CENT QUARANTE-HUITIÈME JOURNÉE.
Jeudi 6 juin 1946.
Audience du matin.
(L’accusé Jodl est à la barre des témoins.)Mon général, hier, en réponse à ma dernière question, vous avez dit que le général Thomas faisait régulièrement des rapports au Feldmarschall Keitel et à vous-même sur le potentiel de guerre des Puissances ennemies. Ces rapports importants étaient-ils toujours soumis à Hitler ?
Ces rapports comportant des graphiques et des croquis étaient régulièrement soumis au Führer et occasionnaient souvent de violentes disputes, car le Führer considérait que l’évaluation du potentiel de guerre ennemi était par trop exagérée.
Est-ce que vous-même, ainsi que le maréchal Keitel, estimiez que ces rapports du général Thomas étaient fondés ?
Nous estimions tous deux, après examen approfondi des réalisations ennemies dans la production de l’armement, que les déclarations du général Thomas étaient sans aucun doute parfaitement exactes dans leurs grandes lignes.
Vous avez entendu dire ici par le témoin Gisevius que le général Thomas était censé être opposé à Hitler sur les questions stratégiques. Est-ce qu’au cours des années et d’après les rapports, vous vous en êtes rendu compte ?
Je ne l’ai jamais remarqué. Tout au plus ai-je pu constater qu’il désapprouvait cet optimisme habituellement exagéré du Führer et qu’il était plutôt d’un naturel pessimiste.
Est-ce grâce aux efforts de Keitel que le général Thomas a été destitué de son poste de chef du service économique de l’Armement de l’OKW ?
Non ; lorsqu’il a suspendu son activité, le général Thomas était sous les ordres du ministre Speer, qui désirait se passer de sa collaboration, et demanda au Führer de le renvoyer du service de l’Armement. C’est ce qu’a fait le Feldmarschall sur les ordres du Führer.
Je puis donc en conclure...
Docteur Nelte, comment ces questions concernant le général Thomas sont-elles liées au cas de Keitel ? Comment la question de savoir si le général Thomas agissait pour ou contre les prétendus intérêts de l’Allemagne peut-elle avoir un rapport soit avec le. cas de Jodl, soit avec celui de Keitel ? La déposition de Gisevius présentait un intérêt dans le cas de l’accusé Schacht. Mais le Tribunal estime qu’il est tout à fait hors de propos de savoir, dans le cas présent, si le général Thomas avait l’intention ou non de renverser Hitler.
Il s’agit de savoir, à propos de l’accusé Keitel, s’il a transmis et approuvé les rapports du général Thomas. Le témoin Gisevius a prêtendu que lesdits rapports du général Thomas, qui constituaient une source d’information, avaient été tenus cachés à Hitler. Donc...
Nous en avons déjà parlé hier et l’accusé Jodl a précisé que les rapports du général Thomas étaient présentés au Führer. Mais je vous faisais remarquer que la question de savoir si Thomas faisait ses rapports de façon honnête ou non, n’avait absolument rien à voir dans le cas qui nous intéresse.
Mais/elle est liée, je crois, à l’authenticité des sources de Gisevius. Je retire donc ma question. Mais je voudrais en poser une autre sur l’autre source d’informations, celle de Canaris.
Témoin, Canaris était parfois votre hôte et souvent celui du Quartier Général du Führer. Quelles étaient les relations de Keitel avec son plus ancien chef de service ?
Elles ont toujours été extrêmement amicales, jusqu’au dernier jour, mais empreintes malheureusement d’une trop grande confiance.
Que sont-elles devenues après le 20 juillet ?
Je sais que même après le 20 juillet le maréchal Keitel ne croyait pas à l’accusation portée contre Canaris et qu’après l’arrestation de celui-ci, il apporta une aide financière à sa famille.
Quelles étaient les relations de Canaris avec Heydrich ?
Je vous en ai déjà parlé une fois. Canaris a toujours essayé de rester en bonnes relations avec Heydrich et Hitler afin qu’ils ne se méfient pas de lui.
Que pouvez-vous nous dire sur l’attitude adoptée par le maréchal Keitel concernant le plan établi par Hitler en octobre 1939, le plan d’attaque à l’Ouest ?
Je sais que le maréchal Keitel paraissait fortement impressionné par les intentions du Commandant en chef de l’Armée de terre et de l’État-Major général et qu’il les a mis en garde contre cette attaque à l’Ouest. Je sais — non pas par expérience personnelle, mais par le récit de Schmundt — qu’il eut alors également une controverse avec le Führer, laquelle aboutit à sa première demande de mise en congé. C’est là la version de Schmundt. Je n’ai pas été témoin de cette histoire, et le maréchal Keitel ne m’en a lui-même pas touché mot.
Dans le document PS-447 qui a été présenté par le Ministère Public et qui contient les principes directeurs établis par la directive n° 21, il y a un paragraphe célèbre I, 2 b) d’après lequel, dans la zone d’opérations, le Reichsführer SS s’était vu confier par le Führer des pouvoirs relatifs à la préparation d’une administration politique, résultant de l’inévitable conflit entre deux systèmes politiques opposés. J’ai fait cette brève citation pour n’avoir pas à vous présenter ce document, que vous connaissez certainement très bien, et, pour aller plus vite, je vous demanderai simplement de dire au Tribunal quelle fut la réaction du maréchal Keitel lors de la promulgation de cet ordre.
L’ordre donné par le Führer à Himmler et à la Police d’attenter à la souveraineté de l’Armée donna lieu à de vives discussions avec le Führer. Les mêmes discussions s’étaient déjà produites lors de la nomination de Terboven en Norvège : il suffit de se référer aux notes de mon journal. Bien entendu, je sais aujourd’hui pourquoi le Führer tenait absolument à son idée, et pourquoi il introduisit la Police, sous la direction de Himmler, dans la zone d’opérations. C’était contraire à tous nos principes et à tous les accords précédemment conclus avec la Police et avec Himmler ; mais le Führer finit par imposer cette mesure, malgré la résistance qui lui était opposée sur toute la ligne.
Le Ministère Public a prétendu que le maréchal Keitel aurait, en 1940, donné l’ordre de tuer le général Weygand, chef de l’État-Major général de l’Armée française. Cette affirmation est surtout basée sur les déclarations du témoin, le général Lahousen. J’ai quelques brèves questions à vous poser à ce sujet. Le maréchal Keitel avait-il l’autorité nécessaire pour décréter la mort d’un général ?
Non. Toute condamnation à mort devait être ratifiée par le Führer.
Il n’est pas question ici de « condamnation à mort ».
Personne n’a l’autorité nécessaire pour ordonner un assassinat.
Si je vous demande cela, c’est parce que les déclarations de Lahousen font ressortir que le maréchal Keitel aurait donné cet ordre à l’amiral Canaris. Si nous supposons qu’un pareil ordre ait été donné par Hitler, c’eût été, étant donné l’importance de Weygand, un acte politique gros de conséquences.
Sans aucun doute.
N’aurait-ce pas été, politiquement parlant, une pure folie ?
C’eût surtout été un crime.
Docteur Nelte, ce ne sont là que discussions ; vos questions impliquent déjà les réponses. Continuez.
Si un tel ordre avait été donné, auriez-vous pu ne pas l’apprendre ?
Je ne peux pas croire que le maréchal Keitel, chargé d’ordonner cet assassinat, ne m’en eût pas parlé.
Qu’avez-vous exactement entendu dire sur le cas Weygand ?
Je n’ai jamais entendu parler du cas Weygand. J’ai simplement entendu Himmler dire au Führer : « J’ai donné une très belle villa au général Weygand à Baden ; il y est installé de façon telle qu’il doit être satisfait ». C’est la seule fois que j’ai entendu prononcer le nom de Weygand.
Le témoin Lahousen a aussi parlé du cas du général Giraud. Avez-vous entendu parler de ce cas qui a tellement attiré l’attention ?
J’ai entendu parler devantage du cas Giraud. Peu après l’évasion du général Giraud, le maréchal Keitel me dit au cours d’une conversation qu’il faisait surveiller Giraud par Canaris, et ceci afin qu’il ne puisse, comme le craignait le Führer, gagner l’Afrique du Nord et y procéder à la formation de l’Armée coloniale, et afin qu’il puisse être arrêté au cas où il rejoindrait sa famille en territoire occupé. Quelques mois plus tard, il me dit : « J’ai retiré la mission que j’avais confiée à Canaris car le Führer en a chargé Himmler. Si deux organisations s’occupent concurremment de cette question, des difficultés et des rivalités se présenteront ». J’ai entendu parler une troisième fois de l’affaire Giraud lorsque le maréchal Keitel me dit qu’un délégué de celui-ci (fin 1943 ou début 1944), avait pris contact avec le service de contre-espionnage et déclaré que Giraud, qui ne s’entendait pas avec de Gaulle en Afrique du Nord, avait demandé s’il ne pourrait pas revenir en France. J’ai alors répondu au maréchal Keitel qu’il fallait absolument adopter cette solution, car du point de vue politique elle nous serait très favorable. C’est tout ce que j’ai su du cas Giraud.
Avant-hier, vous avez parlé des conversations qui eureut lieu dans le train du Führer, en septembre 1939, et auxquelles assistait le général Lahousen. Vous avez dit à ce propos : « Je n’ai rien à redire aux déclarations de Lahousen ». Mais, pour éviter tout malentendu, je voudrais que vous me disiez si vous entendez par là que tout le témoignage de Lahousen, qui a également parlé de Giraud et de Weygand, est digne de foi, ou bien s’il s’agit simplement du passage concernant votre présence dans le train du Führer ?
Naturellement, je ne voulais parler que des déclarations faites par Lahousen sur mon propre compte. En ce qui concerne les autres déclarations, j’ai ma propre opinion et je crois qu’il n’est pas nécessaire, que je l’exprime ici.
Hier, en réponse à une question du Dr. Stahmer, vous avez parlé du conflit provoqué par l’évasion des quatre-vingts officiers de la RAF. Je voudrais tirer cette question au clair, car elle est très importante pour le maréchal Keitel, en vous demandant ceci : avez-vous entendu dire que le maréchal Keitel aurait violemment protesté contre le fait que ces officiers eussent été, après leur arrestation, livrés à Himmler, c’est-à-dire à la Gestapo ?
Au cours de ces quelques minutes, j’ai entendu le Führer dire : « C’est inouï. C’est la deuxième fois que des douzaines d’officiers prisonniers s’échappent. Vous ne vous rendez pas compte » (il s’adressait à Keitel) « que vis-à-vis des 6.000.000 d’étrangers qui se trouvent en Allemagne en qualité de prisonniers ou de travailleurs, ils peuvent devenir les chefs d’une révolution éventuelle. Voilà le résultat de la grande négligence des commandants. Ces aviateurs évadés doivent être remis immédiatement à Himmler ».
