ordonna la mobilisation générale en Tchécoslovaquie, et c’est à partir de ce moment seulement, en accord avec les discussions politiques, que débuta l’opération militaire contre la Tchécoslovaquie.
Il n’y avait pas de doute pour moi que cette menace serait employée au cas où la Tchécoslovaquie ne se soumettrait pas aux conditions de l’accord que nous aurions conclu avec les Puissances occidentales ; car le Führer avait spécifié clairement qu’il serait disposé à négocier seulement si la France et l’Angleterre n’intervenaient pas, ni politiquement ni militairement.
Vous avez noté encore deux inscriptions dans votre journal, les 22 et 26 septembre, qui prouvent qu’à ce moment vous étiez rempli de soucis. Il s’agit de la déclaration du capitaine Bürckner, qui figure à la page 34 de mon premier livre de documents ; c’est encore un extrait du document PS-1780, en date du 22 septembre :
« Le chef du service « Ausland », le capitaine Bürckner, me rapporte que, d’après une conversation téléphonique interceptée entre Prague et le conseiller de la légation tchèque à Berlin, la légation allemande à Prague aurait été prise d’assaut. J’ordonne qu’on établisse immédiatement une liaison par téléphone et par radio avec Prague, par l’entremise du colonel Juppe. » « 10 h. 50 : Bürckner nous informe que la nouvelle n’a pas été confirmée ; le ministère des Affaires étrangères s’est mis en rapport avec notre ambassade. » « 10 h. 55 : J’établis une liaison avec Prague et Toussaint ; à ma question lui demandant comment il va, il répond : « Merci, parfaitement bien ». Le Commandant en chef de l’Aviation, qui avait été mis au courant du premier rapport et auquel on avait suggéré de considérer les mesures à prendre au cas où le Führer demanderait un bombardement immédiat de Prague, est avisé par le service de contre-espionnage qu’il s’agit d’une fausse nouvelle, dont le but était peut-être de nous provoquer à une action militaire. »
Puis, au 26 septembre, on lit :
« Il importe beaucoup que nous ne soyons pas entraînés dans une action militaire avant que Prague ne nous donne sa réponse. »
Le Ministère Public prétend que très longtemps auparavant, le 1er octobre 1938 aurait été prévu comme la date de l’aggression. Voulez-vous me dire quelle est la signification de cette date du 1er octobre 1938, pour le « Cas Vert » ?
Il me semble l’avoir déjà expliqué. J’ai dit que la nouvelle période annuelle de mobilisation avait commencé et que dans aucun ordre ne figurait une date précise pour le début de la campagne contre la Tchécoslovaquie.
Étiez-vous convaincu qu’une localisation du conflit était possible ?
Certes, j’en étais convaincu, car je ne pouvais pas imaginer que, dans la situation dans laquelle nous nous trouvions, le Führer provoquerait un conflit avec la France et l’Angleterre, qui devait forcément nous mener à une défaite immédiate.
Et les annotations de votre journal dévoilent sans doute vos préoccupations au sujet d’incidents éventuels ?
Oui, le 8 septembre j’ai mentionné un entretien avec le général Stülpnagel, au cours duquel celui-ci exprima une grande anxiété au cas où le Führer abandonnerait sa position si souvent définie et se laisserait entraîner à une action militaire, malgré la menace d’une intervention de la part de la France. D’après ce que j’ai inscrit dans mon journal, je lui répondis que, somme toute, je partageais un peu son appréhension.
Cette annotation figure à la page 26 de mon premier volume de documents. C’est encore un extrait du document PS-1780, qui porte la date du 8 septembre 1938. (A l’accusé.) Vous avez déjà décrit vos préoccupations, n’est-ce pas ? Notre faiblesse ?
Il était absolument exclu que cinq divisions d’active et sept divisions de réserve stationnées sur les fortifications occidentales, qui n’étaient encore après tout qu’un vaste chantier, puissent résister à cent divisions françaises. Au point de vue militaire, c’était impossible.
Le 27 août, dans une lettre à Schmundt, vous avez mentionné l’importance relative d’un incident et les devoirs qui incomberaient à la Wehrmacht dans ce cas. On vous en fait un grave reproche ; je voudrais donc que vous m’expliquiez la signification de cette inscription.
Monsieur le Président, il s’agit du document PS-388, qui figure à la page 35 de mon premier volume. C’est un extrait du document qui a déjà été souvent cité : PS-388, et c’est un rapport établi au moment où fut donné l’ordre « X » et où l’on envisagea des mesures préparatoires. (A l’accusé.) Veuillez nous expliquer, je vous prie, quel était le but proposé de cette étude de l’État-Major général ?
