CENT QUARANTE-SEPTIÈME JOURNÉE.
Mercredi 5 juin 1946.
Audience de l’après-midi.
Avant l’occupation de la Tchécoslovaquie, le 10 août 1938, a eu lieu une conférence entre Hitler et les chefs militaires à laquelle vous assistiez également. Jusqu’à présent on n’a pas encore parié ici de cette conversation. Je voudrais vous poser la question suivante : quel était le but de cette conférence ?
Au cours de cette conférence, Hitler parla pendant deux à trois heures de la situation politique et militaire avec les officiers de l’État-Major général et avant tout il parla du problème sudète déclarant qu’il devait à tout prix recevoir une solution. Il décrivit les différentes possibilités, mais avant tout il expliqua clairement ses intentions et aussi sa confiance qu’il arriverait à son but sans que la France et l’Angleterre prennent les armes contre lui.
C’était en somme le contenu de cet entretien ?
Oui, c’est dans les grandes lignes le résumé de cet entretien.
Savez-vous pour quel motif les commandants en chef des trois armes de la Wehrmacht et leurs chefs n’ont pas pris part à cet entretien ?
Je le sais du fait que le premier aide de camp, le commandant Schmundt, m’en avait donné la raison avant l’entretien lui-même. Il m’avait déclaré qu’il était de l’intention du Führer de s’adresser directement aux officiers d’État-Major anciens à un moment où ils étaient soustraits à l’influence de leurs commandants en chef, afin de ne pas les voir enclins, du fait de l’esprit critique des commandants en chef, à hésiter dans l’exécution de ses instructions.
Oui, mais pendant cette conférence des critiques extrêmement importantes ont néanmoins été formulées justement de la part de ces officiers dont vous parlez ?
Je ne veux pas dire que c’était une critique, mais un de ces généraux a cru devoir faire remarquer au Führer que la France et l’Angleterre attaqueraient tout de même s’il entreprenait quoi que ce fût contre la Tchécoslovaquie. C’était le général von Wietersheim.
Est-ce que Hitler a appliqué par la suite ce principe d’écarter les chefs militaires principaux de ce genre de conversations ?
Il a très souvent agi ainsi ; je dirais qu’il l’a fait par principe. Par exemple, après notre attaque manquée sur la tête de pont de Nettuno au sud-ouest de Rome, il a fait venir au Quartier Général des officiers de troupe subalternes depuis les commandants de régiment jusqu’aux chefs de compagnie et les a entendus personnellement pendant des jours entiers hors la présence de leurs supérieurs. Il a fait de même très fréquemment avec des officiers d’aviation sans que le Commandant en chef de la Luftwaffe assistât à l’entretien.
Mon général, vous avez été présent à la plupart des discussions qui ont eu lieu chez Hitler ? Est-ce que les commandants en chef qui se trouvaient présents au Grand Quartier Général de Hitler prenaient part eux aussi à ces conversations ?
Lorsque, pendant ces conférences d’orientation, il s’agissait d’événements qui avaient déjà eu lieu, le Führer autorisait volontiers la participation, mais dès qu’on parlait d’une question qui n’était encore qu’à l’état de projet, par exemple l’attaque de 1941 contre la Russie, à ce moment-là un commandant en chef du front de l’Ouest ne pouvait pas prendre part à la conversation et vice versa. Il ne mettait au courant de ses intentions que les officiers qui, au point de vue service, étaient obligés de l’être.
Dans des cas semblables, on ne convoquait à ces conférences que le cercle le plus étroit ?
C’est cela. Conformément aux ordres du Führer, l’aide de camp annonçait qu’un entretien allait avoir lieu qui ne concernait que le cercle le plus étroit et tels et tels officiers.
Avez-vous, lorsqu’on a discuté pendant des conférences de cette nature, entendu faire des propositions, des contre-propositions énergiques de la part des commandants en chef ? Par qui et à quelle occasion ? Je vous prie de vous limiter aux cas les plus importants.
Je ne puis vous répondre que très brièvement, sinon il me faudrait parler une heure sur cette question. Je puis dire qu’il n’y a eu aucune conférence au cours de laquelle les vieilles conceptions traditionnelles, si je puis les appeler ainsi, concernant les opérations, n’aient pas amené un conflit avec les conceptions révolutionnaires du Führer. Par conséquent, à part peut-être les opérations individuelles du début de la guerre, je puis affirmer que chaque fois qu’il y avait un rapport fait par un général commandant en chef, il y avait des divergences de vues assez grandes. Je pourrais nommer tous les commandants en chef qui se sont succédé, je n’en connais pas un seul à qui ce ne soit pas arrivé.
Vous connaissiez certainement tous les chefs d’armée ?
Pendant la première partie de la guerre, je connaissais tous les commandants en chef jusqu’aux généraux d’armée inclus. Pendant la deuxième moitié de la guerre, je ne connaissais pas tous les chefs d’armée à l’Est. Ils ne venaient pas pour la plupart de l’État-Major général, c’étaient des officiers du front, de sorte que je ne les connaissais pas tous.
Est-ce qu’il était possible, par exemple, à un commandant d’armée de demander à parler à Hitler directement ?
Un commandant en chef d’armée ne le pouvait pas ; un chef de groupe d’armées devait d’abord le demander au Commandant en chef suprême de l’Armée de terre, tant qu’il y en eut. Lorsqu’il n’y eut plus de Commandant en chef de l’Armée de terre, les généraux de groupes d’armées s’adressaient à l’aide de camp militaire ou au chef de l’État-Major général de l’Armée de terre, pour demander à pouvoir faire un rapport. Mais ceux dont vous parlez, les commandants d’armée, ne le pouvaient pas.
De sorte que si un chef d’armée avait l’intention de protester contre une mesure quelconque qu’il jugeait peu adéquate, il lui fallait alors s’adresser au Commandant en chef de son groupe d’armées qui se tournait alors vers le Commandant en chef de cette arme de la Wehrmacht, si bien que, pratiquement, c’était le seul moyen de faire parvenir des objections à Hitler d’une manière officielle et normale.
Oui, c’est absolument exact. Toutes les formations militaires s’en sont tenues à ce vieux principe.
Que savez-vous de la tentative de Hitler dirigée contre les généraux par l’entremise de Himmler ? Quand j’emploie l’expression « généraux », je n’entends par là que ceux qui appartiennent au « groupe ».
Je crois avoir déjà répondu à une partie de cette question lorsque j’ai déploré que nous ne fussions pas en mesure d’éviter que soient transmises au Führer des informations et des nouvelles émanant de sources peu sûres et précisément dans les milieux de la Police on saisissait continuellement l’occasion, par l’intermédiaire de Himmler, de critiquer l’attitude traditionnelle, ou comme on l’appelait, l’attitude réactionnaire, humanitaire, chevaleresque des hauts chefs militaires, afin que les ordres sévères du Führer en faveur de ce qu’il appelait une action brutale se trouvassent acceptés. C’était une chose courante. On ne s’acharnait pas contre tous les généraux en chef, certes non, mais c’était une tactique pratiquée contre un bon nombre d’entre eux.
Mon général, vous n’avez pas encore répondu à ma question. Je vous ai demandé si vous saviez quelque chose de la tentative de Hitler entreprise par l’entremise de Himmler et pour des raisons que je vous demande de bien vouloir nous fournir.
Il résulte de ce que je viens de vous décrire, qu’il y eut une conférence en tête-à-tête entre le Führer et Himmler au cours de laquelle celui-ci porta plainte contre certains généraux en particulier de l’Armée de terre. Nous nous en aperçûmes au fait que le lendemain, le Führer, tout d’un coup, commença, sans que nous sachions pourquoi, à élever des objections contre ces commandants en chef et à les noircir.
Quelles étaient les relations entre l’OKW et l’OKH ?
Avant la guerre et dans les premiers temps de la guerre, les relations entre l’OKW et l’OKH étaient toujours extrêmement tendues. Le motif en était uniquement une question de politique militaire intérieure parce que, lors de la création de l’OKW, était né un groupe d’état-major qui échappait aux pouvoirs du Commandant en chef de l’Armée de terre et lui donnait même des ordres, puisqu’il était dans une certaine mesure le supérieur de son état-major. Cette constellation nouvelle était naturellement très critiquée et considérée avec beaucoup de méfiance par l’État-Major de l’Armée de terre. J’aimerais encore ajouter que le maréchal Keitel, ainsi que beaucoup d’officiers raisonnables et moi-même, nous sommes parvenus à faire disparaître tout à fait cette tension au cours de la guerre.
Cela suffit, mon général, sur cette question. On reproche aux chefs de l’Armée d’avoir prolongé inutilement la fin d’une guerre qui n’avait plus de but. Que savez-vous, par exemple, des efforts des maréchaux von Rundstedt et Rommel après la réussite de l’invasion ?
Je me souviens des conversations que j’ai eues avec ces deux Commandants en chef lorsque le Führer et moi nous nous sommes rendus par avion au Quartier Général au nord de Reims. C’était environ en juillet 1944. Lors de ces conversations, le Feldmarschall von Rundstedt et particulièrement Rommel ont exposé le sérieux de la situation en France, d’une façon qui n’offrait aucun doute. Ils ont fait remarquer la supériorité incontestable de l’aviation anglo-saxonne, qui rendait les opérations sur terre absolument impuissantes. Je me souviens parfaitement de ce que le Feldmarschall Rommel dit en conclusion au Führer :
« Mon Führer, comment vous représentez-vous désormais la suite de cette guerre ? » Le Führer fut assez piqué par cette réflexion et il répondit brièvement : « C’est là une question qui ne fait pas partie de votre ressort ; c’est à moi de m’en occuper ».
Avez-vous lu la lettre que le maréchal von Kluge a écrite peu avant sa mort à Hitler ?
J’étais à côté du Führer lorsqu’il reçut cette lettre. Il ouvrit l’enveloppe, lut la lettre et me la donna à lire. Elle contenait exactement le contraire de ce que j’aurais attendu. Le maréchal von Kluge commençait sa lettre en reconnaissant hautement la personnalité du Führer, en décrivant combien il l’avait toujours admiré et avec quelle énergie il avait toujours su conduire la guerre et combien, au fond de lui-même, il avait été beaucoup plus près du Führer que ce dernier ne s’en doutait. Il lui disait aussi que c’était avec une confiance entière qu’il avait rempli son devoir dans l’Ouest ; mais comme l’aide qu’on lui avait promise de la part de la Luftwaffe ne lui avait pas été donnée, il était maintenant convaincu que la situation était sans espoir et qu’il pouvait dans les dernières heures de sa vie lui donner encore un seul bon conseil : conclure la paix. Tel était brièvement le contenu de cette lettre.
Mon général, connaissez-vous d’autres exemples d’efforts qu’auraient fait des commandants en chef pour tenter de mettre un terme à cette guerre sans espoir ?