Puis j’ai entendu le maréchal Keitel répondre : « Mon Führer, quelques-uns d’entre eux ont été ramenés dans leur camp ; ils sont à nouveau prisonniers de guerre ; je ne peux pas les livrer à Himmler ». Le Führer a répondu : « Alors qu’ils y restent ».
Voilà ce que j’ai entendu à ce moment-là de mes propres oreilles. Puis j’ai été appelé à nouveau par une communication téléphonique.
Avez-vous reparlé plus tard de cet incident avec le maréchal Keitel ?
Nous sommes repartis ensemble du Berghof à Berchtesgaden. Le maréchal Keitel était hors de lui, car il m’avait dit à l’aller qu’il ne toucherait mot au Führer de l’évasion de ces aviateurs. Il espérait qu’ils seraient tous repris rapidement. Il était furieux contre Himmler, qui en avait tout de suite averti Hitler. Je lui dis que si le Führer, étant donné la situation générale en Allemagne, considérait ces évasions comme un si grand danger, on devrait d’abord avertir l’Angleterre d’avoir à retirer son ordre prescrivant à tous les officiers prisonniers d’essayer de s’évader. Je dois dire franchement qu’à ce moment-là il ne vint à l’esprit d’aucun de nous que ces aviateurs pourraient être fusillés. Car ils n’avaient rien fait d’autre que de s’évader d’un camp, ce que des officiers allemands avaient fait des dizaines de fois. Je pensais qu’il voulait les soustraire au régime disciplinaire de l’Armée qui, selon lui, était beaucoup trop doux, et les faire travailler pendant quelque temps dans un camp de concentration de Himmler, à titre de punition.
En tout cas, d’après ce que vous savez, Hitler n’a pas donné l’ordre à Himmler de fusiller ces officiers ?
J’en suis absolument sûr, car je me souviens de l’impression que fit sur moi la nouvelle de leur exécution.
Encore quelques brèves questions pour conclure. Le Tribunal a demandé à l’accusé Keitel, à la barre des témoins, s’il avait fait des demandes écrites de mise en congé. Vous étiez présent. Que pouvez-vous dire au Tribunal sur les efforts faits par Keitel pour démissionner ?
Je vous ai parlé récemment du premier cas, qui a dû se passer au printemps 1940, à propos de la campagne de l’Ouest. Schmundt me l’a raconté, mais je n’y ai pas assisté. Le second cas, auquel j’ai assisté, se produisit en novembre 1941, au moment du grave conflit qui eut lieu entre le Führer et le maréchal Keitel. Et le Führer déclara : « Je n’ai affaire qu’à des têtes de bois ».
Nous n’avons pas besoin de ces détails. S’il veut nous dire que Keitel avait l’intention de démissionner...
Ce deuxième cas eut lieu en 1941. Après ce différend, le maréchal Keitel fit sa première demande écrite de démission. Quand j’entrai dans la pièce, son revolver était posé sur son bureau et c’est moi qui le lui enlevai.
Docteur Nelte, je vous ai déjà dit que nous n’avons pas besoin de détails sur cette question.
N’est-il pas important pour le Tribunal de savoir combien Keitel prenait la situation au sérieux, puisqu’il était même prêt à se servir de son revolver ?
Il nous donne des détails sur le bureau sur lequel était posé le document, ou quelque chose de ce genre. Il s’est efforcé de présenter une demande écrite de démission. Voilà ce qui est important.
Vous pouvez certifier que le maréchal Keitel a fait sa demande de démission par écrit ?
Je l’ai vu en train de l’écrire et j’en ai lu l’introduction.
Si, comme vous l’avez déjà dit, de tels incidents se produisaient si fréquemment et menaçaient, comme dans le cas du revolver, de prendre une telle tournure, comment se fait-il que Keitel soit toujours resté en fonctions ?
Parce que le Führer tenait absolument à ne pas s’en séparer. Je crois que d’autres pressions ont été exercées dans ce sens, mais le Führer ne voulait pas se séparer de lui. En second lieu, il ne faut pas oublier que nous étions, après tout, engagés dans une lutte pour la vie et en vertu de laquelle un officier ne pouvait pas rester chez lui à tricoter des bas. C’était toujours le sens du devoir qui prenait le dessus et nous obligeait à affronter toutes les difficultés.
Vous comprendrez qu’il faut s’en tenir au principe général : « Fidèle pour fidèle... » et que le devoir doit cesser dès qu’en s’y conformant on menace la dignité humaine ? N’y avez-vous jamais pensé ?
Si, beaucoup.
Voilà une question qui n’a pas à être posée par un avocat. Ce sont là des vues de l’esprit.
J’en ai terminé.
Témoin, est-il exact que vers le milieu de janvier 1943, Rosenberg vous aurait soumis, ainsi qu’au général Zeitzler, le texte d’une proclamation aux populations de l’Est ?
C’est exact. Après la discussion sur la situation générale, Rosenberg, qui était présent au Quartier Général, nous pria, Zeitzler et moi, de passer un instant dans la pièce adjacente, nous disant qu’il voulait nous montrer une proclamation aux populations de l’Est avant que de la présenter au Führer. Je me le rappelle.
Vous rappelez-vous son contenu ?
Il s’agissait d’une concession importante à la souveraineté de ces États de l’Est. C’était une tentative non équivoque de combattre l’agitation et l’hostilité au système allemand, en menant une politique de réconciliation.
En avez-vous témoigné à Rosenberg votre satisfaction ?
Nous avons dit que cela avait toujours été notre point de vue mais que nous craignions qu’il ne fût déjà trop tard.
Quel accueil fut réservé à ce mémorandum ?
Rosenberg m’a dit que le Führer avait, comme il le faisait souvent, classé l’affaire dans ses cartons. Il n’opposa pas de refus, mais déclara : « Mettez-le de côté ».
Aviez-vous l’impression que les propositions de Rosenberg avaient été motivées par les craintes que lui inspiraient les méthodes de Koch ?
Il voulait sans aucun doute contrecarrer les méthodes suivies par Himmler et surtout par Koch.
Je n’ai plus de questions à poser.
L’affectation stratégique des divisions de Waffen SS se faisait-elle sous votre contrôle ?
Les divisions de Waffen SS étaient, en ce qui concerne l’affectation, généralement traitées comme les autres divisions de l’Armée.
D’après vos souvenirs, combien y avait-il de divisions de Waffen SS ? Veuillez également mentionner le nombre des divisions de la Wehrmacht, afin que nous puissions avoir un moyen de comparaison.
Au début de la guerre, il y avait, je crois, trois divisions de SS. Le chiffre en a augmenté jusqu’à la fin de la guerre, pour atteindre trente-cinq à trente-sept, tandis que le nombre des divisions de la Wehrmacht oscillait autour de 280, 290 ou 300.
Comment procédait-on pour créer de nouvelles divisions ? Qui décidait si la nouvelle division devait être une division de Waffen SS ou une division de la Wehrmacht ?
Dès que le Führer avait décidé de créer de nouvelles divisions, il déclarait, après avoir consulté Himmler, quelles étaient celles qui seraient des divisions de Waffen SS. Il en déterminait le nombre.
Y avait-il certaines nonnes ou était-ce fait arbitrairement ?
J’avais l’impression qu’en créant les divisions de Waffen SS le Führer voulait aller aussi loin qu’il lui était possible d’aller.
Qu’entendez-vous par « lui était possible » ? De quelles limitations voulez-vous parler ?
La limitation consistait dans le fait que les soldats de ces divisions de Waffen SS devaient être des volontaires. Et il vint un moment où Himmler déclara : « Je ne trouve plus d’éléments pour remplacer les divisions ». Dès lors, il arriva que lorsque les hommes se présentaient au service militaire, la fine fleur en était affectée aux SS, fussent-ils fils de paysans profondément catholiques. J’ai même reçu à ce sujet bien des lettres amères de la part de femmes de paysans.
A propos de cette incorporation dans les Waffen SS dont vous venez de parler, procédait-on à une discrimination fondée sur des considérations politiques ? Faisait-on subir aux recrues un examen politique quelconque ?
Non, l’essentiel était que les garçons fussent bien bâtis et bien portants et promissent de faire de bons soldats. C’était la chose déterminante.
Vous avez dit hier que lors de l’incorporation des recrues, on ne tenait aucun compte de l’appartenance aux SA. Cela vaut-il pour ceux qui avaient appartenu aux Allgemeinen SS ? Je veux dire : tenait-on compte du fait que la recrue appartenait aux Allgemeinen SS, soit qu’elle y eût été incorporée ou instruite, soit qu’elle y eût fait ses classes ?
Pas dans la même mesure que pour les SA. Je crois que la majorité des hommes des Allgemeinen SS venaient aux Waffen SS comme volontaires. Mais je sais également que beaucoup d’entre eux n’y venaient pas, étaient incorporés normalement dans l’Armée et y étaient traités comme tous les autres Allemands.
Si je vous comprends bien, il y avait d’une part beaucoup de membres des Allgemeinen SS qui servaient dans l’Armée, et d’autre part il y en avait qui n’appartenaient ni au Parti ni aux SS, mais qui servaient dans les Waffen SS ?
C’est exact ; non pas en ce qui concerne le début de la guerre, mais tout au moins pour la deuxième moitié.
C’est pendant cette deuxième moitié de la guerre qu’on en a incorporé le plus ?
Sans aucun doute. Par la « deuxième partie de la guerre », j’entends la période postérieure aux lourdes pertes que nous avons subies pendant la première campagne de Russie en 1941.
Quels étaient environ les effectifs des Waffen SS à la fin de la guerre ?
Environ 480.000 hommes.
Vous comptez dans ce nombre les tués et les prisonniers ?
Oui.
Avez-vous des chiffres précis à ce sujet ?
Il est difficile d’en donner, en ce qui concerne les SS.
Témoin, vous avez dit au Tribunal il y a deux jours que vous étiez militaire dans l’âme. Est-ce exact ?
C’est exact.
Fort bien. Et vous avez dit hier que vous représentiez ici l’honneur du soldat allemand ? Est-ce exact ?
Au plus haut point.
Fort bien. Et vous vous faites passer pour un soldat honorable ?
Oui, j’en ai pleine et entière conscience.
Et vous déclarez que vous êtes un homme respectueux de la vérité.
Je l’ai déclaré et je le suis.
Très bien. Pensez-vous que votre honneur n’ait pas été souillé par les choses que vous avez, comme vous le dites, été obligé d’accomplir au cours des six ou sept dernières années ?
Mon honneur n’a certainement pas été souillé. J’ai personnellement veillé à le garder intact.
Très bien. Vous dites que votre honneur est sauf. Est-ce qu’au cours des six ou sept dernières années, alors que vous auriez dû dire ces choses, votre amour de la vérité est toujours resté égal à lui-même ? (Pas de réponse.)
Ne pouvez-vous pas répondre à cette question ?