L’ordre du Führer du 30 mai, dont j’ai déjà parlé, dans l’éventualité qu’une pareille opération fût jamais à entreprendre, ne laissait pas d’autre choix que l’attaque à une date déjà prévue. Ceci ne pouvait donc avoir lieu qu’à la suite d’un incident, car l’opération ne pouvait être déclenchée sans provocation ; et elle ne pourrait plus être entreprise après un trop long laps de temps. Pour effectuer, par surprise, une percée dans les fortifications tchèques, l’Armée avait besoin de quatre jours de préparatifs. Si rien ne se produisait après ce délai, les préparatifs militaires ne pourraient plus être tenus secrets et l’élément de surprise disparaîtrait. En conséquence, il ne restait pas d’autre alternative que celle d’un incident spontané en Tchécoslovaquie, qui aurait alors été réglé par une action militaire quatre jours plus tard, ou bien celle de déterminer la date à l’avance. Dans ce cas, un incident devait être provoqué au cours de ces quatre journées dont l’Armée avait besoin pour se déployer. En fait, selon l’avis de l’État-Major général, les exigences du Führer ne pouvaient absolument pas être satisfaites autrement. Ma lettre au commandant Schmundt était destinée à exposer cette situation difficile au Führer.
A cette époque, il se produisait chaque jour des incidents. Puis-je vous rappeler que, depuis la première mobilisation partielle en Tchécoslovaquie, des Allemands des Sudètes astreints au service militaire s’étaient pour la plupart dérobés à cet ordre. Ils s’échappaient à travers la frontière et venaient en Allemagne, et les gardes-frontières tchécoslovaques leur tiraient dessus. Chaque jour, des coups de feu éclataient jusque sur le territoire allemand. En tout, plus de 200.000 Allemands des Sudètes passèrent ainsi la frontière de cette façon.
A ce point de vue, l’idée de la création d’un incident n’était pas aussi criminelle qu’elle eût pu l’être par exemple, à l’égard d’un pays paisible comme la Suisse. Si donc j’ai dit à quel point la question était d’importance pour nous, cela signifiait que si une action militaire éventuelle était à entreprendre — tout cela étant, évidemment, purement théorique — on pourrait utiliser un incident de ce genre comme casus belli .
Et comment expliquez-vous cette phrase que vous avez employée : « ...à moins que le service du contre-espionnage ne soit chargé de toutes façons de provoquer cet incident » ?
Cette phrase figure au bas de la page 38, au second alinéa. C’est un extrait du document PS-388.
Oui, je connaissais trop bien l’histoire des guerres européennes pour ne pas savoir que la question du premier coup de feu — la cause apparente de la guerre, non pas sa cause fondamentale — a toujours joué, de part et d’autre, un rôle très important. La responsabilité du déclenchement de la guerre est toujours attribuée à l’ennemi ; c’est ce que nous montre l’Histoire. Et ce n’est pas là une prérogative typiquement allemande ; au contraire, c’est un usage commun à tous les États européens qui ne se sont jamais fait la guerre entre eux. Dans le cas de la Tchécoslovaquie, la cause réelle de la guerre était tout évidente. Je n’ai pas besoin de décrire la situation dans laquelle se trouvèrent 3.500.000 Allemands, forcés à porter les armes contre leur propre peuple. Moi-même, dans ma propre maison, je fus témoin de cette tragédie. Dans ce cas, la cause profonde de la guerre était clairement perceptible, et Lord Runciman, qui fut envoyé en mission spéciale de Londres, ne laissa subsister aucun doute sur ce point. Dans cette situation, je n’éprouvai donc aucun scrupule au point de vue moral à exagérer un pareil incident et, moyennant des contre-mesures énergiques aux dispositions prises par les Tchèques, à l’élargir et à le grossir de telle façon que, si la situation politique le permettait et si l’Angleterre et la France n’intervenaient pas — comme le croyait fermement le Führer — nous aurions un excellent prétexte pour agir.
Messieurs, je voudrais attirer votre attention sur un point qui, à mon avis, représente à nouveau une faute de traduction : au second alinéa en partant du bas de la page 36. C’est le rapport de cet incident. L’avant-dernier alinéa de la page 36 explique : « ...que le « Cas Vert » peut se résoudre par un incident en Tchécoslovaquie qui donnera à l’Allemagne un motif de provocation à une intervention militaire ». La traduction anglaise de ce terme est « provocation » ; « Anlass » a été traduit par « provocation ».
Que dites-vous ? Quelle est la faute ?