Aucun commandant en chef ne pouvait toucher à la question politique ; or, la fin de la guerre n’est pas une question militaire, c’est une décision politique. Mais je dois dire indirectement qu’il n’y avait pas un officier qui n’eût déclaré au Führer, ouvertement et honnêtement, la situation telle qu’elle était en montrant bien qu’elle était perdue, ce qui se trouva démontré. Moi-même, personnellement, je lui ai exposé ce point de vue dans un mémoire écrit...
J’ai quelques questions à vous poser sur les diverses campagnes.
Quelle était l’attitude de l’OKH, particulièrement de von Brauchitsch, vis-à-vis de la campagne d’Autriche ?
La veille de l’entrée en Autriche, à 2 heures du matin, j’étais chez le maréchal von Brauchitsch. Je l’avais trouvé dans un état d’esprit très déprimé. Je n’en comprenais pas le motif, mais il avait ouvertement la conviction ou la croyance que de cette entrée en Autriche surgirait un conflit militaire soit avec l’Italie, soit avec la Tchécoslovaquie. Peut-être aussi n’était-il pas au point de vue politique très satisfait de cet apport important et imminent d’éléments allemands du Sud à l’intérieur du Reich. En tout cas, il m’a paru très ému.
Et quels furent les motifs des rapports tendus qui existèrent après la campagne de Pologne entre Hitler et les chefs militaires ?
Le conflit était particulièrement sérieux à ce moment-là, parce que le Commandant en chef de l’Armée de terre et beaucoup de généraux en chef représentaient précisément ce point de vue que j’ai décrit ce matin ici, à savoir qu’il fallait s’abstenir de toute activité à l’Ouest pour terminer la guerre. Étant donné que c’était là un argument politique dont ils ne pouvaient pas parler, le Commandant en chef de l’Armée de terre présenta au Führer un argument militaire qui était le suivant : « Dans l’état où se trouve notre Armée à l’heure actuelle, nous ne sommes pas en mesure de combattre une Armée comme l’Armée française, renforcée par l’Armée anglaise ; nous sommes incapables de la vaincre dans une offensive ». Ce qui suscita chez le Führer une grande amertume qui se manifestait toujours dans toutes ces discussions avec les commandants en chef. Tout son discours du 23 novembre, le mémorandum qu’il écrivit là-dessus le 10 octobre, ne peuvent être expliqués et considérés qu’à la lumière de ce conflit.
Le Ministère Public, comme base de l’accusation du groupe, a présenté diverses déclarations sous serment. Je vous prie de vous référer à l’affidavit n° 12 (US-557) déposé par Walter Schellenberg, et de prendre position à ce sujet. A la page 1, Schellenberg prétend que, dans la zone de combat, les Einsatzgruppen du SD étaient entièrement sous les ordres de l’Armée, c’est-à-dire au point de vue tactique, technique et strictement militaire. Est-ce exact, mon général ?
Ce n’est exact que dans une mesure très restrictive. Au début de la réponse, je dois vous dire que pour moi les expressions « Einsatzgruppe » et « Einsatzkommando » ne me sont devenues familières qu’ici à Nuremberg. Il me faut le dire ici ouvertement, au risque de me faire traiter de Parsifal. Mais c’est un fait, je ne connaissais que la Police. Le territoire d’opérations de l’Armée de terre était divisé en trois parties. La première était la zone de combat : elle s’étendait aussi loin que la portée de l’artillerie de l’adversaire. Dans cette zone, tout ce qui pouvait s’y trouver était sous les ordres directs de l’Armée, mais dans ces régions il n’y avait pas de Police, en dehors de la Police secrète de campagne, elle aussi complètement sous l’autorité de l’Armée.
La Police secrète de campagne était donc avant tout un élément de la division ?
C’était une troupe appartenant à la division qui accomplissait son devoir de police au milieu de la troupe. Derrière, il y avait la zone arrière des armées qui était subordonnée aux commandants en chef d’armée et derrière cette zone il y en avait encore une zone des armées dans laquelle se trouvaient toutes les colonnes de ravitaillement et les services de l’intendant en chef de l’Armée de terre. Dans cette région principale qui était largement la plus vaste, c’était 97% de la zone totale d’opérations, la Police entière et tout ce qui ne faisait pas partie organiquement de l’Armée, ne se trouvait pas, au point de vue tactique, sous les ordres de l’Armée de terre, mais sous les ordres de la Police du Reichsführer SS Himmler. Au point de vue militaire seulement, c’est-à-dire au point de vue du ravitaillement, des mouvements d’avance ou de repli, c’est l’Armée de terre, bien entendu, qui avait autorité pour donner à ces troupes des ordres relatifs à leurs déplacements ou à leur cantonnement.
Schellenberg déclare que dans les zones de l’arrière du front et dans les zones arrière de l’Armée ces Einsatzgruppen n’étaient subordonnés à l’Armée qu’au point de vue du ravitaillement et qu’ils étaient sous les ordres du RSHA au point de vue de leurs activités. Est-ce exact ?
C’est exact. Tout l’ensemble de la Police ne recevait des ordres sur les tâches à accomplir que de la part de Himmler.
Schellenberg prétend en outre dans son affidavit n° 12 (USA-557), que cette subordination englobait aussi les questions disciplinaires. Est-ce exact ?
C’est absolument faux. Jamais un officier de l’Armée ne pouvait punir un membre des SS ou de la Police.
Le travail principal de ces Einsatzgruppen consistait particulièrement, ainsi qu’on l’a prouvé, à exterminer en masse les Juifs et les communistes. Schellenberg prétend dans son affidavit n° 12 que, d’après lui, les commandants en chef d’armée et de groupe d’armées auraient été parfaitement au courant de ces devoirs que remplissait la Police et cela par la voie hiérarchique. Puisqu’il a expliqué cela dans son affidavit et a donné sa conviction dans ce sens, je vous demande de nous donner votre avis, parce que je crois avoir raison de supposer que vous êtes certainement l’officier le mieux informé de toute la Wehrmacht.
Il est bien entendu que je ne saurais juger d’une façon exacte ce que dans la pratique de la vie commune du front, lès généraux en chef ont pu apprendre, mais je puis vous dire d’une façon certaine que je n’ai jamais vu un ordre qui contînt autre chose que l’assurance que ces troupes de Police avaient été envoyées dans la zone d’opérations pour assurer la tranquillité et l’ordre, pour éviter des émeutes, et éventuellement pour lutter contre l’activité des partisans. Je n’ai jamais vu ni un ordre ni un compte rendu disant autre chose.
Mon général, croyez-vous que les commandants en chef d’armée ou de groupe d’armées auraient accepté de telles mesures sans protestation ?
Je considère cela comme hors de question, étant donné que dans des cas infiniment plus minimes ils ont élevé les protestations les plus violentes. Il y a des centaines de documents qui ont été présentés ici par le Ministère Public qui prouvent, phrase par phrase, comment au front, au milieu de la troupe, on a élevé des objections, établissant qu’on considérait certaines mesures comme inadmissibles du point de vue humain, ou dangereuses pour l’ordre à maintenir dans les pays occupés. Je n’ai qu’à vous rappeler le mémoire de Blaskowitz qui était l’un des premiers.
L’avez-vous lu ?
Non, j’en ai simplement entendu parler.
En outre, le Ministère Public a présenté l’affidavit n° 13, du capitaine Wilhelm Scheidt, USA-558. Je cite de la page 2 :
« C’était un fait généralement connu que la guerre des partisans a été conduite avec cruauté des deux côtés. »
Je saute une phrase. Il poursuit : « Il est hors de question que ces faits ont été portés à la connaissance des officiers de l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht et de l’État-Major de l’Armée de terre. En outre, il était connu que Hitler était d’avis que dans la lutte contre les partisans seule l’application de châtiments cruels et intimidants pouvait obtenir un résultat. »
Est-ce que ces déclarations du capitaine Scheidt sont exactes ? Les officiers de l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht et de l’État-Major de l’Armée de terre étaient-ils parfaitement au courant des atrocités commises par les deux partis au cours de cette répression des bandes ?
Ce que nous savions de la guerre des partisans et surtout de la façon dont elle était conduite par l’adversaire a été déjà porté à la connaissance du Tribunal ; je me réfère moi-même aux instructions que j’ai signées concernant les bandes de partisans dans le document F-665. Ce document commence par un long exposé sur la manière dont les partisans faisaient eux-mêmes la guerre. Naturellement, nous n’avons pas inventé tout cela mais c’était le résultat de centaines de renseignements qui nous étaient parvenus. Qu’une troupe qui combat dans ces conditions et qui est sous l’impression de ce genre de lutte de la part de l’adversaire, ne puisse pas se conduire avec douceur, cela peut aisément se concevoir. Mais malgré cela, il ressort des directives que nous avons données qu’il n’a jamais été dit qu’on ne devait pas faire de prisonniers dans cette lutte de partisans ; bien au contraire, d’après tous les rapports que nous avons reçus, le nombre de prisonniers a été considérablement plus élevé que celui des morts. Que le Führer ait été lui-même d’avis que les troupes, dans cette guerre contre les partisans, ne devaient en aucune manière voir leur action limitée, est authentiquement établi par les nombreuses discussions que l’État-Major de l’Armée et moi-même avons eues avec le Führer à ce sujet.
Quand les commandants en chef ont reçu des déclarations concernant les cruautés commises par leurs propres soldats, que s’est-il passé ?
On a alors fait intervenir la justice militaire et ceci est facile à prouver par nos documents, car je vous rappelle l’ordre que le Führer a donné qui commence à peu près par cette phrase : « On m’a rendu compte que des soldats isolés des Forces armées avaient été traduits devant des tribunaux militaires à la suite de leur conduite envers les partisans... »
Était-ce la seule chose que pouvait faire un général en chef dans un cas comme celui-là ?
Il n’avait pas la possibilité de faire autrement. Et même après la réception de cet ordre, il agissait toujours selon son propre point de vue juridique. Qui donc aurait pu l’en empêcher ?
Le Ministère Public a déposé, en outre, l’affidavit n° 15 (USA-556), du général Röttiger. Röttiger indique au milieu de la page :
« Ce n’est que maintenant, sur la base des documents qui ont été portés à ma connaissance, que je me rends compte que l’ordre de conduire de la manière la plus dure la guerre des partisans est venu des sphères supérieures et que cette guerre ne devait être qu’un prétexte pour arriver à liquider impitoyablement la question juive et à nous débarrasser d’autres éléments indésirables. » Est-ce que la Direction suprême de la Wehrmacht avait adopté ce point de vue ? Était-ce là vraiment son but définitif ?
Non. Bien entendu, on est plus avisé après les événements qu’avant. J’ai, moi aussi, appris beaucoup de choses que je ne savais pas auparavant, mais ce point de vue est absolument faux, car parmi les partisans il n’y avait pour ainsi dire pas de Juifs. Ces partisans étaient des fanatiques uniquement, des « durs », des lutteurs et pour la plupart du temps des Russes Blancs. Le témoin Bach-Zelewski a dû reconnaître, sur la demande de mon défenseur, qu’il n’existait pour ainsi dire pas de Juifs parmi les partisans. Quant à l’anéantissement des Slaves, je ne puis que constater que les Slaves qui ont été tués dans les combats de partisans représentaient tout au plus 1/20 e ou 1/30e de ceux qui sont tombés ou ont été blessés dans les grandes batailles régulières de l’Armée soviétique. Ce chiffre ne peut donc pas entrer en ligne de compte. Par conséquent, c’est un point de vue tout à fait erroné.