Je crois que je suis trop bête pour y répondre.
Très bien ; si vous êtes trop bête, je n’insisterai pas. J’abandonne la question et je continue.
En 1935, vous étiez lieutenant-colonel au service de la défense du territoire de la Wehrmacht ?
C’est absolument exact.
C’était le département « L » (Landesverteidigung), n’est-ce pas ?
C’est exact.
Le Feldmarschall von Blomberg était votre supérieur ?
Il n’était pas mon supérieur direct, mais un de mes supérieurs.
Avez-vous beaucoup travaillé en collaboration avec lui ?
Je suis allé le voir plusieurs fois, mais naturellement moins souvent que le chef du service de la Wehrmacht.
Assistiez-vous à des conférences d’État-Major avec lui ?
Je n’ai jamais assisté à d’importantes conversations. Je crois qu’il y avait rarement d’autres personnes que le maréchal Keitel et moi, et peut-être un autre chef de service.
Et c’étaient des conférences d’État-Major ?
Non ; elles se tenaient dans les bureau du chef de la Wehrmacht.
Assistiez-vous aux conférences d’État-Major ?
Naturellement, puisque j’en faisais partie.
Bien sûr ; je m’en serais douté. Voudriez-vous regarder le document C-139 (USA-53). Regardez d’abord la signature : c’est celle de Blomberg ?
Oui, c’est signé Blomberg.
Il s’agit de l’opération « Schulung ». Vous rappelez-vous ce dont il était question ? (Pas de réponse. )
Il s’agissait bien de la réoccupation de la Rhénanie ? (Pas de réponse.)
Ne pouvez-vous pas me répondre ?
Je pourrai vous répondre dès que j’aurai lu le document.
Accusé, la question est de savoir si vous vous rappelez ce qu’était l’opération « Schulung ». Il n’est pas nécessaire de lire le document pour y répondre.
D’après mes souvenirs — je ne sais si je l’ai appris en étudiant les documents de Nuremberg — le terme « Schulung » s’appliquait aux préparatifs de l’occupation de la Rhénanie au cas où les Français auraient pris des sanctions après l’évacuation des territoires situés à l’ouest du Rhin...
Très bien.
Il y a plus à dire sur ce sujet.
Attendez un instant. Il est question de la réoccupation de la Rhénanie, vous êtes d’accord ?
Non ; il n’est pas question de la réoccupation de la Rhénanie. C’est absolument faux.
Bien ; regardons ensemble ce document et voyons un peu ce qu’il dit : d’abord il est daté du 2 mai 1935. « En ce qui concerne... » Je vais vous le lire, et je voudrais d’abord lire ceci : c’est apparemment tellement secret qu’on ne pouvait en confier la rédaction à un sténographe ? Tout le document est écrit à la main, n’est-ce pas ? (Pas de réponse.)
Vous pouvez répondre à cette question en toute certitude. Vous pouvez le constater par vous-même.
Oui, c’est écrit à la main.
Alors, pourquoi, ne pas le dire ? Regardons donc ce document. Il émane du ministre à la Défense du Reich, c’est-à-dire von Blomberg, c’est cela ? C’est la seconde copie, à remettre « en mains propres » et adressée au chef du Haut Commandement de l’Armée de terre, au commandant, de la Marine et au ministre de l’Aviation du Reich.
« En ce qui concerne l’opération suggérée lors de la dernière conférence d’État-Major » — c’est pourquoi je vous ai demandé si vous assistiez aux conférences d’État-Major — « des Forces armées, je décide que le mot secret sera « Schulung ».
Puis-je, en quelques mots, me référer au contenu ? « L’opération doit être menée par les trois branches de la Wehrmacht... Elle doit être exécutée » — et ceci est une phrase dont nous reparlerons — « par surprise et avec la rapidité de l’éclair.
« Le secret le plus absolu est nécessaire... apparence pacifique. »
Et sous le numéro 3 : « Toute amélioration dans nos armements nous permettra de donner toute notre mesure ». Puis on demande au Haut Commandement de l’Armée : « Combien de divisions sont prêtes à passer à l’action ? » Pas de bataillons factices, comme vous l’avez dit hier. « Le renforcement des forces qui se trouvent là-bas » — c’est-à-dire à l’Ouest — « par les divisions de Prusse Orientale qui y seront amenées immédiatement par fer ou par eau... Le Haut Commandement de la Marine devra s’occuper du transport des troupes de Prusse Orientale, au cas où la route terrestre serait coupée ».
A quoi pouvaient se référer ces instructions (qui étaient tellement secrètes qu’il fallait les rédiger à la main) sinon à la réoccupation de la Rhénanie ?
Si vous me permettez de vous donner une brève explication, cela ferait gagner beaucoup de temps au Tribunal.
Témoin, veuillez d’abord répondre à ma question : vous vous expliquerez ensuite brièvement. La question est la suivante : pouvait-il s’agir d’autre chose que de la réoccupation de la Rhénanie ?
Je n’ai pas le don de clairvoyance, je ne connais pas le document, je ne l’ai jamais lu. Je n’étais pas alors au service des Forces armées. Les signatures en sont différentes. J’étais dans la section d’opérations de l’Armée. Je n’ai jamais vu ce papier et n’en ai jamais entendu parler. Si vous regardez la date, 2 mai 1935, ce fait est prouvé par écrit, car ce n’est qu’en juin 1935 que je suis entré dans les services de la Wehrmacht. Je vous donne ainsi des présomptions, mais le Tribunal ne saurait s’en contenter.
Bien, si c’est là votre réponse... Et vous dites que vous, qui assistiez aux conférences d’État-Major du Feldmarschall von Blomberg, ne pouvez absolument pas nous dire à quoi se rapporte cet ordre d’opérations secret ?
Je n’étais pas encore auprès de von Blomberg à ce moment-là.
Fort bien. Veuillez regarder maintenant le document EC-405. Qu’on lui donne le livre allemand, à la page 277. Monsieur le Président, c’est à la page 26.
Accusé, vous avez dit que vous vous souveniez que l’opération « Schulung » concernait la préparation de la récoccupation de la Rhénanie ?
Non, j’ai dit le contraire. J’ai dit que j’avais entendu le mot « Schulung » ici pour la première fois devant ce Tribunal et je me suis demandé ce que c’était.
Bien. Le Tribunal en jugera d’après le procès-verbal. Vous affirmez n’avoir pas dit que « Schulung » concernait la préparation de la réoccupation de la Rhénanie ? C’est bien cela ?
Je veux dire qu’en qualité d’officier d’état-major de la section des opérations, j’aurais dû connaître les préparatifs militaires qu’on envisageait.
Ce n’est pas ce que je vous demande. Ce que je veux connaître c’est votre réponse à la question qui vous a été posée, à savoir si vous vous rappeliez la signification de cette opération « Schulung ». Qu’avez-vous dit ? Nous supposons que la traduction nous est mal parvenue. Qu’avez-vous dit ?
J’ai dit que je croyais me souvenir (mais j’ignore si ce souvenir n’est pas le fruit de l’étude des documents) que par le mot « Schulung » on entendait les préparatifs auxquels on procéderait pour l’évacuation des territoires à l’ouest du Rhin et l’occupation de la ligne du Rhin au cas où la France appliquerait des sanctions, car notre attention était alors concentrée sur ce seul problème. Toutes les mesures d’évacuation dont j’ai parlé dans le document EC-405 en faisaient partie.
Vous vous rappelez la date de ce dernier document : 2 mai 1935 ? Je me réfère maintenant au document EC-405, qui se trouve dans le gros livre de documents n° 7, à la page 277 du livre allemand. Ceci, témoin... je voudrais d’abord que vous regardiez les pages 43 et 44 de l’original qui est entre vos mains. Avez-vous les pages 43 et 44 ?
Oui, j’ai les pages 43 et 44.
Très bien. Vous y voyez, n’est-ce pas, qu’il s’agit d’une réunion du Comité de défense du Reich. Elle est datée du 26 juin 1935 et à la lettre F vous voyez : « Le lieutenant-colonel Jodl parle de la participation aux préparatifs de mobilisation », les trois premiers paragraphes parlent de la mobilisation générale, et je ne tiens pas à les lire. Mais je cite le quatrième paragraphe : « La zone démilitarisée nécessite l’application d’un régime spécial. Dans son discours du 21 mai 1935, ainsi que dans d’autres déclarations, le Führer a affirmé que les stipulations du Traité de Versailles et du Pacte de Locarno concernant la zone démilitarisée devaient être observées. A l’aide-mémoire du chargé d’affaires français du 17 juin 1935 sur les « bureaux de recrutement dans la zone démilitarisée », le Gouvernement du Reich allemand a répondu qu’aucune autorité civile de recrutement ni aucun autre service n’ont été chargés de procéder à des actes de mobilisation, tels que instruction, équipement et armement d’aucune formation quelconque, pour préparer une guerre éventuelle. »
Si donc la lettre écrite par von Blomberg le 2 mai 1935 concernait la préparation de la réoccupation par surprise de la Rhénanie, il était très malhonnête de la part du Führer de déclarer, dix-neuf jours plus tard, le 21 mai, que les traités de Locarno et de Versailles étaient respectés. N’êtes-vous pas de mon avis ?
Non, ce n’était pas malhonnête, car il est vrai que l’expression « Schulung »...
Je crois qu’il s’agit là d’un commentaire.
J’aurai certainement quelques commentaires à faire par la suite. Votre Honneur comprendra certainement que je n’essaie pas de m’écarter des règles spéciales qui s’appliquent à ce cas particulier.
Je pense que vous ne devriez pas faire de commentaires et que vous devriez vous en tenir aux faits établis par le contre-interrogatoire.
J’ai évidemment une très grande expérience des contre-interrogatoires, et je me conforme entièrement aux règles que vous posez. Mais il est très difficile, dans un contre-interrogatoire, de s’en tenir uniquement aux faits. Mais je vais faire mon possible. Accusé, je poursuis ma lecture :
« Étant donné que les difficultés politiques extérieures doivent être pour l’instant évitées à tout prix, seules les mesures préparatoires qui sont absolument urgentes doivent être exécutées dans la zone démilitarisée. L’existence de ces préparatifs et l’intention d’y procéder doivent être tenues strictement secrètes dans la zone elle-même ainsi que dans tout le Reich.
« Les armes, les équipements, les insignes, les uniformes feldgrau et autres articles stockés en vue de la mobilisation, doivent être tenus cachés. »
Je vais maintenant me référer au dernier paragraphe. « La rédaction de directives pour la mobilisation n’est autorisée que lorsqu’elle est absolument nécessaire à la bonne exécution des mesures décrétées. Tous ces documents sans exception doivent être mis dans des coffres-forts. »
Vous avez donc réuni des armes et des uniformes dans la zone démilitarisée ?
C’étaient des armes et des équipements pour la « Landespolizei », la Police d’ordre et la Gendarmerie ; il n’y avait pas de troupes ; c’est pourquoi les armes ne pouvaient pas leur être destinées.