Je crois que la traduction est inexacte. Je n’en suis pas absolument certain, mais je désire attirer l’attention du Tribunal là-dessus. « Anlass » veut dire « prétexte » en français — ce qui, je crois, équivaut à « pretext » en anglais.
Mais, Docteur Exner, dans cette phrase il n’y a pas de différence entre ces mots : « provocation » ou « cause ».
Je trouve que « provocation » est plus agressif. Mais j’ai simplement voulu le faire remarquer. En allemand, c’est « cause » et non pas « provocation ». (A l’accusé.) Le Ministère Public qualifie de criminelles ces éventualités dont nous venons de parler, envisagées par l’État-Major général, et crée un rapport entre elles et le soi-disant assassinat de l’ambassadeur allemand à Prague. On prétend que nous avons prémédité ce meurtre afin d’avoir un prétexte pour entrer en Tchécoslovaquie. Qu’avez-vous à répondre à cela ?
C’est évidemment une présomption grotesque. Le fait seulement que le Führer aurait mentionné dans ses entretiens avec le maréchal Keitel que l’ambassadeur allemand avait été assassiné par la population de Prague était totalement ignoré, même de moi. Le maréchal Keitel ne m’en a rien dit ; ce n’est qu’ici que j’en ai entendu parler. En dehors de cela, il me semble oiseux d’en discuter plus longuement, car nous avons justement fait le contraire. Nous avons donné l’ordre au général Toussaint de protéger l’ambassade allemande et la vie de tous ceux qui s’y trouvaient car, en fait, à un moment elle fut dangereusement menacée.
La preuve en est le document n° AJ-9, Jodl-62, page 200 du troisième volume de documents. Il s’agit encore du questionnaire adressé au général Toussaint, qui était attaché militaire à Prague à ce moment-là. La troisième question est la suivante : « Est-ce vrai ou non qu’au cours de l’été 1938 vous ayez reçu l’ordre de défendre l’ambassade allemande à Prague et de protéger la vie de tous les Allemands qui s’y trouvaient ? » Et sa réponse est celle-ci : « Oui, c’est exact. Je me souviens que cet ordre me fut transmis par téléphone, vraisemblablement en septembre 1938... » et ainsi de suite.
La quatrième question : « Il est vrai que l’ambassade allemande... »
Le témoin a déjà déclaré qu’il en fut ainsi.
Alors, je vais simplement me référer à la déposition du témoin Toussaint. En outre, on a prétendu que l’incident aurait été provoqué par nous. Nous n’avons pas besoin d’entrer dans les détails. L’incident se produisit-il réellement ?
Non, il n’y eut aucune tentative en vue de provoquer un incident, et elle ne fut pas nécessaire. Les incidents se multipliaient de jour en jour, et la solution était politique et tout à fait différente.
En somme, alors, cette note, que nous avons lue et relue, est demeurée purement théorique, n’est-ce pas ?
C’était une idée mise sur le papier, qui n’eut aucune suite pratique. Mais j’ai déjà indiqué clairement que, dès que commencèrent les conversations politiques, je me suis continuellement efforcé d’empêcher les provocations que semblaient désirer les Tchèques, afin qu’elles ne nous amènent pas à prendre des mesures militaires.
A la fin de septembre, les Puissances signataires du Pacte de Munich étaient-elles au courant des préparatifs militaires de l’Allemagne ? Les hommes d’État savaient-ils que nous avions pris des dispositions militaires ?
Le Ministère Public m’a donné nettement l’impression que ce fait n’était su qu’aujourd’hui, qu’il était inconnu à l’automne de 1938 à Munich. Mais cela est tout à fait impossible. Le monde entier savait que huit classes avaient été appelées sous les drapeaux en Tchécoslovaquie au mois de septembre. Le monde entier savait que la mobilisation générale avait été proclamée le 23 septembre. Un correspondant du Times écrivait un article, le 28 septembre, contre cette mobilisation tchécoslovaque. Personne ne fut surpris par le fait que, sitôt après la signature du Pacte de Munich, nous pénétrâmes, le 1er octobre, en...
Docteur Exner...
Cela suffit pour cette question. Est-il exact qu’en août 1938 vous avez préparé un nouveau plan d’opérations, dont vous aviez déjà parlé le 7 juillet ? Un nouveau plan se basant sur le précédent ?
Oui ; dès avant la résolution du problème par le Pacte de Munich, j’établis, sur ma propre initiative, un plan d’opérations secret, en vue de la protection de toutes les frontières allemandes. Il était conçu de telle façon que les zones frontières seulement seraient gardées, tandis que la majeure partie de l’Armée serait maintenue en réserve au centre de l’Allemagne. Ce projet, dans son ensemble, fut présenté ici au cours de mon interrogatoire. Actuellement, il ne fait plus partie du document PS-388, mais ce dernier en contient une référence.