L’Accusation a présenté une autre déclaration sous serment, du même général Röttiger, USA-560. Il déclare dans sa dernière phrase : « Bien qu’en général on fût au courant des tâches spéciales des unités du SD et qu’elles eussent vraisemblablement lieu sans être ignorées de la haute direction de l’Armée, nous nous élevions le plus possible contre ces méthodes car elles mettaient en danger nos propres troupes ».
En d’autres termes, le général Röttiger prétend, dans sa déclaration sous serment, que le travail spécial des unités du SD devait être vraisemblablement exécuté à la connaissance des plus hauts chefs militaires. Si c’était exact, vous l’auriez su, mon général, et vous avez déjà répondu à cette question...
Oui, j’ai déjà répondu à cette question. Je n’ai jamais parlé à un officier qui eût connaissance de ces faits et qui se fût adressé à moi dans ce sens.
De même dans les charges contre l’État-Major et contre l’OKW, le Ministère Public présente l’affidavit n° 17, USA-562. Cette déclaration sous serment provient du Führer SS Rode ; à la page 2, Rode s’exprime ainsi :
« Comme preuve, on peut citer l’ordre de l’OKW et de l’OKH précisant que les prisonniers qui faisaient partie de bandes de partisans, tels par exemple les Juifs, les agents et les commissaires politiques, devaient être livrés sans délai au SD pour traitement spécial. En outre, cet ordre stipulait également que, dans la lutte contre les partisans, il ne fallait faire aucun prisonnier, à part ceux dont je viens de parler. »
Mon général, est-ce qu’il existait un ordre stipulant qu’il ne fallait pas faire de prisonniers parmi les bandes de partisans ?
Il n’a jamais été, diffusé un ordre pareil. Jamais je n’ai vu un ordre pareil dans les prescriptions sur les bandes de partisans : quant à cette déclaration, je puis vous dire que chaque parole est à peu près fausse. Il n’y a jamais eu d’ordre OKW-OKH, c’est-à-dire d’ordre émanant à la fois de ces deux organismes. Les Juifs, dans les groupes de partisans, je viens de vous en parler. Les agents, c’est une affaire tout à fait spéciale. Les commissaires politiques, c’est encore tout différent, et on ne les a jamais livrés pour le traitement spécial, parce que la tâche du SD était toute différente ; il devait assurer la sécurité. Ainsi donc, chaque mot de cette déclaration est inexact.
Du même SS-Führer Rode, il existe un affidavit n° 18, qui a été présenté par le Ministère Public sous le numéro USA-563. Dans cette déposition, Rode dit notamment :
« Autant que je sache, les troupes du SD qui se trouvaient auprès des groupes d’armées étaient pratiquement sous leurs ordres, aussi bien au point de vue tactique qu’à tous les autres points de vue. Pour cette raison, les tâches exécutées et les méthodes employées par ces unités étaient entièrement connues des commandants en chef. Ils les ont approuvées, puisque, apparemment, ils n’ont jamais protesté contre. »
Connaissez-vous le Führer SS Rode ?
Je ne le connais pas. Je crois qu’il n’est pas nécessaire de dire grand-chose là-dessus, car le général de la Police Schellenberg qui, lui-même, a dirigé un de ces groupes et qui doit vraiment le savoir, a dit ici clairement à la barre quelles étaient les relations de subordination et de qui il recevait ses ordres.
Ce n’était pas le témoin Schellenberg, mais le témoin Ohlendorf.
Ohlendorf ? Oui.
J’ai encore quelques questions à poser au sujet de l’ordre sur les commissaires. Étiez-vous présent à la conférence au cours de laquelle Hitler a communiqué verbalement l’ordre des commissaires ?
En ce qui concerne l’ordre sur les commissaires, il en a parlé dès le début, si je me rappelle bien, avec le Commandant en chef de l’Armée de terre ou avec le chef de l’État-Major général et avec quelques officiers de l’OKW. Il en a reparlé à une date ultérieure en s’adressant aux commandants en chef et, si je me souviens bien, c’est pendant la seconde conférence qu’il employa ces termes : « Je ne peux pas exiger que mes généraux comprennent mes ordres, mais j’exige qu’ils les exécutent ».
Connaissez-vous des chefs d’armée qui aient opposé une résistance à de pareils ordres ?
On m’a raconté un jour, mais je ne sais, pas si c’est vrai, que le Feldmarschall Rommel aurait brûlé cet ordre.
Mon général, vous ne voulez pas parler de l’ordre des commandos ? Le Feldmarschall Rommel était...
Oui, c’était l’ordre des commandos et nous parlons maintenant de l’ordre sur les commissaires, n’est-ce pas ?
C’est exact.
Je me souviens que l’OKH, qui devait malheureusement exécuter cet ordre, a toujours élevé des représentations, des objections et cela pendant un temps assez long. Des officiers de l’État-Major m’ont dit aussi confidentiellement que la plupart du temps cet ordre n’avait pas été exécuté. Je connais une démarche officielle qui a été faite auprès du Führer pour lui demander d’annuler officiellement cet ordre. Ce qui a eu lieu, mais je ne sais plus à quelle date.
Qui avait fait cette demande ?
Elle émanait du Haut Commandement de l’Armée de terre, je ne sais plus si c’était du chef d’État-Major ou Commandant en chef.
Quand fut-elle faite ?
Je crois que c’était au printemps 1942, et c’est sur cette demande que l’ordre a été, je le sais, rapporté.
Avez-vous eu occasion de parler avec un commandant en chef qui ait approuvé cet ordre ?
Non. Tous les officiers auxquels j’en ai parlé estimaient qu’il fallait éviter de l’appliquer d’un point de vue humanitaire et que, d’ailleurs, au point de vue pratique, il ne tenait pas.
Lorsque Hitler a donné de vive voix des justifications de cet ordre — vous venez de nous en parler partiellement ici — est-ce qu’il a ensuite exposé des motifs nouveaux pour le justifier ? Je vous prierai, pour que cette question soit tout à fait élucidée, de bien vouloir les indiquer.
Il a donné de longues explications là-dessus, comme toujours, quand il voyait la nécessité de convaincre quelqu’un.
A-t-il dit...
Ces raisons n’ont-elles pas déjà été données ?
Autant que je sache, Monsieur le Président, elles n’ont pas été complètement données. (A l’accusé.) Est-ce que Hitler, lors de ces conversations, a indiqué...
Un instant. N’avez-vous pas indiqué déjà les raisons pour lesquelles, d’après vous, Hitler a donné cet ordre ?
Je n’ai pas encore donné certains motifs principaux du Führer...
Attendez un instant, Docteur Laternser, j’ai déjà dû vous demander à plusieurs reprises d’être plus bref, lorsque vous interrogez un témoin. Vous venez d’utiliser plus d’une heure pour poser des questions sur le Haut Commandement. Vous interrogez trop longuement chaque témoin qui vient à la barre et le Tribunal estime que vous lui avez fait perdre beaucoup de temps. Ce témoin peut fournir d’autres motifs, mais je ne veux pas qu’il en résulte de discussion. Il peut maintenant fournir son explication.
J’ai simplement à ajouter, pour compléter, ce que le Führer disait alors : « Si vous ne croyez pas que je vous dis ici la vérité, lisez les rapports du service de renseignements que nous recevons sur l’attitude des commissaires russes dans les Pays baltes occupés. Vous pourrez alors vous faire une idée de ce qu’on peut attendre de ces commissaires ». C’est ce qu’il nous a rapporté.
Je voudrais encore vous parler de ces notes de conférence, du document PS-884, qui a été présenté ici sous le numéro URSS-351. Je voudrais vous poser une question à ce sujet.
Voulez-vous répéter le numéro du document ?
PS-884. Ce document a été présenté par le Ministère Public russe le 13 février. Il se trouve à la page 151 du second livre de documents du général Jodl. Sous le chiffre romain II, à la page 153, on trouve ce qui suit : « En opposition à cela, le mémorandum n° 3 du Reichsleiter Rosenberg prévoit... » Je ne vais pas en lire plus ; suit une proposition. Mais je voudrais vous demander les motifs qui ont amené le chiffre II à figurer dans cette note de conférence ?
Je ne peux que faire une supposition, étant donné que ce document n’émane pas de moi ; mais je n’ai aucun doute...
Nous ne voulons pas ses suppositions ; s’il ne peut que supposer, alors qu’il ne suppose pas. Nous voulons des preuves et non des suppositions.
Je renonce à ma question, mais je pensais que le témoin avait des connaissances personnelles là-dessus.
Témoin, vous avez dit hier que l’ordre des commandos du 18 octobre 1942 avait été modifié à la demande du Commandant en chef à l’Ouest, c’est-à-dire en partie rapporté. Qui commandait alors à l’Ouest et a fait cette proposition ?
C’était le maréchal von Rundstedt, et il avait demandé que l’ordre fût complètement annulé.
Vous connaissez l’ordre du général von Reichenau, que le Ministère Public russe a présenté le 13 février sous le numéro URSS-12. Il est daté du 10 octobre 1941. Connaissez-vous les motifs qui ont amené la publication de cet ordre ?
Oui. Reichenau était alors Commandant en chef de la 6e armée, et dans le secteur de son armée se trouvait la ville de Kiev. J’ai commencé à décrire ce matin ce qui s’était passé dans la ville de Kiev, à la fin septembre. Ce sont les raisons qui amenèrent la rédaction de cet ordre.
Comment ces ordres ont-ils été exécutés par les commandants en chef, sévèrement ou moins sévèrement ?
Je le sais, parce que le Dr Lehmann...
Ceci n’a rien à voir avec les accusations portées contre le Haut Commandement. On n’accuse pas le Haut Commandement d’avoir institué des tribunaux militaires ou de les avoir mal administrés.
Monsieur le Président, je crois être d’un autre avis sur ce point, car si les commandants en chef avaient entendu parler de certains manques de discipline ou d’atrocités...
Connaissez-vous un passage de l’Acte d’accusation, ou quoi que ce soit dans les preuves déposées, qui accuse le Haut Commandement ou un de ses membres de s’être mal comporté lors d’un conseil de guerre ou à propos d’une affaire de conseil de guerre ?
Non. Je cherche simplement à caractériser l’attitude typique des commandants en chef. (A l’accusé.) Que savez-vous des causes de la mort massive de prisonniers russes au cours de l’hiver 1941 ?