Est-ce que la Police portait des uniformes feldgrau ?
La Police portait, je crois, un uniforme gris-vert ou vert.
Mais alors pourquoi garder ce secret, s’il ne s’agissait que d’équipements de police ?
C’était également l’armement des gardes-frontières, des inspecteurs des douanes, dont j’ai déjà dit...
Ma question était la suivante : qu’aviez-vous besoin de garder le secret ? Pourquoi, puisque vous ne violiez pas le Traité de Versailles ? Ne pouvez-vous pas répondre ?
Je me suis déjà expliqué sur les raisons du secret gardé sur toutes ces mesures au cours de mon interrogatoire, et je confirme que tous ces préparatifs avaient pour but, au cas d’une occupation de la Rhénanie occidentale par la France, d’installer une ligne de défense formée par la Police, la Gendarmerie et les gardes-frontières. Telle était notre intention. J’ai déjà déclaré sous serment que je n’ai appris l’occupation de la Rhénanie que six ou huit jours auparavant.
Je le sais, et je prétends que votre déposition est, sur ce point, parfaitement erronée. Et je vais même jusqu’à dire qu’elle est erronée sur beaucoup d’autres points encore. Voulez-vous vous référer au premier paragraphe que je vous ai lu. Vous dites : « A l’aide-mémoire du chargé d’affaires français... le Gouvernement du Reich allemand a répondu que ni des autorités civiles de recrutement,... n’ont été chargées de procéder à des actes de mobilisation, tels que instruction, équipement et armement d’aucune formation quelconque pour préparer une guerre éventuelle ». Ce paragraphe concernant les armes, l’équipement, les insignes et les uniformes feldgrau, ne montre-t-il pas que la vérité a été cachée au chargé d’affaires français ?
Je ne puis que vous répéter la réponse qui a été faite au chargé d’affaires français, et je crois qu’elle était absolument exacte : aucun acte de mobilisation, tel qu’armement et équipement de formations pour le cas où une guerre serait déclenchée. Nous ne pensions pas à une guerre ; personne n’en a jamais parlé.
Puis-je seulement vous rappeler (et je crois que le Tribunal en a copie) l’article 43 du Traité de Versailles ? L’article 42 définit la zone comprise entre la rive gauche du Rhin et la ligne passant à cinquante kilomètres à l’est de la rive droite. L’article 43 stipule :
« Sont également interdits, dans la zone définie à l’article 42, l’entretien ou le rassemblement de forces armées soit à titre permanent, soit à titre temporaire, aussi bien que toutes manœuvres militaires, de quelque nature qu’elles soient et le maintien de toutes facilités matérielles de mobilisation. »
Je prétends que la démarche que vous avez faite et qui a été révélée au cours de l’entretien qui a eu lieu à ce moment-là, constitue une nette violation du Traité de Versailles. Êtes-vous d’accord avec moi sur ce point ?
Non, je ne suis pas d’accord, car cette mesure ne devait être prise que pour le cas où l’adversaire ne respecterait pas le Traité et nous attaquerait à nouveau comme il l’avait fait autrefois dans la Ruhr.
Très bien. Je me référerai maintenant de temps à autre à un document L-172 qui est constitué par l’un de vos discours. Je vais vous le faire remettre. Je voudrais d’abord vous faire préciser de quel document il s’agit, car vous pourriez nous dire blanc un jour et le contraire le lendemain.
J’ai...
Ce document révèle maints passages de votre écriture. Je puis vous montrer les pages si vous le voulez. Si vous...
Non, c’est inutile. Il contient de nombreuses ratures et de nombreuses notes de ma main. Mais j’ai...
Je vous remercie, Monsieur le témoin, de m’avoir épargné cette peine. Il s’agit bien d’un discours, du projet d’un discours que vous avez prononcé en 1943 à Munich devant les Gauleiter ?
J’ai déjà clairement expliqué qu’il ne s’agit pas du discours, mais des parties d’un premier projet. Et la masse de ces pages représente les notes de conférences que mon état-major m’avait adressées pour la préparation de cet exposé. Là-dessus, j’ai supprimé des pages entières et renvoyé le tout. Ce n’est qu’à ce moment-là que j’ai composé mon discours.
C’est ce que nous allons voir, car vous avez fait des déclarations totalement différentes lorsque vous avez été entendu à deux reprises par un officier américain. Vous avez bien fait, à ce moment, des déclarations différentes ? (Pas de réponse.)
N’avez-vous pas été interrogé sur ce point le 8 octobre dernier par le colonel Hinkel ? Vous ne vous en souvenez pas ? Peut-être ne vous rappelez-vous pas la date ?
Non. Je sais que nous en avons parlé quelquefois.
Oui, et c’était sous serment que vous avez répondu aux officiers instructeurs ?
Oui.
Alors, pour vous rafraîchir la mémoire, je vais lire une copie du procès-verbal de cet interrogatoire : « Je vais vous montrer une photocopie d’un certain nombre de pages qui reproduisent un discours que vous avez fait le 7 novembre 1943 et je vous demande si c’est bien là le discours que vous avez prononcé. C’est le numéro L-172. »
Et vous avez répondu : « Oui. Il y a beaucoup de choses qui n’y figurent pas et que j’ai expliqué sur la carte ».
« Question
Vous y avez fait des remarques qui ne figurent pas dans le texte ?
« Réponse
Oui. J’ai ajouté des détails avec la carte en main.
« Question
Est-ce votre écriture qui est sur la couverture ?
« Réponse
Non, ce n’est pas la mienne.
« Question
Mais les pages suivantes reproduisent bien le discours que vous avez prononcé à Munich ?
« Réponse
Je ne peux pas dire si c’est véritablement le contenu du discours tel que je l’ai prononcé, car je vois la signature de Buttlar : ce n’est pas le discours lui-même ; ce sont les éléments qui m’ont servi à le faire. »
Témoin, j’attire votre attention tout particulièrement.
« Question
Reconnaissez-vous que les premières vingt-neuf pages reproduisent le discours que vous avez prononcé ?
« Réponse (après examen du document)
Oui, c’est mon discours. »
Est-ce que vous voulez changer quelque chose à cette réponse faite sous la foi du serment ? Vraiment ?
Je n’ai pas lu le procès-verbal ; je ne connais pas non plus la traduction. J’ai fait plusieurs autres déclarations à ce sujet. J’ai remarqué au cours du second interrogatoire que ce n’était pas mon discours, et que...
Très bien. Je vais vous lire le second ; je l’ai aussi. Cela se passait le 16...
Accusé, aviez-vous fini votre phrase ?
Non, je n’ai pas fini. On m’a interrompu.
Alors, finissez.
Je voulais dire que ma première impression a été qu’il s’agissait bien là de la copie de mon discours. Mais après examen, je me suis aperçu au cours des interrogatoires que ce n’étaient en réalité que les éléments de mon discours, et j’ai bien précisé : « Il y a la première partie et la conclusion, au milieu il n’y a que les notes qui m’ont été fournies par mes services. L’ensemble ne constitue nullement le texte de mon propre discours ». Voilà ce que j’ai dit textuellement au colonel Hinkel.
Bien ; laissez-moi maintenant lire le second interrogatoire. Il est du 16 novembre 1945, quatre jours avant l’ouverture des débats : « Ce document porte le numéro L-172. Je vais vous en montrer la photocopie afin de vous rafraîchir la mémoire. Vous avez dit, au cours de votre témoignage précédent, que la première partie de ce document est le discours que vous avez prononcé, et que la seconde partie consiste en différentes réflexions sur la base desquelles vous avez préparé ce discours. Est-ce exact ? »
« Réponse
Un instant, je vous prie. Cela n’est pas vraiment mon discours. C’est une collection de notes en partie rédigées par moi, en particulier l’introduction ; mais tous les appendices sont les éléments de mon discours qui m’ont été fournis par mes services. Des photocopies et toute une série de cartes y sont annexées. Ce n’est pas là mon discours et les annotations qui sont faites ici à la main ne sont pas de moi. Je ne connais pas l’origine de cette copie. Elle m’aura très probablement été fournie par l’OKW pour que je puisse faire mon discours. C’est une réunion de notes qui n’ont été utilisées que d’une façon limitée... »
Écoutez bien ceci, témoin : « ...cependant, dans les grandes lignes, c’est ce dont je me suis servi pour mon discours ».
La question suivante était : « Je crois que vous avez déjà dit que ce discours écrit ne correspondait pas au texte, car vous y avez inséré diverses remarques au cours de l’exposé, faites surtout lorsque vous vous référiez aux cartes que vous aviez installées au préalable afin de suivre les campagnes dont vous parliez. N’est-ce pas exact ? »
Maintenant, écoutez ceci :
« Ce que j’ai écrit représente ce que j’ai dit, et j’ai suivi le texte que j’avais préparé. Mais étant donné la situation sur les différents fronts (ce sont les parties 3 et 4), je la connaissais si bien que je n’avais pas besoin de me référer à des notes. Je m’en suis donc tenu aux cartes. »
Une dernière question :
« Il est cependant exact que le document qui se trouve devant vous représente, dans l’ensemble, le discours que vous avez prononcé à Munich en novembre 1943 ? »
Vous avez ainsi répondu à cette question :
« Il y a beaucoup de parties communes ; je n’ai utilisé aucune des annexes concernant les différents théâtres d’opération et d’autres points. Je les ai renvoyées. »
Convenez-vous que c’était bien là votre réponse ?
En somme, vous avez confirmé mes dires. Je ne sais pourquoi nous nous étendons tant sur ce sujet. La question est claire.
Je vous en prie, ne vous inquiétez pas. Je sais que je vous interromps, mais c’est pour vous empêcher de faire des déclarations non pertinentes. Il est de mon devoir de vous interrompre pour épargner notre temps et ne vous préoccupez pas des raisons pour lesquelles je le fais. Je voudrais savoir si ce document représente en gros le texte du discours que vous avez prononcé en réalité ; il est évidemment différent du brouillon.
L’introduction et la conclusion ont été prononcées telles qu’elles sont ici. Le discours entier n’a été rédigé que sur la base de ce premier projet ; mais il a été raccourci, modifié, raturé ; on en a retiré les fautes. On a eu alors l’essentiel du discours, dont il n’y a ici que des éléments. Il n’y en a aucune preuve, et je ne suis pas en mesure de dire moi-même laquelle de ces phrases j’ai prononcée en fait d’après le projet primitif.
Fort bien ; j’accepte cela.
Si vous me donnez une copie exacte de mon discours, je la reconnaîtrais.
C’est tout ce que je puis vous donner.
Je pense que nous pouvons maintenant suspendre l’audience.
Comme vous l’entendez, Monsieur le Président.