A la page 40 du premier volume de nos documents, je lirai encore un extrait du document PS-388. Tout à la fin, voici ce qu’il contient : « ...une fois le « Cas Vert » terminé, il faut rendre possible un déploiement provisoire de troupes, au plus tôt ». Puis : « ...d’abord, la Wehrmacht assurera la protection des frontières allemandes, y compris celles des territoires nouvellement acquis, tandis que la majeure partie de l’Armée et des forces aériennes demeureront à notre disposition. Un déploiement « protège-frontières » semblable devra s’effectuer séparément sur les différents fronts ».
Pourquoi avez-vous envisagé ces déploiements « protège-frontières » ? Quelle en était la cause ?
Parce que, une fois que la nécessité d’une opération contre la Tchécoslovaquie serait devenue superflue, ce problème étant résolu d’une certaine façon, nous n’aurions plus eu besoin d’aucun plan d’opérations de couverture. Et comme je ne connaissais pas d’autre intention du Führer, de mon propre chef j’établis le plan d’une telle opération, qui pourrait être utilisé dans n’importe quelle éventualité.
Saviez-vous quoi que ce soit des intentions du Führer, après l’accord de Munich, de pénétrer plus avant et d’occuper la Bohême et la Moravie ?
Non, je n’en avais pas la moindre idée. J’étais au courant de son discours du 26 septembre, dans lequel il déclarait : « Maintenant, il nous reste le dernier problème à résoudre ». Je croyais à cette assurance et la preuve en est que, pendant ces journées — ce devait être vers le 10 ou le 11 septembre — je proposai au maréchal Keitel, alors général, d’inviter la Délégation britannique, dont on avait annoncé l’arrivée, à se rendre à Iglau en Moravie, car de nombreux Allemands qui y demeuraient avaient été menacés par des communistes tchécoslovaques armés. C’est une proposition que je n’aurais évidement jamais faite si j’avais eu le moindre soupçon que le Führer eût d’autres intentions à l’égard de la Bohême et de la Moravie.
Ces nouvelles intentions du Führer furent incorporées le 21 octobre 1938 dans une directive. Étiez-vous au courant de cela à l’OKW ? Quelle était la situation ?
Non, je n’en savais rien. Je n’ai pas vu cette directive. Ce n’est qu’ici, dans cette salle, pendant mon interrogatoire, que je l’ai aperçue.
Et vous avez alors été muté...
Je fus muté à Vienne, en qualité de Commandant en chef de la 44e division d’artillerie.
Fin octobre, n’est-ce pas ?
Oui, fin octobre.
Au point de vue militaire, quelle tournure pensiez-vous que prendraient les événements ? Mais vous avez déjà répondu à cela, bien sûr.
A vrai dire, je pensais qu’il y aurait une période de détente politique et même une ère de paix. Je puis certainement affirmer cela.
Et qu’êtes-vous devenu ensuite ?
Comme je ne connaissais pas d’autres projets, je transférai mon domicile à Vienne, avec tous mes meubles. Il est évident que je ne l’aurais jamais fait si j’avais eu la moindre idée qu’une guerre était imminente, car je savais que, dans le cas d’une guerre, je deviendrais chef de l’État-Major des opérations de la Wehrmacht et que, par conséquent, il me faudrait rentrer à Berlin. Je demandai au général Keitel de m’aider à obtenir le commandement de la 4e division alpine à Reichenhall, à partir du 1er octobre 1939, encore une fois, requête qu’il ne me serait pas venu à l’esprit de formuler si j’avais eu le moindre soupçon de ce qu’il adviendrait.
En tant que Commandant en chef de l’artillerie à Vienne, êtes-vous demeuré en contact avec l’OKW ?
Pour ainsi dire, presque pas du tout. Je n’avais aucun rapport avec l’OKW. Je ne reçus aucun document militaire de l’OKW durant toute cette période.
Qui donc vous a mis au courant de la situation pendant cette époque ?
Personne. Je ne savais rien de plus, à cette époque, que le dernier lieutenant de mon artillerie.
Étiez-vous en correspondance personnelle avec Keitel ?
Je reçus de lui une seule lettre. Je crois que c’était à la fin de juillet 1939, dans laquelle il m’annonçait l’heureuse nouvelle que, selon toute vraisemblance, je deviendrais Commandant en chef de la 4e division alpine de Reichenhall le 1er octobre, et que le général von Sodenstern deviendrait chef de l’État-Major des opérations de la Wehrmacht, le 1er octobre.