Je suis au courant de cette question, étant donné que les aides de camp du Führer et même un bon nombre d’entre eux ont été envoyés sur place et ont fait leur compte rendu au Führer en ma présence. Il s’agit surtout des morts massives qui ont eu lieu après la grande bataille d’encerclement de Viasma. Les motifs de ces morts massives ont été décrits par les aides de camp du Führer de la manière suivante : l’Armée russe qui avait été encerclée avait montré une résistance fanatique et, surtout les huit derniers jours, avait tenu sans aucun ravitaillement. Les hommes avaient littéralement vécu de racines et d’écorces d’arbres, car ils s’étaient retirés dans des régions boisées impénétrables ; beaucoup d’entre eux sont tombés entre nos mains dans un tel état qu’ils étaient encore à peine capables de se remuer. Ils étaient absolument intransportables et nous nous trouvions dans une situation extrêmement difficile pour le ravitaillement, étant donné que les voies de chemin de fer étaient détruites. Il était impossible de les amener ; il n’y avait aucun ravitaillement ni aucun cantonnement possible à proximité. La plupart d’entre eux ne seraient pas morts si on avait pu les soigner immédiatement dans des hôpitaux. Là-dessus, il se mit à pleuvoir, puis le froid vint. Telles sont quelques unes des raisons pour lesquelles une si grande quantité de ces prisonniers, et en particulier de ces prisonniers de Viasma, sont morts.
Tel est le rapport que les aides de camp ont fait au Führer, nous avons reçu les mêmes nouvelles de l’intendant en chef de l’Armée de terre.
Que savez-vous du bombardement de Leningrad par l’artillerie allemande ? Vous vous souvenez qu’ici un témoin a été entendu sur ce point.
J’ai assisté aux deux conversations que le Führer a eues avec le Commandant en chef de l’artillerie allemande qui commandait l’artillerie devant Leningrad. Il apporta des cartes indiquant les objectifs et c’était un système extrêmement étudié pour n’atteindre à Leningrad que des usines-clés. Nous pensions qu’il était nécessaire d’abattre ces entreprises pour affaiblir la force de résistance de l’adversaire qui se trouvait dans la forteresse. Avant tout, il s’agissait d’entreprises qui fabriquaient surtout des munitions, et surtout des munitions pour les grosses pièces d’artillerie. Nous avions si peu de munitions pour la grosse artillerie qu’il nous fallait absolument être très prudents et économiser ces munitions, car la plupart de ces canons venaient de France et nous n’avions que les munitions que nous avions pu saisir en même temps comme butin.
Vous savez que le témoin a prétendu que l’artillerie, à son point de vue, avait détruit intentionnellement les châteaux de Leningrad. Vous avez vu les cartes portant l’indication des objectifs à atteindre par l’artillerie ?
Je les ai eues pendant des semaines dans ma serviette ; c’était seulement l’industrie d’armement qui était marquée et il eût été insensé de tirer sur autre chose. Il est évidemment possible que les obus aient atteint un autre but ; chaque artilleur sait que cela peut arriver.
Que savez-vous de l’ordre de Hitler et de l’OKH lors de la retraite de l’hiver 1941 prescrivant de détruire les cheminées et les maisons d’habitation ? Quels sont les motifs de cet ordre ?
Les motifs de cet ordre sont...
Je me réfère à l’ordre URSS-130. Je n’ai malheureusement pas pu établir quel jour cet ordre a été déposé par le Ministère Public. Je vais essayer de m’en assurer et d’en informer le Tribunal.
Dans cette lutte terrible au cours de l’hiver où la température est descendue jusqu’à 48° au-dessous de zéro, les généraux du front ont rendu compte au Führer au Grand Quartier général qu’il s’agissait uniquement dans cette bataille d’une lutte pour les abris chauffés ; celui qui ne possédait pas un système de chauffage, c’est-à-dire une localité avec des poêles susceptibles d’utilisation, ne pouvait pas tenir ; il ne pouvait pas non plus combattre les jours suivants. Il s’agissait donc, en réalité, d’une véritable lutte pour les poêles. Et en conséquence, au moment de notre retraite, le Führer spécifia qu’il fallait détruire les cheminées : non seulement il fallait faire sauter les maisons, mais aussi, et surtout, les cheminées, car cela seul pouvait nous éviter la situation critique résultant d’une poursuite éventuelle par les troupes russes. Étant donné que, selon la Convention de La Haye, toute destruction est permise si elle est absolument nécessaire au point de vue militaire, je crois que pour ce genre de guerre d’hiver, car ce n’est arrivé qu’en hiver, cet ordre peut se justifier,
Que savez-vous de l’affaire de Katyn ?
La découverte des charniers n’est parvenue à ma connaissance que par mon service de propagande qui était renseigné par sa compagnie de propagande attachée au groupe d’armées. J’ai appris que le service de police criminelle avait été chargé d’une enquête pour éclaircir toute cette affaire et j’ai envoyé un des officiers de mon service de propagande lors de l’exhumation et des visites des experts étrangers. J’ai reçu de cet officier un rapport qui, dans ses grandes lignes, confirme ce qui a été dit par le ministère des Affaires étrangères dans son Livre Blanc. Il n’existe aucun doute sur les faits qui sont présentés dans ce Livre et je n’ai jamais entendu dire que quelqu’un en ait douté.
Vous avez vu aussi le film qui a été projeté ici par le Ministère Public russe ? Vous avez vu les atrocités qui ont été commises sur le territoire yougoslave ? Pouvez-vous nous expliquer quelques vues que vous avez encore en mémoire.
Je crois que chaque photographie qui a été montrée ici est absolument exacte en tant que telle, puisque ce sont des photographies saisies, mais ce qu’elles représentaient n’a pas été établi. On ne voyait pas, de par le film, si le chien qui déchirait un homme ne provenait pas d’un chenil d’armée...
Nous ne voulons pas d’argumentation.
Je voulais précisément arrêter le témoin, Monsieur le Président.
Oui.
J’ai pensé à certaines photographies que vous pourriez peut-être expliquer ; je me rappelle, entre autres, une vue représentant un chien policier qui saute sur un individu ou sur un mannequin. Pourriez-vous préciser...
Docteur Laternser, vous lui avez demandé quelles étaient ces photographies, et il a répondu qu’elles étaient toutes authentiques, à son avis. Ce n’est pas lui qui les a prises ; il ne sait rien à ce sujet. Tout ce qu’il peut dire maintenant là-dessus, c’est de la discussion.
Je retire alors ma question.
Mon général, est-ce que Louvain a été vraiment pris comme l’a dit ici le témoin van der Essen ? Le témoin a dit que Louvain avait été pris sans combat.
J’ai établi que dans le communiqué de la Wehrmacht du 18 mai je crois, se trouvait la phrase suivante :
« Louvain a été pris après une lutte sévère ». Et je ne crois pas...
De quel endroit parlez-vous ?
Je demandais au témoin comment Louvain était tombé, si cette ville a été seulement évacuée puis occupée, ou si une bataille s’y est livrée. Le témoin a déclaré qu’on ne s’était pas battu pour avoir Louvain et que, par conséquent, ce fut une action spécialement répréhensible.
Qu’est-ce que cela peut avoir à faire avec. l’État-Major général ?
Mais alors, Monsieur le Président, je ne sais pas sur qui rejeter le poids de cet événement. Je ne peux établir aucune relation avec aucun des accusés. Nous devrions alors rayer toute l’affaire si personne n’est mis en cause.
Est-ce l’un des faits qui figurent dans l’Acte d’accusation ?
Non, l’Acte d’accusation n’en parle pas.
Dans l’exposé des preuves ?
On n’en parle pas dans l’Acte d’accusation, mais au cours des témoignages, un témoin a déclaré que l’artillerie allemande avait volontairement détruit l’université de Louvain, sans aucun motif.
Je n’avais pas bien compris le nom du lieu, mais continuez...
Je sais que le communiqué de la Wehrmacht du 18 mai 1940 contenait la phrase suivante : « Louvain a été pris après une lutte sévère » et si ce communiqué de la Wehrmacht n’a peut-être pas tout dit, il n’a certainement jamais dit le contraire de la vérité. Je puis vous l’affirmer, car c’est moi qui le rédigeais.
Vous avez déjà donné des explications hier sur le cas d’Oradour. Je voudrais seulement vous demander ce que le maréchal von Rundstedt a fait lorsqu’on lui a rendu compte de ces événements ?
Ce n’est que bien des semaines plus tard que j’ai appris que le maréchal von Rundstedt avait ordonné une enquête et que l’affaire d’Oradour avait aussi entraîné une correspondance entre le Feldmarschall Keitel, le Feldmarschall von Rundstedt et la commission d’armistice.
Le Commandant en chef de l’armée de l’Ouest a-t-il ouvert une procédure judiciaire ?
Il a dû le faire. J’ai lu un compte rendu d’un tribunal SS concernant cette affaire.
Comment s’est terminé cette instance ?
Je n’en sais rien.
J’en arrive aux derniers points : combien y a-t-il eu de conférences précédant l’offensive allemande dans les Ardennes en décembre 1944 ?
Il y a eu quatre conférences sur l’offensive des Ardennes.
Avez-vous pris part à toutes ces discussions ?
Oui, j’ai pris part à toutes ces discussions.
Est-ce à la suite d’une de ces discussions ou à une époque quelconque qu’il a été demandé ou donné l’ordre de fusiller les prisonniers pendant cette offensive ?
Non. Je puis même vous dire plus. Au cours de ces réunions, il n’a pas été traité de quoi que ce fût sortant du domaine des opérations pures. Nous n’avons pas parlé du tout du comportement des troupes.
Mon général, auriez-vous su si un ordre semblable avait été donné par le maréchal von Rundstedt par exemple ?
Un tel ordre est absolument impossible. Un ordre comme celui-là n’aurait jamais pu être donné par la voie militaire. Il n’aurait pu être transmis que par la Police, c’est-à-dire par Himmler ou les SS.
Mais alors cet ordre n’aurait pas été applicable aux unités de la Wehrmacht et de l’Armée de terre ?
Il est absolument impossible qu’un commandant en chef de l’Armée de terre eût pu accepter un ordre semblable et je ne connais aucun ordre du Führer qui eût réservé ce sort à des prisonniers ordinaires.
Je n’ai posé la question que parce que le témoin van der Essen a dit ici qu’il concluait, de la façon dont on traitait les prisonniers, que c’était le résultat d’un ordre donné par une autorité supérieure. Voilà pourquoi j’ai posé ma question.
Connaissez-vous le cas des commandos...
Je croyais que vous aviez posé votre dernière question. Vous avez dit que vous en arriviez à votre dernière question.
Ce sont les dernières questions. J’aurai fini dans cinq minutes, Monsieur le Président. Je vous prie de bien vouloir prendre en considération que le général Jodl fait partie du groupe des accusés et qu’il est l’officier le mieux renseigné. Un interrogatoire d’une heure et demie n’est vraiment, pas excessif pour lui. (A l’accusé.) Connaissez-vous l’entreprise de commando à laquelle a pris part le fils du maréchal britannique Alexander ?
Oui. Je la connais.
Voulez-vous nous décrire cette affaire ?