Monsieur le Président, je voudrais attirer votre attention sur le point suivant : mon client a été interrogé ici par l’intermédiaire d’un interprête, car il ne comprend pas l’anglais. On vient de me dire que le procès-verbal a été rédigé en anglais, et il ne l’a jamais vu ni signé. Et on en présente maintenant une traduction anglaise.
A mon avis, il est absolument impossible de s’en tenir aux termes mêmes du procès-verbal. L’accusé ne peut reconnaître tout ce qui y est contenu, si...
C’est exact ; le Tribunal retiendra ces faits sur lesquels vous venez d’attirer son attention.
Plaise au Tribunal, je passe à un autre sujet. Le témoin a reconnu que ce document constituait l’essentiel de son discours ; j’en prends note et je passe maintenant à une autre question. Voudriez-vous, s’il vous plaît, remettre au témoin son journal PS-1780 (C-113). Il est à la page 133 du grand livre de documents. Témoin, je crois que vous avez vu la note qui figure à la date du 5 novembre 1937. C’est là-dessus que je vous interroge :
« Le Führer développe ses intentions futures, l’évolution et la conduite de la politique. »
Par « grand livre » vous entendez le numéro 7 ?
Excusez-moi, Monsieur le Président, j’avais omis de vous indiquer ce numéro 7.
« 5 novembre 1937. Le Führer développe ses intentions futures, l’évolution et la conduite de la politique aux commandants en chef de l’OKW, de l’Armée de terre, de la Marine et de l’Aviation, ainsi qu’au ministre des Affaires étrangères. Il y a des divergences entre le compte rendu de ces idées établi par le chef de l’Armée et celui établi par le Commandant en chef de l’Aviation. L’intention de L... » Est-ce l’intention de la « Landesverteidigung », de votre service, de consigner ces idées par écrit ? (Pas de réponse.)
Veuillez répondre à ma question, témoin.
« L’intention de L », c’est l’intention de la « Landesverteidigung » de consigner ces idées par écrit et de les transmettre aux diverses parties de la Wehrmacht.
Fort bien. La réunion dont vous parliez est celle que nous avons appelée la conférence d’Hossbach. C’est le document PS-388 que vous connaissez déjà. Vous vous souvenez bien de cette conférence ? Vous en avez lu le texte ici à plusieurs reprises.
Oui, mais je n’y assistais pas ; je me souviens simplement de ce qui a été lu ici.
Je sais que vous n’y assistiez pas. Mais je suppose qu’en votre qualité de chef de la « Landesverteidigung » on a dû vous rapporter ce qui s’y était dit.
J’ai déjà dit à ce propos que le rapport qu’on m’a fait n’avait rien de sensationnel. Le Tribunal possède le texte des directives qui ont été données par la suite. Elles montrent ce que nous avons prévu et élaboré à cette époque. Nous possédons les ordres du 20 mai et du 14 juin. Tout cela est versé au dossier.
Accusé, on vous a simplement demandé si l’on vous avait informé de ce qui s’était passé au cours de cette réunion ; il n’était pas nécessaire de faire de longs discours à ce sujet.
Vous le voyez, j’essaie de poser des questions simples et j’attends de vous des réponses simples. C’est pourquoi je me permets de vous interrompre.
Vous a-t-on dit qu’à cette conférence Hitler avait déclaré que le problème de l’Allemagne était un problème d’espace vital ?
Non, pas du tout.
Vous a-t-on dit que Hitler avait déclaré que le problème allemand ne pouvait être résolu que par la force ?
Non.
Vous a-t-on dit que Hitler avait déclaré que le réarmement allemand était pratiquement achevé ?
Non.
Et, dernière question : vous a-t-on informé que Hitler avait dit qu’en cas de guerre le premier but serait l’Autriche et la Tchécoslovaquie ?
Je crois que les rapports sur la préparation active d’une entrée en Tchécoslovaquie faisait partie de ces déclarations. Mais je puis affirmer que je ne me souviens plus des détails que m’avait rapportés le Feldmarschall Keitel. Je sais seulement que cela n’a été pour moi ni une émotion ni une surprise et que cela a simplement donné lieu à certaines corrections des directives qui avaient été données jusque là.
Très bien. Je vous remercie. Vous n’étiez pas présent à l’Obersalzberg lorsque Keitel s’y trouva avec Schuschnigg au cours du mois de février suivant ?
Non, je n’étais pas présent.
Mais, par la suite, Keitel vous a dit ce qui s’était passé ?
Il m’a fait de très brefs commentaires à ce sujet ; car, en somme, la question m’importait peu.
Avez-vous rapporté dans votre journal cette note qui suit celle que j’ai déjà mentionnée à la page 133 du livre de documents 7, à la date du 11 février 1938 :
« Dans la soirée, le 12 février, Keitel arrive avec Reichenau et Sperrle à l’Obersalzberg. Schuschnigg et G. Schmidt sont de nouveau l’objet d’une forte pression militaire et politique. » Keitel vous a-t-il fait cette déclaration ?
Oui ; seulement vous avez ajouté le mot « de nouveau » ; il ne se trouve pas dans mon journal. J’ai écrit moi-même cette note, car Keitel m’avait raconté qu’au cours du déjeuner Reichenau et Sperrle avaient mis la conversation sur la guerre et parlé du réarmement allemand.
Fort bien. Puis, en mars, et je crois que nous sommes du même avis, vous avez signé ou promulgué un ou deux ordres pour l’opération « Otto ».
Oui, mais elle ne portait pas alors la désignation « Otto », on mentionnait « l’entrée en Autriche ».
Lorsque Hitler apprit que Schuschnigg allait être plébiscité par le peuple, il décida l’invasion sur-le-champ ?
Oui, on m’a dit que lorsqu’il apprit qu’on allait procéder à une pression si grotesque sur l’opinion publique sous le couvert d’un plébiscite, il affirma qu’il ferait tout pour ne pas l’admettre. Voilà ce qu’on m’a dit.
Il ne voulait pas que l’on consultât l’opinion publique ?
Non, il n’aurait pas toléré que l’on trompât l’opinion publique.
De sorte que les Forces armées allemandes pénétrèrent en Autriche ?
C’est exact.
Et dès lors, l’Autriche reçut tous les bienfaits du national-socialisme ?
C’est une question de politique. Il est possible que ce pays eût pu devenir le plus heureux de la terre.
Je ne vous demande pas ce qu’il aurait pu devenir, je vous demande ce qu’il a reçu. Il a reçu les SS, la Gestapo, les camps de concentration, la suppression de l’opposition et la persécution des Juifs ?
Ce sont là des questions dont je ne me suis pas occupé. Il faudrait que vous les posiez à ceux qu’elles concernaient. En tout cas, les Autrichiens m’ont reçu comme commandant d’artillerie et ils m’estimaient, je puis l’affirmer.
Vous dites que la population vous manifestait de la sympathie ?
Ceux qui étaient sous mes ordres étaient fiers de leur chef.
Ils devaient se montrer satisfaits, même si au fond, ils ne l’étaient pas vraiment ?
Non. Ils n’étaient pas obligés de se montrer satisfaits. En tout cas, après une longue absence, ils n’étaient certainement pas obligés de m’envoyer des lettres enthousiastes, comme celles que j’ai reçues pendant toute la durée de la guerre de ces Autrichiens qui savaient que mon cœur leur appartenait.
Il y avait en tout cas un homme qui n’était pas très heureux de vous voir.
Je n’en connais aucun.
Vraiment ?
Oui.
Schuschnigg ?
Nous ne nous connaissions pas.
Il n’était pas très content de vous voir entrer en Autriche ?
Je ne peux pas le dire.
Qu’advint-il de lui ?
Nous connaissons cela, Monsieur Roberts.
Je le sais, Monsieur le Président, je ne pense pas que ma question soit inadmissible, mais si vous vous refusez à ce que je la pose, je n’insisterai pas. (A l’accusé.) Schuschnigg a été interné dans un camp de concentration ?
On m’a dit que le Führer avait déclaré : « Je ne veux nullement en faire un martyr, mais je ne puis le laisser en liberté ; je dois lui faire subir une détention d’honneur ». Et j’ai vécu sous cette impression pendant toute la guerre.
Une détention d’honneur ?
Oui, c’était le nom consacré.
Comment ? Il était détenu d’honneur de Dachau ?
Je l’ignore. Ce ne sont pas des questions à me poser, à moi qui étais soldat et non pas chef de camp de concentration.
C’était un honneur auquel beaucoup renonceraient volontiers ?
J’aimerais que beaucoup d’événements de ces dernières années ne se soient pas produits.
Je me vois obligé de protester contre de telles questions. Ce sont des questions purement politiques, uniquement basées sur des points de Droit, et sur des sujets qui échappent à l’accusé. C’est un fait purement subjectif que celui de savoir si Schuschnigg était heureux ou non.
A mon humble avis, Monsieur le Président, ces questions sont parfaitement pertinentes. Elles sont du même genre que celles qui ont été posées jusqu’ici par le Ministère Public aussi bien que par la Défense.
Monsieur Roberts, le Tribunal estime que votre contre-interrogatoire est conduit conformément à ses règles.
Je vous remercie, Monsieur le Président. Témoin, je vais en finir avec ce sujet. Je voudrais vous demander, pour conclure, s’il est exact que Schuschnigg resta pendant plusieurs années en prison, ou sous le régime de la réclusion, sans que des accusations quelconques aient été portées contre lui et sans qu’il y ait eu un procès ?
C’est possible, je n’en sais rien.
Vous saviez, n’est-ce pas, lorsque vous avez signé cet ordre pour l’entrée en Autriche, que l’Allemagne avait assuré, en mai 1935, qu’elle respecterait l’intégrité territoriale de l’État fédéral d’Autriche, et que le 11 juillet 1936, un accord avait été signé par votre Gouvernement et le Gouvernement autrichien aux termes duquel l’Allemagne s’engageait à reconnaître la pleine souveraineté de l’État autrichien ? Étiez-vous au courant de ces faits ?
Je les ignorais à ce moment-là. En ma qualité de colonel à l’État-Major général, ces questions ne m’intéressaient en rien. Quelles en avaient été les suites ?
Je laisse la question de l’Autriche en vous demandant ceci : n’y a-t-il pas dans votre journal une note (c’est le projet de votre discours n° L-172) dans laquelle vous dites qu’après l’Anschluss, la Tchécoslovaquie était comme enfermée dans un étau et destinée à devenir une victime ? C’est à la page 290 de votre livre 1, Monsieur le Président. (Au témoin.) Vous vous souvenez de ce passage ?
Dans la première rédaction de mon discours adressé aux Gauleiter, j’avais exactement indiqué les améliorations stratégiques qui avaient pu être obtenues par les diverses interventions du Führer, et ceci à titre rétrospectif ; mais seuls, ces résultats stratégiques...