Avez-vous aidé à établir le plan d’occupation du reste de la Tchécoslovaquie ?
Non, je ne l’ai pas fait. Pendant cette occupation, je restai tout d’abord à Vienne et devins provisoirement chef d’État-Major du XVIIIe corps d’armée à Vienne. Puis, plus tard, je fus muté, avec toute la 44e division, à Brno, en Tchécoslovaquie.
Et quand avez-vous été mis au courant de toute l’affaire ?
Ce fut par les ordres transmis à mon État-Major de division que j’appris la nouvelle de cette opération, en mars 1939, deux ou trois jours avant sa mise à exécution.
Cette occupation de la Tchécoslovaquie était-elle la réalisation du « Cas Vert », dont vous aviez établi le plan à l’origine ?
Non, il n’en était plus du tout question. Les unités engagées étaient complètement différentes, et même pas la moitié des troupes prévues pour une telle opération en 1938 ne furent utilisées pour entrer en Tchécoslovaquie en 1939.
Pendant le temps que vous étiez à Vienne, il y eut une conférence chez le Führer, le 23 mai 1939, dont on a beaucoup parlé ici, au sujet de la violation de la neutralité de certains pays, etc. On a prétendu, à plusieurs reprises, que Warlimont y assistait et vous représentait. Qu’en est-il à ce sujet ? Était-il réellement votre représentant ?
On a répété, avec insistance, que le général Warlimont prit part à cette conférence comme représentant de Jodl ou même, on l’a prétendu une fois, comme son adjoint. Il n’en est absolument pas question. Il fut mon successeur, mais jamais mon représentant. Et même si on le répète, cela n’est pas plus véridique. Il fut mon successeur.
Vous aviez quitté l’OKW, n’est-ce pas ?
Oui, j’avais complètement quitté l’OKW. Le fait que Warlimont devint plus tard mon suppléant n’a absolument rien à voir avec les événements de mai 1939.
Quand avez-vous ouï parler pour la première fois de la conférence de mai 1939 ?
Ici, à Nuremberg, en 1946.
Avez-vous eu, entre temps, des relations avec les chefs du Parti ou avec des nazis autrichiens ?
Non, absolument pas, avec personne !
...ou avec l’un quelconque des accusés ici ?
Pas davantage.
A une occasion, pendant cette période, le Führer se rendit à Vienne avec Keitel. Je crois qu’ils y demeurèrent deux jours environ. Avez-vous été convoqué auprès de lui ?
En effet, venant de Prague, il s’arrêta à Vienne, sans cérémonie, et à cette occasion j’échangeai quelques mots avec le général Keitel, mais je ne parlai pas avec le Führer.
Vous ne lui avez pas été présenté ?
Non.
Quelles devaient être vos fonctions en cas de guerre ?
Ainsi que je l’ai déjà dit, en cas de guerre, je devais devenir chef de l’État-Major des opérations de la Wehrmacht.
Et quels étaient vos plans personnels pour cet été-là ?
Pour cet été-là, j’avais déjà mes billets pour une croisière en Méditerranée orientale, le 23 septembre 1939.
Le 23 septembre 1939, le voyage...
Je devais partir de Hambourg ; j’avais déjà payé mes billets.
Quand avez-vous acheté les billets ? Vous en souvenez-vous ?
Je les avais achetés fin juillet environ.
Quand êtes-vous rentré à Berlin ?
Je ne peux pas vous dire la date exacte, mais je suppose que cela devait être le 23 ou le 24 août, à la suite d’un télégramme qui me parvint soudain à Brno.
Si vous n’aviez pas reçu ce télégramme, quand auriez-vous eu à rentrer à Berlin ?
En cas de mobilisation générale, il m’aurait fallu rentrer à Berlin de toutes façons.
Et avez-vous dû vous présenter au Führer à Berlin ?
Non, je ne me suis pas rendu auprès de lui. Seulement, bien entendu, je me suis présenté au général Keitel ainsi qu’au chef de l’État-Major de l’Armée, à celui de l’Aviation, et au Commandant en chef de la Marine.
Monsieur le Président, j’ai terminé ce sujet et je pense que ce serait peut-être une bonne occasion pour suspendre l’audience.
Voulez-vous me dire de combien de temps vous avez encore besoin avant de terminer complètement ?
J’espère, je crois certainement, pouvoir terminer au cours de la matinée de demain ; mais certainement avant midi.
Monsieur le Président, au nom de mon client le Dr Seyss-Inquart, je viens vous demander l’autorisation de ne pas assister aux débats pendant deux jours, afin de préparer sa défense.
Oui, certainement.