J’ai appris cette affaire par un rapport, mais je ne me rappelle plus de qui il émanait. J’en ai parlé avec le maréchal Keitel et je lui ai exposé mon point de vue, à savoir qu’il n’y avait tout de même pas de quoi ouvrir une information judiciaire militaire contre un lieutenant parce qu’il avait porté une casquette allemande pendant cette entreprise. Il y avait, en effet, une action judiciaire en cours contre lui. C’est alors que le maréchal Keitel a donné l’ordre d’arrêter la procédure.
Et la procédure a été arrêtée ?
Oui, elle l’a été.
Au sujet de l’importance du groupe, encore deux questions. Quels étaient les pouvoirs de l’adjoint du chef de l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht ?
L’adjoint du chef de l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht dirigeait pratiquement, à vrai dire, le travail de tout mon état-major, car j’en étais séparé au point de vue des locaux. Je me trouvais personnellement dans ce que nous appelions le cercle de sécurité n° 1 et mon état-major dans le cercle de sécurité n° 2, c’est-à-dire à l’extérieur de cet état-major étroit, et il me remplaçait naturellement en cas de nécessité.
Le Ministère Public a prétendu que votre adjoint était responsable des plans stratégiques. Est-ce exact ?
Non, c’était moi en premier lieu.
Est-ce que l’importance de ce poste de chef adjoint de l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht correspond à celle d’autres fonctions comprises dans le groupe accusé ?
Non, elle est très en dessous. Il n’avait ni les pouvoirs d’un commandant d’armée, ni ceux d’un chef d’état-major.
Je vous remercie. Je n’ai plus d’autres questions à poser.
Le Tribunal va suspendre l’audience.
Y a-t-il d’autres avocats qui désirent poser des questions au témoin ?
Mon général, étiez-vous présent lorsque, à la fin du mois de mars 1944, Himmler annonça à Hitler, au cours d’une discussion sur la situation, qu’environ quatre-vingts officiers aviateurs s’étaient échappés du stalag Luft-III à Sagan ?
Lorsque Himmler l’a annoncé, je ne me trouvais pas dans la grande salle du Berghof. Je me trouvais dans une pièce attenante où je téléphonais. Comme une discussion extrêmement bruyante s’était élevée, je me suis approché de la tenture pour me rendre compte de ce qui se passait, et j’ai alors entendu qu’il s’agissait de l’évasion des aviateurs anglais du camp de Sagan.
Le Reichsmarschall Göring était-il présent lors de ce rapport ?
Le Reichsmarschall Göring n’était pas présent ; et je le dis avec une certitude absolue.
Est-ce qu’au cours de conversations ultérieures avec le Reichsmarschall vous avez eu connaissance de son attitude sur l’exécution d’une partie de ces officiers qui s’étaient échappés ?
Je sais, par des conversations avec le chef de l’État-Major général de l’Aviation, que le Reichsmarschall était indigné de ces exécutions, et je sais aussi que c’est l’ancien officier qui parlait en lui et s’indignait devant des faits aussi inconcevables Je dois à la vérité de le dire et j’ai vécu personnellement des discussions répétées qui se sont élevées entre de Führer et lui à ce sujet.
Je n’ai pas d’autres questions à poser.
Avec la permission du Tribunal, je poserai quelques questions au témoin.
Monsieur le témoin, vous étiez chef de l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht. Vous connaissiez donc les unités qui vous étaient subordonnées. Or, le Ministère Public prétend que vous vous attendiez à trouver dans les SA des troupes de combat aux premiers jours de la guerre d’agression, et sous la forme de ce qu’on appelle des troupes de commandos. Je voudrais vous demander si, à votre connaissance, la désignation « troupes de commandos » a été employée au cours de l’utilisation des SA, comme telles, par la Wehrmacht ?
Non. Je n’en ai pas connaissance ; j’ai entendu prononcer le terme « troupes de commandos » pour la première fois à propos des entreprises des bataillons anglais de « Rangers ». Chez nous, ce terme n’a jamais été utilisé.
Il est donc absolument exclu que les SA aient été utilisées comme troupes de commandos, derrière les troupes ordinaires, lors de l’entrée en Autriche ou de l’occupation des Sudètes ?
Je ne connais aucun cas où des formations de SA auraient participé à l’occupation d’un autre pays, à l’exception du corps franc Henlein, qui était surtout composé de réfugiés des Sudètes. Il comportait, je crois, quelques chefs de SA, qui étaient d’anciens officiers.
Est-ce que le régiment « Feldherrnhalle » a été utilisé comme unité de SA ou comme unité de la Wehrmacht pendant la guerre ?
Le régiment « Feldherrnhalle » était exclusivement un régiment de la Wehrmacht qui matérialisait seulement la tradition des SA et qui était recruté parmi elles. Mais ce régiment n’avait aucun rapport avec la Direction supérieure des SA. C’était entièrement un régiment de la Wehrmacht.
Savez-vous que l’on formait par an, dans vingt-cinq écoles de groupes et trois écoles de Reichsführer, de 22.000 à 25.000 Führer et Unterführer en vue de leur envoi au front et de leur utilisation comme tels dans la Wehrmacht ?
Je n’en ai aucune connaissance, et je considère qu’il est exclu que la Wehrmacht ait fait opérer la formation de ses cadres par d’autres que par son propre personnel.
N’est-il pas probable, au contraire, que les SA entraient dans l’Armée comme simples soldats et qu’ils étaient ensuite, après avoir passé par le rang, promus officiers selon les principes en usage dans la Wehrmacht ?
Le SA était mobilisé dans la Wehrmacht comme tout autre Allemand. Je connais quantité de cas où des Führer des SA, de rang très élevé, sont entrés dans l’Armée, où ils ont débuté comme simples soldats ou sous-officiers.
Le Ministère Public prétend, en outre, qu’après 1934 il y avait non seulement 22.000 à 25.000 Führer et Unterführer formés par les SA, mais encore que 35.000 officiers et sous-officiers ont été plus tard formés par les SA pour la Wehrmacht. Avez-vous connaissance de ce fait ?
Ce que j’ai dit tout à l’heure pour les Unterführer est d’autant plus valable pour les officiers. Les officiers n’étaient formés que dans les écoles militaires de l’Armée et nulle part ailleurs.
Le Ministère Public prétend de plus, et je vous demande si vous avez connaissance de ce fait, que dans le cadre de la guerre totale, 86 % du corps des Führer professionnels ont été mis à la disposition de l’Armée.
Il m’est impossible de vous donner une réponse valable. Je l’ignore.
De plus, le Ministère Public prétend que les SA, dans leur ensemble, auraient versé 70% de leurs millions d’adhérents à la Wehrmacht. Il est possible que 70% des membres des SA aient fait leur service militaire. Je voudrais vous demander si ces 70% de SA ont été mobilisés comme corps spécial, ou n’est-ce pas plutôt que ces 70% ont été mobilisés dans le cadre de la mobilisation générale qui touchait toute la population masculine valide ?
Les SA ne jouaient aucun rôle dans le cadre de notre recrutement. Les mobilisables étaient recrutés comme tous les autres Allemands capables de faire leur service militaire. Qu’ils eussent ou non été autrefois dans les SA n’avait aucune importance.
La Wehrmacht a-t-elle jamais utilisé au combat des formations spéciales de transmissions SA, de pionniers SA, de cavaliers SA, de sanitaires SA, incorporées ou non à des unités faisant partie de divisions de la Wehrmacht ?
Personnellement, je ne connais aucun cas où une formation quelconque de SA ait été utilisée pendant la guerre hors d’Allemagne.
Est-ce que le chef de l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht avait un agent de liaison des SA ?
Non, mais de temps en temps occasionnellement, un officier de la Direction supérieure des SA venait me voir et, le plus souvent, il s’informait du sort et du bien-être du régiment Feldherrnhalle qui venait des SA et qui se composait surtout de SA, ainsi que, plus tard, d’une formation blindée qui perpétuait, elle aussi, les traditions du régiment « Feldherrnhalle » des SA.
Le Ministère Public a présenté un journal d’où il ressort que le Feldmarschall Brauchitsch avait assisté occasionnellement à un conseil de révision des SA, et le Ministère Public veut montrer par là la corrélation étroite existant entre la formation des SA et celle de la Wehrmacht. Pouvez-vous expliquer cette photographie ?
Je crois qu’il s’agit de la chose suivante : le Feldmarschall von Brauchitsch a accompagné un jour le chef d’État-Major Lutze au cours d’une inspection d’une formation ordinaire des SA. Comme je l’ai déjà expliqué, après le putsch de Röhm, nous n’avions plus de raisons de conflits avec les SA qui ont, au début de la guerre, remis à la Wehrmacht tout leur équipement y compris les toiles de tentes. Je me souviens particulièrement de cela.
Pouvait-il s’agir, lors de cette visite du maréchal von Brauchitsch, pendant l’inspection des SA, d’une activité officielle du maréchal ?
Non. A mon avis, ce n’était qu’un acte de courtoisie.
Sous l’aspect de la conspiration dont les SA sont accusées ici, savez-vous que les SA sont censées avoir eu pour tâche, surtout dans les années 1933 à 1939, de préparer l’Allemagne et en particulier la jeunesse à une dure guerre de conquête en insufflant, développant et maintenant un esprit guerrier dans la nation, surtout parmi les jeunes. Est-ce que vous en savez quelque chose par expérience personnelle ?
Je n’en sais rien. Que les SA se soient efforcées, en tant que formations du Parti, d’entretenir un esprit patriotique dans ses rangs et de veiller à l’éducation physique, cela se comprend de soi. Mais personne n’a jamais fait de préparatifs en vue d’une guerre d’agression.
Mais c’est justement ce que l’on reproche ici aux SA. Et vous estimez que ce n’est pas vrai ?
Il n’y a rien qui puisse me le faire admettre.
Je vous remercie, je n’ai plus de questions à poser.
Mon général, le jour « J » pour l’attaque de la Pologne avait été fixé tout d’abord au 26 août 1939. Est-il exact que le 25 août on ait rapporté cet ordre sur l’insistance de Ribbentrop, parce que, d’après les informations reçues par le ministère des Affaires étrangères, la Grande-Bretagne avait ratifié le pacte conclu avec la Pologne le 6 avril 1939, et parce que Ribbentrop avait déclaré au Führer qu’une avance des troupes allemandes signifierait la guerre avec la Grande-Bretagne ?
Je ne puis pas répondre à tout ce que vous m’avez demandé, mais je sais tout de même quelque chose à ce sujet : lorsque, le 25, nous avons reçu cet ordre surprenant selon lequel l’attaque prévue pour le 26 n’aurait pas lieu, je téléphonai au commandant Schmundt — car le Feldmarschall Keitel n’était pas là — et lui demandai ce qui passait. Il me répondit alors que peu de temps auparavant, le ministre des Affaires étrangères du Reich avait appris au Führer que l’Angleterre avait conclu un pacte, un pacte d’assistance avec la Pologne et que, par conséquent il fallait compter avec une intervention de l’Angleterre dans un conflit avec la Pologne. C’est la raison pour laquelle le Führer aurait rapporté l’ordre d’attaque. C’est ce que j’ai appris à cette époque.