Une fois de plus, je ne voudrais pas vous interrompre, mais n’avez-vous pas dit quelque chose à ce sujet ? Si vous voulez, je vais vous faire remettre le document dans lequel vous signalez que la Tchécoslovaquie est comme enfermée dans un étau et destinée à devenir une victime ?
Dans la première rédaction, j’ai déclaré qu’en raison de l’Anschluss de l’Autriche, la situation stratégique de la Tchécoslovaquie était devenue si désespérée que ce pays devait incessamment être la victime de l’étau qui se refermait sur elle. C’était une rétrospective stratégique de faits indiscutables.
Fort bien. J’accepte cette explication. Témoin, je vais maintenant traiter très rapidement le cas de la Tchécoslovaquie. Je désire simplement m’occuper de deux documents ; nous allons parler du numéro 17 que l’on trouvera à la page 29 du livre n° 7. Je l’ai fait cocher pour vous, témoin. Vous connaissez ce document ?
Oui, je le connais.
Je n’ai pas l’intention de le relire, car il a été lu très récemment, mais vous convenez avoir dit hier que le problème était le suivant : il fallait tout d’abord procéder le cas échéant à une attaque par surprise ?
En raison des exigences formulées par le Führer, oui.
Vous deviez procéder à une attaque par surprise ? Et vos troupes avaient quatre jours pour occuper leurs positions de combat ?
Oui.
Et par conséquent vous deviez connaître la date de l’incident qui devait être le prétexte de l’attaque ?
Oui, j’ai dit que nous devions soit fixer cette date, soit la connaître à l’avance, sinon les exigences ne pourraient pas être satisfaites.
Et par conséquent vous deviez vous-même créer cet incident ?
J’ai fait hier des déclarations détaillées à ce sujet. Il fallait ou bien en exploiter un ou bien pousser un peu à la roue, mais comme je l’ai dit, ce sont là des considérations d’État-Major général, que vous estimez inopportunes lorsque c’est nous qui les reprochons aux Français.
A la fin du document, au dernier paragraphe de la page 30, il est dit que la Wehrmacht, ou le service de contre-espionnage, serait chargé de créer cet incident de toutes pièces.
Oui, j’ai donc écrit : « Dans la mesure où le service de contre-espionnage n’aurait pas déjà été chargé de provoquer un incident ». « Dans la mesure où... ». Mais ce ne sont là que les réflexions théoriques de l’État-Major général, à propos d’une situation que j’ai dépeinte très exactement hier, et dans laquelle de tels incidents se produisaient quotidiennement.
Nous savons. Et si cela s’était produit, on aurait déclaré au monde qu’en raison de cet incident, l’Allemagne s’était vue forcée d’entrer en guerre ?
Je ne crois pas que l’on aurait fait cette déclaration au monde. On lui aurait donné la vraie raison, celle que la presse mentionnait constamment, à savoir que 3.500.000 Allemands ne pouvaient pas continuer à être réduits en esclavage par un autre peuple. Voilà de quoi il s’agissait.
Si le monde pouvait connaître la vérité, à quoi bon créer un incident ?
Je l’ai déjà dit hier. Je ne puis que répéter ce que j’ai dit en détail hier. Je connaissais trop bien l’histoire de la guerre pour ne pas savoir que dans chaque cas la question se pose de savoir qui a tiré le premier coup. Et la Tchécoslovaquie avait alors déjà envoyé des milliers de coups, qui avaient atteint le territoire allemand.
Je me permettrai de vous dire, témoin, que vous ne répondez pas à ma question. Ma question était très brève. Vous faites de longues dissertations sur un tout autre sujet. La question est celle-ci : si la vérité suffisait à justifier votre entrée en guerre, pourquoi vouliez-vous provoquer un incident ? Si vous ne pouvez y répondre, dites-le.
Il n’est pas du tout établi que j’aie voulu provoquer un tel incident. J’ai écrit « Dans la mesure où... ». On n’a jamais préparé d’incident et c’est là le point essentiel.
Je n’ai pas envie de discuter plus longtemps avec vous. J’ai bien précisé mon point de vue et je laisse cette question de côté.
Je voudrais maintenant aborder une tout autre question. Reportez-vous au dernier paragraphe de la page 29 du même document :
« Il est même impossible de lancer un avertissement aux représentants diplomatiques à Prague avant la première attaque aérienne, bien que les conséquences puissent en être très graves, au cas où ils en seraient victimes. »
Peut-être voyez-vous ce paragraphe, qui est bien connu du Tribunal : « Par exemple, la mort de représentants de Puissances amies ou manifestement neutres ». Il s’agit donc d’une attaque aérienne avant toute déclaration de guerre ou tout avertissement à la population civile ?
Cela signifie que, par ce document, j’ai attiré l’attention du Führer sur le fait que, sur la base de son ordre, ce résultat pourrait être ou serait atteint.
Appelleriez-vous cela une « attaque terroriste » ?
On ne peut pas dire dans quelles conditions une telle attaque aurait été menée. Ce sont des questions abstraites pour notre État-Major général. On ne peut dire avec certitude comment cela se serait passé dans la pratique, à tort ou à raison. Cela dépendait de la décision politique.
Je vous montrerai plus tard comment ces projets théoriques ont été réalisés dans le cas d’autres pays. Je laisse maintenant de côté la question de la Tchécoslovaquie et ce document.
Vous avez été rappelé à l’OKW le 23 août 1939, de votre commandement dans une unité d’artillerie ? C’est un fait ?
Oui.
C’était là une grande faveur, étant donné l’opinion que le Führer avait de vous ?
Le Führer n’était pas responsable de mon rappel. D’ailleurs, je ne sais même pas s’il l’a su : je ne le crois pas.
Fort bien. Une petite question, témoin : vous avez dit au Tribunal, hier ou avant-hier, que vous n’avez jamais eu, je crois, de conversations avec le Führer jusqu’en septembre 1939 ; mais dans votre journal, à la date du 10 août 1938 (à la page 136 du livre 7), il est mentionné que vous avez assisté à une conférence au Berghof avec les chefs de l’Armée de terre et des Forces aériennes. N’y avez-vous pas rencontré le Führer ?
Je n’ai pas émis l’affirmation dont vous avez parlé dans votre première phrase. Voici ce que j’ai dit textuellement : « Le 3 septembre, j’ai été présenté au Führer par le Feldmarschall Keitel et c’est à cette occasion que je me suis entretenu pour la première fois avec lui ». Voilà ce que j’ai dit mot pour mot hier. J’avais déjà vu le Führer des douzaines de fois et j’avais entendu les importants discours qu’il avait prononcés après être devenu Chancelier du Reich et Commandant suprême des Forces armées.
Fort bien, témoin, j’accepte vos dires. Il se peut que je me sois trompé. Vous en venons maintenant à la campagne polonaise. Vous ai-je bien compris lorsque vous avez dit que Varsovie n’avait été bombardée qu’après que des tracts eussent été lancés ?
Cela concerne la période du siège de Varsovie. Cette « attaque terroriste » qui devait atteindre toute la ville par des tirs d’artillerie, n’eut lieu qu’après deux avertissements préalables.
Mais c’est un fait historique que Varsovie a été bombardée, ainsi que bien d’autres villes polonaises, aux premières heures du 1er septembre 1939, avant toute déclaration de guerre ? N’est-ce pas là un fait historique ?
En ce qui concerne ce fait historique, le Feldmarschall Kesselring, qui connaît bien la question, a fait ici une déclaration détaillée. Il a dit (ce qui a été confirmé par le Reichsmarschall Göring) qu’à cette date on a attaqué tous les objectifs militaires importants en Pologne, et non la population de Varsovie.
Fort bien. Vous avez tout à fait raison... Si le Tribunal désire la référence Kesselring sur le bombardement de Varsovie, ce document a été déposé lors de l’audience de l’après-midi du 12 mars 1946 (Tome IX, pages 191 et 192). Témoin, je suppose que les résultats de la campagne polonaise ont naturellement été pour vous tous l’objet d’une certaine satisfaction ?
Le développement des opérations de la campagne de Pologne nous a, sur le plan militaire, semblé très satisfaisant. Mais il y a dans la vie des choses qui vous donnent plus de satisfaction qu’une entreprise militaire.
Je voudrais maintenant attirer votre attention sur une lettre. Monsieur le Président, c’est un nouveau document D-885 (GB-484). Témoin, cette lettre est écrite de votre main ? Est-ce bien votre écriture ?
Oui.
Très bien. Elle est adressée au préfet de Police, le Dr Karl Schwabe, à Brunn (Moravie), et datée du 28 octobre :
« Mon cher préfet de Police, je vous remercie cordialement de votre lettre enthousiaste du 22 septembre. J’en ai été particulièrement heureux. Cette merveilleuse campagne de Pologne a été le début grandiose de cette lutte dure et décisive, et a été pour nous un point de départ particulièrement favorable, tant politiquement que militairement. Le plus dur, pour le peuple comme pour l’Armée, est encore à faire ».
Je ne fais que lire et commenterai ultérieurement. « Mais le Führer et ses collaborateurs sont pleins de confiance ; car les hypocrites Britanniques ne réussiront pas à étrangler notre économie et du point de vue militaire, nous n’avons pas de soucis. La volonté du peuple d’aller jusqu’au bout est décisive, et les nombreux hommes dévoués et énergiques qui, aujourd’hui, sont à la tête des Gaue et occupent tous les postes responsables y veilleront. Cette fois, nous montrerons que nous avons de meilleurs nerfs et que notre unité est plus grande. Je suis convaincu que vous, Monsieur le préfet, contribuerez de toutes vos forces à garder les Tchèques dans le droit chemin et à ne pas les laisser redresser la tête ». Il se réjouit ensuite des honneurs conférés aux troupes :
« Je vous remercie chaleureusement pour ces louanges que ne mérite pas ma modeste activité, poursuivie à l’ombre de la puissante personnalité du Führer. »
Pourquoi qualifiez-vous les Britanniques d’hypocrites ? Parce qu’ils observaient les traités, n’avaient pas de camps de concentration et ne persécutaient pas les Juifs ? Nous étions hypocrites parce que nous ne violions pas les traités ?
Non, ce n’était pas la raison. La raison en était que c’était ainsi que la situation politique était généralement dépeinte et que c’était alors en réalité mon opinion.
Parfait. Vous dites :
« La volonté du peuple d’aller jusqu’au bout est décisive et les nombreux hommes dévoués et énergiques qui, aujourd’hui, sont à la tête des Gaue et occupent tous les postes responsables, y veilleront. » Qui sont ces hommes dévoués et énergiques ? Désignez-vous par là les SS et la Gestapo ?
Non, ce sont les Gauleiter.
Les Gauleiter ?
Oui.
Mais nous en avons un ou deux ici, me semble-t-il. Le Gauleiter Sauckel, par exemple. Dans une région aussi vaste que la Thuringe, il ne pouvait pas faire grand-chose à lui tout seul ? Il fallait qu’il eût quelques SS et la Gestapo pour l’aider ?