Au printemps de l’année 1941, après le putsch de Simovitch, un entretien a eu lieu entre le Führer et les commandants en chef des différentes formations de la Wehrmacht, auquel von Ribbentrop a également participé dans sa dernière phase. Est-il exact qu’au cours de cette conférence, von Ribbentrop ait défendu le point de vue selon lequel il fallait essayer, avant de procéder à des opérations militaires, de régler le différend avec les Yougoslaves sur le plan diplomatique ? Comment Hitler a-t-il réagi à cette proposition ?
Je me souviens de cet incident, et avec beaucoup de netteté, parce qu’environ une heure avant j’avais fait devant le Führer la même allusion. Je lui avais dit que nous pourrions certainement, par un ultimatum, éclaircir la situation, et sans savoir que j’avais fait cette remarque, le ministre des Affaires étrangères du Reich la réitéra plus tard. Mais il lui en coûta bien davantage qu’à moi, parce que le Führer lui répondit : « Qu’est-ce que vous pensez ? Les Yougoslaves mentent comme des arracheurs de dents. Ils vous disent naturellement qu’ils n’ont aucune intention agressive, et lorsque nous serons entrés en Grèce, ils nous tomberont dans le dos ». Je me souviens très exactement de cette déclaration.
Mon général, est-il exact qu’à partir du début de la campagne de Russie, le ministère des Affaires étrangères a été complètement éliminé de tout ce qui concernait les problèmes de l’Est et que Ribbentrop s’est plaint à ce sujet, soit personnellement soit par son représentant, l’ambassadeur Ritter, de n’avoir aucun succès auprès du Führer avec ses propositions ?
Je sais que l’ambassadeur Ritter, qui venait très souvent me voir, s’est plaint à plusieurs reprises, au cours d’entretiens privés, du fait qu’on avait enlevé au ministère des Affaires étrangères une grande partie du domaine de son activité. Je dois supposer que ce n’était pas seulement la conception de l’ambassadeur Ritter, mais certainement aussi celle de tout le ministère et du ministre.
Au cours de votre déposition, vous avez déjà fait allusion au fait que la Wehrmacht aurait été opposée à l’intention de Hitler de se délier de la Convention de Genève ? Savez-vous que Ribbentrop s’est également opposé à l’intention de Hitler à ce sujet et qu’il a réussi, grâce à l’appui de certains milieux de la Wehrmacht qui partageaient son point de vue, à empêcher Hitler de réaliser son dessein ?
Sous cette forme, je ne puis pas l’affirmer complètement. Il n’y a qu’une chose que je sache avec certitude, c’est que j’ai reçu par écrit une déclaration du ministère des Affaires étrangères qui était en opposition avec le projet de Hitler. C’était la preuve, à mes yeux, que le ministère des Affaires étrangères était de cette opinion. J’ai mentionné cette attitude d’opposition du ministère des Affaires étrangères, dans un mémoire qui contenait la même position prise par l’Armée de terre, l’Aviation et la Marine, et que j’ai remis au Führer. Je ne sais pas jusqu’à quel point le ministre des Affaires étrangères a personnellement fait ses représentations au Führer à ce sujet.
Est-il exact que von Ribbentrop se soit opposé à la mise aux fers de prisonniers britanniques, à titre de représailles pour la mise aux fers de prisonniers allemands, et qu’en accord avec l’OKW il ait réussi à obtenir de Hitler que cette mesure soit rapportée ?
C’est exact. Le ministre des Affaires étrangères du Reich et le ministère ont, à plusieurs reprises, fait des représentations auprès de Hitler pour faire rapporter définitivement cette mesure de mise aux fers des prisonniers canadiens. On peut supposer que c’est grâce à ces nombreuses demandes qui étaient soutenues également par l’OKW, qu’on a enfin rapporté cet ordre.
Au cours de l’audience de mardi après-midi, vous avez déjà traité la question des aviateurs terroristes et vous avez déclaré à ce sujet que par des enquêtes sur le traitement qu’on se proposait de leur réserver, vous vouliez empêcher qu’une décision rapide fût prise en ce qui les concernait. Or, le Ministère Public a présenté deux documents à ce sujet. Le premier rapporte une conversation qui aurait eu lieu entre Ribbentrop, Göring et Himmler, à Klessheim. L’autre a été rédigé par l’ambassadeur Ritter que j’ai déjà cité. J’aimerais savoir si vous connaissez l’attitude de Ribbentrop au sujet du traitement infligé aux aviateurs terroristes et, en particulier, j’aimerais savoir si Ribbentrop est intervenu en faveur d’un traitement de ces aviateurs conformément à la Convention de Genève, s’il n’a pas insisté pour qu’on ne se départît pas de la Convention de Genève, sauf nécessité militaire impérieuse.
Docteur Horn, ne pourriez-vous pas poser cette question sous une forme plus brève ? Demandez-lui simplement : qu’en savez-vous ?
Est-il exact que von Ribbentrop, dans la question des aviateurs terroristes, s’est opposé à ce qu’on s’écarte de la Convention de Genève, en conformité sur ce point avec la Wehrmacht et qu’il soit intervenu auprès de Hitler à ce sujet ?
Je puis dire qu’au cours des conversations que j’ai eues avec l’ambassadeur Ritter, j’ai appris que le ministre des Affaires étrangères était en faveur de mesures officielles, c’est-à-dire qu’il voulait une notification officielle du fait que nous prendrions des mesures contre certains actes terroristes que nous ne considérions plus comme faisant partie d’une conduite normale de la guerre. Telle était la conception primitive du ministère des Affaires étrangères. A ce moment-là, j’ai déclaré que le Führer ne voudrait certainement pas en entendre parler, compte tenu de ce que l’on pouvait déduire de ses instructions verbales. Effectivement, la proposition que désirait faire le ministre des Affaires étrangères ne fut jamais présentée ; du moins, je ne l’ai jamais vue.
Savez-vous quelque chose au sujet de tentatives de négociations britanniques, émanant d’officiers britanniques, au nom du général Alexander, et soutenues par le Gouvernement britannique en 1943 ?
Je sais fort bien qu’à cette époque, à Athènes, un Anglais — je crois que c’était un capitaine britannique — est entré en contact avec nous et que ce capitaine a indiqué qu’il venait du Quartier Général britannique de la région du sud-est de l’Europe. J’étais présent lorsque le ministre des Affaires étrangères du Reich a fait à ce sujet un rapport au Führer, suggérant d’essayer de voir si cela pouvait avoir un résultat quelconque. Cela a été fait après accord du Führer, mais c’est tout ce que j’ai entendu au sujet de cette affaire. Apparemment, cela n’a rien donné.
Êtes-vous au courant d’autres efforts de Ribbentrop en faveur de la Paix, en particulier après la campagne de Pologne, après Dunkerque, et en 1943 ?
Je ne connaissais que les essais et tentatives ayant suivi la campagne de l’Ouest. A cette époque, le Führer parlait très ouvertement avec tout le monde. J’ai appris, tout comme le ministre des Affaires étrangères du Reich, que le Führer était d’accord pour conclure une paix avec l’Angleterre à tout moment, à condition qu’une partie de nos anciennes colonies nous soit restituée.
Est-il exact que l’accusé von Ribbentrop ait proposé à Hitler de permettre aux Juifs hongrois d’émigrer s’ils le désiraient ?
Oui, je me souviens de cela. C’était au Berghof, peu de temps après l’occupation de la Hongrie par nos troupes, probablement en mai 1944, au début du mois de mai. Il y eut une conférence au cours de laquelle une décision devait être prise ; le Führer désirait entendre les différents avis sur la question de savoir s’il fallait dissoudre l’Année hongroise ou s’il fallait la laisser subsister. A la fin de cette conférence à caractère purement militaire, le ministre des Affaires étrangères- dit au Führer :
« Ne pouvons-nous pas remettre tous les Juifs hongrois à un pays neutre quelconque en les envoyant par bateau ? » Le Führer répondit : « Mais comment vous imaginez-vous cela ? Comment croyez-vous que cela soit possible ? Personne ne les acceptera. D’ailleurs, ce n’est pas réalisable d’un point de vue technique ». C’est là le souvenir que j’ai gardé de cet entretien.
Vous avez parlé hier déjà de l’expulsion des Juifs danois, et vous avez dit que cette expulsion aurait eu lieu sur l’ordre de Himmler. Or, on a présenté ici une déclaration faite sous serment, d’un colonel Mildner, dans laquelle il déclare que cette expulsion aurait été faite sur ordre du ministre des Affaires étrangères du Reich. Cette affirmation est-elle exacte ?
Avant cet entretien entre Himmler et le Führer qui m’avait incité à envoyer un télétype au commandant militaire au Danemark, je n’avais jamais entendu parler d’un projet de déportation des Juifs du Danemark et je n’avais jamais entendu dire que le ministère des Affaires étrangères y prît une part quelconque.
Mais avez-vous jamais entendu parler de l’attitude de base de l’accusé von Ribbentrop à l’égard de la question juive ?
A l’exception de cette proposition concernant les Juifs hongrois, je n’ai aucun souvenir d’une conversation quelconque du ministre des Affaires étrangères à laquelle j’eusse été présent et où il eût été question des Juifs.
Je vous remercie. Je n’ai plus de questions à poser.
Vous ai-je bien compris, mon général lorsque vous avez dit hier qu’en 1935 on aurait décidé de mettre sur pied 36 divisions ?
C’est exact.
Ce qui m’intéresse, c’est de savoir combien il y avait de divisions sur pied le 1er avril 1938, et cette date m’intéresse tout particulièrement parce que, ce jour-là, s’arrêta l’aide financière accordée par la Reichsbank. Pouvez-vous m’indiquer également combien il y avait de divisions prêtes au 1er avril 1938 ? Combien étaient complètement équipées ?
Complètement équipées, c’est-à-dire tant en ce qui concerne les hommes que le matériel, je pense qu’à ce moment-là il y en avait environ 27 ou 28.
Pouvez-vous me dire, mon général, quelle était la composition des divisions ?
Je ne puis pas le dire avec certitude...
Approximativement ?
En tout cas, je sais encore ceci : à cette époque, il n’y avait qu’une seule division blindée, une division de cavalerie, une division de montagne : le reste, sans doute, était composé de divisions d’infanterie ; les autres divisions blindées n’étaient pas encore équipées au point de vue matériel et elles n’existaient que comme formations de cadres.
Je voudrais encore savoir dans quelle mesure, depuis ce jour jusqu’en septembre 1939, date de la déclaration de guerre, s’est effectué le développement des effectifs de l’Armée, à partir de ces 27 divisions ?