Il ne s’agit pas du tout de cela. Le fait est que ces Gauleiter ont effectivement veillé à l’organisation de l’État, et ont, dans cette guerre, dirigé l’administration d’une façon remarquable. Malgré la catastrophe, on s’est plus soucié du peuple qu’en 1914-1918. Ce fait, incontestable, est à l’honneur des Gauleiter.
On s’est mieux occupé du peuple ?
Même dans les conditions terribles de la fin de la guerre, chaque Berlinois recevait ses rations normales. C’était une organisation exemplaire, c’est tout ce que je puis dire.
C’était une organisation exemplaire parce qu’aucune opposition n’était tolérée contre le Gouvernement ou le Parti ?
Certes, cela comportait des avantages, mais d’un autre côté cela a également conduit à des catastrophes terribles dont je n’ai entendu parler pour la première fois qu’ici.
Bien. La lettre est assez éloquente par elle-même ; je vais la laisser de côté. Mais je voudrais vous parler de cette dernière phrase : « Je suis convaincu que vous, monsieur le préfet, contribuerez de toutes vos forces à garder les Tchèques dans le droit chemin, et à ne pas les laisser redresser la tête ». Qu’entendiez-vous par là ?
Puisqu’il était préfet de Police à Brunn, sa tâche consistait à veiller à ce que la paix et l’ordre y fussent maintenus et à ne pas tolérer une émeute tchèque pendant que nous étions au combat C’est évident. Je n’ai pas dit qu’il devait assassiner les Tchèques ou les germaniser, mais qu’il devait les faire tenir tranquilles.
Fort bien. Je laisse ce sujet et passe aux différentes campagnes de l’Ouest.
En ce qui concerne la Norvège, saviez-vous naturellement que votre pays avait à plusieurs reprises donné sa parole d’honneur de respecter l’intégrité territoriale de la Norvège et du Danemark ?
J’ai déjà dit hier, à propos...
Répondez donc à ma question ; elle est si simple.
Oui, je crois qu’à ce moment-là je le savais. Je crois pouvoir le dire avec certitude.
Bien, et nous savons qu’une assurance a été donnée au début de la guerre pour tranquilliser les Puissances neutres de l’Europe occidentale et qu’une autre a été donnée le 6 octobre ; et vous dites qu’en novembre Hitler décida d’envahir le Danemark et la Norvège ?
Oui, j’ai donné hier de nombreux détails à ce sujet.
Je le sais. Ne dites pas toujours cela. Je suis obligé de revenir sur les mêmes questions, mais en les considérant sous un angle différent. Vous dites dans votre discours, et je cite à la page 291 du livre 7 — peut-être pourrait-on lui indiquer l’endroit — C’est à la page 11 de vos notes, Monsieur le Président. C’est vers le milieu de la page, au paragraphe 8 :
« Entre temps, nous avons dû faire face à un grave et urgent problème : l’occupation de la Norvège et du Danemark. Tout d’abord, il était à craindre que l’Angleterre ne s’emparât des États Scandinaves, et par un encerclement stratégique effectué par le Nord, ne stoppât les importations de fer et de nickel qui avaient tant d’importance pour nos réalisations militaires. En second lieu, l’intérêt bien compris de nos nécessités maritimes nous obligeait à nous assurer un accès libre à l’Atlantique par la possession de certaines bases aériennes et navales. »
Vous vouliez donc avoir des bases aériennes et sous-marines ?
Elles avaient pour nous une importance stratégique énorme. Il n’y a aucun doute à ce sujet. Mais si nous en avons pris possession, c’est en raison du danger qui menaçait la Norvège et que nous n’ignorions point.
Voici ce que je veux vous dire : dans le cas de la Norvège comme dans celui des Pays-Bas, vous n’avez fait que trouver une excuse. Avez-vous songé à une attaque de l’Angleterre, chose qu’elle ne pouvait plus faire depuis des mois ? Vous avez violé la neutralité de la Norvège au moment qui vous paraissait opportun. C’est bien cela ?
Pour pouvoir répondre par oui ou par non, il faudrait procéder à une étude historique extrêmement fouillée d’un côté comme de l’autre. On pourrait alors dire si c’est exact ou non. Mais avant que cela ne soit tranché, il n’y a que des opinions subjectives. J’ai la mienne et vous avez la vôtre.
Oui, mais je vous fais remarquer que c’est toujours l’Allemagne qui a violé la neutralité d’autres pays. Les Alliés ne l’ont pas fait.
Dans le cas de la Norvège, ce sont les Anglais qui ont commencé, à propos de l’Altmark, en mouillant des mines et en tirant sur des navires allemands dans les eaux territoriales norvégiennes. Cela a été établi d’une manière indubitable. Il n’y a aucun doute à ce sujet.
Comme vous le savez fort bien, témoin, l’opération de l’Altmark ne constituait pas du tout une occupation. C’était simplement une entreprise de la Marine britannique pour libérer des prisonniers anglais qui se trouvaient à bord d’un navire allemand, et je crois que n’importe quelle unité de votre Marine aurait agi pareillement si l’occasion s’était présentée. A quoi bon parler de l’Altmark ? Ce n’était pas du tout une occupation.
Mais c’était une violation du Droit international et de la souveraineté norvégienne. Vous pouviez demander à la Norvège d’y procéder elle-même, mais vous ne pouviez entreprendre une action stratégique dans les eaux territoriales norvégiennes. Je connais parfaitement les dispositions du Droit international à cet égard.
Pourquoi avez-vous trahi la parole donnée à la Norvège ? Pourquoi avez-vous plongé les habitants de ce pays dans des souffrances inouïes ? Simplement parce que la Marine britannique a pénétré dans les eaux territoriales et libéré deux ou trois cents prisonniers britanniques ? Croyez-vous que ce soit logique ? Comment les Norvégiens en auraient-ils souffert ?
Mais vous ne me citez là qu’un tout petit exemple de cette occupation anglaise si apparente, et il y en a des centaines.
C’est un exemple que vous-même avez donné. Je n’en ai pas parlé moi-même.
Tout ce que je puis dire, c’est que nous avions nettement l’impression que nous nous lançions dans une entreprise pour laquelle les Anglais étaient déjà embarqués. Si vous pouvez me prouver le contraire, je vous en serais très reconnaissant.
J’attire maintenant votre attention sur la seule preuve conséquente que vous ayez produite sur ce point, car le document a été lu hier très vite.
Monsieur le Président, il s’agit du livre de documents Jodl n° 2, à la page 174. Le procès-verbal qui débute à la page 174, en haut à gauche, démontre qu’Albrecht Soltmann était un spécialiste qualifié et qu’il a les ordres et les documents du commando de débarquement britannique à Lillehammer. C’est ce qui ressort du bas de la page 175 :
« Les documents et les déclarations de prisonniers ont montré que peu de temps avant notre débarquement en Norvège, les troupes de débarquement britanniques avaient été embarquées sur des destroyers. Le lendemain, elles furent de nouveau débarquées et maintenues à proximité du port d’embarquement. Après l’invasion allemande en Norvège, elles furent réembarquées et transportées en Norvège. Quelles intentions les Britanniques poursuivaient-ils en embarquant leurs troupes avant notre débarquement ? On n’a pu le déterminer d’après les documents et les déclarations des prisonniers. On ne pouvait alors que supposer qu’ils avaient l’intention d’occuper la Norvège avant notre invasion ; on ne pouvait que le supposer car les prisonniers n’ont pas pu apporter de précisions à cet égard. Ces suppositions sont fondées sur l’équipement spécial des troupes britanniques. L’étude que j’ai pu faire des documents et des déclarations de prisonniers n’a pas établi l’existence d’un plan britannique concernant la Norvège. »
Et voici la question suivante :
« Cette étude a-t-elle montré que nous sommes arrivés juste avant les Anglais en Norvège ? »
« Réponse
Oui, on peut donner cette interprétation. Mais j’ignore si cette présomption est indiscutable. »
Puis il est question de documents français saisis dans un train. Le témoin ne connaît pas la question. C’est là une preuve assez faible du fait que la Norvège devait être envahie, contrairement à tous les traités et engagements conclus.
Je suis tout à fait d’accord avec vous. Vous avez raison ; mais cela provient simplement du fait que Soltmann n’était malheureusement pas spécialiste de ces questions. Il, n’était même pas officier d’État-Major général. Je l’avais oublié. Nous avions d’autres preuves toutes différentes ; je les vois encore sur ma table : tous les ordres exécutés par la brigade de débarquement britannique. Ils ont confirmé nos suppositions de façon absolue.
Une invasion sans avertissement, ni déclaration de guerre ?
C’est une question politique.
Mais vous avez dit hier au Tribunal combien vous respectiez le Droit international et combien vous teniez à ce qu’il fût observé. Vous saviez que ces faits étaient contraires au Droit international ?
Ces questions ne faisaient pas partie de nos prescriptions, mais entraient dans le cadre des règlements qui s’appliquaient à la Wehrmacht. Le concept de « guerre d’agression » n’existait dans aucun règlement. Nous nous en tenions seulement aux Conventions de Genève et de La Haye.
Si un Allemand honorable donne sa parole, il la tient ? Il ne rompt pas sa promesse sans en affirmer son intention ? C’est bien ce que fait un Allemand respectueux de l’honneur ?
C’est une pratique généralement observée dans le monde entier, dans les rapports entre particuliers, mais qui perd tout son sens sur le plan politique.
Si c’est là votre code de l’honneur, pourquoi n’est-il pas particulièrement déshonorant pour l’Allemagne de violer en permanence sa parole ? Peut-être préféreriez-vous ne pas répondre à cette question ?
Non, il vaudrait mieux que vous la posiez à ceux qui étaient responsables de la politique de l’Allemagne.
Bien ; laissons cela. Nous en venons maintenant à l’invasion de la Hollande, de la Belgique et des Pays-Bas, pardon, des Pays-Bas, de la Belgique et du Luxembourg.
Vous ne doutez pas, je pense, que les documents établissent que l’intention de Hitler avait toujours été, au cas d’une guerre à l’Ouest, de violer la neutralité de ces trois petits pays ?
Dès le début, lorsqu’il a donné les premiers ordres d’attaque à l’Ouest, il avait l’intention de passer par la Belgique ; mais il avait fait des réserves à propos de la Hollande ; elles n’ont été levées qu’à la mi-novembre, je crois. Donc, en ce qui concerne ce pays, ses intentions n’étaient pas fermes ; en ce qui concerne la Belgique, ses intentions se sont manifestées assez tôt, aux environs de la mi-octobre ou au début du mois d’octobre.
L’Allemagne désirait naturellement mener une guerre offensive en territoire étranger. C’était bien là son ambition ?
Le but des Allemands était, dans cette guerre, de remporter la victoire.
Vous ne pouviez attaquer à l’Ouest à moins d’entrer par la Belgique ?