A partir de l’automne 1938, la situation s’est visiblement améliorée. Et cela, parce que l’industrie de l’armement travaillait déjà avec plus de rendement et qu’il y avait par conséquent plus de matériel pour l’équipement, et aussi parce qu’à partir de ce moment-là apparaissaient déjà des classes qui avaient reçu une formation complète. Nous étions donc en mesure, à l’automne 1938, de mettre sur pied environ 55 divisions y compris les divisions de réserve, même si leur équipement était pour partie très faible. Vers 1939, il y avait, comme je l’ai déjà dit — si mes souvenirs sont exacts — entre 73 et 75 divisions.
Donc, le nombre des divisions mises sur pied aurait augmenté à partir de mars ou avril 1938, c’est-à-dire après de départ du président Schacht de la Reichsbank, de 200% alors qu’il avait fallu plus de trois ans pour former 27 divisions ?
C’est exact, avec une réserve pourtant : c’est que ces 55 ou ces 75 divisions avaient encore de sensibles lacunes dans leur équipement, tout comme le petit nombre de divisions que j’ai citées pour le printemps de l’année 1938. Mais le fait que le réarmement, à partir de ce moment-là, se soit accéléré, s’explique par la nature des choses, comme je l’ai déclaré tout à l’heure.
Je vous remercie, je n’ai pas d’autres questions à poser.
Monsieur le témoin, vous avez déclaré hier que le service de renseignements était mieux organisé du temps de Kaltenbrunner que précédemment. Je vous prie de me dire quelle était la fonction de Kaltenbrunner pendant que vous étiez à l’OKW.
J’ai fait la connaissance de Kaltenbrunner...
Attendez un instant. Docteur Kauffmann, vous lui avez posé une question assez générale. Nous connaissons très bien les fonctions occupées par Kaltenbrunner. Que lui demandez-vous exactement ?
Monsieur le Président, Kaltenbrunner nous a simplement déclaré que son service de renseignements était relié au service de renseignements de l’Armée, et ceci d’une manière assez générale. Mais le témoin qui est à la barre en ce moment peut nous dire quelle était l’importance et surtout la portée et l’influence dans le domaine général de la politique que pouvait avoir ce service de renseignements par rapport au reste du service de renseignements.
Oui, mais je n’ai pas du tout compris la question ainsi. Vous ne lui avez pas parlé du service de renseignements ; vous lui avez seulement posé une question générale sur les relations qu’il avait eues avec Kaltenbrunner pendant le temps où il avait travaillé à l’OKW. C’est une question beaucoup trop générale. La réponse prendrait environ une heure.
Il est possible que ma question ne vous soit pas parvenue entièrement. Je me permettrai donc de préciser une fois de plus : monsieur le témoin, vous avez déclaré hier qu’à l’époque où Kaltenbrunner dirigeait le service de renseignements, on était mieux renseigné qu’avant, c’est-à-dire à l’époque où Canaris s’occupait du même service. Or, je vous demande maintenant quelle était la fonction de Kaltenbrunner au sein de ce service de renseignements.
Quelle est la question particulière que vous désirez poser au témoin ? Le Tribunal ne pense pas que vous deviez poser des questions générales de cette nature. S’il y a une question particulière sur laquelle vous désirez des éclaircissements, posez-la au témoin.
Quelle était l’activité exercée par Kaltenbrunner au cours des rapports quotidiens sur la situation ?
Mais, Docteur Kauffmann, il est difficile d’imaginer une question plus générale que celle-ci : quelle fut son activité pendant toute une série d’années ?
Monsieur le Président, il s’agit de l’activité de Kaltenbrunner dans la discussion du rapport quotidien sur la situation militaire. Quelle était l’attitude de Kaltenbrunner : que disait-il, que faisait-il, faisait-il des rapports, en quoi consistaient ces rapports ? A mon avis, cela constitue une question très concrète.
Mais de quelle époque parlez-vous ?
Ma question porte sur toute la durée de son activité, depuis sa nomination en tant que chef du RSHA en 1943 ; uniquement sur cette période.
Bien. Vous pouvez poser la question en vous référant à certaines conférences particulières. Pourquoi ne pas l’interroger sur certaines conférences en particulier, si vous les connaissez ?
C’est ce que j’avais l’intention de faire. Témoin, avez-vous compris de quoi il s’agit ? Et, dans ce cas, je vous prie de me répondre.
Pour autant que je me souvienne, jusqu’au printemps de l’année 1945 — époque à laquelle le Quartier Général a été transféré définitivement à la Chancellerie du Reich à Berlin — Kaltenbrunner n’a pas assisté à la discussion du rapport sur la situation militaire. Je ne puis même pas me rappeler l’avoir vu à un rapport au Quartier Général.
Excusez-moi, parlez-vous de 1944 ou de 1945 ?
Je parle de 1945, du début de l’année 1945. Ce n’est qu’à partir de la fin janvier 1945 que j’ai souvent vu Kaltenbrunner à la Chancellerie du Reich. Avant cette époque, il était de temps à autre au Quartier Général du Führer et il s’entretenait avec moi au sujet surtout du transfert sous ses ordres du service de renseignements de Canaris. Il a discuté avec moi à ce sujet, mais il n’assistait pas au rapport chez le Führer.
Faisait-il des rapports écrits sur la situation militaire ?
Avant qu’il ne prît le service de Canaris — il est entré en fonctions le 1er mai 1944 — il m’adressait déjà de temps à autre de très bons rapports sur le Sud-Est européen. Ce sont ces rapports qui ont attiré d’abord mon attention sur l’expérience qu’il avait dans le domaine du service de renseignements. Après son entrée en fonctions au service de renseignements — après une certaine résistance de ma part au préalable, mais par la suite avec mon appui accordé à la suite d’une discussion au cours de laquelle j’avais eu l’impression que cet homme était au courant des questions dont il s’agissait — je recevais régulièrement les rapports de Kaltenbrunner, comme auparavant j’avais reçu ceux de Canaris. Il ne s’agissait pas simplement de rapports quotidiens de ses agents ; il m’envoyait aussi de temps à autre un aperçu que je serai tenté d’appeler un aperçu politique, basé sur les informations qu’il recevait de ses divers agents.
Les rapports sur l’ensemble de la situation politique à l’étranger attiraient particulièrement mon attention parce qu’ils faisaient preuve d’une loyauté, d’une retenue et d’un sérieux sur la gravité de l’ensemble de notre situation militaire, contrairement à ce qui s’était manifesté dans les rapports de Canaris.
Monsieur le témoin, vous nous avez dit hier qu’après la fin du rapport quotidien sur la situation militaire, Hitler s’entourait uniquement de ses hommes de confiance éprouvés et de ses conseillers du Parti. Je vous demande maintenant si Kaltenbrunner comptait parmi ce cercle très étroit.
Je n’ai jamais vu Kaltenbrunner dans ce cercle privé du Führer, ni entendu dire qu’il en fît partie. Ce que j’ai vu n’était qu’une attitude purement officielle.
Je n’ai plus d’autres questions à poser.
Mon général, on reproche au Grand-Amiral Dönitz d’avoir, au printemps 1945, exhorté la Marine à continuer la lutte. En tant que conseiller militaire responsable, avez-vous, à cette époque, poussé le Führer à capituler ?
Je ne lui ai pas conseillé à ce moment-là de capituler. C’était absolument exclu ; aucun soldat ne pouvait le faire. D’ailleurs, cela n’aurait eu aucune valeur.
Même pas après l’échec de l’offensive des Ardennes en février 1945 ?
Pas même après l’échec de l’offensive des Ardennes, parce que le Führer comprenait parfaitement, tout comme nous, la situation militaire générale et même, très probablement, bien avant nous ; par conséquent, il était absolument inutile de lui dire quoi que ce fût à ce sujet.
Mais quelles étaient les raisons qui s’opposaient à cela ?
Pendant l’hiver de l’année 1945, quantité de raisons s’opposaient à cela en dehors du fait que la décision de capitulation ou de résistance ne peut être l’affaire que du Commandant en chef suprême. Mais ce qui s’y opposait surtout, c’était que nous ne pouvions garder aucun doute sur le fait qu’il s’agirait d’une capitulation sans conditions ; l’étranger ne nous avait laissé aucun doute à ce sujet. S’il nous en restait un sur ce qui nous attendait, il était tout à fait éliminé par la capture d’un document, l’« Eclipse » anglaise, — ces messieurs de la Délégation anglaise seront au courant — qui comprenait des instructions détaillées sur ce qu’avaient à faire les Puissances d’occupation après la capitulation en Allemagne. Or, la capitulation sans conditions exigeait une fixation du front à l’endroit où. l’on se battait et, en conséquence, la capture par l’adversaire en présence de qui on se trouvait. Il devait arriver ce qui était déjà arrivé pendant l’hiver 1941 près de Viasma : des millions de prisonniers devraient soudain, en hiver, cantonner en pleine campagne où la mort ferait une moisson énorme. Ces 3.500.000 soldats qui se trouvaient encore sur le front de l’Est seraient tombés entre les mains de notre adversaire de l’Est. Notre effort a consisté à sauver le plus grand nombre possible de gens en les envoyant vers la zone Ouest, et cela ne pouvait être réalisé qu’en rapprochant les deux fronts. Ce sont là les opinions purement militaires que nous avons eues dans la dernière phase de la guerre. A ce sujet, je crois que plus tard on pourra en dire davantage que je ne puis ou ne veux dire aujourd’hui.
Mon général, depuis quand connaissez-vous le Feldmarschall Keitel ?
Je le connais depuis 1932, quand il est devenu chef de la division de l’organisation de l’Année.
Et depuis cette époque, — exception faite de la période où vous avez été à Vienne — vous avez toujours collaboré avec lui ?
Il fut un temps où le Feldmarschall Keitel n’était pas au ministère de la Guerre, mais en service actif ; je crois que c’était en 1934-1935. Là aussi je l’ai perdu de vue. Autrement, nous avons toujours été ensemble.
Est-ce que cette collaboration ne jouait que sur le plan du service ou bien aviez-vous des relations personnelles avec lui ?
Au cours des années, en raison des grandes souffrances communes que nous avons éprouvées, nos rapports sont devenus très étroits.
Le Ministère Public a désigné le Feldmarschall Keitel comme l’un des officiers les plus puissants de la Wehrmacht. Il l’a accusé d’avoir, de par ses fonctions, exercé une influence sur Hitler. D’autres voix qui se sont fait entendre ont accusé Keitel d’avoir été trop mou et lui ont reproché de n’avoir pas réussi à percer, à s’imposer. Je ne veux pas faire allusion ici à des questions déjà posées, mais il a été donné, comme je viens de vous le dire, des réponses différentes et au sujet desquelles une réponse certaine ne peut être donnée que par un homme comme vous qui avez travaillé pendant des années avec le maréchal Keitel. Je vous prie, par conséquent, de me dire brièvement en phrases très courtes quelles ont été, sur le plan du service, les relations entre Keitel et Hitler.
Les rapports sur le plan du service entre Keitel et Hitler étaient, bien que sur un plan un peu différent, à peu près les mêmes que ceux du Führer et de moi-même, c’est-à-dire uniquement professionnels. Dans les premiers temps surtout, ces rapports se caractérisaient — tout comme pour les autres officiers supérieurs — par des conflits constants entre un révolutionnaire et un officier prussien lié à toutes les traditions.
Donc, heurts et conflits étaient à l’ordre du jour en raison de ces conceptions différentes ?
Oui, ces conflits étaient à l’ordre du jour et, pratiquement, ils conduisaient à des scènes extrêmement pénibles, des scènes telles qu’il était honteux, pour des officiers généraux, anciens en grade, d’entendre de telles choses en présence de jeunes officiers. C’est ainsi, par exemple, que le 19 avril 1940 le Feldmarschall Keitel a jeté son dossier sur la table et a quitté la salle ; c’est un fait.
Puis-je vous demander dans quelles circonstances cela a eu lieu ?
Non. Docteur Nelte, si vous voulez qu’il confirme les dépositions de l’accusé Keitel, pourquoi ne lui demandez-vous pas simplement de les confirmer ?
Monsieur le Président, il s’agit de questions que je n’ai pas encore posées au Feldmarschall Keitel, et d’ailleurs ces questions sont devenues nécessaires parce que, depuis l’interrogatoire de l’accusé...
Oui, mais la question que vous lui avez posée visait à connaître les relations de Keitel et du Führer. Je suis persuadé que l’accusé Keitel nous en a déjà suffisamment parlé.
J’ai traité cette question avec Keitel.
Vous lui avez alors posé des questions, et Keitel a répondu longuement.
Monsieur le Président, après la déposition de Keitel, on a entendu ici un témoignage qui semble devoir battre en brèche le témoignage de l’accusé Keitel sur le point de savoir si ce qu’il affirme est vrai. Par conséquent, pour clarifier...
C’est exactement la raison pour laquelle je vous ai demandé de poser au témoin la question : confirmez-vous les déclarations de Keitel ? Pourquoi ne lui avez-vous pas demandé s’il confirmait les déclarations de Keitel ?
Mon général, vous avez entendu qu’il est possible de simplifier l’interrogatoire sur ce point. Je fais allusion à ce qu’a dit ici le témoin Gisevius sur le Feldmarschall Keitel. En substance, c’était en contradiction avec ce qu’avaient déclaré le Feldmarschall Keitel et les autres témoins interrogés sur Keitel. Je vous indique que Gisevius n’a pas fait des déclarations appuyées sur ses propres informations, mais sur ce que l’OKW lui avait dit. En tenant compte de cela, je vous prie maintenant de répondre à la question suivante : est-ce qu’à votre connaissance ce qu’a dit Keitel sous la foi du serment, et qui fut confirmé par les autres à l’exception de Gisevius, est exact ou bien est-ce que Gisevius a dit la vérité ?
Seul est exact ce qu’a dit le Feldmarschall Keitel. J’ai vécu ces événements pendant des milliers de jours, et les déclarations du témoin Gisevius ne sont que façons de parler très générales. A côté de Hitler, il n’y avait aucun homme puissant ; il n’y a pas eu d’homme influent à côté de lui et il ne pouvait pas y en avoir.
Or, le témoin Gisevius a donné un exemple pour établir que Keitel aurait soustrait un certain nombre de rapports ou qu’il aurait évité que ces rapports pussent parvenir à Hitler Étant donné que vous avez joué un certain rôle dans l’élaboration du document qui a été présenté, j’aimerais vous soumettre ce document et vous prier de faire une déclaration à ce sujet. C’est le document PS-790. Ce n’est pas un procès-verbal mais une note pour dossier, comme vous le voyez. Il s’agit du Livre Blanc qui a été préparé au sujet des prétendues violations de la neutralité belge et hollandaise. A ce sujet, le témoin Gisevius a dit ce qui suit :
« Oui, je crois pouvoir vous en donner deux exemples qui me paraissent particulièrement significatifs. Premièrement, nous avons essayé par tous les moyens de décider Keitel à mettre Hitler en garde contre l’entrée de troupes en Hollande et en Belgique, c’est-à-dire de prévenir Hitler que les informations que lui avait données Keitel sur la neutralité de la Hollande et de la Belgique étaient fausses. Le contre-espionnage devait établir des rapports incriminant les Hollandais et les Belges. L’amiral Canaris se refusa alors à signer ces rapports. Je demande que ce point soit vérifié. Il déclara à plusieurs reprises à Keitel que ces prétendus rapports de l’OKW étaient faux. C’est là un exemple d’un cas où Keitel n’a pas transmis à Hitler un rapport qu’il aurait dû lui remettre... »
Mon général, je vous prie, maintenant que vous avez pris connaissance de ce document, de confirmer qu’il ressort de cette note qu’on attendait de vous et du Feldmarschall Keitel de couvrir de fausses informations, et qu’en raison du rapport de Canaris qui est contenu dans la partie A, l’OKW aurait refusé d’endosser ce Livre Blanc. Est-ce exact ? (Pas de réponse.)
Vous comprenez la question ? Eh bien, répondez !
Je comprends la question. Je voudrais résumer très brièvement les faits tels qu’ils se sont présentés, si le dégoût ne m’étouffe pas : j’ai assisté à cet entretien au cours duquel Canaris est venu à la Chancellerie du Reich avec la note en question pour voir le Feldmarschall Keitel et lui présenter le projet du Livre Blanc du ministère des Affaires étrangères. Le Feldmarschall Keitel a examiné ce livre ; surtout, il a écouté les observations les plus importantes qu’avaient faites Canaris, sur la demande du ministère des Affaires étrangères, à savoir que ces informations peut-être nécessitaient encore quelques améliorations et qu’il devait confirmer qu’une action militaire contre la Belgique et la Hollande était absolument indispensable. Comme on peut le lire ici, il manquait encore une violation dernière et éclatante de la neutralité. Avant que Canaris eût dit un mot, le Feldmarschall Keitel jeta le livre sur la table et dit : « Je vous en prie. Comment pouvez-vous vous attendre à ce que j’assume la responsabilité d’une décision politique ; dans ce Livre Blanc figurent mot à mot les informations que vous-même, Canaris, m’avez apportées ». Là-dessus, Canaris répondit : « Je suis exactement du même avis. Pour moi, il est absolument superflu de faire signer ce document par la Wehrmacht et les informations que nous avons là sont, dans leur ensemble, absolument suffisantes pour justifier qu’il y ait violation de la neutralité en Belgique et en Hollande ». Et Canaris déconseilla lui-même à Keitel de signer ce texte. Voilà comment les choses se sont passées. Le Feldmarschall a ensuite pris le livre et je ne sais pas quelle a été la suite des événements. Mais il n’en persiste pas moins que l’information fantaisiste de ce monsieur Gisevius met tout sens dessus-dessous. Toutes ces informations sur les violations de neutralité provenaient de ces mêmes gens qui prétendent maintenant que nous aurions signé des falsifications. C’est là une des plus grandes infamies de l’histoire du monde.
Mon général, l’amiral Canaris jouait un rôle en l’occurrence. Gisevius a dit : « Il n’est pas possible que l’amiral Canaris ait pu présenter, comme venant de lui-même, un rapport important à Hitler » ; il affirme que Canaris a donné ces rapports au maréchal Keitel qui ne les a pas présentés. Je vous demande si cela est vrai.
Il est vrai que je n’ai pas pu suivre chaque pièce qui était présentée au Feldmarschall Keitel, mais celui-ci a présenté tout ce dont on pouvait dire que le Führer devait le savoir. J’ai déjà dit que si Canaris n’avait pas été satisfait sous ce rapport, il aurait pu aller directement au Führer. Il n’avait qu’à aller dans le local voisin et remettre ses pièces à l’aide de camp en chef ou à me les donner directement.
Si vous ne le savez pas, pourquoi ne pas le dire ? Si vous ne savez pas s’il les a données au Führer ou non, eh bien, dites-le.
J’avais simplement demandé s’il était vrai que l’amiral Canaris ne pouvait pas arriver jusqu’à Hitler et je voudrais que vous répondiez à cette question.
En fait, il est allé des douzaines de fois chez le Führer.
Il avait donc, s’il le voulait, accès à tout moment ?
Absolument à tout moment.
Voulez-vous me dire maintenant quelle page du procès-verbal contient cette déclaration du témoin Gisevius ?
Dans la mesure où elle concerne Keitel, cette déclaration de Gisevius a été faite à l’audience du matin du 26 avril.
Très bien.
Je veux maintenant vous remettre deux déclarations sous serment que vous avez signées en même temps que le Feldmarschall Keitel et qui ont été présentées au Tribunal. Il s’agit, Monsieur le Président, de l’affidavit 9 de Keitel, intitulé : « OKW-État-Major Général », et de l’affidavit 13 de Keitel, intitulé : « Développement de la situation en France, 1940-1945 et compétence militaire ». Vous vous rappelez avoir signé ces déclarations ?
Oui, je le sais.
Vous en connaissez le contenu ?
Oui.
Et vous confirmez ici l’exactitude de votre déclaration faite sous la foi du serment ?
Je confirme ces déclarations.
Je renonce par conséquent à la lecture de ces déclarations. Je passe maintenant à la question du réarmement et je citerai également le témoignage du général Thomas, qui a été produit ici comme source d’information. Je voudrais, à ce sujet, vous poser encore quelques questions.
Vous savez que le Ministère Public a présenté ici un document très volumineux, le PS-2353, qui traite du réarmement, de la plume même du général Thomas. Étant donné que le général Thomas a été cité également ici par Gisevius comme source d’informations, je dois vous poser une question qui le concerne car, dans sa déclaration sous serment, annexée en tête du document PS-2353, il prétend qu’il aurait été renvoyé de l’OKW le 1er février 1943. Savez-vous si c’est exact ou non ?
Autant que je me souvienne, il a été mis à la disposition des officiers affectés à l’OKW à des missions spéciales. Il était donc à la disposition de son chef, le Feldmarschall Keitel.
Mais n’avait-il pas une tâche précise, en cette qualité ?
Non, je crois qu’il a, par la suite, rempli plusieurs missions.
Je voulais, par cette question, constater simplement que le général Thomas était encore, après le 1er février 1943, chargé de fonctions dépendant de l’OKW et, en particulier, de la rédaction de cette œuvre qui a été présentée ici. Est-ce exact ?
Il est exact qu’il a été chargé de ce que l’on pourrait appeler : l’histoire du réarmement.
Quels étaient ses rapports avec le Feldmarschall Keitel ?
Je connais les rapports qu’ils entretenaient du temps où je les voyais tous les deux. C’était avant la guerre ou tout au début de la guerre, et ces relations étaient bonnes.
Connaissez-vous les rapports du général Thomas sur le réarmement ?
Je ne puis pas me rappeler avec certitude les rapports sur notre propre réarmement. Je me souviens seulement des déclarations sur le potentiel de guerre de nos adversaires.
Docteur Nelte, pensez-vous poursuivre encore pendant longtemps ? Il est déjà 5 h. 10. Si vous ne comptez pas en terminer ce soir, nous lèverons l’audience.
Il me faut encore un quart d’heure.
L’audience est levée.