En tout cas, tout autre attaque s’avérait ertrêmement difficile et d’un succès douteux. Je l’ai déjà dit.
Oui. C’est pour cela que la France avait édifié la ligne Maginot afin que vous ne puissiez attaquer sa frontière. En vous emparant des côtes belges et hollandaises, vous vous assuriez des bases aériennes à partir desquelles vous pouviez attaquer la Grande-Bretagne ? C’était ce que vous espériez ?
Il est hors de doute que la possession des côtes améliorait la situation stratégique de l’Allemagne dans sa lutte contre l’Angleterre. C’est exact.
Oui. Je vais simplement vous rappeler quelques documents que le Tribunal connaît déjà. Je n’ai pas l’intention de les lire. Le premier document dans l’ordre chronologique est le PS-375 (USA-84), datant du 25 août 1938. C’est l’époque du « Cas Vert ». Il s’agit de l’exposé du point de vue de l’Aviation ; il se trouve au dernier paragraphe de ce docmuent, à la page 11.
« La Belgique et les Pays-Bas aux mains des Allemands représenteraient un avantage exceptionnel dans la lutte aérienne contre la Grande-Bretagne... » Puis l’Armée est consultée sur le temps que cela prendrait. C’était à l’époque de la crise tchécoslovaque ?
Oui, mais je crois que l’on a déjà qualifié ce document de morceau de papier ridicule, dont l’auteur n’était qu’un simple capitaine.
En tout cas, son jugement semble avoir été excellent, quand on considère ce qui s’est passé par la suite.
Le document suivant (je sais que vous étiez alors en Autriche, mais, sans doute, en avez-vous entendu parler par Keitel), concerne la réunion à la Chancellerie du 23 mai 1939. C’est le L-79. Livre de documents n° 7, page 275. Vous vous souvenez que le Führer a dit :
« Les points d’appui aériens hollandais et belges doivent être occupés militairement. On ne tiendra aucun compte des déclarations de neutralité... Dans cette affaire, les considérations du bien ou du mal-fondé des traités n’ont aucune importance. L’Armée devra occuper les positions essentielles à la Marine et à l’Aviation. Si le territoire de la Belgique et de la Hollande est occupé et conservé, si la France est également vaincue, les conditions fondamentales d’une guerre couronnée de succès contre l’Angleterre auront été ainsi réunies. Des attaques quotidiennes lancées par l’Aviation et la Marine allemandes couperont ses lignes de ravitaillement. »
La politique du Führer ne faisait plus le moindre doute en mai 1939.
Ce n’est qu’ici que j’ai entendu parler de cette réunion et de ce qui y aurait été dit. Je ne suis pas à même de dire si c’est exact. Je n’en ai pas non plus entendu parler par Keitel plus tard.
Bien. Avez-vous entendu parler du discours prononcé par le Führer le 22 août 1939 ? Il ne figure pas dans le livre de documents ; c’est le PS-798, dans le livre de documents n° 4. Monsieur le Président, je dispose de quelques copies :
« Ces pays, la Hollande, la Belgique et la Scandinavie défendront leur neutralité par tous les moyens possibles. L’Angleterre et la France ne violeront pas leur neutralité. » (A l’accusé.) Vous avez toujours pensé que Hitler était bon prophète ? Vous, considériez que Hitler avait un jugement sûr ?
Très souvent, oui ; très souvent.
Et il a fort bien jugé que l’Angleterre et la France tiendraient leur parole tandis que l’Allemagne violerait la sienne ? Ceci se passait en août : je voudrais...
Je n’en sais rien.
...en venir maintenant au document cité hier.
Un instant, accusé. Qu’entendez-vous par « Je n’en sais rien » ? Voulez-vous dire que vous ne connaissiez pas le document ?
Je ne sais pas ce que le Führer a effectivement dit lors de cette réunion du 22 août. Je ne savais même pas qu’il y eût une conférence, car j’étais à Vienne. Je ne connais que le contenu des documents qui ont été présentés ici.
Je désire maintenant envisager l’ensemble du document L-52. Le Dr Exner en a lu hier les extraits qui lui convenaient. Je voudrais en lire d’autres. Avez-vous un exemplaire pour le Tribunal ? Ce document L-52 est un mémorandum de Hitler du 9 octobre 1939. Puis-je vous signaler que le 9 octobre 1939 survenait trois jours après le renouvellement de ses assurances aux pays neutres de l’Europe occidentale ? Vous avez lu quelques passages : je voudrais en citer d’autres. Monsieur le Président, je cite maintenant à partir de la page 5. Témoin, c’est la page 27 de l’original, en bas, à droite :
« Les moyens militaires dont l’Allemagne dispose en cas d’une guerre de longue durée contre notre ennemi n° 1 sont essentiellement l’Aviation et l’arme sous-marine. L’arme sous-marine peut même aujourd’hui, si elle est employée sans restriction, constituer une menace extraordinaire contre l’Angleterre. La faiblesse de l’arme sous-marine allemande réside dans l’éloignement des théâtres d’opérations, dans le danger que comportent ses déplacements et dans la menace continuelle de ses bases. L’Angleterre n’a pas encore semé de grands champs de mines, comme dans la première guerre mondiale, entre la Norvège et les îles Shetland ; ce fait est vraisemblablement dû — à supposer qu’il existe de sa part la volonté de mener une guerre — au manque de matériel nécessaire à un blocus. Mais si la guerre se prolonge, on doit compter sur une nouvelle et croissante difficulté : la seule utilisation par nos sous-marins des routes de départ et de retour qui nous resteraient. Toute création de bases de sous-marins en dehors de cet espace restreint, provoquerait un accroissement énorme de la puissance d’attaque de l’arme sous-marine. »
Ne pensez-vous pas qu’il y a là une référence manifeste aux bases norvégiennes donnant accès sur l’Atlantique ?
Je ne crois pas. C’est là, il me semble, une considération très juste sur les problèmes de stratégie maritime, qui peut aussi bien s’appliquer à une base telle que Mourmansk, que nous occupions alors, ou à une base d’Espagne ou de l’un des États neutres. Mais ce n’est pas une allusion à la Norvège, car j’ai déclaré sous la foi du serment qu’à cette époque le Führer ne s’est nullement occupé de ce pays, avant que les rapports de Quisling soient parvenus.
Fort bien. Continuons donc à lire :
« L’Aviation allemande ne peut réussir ses attaques contre les centres industriels de l’Angleterre et contre ses ports du Sud et du Sud-Ouest, dont l’importance augmente considérablement en cas de guerre, que si elle n’est plus obligée d’opérer à partir de notre côte trop étroite de la mer du Nord ce qui l’oblige à faire des détours, nécessitant des vols de longue durée. Si le territoire hollandais et belge devait tomber entre les mains des Anglais et des Français, l’Aviation ennemie n’aurait alors, pour frapper le cœur industriel de l’Allemagne, qu’à couvrir à peine le sixième de la distance nécessaire au bombardier allemand pour atteindre des objectifs importants. Mais si nous possédions la Hollande, la Belgique ou même le Pas-de-Calais comme tremplins pour l’Aviation allemande, la Grande-Bretagne recevrait alors sûrement un coup mortel, même si les représailles les plus énergiques étaient entreprises. Un tel raccourcissement des routes aériennes serait d’autant plus important pour l’Allemagne que nous sommes à court de carburant. Chaque tonne de carburant économisée n’est pas seulement un atout pour notre économie nationale, mais signifie qu’une tonne d’explosif de plus peut-être transportée par l’Aviation : c’est-à-dire qu’une tonne de carburant peut être transformée en une tonne de bombes. Cela constitue également une économie en appareils et en vies humaines. »
Je vous demande maintenant de vous reporter à la page 41 ; Monsieur le Président, ce passage se trouve deux pages plus loin et vous verrez le chiffre « 41 » vers le sommet de la page, avec la mention « L’attaque allemande ». Avez-vous trouvé le passage, Monsieur le Président ?
Oui.
« L’attaque allemande. L’attaque allemande doit être lancée avec l’objectif essentiel de détruire l’Armée française ; mais en tout cas elle doit créer une situation initiale favorable, qui est une condition préliminaire de la poursuite victorieuse de la guerre. Étant donné les circonstances, la seule zone d’attaque possible est le secteur compris entre le Luxembourg au Sud et Nimègue au Nord, à l’exclusion de la forteresse de Liège. Le but consiste à pénétrer le plus rapidement possible dans la zone Luxembourg-Belgique-Hollande, d’attaquer et de vaincre les forces adverses, belges, françaises et anglaises. »
Je suppose qu’il n’est pas nécessaire que je vous demande de dire quelle est votre opinion sur l’honnêteté de l’assurance donnée le 6 octobre aux Puissances occidentales neutres alors que vous déclariez qu’il fallait attaquer conformément au mémorandum du 9. Je suppose que c’est une question politique ?
C’est une question politique, mais les déclarations n’ont été faites que sous réserve du maintien le plus strict de la neutralité de ces pays. Or, cette neutralité n’a pas été observée car les avions britanniques survolaient nuit et jour ces territoires.
Pourquoi l’Armée allemande se devait-elle de détruire les malheureuses populations hollandaise et belge ? Parce que les aviateurs britanniques survolaient leur territoire ? Qu’y a-t-il logique dans votre remarque ?
Monsieur le Président, il y avait encore dans ce document un passage que je désirais citer. Je pourrais peut-être le lire avant que l’audience soit levée ; j’en aurais ainsi fini avec ce document. C’est à la page suivante, Monsieur le Président, vers le bas de la page. C’est juste au-dessus de « Date de l’attaque ». Accusé, c’est à votre page 52, tout au début.
« Tous les chefs doivent avoir présent à l’esprit le fait que la destruction des forces franco-anglaises est l’objectif essentiel, dont la réalisation créera une situation favorable à l’utilisation victorieuse de l’Aviation allemande contre d’autres objectifs. L’emploi brutal de l’Aviation allemande contre la volonté de résistance des Britanniques pourra suivre et suivra au moment donné. »
S’agissait-il là d’attaques terroristes contre la population civile ?
Vous m’interrogez en permanence sur un document qui a été rédigé, du premier au dernier mot, par le Führer, comme je vous l’ai déjà dit. Vous donnez ici des détails très intéressants sur la personne du Führer et ses qualités de stratège et de chef militaire. C’est très intéressant pour le monde entier, mais je ne vois pas du tout en quoi cela me concerne. Ce sont là des pensées que le Führer a exprimées en sa qualité de chef militaire, et elles intéressent tous les militaires du monde. Mais je ne vois pas ce que je viens faire là-dedans. Je ne comprends pas.
Puis-je vous faire remarquer, témoin, que c’est votre propre avocat qui a produit ce document, et que vous vous êtes référé à certains passages ? Voilà en quoi cela vous intéresse. Vous vous en êtes servi.
Oui.
Nous allons maintenant lever l’audience.